LE PARLEMENT EUROPEEN
LES PARLEMENTS NATIONAUX
Céline CANALS
L'inscription à l'ordre du jour de la Conférence
intergouvernementale (CIG) de la question du rôle du Parlement
européen et de celui des Parlements nationaux dans l'Union
européenne procède de la volonté d'accroître la
légitimité de l'Union. Elle s'inscrit en outre directement dans
la continuité des avancées issues du Traité sur l'Union
européenne, qui s'était déjà attaché
à renforcer les pouvoirs du Parlement européen (pouvoir de
codécision et rôle dans l'investiture de la Commission
européenne, notamment) et à souligner l'importance d'une forte
implication des Parlements nationaux dans les affaires communautaires
(déclarations 13 et 14 annexées au Traité). Après
le bilan de ces novations, il semble nécessaire d'aller plus loin, dans
ces deux voies, pour que les citoyens européens se sentent davantage
concernés par une Union dont la légitimité et le
caractère démocratiques seraient accrus. En effet, ainsi que le
résume le Groupe de réflexion dans son Rapport,
"Améliorer la démocratie de l'Union signifie (...) renforcer
le Parlement européen, dans le cadre de l'équilibre
institutionnel existant, ainsi que le rôle des Parlements
nationaux".
Les propositions concernant le Parlement européen et les Parlements
nationaux procèdent donc de la même problématique
d'ensemble, mais renvoient logiquement à trois séries de
suggestions, de portées différentes : les premières
concernent le Parlement européen, les secondes les moyens de favoriser
l'implication des Parlements nationaux dans l'Union, et les troisièmes
cherchent à renforcer les relations entre le Parlement européen
et les Parlements nationaux. Nous présenterons successivement les
principales propositions concernant ces trois questions.
1. Le Parlement européen.
Dans la perspective de l'élargissement, et pour éviter la
paralysie de cette institution, la question de la composition du
Parlement européen devrait être abordée. L'examen des
différentes positions montre qu'un large accord existe sur la
nécessité de fixer un nombre maximal de sièges, qui
devrait être de 700 membres maximum pour l'Union élargie, la
majorité des parties ayant souscrit à la proposition du Parlement
européen lui-même.
Autre question ayant recueilli une assez large adhésion, après
controverses toutefois : celle de la procédure électorale
uniforme (déjà prévue à l'art. 138 §3
du Traité) : on semble donc s'acheminer vers une réforme de la
procédure électorale, pour que les députés
européens soient élus selon la même procédure en
1999, sur une base régionale.
Concernant la question générale de l'accroissement des
pouvoirs du Parlement européen, s'il existe une
quasi-unanimité sur ce point, soulignons toutefois la position du
Gouvernement britannique, rejointe dans une moindre mesure par le Gouvernement
français. Le Gouvernement britannique en effet "ne pense pas
(...) que le Parlement européen ait besoin de pouvoirs nouveaux.
Il n'accepte pas non plus que dans une Union d'Etats nations, il puisse se
substituer au rôle premier des Parlements nationaux" (Livre blanc sur
la CIG, 12 mars 1996). Alors que pour les autres Etats membres le renforcement
de la légitimité démocratique de l'Union passe par des
propositions concernant à la fois le Parlement européen et les
Parlements nationaux, le Gouvernement britannique adopte une démarche
différente, fondée sur le seul développement du rôle
des Parlements nationaux et refusant tout nouveau pouvoir au Parlement
européen, dont il estime par ailleurs qu'il doit davantage faire la
preuve qu'il est capable d'utiliser de manière responsable les pouvoirs
qui lui ont été conférés par le Traité sur
l'Union européenne.
Malgré cette position, les propositions vont généralement
dans le sens de la nécessité de renforcer les pouvoirs du
Parlement européen, ce qui renvoie concrètement à
plusieurs types de questions.
Se situe à ce niveau la question de la simplification des
procédures décisionnelles, la majorité souhaitant une
limitation à deux ou trois procédures législatives
différentes, essentiellement la consultation, la codécision et
l'avis conforme du Parlement européen. L'examen de la
nécessité d'élargir la procédure de
codécision est explicitement prévu à l'article 189 B.
Se rallie à cette nécessité la plupart des Etats membres.
De nombreuses propositions suggèrent d'étendre la
procédure de codécision à tous les cas où le
Conseil des ministres décide à la majorité
qualifiée (notamment les Gouvernements espagnol, belge,
néerlandais et les Länder allemands).
