LA CITOYENNETE EUROPEENNE
Ségolène Barbou des Places
Le traité de Maastricht ne crée pas une véritable
citoyenneté de l'Union. Il se limite à attribuer aux citoyens des
Etats membres des droits envers les Etats dont ils ne sont pas ressortissants.
L'Union n'a pratiquement pas d'obligations à leur égard.
Cette approche ne relève pas d'un manque d'imagination, elle est due
à des biais de structure et de conception de la construction
européenne (Herzog, rapport PE, partie III)
Certes, l'imagination n'est pas absente des propositions relatives à la
citoyenneté européenne. Le citoyen est placé au centre de
la construction communautaire, au coeur de la réforme du traité
de Maastricht.
Véritable sésame, le terme citoyenneté
européenne est utilisé sans référence
sémantique précise, parfois en dehors de toute signification
sociologique ou juridique.
En réalité, la volonté de combler le déficit
démocratique, de renforcer la dimension humaine de l'Union
européenne conduit à des propositions hétéroclites
et souvent peu réalistes, transformant la citoyenneté
européenne en une véritable boîte de Pandore.
C'est ainsi que parmi les diverses propositions sur la citoyenneté
européenne, une très large majorité a pour objet
d'orienter résolument la construction communautaire vers la protection
des droits fondamentaux et les libertés publiques (2).
Quelques propositions plus timides s'attachent toutefois à
développer et renforcer les droits du citoyen de l'Union "au sens
strict", c'est-à-dire des droits consacrant la participation des
individus aux affaires publiques (1).
1. La participation des citoyens aux affaires publiques : des
avancées modérées
Le concept ambitieux de citoyenneté de l'Union ne se traduisant pas
encore dans des dispositions qui confèrent des droits effectifs, un
consensus semble se dégager : la CIG devra s'attacher à
réaliser concrètement la citoyenneté de l'Union, en la
complétant le cas échéant par quelques innovations.
Tout d'abord, les débats qui ont stigmatisé la citoyenneté
de l'Union dans certains Etats n'étant pas clos, il est
nécessaire que le traité indique sans ambiguïté que
la citoyenneté de l'Union ne remplace pas les citoyennetés
nationales. Pour certains, et de manière plus générale,
une clarification des relations entre droit européen et droits nationaux
est indispensable.
Le lien indissociable entre nationalité des Etats membres et
citoyenneté de l'Union semble acquis et les propositions s'attachent
globalement au contenu de la citoyenneté.
Ainsi, le droit à la libre circulation - impliquant le droit de
séjour - doit être épuré de ses limites actuelles,
en lien avec la suppression des contrôles aux frontières
intérieures relevant du troisième pilier.
Par ailleurs, la protection par les services diplomatiques et consulaires de
l'article 8 C du Traité sur l'Union doit devenir réalité.
A cet égard, il serait plus cohérent que l'Union soit
également en mesure d'assurer cette protection.
De même, le droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales et européennes doit faire l'objet d'une
meilleure information auprès de ses destinataires potentiels.
Enfin, la jurisprudence de la Cour de Justice sur l'accès des
ressortissants communautaires aux emplois de la fonction publique nationale
pourrait être consacrée et codifiée dans le nouveau
traité.
Dès lors, faire des dispositions du traité de Maastricht une
réalité tangible constitue un premier volet auquel devront
s'atteler les participants de la CIG.
Mais la citoyenneté de l'Union pourrait être
gonflée de nouveaux droits et les propositions sont
sur ce point très inégales.
Le citoyen pourrait tout d'abord se voir reconnaître un droit
à l'accès à l'information sur les questions de
l'Union. Il est difficile de cerner ce que cette proposition impliquerait
concrètement pour les individus.
Beaucoup plus ambitieuse, la volonté de donner au citoyen un droit de
participation aux affaires publiques. Elle se traduit par deux
suggestions.
La première s'attache à mettre en place une
démocratie directe, reconnaissant à un certain nombre
de citoyens un droit d'initiative populaire et la possibilité de
demander la mise en oeuvre de référendum à
l'échelle de l'Europe. Selon le Parlement européen, cette
"extension de la démocratie directe est peut-être
prématurée, mais il est probable qu'elle s'impose dans
l'avenir".
La deuxième idée, peu réaliste à notre avis, est
d'ouvrir aux citoyens un droit de vote et d'éligibilité
généralisé. Il s'étendrait à toutes les
élections locales (et pas seulement municipales) et nationales.
Ceci nous indique clairement que le rapport du citoyen au pouvoir ne peut plus
être uniquement national. La représentation doit être
rénovée, les relations entre élus et électeurs
devant être remodelées par une réforme du mode de scrutin,
un travail transnational effectif et une rénovation des partis .
Les partis politiques et les associations pourront prendre une place centrale
dans ce système, le droit d'association et de former des partis
politiques européens devant être inscrit dans le
traité.
Dans une toute autre optique, nous devons relever une proposition reprise par
différents groupes de travail, celle de l'instauration d'un corps
européen de la paix.
Conçue sur le modèle américain de l'American peace
corps, une force européenne pourrait être créée,
se voyant confier une mission d'assistance aux Etats membres en cas de
catastrophe naturelle. On suggère de créer un service volontaire
européen, ayant l'intérêt évident de forger des
liens entre les jeunes européens.
Le groupe de réflexion relève toutefois que les modalités
pratiques de cette initiative risquent de susciter des difficultés.
