Les Cahiers du GERSE n° 2
LA FRANCE DANS LA CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE DE
RÉVISION DES TRAITÉS
Jean-François JÉSUS
Lorsqu'au mois de mars 1996, la présidence italienne ouvrait
la conférence intergouvernementale de révision des
traités communautaires (1), bon nombre de contributions
(2) proposaient de tracer les contours de la future architecture
européenne. Ainsi, chaque institution de l'Union faisait
une évaluation de son propre fonctionnement, indiquait
des orientations souhaitables dans son intérêt (3)
et celui de l'Union.
Au sein d'une telle conférence intergouvernementale, contrairement
au système communautaire de droit commun, les Etats membres
ressaisissent pleinement leur destin, et jouissent de leur entière
capacité dans tout le processus de négociation :
de l'initiative à la ratification, en passant par la discussion
et la conclusion. L'unanimité étant la clé
pour avancer, la souveraineté de chaque participant est
intacte. Contredisant ainsi les oracles qui naguère (sic)
prédisaient la spoliation de chaque parcelle de souveraineté
étatique par l'avide et hideux Léviathan communautaire
bruxellois.
La France, pays fondateur, a entendu peser de manière
décisive dans la négociation, donc la détermination
de l'architecture future de l'Union, avant le tournant décisif
de l'élargissement. C'est par le contenu de chacune de
ses propositions que la France a oeuvré pour l'idée
qu'elle se fait de l'Europe (II). Mais ce rôle qu'elle a
entendu jouer dans la CIG est nécessairement du à
une organisation efficace, à une stratégie de négociation
(I), allant jusqu'à présenter des textes communs
avec la République fédérale d'Allemagne.
Il faut noter que la technique de négociation utilisée
par le gouvernement français et que cette étude
se propose d'aborder, n'a pas été instituée
pour l'occasion, mais est la reprise du schéma en vigueur
lors des CIG antérieures.
Enfin, la précipitation des derniers instants de négociation,
ajoutée à la formation d'un gouvernement d'une majorité
nouvelle, dans les deux semaines précédant le Conseil
européen d'Amsterdam, ont contribué à décevoir
les espoirs des partisants d'une CIG ambitieuse. En dépit
du recul indéniable de la France sur certains points, on
est à même d'apprécier son attitude dans la
conférence.
I. ORGANISATION ET STRATEGIE FRANCAISE DE NEGOCIATION
La CIG au sein de laquelle se sont les gouvernements des Etats
membres qui participent à toutes les discussions, est,
comme son nom l'indique, une véritable négociation
au sens du droit international classique. Les pondérations
des voix, les systèmes de vote à la majorité
qualifiée ou simple, les organes supranationaux s'effacent
devant le concert diplomatique, l'obligatoire consensus et donc
le risque de veto lié à l'unanimité. Cependant
on ne peut occulter (4) le rôle essentiel tenu par le gouvernement
de l'Etat assurant la présidence de l'Union européenne
(5). La France va faire entendre sa voix en élaborant ses
positions dans l'ordre interne, dont au niveau gouvernemental
(A), tout en assurant un poids spécifique à ses
propositions, notamment par une démarche de coopération
bilatérale avec l'Allemagne (B).
A. L'établissement de la position française
A l'instar des autres Etats membres, la France s'est dotée
d'une organisation administrative spéciale et permanente
pour suivre la négociation communautaire. Au coeur du
processus, on trouve le SGCI (6). Cette entité a-t-elle
un rôle identique dans le cadre de la CIG ? La procédure
dans laquelle elle intervient est-elle reproduite ?
1. Reprise du système de droit commun ?
Le processus traditionnel de négociation communautaire
est grosso modo le suivant : la Représentation
permanente transmet au SGCI les propositions de la Commission
avant d'en débattre au Conseil de l'Union. Au niveau interne
donc, le SGCI va transmettre aux ministères susceptibles
d'être intéresses, les textes pour que ces derniers
établissent leur position (7). La position unique française
sera le cas échéant établie lors d'une concertation
interministérielle. Ensuite elle sera défendue au
sein du COREPER voire du Conseil. Ce mécanisme, rodé
et complexe, n'est pourtant pas reproduit pour la négociation
singulière qu'est la CIG, d'essence intergouvernementale.
En effet, le Ministère des Affaires étrangères
(8) eu dans le cadre de cette CIG un rôle décisif.
Ceci s'explique par le contenu de la CIG : loin des problèmes
matériels et centré sur des aspects institutionnels.
La conférence devait s'occuper de réformer pour
une majeure partie, les mécanismes diplomatiques communautaires
(vote au Conseil, procédures, pondération des voix...).
Cependant, si le MAE intervint en marginalisant d'autres ministères
(Agriculture, Finances ou Industrie), il ne le fit pas exclusivement.
D'autres ministères ont eu ainsi un rôle déterminant
à jouer (Justice par exemple).
Le MAE n'a pas agit en autarcie et s'est inséré
dans un réseau se distinguant du système habituel
par son fonctionnement, mais regroupant a priori les mêmes
acteurs.
2. Mise en place d'un système ad'hoc
Les propositions furent le plus souvent élaborées
par le MAE sur la base des grands axes définis par le gouvernement
et la présidence de la République. Toutes les propositions
firent intervenir les autorités politiques ainsi que les
services techniques et administratifs.
Ainsi, l'Elysée du valider systématiquement
toutes les propositions françaises. Par surcroît,
certaines propositions ont été présentées
(unilatéralement ou conjointement avec un partenaire européen)
par la Présidence de la République. Enfin, il faut
relever le rôle essentiel joué par les chefs d'Etat
ou de gouvernement lors des Conseils européens, pour tracer
la voie à suivre, débloquer les situations et achever
la négociation. Au sein du Palais présidentiel,
les conseillers pour les affaires diplomatiques suivent et préparent
les dossiers communautaires en se concertant avec les autres niveaux
hiérarchiques.
