Les Cahiers du GERSE n° 2






LA CITOYENNETÉ EUROPÉENNE DILUÉE DANS LES EAUX D'AMSTERDAM.

Ségolène Barbou des Places

Quoi de commun entre le bien-être des animaux, la culture, le sport, la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté, le renforcement de la coopération douanière, les régions ultrapériphériques et insulaires, les activités de bénévolat, et ... la citoyenneté ?

Rien, sauf à considérer que la rubrique "autres politiques communautaires", dans laquelle sont regroupés ces différents sujets puisse désormais être considérée comme une nouvelle orientation du développement communautaire.

Certes, la forme n'est pas l'essentiel, - les maigres ambitions en matière de codification du droit communautaire le prouvent -. Mais on ne peut que s'étonner, en faisant un rapide retour en arrière sur les multiples propositions faites pour la Conférence Intergouvernementale, que la citoyenneté européenne soit reléguée au rang des "divers" dont on ne fait pas grand cas d'ordinaire. D'autant que les rédacteurs du traité confient eux mêmes que "l'ensemble des travaux de la Conférence a été marqué par le souci majeur de rendre l'Union davantage digne d'intérêt et de compréhension pour ses citoyens".

Mais cette profession de foi est suivie immédiatement des affirmations générales et hétéroclites selon lesquelles "les citoyens veulent pouvoir travailler", "les citoyens veulent une société où chacun, et pas seulement eux-mêmes aurait sa place", "les citoyens veulent vivre dans un environnement propre", "les citoyens veulent être protégés en tant que consommateurs".

Autant dire qu'il serait vain de chercher dans le nouveau traité sur l'Union européenne un chapitre ou un titre sur la citoyenneté de l'Union, ce qui, pourtant, aurait eu pour effet de rendre plus perceptible le renforcement de la citoyenneté.

En réalité, les dispositions concernant la citoyenneté sont disséminées dans l'ensemble du texte, ce que l'on peut interpréter comme le signe de l'omniprésence de la citoyenneté ou au contraire comme un échec.

C'est cette double impression que doit surmonter le lecteur des nouvelles dispositions européennes. Celle d'une déception - ou d'un soulagement - face à l'introuvable réforme de la citoyenneté stricto sensu (I) et celle d'un désarroi devant le foisonnement désordonné des dispositions visant à étendre le catalogue communautaire des droits et libertés fondamentales (II).

I. LA CITOYENNETÉ STRICTO SENSU : L'INTROUVABLE RÉFORME

La citoyenneté de l'Union semblait promise, après Maastricht, à un bel avenir. La clause évolutive de l'article 8 E laissait présager des développements ; les propositions faites avant la Conférence de Turin en mars dernier laissaient augurer une évolution sensible.

Sans doute les pas faits à Maastricht ont-ils été considérés comme suffisants, car on serait bien en peine de trouver une évolution significative de la citoyenneté européenne. "L'esprit" de la citoyenneté de 1992 est toujours dominant, et la réforme du texte n'est guère qu'une réformette.

A. Le maintien de la logique de Maastricht

Tout indique que la citoyenneté de l'Union n'a pas été transformée à Amsterdam. La philosophie d'origine demeure et le contenu de la citoyenneté n'a pas été révolutionné.

1. La physionomie de la citoyenneté européenne reste inchangée

La modification annoncée de l'article 8 du TCE est très loin d'être substantielle : "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre.", ce que l'on savait déjà.

On constatera tout d'abord le maintien de la logique "maastrichtienne" : la citoyenneté de l'Union reste "nationalitaire" et les ouvertures préconisées par certains aux ressortissants d'Etat tiers ne sont pas consacrées.

Le véritable ajout à l'article 8 apparaît donc dans le rappel de la double qualité de citoyen national et de citoyen de l'Union : "la citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas." La vocation fédérale que certains avaient perçu dans la citoyenneté européenne,
- premier pas vers la disparition des citoyennetés nationales -, est par conséquent très vivement démentie avec la reprise d'une disposition que les Etats avaient adoptée dans une déclaration à destination du Danemark.

La citoyenneté de l'Union reste donc une citoyenneté de superposition, respectueuse de la citoyenneté et de la nationalité des Etats membres.

Confirmant l'impression d'un statu quo, on doit noter une évolution dans les intentions des chefs d'Etats et de gouvernements. Le projet adopté le 12 juin prévoyait un article AA du TUE disposant que : "1- L'Union a la personnalité juridique.

