Les Cahiers du GERSE n° 1
LES SERVICES PUBLICS DE RÉSEAUX DANS LE CADRE DU DROIT COMMUNAUTAIRE
LE SERVICE PUBLIC DES TÉLÉCOMMUNICATIONS ET L'ÉCHÉANCE
DE 1998 : ENTRE LIBÉRALISATION ET SERVICE UNIVERSEL
Nancy Risacher
Au sommet du G7 qui s'est tenu à Bruxelles en Février
1995, les ministres ont souligné que la garantie de prestation
universelle et l'accès au service universel constituaient
un des fondements de la réalisation de leur vision commune
de la Société de l'Information.
Par plusieurs mesures telles que l'encouragement de projets et
l'aide financière qu'elle apporte, la Commission Européenne
soutient l'extension de "l'accès public" à
la Société de l'Information.
La Directive du 13 Décembre 1995 (12) relative à
l'application de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP)
à la téléphonie vocale définit de
façon précise les composantes essentielles du service
universel.
Quant à la Directive du 13 Mars 1996 (13), elle modifie la
Directive 90/388/CEE relative à la concurrence dans les
marchés des services de télécommunications
en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence
sur le marché des télécommunications.
Pour la clarté de l'exposé, l'ouverture à
la concurrence sera le premier point étudié puisque
c'est la condition sine qua non pour que la fourniture du service
universel soit effective. Ensuite, il sera nécessaire de
définir les composantes du service universel et sa position
par rapport à la notion traditionnelle de service public.
L'ouverture à la concurrence se fait à deux niveaux
:
Il s'agit tout d'abord d'ouvrir la concurrence au niveau du marché
national dans chaque Etat membre.
Cette ouverture ne se fera qu'à la condition que l'entrée
sur le marché de nouveaux prestataires soit facilitée.
1. L'ouverture à la concurrence
La Directive de la Commission du 13 Mars 1996 (14) concerne la
réalisation de la pleine concurrence sur le marché
des télécommunications. Dès lors que l'on
parle de réseaux, il faut envisager la concurrence à
la fois au niveau national, dans chaque Etat membre mais aussi
du point de vue communautaire (15).
1.1 Ouverture de la concurrence au niveau de chaque Etat membre:
Avec l'ouverture à la concurrence, les prestataires nationaux
vont avoir à "affronter" le venue de nouveaux
prestataires.
1.1.1 L'entrée sur le marché de nouveaux prestataires
:
Puisqu'une pluralité d'opérateurs est appelée
à fournir un service universel sur un ou des réseaux
existants ou à venir, il importe d'assurer le maintien
des principes de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité
parmi ces opérateurs, tout en assurant le respect des règles
de concurrence.
La Directive prévoit l'abolition des droits exclusifs
et spéciaux en ce qui concerne l'offre de téléphonie
vocale. Cependant, l'abolition de ces droits n'aurait que peu
d'effet si les nouveaux entrants étaient obligés
d'utiliser le réseau public de télécommunication
de l'organisme de télécommunication en place qu'ils
veulent concurrencer sur le marché de la téléphonie
vocale.
1.1.1.1 L'accès aux réseaux :
L'article 2§2 de la Directive du 13 Mars 1996 énonce
: "Les Etats membres prennent les mesures nécessaires
afin de garantir à toute entreprise le droit de fournir
les services de télécommunications visés
au paragraphe 1 c'est-à-dire service public de télécommunications
et exploitation des réseaux de télécommunications".
L'article 3 alinéa 4 de la Directive stipule que les Etats
ne peuvent limiter le nombre de licences à délivrer
qu'en relation avec la saturation du spectre des fréquences
et, lorsque cela se justifie au regard du principe de proportionnalité.
Ce principe de proportionnalité consiste à affirmer
que le nombre des licences ne peut être limité que
dans les cas où cela est indispensable pour garantir le
respect des exigences essentielles en matière d'utilisation
des ressources rares (La Commission déclare que seule
une limite physique- la limitation des spectres de fréquences)-
justifie la limitation du nombre de licences.
Le seul argument pour refuser ou limiter l'octroi de licence
est donc purement technique, ce qui confère aux Etats une
certaine objectivité dans leur politique de délivrance
des licences.
1.1.1.2 La numérotation :
Dans la même optique, l'article 3 ter ajoute : "l'attribution
des numéros pour les services de télécommunications
doit être effective, non-discriminatoire, proportionnée
et transparente.
Les opérateurs de téléphonie nouvellement
autorisés ne pourront concurrencer réellement les
organismes de télécommunication en place que dans
la mesure où leur sont attribués suffisamment de
numéros à allouer à leurs abonnés.
Lorsque les numéros sont attribués par l'organisme
de télécommunications national, ce dernier peut
être tenté de se réserver les meilleurs numéros
et de donner à ses concurrents des numéros commercialement
moins attractifs. Par conséquent, la gestion du plan de
numérotation doit être confiée à un
organe indépendant des organismes de télécommunications.
