PROPOSITIONS CONCERNANT LE TROISIÈME PILIER

Laure BRÉVIGNON



Introduite par le Traité de Maastricht parmi les objectifs de la construction communautaire, la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, malgré le caractère essentiellement intergouvernementale des procédures mises en oeuvre dans ces domaines, avait été perçue comme une avancée significative et salutaire. Elle devait en effet permettre de clarifier et d'améliorer la situation complexe qui prévalait jusqu'alors, notamment en matière de coopération policière. Or, force est de constater, quelques deux ans après l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht (mises à part deux actions conjointes engagées sur la base de l'article K3 ainsi que la signature d'une Convention en matière de simplification des procédures d'extradition) que les résultats obtenus dans le cadre du troisième pilier restent décevants.
C'est donc à partir d'un constat d'échec que la CIG est amenée à envisager la révision du Titre VI. Les solutions proposées pour améliorer l'efficacité de ce Titre se répartissent suivant deux optiques: l'introduction d'aménagements souvent faciles à mettre en oeuvre et répondant à un souci de transparence et de rapidité, d'une part (partie I); le transfert, à moyen terme, du processus décisionnel communautaire au sein du troisième pilier ou encore la communautarisation de certaines matières de ce pilier, d'autre part (partie II).



1. Les aménagements possibles


1.1 Une meilleure rédaction du Titre VI

La Commission de l'Union se prononce ainsi pour une clarification des objectifs à atteindre dans le cadre de l'article K1. Ceux-ci devraient faire l'objet d'une véritable définition et ne plus être simplement énumérés en une liste de domaines d'intérêt commun.
Le Parlement européen prône, pour sa part, l'établissement d'un calendrier pour l'adoption de certaines mesures dans des secteurs déterminants tels que le contrôle aux frontières extérieures, l'extradition, les visas, la politique d'asile ou encore Europol. L'insertion, dans le Traité, d'échéances à respecter, outre un effet symbolique, devrait avoir pour résultat de donner une certaine impulsion à la prise de décision.

1.2 L'instauration de la transparence

Le caractère intergouvernemental et, partant, confidentiel des décisions prises dans le cadre du troisième pilier a été fortement décrié. D'où une volonté affichée des Parlements nationaux de se voir mieux informés des travaux engagés par le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI ci-après). C'est ainsi la position soutenue par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Une autre idée avancée est de reconnaître à un organe représentatif des Parlements nationaux (une sorte de COSAC -Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires- rénovée) la possibilité d'être consulté sur toute question relative aux piliers intergouvernementaux.
Cette demande de transparence concerne également la communication des travaux débattus au sein du Conseil JAI. Ce problème a été tout particulièrement souligné par les ONG qui, à l'exemple de l'ECRE ( European Council on Refugees and Exiles), réclament la publication des décisions au Journal Officiel ainsi que la mise à disposition du public des documents et comptes-rendus des délibérations du Conseil.


1.3 Une coordination accrue

Ce rôle de coordinateur reviendrait à un Secrétariat général placé sous l'autorité directe du Conseil JAI. Outre une compétence pour proposer des décisions et coordonner les applications de celles-ci, le Secrétariat aurait également en charge l'encadrement des négociations menées dans les différentes structures de travail du troisième pilier en fonction des orientations définies par le Conseil. Cette démarche permettrait au Conseil de remplir sa mission initiale (exprimer une volonté politique) et le délivrerait de son poste de dernier maillon de la chaîne en matière de coordination.


1.4 Une accélération de la prise de décision

La mise en place d'une clause de sortie (opting out) permettrait à certains États de se retirer de la négociation et, partant, de ne pas freiner, voire d'empêcher, la prise de décision.
Une autre proposition pour accélérer la mise en oeuvre des objectifs définis au titre K1 a été faite par le gouvernement français. Il s'agirait ici de permettre l'entrée en vigueur des textes sans attendre le dépôt des instruments de ratification de l'ensemble des États-membres. Grâce à une telle mesure, l'application des décisions devrait être beaucoup plus rapide.