2- Dans les relations internationales, l'Union possède la capacité juridique dans la mesure nécessaire à l'exercice de ses fonctions et à la réalisation de ses objectifs (...)"



La reconnaissance de la personnalité juridique de l'Union était de nature à renforcer indirectement la citoyenneté de l'Union. Tout d'abord parce que la citoyenneté est dite de l'Union et qu'elle instaure un lien juridique entre des citoyens de l'Union et la Communauté européenne, ce qui constitue une certaine incohérence. De surcroît, la reconnaissance d'une personnalité juridique à l'Union aurait permis le développement d'une véritable lien juridique et politique entre des individus et une organisation internationale.

Enfin, certains mettaient en la reconnaissance de la personnalité juridique l'espoir d'un développement de la protection diplomatique, exercée par l'Union et non par les seuls Etats.

Mais l'assistance consulaire ne deviendra pas protection diplomatique de l'Union, comme en témoigne l'ancien article J6, (qui postule la coopération entre misions diplomatiques et consulaires des Etats et les délégations de la Commission dans les pays tiers, "en contribuant à la mise en oeuvre des dispositions visées à l'article 8 C du traité"), qui ne subit aucune modification. Il devient seulement l'article J. 10 et l'idée d'une ébauche de protection par l'Union est abandonnée.

En somme, les Etats n'ont pas voulu donner naissance à une nouvelle personne juridique et ont refusé que s'établisse entre l'Union et ses citoyens un lien comparable à celui qui existe entre un Etat et ses ressortissants.

Dans le même esprit, on notera que le chapitre 15 relatif au Conseil, qui fait passer certains domaines dans le champ des décisions adoptées à la majorité qualifiée, ne fait pas mention de la clause évolutive de l'article 8 E. On reste, pour toute nouvelle disposition permettant de développer les droits du citoyen, dans une logique d'unanimité.

Enfin, alors que certains suggéraient d'intégrer dans la citoyenneté les devoirs qui sont le corollaire des droits accordés par l'union, on doit relever que toutes les propositions sont restées lettre morte. Ainsi par exemple, l'idée d'un impôt européen n'a pas été consacrée, pas plus que l'idée d'un service militaire ou civil, obligatoire ou facultatif.

Ayant pour ambition de créer un lien entre les jeunes Européens et leur Union, et de rapprocher les jeunesses des Etats membres, la mise en place d'un service au sein d'un corps européen de la paix avait été préconisée. Il est a été "remplacé" par une déclaration à insérer dans l'Acte final : "La Conférence reconnaît la contribution importante des activités de bénévolat pour le développement de la solidarité nationale. La Communauté encouragera la dimension européenne des organisations bénévoles en mettant particulièrement l'accent sur l'échange d'informations et d'expériences ainsi que sur la participation des jeunes et des personnes âgées aux activités bénévoles."

Les devoirs du citoyen vont appartenir quelques années encore à la lettre du traité de Maastricht, dans l'attente d'une disposition permettant leur mise en place effective.

Il faut donc observer que la citoyenneté version 1997 n'est, sur de nombreux points, que la réplique de la citoyenneté version 1992.

2. La renonciation à un développement des droits civiques du citoyen européen.

On peut aussi noter qu'aucune des propositions visant à renforcer les droits politiques des citoyens européens n'a abouti. C'est avec insuccès que l'on chercherait trace d'une extension du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales pour tout citoyen de l'Union, ou encore - mais il fallait être particulièrement optimiste pour y croire - aux élections nationales ou aux référendums nationaux.

En revanche, les propositions relatives aux référendums de dimension européenne pouvaient aboutir, en particulier les référendums d'initiative populaire. Certes, ces techniques en vogue de démocratie semi-directe ne sont pas véritablement adaptées à la dimension européenne, mais la récurrence des propositions nous semblait rendre leur consécration inéluctable. Et, dans le même esprit, on pouvait raisonnablement attendre une ouverture du droit de vote pour les référendums municipaux, très utilisés dans certains Etats de l'Union. Cette ouverture ne se heurtait pas à l'exception de souveraineté nationale, et apparaissait comme le prolongement logique du droit de vote aux élections municipales.

Mais le droit de vote n'est pas modifié, comme le confirme l'absence de modification majeure à la désignation des parlementaires européens.

