LE DEFI DE L'ELARGISSEMENT
Valérie BLANCK
1. Les enjeux d'un élargissement
La perspective d'un élargissement de l'Union est un fait qui n'a
pourtant pas été intégré aux travaux des divers
négociateurs du Traité de Maastricht. De vives critiques ont
d'ailleurs été émises à leur égard. On
estimait, qu'en ne tenant pas compte d'une possible intégration des pays
d'Europe centrale et orientale, le Traité sur l'Union européenne
se trouvait déjà en décalage par rapport à
l'éclatement et aux bouleversements, que connaissait alors le bloc
communiste.
Le compromis de Ioannina - qui a offert la preuve d'un tel déphasage - a
encouragé les Douze à adopter une déclaration
précisant que la question serait abordée lors de la
Conférence des représentants des gouvernements des Etats
membres.
Ainsi, la question institutionnelle se trouve placée au centre des
débats préparatoires à la C.I.G. et son dessein est de
définir les conditions du fonctionnement d'une Union appelée
à s'élargir. Ce processus d'élargissement, qui
pèsera sur le statut, les pouvoirs et la composition des institutions
actuelles demeure nécessaire. Si l'on en croit Klaus Hänsch,
l'Union n'a pas à choisir entre l'approfondissement et
l'élargissement, mais entre l'élargissement ou la
dissolution.
2. Approche synthétique de la position des instances
communautaires
Les institutions sont invitées à établir, avant le
début des travaux du groupe de réflexion, des rapports sur le
fonctionnement du Traité sur l'Union européenne, qui
constitueront une contribution aux travaux du groupe (déclaration
du Conseil européen de Corfou ; juin 1994).
2.1 La Commission européenne et les pays candidats à une
adhésion à l'Union
La Commission européenne a, le 10 mai 1995, adopté un
rapport sur le fonctionnement du Traité de Maastricht.
La Commission retient comme second enjeu de la C.I.G. celui d'accueillir
au sein de l'Union les pays candidats à l'intégration, tout
en préservant les acquis de quarante ans de construction
européenne.
La Commission fait porter son attention sur l'amélioration des
mécanismes de prise de décision - en admettant que le défi
du nombre, ainsi d'ailleurs que la pratique des Etats - doivent amener à
prévoir un recours accru - mais non exclusif - à la
règle de la majorité. Ce renforcement de la capacité
décisionnelle incite, selon la Commission, à approfondir la
réflexion sur les rythmes d'intégration
différenciés. Pourtant, la Commission se refuse à
cautionner une dérogation permanente - comme c'est le cas en
matière sociale - et qui conduirait à une Europe à
la carte susceptible de mener à la non-Europe.
En somme, élargir encore l'Union sans la réformer serait
tuer l'idée européenne (LAMASSOURE A. Le Monde, 31
mai 1994).
2.2 L'élargissement et l'avenir de l'architecture judiciaire de
l'Union
La Cour de justice a entamé une réflexion sur l'avenir de
l'architecture judiciaire de l'Union (Rapport de la Cour de justice sur
certains aspects de l'application du Traité sur l'Union
européenne, Luxembourg, mai 1995). La Cour, ne décidera de
multiplier les instances judiciaires, qu'en cas de
nécessité objective liée à la
réalisation d'un élargissement. Elle n'exclut pas, cependant, la
possibilité de réaliser une spécialisation des
chambres du Tribunal, ou le cas échéant, de créer de
nouvelles juridictions communautaires spécialisées. Ce
système des deux instances, autoriserait à assurer le traitement
de la plupart des recours directs devant un ou plusieurs tribunaux de
première instance, tout en réservant la faculté de
soumettre, certains pourvois portés devant la Cour, à un
régime de filtrage.
En réalité, la multiplication des organes judiciaires ne
serait pas de nature à mettre en péril l'unité de la
jurisprudence, à condition que l'on maintienne une juridiction
suprême assurant l'unité d'interprétation par le biais d'un
pourvoi, ou le cas échéant, d'un mécanisme
préjudiciel
En tout état de cause, la Cour a conscience qu'un accroissement du
nombre des Etats membres de l'Union engendrerait inéluctablement une
augmentation du nombre des juges - quoique le lien entre "nationalité"
et "appartenance à la Cour" ne soit pas consacré par les
Traités - et serait susceptible de faire franchir à la formation
plénière de la Cour la frontière invisible séparant
une juridiction collégiale d'une assemblée
délibérante,de nature à mettre en danger la
cohérence de la jurisprudence.
