Les Cahiers du GERSE n° 2
LA CITOYENNETÉ EUROPÉENNE
DILUÉE DANS LES EAUX D'AMSTERDAM.
Ségolène Barbou des Places
Quoi de commun entre le bien-être des animaux, la culture,
le sport, la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts
financiers de la Communauté, le renforcement de la coopération
douanière, les régions ultrapériphériques
et insulaires, les activités de bénévolat,
et ... la citoyenneté ?
Rien, sauf à considérer que la rubrique "autres
politiques communautaires", dans laquelle sont regroupés
ces différents sujets puisse désormais être
considérée comme une nouvelle orientation du développement
communautaire.
Certes, la forme n'est pas l'essentiel, - les maigres ambitions
en matière de codification du droit communautaire le prouvent
-. Mais on ne peut que s'étonner, en faisant un rapide
retour en arrière sur les multiples propositions faites
pour la Conférence Intergouvernementale, que la citoyenneté
européenne soit reléguée au rang des "divers"
dont on ne fait pas grand cas d'ordinaire. D'autant que les rédacteurs
du traité confient eux mêmes que "l'ensemble
des travaux de la Conférence a été marqué
par le souci majeur de rendre l'Union davantage digne d'intérêt
et de compréhension pour ses citoyens".
Mais cette profession de foi est suivie immédiatement des
affirmations générales et hétéroclites
selon lesquelles "les citoyens veulent pouvoir travailler",
"les citoyens veulent une société où
chacun, et pas seulement eux-mêmes aurait sa place",
"les citoyens veulent vivre dans un environnement propre",
"les citoyens veulent être protégés en
tant que consommateurs".
Autant dire qu'il serait vain de chercher dans le nouveau traité
sur l'Union européenne un chapitre ou un titre sur la citoyenneté
de l'Union, ce qui, pourtant, aurait eu pour effet de rendre
plus perceptible le renforcement de la citoyenneté.
En réalité, les dispositions concernant la citoyenneté
sont disséminées dans l'ensemble du texte, ce que
l'on peut interpréter comme le signe de l'omniprésence
de la citoyenneté ou au contraire comme un échec.
C'est cette double impression que doit surmonter le lecteur des
nouvelles dispositions européennes. Celle d'une déception
- ou d'un soulagement - face à l'introuvable réforme
de la citoyenneté stricto sensu (I) et celle d'un désarroi
devant le foisonnement désordonné des dispositions
visant à étendre le catalogue communautaire des
droits et libertés fondamentales (II).
I. LA CITOYENNETÉ STRICTO SENSU : L'INTROUVABLE RÉFORME
La citoyenneté de l'Union semblait promise, après
Maastricht, à un bel avenir. La clause évolutive
de l'article 8 E laissait présager des développements
; les propositions faites avant la Conférence de Turin
en mars dernier laissaient augurer une évolution sensible.
Sans doute les pas faits à Maastricht ont-ils été
considérés comme suffisants, car on serait bien
en peine de trouver une évolution significative de la citoyenneté
européenne. "L'esprit" de la citoyenneté
de 1992 est toujours dominant, et la réforme du texte n'est
guère qu'une réformette.
A. Le maintien de la logique de Maastricht
Tout indique que la citoyenneté de l'Union n'a
pas été transformée à Amsterdam. La
philosophie d'origine demeure et le contenu de la citoyenneté
n'a pas été révolutionné.
1. La physionomie de la citoyenneté européenne
reste inchangée
La modification annoncée de l'article 8 du TCE est très
loin d'être substantielle : "Il est institué
une citoyenneté de l'Union. Est citoyen toute personne
ayant la nationalité d'un Etat membre.", ce que l'on
savait déjà.
On constatera tout d'abord le maintien de la logique "maastrichtienne"
: la citoyenneté de l'Union reste "nationalitaire"
et les ouvertures préconisées par certains aux ressortissants
d'Etat tiers ne sont pas consacrées.
Le véritable ajout à l'article 8 apparaît
donc dans le rappel de la double qualité de citoyen national
et de citoyen de l'Union : "la citoyenneté de l'Union
complète la citoyenneté nationale et ne la remplace
pas." La vocation fédérale que certains avaient
perçu dans la citoyenneté européenne,
- premier pas vers la disparition des citoyennetés nationales
-, est par conséquent très vivement démentie
avec la reprise d'une disposition que les Etats avaient adoptée
dans une déclaration à destination du Danemark.
