Les Cahiers du GERSE n° 2






CLARIFICATION ET SIMPLIFICATION

DU SYSTEME DECISIONNEL :

L'ABSENCE DE VOLONTE POLITIQUE DEBOUCHE SUR D'INSUFFISANTES REFORMES TECHNIQUES

Sylvie RIVOL

" [...] les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union Européenne ont voulu que le Traité soit transparent et compréhensible. [...]. Grâce à ce Traité, l'Union Européenne sera plus efficace et en même temps plus démocratique " (1).

On peut regretter que la Commission confonde " information " et " communication ". Il existait effectivement un large consensus sur la nécessité de clarifier et de simplifier le fonctionnement des institutions communautaires. Cependant le résultat atteint est bien en deçà de ce que l'on pouvait espérer : les réformes adoptées sont principalement des adaptations techniques, qui se limitent à consacrer l'évolution du droit et de la pratique depuis l'adoption du traité de Maastricht.

Dans l'étude précédente (2), nous avions distingué trois domaines dans lesquels il y avait des propositions significatives. Il s'agissait d'une part d'améliorer la participation du public au processus décisionnel, d'autre part, de simplifier les procédures de décision et enfin de clarifier la répartition de compétences. C'est de nouveau au travers de cette grille que nous allons analyser les réformes adoptées par le Conseil européen réuni à Amsterdam le 17 juin dernier.

I. LA PARTICIPATION DU PUBLIC AU PROCESSUS DÉCISIONNEL

La Déclaration n°17 relative au droit d'accès à l'information, annexée au Traité sur l'Union Européenne affirmait la volonté de l'Union de renforcer " le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public envers l'administration ". Cette déclaration d'intention est transformée dans le nouveau Traité en un principe " d'ouverture " de l'Union.

A. Le principe d'ouverture et l'accès aux documents, intégrés dans le traité

En effet, l'article A des dispositions communes, nouvellement amendé, dispose que les décisions sont prises dans le plus grand respect du principe d'ouverture (3).

De plus, un nouvel article 191a reconnaît le principe général de l'accès du public aux documents du Parlement, du Conseil et de la Commission. Tout citoyen de l'Union, et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège social sur le territoire d'un Etat membre disposent d'un droit général d'accès aux documents du Parlement, du Conseil et de la Commission Européenne. Les principes généraux et les limites s'appliquant à ce droit seront définis par le Conseil, selon la procédure de codécision, dans un délai de deux ans après l'entrée en vigueur du Traité. Chaque institution est appelée à introduire dans ses propres règles de procédure des dispositions concernant l'accès à ses documents.

Enfin une Déclaration annexée à l'acte final permet à un Etat membre de demander au Conseil ou à la Commission de ne pas communiquer à des tiers des documents originaires de son Etat, sans son accord préalable.

Les apports du traité d'Amsterdam en la matière ne sont que l'aboutissement logique d'une réflexion de longue haleine menée par les institutions communautaires depuis le Traité de Maastricht. Cette réflexion, résumée par la Commission au Conseil européen de Lisbonne en juin 1992 dans le triptyque " démocratie, subsidiarité et transparence ", avait notamment abouti à l'adoption d'un code de conduite par le Conseil et la Commission concernant l'accès à leurs documents (4). L'objectif de transparence du processus décisionnel était ainsi réaffirmé par l'ensemble des institutions de l'Union et semblait pouvoir être intégré dans les droits du citoyen de l'Union.

Le principal intérêt de cette réforme réside dans le fait qu'il existe dorénavant une base juridique claire, permettant à tout citoyen de l'Union et à toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège social sur le territoire d'un Etat membre, de faire un recours auprès de la Cour de Justice, afin de faire valoir son droit. Mais ce n'est pas une véritable innovation, puisque le Tribunal de Première Instance avait déjà reconnu ce droit à un journal " The Guardian ", sur la base du code de conduite et de la déclaration n°17 annexée au traité de Maastricht (5).

On peut s'étonner de voir privilégié le terme d'ouverture, à la place de la notion de transparence. Est-ce une notion plus restrictive ? Faut-il y voir l'expression de la réticence de certains Etats, peu enclins à abandonner le caractère technocratique et opaque de la construction communautaire ? L'affirmation de ce principe dans les dispositions communes est ambitieuse ; cependant on peut se demander dans quelle mesure il pourra trouver une application concrète dans le cadre du deuxième et troisième pilier. Plus qu'au citoyen de l'Union, ce principe n'a-t-il pas pour destinataire " l'administré communautaire " ?