Matignon devait aussi donner sa validation à toute
proposition française, dès lors qu'elle émanait
du MAE. Par tradition (9), la politique étrangère
et européenne de la France étant directement attribuée
à la présidence, le Premier Ministre reste discret.
Ici encore, des conseillers techniques sont chargés d'instruire
pour le Premier Ministre les dossiers européens.
Le Quai d'Orsay eu donc la tâche double d'élaborer
formellement les propositions françaises et de les faire
valoir, sous contrôle hiérarchique. Au sein du MAE,
ce n'est d'ailleurs pas le Ministre des Affaires étrangères
lui-même qui assura la représentation de la France,
contrairement au Conseil "Affaires générales",
mais le Ministre délégué auprès du
Ministre des Affaires étrangères, en charge des
Affaires européennes (10). Une justification pragmatique
explique cette délégation : le Ministre des Affaires
étrangères ne dispose pas du temps nécessaire
pour être présent physiquement deux jours par semaine
à Bruxelles étant donné la charge traditionnelle
de sa mission, alourdie par sa vocation nomade. Mais la justification
la plus objective consiste dans le fait qu'il relève de
la conception et la tradition même d'une conférence
intergouvernementale de faire représenter le Ministre des
Affaires étrangères pour mener les travaux (11).
Ici encore, les positions françaises défendues par
le Ministre délégué sont déterminées
par accord avec le Ministre. La proximité géographique
et le partage des services ministériels facilitant cette
cohésion.
Dans le cabinet du Ministre des Affaires étrangères,
un conseiller fut chargé de suivre le développement
de la négociation. Au sein du cabinet du Ministre délégué
aux Affaires européennes, un conseiller technique (12)
s'occupant des questions institutionnelles a largement contribué
à préparer, présenter et suivre tout au long
de la négociation le sort des propositions françaises.
Mais lors des réunions de négociation, à
Bruxelles ou ailleurs, la présence (13) du Représentant
permanent français (14) a été des plus appréciables
(15). Compte tenu de sa connaissance et de sa pratique institutionnelle
communautaire, il était primordial de recourir à
ce "traducteur" privilégié, qui peut imaginer
une idée politique confrontée à la réalité
européenne, et en concevoir la mise en oeuvre afin d'en
prévenir les difficultés. Lorsque l'on vise, une
fois de plus, la personne du Représentant permanent, cela
va sans dire, mais l'on englobe aussi, le personnel administratif,
juridique et technique l'épaulant.
Au sein de l'administration des Affaires étrangères
cette fois-ci, certains services ont contribué à
l'établissement des positions françaises. Soit par
conseil et avis, soit par la formulation en terme juridique des
propositions arrêtées au niveau politique. La direction
des affaires juridiques et surtout la sous-direction du droit
communautaire ont rempli cette tâche. Services dont une
des missions habituelles est d'organiser la défense des
intérêts français devant la CJCE. Les directeurs
de ces services ont d'ailleurs assistés le Ministre délégué
lors des négociations.
Sur certains points précis de la CIG (les Affaires intérieures
et de justice) le Garde des Sceaux (16) a très largement
contribué à l'élaboration de la position
française, ainsi que le Ministère de l'Intérieur
pour des questions relatives au troisième pilier (politique
des visas et de l'immigration, "communautarisation"
de la convention de Schengen, coopération judiciaire...).
S'agissant des développements relatifs au volet "défense"
de la PESC, c'est le Ministère de la Défense
qui apporté sa contribution (fusion de l'UEO avec l'UE).
Ici encore, les services ministériels permettent d'élaborer
les positions grâce à leur connaissance des dossiers
et leur habitude de la pratique communautaire.
S'agissant du Parlement, on ne s'étonnera pas qu'il
ne fut pas au coeur du processus de négociation, car cette
tâche incombe traditionnellement à la diplomatie.
Néanmoins, l'Assemblée nationale et le Sénat
ne furent pas absent de la CIG. En effet, les deux délégations
respectives pour l'Union européenne ont suivi de près
l'évolution de la conférence. Les commissions des
Affaires étrangères ont eu un rôle important,
surtout celle de l'Assemblée nationale. Les délégations
ont tout d'abord, par le biais de rapports parlementaires (17)
préparés par un membre et adoptés par l'ensemble,
émis des appréciations, et rendu compte aux élus
nationaux de l'évolution des débats. Certaines propositions
françaises ont aussi fait l'objet de vote positif ou négatif
par ces délégations. Des conclusions furent adoptées
pour formuler la position de la Délégation sur tel
ou tel sujet (18). Un souci de transparence a conduit le Ministre
délégué aux Affaires européennes a
nouer de nombreux contacts avec les délégations
et les commissions compétentes. Des notes d'informations
ont été réalisées par le Ministre
à l'adresse des parlementaires, et l'ensemble des documents
publiés par la présidence leur fût transmis.
Le tout a été complété par des échanges
verbaux (19) entre chaque délégation et chaque commission
d'un coté et le Ministre de l'autre dans le cadre d'auditions
(20). à un rythme mensuel. Au final, on ne peut qu'être
satisfait de cette concertation, d'autant plus que les clivages
politiques traditionnels se dissipèrent face à l'enjeu
européen (21).
Toutefois, le Parlement devait avoir in fine le dernier
mot, lors de la phase de ratification nationale, la voie référendaire
ayant été écartée (22). Mais s'il ne
s'agissait plus de négociation, il était cependant
sage de préparer l'approbation parlementaire par l'information,
la consultation et la discussion.