La citoyenneté de l'Union reste donc une citoyenneté
de superposition, respectueuse de la citoyenneté et de
la nationalité des Etats membres.
Confirmant l'impression d'un statu quo, on doit noter une évolution
dans les intentions des chefs d'Etats et de gouvernements. Le
projet adopté le 12 juin prévoyait un article AA
du TUE disposant que : "1- L'Union a la personnalité
juridique.
2- Dans les relations internationales, l'Union possède
la capacité juridique dans la mesure nécessaire
à l'exercice de ses fonctions et à la réalisation
de ses objectifs (...)"
La reconnaissance de la personnalité juridique de l'Union
était de nature à renforcer indirectement la citoyenneté
de l'Union. Tout d'abord parce que la citoyenneté est dite
de l'Union et qu'elle instaure un lien juridique entre des citoyens
de l'Union et la Communauté européenne,
ce qui constitue une certaine incohérence. De surcroît,
la reconnaissance d'une personnalité juridique à
l'Union aurait permis le développement d'une véritable
lien juridique et politique entre des individus et une organisation
internationale.
Enfin, certains mettaient en la reconnaissance de la personnalité
juridique l'espoir d'un développement de la protection
diplomatique, exercée par l'Union et non par les seuls
Etats.
Mais l'assistance consulaire ne deviendra pas protection diplomatique
de l'Union, comme en témoigne l'ancien article J6, (qui
postule la coopération entre misions diplomatiques et consulaires
des Etats et les délégations de la Commission dans
les pays tiers, "en contribuant à la mise en oeuvre
des dispositions visées à l'article 8 C du traité"),
qui ne subit aucune modification. Il devient seulement l'article
J. 10 et l'idée d'une ébauche de protection par
l'Union est abandonnée.
En somme, les Etats n'ont pas voulu donner naissance à
une nouvelle personne juridique et ont refusé que s'établisse
entre l'Union et ses citoyens un lien comparable à celui
qui existe entre un Etat et ses ressortissants.
Dans le même esprit, on notera que le chapitre 15 relatif
au Conseil, qui fait passer certains domaines dans le champ des
décisions adoptées à la majorité qualifiée,
ne fait pas mention de la clause évolutive de l'article
8 E. On reste, pour toute nouvelle disposition permettant de développer
les droits du citoyen, dans une logique d'unanimité.
Enfin, alors que certains suggéraient d'intégrer
dans la citoyenneté les devoirs qui sont le corollaire
des droits accordés par l'union, on doit relever que toutes
les propositions sont restées lettre morte. Ainsi par exemple,
l'idée d'un impôt européen n'a pas été
consacrée, pas plus que l'idée d'un service militaire
ou civil, obligatoire ou facultatif.
Ayant pour ambition de créer un lien entre les jeunes Européens
et leur Union, et de rapprocher les jeunesses des Etats membres,
la mise en place d'un service au sein d'un corps européen
de la paix avait été préconisée. Il
est a été "remplacé" par une déclaration
à insérer dans l'Acte final : "La Conférence
reconnaît la contribution importante des activités
de bénévolat pour le développement de la
solidarité nationale. La Communauté encouragera
la dimension européenne des organisations bénévoles
en mettant particulièrement l'accent sur l'échange
d'informations et d'expériences ainsi que sur la participation
des jeunes et des personnes âgées aux activités
bénévoles."
Les devoirs du citoyen vont appartenir quelques années
encore à la lettre du traité de Maastricht, dans
l'attente d'une disposition permettant leur mise en place effective.
Il faut donc observer que la citoyenneté version 1997
n'est, sur de nombreux points, que la réplique de la citoyenneté
version 1992.
2. La renonciation à un développement des droits
civiques du citoyen européen.
On peut aussi noter qu'aucune des propositions visant
à renforcer les droits politiques des citoyens européens
n'a abouti. C'est avec insuccès que l'on chercherait trace
d'une extension du droit de vote et d'éligibilité
aux élections locales pour tout citoyen de l'Union, ou
encore - mais il fallait être particulièrement optimiste
pour y croire - aux élections nationales ou aux référendums
nationaux.