Enfin, la citoyenneté de l'Union, rendue effective et renforcée
par le nouveau traité, ne peut plus être envisagée sans
relation avec les étrangers. Les rapports entre les citoyens et les
ressortissants d'Etats tiers peuvent-ils longtemps encore être
pensés en terme de discrimination sans nuire à la
cohérence du système communautaire lui-même?
Si la Conférence de Turin consacre ces différentes propositions,
elle donnera à la citoyenneté de l'Union un visage plus concret
que la citoyenneté instaurée par Maastricht. Ce faisant, elle
risque de dépouiller l'article 8E §2, cette clause
évolutive n'ayant plus alors qu'une valeur "cosmétique".
La deuxième voie préconisée pour donner un sens et un
contenu à la citoyenneté européenne a probablement plus de
chances d'aboutir. Elle consiste à faire de la citoyenneté
européenne une citoyenneté résolument protectrice des
libertés publiques et des droits fondamentaux.
2. Une citoyenneté résolument protectrice des droits
fondamentaux et des libertés publiques
Les différentes propositions que nous avons pu recenser sont
étonnamment convergentes.
En premier lieu, l'article 6 du traité sur l'Union européenne
(ex-article 7 du TR) consacrant l'interdiction des discriminations
fondées sur la nationalité devrait être élargi.
Aussi, il est proposé d'introduire dans le traité une clause
générale de non discrimination englobant, outre la
nationalité, des facteurs tels que la race, la religion, un handicap,
l'orientation sexuelle, l'âge.
Dans ce même article 6, ou dans un autre article du traité,
devrait parallèlement figurer la condamnation expresse du racisme, de la
xénophobie, voire de toute forme d'intolérance. De
surcroît, le principe d'égalité entre les hommes et les
femmes devrait être renforcé et étendu à tous les
domaines. Il devrait être inclus de manière positive dans le
traité et ne pas résulter uniquement d'une interdiction de
discrimination.
Enfin, afin de donner un sens à ces nouvelles dispositions, certains
proposent d'habiliter l'Union européenne à mettre en oeuvre des
programmes et actions de lutte contre la discrimination.
Un souhait complémentaire émerge : renforcer la garantie des
droits fondamentaux, en contrôlant les actes des institutions de
l'Union ou les actes des Etats membres.
Sur ce point, un florilège de suggestions est à noter, mais un
consensus semble se dégager autour de deux idées.
En premier lieu, l'adhésion de la Communauté à la CEDH est
demandée, permettant aux individus d'introduire des recours en
matière de droits de l'Homme. La Cour de Justice vient de rendre son
avis, négatif, sur cette question. Nous ignorons si la CIG se sentira
liée par cet avis ou relancera le débat sur une future
adhésion.
Alternative à cette première suggestion (ou complément
selon les cas) : l'élaboration d'un catalogue de droits fondamentaux qui
serait inclus dans le traité.
La question en suspens est la place de ce catalogue : dans le préambule,
en dispositif ou en annexe du traité?
Le groupe de réflexion préconise une voie intermédiaire :
intégrer au préambule du traité une codification des
droits et obligations du citoyen qui serait la somme de tous les droits et
obligations mentionnés en diverses parties d'un traité.
Quoi qu'il en soit, le respect des droits fondamentaux ne peut se contenter
d'un catalogue et différents mécanismes de sanctions sont
envisagés.
L'article F§2 pourrait indiquer que les Etats membres doivent
respecter les droits et libertés fondamentales sous peine de sanctions
prises par l'Union européenne.
Pourrait être inclus dans le traité un article prévoyant la
suspension des droits attachés à la qualité de membre pour
tout Etat coupable de violations graves et répétées des
droits fondamentaux.
Ultime sanction proposée, mais ne faisant guère
l'unanimité : l'expulsion. Cette sanction semble peu utile si la
suspension est prévue et remet en cause le principe
d'irréversibilité de l'appartenance à l'Union.
Enfin, nous devons clore cet inventaire en relevant deux propositions qui ne
font pas l'objet d'un consensus.
Est suggérée par certains l'introduction dans le traité
d'une clause d'interdiction de la peine de mort et d'une disposition relative
à la protection des minorités. Certaines réactions
étatiques sont aisément prévisibles...
Un deuxième volet consisterait à insérer dans le
traité des droits à caractère économiques et
sociaux.
Différents moyens sont possibles : incorporer au titre VIII l'accord sur
la politique sociale, considérée comme l'expression de valeurs
communes européennes, inclure la charte sociale européenne dans
le Traité ou élaborer un catalogue de droits sociaux.
Malgré le regain d'actualité de la dimension sociale de la future
Europe, ces suggestions restent embryonnaires.
Certains vont même jusqu'à prévoir un système de
contrôle, c'est-à-dire un système permettant aux citoyens
d'évaluer et de participer à la gestion sociale du marché
européen.
Finalement, sans faire preuve d'un optimisme outrancier, nous pouvons penser
que la CIG donnera à l'Europe ce visage humain, voire "humaniste" qui
lui fait encore défaut. Il n'y a lieu ici que de s'en réjouir.
Mais la dimension politique de la citoyenneté reste très
marginale. La participation du citoyen à la vie de la cité, aux
affaires publiques, n'est pas au coeur de la réforme. Nous ne pouvons
que nous en étonner. Sur ce point, le développement de la
citoyenneté de l'Union nous enseigne que le terme "citoyenneté"
fait décidément preuve d'une étonnante
plasticité...
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