Seul l'article 138 est révisé, de sorte que la procédure électorale uniforme puisse enfin être adoptée. En effet, "le Parlement élabore" (et non plus "élaborera") "un projet en vue de permettre l'élection au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les Etats membres" (jusque là, rien de nouveau) "ou conformément à des principes communs à tous les Etats membres". Cette dernière partie de l'article 138 est sans doute destinée à donner un peu de la souplesse nécessaire pour que la Grande-Bretagne ne bloque plus l'adoption d'une procédure uniforme. On ne peut que souhaiter un aboutissement rapide.

Enfin, on ne trouve pas mention des dispositions attendues sur les partis politiques européens ; l'élection au Parlement européen risque par conséquent de demeurer un événement national. On ne s'étonnera pas de l'échec de l'idée de circonscriptions électorales transnationales. Butant sur l'idée d'indivisibilité de la République, ou sur la souveraineté de la nation, cette proposition était assez irréaliste.

En revanche, l'Union aurait pu favoriser l'émergence de partis politiques européens, qui auraient donné à l'élection au Parlement une physionomie européenne susceptible de combattre l'abstentionnisme.

En somme, Amsterdam n'a pas permis le développement de la citoyenneté que l'on était en droit d'attendre.

Les droits civiques sont relégués derrière d'autres préoccupations moins "civiques", peut être plus culturelles et plus en adéquation avec les discours modernes sur la citoyenneté.

B. Les modifications insignifiantes de l'article 8

La réelle nouveauté dans la rubrique citoyenneté consiste en un ajout qui prend la forme d'un troisième alinéa à l'article 8 D du TCE : "Tout citoyen de l'Union peut écrire à toute institution ou organe mentionné dans le présent article ou à l'article 4 dans l'une des langues visées à l'article 248 et recevoir une réponse rédigée dans la même langue."

Cette nouvelle disposition reste encore obscure. Aucune condition ne semble posée pour l'exercice de ce droit d'écrire. Est-ce un droit de plainte ? Est-ce un droit lié à la pétition ? Le citoyen va-t-il, lorsqu'il écrit à la Commission, lui suggérer l'adoption de nouvelles dispositions communautaires - ce qui en ferait un droit d'initiative populaire ? Le citoyen va -t-il par ce biais pouvoir demander réparation ? Que doit répondre l'institution ? Doit-elle donner suite ?

Outre ces interrogations, on doit faire part de notre surprise. Alors que les droits de pétition et de saisir le médiateur ont été ouverts par le traité de Maastricht à toute personne physique ou morale résidant sur le territoire d'un Etat membre, le droit consacré ici semble n'être ouvert qu'aux citoyens de l'Union, c'est-à-dire aux nationaux des Etats. Pourquoi cette différence? Se justifie-t-elle par l'importance du droit conféré ? En quoi le droit d'écrire doit-il être réservé aux ressortissants ?

En fait, il est légitime de penser que cet article a pour unique but de permettre une communication entre les institutions et les citoyens ; la mention des langues, sensible culturellement, étant le seul intérêt de ce nouveau droit. Mais si tel est le cas, le droit d'écrire est plus le corollaire de la transparence que de la citoyenneté.

Cette impression est d'ailleurs confirmée par la lecture de la modification du deuxième paragraphe de l'article A du TUE : "Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect du principe d'ouverture et le plus près possible des citoyens." Et un nouvel article 191 est inséré dans le Traité CE : "1-Tout citoyen de l'Union et toute personne physique et morale résidant ou ayant son siège dans un Etat membre a un droit d'accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, sous réserve des principes et des conditions qui seront fixées conformément aux paragraphes 2 et 3(...) "

Le droit d'écrire, le droit de connaître les sources du droit communautaires sont donc présentés comme des droits du citoyen. Mais en réalité, ils répondent plus à la condamnation de l'Europe technocratique et opaque qu'à la volonté de permettre aux Européens d'être membres de la sphère publique européenne.

On sortira bien incertain des questions laissées sans réponse par le texte adopté à Amsterdam, et il faut bien avouer que le dernier apport au traité de Maastricht en matière de citoyenneté ne nous éclaire pas. Il consiste en un nouvel alinéa dans le préambule du TCE : "Déterminés à promouvoir le développement du niveau de connaissance le plus élevé possible pour leurs peuples par le biais d'un large accès à l'éducation et à sa mise à jour permanente." On a la même impression d'une disposition imprécise, faisant office de placebo pour un déficit de popularité.