En revanche, les propositions relatives aux référendums
de dimension européenne pouvaient aboutir, en particulier
les référendums d'initiative populaire. Certes,
ces techniques en vogue de démocratie semi-directe ne sont
pas véritablement adaptées à la dimension
européenne, mais la récurrence des propositions
nous semblait rendre leur consécration inéluctable.
Et, dans le même esprit, on pouvait raisonnablement attendre
une ouverture du droit de vote pour les référendums
municipaux, très utilisés dans certains Etats de
l'Union. Cette ouverture ne se heurtait pas à l'exception
de souveraineté nationale, et apparaissait comme le prolongement
logique du droit de vote aux élections municipales.
Mais le droit de vote n'est pas modifié, comme le confirme
l'absence de modification majeure à la désignation
des parlementaires européens.
Seul l'article 138 est révisé, de sorte que la procédure
électorale uniforme puisse enfin être adoptée.
En effet, "le Parlement élabore" (et non plus
"élaborera") "un projet en vue de permettre
l'élection au suffrage universel direct selon une procédure
uniforme dans tous les Etats membres" (jusque là,
rien de nouveau) "ou conformément à des principes
communs à tous les Etats membres". Cette dernière
partie de l'article 138 est sans doute destinée à
donner un peu de la souplesse nécessaire pour que la Grande-Bretagne
ne bloque plus l'adoption d'une procédure uniforme. On
ne peut que souhaiter un aboutissement rapide.
Enfin, on ne trouve pas mention des dispositions attendues sur
les partis politiques européens ; l'élection au
Parlement européen risque par conséquent de demeurer
un événement national. On ne s'étonnera pas
de l'échec de l'idée de circonscriptions électorales
transnationales. Butant sur l'idée d'indivisibilité
de la République, ou sur la souveraineté de la nation,
cette proposition était assez irréaliste.
En revanche, l'Union aurait pu favoriser l'émergence de
partis politiques européens, qui auraient donné
à l'élection au Parlement une physionomie européenne
susceptible de combattre l'abstentionnisme.
En somme, Amsterdam n'a pas permis le développement de
la citoyenneté que l'on était en droit d'attendre.
Les droits civiques sont relégués derrière
d'autres préoccupations moins "civiques", peut
être plus culturelles et plus en adéquation avec
les discours modernes sur la citoyenneté.
B. Les modifications insignifiantes de l'article 8
La réelle nouveauté dans la rubrique citoyenneté
consiste en un ajout qui prend la forme d'un troisième
alinéa à l'article 8 D du TCE : "Tout citoyen
de l'Union peut écrire à toute institution ou organe
mentionné dans le présent article ou à l'article
4 dans l'une des langues visées à l'article 248
et recevoir une réponse rédigée dans la même
langue."
Cette nouvelle disposition reste encore obscure. Aucune condition
ne semble posée pour l'exercice de ce droit d'écrire.
Est-ce un droit de plainte ? Est-ce un droit lié à
la pétition ? Le citoyen va-t-il, lorsqu'il écrit
à la Commission, lui suggérer l'adoption de nouvelles
dispositions communautaires - ce qui en ferait un droit d'initiative
populaire ? Le citoyen va -t-il par ce biais pouvoir demander
réparation ? Que doit répondre l'institution ? Doit-elle
donner suite ?
Outre ces interrogations, on doit faire part de notre surprise.
Alors que les droits de pétition et de saisir le médiateur
ont été ouverts par le traité de Maastricht
à toute personne physique ou morale résidant sur
le territoire d'un Etat membre, le droit consacré ici semble
n'être ouvert qu'aux citoyens de l'Union, c'est-à-dire
aux nationaux des Etats. Pourquoi cette différence? Se
justifie-t-elle par l'importance du droit conféré
? En quoi le droit d'écrire doit-il être réservé
aux ressortissants ?
En fait, il est légitime de penser que cet article a pour
unique but de permettre une communication entre les institutions
et les citoyens ; la mention des langues, sensible culturellement,
étant le seul intérêt de ce nouveau droit.
Mais si tel est le cas, le droit d'écrire est plus le corollaire
de la transparence que de la citoyenneté.