Le SGCI, habituellement au coeur du processus de négociation
a vu son rôle marginalisé (23). En effet, il a fonctionné
tel un forum pour recueillir les réactions des ministères
compétents lorsqu'il s'agissait par exemple de passer du
vote à l'unanimité au vote à la majorité
qualifiée dans le domaine de la santé. Si son rôle
a été accru par rapport à ce qu'il fût
lors de la négociation du traité sur l'Union européenne,
il n'a cependant pas été décisif.
Le Conseil d'Etat n'a été directement consulté
au titre de sa mission, souvent inaperçue, de conseil du
gouvernement, qu'une seule fois et de manière informelle
par le Ministre délégué aux Affaires européennes.
En revanche, les conseillers d'Etats de plus en plus au fait des
réalités induites par le droit communautaire, sont
nécessairement présents dans bon nombre de ministères,
et ont pu, à Matignon notamment, donner leur avis sur des
projets de proposition. Le Conseil d'Etat n'est donc pas intervenu
en tant qu'institution mais a fonctionné telle une pépinière
de hauts fonctionnaires pour les administrations et les cabinets
ministériels (24).
A côté de ces organismes publics, la société
civile n'est pas restée inactive, au contraire. Parmi
la pléthore de propositions, tantôt sérieuse,
tantôt loufoque, les syndicats, les associations professionnelles
ou les organismes non gouvernementaux ont livré des propositions
et donné leur avis sur l'évolution de la négociation.
On retiendra une classification simple pour ces propositions.
La première catégorie vise celles présentées
par un Etat membre à l'examen de ses partenaires, et rapidement
rejetées, et qui lui avaient été inspirées
par une association. La seconde relève des propositions
qui ont connu un sort meilleur, et qui ont été au
coeur de la négociation. Il en va ainsi des questions de
coordination des politiques nationales en matière d'emploi,
de l'avenir des services publics. Les syndicats étant intervenu
dans les débats. Pareillement, s'agissant des droits de
la femme ou des droits fondamentaux, une organisation telle Amnesty
International a fourni un travail apprécié,
aidant par là le travail des négociateurs.
C'est à travers une chronologie régulière
et dynamique que chacun de ces acteurs intervint. La CIG s'est
articulée autour de quatre niveaux institutionnels principaux
de négociation. Le premier niveau, concerne la phase
nationale d'élaboration de la proposition et donc de
négociation interne. Le deuxième niveau est hebdomadaire.
Il s'agit des réunions se tenant le plus souvent à
Bruxelles, et regroupant les représentants personnels
des Ministres des Affaires étrangères (25). Néanmoins,
ces réunions périodiques pouvaient déboucher
pour certaines questions sur un blocage. C'est alors le troisième
niveau qui intervenait pour faire le point sur la négociation,
définir les lignes directrices à suivre et débloquer
les points litigieux. Son rythme était mensuel, la réunion
regroupait les Ministres des Affaires étrangères
dans le cadre du Conseil "Affaires générales"
et une session (ministérielle) abordait la CIG. Parfois,
le dernier niveau s'avérait nécessaire, à
la périodicité fluctuante (26). Celui-ci regroupe
donc les chefs d'Etat et de gouvernement (27) chargés de
faire le bilan de l'avancée des travaux, de féliciter
la présidence sortante pour son concours, d'établir
les progrès à réaliser et d'apporter la touche
finale aux sujets réputés irréductibles.
On remarquera que ces Conseils européens ordinaires
ou extraordinaires sont précédés d'une réunion
informelle préparatoire appelée "conclave"
et regroupant les Ministres des Affaires étrangères,
avec leurs représentants.
B. La présentation des propositions
Une fois que la proposition a été élaborée
(28) au niveau interne, elle doit ensuite être déposée
à la table de négociation pour qu'il en soit discuté,
et que finalement cette proposition soit écartée,
améliorée ou acceptée. Cependant la manière
dont la proposition est portée à la connaissance
des autres Etats influence son devenir.
Afin d'asseoir ses propositions et de leur offrir une chance
d'être retenue, le gouvernement français va poursuivre
ses efforts au niveau cette fois de la présentation. Deux
voies principales furent retenues qui méritent d'être
étudiées. Il est évident que certaines propositions
pour lesquelles un certain consensus régnait furent présentées
sans artifices. En outre l'utilisation d'une voie spéciale
tend à produire un effet de surprise et à retenir
l'attention, ou bien à faire prendre conscience de la nécessité
de mener une réflexion approfondie sur tel sujet, sur la
base de la formulation proposée.
1. La présentation par voie médiatique
Il est évident que le texte précis, parce
qu'il revêt une formulation juridique, a toujours été
transmis à la présidence de l'Union, ainsi qu'aux
autres délégations (29). Néanmoins, la version
juridique ne demeure qu'une traduction de la volonté politique
exprimée. La présentation publique des options
retenues et défendues par la France vise à informer
les citoyens mais aussi à attirer l'attention des partenaires
européens, parfois en suscitant le débat.
On relèvera un épisode dont on peut penser qu'il
n'est pas totalement fortuit mais intégré dans la
stratégie française. En effet, au mois de février
1997, le Premier Ministre fut questionné par un député
de la majorité d'alors à propos de la récente
résolution du Parlement européen condamnant les
lois françaises sur l'immigration. Cela déclencha
un mini-incident diplomatique car le hasard (sic) fit que le nouveau
Président du Parlement européen effectuait au même
moment une visite officielle en France et du essuyer les réprobations
du Président de la République, du Président
de l'Assemblée nationale et du Ministre des Affaires étrangères.
Par cet incident dont on pourrait presque soutenir qu'il fut provoqué,
la France a pu défendre une position stricte à l'égard
du Parlement européen en tant qu'institution. Bon nombre
de questions étant relative à ce dernier : coopération
renforcée, suppression de certaines procédures normatives
(dont la coopération), accroissement de son pouvoir en
matière budgétaire, rôle dans la PESC...