En fait, la volonté de rester à l'acquis de Maastricht est résumée par les dispositions relatives à la flexibilité. Parmi les nouvelles dispositions relatives à la coopération plus étroite, un article 5 A du TCE dispose que : "1- Les Etats membres qui se proposent d'instaurer entre eux une coopération plus étroite peuvent être autorisés, sous réserve des articles 1er et (2) du traité sur l'Union européenne, à recourir aux institutions, procédures et mécanismes prévus par le présent traité, à condition que la coopération envisagée : (...)

c) n'ait pas trait à la citoyenneté de l'Union et ne fasse pas de discrimination entre les ressortissants des Etats membres (...)".

On sait fort bien que la flexibilité est destinée à permettre une intégration plus étroite entre un premier cortège d'Etats, dans l'espoir que les autres Etats les rejoignent par la suite. En excluant la citoyenneté de ces dispositions, la Conférence Intergouvernementale affirme peut être sa volonté d'une avancée unanime en la matière, car la citoyenneté est trop importante politiquement pour n'être le fait que de quelques initiatives isolées. Ou bien, cela montre que la réforme de la citoyenneté n'est pas une priorité, soit que les Etats ne sont pas prêts à consacrer plus avant une citoyenneté trop attentatoire à leur souveraineté, soit que la situation actuelle est considérée comme satisfaisante.

Cette impression de statu quo, qui domine pour la participation des individus au pouvoir européen, n'est en revanche pas confirmée pour l'autre versant de la citoyenneté : la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

II. LA CONSÉCRATION DES DROITS FONDAMENTAUX

On peut débattre pour savoir si la reconnaissance des droits fondamentaux fait partie ou non de la citoyenneté européenne, mais ce n'est pas l'objet de ces propos. A partir des propositions faites pour préparer la révision du traité, on admettra (par convention plus que par conviction) que les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont à juste titre une partie essentielle de la citoyenneté européenne.

Or, c'est incontestablement sur ce point que la réforme d'Amsterdam est la plus innovante.

A. L'Europe des droits de l'homme : une proclamation à destination de l'est ?

La nouvelle orientation de l'Union européenne apparait clairement dans les dispositions relatives aux droits de l'homme. Car, désormais, et cela mérite d'être souligné, les droits de l'homme sont énoncés, mais également protégés. Sans doute, cette évolution n'est pas "gratuite" : elle doit être interprétée comme un signal politique à destination des futurs adhérents. Mais sur le plan juridique, l'évolution est particulièrement significative.

1. Les nouveaux principes généraux de l'Union européenne

L'affirmation d'une Europe des droits de l'homme apparait à travers la modification des "principes généraux sur lesquels est fondée l'Union".

L'article F révisé est rédigé pour comporter désormais un premier alinéa qui se lit comme suit :

"1-L'union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres."

Il faut tout d'abord signaler que la Conférence Intergouvernementale n'a pas consacré l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme. Renonçant peut-être devant les nombreuses difficultés juridiques et politiques qu'entraînerait l'adhésion, les auteurs du nouveau traité ont préféré une protection strictement communautaire : la sauvegarde des libertés n'est pas l'apanage de la Cour ou de la Commission européenne des droits de l'homme.

C'est ce qui rend surprenant l'abandon de l'idée d'un catalogue communautaire des droits fondamentaux. Lors des débats de ces derniers mois, la discussion portait sur le choix entre l'adhésion et l'élaboration d'un catalogue. Il est donc notable qu'aucun des deux mécanismes n'ait été choisi.

En renonçant à l'adhésion à la CEDH et au catalogue communautaire des droits fondamentaux, on est donc devant un apparent échec. Car l'impression qui domine est celle d'un énoncé de principes et de quelques dispositions éparses à travers le nouveau traité.

Cette impression persiste lorsque l'on examine deux autres dispositions intégrées au traité de Maastricht. La première est relative au statut des Eglises et organisations non confessionnelles. Une déclaration sera insérée dans l'acte final : "l'Union respectera et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Eglises et associations ou communautés religieuses dans les Etats membres. L'Union respectera également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles" (1) Cette disposition n'était pas attendue et on éprouve quelques difficultés à évaluer son intérêt.

De même, on ne peut que manquer d'être surpris par l'insertion d'une disposition qui ne semblait pas consensuelle dans les propositions de ces derniers mois ; elle concerne l'abolition de la peine de mort. Il est prévu une déclaration à insérer dans l'Acte final : "Se référant à l'article F paragraphe 2 du traité sur l'Union européenne, la conférence rappelle que le protocole n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui a été signé et ratifié par une large majorité d'Etats membres, prévoit l'abolition de la peine de mort.