Cette impression est d'ailleurs confirmée par la lecture
de la modification du deuxième paragraphe de l'article
A du TUE : "Le présent traité marque une nouvelle
étape dans le processus créant une union sans cesse
plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle
les décisions sont prises dans le plus grand respect du
principe d'ouverture et le plus près possible des citoyens."
Et un nouvel article 191 est inséré dans le Traité
CE : "1-Tout citoyen de l'Union et toute personne physique
et morale résidant ou ayant son siège dans un Etat
membre a un droit d'accès aux documents du Parlement européen,
du Conseil et de la Commission, sous réserve des principes
et des conditions qui seront fixées conformément
aux paragraphes 2 et 3(...) "
Le droit d'écrire, le droit de connaître les sources
du droit communautaires sont donc présentés comme
des droits du citoyen. Mais en réalité, ils répondent
plus à la condamnation de l'Europe technocratique et opaque
qu'à la volonté de permettre aux Européens
d'être membres de la sphère publique européenne.
On sortira bien incertain des questions laissées sans
réponse par le texte adopté à Amsterdam,
et il faut bien avouer que le dernier apport au traité
de Maastricht en matière de citoyenneté ne nous
éclaire pas. Il consiste en un nouvel alinéa dans
le préambule du TCE : "Déterminés à
promouvoir le développement du niveau de connaissance le
plus élevé possible pour leurs peuples par le biais
d'un large accès à l'éducation et à
sa mise à jour permanente." On a la même impression
d'une disposition imprécise, faisant office de placebo
pour un déficit de popularité.
En fait, la volonté de rester à l'acquis de Maastricht
est résumée par les dispositions relatives à
la flexibilité. Parmi les nouvelles dispositions relatives
à la coopération plus étroite, un article
5 A du TCE dispose que : "1- Les Etats membres qui se proposent
d'instaurer entre eux une coopération plus étroite
peuvent être autorisés, sous réserve des articles
1er et (2) du traité sur l'Union européenne, à
recourir aux institutions, procédures et mécanismes
prévus par le présent traité, à condition
que la coopération envisagée : (...)
c) n'ait pas trait à la citoyenneté de l'Union et
ne fasse pas de discrimination entre les ressortissants des Etats
membres (...)".
On sait fort bien que la flexibilité est destinée
à permettre une intégration plus étroite
entre un premier cortège d'Etats, dans l'espoir que les
autres Etats les rejoignent par la suite. En excluant la citoyenneté
de ces dispositions, la Conférence Intergouvernementale
affirme peut être sa volonté d'une avancée
unanime en la matière, car la citoyenneté est trop
importante politiquement pour n'être le fait que de quelques
initiatives isolées. Ou bien, cela montre que la réforme
de la citoyenneté n'est pas une priorité, soit que
les Etats ne sont pas prêts à consacrer plus avant
une citoyenneté trop attentatoire à leur souveraineté,
soit que la situation actuelle est considérée comme
satisfaisante.
Cette impression de statu quo, qui domine pour la participation
des individus au pouvoir européen, n'est en revanche pas
confirmée pour l'autre versant de la citoyenneté
: la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
II. LA CONSÉCRATION DES DROITS FONDAMENTAUX
On peut débattre pour savoir si la reconnaissance
des droits fondamentaux fait partie ou non de la citoyenneté
européenne, mais ce n'est pas l'objet de ces propos. A
partir des propositions faites pour préparer la révision
du traité, on admettra (par convention plus que par conviction)
que les droits de l'homme et les libertés fondamentales
sont à juste titre une partie essentielle de la citoyenneté
européenne.
Or, c'est incontestablement sur ce point que la réforme
d'Amsterdam est la plus innovante.
A. L'Europe des droits de l'homme : une proclamation à
destination de l'est ?
La nouvelle orientation de l'Union européenne apparait
clairement dans les dispositions relatives aux droits de l'homme.
Car, désormais, et cela mérite d'être souligné,
les droits de l'homme sont énoncés, mais également
protégés. Sans doute, cette évolution n'est
pas "gratuite" : elle doit être interprétée
comme un signal politique à destination des futurs adhérents.
Mais sur le plan juridique, l'évolution est particulièrement
significative.