1.1.2. L'interconnexion des réseaux
La Résolution du Conseil du 22/12/1994 (16) relative à
la libéralisation des infrastructures de télécommunication
encourage l'établissement de règles en matière
d'interconnexion. L'article 1er a) iii) donne une définition
de l'interconnexion des réseaux : il s'agit de "la
liaison physique et logique entre les installations de télécommunications
d'organismes fournissant des réseaux et/ou des services
de télécommunications permettant aux utilisateurs
d'un organisme de communiquer avec les utilisateurs d'un autre
organisme, ou bien du même ou d'accéder aux services
fournis par des organismes tiers."
L'article 4 bis de la Directive du 13 mars 1996 énonce
que "les Etats membres veillent à ce que les organismes
de télécommunications fournissent l'interconnexion
à leur service de téléphonie vocale et à
leur réseau public commuté de télécommunications
à toute autre entreprise autorisée à fournir
de tels services ou réseaux, à des conditions non-discriminatoires,
proportionnées et transparentes et qui reposent sur des
critères objectifs.
1.1.2.1 Conditions non-discriminatoires:
Il s'agit de faire entrer sur le marché tout opérateur
qui le désire et qui satisfait aux conditions sans marquer
une préférence nationale.
1.1.2.2 Conditions proportionnées
Les nouveaux opérateurs de téléphonie vocale
doivent pouvoir interconnecter leurs services aux points d'interconnexion
requis contre une rémunération raisonnable.
1.1.2.3 Conditions transparentes
Pendant la période de temps nécessaire à
l'entrée des concurrents, les organismes de télécommunications
publient les termes et modalités uniformes d'interconnexion
du réseau de téléphonie vocale qu'ils offrent
au public, comprenant la liste des tarifs et des points d'accès
au plus tard 6 mois avant la date prévue pour la libéralisation
de la téléphonie vocale.
1.1.2.4. Conditions reposant sur des critères objectifs
Cela rejoint les critères de non-discrimination, il est
évident que pour une concurrence saine, il faut adopter
des critères objectifs et applicables à tous.
1.2. Organisation de la concurrence au niveau communautaire
:
1.2.1. Le principe de subsidiarité:
Il figure à l'article 3 B du Traité sur l'Union
Européenne. Le secteur des télécommunications
est un domaine de compétence partagée. Le principe
consiste à ne transférer à l'Union Européenne
que les actions qui n'auraient pu être correctement exercées
au niveau des Etats membres. Certes, chaque Etat a ses particularités
et connaît son marché national des télécommunications
mieux que personne mais, dès lors que l'on parle d'interconnexion
de réseaux, la compétence de l'Union Européenne
tout entière se fait ressentir afin que le développement
des infrastructures et leur utilisation se fasse harmonieusement
à travers tous les Etats membres.
1.2.2. La nécessaire harmonisation
On peut cependant se demander si l'Union Européenne n'aura
qu'un rôle de coordination a posteriori, sorte de régulateur
suprême, ou si elle aura le rôle initial de donner
l'impulsion à la réalisation harmonisée des
réseaux. Les conditions d'interconnexion supposent une
harmonisation de l'ensemble des infrastructures.
Quoiqu'il en soit, chaque opérateur devra fournir un service
prédéfini et de qualité qu'il a été
convenu d'appeler : le service universel.
2. Le service universel en lui-même:
2.1. Le contenu de l'obligation de fourniture du service universel
:
2.1.1. La définition du service universel:
La notion du service universel à l'heure actuelle dans
l'Union Européenne consiste à garantir aux utilisateurs
l'accès, à un prix abordable, à un service
de téléphonie vocale par l'intermédiaire
d'une ligne téléphonique leur permettant d'utiliser
la télécopie et de se connecter à un ordinateur.
La définition actuelle permet donc déjà
aux usagers d'entrer dans la société de l'information
puisqu'elle prévoit une connexion qui permet d'accéder
aux services en ligne, par exemple, par l'intermédiaire
d'Internet. Le service universel doit aussi permettre aux utilisateurs
de bénéficier des services d'opérateurs,
de services d'urgence ou d'annuaires et inclut la fourniture de
téléphones publics.
Définir le concept de service universel suppose de prendre
en considération le nécessaire équilibre
entre deux contraintes :
- Une conception trop étroite du service universel pourrait
mettre en péril la participation des citoyens à
la société de l'information.
- Une vision trop large risquerait de fausser les règles
de concurrence or la concurrence est le principal moteur des améliorations
du service.
2.1.2. La distinction service public/service universel
Le service universel est-il un service public au sens traditionnel
du terme ?
L'analyse de la définition du service universel le laisse
supposer : il s'agit bien de la satisfaction d'un intérêt
général, d'une égalité d'accès
et de traitement des usagers, de la continuité du service
et de son adaptation constante et de la fourniture à un
prix abordable (c'est-à-dire un prix qui n'est pas calculé
par rapport au prix de revient exact).