Dans ce contexte, la conférence note que, depuis la signature du protocole précité en date du 28 avril 1983, la peine de mort a été abolie dans la plupart des Etats membres de l'Union et n'a plus été appliquée dans aucuns d'eux."

L'éclectisme de ces dispositions peut laisser songeur, et donne la sensation d'une protection des droits de l'homme inachevée. Mais cette observation doit largement être tempérée par la présentation des mécanismes de contrôle et de sanction prévus par le texte adopté à Amsterdam.

2. La sanction des violations des droits de l'homme

En tout premier lieu, il faut souligner que l'article L est modifié. Il habilite explicitement la Cour à contrôler le respect des droits fondamentaux par les institutions à l'égard de l'article F(2). En d'autres termes, toute violation par l'Union des droits fondamentaux pourra faire l'objet d'un recours et d'une sanction éventuelle par la Cour de Justice.

Cette judiciabilité des dispositions doit déjà être relevée. Sans conteste, c'est un des progrès les plus importants de la réforme. Passant le stade de la simple proclamation des droits, l'extension de la compétence juridictionnelle aux cas visés à l'article F et au troisième pilier renforce l'idée que le citoyen de l'Union (et non plus seulement le ressortissant communautaire) bénéficie d'un droit au recours pour toute atteinte à ses droits fondamentaux.

Tout aussi remarquables sont les dispositions permettant une sanction, non pas seulement juridictionnelle, mais proprement politique de toute violation des droits de l'homme commise par un Etat.

La plus grande innovation en la matière consiste en l'insertion d'un nouvel article Fa dans le TUE : "1- Le Conseil, réuni au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement et statuant à l'unanimité sur proposition d'un tiers des Etats membres ou de la Commission et après avis conforme du Parlement européen, peut constater l'existence d'une violation grave et persistante par un Etat membre de principes énoncés à l'article F paragraphe 1, après avoir invité le gouvernement de cet Etat membre à présenter toute observation en la matière.

2- Lorsqu'une telle constatation a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l'application du présent traité à l'Etat en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet Etat au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d'une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l'Etat membre concerné au titre du présent traité restent en tout état de cause contraignantes pour cet Etat.

3- Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier ou d'annuler les mesures qu'il a prises au titre du paragraphe 2 pour répondre à des changements de la situation qui l'a conduit à imposer ces mesures.

4- Aux fins du présent article, le Conseil statue sans tenir compte du vote du représentant de l'Etat membre concerné.(...)

Le mécanisme de sanction mis en place est une nouveauté dans l'ordre juridique de l'Union. Relevons que les représentants n'ont pas consacré la proposition extrême préconisée par certains, consistant en l'exclusion d'un Etat ayant violé les droits protégés par l'Union. Ce mécanisme ne devait pas être retenu, parce que contraire au principe d'irréversibilité de l'appartenance à l'Union européenne et rendu inutile en présence d'un mécanisme moins lourd qu'est la suspension.

On remarquera aussi que le nouvel article Fa laisse place à l'interprétation : comment déterminer le seuil d'une violation grave et persistante des principes de l'article F1 ? Quels droits seront suspendus ? On se rassurera en considérant que la sanction, politiquement très lourde et compromettante pour ses auteurs, ne sera prise qu'avec précaution.

Il n'en demeure pas moins que cet article est une novation remarquable.

En réalité, une interprétation nous semble pouvoir être faite, qui découle de la lecture combinée du nouvel article F avec l'article O révisé du traité sur l'Union. Celui-ci disposera désormais que "Tout Etat européen qui respecte les principes énoncés à l'article F paragraphe 1 peut demander à devenir membre de l'Union (...)".

Cet article est intéressant car, pour la première fois, il pose des conditions à l'adhésion. Une première condition que l'on peut considérer comme géographique : être un Etat européen, et une condition politique : être un Etat démocratique et respectueux des droits de l'homme. Les institutions communautaires auront désormais une base juridique sur laquelle fonder les négociations.

Mais surtout, on ne peut s'empêcher de penser que les Etats membres, en inscrivant ces dispositions relatives aux droits de l'homme, ont voulu se préparer aux futures adhésions et se prémunir contre les violations des droits de l'homme par ces Etats sur lesquels plane un soupçon de "démocratisation inachevée". Il y a comme un effet préventif dans l'article F. Certes, les réactions des cours constitutionnelles allemande et italienne restent présentes dans les esprits et l'insuffisance de l'action communautaire en matière de droits de l'homme a été à maintes reprises relevée. Mais la dernière jurisprudence So Lange de la Cour allemande n'incitait pas à la précipitation.