1. Les nouveaux principes généraux de l'Union
européenne
L'affirmation d'une Europe des droits de l'homme apparait
à travers la modification des "principes généraux
sur lesquels est fondée l'Union".
L'article F révisé est rédigé pour
comporter désormais un premier alinéa qui se lit
comme suit :
"1-L'union est fondée sur les principes de la liberté,
de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes
qui sont communs aux Etats membres."
Il faut tout d'abord signaler que la Conférence Intergouvernementale
n'a pas consacré l'adhésion à la Convention
européenne des droits de l'homme. Renonçant peut-être
devant les nombreuses difficultés juridiques et politiques
qu'entraînerait l'adhésion, les auteurs du nouveau
traité ont préféré une protection
strictement communautaire : la sauvegarde des libertés
n'est pas l'apanage de la Cour ou de la Commission européenne
des droits de l'homme.
C'est ce qui rend surprenant l'abandon de l'idée d'un
catalogue communautaire des droits fondamentaux. Lors des débats
de ces derniers mois, la discussion portait sur le choix entre
l'adhésion et l'élaboration d'un catalogue. Il est
donc notable qu'aucun des deux mécanismes n'ait été
choisi.
En renonçant à l'adhésion à la CEDH
et au catalogue communautaire des droits fondamentaux, on est
donc devant un apparent échec. Car l'impression qui domine
est celle d'un énoncé de principes et de quelques
dispositions éparses à travers le nouveau traité.
Cette impression persiste lorsque l'on examine deux autres dispositions
intégrées au traité de Maastricht. La première
est relative au statut des Eglises et organisations non confessionnelles.
Une déclaration sera insérée dans l'acte
final : "l'Union respectera et ne préjuge pas le statut
dont bénéficient, en vertu du droit national, les
Eglises et associations ou communautés religieuses dans
les Etats membres. L'Union respectera également le statut
des organisations philosophiques et non confessionnelles"
(1) Cette disposition n'était pas attendue et on éprouve
quelques difficultés à évaluer son intérêt.
De même, on ne peut que manquer d'être surpris par
l'insertion d'une disposition qui ne semblait pas consensuelle
dans les propositions de ces derniers mois ; elle concerne l'abolition
de la peine de mort. Il est prévu une déclaration
à insérer dans l'Acte final : "Se référant
à l'article F paragraphe 2 du traité sur l'Union
européenne, la conférence rappelle que le protocole
n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée
à Rome le 4 novembre 1950, qui a été signé
et ratifié par une large majorité d'Etats membres,
prévoit l'abolition de la peine de mort.
Dans ce contexte, la conférence note que, depuis la signature
du protocole précité en date du 28 avril 1983, la
peine de mort a été abolie dans la plupart des Etats
membres de l'Union et n'a plus été appliquée
dans aucuns d'eux."
L'éclectisme de ces dispositions peut laisser songeur,
et donne la sensation d'une protection des droits de l'homme inachevée.
Mais cette observation doit largement être tempérée
par la présentation des mécanismes de contrôle
et de sanction prévus par le texte adopté à
Amsterdam.
2. La sanction des violations des droits de l'homme
En tout premier lieu, il faut souligner que l'article
L est modifié. Il habilite explicitement la Cour à
contrôler le respect des droits fondamentaux par les institutions
à l'égard de l'article F(2). En d'autres termes,
toute violation par l'Union des droits fondamentaux pourra faire
l'objet d'un recours et d'une sanction éventuelle par la
Cour de Justice.
Cette judiciabilité des dispositions doit déjà
être relevée. Sans conteste, c'est un des progrès
les plus importants de la réforme. Passant le stade de
la simple proclamation des droits, l'extension de la compétence
juridictionnelle aux cas visés à l'article F et
au troisième pilier renforce l'idée que le citoyen
de l'Union (et non plus seulement le ressortissant communautaire)
bénéficie d'un droit au recours pour toute atteinte
à ses droits fondamentaux.
Tout aussi remarquables sont les dispositions permettant une
sanction, non pas seulement juridictionnelle, mais proprement
politique de toute violation des droits de l'homme commise par
un Etat.