Concernant l'avis conforme du Parlement européen, le Groupe de
réflexion se fait l'écho de certains Etats membres qui souhaitent
que cette procédure soit applicable quand le Conseil prend des
décisions à l'unanimité (modification des Traités,
ressources propres, article 235, accords avec des pays tiers). La Commission
elle-même "estime que le fait que le Parlement ne soit pas
amené à donner son avis conforme sur les modifications
apportées au Traité constitue une lacune".
La question des pouvoirs de contrôle du Parlement européen
est elle aussi multiple. Les propositions vont ainsi dans le sens
d'accroître son contrôle sur l'usage des fonds du budget
communautaire (Gouvernement néerlandais), ainsi que son contrôle
sur la Commission, à la fois en renforçant ses pouvoirs dans
l'investiture de celle-ci, ou même en donnant au Parlement un droit de
veto individuel sur chaque commissaire (idem). Pour le Royaume-Uni, l'essentiel
des pouvoirs du Parlement européen doit consister dans le contrôle
des dépenses communautaires, pour les restreindre, et dans la lutte
contre la fraude.
Symptomatique des débats concernant le rôle du Parlement
européen dans l'architecture future de l'Union, les débats sur la
place qui peut lui être accordée dans les travaux de la
Conférence Intergouvernementale : malgré le veto initial des
gouvernements britannique et français, les Ministres des Affaires
étrangères ont fini par aboutir à un accord le 25 mars
1996 sur les modalités d'association du Parlement européen aux
travaux de la CIG, accord confirmé par le Conseil européen le
29 mars. L'association du Parlement européen se fera selon les
modalités suivantes :
- Les réunions du Conseil européen qui traiteront de la CIG
commenceront par un échange de vues avec le Président du
Parlement européen portant sur les sujets à l'ordre du jour.
- Les sessions ministérielles de la CIG seront
précédées également d'un échange de vues
avec le Président du Parlement européen, assisté des
représentants du Parlement européen, portant sur les sujets
figurant à l'ordre du jour.
- Une fois par mois et chaque fois que les représentants des ministres
le jugeront utile d'un commun accord, la Présidence organisera une
réunion de travail en marge des sessions des représentants des
ministres, consacrée à un échange de vues approfondi avec
les représentants du Parlement européen.
- La Présidence assurera de manière régulière
l'information orale ou écrite du Parlement européen.
2. Les Parlements nationaux.
Deux déclarations annexées au Traité sur l'Union
européenne avaient reconnu la nécessité d'une plus forte
implication des Parlements nationaux dans la construction communautaire : les
déclarations ndeg. 13 relative au rôle des Parlements nationaux
dans l'Union européenne, et ndeg. 14 relative à la
conférence des Parlements. Dans pratiquement tous les Etats membres, il
existe aujourd'hui une procédure aménageant l'intervention des
Parlements dans les affaires communautaires, telle la procédure
prévue à l'article 88 §4 de la Constitution en France.
C'est à l'unanimité qu'est reconnue la nécessité de
renforcer ce rôle des Parlements nationaux. C'est le cas tout
spécialement, nous l'avons vu, pour le Gouvernement britannique qui
estime que "Les Parlements nationaux restent le siège premier de la
légitimité démocratique dans l'Union européen, les
ministres nationaux siégeant au Conseil restant responsables devant eux.
Le Gouvernement tient à développer ce rôle".
Une première série de propositions vise à inscrire dans
le corps même du Traité le rôle des Parlements
nationaux, que ce soit en y introduisant des dispositions spéciales
(proposition du Gouvernement belge) ou en y insérant les principaux
éléments de la Déclaration ndeg. 13 (Gouvernement
britannique). Cette nouvelle situation conférerait évidemment
plus de poids à l'intervention des Parlements nationaux.
D'autres propositions ont plus concrètement pour objet
d'aménager les modalités de cette intervention, pour lui
assurer l'efficacité nécessaire. A ce sujet, le Groupe de
réflexion, la Commission et le Gouvernement belge soulignent que le
rôle que les Parlements nationaux peuvent jouer dépend des
règles internes de chaque Etat membre, pour lesquelles l'Union n'a pas
compétence, et que l'influence de facto qu'ils ont
déjà sur le processus décisionnel communautaire se fait
essentiellement par leur contrôle sur l'action de leur Gouvernement et
sur la mise en oeuvre du droit communautaire. Il est cependant possible de
prévoir au niveau communautaire des règles pour faciliter leur
intervention. Si le Gouvernement britannique souligne la
nécessité pour les Parlements de disposer de suffisamment de
temps pour examiner les propositions de textes communautaires, les
propositions du Groupe de réflexion sont plus précises, insistant
tout spécialement sur l'obligation pour les institutions de l'Union de
leur fournir toute l'information nécessaire et d'une
manière générale de faciliter leurs travaux : "Ce but
pourrait être atteint par une modification du Traité et/ou
l'adoption d'un code de conduite approprié, de sorte que chaque
Parlement national reçoive une documentation claire et complète,
dans sa langue officielle et suffisamment à l'avance (on a
évoqué un délai de quatre semaines), pour toute
proposition législative importante de la Commission, afin de pouvoir
l'examiner et en discuter avant que le Conseil ne délibère et ne
prenne une décision à son sujet".