B. Les délibérations du Conseil enfin publiques

Plus intéressant est l'amendement de l'article 151 §3, visant à mettre en oeuvre l'article 191a. Afin d'élaborer les règles d'accès aux documents de l'Union, le Conseil devra s'attacher à améliorer l'accès aux documents lorsqu'il exerce des compétences de type législatif, tout en préservant l'efficacité du processus décisionnel. De plus, dans tous les cas, précise le texte, lorsque la matière relève d'une compétence de type législatif, le Conseil doit rendre publics les résultats et les explications de son vote ainsi que les déclarations inscrites au procès verbal (6).

C'est sans doute une avancée importante dans le sens d'une plus grande démocratisation du système décisionnel. En effet les délibérations du Conseil restaient jusqu'à présent totalement opaques. On peut penser que l'attitude de certains gouvernements pourrait changer, si leur décision au sein du Conseil des Ministres est rendue publique dans leur Etat.

C. Une simplification très limitée de la législation communautaire

Afin de compléter le principe d'ouverture, énoncé dans l'article A des dispositions communes, les gouvernements ont prévu d'ajouter une déclaration annexée à l'acte final concernant la qualité de rédaction de la législation communautaire : notant que celle-ci est cruciale pour la bonne application par les autorités nationales compétentes du droit communautaire et pour sa bonne compréhension par le public et le milieu des affaires, elle rappelle les conclusions du Conseil européen d'Edimbourg de décembre 93 et la résolution du Conseil du 8 juin 1993 (7). Elle insiste d'autre part sur la nécessaire codification des textes législatifs communautaires.

En matière de simplification des Traités, les amendements proposés devraient former la deuxième partie du Traité d'Amsterdam (8).

Reconnaître à " l'administré communautaire " le droit à l'ouverture du processus décisionnel serait sans intérêt si ces réformes ne s'étaient pas accompagnées d'une tentative de simplification des procédures de décision et de clarification de la répartition de compétences.

II. UNE VÉRITABLE SIMPLIFICATION DES PROCÉDURES DE DÉCISION

Dans ce domaine, un seul échec véritable : aucune réforme ne concerne la " comitologie ", dont le Parlement pourtant demandait avec vigueur la suppression et la Commission, au moins une révision pour plus d'efficacité. Ces procédures, visant à encadrer le pouvoir délégué d'exécution de la Commission Européenne, avait pourtant montré leurs limites à l'occasion de l'affaire de la " vache folle ". Point d'évolution donc dans ces procédures opaques, et bien peu en accord avec le principe d'ouverture dont nous parlions plus haut.

En revanche, conformément au souhait du Parlement européen et de la Commission, la procédure de codécision a été simplifiée et son champ d'application est étendu à de nouveaux domaines.

A - Simplification de la procédure de codécision

L'esprit de la procédure de codécision et l'équilibre de pouvoirs qu'elle instaurait à l'intérieur du triangle institutionnel (Conseil, Parlement, Commission) sortent renforcés du nouveau Traité.

Le Traité de Maastricht faisait du Parlement européen un co-législateur, en lui permettant de s'opposer in fine au vote par le Conseil d'un texte. Cependant, des garde-fous avaient été érigés, qui multipliaient les navettes entre le Parlement et le Conseil : le Parlement devait confirmer son vote à plusieurs reprises, avant que celui-ci ne soit pris en compte. Cela débouchait sur des procédures extrêmement longues et complexes.

Le Parlement européen ayant utilisé ce pouvoir avec intelligence et sans excès, il a semblé naturel de faire disparaître quelques-unes de ces sécurités. La procédure telle qu'elle était décrite dans le Traité de Maastricht devait durer au maximum treize mois ; aujourd'hui, elle ne devrait plus excéder neuf mois, à partir de l'élaboration de la position commune (9).

Trois phases de la procédure antérieure ont été modifiées (10) :

1. Au moment de la première lecture au Parlement européen

Auparavant, le Parlement européen rendait un avis au Conseil sur la proposition de la Commission Européenne. Sur la base de cet avis, le Conseil établissait une position commune, qui était soumise en deuxième lecture au Parlement. C'est seulement à ce moment-là que commençait la véritable négociation : le Parlement pouvait soit approuver le texte, soit l'amender, soit le rejeter.

Dans la nouvelle procédure, dès la première lecture au Parlement, et sur la base de l'avis rendu, le Conseil peut à la majorité qualifiée, soit arrêter la proposition d'acte (si le Parlement n'a proposé aucun amendement), soit approuver les amendements et arrêter l'acte ainsi amendé, soit, dans les autres cas, adopter une position commune, qu'il transmet au parlement et à la Commission.