En revanche, les développements hypermédiatisés
de l'affaire de la "vache folle", ont contribué,
avec cette fois plus de spontanéité, à passer
en revue le cas de la Commission. Cet événement
a mis en pleine lumière les dysfonctionnements imputables
à la Commission et aux Etats (30). Cela a débouché
sur la volonté de certains Etats de restructurer celle-ci
à travers une diminution du nombre de ses membres, et de
conférer à son président plus d'ascendant
sur le collège. Réforme dont la mise en oeuvre s'est
avérée trop difficile et a été remise
à plus tard donc à l'urgence. Par surcroît
la Commission s'est engagée à procéder à
une restructuration interne, sans que cela ne soit au menu de
la CIG.
La presse écrite a été largement
invitée à se faire l'écho des propositions
françaises. Aussi, le Ministre des Affaires étrangères
a-t-il accordé des entretiens pour définir et expliquer
la position française. Il a aussi publié des tribunes
pour exprimer le point de vue officiel du gouvernement (31). Enfin,
de nombreuses conférences de presse ont permis de faire
découvrir à la presse étrangère le
contenu et les motivations des propositions françaises.
Le Ministre délégué s'est aussi livré
à un intense travail de relation avec les média.
A côté des très nombreuses conférences
de presse, des articles sous sa signature sont parus, ainsi que
des tribunes libres pour expliquer le travail de négociation
(32).
Si tout cela n'est apparemment pas exceptionnel, cette méthode
de présentation a été doublée par
des initiatives franco-allemandes.
2. La coopération avec l'Allemagne dans la présentation
des propositions conjointes
Avant de pouvoir présenter des propositions communes,
et de les défendre dans la négociation, il fallut
les élaborer.
On remarquera que l'efficacité du couple franco allemand
fut plus illustrée par la capacité de présenter
des textes conjoints que par un travail d'élaboration concertée.
Dès le départ, la volonté française
était de parvenir à une révision maximale,
tandis que la conception allemande était beaucoup plus
limitée. Les services respectifs de ces Etats eurent du
mal à travailler de concert et on privilégia une
autre méthode. L'Elysée et la Chancellerie restant
maître des travaux. En réalité, les propositions
franco-allemandes sont le fait d'une proposition émanant
par l'un des deux pays et acceptée comme telle ou presque,
par l'autre partie, quitte à revoir un certain nombre des
détails. S'agissant de la PESC, les propositions sur la
défense furent plus l'oeuvre de la diplomatie allemande.
Mais les développements sur la politique étrangère
ont été fortement initiés par le côté
français.
C'est donc davantage dans la présentation que l'unité
fut réalisée, mais après tout, c'est ce qui
importe : la cohésion dans le cadre de la discussion intergouvernementale
(33). Cette méthode n'a d'ailleurs pas été
introduite lors de la CIG de 1996. Auparavant, le précédent
Président de la République et le Chancelier allemand
avaient présenté des textes communs (34). L'idée
étant concluante, on renouvela l'expérience (35).
Les soubresauts de l'actualité dans la dernière
ligne droite d'Amsterdam, imposent d'apporter un bémol
à l'image idyllique du couple franco-allemand. Le résultat
des négociations tel qu'il résulte des conclusions
du Conseil européen laisse planer un doute sur la cohésion
entre les deux exécutifs. S'agissant de la France, l'arrivée
d'un gouvernement issu d'une nouvelle majorité et qui n'avait
pas mené les négociations n'a pas contribué
à ce que ce nouveau gouvernement défende bec et
ongles les positions françaises (36). Du côté
allemand, on supposera qu'une conjonction d'éléments
de politique intérieure ont provoqué le raidissement
de la position du Chancelier.
C'est d'abord au plus haut niveau politique que des propositions
ou des orientations générales furent énoncées.
Ce fût par exemple le cas avec la lettre du Président
de la République française et du Chancelier de la
République fédérale d'Allemagne, en date
du 6 décembre 1995. Ce document adressé directement
au Président en exercice de l'Union dégage les objectifs
communs et prioritaires des deux pays (37). Quant à la lettre
franco-allemande du 6 décembre 1996, elle visait notamment
le recours à la majorité qualifiée qu'il
fallait étendre, tout en se penchant sur les pondérations
de voix.
Le Ministre des Affaires étrangères allemand et
son homologue français ont présenté lors
de conférences de presse communes (38) des propositions
bilatérales. Ce fût d'ailleurs le cas pour présenter
la contribution commune sur la coopération renforcée,
du 18 octobre 1996. Dans le même esprit, le secrétaire
d'Etat allemand aux Affaires européennes a par exemple,
publié un article commun avec le Ministre délégué
aux Affaires européennes français (39).
Si l'on se penche sur le contenu de ces propositions communes,
on est saisi par l'étendue des ententes bilatérales.
Cependant, certaines propositions communes font l'objet d'interprétation
divergentes, tandis que d'autres relèvent d'une présentation
unilatérale, ou au contraire, multilatérale (40).
Les différents qui surgirent lors du Conseil européen
d'Amsterdam relevaient des questions économiques et monétaires,
et étaient intellectuellement distincts de la CIG, en dépit
de l'extrêmement préjudiciable confusion entretenue
par la presse et alimentée par certains hommes politiques.
Dans le cadre du premier pilier, les deux pays ont défini
des orientations communes en ce qui concerne les aspects institutionnels.
Au sein du Conseil, il faut passer à un système
de droit commun de vote à la majorité qualifiée.