Ne réfutant nullement l'idée d'une perspective
d'élargissement de l'Union, la Cour considère, bien au contraire,
qu'un tel processus accentuerait sa légitimité. La Cour n'entend
pas mettre à plat toute l'organisation judiciaire, même si elle se
rallie à l'idée d'une réforme de l'agencement du
système judiciaire, dans le cadre de la C.I.G.
2.3 Le Parlement européen et l'évaluation des contraintes de
l'élargissement
Le Parlement européen a établi son rapport sur le
fonctionnement du Traité sur l'Union européenne : mise en
uvre et développement de l'Union, le 12 mai 1995.
Le rapport sur la mise en uvre de l'Union, a été
confié à Jean-Louis BOURLANGES. Selon ce dernier, la C.I.G. ne
pourra aboutir à la mise en uvre d'un processus réussi
d'élargissement, si elle ne se dote pas au préalable d'une
analyse rigoureuse (...) des défis [au nombre de trois] qu'il lui
appartient de relever pour réussir sa mutation.
Le premier, est le défi du nombre qui emporte pour conséquences
majeures l'abandon de la règle de l'unanimité, même
si cela n'implique pas nécessairement qu'elle soit toujours et partout
remplacée par celle de la majorité qualifiée ou de la
majorité renforcée; des formules plus souples, comme le droit
d'engagement des Etats volontaires (...) peuvent être utilement
expérimentées pour certaines décisions et la
disqualification de l'intergouvernemental. Il ne conçoit pas
un élargissement de l'Union sans une logique de division du
travail et de différenciation des tâches entre l'assemblée
des Etats (Conseil européen et Conseil des Ministres) et une
autorité plus restreinte et plus cohérente qui leur soit
commune.
Le second défi est celui de la diversité : le grand
élargissement en direction des pays d'Europe centrale et orientale,
c'est-à-dire de ceux que le dernier siècle a (...) coupé
de notre moitié d'Europe, constitue (...) un défi sans
précédent pour l'Union européenne.
Pour faire face à ce défi, J.L. BOURLANGES propose que l'Union
fasse un usage accru de la subsidiarité, de la
solidarité, des rythmes différenciés
d'intégration - tout en rappelant que le Parlement européen
n'est guère attaché au principe d'une Europe à
géométrie variable, même si celle-ci domine
insidieusement la construction européenne des années 90.
Il tient pourtant comme inévitable le maintien et même le
développement d'une certaine dose de géométrie variable
dans l'organisation de l'Europe future.
Le troisième défi ressort de la puissance et de la
sécurité. Un élargissement futur rendra
inéluctable l'accroissement du devoir de vigilance politique et de
vaillance militaire.
Le rapport Martin-Bourlanges est l'expression de la position officielle du
Parlement.
En somme, la position des instances communautaires tend à faire de 1996,
l'instrument d'une véritable refondation de l'Union européenne.
En outre, le Parlement européen rappelle les engagements pris par le
Conseil européen de Essen en ce qui concerne la stratégie de
pré-adhésion et s'attend à une vision claire (pour 1996)
sur l'Union élargie et ses retombées sur le plan institutionnel,
financier et en matière de politiques communes.
2.4 Rapport du Président du groupe de réflexion sur la
C.I.G. (Carlos WESTENDORP)
Le Groupe s'accorde, avant tout, à souligner le caractère
essentiel de l'élargissement. D'ailleurs, il admet que tous les
candidats - répondant aux critères établis lors du Conseil
européen de Copenhague - ont vocation à adhérer (Pays
d'Europe centrale et orientale ; Malte ; Chypre ; pays baltes).Selon le Groupe,
les négociations d'élargissement débuteront à
l'issue de la Conférence, avec tous les candidats réunissant les
critères exigés.