Auparavant, et dans tous les cas, le Conseil, sur la base des avis de la Commission Européenne et du Parlement, devait élaborer une position commune. Ce préalable révélait sans doute la crainte des auteurs du Traité de voir se confronter les trois institutions, du fait de positions extrêmement divergentes. On avait donc instauré une négociation préalable, aboutissant à une position commune. Le dialogue interinsitutionnel fonctionnant bien, il n'a pas semblé nécessaire de garder cette première sécurité.

2. Dans le cas où le Parlement rejette la position commune

Dans le Traité de Maastricht, en deuxième lecture, le Parlement pouvait indiquer qu'il avait l'intention de rejeter le texte. Le Conseil avait alors la possibilité de réunir un comité de conciliation, afin de tenter de trouver un point d'accord.

Dans le nouveau Traité, si le Parlement, en deuxième lecture, vote le rejet du texte, le Conseil n'a plus de recours possible ; le texte est définitivement rejeté. La " confiance " dans le Parlement européen s'est accrue. On ne lui demande plus de confirmer son vote, ni de se concerter encore une fois avec les autres institutions. Cela permet d'aboutir plus rapidement à une solution.

3. Dans le cas où le comité de conciliation n'aboutit pas à un accord

Dans le cas où le Parlement propose des amendements, non acceptés par le Conseil, le Conseil peut réunir un comité de conciliation. La seule modification par rapport au Traité de Maastricht réside dans le fait que si ce comité n'arrive pas à un accord, dans le nouveau Traité, le texte est définitivement rejeté.

Dans le Traité de Maastricht, le Conseil pouvait encore confirmer sa position à la majorité qualifiée ; le texte ainsi adopté était renvoyé devant le Parlement. Si enfin celui-ci rejetait le texte, à ce moment-là seulement la proposition n'était définitivement pas adoptée.

On le voit, le pouvoir de co-législateur du parlement européen n'est pas accru, mais il semble ainsi reconnu avec moins de réticences, dans cette procédure de codécision ainsi modifiée.

B. Nouveau champ d'application

L'extension du champ d'application de la procédure de codécision a fait l'objet d'âpres négociations : certains souhaitant étendre la codécision à tous les actes de type législatifs, d'autres au vote à majorité qualifiée, d'autres aux domaines couverts par la procédure de coopération, d'autres enfin, de manière beaucoup plus modeste, au cas par cas, en fonction des négociations.

On a finalement abouti à limiter au nombre de trois les procédures applicables (avis conforme, codécision et consultation). La procédure de coopération disparaît donc, sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l'Union Economique et Monétaire, où elle continue à s'appliquer. La codécision voit son champ d'application considérablement élargi ; l'approche privilégiée est le fait que les textes en question revêtent essentiellement un caractère législatif (11). C'est la réforme la plus significative dans le domaine nous intéressant : la codécision devient en effet la " règle quasiment générale " (12).

III - CLARIFICATION DE LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES : CONFIRMATION DES AVANCÉES ANTÉRIEURES

C'est sans aucun doute dans ce domaine que les modifications sont les plus limitées. Le Traité d'Amsterdam ne fait en effet que reprendre dans un protocole additionnel les conclusions du Conseil européen d'Edimbourg de décembre 1992 et l'accord interinstitutionnel du 28 octobre 1993, portant sur les procédures de mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

Les gouvernements ne se sont donc pas prononcés sur le problème du contrôle de l'application de ce principe : la Commission Européenne est tenue de justifier ses propositions au regard du principe de subsidiarité mais on n'a pas avancé sur le point de savoir qui jouera le rôle d'arbitre en cas de conflit. L'idée d'adjoindre une liste des compétences de l'Union n'a pas été retenue non plus.

Le traitement du principe de subsidiarité est finalement assez symptomatique de l'état de la construction communautaire et de l'analyse que l'on peut faire des modifications apportées par le Traité d'Amsterdam : il nous semble que le nouveau Traité confirme les innovations du Traité de Maastricht ; il va jusqu'au bout de la logique institutionnelle ébauchée en 1992, mais n'apporte pas de modifications substantielles, entraînées par une volonté politique forte. Il s'agissait pourtant de préparer l'adhésion des pays d'Europe centrale, orientale et baltique, de rapprocher l'Europe avec le citoyen ; voilà deux exigences qui comportaient un véritable sens politique et qui ont débouché sur d'insuffisantes réformes techniques.



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