Les exceptions, relevant de l'unanimité, seraient limitativement
énoncées. Mais corrélativement, il est nécessaire
de revoir les pondérations de voix, en tenant plus
compte des données démographique, économique
et contributive. Cela dans le sens de la revalorisation des pondérations
des "grands" Etats. En ce qui concerne la Commission,
les deux pays s'entendirent sur l'absolue nécessité
d'en accroître l'efficacité en en réduisant
le nombre de membres. Néanmoins, l'Allemagne se refuse
ouvertement à la constitution d'un collège de commissaire
sans ressortissant de sa nationalité (41), tandis que la
France conçoit officiellement une Commission sans Commissaire
français. Avec la totalité des autres Etats, ils
s'accordèrent sur la nécessité d'accroître
le rôle du Président de cette institution. A propos
de l'Institution parlementaire, le couple franco-allemand se prononça
en faveur d'une plus grande implication des parlements nationaux
dans les affaires communautaires, et d'une simplification des
procédures décisionnelles, qui sans changer l'équilibre
des pouvoirs entre le Conseil et le Parlement européen,
verrait s'accroître le domaine de la co-décision.
Dans le cadre du pilier relatif à la PESC, ici
encore des propositions communes furent présentées
: création d'une structure d'analyse commune, réforme
du système décisionnel en conservant par principe
le consensus mais en prévoyant pour la compétence
d'exécution le recours à la majorité ou bien
avec possibilité d'abstention constructive dans les cas
relevant de l'unanimité. En ce qui concerne de la lisibilité
externe de la politique étrangère de l'Union, la
personnification de l'action européenne est nécessaire.
Cependant la présentation d'une alternative témoigne
de la préférence ouverte de la France pour la création
d'un poste de Haut représentant, de stature politique,
pour assurer cette mission, distinct du Secrétaire Général
du Conseil, le gouvernement de Bonn privilégiant le rôle
du Secrétaire Général. Ensuite, s'agissant
de la Troïka, le même souci de lisibilité internationale,
poussa les deux partenaires à proposer une réforme
de cette entité, pour qu'elle soit plus stable dans le
temps. Elle serait composée du Commissaire en charge des
relations extérieures, du représentant de la PESC
et du Président en titre du Conseil de l'Union. La Commission
étant appelée a participer aux développements
de la PESC. Enfin, en ce qui concerne les questions de défense,
la préoccupation affichée par l'Allemagne et la
France a été de progresser vers le concept de défense
commune, notamment à travers l'intégration de l'UEO
dans le système UE. L'Allemagne parviendra à rallier
la France à sa position, rejointes ensuite par d'autres
Etats. Il fut préconisé d'inscrire d'abord les missions
de restauration et de maintien de la paix dans le TUE et de reconnaître
un rôle réel au Conseil européen dans la détermination
des orientations générales dans cette matière.
Ici encore, le souci d'effectivité mène les deux
Etats à proposer le recours à l'unanimité
mais avec la possibilité d'abstention constructive.
Sur le troisième pilier, le couple germano-français
parvint aussi à présenter des initiatives communes.
Les questions relatives au franchissement des frontières
externes devraient pouvoir déboucher sur des orientations
communes, dans l'esprit du marché intérieur et des
libertés de circulation. La généralisation
de la Convention EUROPOL à tous les Etats membres. Une
harmonisation cohérente des législations sur la
toxicomanie, le trafic de stupéfiant et le terrorisme.
L'accroissement de la coopération douanière, policière
et judiciaire. Et d'une manière générale,
le rapprochement des textes et pratiques judiciaires pour que
le marché intérieur trouve sa logique reprise dans
ce domaine. Enfin, les deux pays visèrent une "communautarisation"
progressive du pilier AIJ. La convention de Schengen devant quant
à elle être intégrée dans le processus
institutionnel de l'Union (42).
Qu'il s'agisse de la stratégie de présentation
commune ou unilatérale, leur efficacité s'évalue
au vu du résultat définitif. Souvent, il faut attendre
la dernière vague de négociation pour obtenir les
ultimes compromis et jauger de façon globale la technique
utilisée. D'ailleurs, les Etats peuvent parfois s'entendre
sur le fond mais se livrer à des batailles terminologiques
et sémantiques pendant longtemps (43).
La stratégie de négociation élaborée
par la France, n'est tournée que vers un unique but : faire
peser d'une manière décisive dans la CIG chaque
proposition française. C'est le contenu général
de ces propositions ainsi que leur sort dans la négociation,
que l'on se propose d'aborder à présent, afin d'évaluer
l'efficacité de la stratégie définie.
II. LES PROPOSITIONS FRANCAISES
Le gouvernement français, à l'instar d'autres gouvernements,
a avant tout cherché à apporter une contribution
décisive par la teneur de ses propositions pour réformer
le système. Chaque Etat membre cherche à ce que
les objectifs de l'Union puissent être atteints, ce qui
passe par une réforme plus ou moins intense de la structure
institutionnelle communautaire, en faisant valoir son intérêt
propre. Mais c'est une évidence, face à la pléthore
de propositions parfois très divergentes, que pas un seul
Etat ne parvienne à faire accepter par les 14 autres la
globalité de ses propositions. Dans le cas de la France,
il est significatif de son rôle traditionnel de moteur de
la construction européenne de constater que si ses propositions
ont connues des fortunes diverses certaines propositions n'ayant
pas été retenues au final (A), d'autres ont su s'imposer
avec plus ou moins de force (B). Une comparaison entre la stratégie
française et celles des autres Etats membres conduirait
peut-être à le confirmer. On notera que cette étude
n'abordera ni la totalité ni la portée exacte des
insertions du nouveau traité, mais se limitera à
réaliser un panorama des nouveautés instaurées,
dans une perspective de mise en exergue des avancées d'origine
française.