Les parlementaires grecs ont formulé des propositions ambitieuses :
outre l'obligation pour la Commission de fournir des informations
complètes sur toutes ses activités, ils demandent un droit de
regard systématique d'une part sur toute activité impliquant la
concession d'un droit souverain, et d'autre part sur l'application du
principe de subsidiarité, avec la possibilité de saisir la
Cour de justice des Communautés s'ils estiment ce principe
violé.
De son côté, le Sénat français a
préconisé la création, aux côtés du Parlement
européen, d'une seconde chambre parlementaire européenne,
composée de délégations des Parlements nationaux. Ce
"Sénat européen" serait compétent pour les
2ème et 3ème piliers, ainsi que pour le contrôle du
principe de subsidiarité. Cette suggestion, qui a rencontré un
certain écho seulement auprès de quelques parlementaires
britanniques, a été clairement rejetée, notamment par le
Groupe de réflexion, le Gouvernement italien et le Parlement
européen.
La dernière série de propositions pour renforcer l'intervention
des Parlements nationaux concerne le développement de la
coopération interparlementaire.
3. Les relations entre le Parlement européen et les Parlements
nationaux.
Les relations interparlementaires sont expressément visées aux
Déclaration ndeg. 13 et ndeg. 14 annexées au Traité sur
l'Union européenne. Ces relations se font essentiellement sous trois
formes.
La Conférence des Parlements (ou Assises), qui fait l'objet de la
Déclaration ndeg. 14, n'a tenu qu'une seule session à Rome en
décembre 1990. Le Groupe de réflexion, jugeant cette formule
effectivement peu opérationnelle, ne recommande pas de la
développer.
La seconde formule, plus informelle, est la Conférence des
Présidents des Parlements, qui se réunit environ tous les deux
ans depuis 1975. Aucune proposition ne concerne ces deux formes de
coopération.
Enfin, il existe une troisième forme de coopération, qui
fonctionne bien et qui fait l'objet de nombreuses propositions de
réformes dans le cadre de la CIG, pour renforcer son rôle : la
Conférence des Organes Spécialisés en Affaires
Communautaires (COSAC). La COSAC, qui réunit tous les six mois
depuis novembre 1989 des parlementaires nationaux et européens,
s'efforce de développer l'intervention des Parlements nationaux dans
l'Union. Lors de ses XIIème et XIIIème Conférences, la
proposition française de "Sénat européen" a
été rejetée, la Conférence examinant par ailleurs
les moyens de réformer et renforcer la COSAC "pour qu'elle soit en
mesure d'exercer un rôle nouveau si la CIG en décide ainsi"
(Assemblée nationale, Rapport d'information ndeg. 2366, "Les Parlements
nationaux, acteurs de l'Union européenne"). Il est ainsi
suggéré que le rôle de la COSAC soit reconnu dans le
Traité et qu'elle soit compétente pour l'examen de l'application
du principe de subsidiarité, pour l'examen des questions relatives aux
2ème et 3ème piliers et, dans le cadre du Traité CE, pour
les domaines où le Conseil décide à l'unanimité.
Si les différents rapports présentés pour la
préparation de la CIG ne se prononcent pas sur le détail de la
réforme nécessaire, on peut constater une quasi-unanimité
quant à la nécessité de renforcer la coopération
entre les Parlements nationaux et le Parlement européen, soit que les
propositions fassent explicitement référence au
développement d'une telle coopération dans le cadre de la COSAC
rénovée, soit qu'il soit suggéré la mise sur pied
d'un organe très proche dans ses principes, comme le "Comité
interparlementaire" proposé par l'Assemblée nationale
française. Soulignons, en l'occurrence, que c'est à travers la
COSAC que la présidence doit assurer l'information des Parlements
nationaux sur le déroulement de la Conférence
Intergouvernementale tout au long des travaux (accord précité du
Conseil du 25 mars).
Quel que soit le mode d'association qui sera retenu, et en raison du consensus
sur la question, il semble donc que le principe d'un renforcement de la
coopération entre le Parlement européen et les Parlements
nationaux soit acquis, dans le but de remédier au déficit
démocratique de l'Union, au même titre que le renforcement du
Parlement européen.
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