2. La communautarisation à terme


2.1 La communautarisation du processus décisionnel

La réduction du nombre de structures intervenant dans le cadre du troisième pilier s'avère souhaitable. Il apparaît dès lors nécessaire de remplacer les cinq niveaux de travail du Titre VI par les trois structures de négociation auxquels les États-membres sont habitués au niveau communautaire, à savoir : groupes de travail, Coreper, Conseil des Ministres. Les fonctionnaires des groupes directeurs et du Comité K4 seraient ensuite répartis entre ces instances.
La communautarisation de la procédure sous-entend également au regard de la Commission ainsi qu'à celui de certains partis politiques comme le parti des Socialistes européens:
- l'introduction des instruments juridiques du droit communautaire, tels que la directive par exemple.
- le recours à la règle de la majorité qualifiée, plutôt qu'à celle de l'unanimité, en matière de vote au sein du Conseil.
- l'extension du droit d'initiative de la Commission à l'ensemble des objectifs visés à l'article K1.
- la reconnaissance des compétences du PE. Certains gouvernements, comme le gouvernement belge, réclament même le recours à la procédure de la co-décision.

Enfin, les méthodes de contrôle prévues par le droit communautaire devraient pouvoir s'appliquer au troisième pilier. Reprenant l'analyse développée par le professeur David O'Keefe (University College of London), les transferts de souveraineté dans le domaine de la justice et des affaires intérieures ne s'avèrent en effet acceptables que si un contrôle démocratique est assuré. Cette mission de contrôle concerne en premier lieu la Cour de Justice de Luxembourg dont les compétences devraient s'étendre à l'ensemble des matières visées à l'article VI. Un contrôle apparaît également souhaitable en ce qui concerne les activités d'Europol. La Cour des comptes devrait, pour sa part, être habilitée à exercer un contrôle budgétaire sur les fonds destinés au troisième pilier.


2.2 La communautarisation des matières visées à l'article K1

Une position maximaliste avait été tout d'abord été exprimée par le Parlement européen. Le rapport Piquer, adopté en juillet 1993, demandait en effet le transfert, dans le premier pilier, de la totalité des domaines d'intérêt commun visés à l'article K1 suivant la procédure communautaire de l'article N. Cette position avait ensuite été abandonnée, le Parlement européen préférant envisager une solution plus réaliste. Ainsi, les conclusions adoptées par la commission des libertés publiques et affaires intérieures vont, actuellement, dans le sens d'un transfert de quelques matières seulement du troisième pilier vers le premier.
Les propositions dégagées par le Groupe de réflexion de Carlos Westendorp ainsi que le point de vue défendu par Marcelino Oreja (Commissaire européen chargé des questions institutionnelles) rejoignent cette idée de transfert limité à certaines compétences. Ces dernières font d'ailleurs l'objet d'un consensus entre les Institutions et les États-membres: ne devraient être ainsi communautarisées que les matières les plus proches du premier pilier, à savoir, la politique d'asile, les conditions de délivrance des visas ou encore le contrôle aux frontières extérieures. Une telle approche reçoit le soutien tout particulier de l'Allemagne qui voit en la communautarisation de ces domaines le moyen "d'équilibrer les flux de réfugiés cherchant à profiter des différences existant d'un pays à l'autre". Les autres gouvernements européens sont en majorité favorables à une telle solution et certains d'entre-eux ajoutent même à la liste: la lutte contre la drogue et contre la fraude ou encore la coopération douanière. La communautarisation des coopération judiciaire (en matière civile et pénale) et policière, aspects relevant davantage de la souveraineté nationale, n'est cependant pas envisagée.
La question de l'article K9, dit article passerelle, a également été soulevée. L'avis de la Commission, partagé par le Mouvement européen, est ici sans appel: la procédure envisagée pour mettre en oeuvre cet article est beaucoup trop lourde et devrait être simplifiée (abandon du vote à l'unanimité au profit du vote à la majorité qualifiée par exemple) pour permettre un transfert rapide de certains objectifs du Titre VI au premier pilier.

Les propositions pour améliorer l'efficacité du troisième pilier sont donc multiples. Il est vrai que le bilan dressé après deux ans d'une coopération policière et judiciaire balbutiante aurait difficilement justifié un maintien du statu quo. Des avancées significatives doivent donc être effectuées et la communautarisation de certains objectifs visés à l'article K1 (tels que le franchissement des frontières, la politique en matière d'immigration ou encore de droit d'asile) apparaît urgente. Sachant que, comme ne manque pas de le souligner la Commission, la poursuite d'une telle logique pose à terme la question de l'intégration des Accords de Schengen dans le Traité communautaire.





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