A. Des propositions à l'issue plus ou moins certaine,
mais qui ne laissent pas indifférent
Conformément à sa conception maximale de la
CIG, la France a présenté une batterie de proposition
couvrant les trois piliers. Dans les dernières semaines
et dans les ultimes instants de la CIG, sans qu'une logique implacable
ne permette une explication satisfaisante, la France a véritablement
reculé sur certaines de ses propositions sur des points
qui toutefois devront être tranchés tôt ou
tard.
S'agissant des institutions, la proposition française
visant à revaloriser le rôle de la Troïka n'a
pas été suivie de concrétisation. En ce qui
concerne la composition de la Commission des Communautés
européennes, les propositions sur la diminution du nombre
de membre du collège n'ont pas été entérinées.
Lors du Conseil européen informel de Noordwijk, le Président
de la République n'ayant sans doute pas appuyé avec
l'insistance nécessaire les prétentions françaises.
Le résultat sera curieux, voire navrant car les Etats s'entendaient
sur la nécessité de réformer la composition
de la Commission, mais ils furent incapables de s'accorder sur
une solution. En effet, la France souhaitait 10 membres, ou 12,
la Commission se résignant à 15 membres et 10 portefeuilles.
C'est finalement un statu quo qui sera "adopté",
c'est-à-dire 20 membres (!!!), avec deux Commissaires pour
les grands Etats. Cependant, force est de constater que cette
série de proposition a déclenché une réelle
réflexion de la part des Etats membres et de l'Institution
concernée. Les "petits" Etats ont bien évidemment
opposé un fin de non-recevoir à l'optique retenue
par le couple franco-allemand. Toutefois cette réforme
qui est inéluctable avait reçu l'adhésion
de la Commission qui a produit un texte sur sa réforme
souhaitable, version qui ne sera donc pas retenue in fine.
Le débat a pourtant été lancé grâce
à l'intervention française, et il trouvera son dénouement
tôt ou tard. Le nouveau traité précisant que
cette question devrait être tranchée à l'occasion
de la prochaine vague d'adhésion.
Jusqu'au dernier moment, le sort du Conseil aurait du faire l'objet
d'un développement dans la partie suivante. Selon les déclarations
incessantes précisant que s'agissant du problème
de la repondération des voix, il faudrait attendre
le Conseil européen pour trancher. On attendit. Or le résultat
fut, avec un parfum désormais habituel pour cette CIG,
de maintenir les choses en l'état, et de renvoyer la décision
aux calendes grecques (44) ou plutôt aux bons soins de la
présidence allemande ou finlandaise, en 1999. Corrélativement,
la France faisant dépendre de la repondération des
voix, l'extension du vote à la majorité qualifiée,
on ne s'étonnera guère du glissement très
léger des matières relevant de l'unanimité,
à ce système plus souple. On peut relever que la
France, l'Italie et le Royaume-Uni ont refusé le système
de double majorité qui conférait un poids supérieur
à l'Allemagne car fondé notamment sur la démographie.
Quant au second système réhaussant les pondération
avec plus de force pour les grands Etats, ce sont les petits Etats
qui ont fait obstruction.
A cheval sur plusieurs piliers, le développement de la
participation des parlements nationaux au processus décisionnel
n'a pas été réellement retenu. La France
souhaitait, prétextant d'une action en comblement de passif
(du déficit) démocratique, que les différents
parlements interviennent davantage. Sa proposition initiale se
cristallisait autour de l'institutionnalisation de la COSAC, en
tant que seconde chambre. En créant une sorte de Sénat
européen, son rôle aurait été de se
prononcer sur l'application a priori du principe de subsidiarité.
Certes, cette formule sera écartée avec élégance
par ses partenaires, néanmoins le principe de subsidiarité
fera l'objet de débat et finira par faire l'objet de précisions
dans le nouveau traité quant à son application (ainsi
que le principe de proportionnalité qui lui est lié).
Quant au rôle des parlements nationaux, il est reconnu comme
important, ce qui est à inscrire au crédit de la
France, mais se limite à un rôle d'information plus
poussée, voire de consultation, mais sans retombées
au niveau communautaire.
En ce qui concerne le troisième pilier, la France
a émis une proposition visant à créer un
socle commun de droit pénal. Cette initiative recevra encore
un accueil mitigé au sein de la conférence, en dépit
du caractère intégrationiste de cette proposition.
Pour les points précédents, la France a en réalité
tenté d'apporter sa réponse à un problème
donné, sans parvenir à emporter l'adhésion
de ses partenaires. Pour d'autres cas, la proposition française
se retrouvera davantage dans le résultat définitif,
voire sera quasiment reprise in extenso.
B. Des propositions couronnées de succès,
selon des degrés différents
On constate que c'est en effectuant des propositions communes
à deux ou plusieurs Etats que celles-ci ont reçu
le meilleur accueil. L'adage : "l'union fait la force",
s'applique aussi en matière de négociation intergouvernementale.
On peut établir une gradation dans l'intensité
de la reprise des propositions présentées notamment
par la France.
Dans le premier pilier, les propositions s'articulent
autour d'aspects matériels et d'aspects institutionnels.
Au niveau du droit matériel, l'illustration la plus criante
est celle de l'insertion d'un chapitre sur l'emploi, dont
l'initiative n'émane cependant pas de la France, et dont
le contenu ne correspond pas à attribuer une politique
exclusive au profit de la Communauté mais à promouvoir
la coordination des politiques nationales en matière de
"lutte" contre le chômage, et l'échange
des meilleurs pratiques... Sur ce point, l'arrivée d'un
gouvernement socialiste a relancé les choses, avec une
certaine confusion puisque l'inévitable amalgame a été
fait entre la CIG et le Pacte de stabilité et de croissance,
les deux sujets étant à l'ordre du jour du Conseil
européen d'Amsterdam. On peut noter cependant que le gouvernement
français était plutôt hostile à l'insertion
d'un titre spécifique sur l'emploi, jusqu'au changement
de majorité (45).