La plus grande innovation en la matière consiste en l'insertion
d'un nouvel article Fa dans le TUE : "1- Le Conseil, réuni
au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement et statuant à
l'unanimité sur proposition d'un tiers des Etats membres
ou de la Commission et après avis conforme du Parlement
européen, peut constater l'existence d'une violation grave
et persistante par un Etat membre de principes énoncés
à l'article F paragraphe 1, après avoir invité
le gouvernement de cet Etat membre à présenter toute
observation en la matière.
2- Lorsqu'une telle constatation a été faite, le
Conseil, statuant à la majorité qualifiée,
peut décider de suspendre certains des droits découlant
de l'application du présent traité à l'Etat
en question, y compris les droits de vote du représentant
du gouvernement de cet Etat au sein du Conseil. Ce faisant, le
Conseil tient compte des conséquences éventuelles
d'une telle suspension sur les droits et obligations des personnes
physiques et morales.
Les obligations qui incombent à l'Etat membre concerné
au titre du présent traité restent en tout état
de cause contraignantes pour cet Etat.
3- Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée,
peut décider par la suite de modifier ou d'annuler les
mesures qu'il a prises au titre du paragraphe 2 pour répondre
à des changements de la situation qui l'a conduit à
imposer ces mesures.
4- Aux fins du présent article, le Conseil statue sans
tenir compte du vote du représentant de l'Etat membre concerné.(...)
Le mécanisme de sanction mis en place est une nouveauté
dans l'ordre juridique de l'Union. Relevons que les représentants
n'ont pas consacré la proposition extrême préconisée
par certains, consistant en l'exclusion d'un Etat ayant violé
les droits protégés par l'Union. Ce mécanisme
ne devait pas être retenu, parce que contraire au principe
d'irréversibilité de l'appartenance à l'Union
européenne et rendu inutile en présence d'un mécanisme
moins lourd qu'est la suspension.
On remarquera aussi que le nouvel article Fa laisse place à
l'interprétation : comment déterminer le seuil d'une
violation grave et persistante des principes de l'article F1 ?
Quels droits seront suspendus ? On se rassurera en considérant
que la sanction, politiquement très lourde et compromettante
pour ses auteurs, ne sera prise qu'avec précaution.
Il n'en demeure pas moins que cet article est une novation remarquable.
En réalité, une interprétation nous semble
pouvoir être faite, qui découle de la lecture combinée
du nouvel article F avec l'article O révisé du traité
sur l'Union. Celui-ci disposera désormais que "Tout
Etat européen qui respecte les principes énoncés
à l'article F paragraphe 1 peut demander à devenir
membre de l'Union (...)".
Cet article est intéressant car, pour la première
fois, il pose des conditions à l'adhésion. Une première
condition que l'on peut considérer comme géographique
: être un Etat européen, et une condition politique
: être un Etat démocratique et respectueux des droits
de l'homme. Les institutions communautaires auront désormais
une base juridique sur laquelle fonder les négociations.
Mais surtout, on ne peut s'empêcher de penser que les Etats
membres, en inscrivant ces dispositions relatives aux droits de
l'homme, ont voulu se préparer aux futures adhésions
et se prémunir contre les violations des droits de l'homme
par ces Etats sur lesquels plane un soupçon de "démocratisation
inachevée". Il y a comme un effet préventif
dans l'article F. Certes, les réactions des cours constitutionnelles
allemande et italienne restent présentes dans les esprits
et l'insuffisance de l'action communautaire en matière
de droits de l'homme a été à maintes reprises
relevée. Mais la dernière jurisprudence So Lange
de la Cour allemande n'incitait pas à la précipitation.
En revanche, on ne peut pas oublier que la Conférence Intergouvernementale
a été principalement motivée par les futures
adhésions ; les dispositions sur les droits fondamentaux
ne doivent-elle pas, elles aussi, être lues dans cette perspective
?
Dans une toute autre optique, la réforme adoptée
par les chefs d'Etat et de gouvernement concerne l'égalité,
avec la reconnaissance large d'un principe d'interdiction de discrimination.
B. L'affirmation très large d'un principe d'égalité
Outre l'affirmation générale d'un attachement aux
droits de l'homme, on trouve dans le traité révisé
une reconnaissance très large du principe d'égalité.
Sur ce point, on se rapproche peut être de la citoyenneté
classique, qui postule toujours un statut d'égalité.