Par exemple, la nouvelle loi française de réglementation
des télécommunications adoptée le 18 Juin
1996 (17) qui modifie la loi du 29 décembre 1990 afin de
l'adapter aux exigences des Directives Européennes définit
le service universel de la façon suivante à l'Article
35-1 : (18)
Le service universel est " la fourniture à tous,
dans le respect des principes d'égalité, de continuité,
d'universalité et d'adaptabilité d'un service téléphonique
de qualité, à un prix abordable, ainsi que l'acheminement
gratuit des appels d'urgence, la fourniture d'un service de renseignements
et d'un annuaire d'abonnés sous forme imprimée et
électronique et la desserte du territoire national en cabines
téléphoniques installées sur le domaine public.
"
Cependant, dans la conception du service public, les fournisseurs
du service sont définis comme des personnes publiques (Service
Public Administratif) ou assimilées comme telles ou des
personnes privées en relation (concession, délégation)
avec une personne publique. Ici, les entreprises de fourniture
de télécommunications sont des entités de
droit privé et peuvent avoir un régime différent
selon les Etats (en France, France Télécom est un
Etablissement Public Industriel et Commercial, en Belgique par
exemple, Belgacom est une " société anonyme
de droit public ").
Le service universel n'est donc pas tout à fait un service
public au sens traditionnel du terme.
2.2. La mise en oeuvre de cette obligation
2.2.1. Le financement du service universel
Pour la fin Septembre 1996, la Commission devra publier des critères
permettant de déterminer le coût du service universel
et son mode de financement. (19)
Il s'agit d'imposer aux opérateurs de fournir un service
de base qui, autrement, pourrait être intéressant
pour eux sur le plan commercial, ce service appelle à être
financé par des moyens originaux.
Cependant, il existe une possibilité de procéder
au versement des contributions soit par le biais d'un fonds particulier
indépendant au niveau national qui reverseraient les sommes
nécessaires aux opérateurs prestant le service universel,
soit directement aux opérateurs fournissant le service
sous la forme d'une redevance supplémentaire s'ajoutant
aux paiements d'ordre commercial effectués au titre de
l'interconnexion du réseau.
Les tarifs devraient progressivement être fixés
en fonction des coûts.
2.2.2. Le contrôle du service universel:
Qui contrôle la mise en oeuvre de ce service universel
?
Il y aurait un contrôle effectif des autorités réglementaires
(nationales ou communautaires) chargées de déterminer
le contenu du service universel et les obligations qui y sont
attachées.
La loi française a mis en place une nouvelle autorité
de régulation appelée Autorité de régulation
et qui devra être créée le 1er Janvier 1997.
Elle est constituée de 5 membres ( 3 nommés par
décret et 2 respectivement choisis par les présidents
de l'Assemblée Nationale et du Sénat en raison de
leur qualification dans les domaines juridique, économique
et technique.). Leur mandat est de 6 ans, ils sont non révocables
mais les membres nommés par décret sont renouvelés
par tiers tous les deux ans.
L'Autorité de régulation dispose d'un pouvoir d'arbitrage,
ses décisions sont susceptibles de recours en annulation
ou en réformation devant la Cour d'Appel de Paris, elle
a aussi un véritable pouvoir de sanction. (pouvoir de suspension
totale ou partielle, retrait d'autorisation à l'encontre
d'un opérateur de réseaux).
Quelle est la responsabilité des ces autorités
réglementaires ? Aux USA, la question est réglée
par voie de contrôle judiciaire. L'introduction d'un Due
Process Clause européen et de mécanisme de contrôle
judiciaire appropriés pourrait s'envisager dans ce contexte.
L'ouverture complète à la concurrence du secteur
des télécommunications prévue pour le 1er
Janvier 1998 modifie profondément les régimes juridiques
des Etats membres en la matière. Cette suppression des
monopoles aura sans doute comme conséquence une baisse
des coûts des communications et une augmentation des connexions
à Internet.
On évalue en France à 300 000 (seulement) utilisateurs
d'Internet pour plus de 40 millions dans le monde entier (Les
Etats-Unis étant les plus connectés).
Cependant, on constate qu'aux Etats-Unis, le démantèlement
des monopoles en matière de télécommunications
a, dans un premier temps, fait chuter les coûts mais on
constate aujourd'hui un " regroupement " des Baby Bells
(sous forme de fusion ou d'accords d'association) afin de renforcer
leur puissance économique et leurs économies d'échelle.
En sera-t-il de même en Europe ?
Sommaire des Cahiers du GERSE n° 1
Sommaire du Centre Européen Universitaire
Sommaire général du JURIPOLE
Ce serveur est optimisé pour Netscape 3.0.

© Alexis BAUMANN 1997