La proposition qui aura suscité peut-être le plus
la controverse relève de la création d'une fonction
de Haute personnalité pour la PESC. La France a
voulu à l'origine qu'il s'agisse d'une personnalité
disposant d'une certaine notoriété internationale,
et capable de représenter les différents pays européens.
Cette personne devant être désignée par le
Conseil européen. Cette proposition a reçu un accueil
variable : du glacial au réservé (46). Cependant,
la proposition française tentait de résoudre un
problème posé par un constat réel : sans
identification claire de l'action commune de l'Union, l'efficacité
de sa présence sur la scène internationale en matière
diplomatique serait partielle. Cette lisibilité passant
nécessairement par la personnification de la PESC, il fallait
attribuer une telle responsabilité politique à un
homme politique. Mais cela représentait une avancée
sans doute trop poussée, qui ne correspondait pas à
la volonté des autres Etats, moins préoccupés
par les questions diplomatiques. La France aura fait un pas en
se rangeant dans un premier temps du côté de la conception
allemande visant à confier au Secrétaire Général
la tâche, mais en précisant ensuite que ce Secrétaire
Général ne devait pas être celui du Conseil
mais un Secrétaire Général de l'Union, en
charge exclusivement de la PESC. Finalement, c'est bien le Secrétaire
général du Conseil qui se voit confier la mission
de représenter l'Union européenne sur la scène
internationale à partir des orientations déterminées
par le Conseil européen. Il sera assisté par un
Secrétaire général adjoint, chargé
des aspects plus administratifs du Secrétariat général.
Si l'on veut porter une appréciation sur le rôle
de la France dans ce domaine, il faut reconnaître qu'elle
n'a pas eu un rôle décisif quant à la solution
dégagée. En revanche, et la pratique le confirmera
ou l'infirmera, la nécessité de personnifier (47)
la PESC, défendue par la France, doit contribuer à
l'affirmation de l'Union européenne dans le Monde, en tant
qu'entité non strictement économique.
Dans le domaine de la PESC, toujours, la France a dès
le départ prôné l'assouplissement du mode
de prise décisionnel. Finalement, la proposition retenue
sera inspirée de la sienne : sur recommandation à
l'unanimité du Conseil, le Conseil européen pourra
arrêter des positions ou "stratégie communes"
qui pourront être mise en oeuvre par le Conseil à
la majorité qualifiée. Le système de l'abstention
constructive étant privilégié dans les cas
de recours à l'unanimité.
En ce qui concerne les questions de défense, les
propositions germano-françaises furent concrétisées
dans un document présenté à cinq (Allemagne,
Belgique, Espagne, France, Italie et Luxembourg). Cette proposition
établissait l'intégration progressive de l'UEO dans
l'UE, en trois phases. Après avoir rencontré l'opposition
du Royaume-Uni entre autres, la CIG devait consacrer un résultat
en mi-teinte, comme trop souvent. La création d'une défense
commune étant réaffirmée, mais placée
après la réalisation d'une politique de défense
commune ! La solution retenue est ...de différer le problème,
une fois de plus. Certes l'intégration de l'UEO dans l'UE
est projetée, mais cette opération de fusion-acquisition,
ne pourra être déclenchée qu'à l'unanimité.
On appréciera la nuance. Dans ce domaine la France est
parvenue à faire front commun sur la nécessité
de développer le pôle "défense"
de l'Union, mais la résistance atlantiste était
sans doute trop forte.
Dans le domaine des Affaires intérieures et de Justice,
la "communautarisation" partielle de certains aspects
avait été demandée par la France, appuyée
en cela par l'Allemagne. La réintégration dans le
système communautaire de la Convention de Schengen a donc
été réalisée au prix de deux assouplissements
au profit d'Etats membres dont l'identité n'étonnera
guère : Royaume-Uni (et Irlande) et Danemark. Cette fâcheuse
différentiation, solution compromissoire, ne concerne pas
tous les aspects du troisième pilier. En effet, la politique
en matière de visas, d'immigration, de contrôle aux
frontières extérieures ainsi que la coopération
judiciaire civile passe au système intergouvernemental,
avec la participation du Parlement européen et de la CJCE.
Quant aux questions de coopérations policière et
judiciaire (pénale), la voie choisie est celle du maintien
de l'unanimité pendant un certain temps.
Dans le cadre du pilier communautaire, le Parlement européen
a obtenu un accroissement substantiel de son pouvoir de co-législateur.
Cette attribution (48) découle de la suppréssion
de la procédure de coopération au profit de la procédure
de co-décision, qui a été simplifiée
par amputation de la troisième lecture. Cette simplification
des procédures décisionnelles était notamment
voulue par l'Allemagne et la France.
Coiffant les trois piliers, le système de coopération
renforcée, dont on peut considérer que l'idée
d'en généraliser la potentialité avait germé
en même temps que les premiers cas de différenciation
de l'intégration étaient instaurés, a été
largement développée par des initiatives franco-allemandes
(49). Les principes directeurs évoqués par les textes
communs ont été repris ou affinés par les
autres Etats, ainsi que par la Commission. Le système retenu
est d'inscrire des principes applicables à toute coopération
renforcée, et de prévoir des règles spécifiques
selon les piliers. On regrettera profondément que progressivement,
cette thématique destinée à éviter
les blocages se soit par la suite transformée en choix
à la discrétion des Etats (50).