En réalité, le prochain élargissement se doublera d'une
approche globale et d'une prise en considération de formules
d'adaptation souples, tout en maintenant l'acquis communautaire.
2.5 Position du Groupe de réflexion pour le Sommet de
Madrid
Le Groupe a soutenu qu'il fallait une amélioration du
fonctionnement de l'Union européenne afin de la préparer à
son élargissement.(Agence Europe, 15 déc.1995).
Il a précisé que les négociations en vue de
l'adhésion de Malte et de Chypre à l'Union, commenceraient six
mois après la conclusion de la C.I.G., afin de tenir compte de ses
résultats. Il s'est félicité du dialogue entamé
avec ces deux pays, en juillet 1995, dans le cadre de la
pré-adhésion.
Il a, en outre, confirmé la nécessité de préparer
au mieux l'élargissement, sur la base des critères retenus
à Copenhague, et dans l'optique de pré-adhésion,
déterminée à Essen, pour les PECO.
Enfin, le Conseil a invité la Commission à poursuivre son travail
d'évaluation des effets de l'élargissement sur les politiques
communautaires.
3- L'attitude des Etats membres de l'Union
En France, M. JUPPE a admis que l'élargissement
était nécessaire et inéluctable (processus
irréversible auquel nul ne saurait s'opposer sans risquer de faire
éclater l'Union), mais qu'il ne devait conduire, en aucun cas,
à une Europe "à la carte".
Le Gouvernement allemand a, également, fait état de l'exigence
d'un élargissement de l'Union. Cet élargissement ne saurait se
faire sans une réforme institutionnelle : l'actuelle structure
institutionnelle repose encore sur des décisions prises jadis pour
l'Europe des Six. "
Le Gouvernement britannique a, quant à lui, mis l'accent sur les
sommes astronomiques qui seraient en jeu, dans le cas d'un
élargissement non précédé d'une
réforme des dépenses. Il estime utile d jouer sur la
flexibilité de l'Europe, afin d'assurer la cohésion d'une Europe
élargie.
Selon le Gouvernement italien, cette stratégie vers l'Est doit
s'accompagner également du développement de la composante
méditerranéenne de la politique de l'Union.
Le Gouvernement est convaincu qu'un élargissement ne sera
réalisable - et réalisé - que si cette évolution
comporte un développement institutionnel de l'Union.
Selon le Roi ALBERT de Belgique, l'approfondissement institutionnel est
nécessaire avant que l'Union européenne ne puisse être
élargie.
Pour le Gouvernement suédois, les négociations d'adhésion
doivent s'ouvrir à la même date pour tous, six mois après
la fin de la C.I.G., et les Etats baltes devront être placés sur
un pied d'égalité par rapport aux autres candidats. En outre, le
Gouvernement estime qu'il faudra s'assurer que la charge financière de
l'élargissement soit équitablement répartie.
En réalité, les Etats membres de l'Union sont pour la poursuite
d'un processus d'élargissement assorti de réformes
institutionnelles. Une crise est, selon M. DELORS,
préférable à l'enterrement de l'idée
d'approfondir la construction européenne.
4- Au-delà de la réflexion officielle
* Au début du mois de septembre 1994, le groupe CDU / CSU du
Bundestag, a rendu public un document élaboré dans l'optique de
la C.I.G. Le groupe a retenu la nécessité d'un
élargissement de l'Union, afin de trouver un ordre stable pour la
partie orientale du continent.
Ce document proposait cinq priorités : le développement
institutionnel de l'Union, la réalisation du principe de
subsidiarité, le renforcement du noyau dur de l'Union, l'intensification
qualitative des relations franco-allemandes, le renforcement de la
capacité de l'Union à agir en matière politique
étrangère et de sécurité et l'extension de l'Union
à l'Est.
Selon le groupe CDU / CSU, l'élargissement de l'Union à la
Pologne, la république tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la
Slovénie doit intervenir autour de l'an 2000, mais doit
s'accompagner, pour l'adaptation économique, de très
longues périodes de transition sans doute différentes selon les
pays.(GUENA Y., "La préparation de la CIG de 1996", Les
Rapports du Sénat,, ndeg.104).