En revanche, on ne peut pas oublier que la Conférence Intergouvernementale a été principalement motivée par les futures adhésions ; les dispositions sur les droits fondamentaux ne doivent-elle pas, elles aussi, être lues dans cette perspective ?

Dans une toute autre optique, la réforme adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement concerne l'égalité, avec la reconnaissance large d'un principe d'interdiction de discrimination.

B. L'affirmation très large d'un principe d'égalité

Outre l'affirmation générale d'un attachement aux droits de l'homme, on trouve dans le traité révisé une reconnaissance très large du principe d'égalité. Sur ce point, on se rapproche peut être de la citoyenneté classique, qui postule toujours un statut d'égalité.

Il reste que l'égalité ici ne s'attache pas aux droits civiques, mais est entendue de manière très générale.

En effet, l'article 7 du traité CEE, devenu article 6 du traité de Maastricht en 1992, est renforcé et développé.

Il est renforcé dans la mesure où il rentre désormais dans le champ d'application de la procédure de codécision.

Mais surtout, il est étendu par l'insertion d'un nouvel article 6a dans le TCE : "Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des pouvoirs que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race, l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle."

Cette extension était proposée par de très nombreux groupes politiques, Etats - et même institutions communautaires - et on ne sera pas surpris de son adoption. Il faut toutefois relever que l'extension du principe de non discrimination a été faite à l'exclusion de la condamnation du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme auxquels le Parlement était particulièrement attaché.

Cela ne prive pas la révision opérée de son intérêt, car si l'article précédent se contentait d'interdire les discriminations, le nouvel article 6 est une base juridique permettant aux institutions de prendre des mesures positives pour combattre la discrimination.

De manière générale, on pourra se réjouir de la reconnaissance généralisée d'un principe de non discrimination, mais rester dubitatif sur les difficultés d'interprétation de cette égalité proclamée. En ce sens, il n'est pas étonnant que l'interdiction de discrimination ne soit adressée qu'aux institutions communautaires, et que seule soit opposable aux Etats membres l'interdiction de discrimination fondée sur la nationalité.

Cependant, on peut se demander si l'article 6 ne rend pas inutile la déclaration à insérer dans l'Acte Final concernant les personnes handicapées : "La Conférence estime que, lors de l'élaboration de mesures en vertu de l'article 100A, les institutions de la Communauté doivent tenir compte des besoins des personnes handicapées."

Cette déclaration risque de faire doublon avec l'article 6 nouvelle version, à moins qu'elle doive être considérée comme une lex generalis tout comme l'article 2 du TCE qui concerne l'égalité homme-femme : "la Communauté a pour mission.. de promouvoir... un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, l'égalité entre les hommes et les femmes, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres."

L'égalité entre les hommes et les femmes trouve d'ailleurs une place d'honneur dans le texte d'Amsterdam puisque l'on trouve, outre l'article 6 et l'article 2 précités, ajout d'un nouvel alinéa à l'article 23 TCE : "Lorsqu'elle réalise toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes." De même, sont intégrés des amendements au traité concernant l'égalité homme-femme en matière d'emploi et de travail (2) Enfin, on peut relever (3) que l'article 199 (3) concernant l'égalité des chances et de traitement homme-femme pourra désormais faire l'objet de dispositions prises par le Conseil, non plus à l'unanimité mais à la majorité qualifiée.

La consécration de l'égalité est donc particulièrement significative dans le nouveau traité sur l'Union européenne. Nous devrons observer si elle restera une profession de foi ou si elle fera l'objet de mesures d'application de nature à la rendre effective.

Au total, c'est une impression mitigée que donne la lecture des dispositions issues de ce que l'on peut appeler le "compromis d'Amsterdam".

La citoyenneté classique est très largement sacrifiée aux nombreuses dispositions sur la politique sociale et sur l'emploi. Les droits de l'homme prennent une place plus importante, ce que l'on ne peut qu'approuver. Mais la citoyenneté européenne semble être diluée dans un ensemble de dispositions hétérogènes.

Que l'on prenne garde : quand bien même on croirait que la citoyenneté est la pierre philosophale de l'Europe, elle pourrait bien, à force d'utilisation désordonnée, refuser un jour de transformer le métal en or.



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