S'agissant de la Commission, et plus précisément
de son Président, dont le rôle propre, plus cohérent
et disposant d'un plus grand ascendant sur le collège,
doit rejaillir sur l'action de l'Institution, la France a vu l'essence
de sa proposition adoptée. Certes celle-ci fit l'objet
d'un certain consensualisme. Le Président aura donc la
faculté d'intervenir dans la composition de son équipe,
mais dont on est d'ores et déjà sûr, qu'elle
lui sera suggérée par les Etats membres, avant son
acceptation formelle. On ne peut cependant que s'étonner
de l'union autour de la problématique relative à
l'efficacité de la Commission, et de la division quant
aux solutions, en ce qui concerne le collège en tout cas
(51).
En ce qui concerne les procédures décisionnelles,
le bilan est mitigé. Parmi toutes les solutions proposées,
la France était isolée (52) pour certaines d'entre
elles. Seule une étude plus détaillée des
domaines passés dans le système de la co-décision
permettrait de dresser un bilan du poids de la France dans ce
domaine, ce que cette étude ne saurait effectuer.
L'inscription du siège du Parlement européen
à Strasbourg dans le traité devrait cependant mettre
fin à l'une des plus longues controverses de l'histoire
communautaire. Il est évident que cette nouveauté
n'est due qu'à l'acharnement (le mot n'est pas trop fort)
du gouvernement français, et spécialement du Président
de la République (53). Il s'agit là d'une réelle
victoire française, la plus éclatante vraisemblablement,
dont on peut douter qu'elle compensera les multiples autres déconvenues.
Il serait illusoire d'imaginer qu'un Etat puisse obtenir la reprise
de chacune de ses propositions dans le nouveau traité à
moins d'en présenter très peu. Cependant on peut
évaluer l'efficacité d'une stratégie de négociation,
par rapport aux points qui ont été effectivement
repris dans l'accord final, en dépit d'incontournables
aménagements. Par surcroît, chaque Etat n'intervient
pas dans la CIG pour faire triompher son point de vue, mais pour
proposer une solution à un problème qu'il identifie.
Il s'agit d'une conférence, et donc d'un lieu de communication.
On soumet donc à la discussion et à l'enrichissement
sa proposition, jusqu'à ce qu'elle trouve une acceptation
partagée. Dès lors, l'Etat a rempli sa mission d'avoir
contribué de manière significative à la résolution
d'un point particulier. La somme de ces actions permettant une
réelle progression de la réforme des institutions
communautaires. Cependant, la dernière ligne droite aura
été franchie avec une attitude de défiance,
de réserve, et de réticence plus que de volonté
d'intégration, de progression et de recherche du compromis
global. L'attitude de certains Etats grippés sur la défense
d'intérêt égoïste doit appeler à
plus de vigilance face à l'application des maigres résultats
de cette CIG. Pour sa part, la France aura au moins la satisfaction
d'avoir fait progresser la construction européenne, dans
l'exercice de sa souveraineté, dirait-on dans le langage
diplomatique.
Si l'on tente d'évaluer grossièrement la CIG, on
peut avec ironie relever deux points emblématiques de cette
négociation. L'origine de cette CIG vient de sa précédante,
laquelle avait débouchée sur un constat de carence,
renvoyant le traitement de certaines questions à plus tard...
Ce que l'on fit en inscrivant dans le mandat de la CIG de 1996-1997,
la question de la hiérarchie des normes, ainsi que la réforme
des institutions en vue de l'élargissement. Le résultat
est là : rien sur la hiérarchie des normes, et peu
sur l'adaptation des institutions (54), ou plutôt on procède
par renvoi à la tenue d'une nouvelle CIG. On a donc traité
à la CIG de toute autre chose que ce qui était urgent,
et l'urgent on le traitera plus tard, peut-être trop tard.
Le second trait, est relatif à l'application des résultats
de cette CIG, dépendante de la ratification par tous les
Etats membres (55) et donc de l'entrée en vigueur du nouveau
traité qui ne sera signé qu'en octobre par les Ministres
des Affaires étrangères. S'il entrera ipso facto
en application, certains aspects rappelons-le, sont soumis à
un échéancier, ou bien à de nouvelles décision
à l'unanimité, qui commenceront à courir
qu'à partir de cette entrée en vigueur. On peut
raisonnablement penser qu'à moins d'une accélération
du processus, l'UEO par exemple n'intégrera véritablement
l'UE qu'aux environs de 2005. La Commission ne sera réformée
que lors des prochains élargissements : vers 2005 aussi.
Quant au nouveau poids du Président, le résultat
ne sera ressenti qu'avec la prochaine Commission, en l'an 2000.
On pourrait multiplier les exemples à loisir, telle la
réalisation effective d'une coopération renforcée,
ou son contrôle par la CJCE. Mais là où le
bât blesse, c'est que se profile déjà l'idée
de tenir une nouvelle conférence intergouvernementale,
vers 1999 peut-être, c'est-à-dire avant que les réformes
d'aujourd'hui ne soient toutes entrées en vigueur. Peut-être
cette "CIG 1999" traitera-t-elle de la hiérarchie
des normes ?
On pourrait formuler beaucoup de critiques, parler de crise européenne,
d'essoufflement du couple franco-allemand, etc. Cependant il faut
avant tout tirer sereinement des leçons de cette expérience
: la méthode de négociation intergouvernementale
s'est surtout illustrée par ses limites. Il faudrait songer
à une nouvelle mécanique de négociation plus
ambitieuse, faisant intervenir par exemple les Parlements nationaux
et européen, pour l'élaboration de propositions
largement débattues, relayés par la diplomatie traditionnelle
et la Commission pour conclure un accord signé entre les
Ministres des Affaires étrangères. Ensuite, la ratification
pourrait se faire par voie parlementaire ou réferendaire
(au niveau européen) pour asseoir démocratiquement
la construction européenne. Tout n'est pas d'inscrire le
mot "démocratie" dans les textes pour des motifs
politiques, il faut aussi la pratiquer.