La publication de ce document a eu un impact certain; il a conduit nombre
d'Etats à préciser leur propre position.
* L'UEF (Union des Fédéralistes européens) a, en
octobre 1994, encouragé l'élargissement de l'Union , tout en
précisant que le principe de l'unanimité ne saurait être
conservé dans une Union européenne élargie.(Agence
Europe).
* Le mouvement "Federal Trust" a établi son rapport, en
février 1995, estimant que l'élargissement à l'Est
pourra changer l'Union à tel point qu'il devra être
précédé par un accord sur les valeurs centrales et les
objectifs politiques des Etats membres. Il considère, en outre,
qu'il serait sage quetous les Etats membres acceptent des propositions
pour l'approfondissement et l'élargissement simultané de l'Union,
même s'il ne choisissent pas à ce stade de participer à
tous les aspects de l'intégration approfondie.(Agence
Europe).
* Enfin, Eurochambres (Association des Chambres européennes du
Commerce et de l'Industrie) se prononce pour l'établissement, dans une
période intérimaire, d'un nouvel Espace Economique
Européen en vue d'ouvrir progressivement le marché de
l'Union aux pays candidats. Le mémorandum note que
l'élargissement exigera une révision des critères
d'utilisation des fonds structurels, mais souligne que ceci ne devra pas
compromettre l'application des principes de cohésion dans les
régions les moins développées de l'Union
actuelle.(Agence Europe)
Tout le monde s'accorde à considérer que l'Union doit
s'étendre, en saisissant toute la diversité européenne.
Pourtant, on ne saurait ouvrir l'Europe, procéder à son
élargissement, sans opérer une réforme institutionnelle de
l'Union.
Le paramètre de l'élargissement pèsera lourd sur le
statut, les pouvoirs et la composition des institutions actuelles. Selon M.
SANTER, l'élargissement déterminera l'avenir de
l'Europe.(Agence Europe, 30 nov.1995).
Il faudra compter sur les réformes institutionnelles de 1996 afin de
préparer au mieux une Europe ouverte au monde dans la stabilité,
la sécurité, la liberté et la solidarité.
BIBLIOGRAPHIE
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du Traité sur l'Union Européenne", Rapporteur Jordi
Pujol, 21 avril 1995
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Conseil européen de Madrid, "Conclusions de la
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du Traité sur l'Union Européenne", Luxembourg, mai
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Possibilités, recommandations et suggestions visant à
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dans la perspective de la Conférence Intergouvernementale de 1996 sur la
révision du Traité de Maastricht", Direction
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affaires juridiques
Parlement Européen, "Rapport sur le fonctionnement du
Traité sur l'Union Européenne dans la perspective de la
Conférence Intergouvernementale de 1996 - mise en oeuvre et
développement de l'Union", Commission institutionnelle, 4 mai
1995, PE 212.450/def./PARTIE II
Parlement Européen, "Rapport sur le fonctionnement du
Traité sur l'Union Européenne dans la perspective de la
Conférence Intergouvernementale de 1996 - mise en oeuvre et
développement de l'Union", Commission institutionnelle, 4 mai
1995, PE 212.450/def./PARTIE III
Parlement Européen, "Resolution on Parliament's opinion
on the convening of the Intergovernemental Conference and the evaluation of the
work of the Reflexion Group", basé sur le rapport
Dury/Maij-Weggen, 13 mars 1996, A4-0068/96
Parlement Européen, "Résolution sur le
fonctionnement du Traité sur l'Union Européenne dans la
perspective de la Conférence Intergouvernementale de 1996 - mise en
oeuvre et développement de l'Union", Extrait du procès
verbal de la séance du 17 mai 1995, PE 190.441, A4-0102/95
Tribunal de Première Instance, "Contribution en vue de
la Conférence Intergouvernementale de 1996", 17 mai 1995
Positions des Etats membres
Royaume-Uni,
"Livre blanc sur la Conférence
Intergouvernementale"
"The United Kingdom's position with respect to the 1996
IGC", Note on the positions of the member states of the European
Union with respect to 1996 IGC, European parliament, Luxembourg, 8
décembre 1995
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