Il reste que l'égalité ici ne s'attache pas aux
droits civiques, mais est entendue de manière très
générale.
En effet, l'article 7 du traité CEE, devenu article 6 du
traité de Maastricht en 1992, est renforcé et développé.
Il est renforcé dans la mesure où il rentre désormais
dans le champ d'application de la procédure de codécision.
Mais surtout, il est étendu par l'insertion d'un nouvel
article 6a dans le TCE : "Sans préjudice des autres
dispositions du présent traité et dans les limites
des pouvoirs que celui-ci confère à la Communauté,
le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition
de la Commission et après consultation du Parlement européen,
peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre
toute discrimination fondée sur le sexe, la race, l'origine
ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge
ou l'orientation sexuelle."
Cette extension était proposée par de très
nombreux groupes politiques, Etats - et même institutions
communautaires - et on ne sera pas surpris de son adoption. Il
faut toutefois relever que l'extension du principe de non discrimination
a été faite à l'exclusion de la condamnation
du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme
auxquels le Parlement était particulièrement attaché.
Cela ne prive pas la révision opérée de son
intérêt, car si l'article précédent
se contentait d'interdire les discriminations, le nouvel article
6 est une base juridique permettant aux institutions de prendre
des mesures positives pour combattre la discrimination.
De manière générale, on pourra se réjouir
de la reconnaissance généralisée d'un principe
de non discrimination, mais rester dubitatif sur les difficultés
d'interprétation de cette égalité proclamée.
En ce sens, il n'est pas étonnant que l'interdiction de
discrimination ne soit adressée qu'aux institutions communautaires,
et que seule soit opposable aux Etats membres l'interdiction de
discrimination fondée sur la nationalité.
Cependant, on peut se demander si l'article 6 ne rend pas inutile
la déclaration à insérer dans l'Acte Final
concernant les personnes handicapées : "La Conférence
estime que, lors de l'élaboration de mesures en vertu de
l'article 100A, les institutions de la Communauté doivent
tenir compte des besoins des personnes handicapées."
Cette déclaration risque de faire doublon avec l'article
6 nouvelle version, à moins qu'elle doive être considérée
comme une lex generalis tout comme l'article 2 du TCE qui concerne
l'égalité homme-femme : "la Communauté
a pour mission.. de promouvoir... un niveau d'emploi et de protection
sociale élevé, l'égalité entre les
hommes et les femmes, le relèvement du niveau et de la
qualité de vie, la cohésion économique et
sociale et la solidarité entre les Etats membres."
L'égalité entre les hommes et les femmes trouve
d'ailleurs une place d'honneur dans le texte d'Amsterdam puisque
l'on trouve, outre l'article 6 et l'article 2 précités,
ajout d'un nouvel alinéa à l'article 23 TCE : "Lorsqu'elle
réalise toutes les actions visées au présent
article, la Communauté cherche à éliminer
les inégalités, et à promouvoir l'égalité
entre les hommes et les femmes." De même, sont intégrés
des amendements au traité concernant l'égalité
homme-femme en matière d'emploi et de travail (2) Enfin,
on peut relever (3) que l'article 199 (3) concernant l'égalité
des chances et de traitement homme-femme pourra désormais
faire l'objet de dispositions prises par le Conseil, non plus
à l'unanimité mais à la majorité qualifiée.
La consécration de l'égalité est donc particulièrement
significative dans le nouveau traité sur l'Union européenne.
Nous devrons observer si elle restera une profession de foi ou
si elle fera l'objet de mesures d'application de nature à
la rendre effective.
Au total, c'est une impression mitigée que donne la lecture
des dispositions issues de ce que l'on peut appeler le "compromis
d'Amsterdam".
La citoyenneté classique est très largement sacrifiée
aux nombreuses dispositions sur la politique sociale et sur l'emploi.
Les droits de l'homme prennent une place plus importante, ce que
l'on ne peut qu'approuver. Mais la citoyenneté européenne
semble être diluée dans un ensemble de dispositions
hétérogènes.
Que l'on prenne garde : quand bien même on croirait que
la citoyenneté est la pierre philosophale de l'Europe,
elle pourrait bien, à force d'utilisation désordonnée,
refuser un jour de transformer le métal en or.