LA PRÉPARATION DE LA CIG

Olivier Audéoud




Le traité sur l'Union européenne dispose à l'article N §2 que "une conférence des représentants des Gouvernements des États membres sera convoquée en 1996 pour examiner, conformément aux objectifs énoncés aux articles A et B des dispositions communes, les dispositions du présent traité pour lesquelles une révision est prévue ".
Cet article a été introduit dans le traité de Maastricht au titre de compromis dès lors que plusieurs questions restaient en suspens et ne pouvaient être résolues. La Conférence pré-programmée a pour objet officiel de faire le point sur la mise en oeuvre du traité de Maastricht et d'examiner des questions énoncées dans ce même traité. La révision ainsi envisagée était déjà cadrée par le traité lui même (1).
La préparation de cette conférence met en évidence un élargissement du débat et une multiplication tant des intervenants que des propositions. La CIG a commencé ses travaux le 29 mars 1996 sous la présidence italienne, mais elle pourrait durer au moins une année avec les présidences de l'Irlande, puis des Pays Bas et au second semestre 1997 du Luxembourg. L'opportunité de cette négociation doit être rapprochée des échéances déjà programmées de la vie de l'Union Européenne pour la fin de cette décennie (2).



1. Les indications du traité de Maastricht.


La révision dévolue par le traité à la CIG porte sur trois grandes questions :


1.1 Les thèmes institutionnels et juridiques

Le premier thème concerne l'élargissement du champ d'application de la procédure de codécision. Cette procédure introduite par l'art 189 B lors du traité de Maastricht accorde un droit de veto au Parlement européen sur certaines questions limitativement énumérés par le traité. L'Allemagne souhaitait élargir la codécision et a fait préciser à la fin de l'art. 189 B que : "Le champ d'application de la procédure visée au présent article peut être élargi, conformément à la procédure visée à l'art. N § 2 du traité sur l'Union européenne"

Le second thème est lié à la procédure décisionnelle ; il s'agit de la définition d'une hiérarchie entre les différentes catégories d'actes communautaires. Une "Déclaration" annexée au traité d'Union fixe que : "La Conférence convient que la Conférence intergouvernementale qui sera convoquée en 1996 examinera dans quelle mesure il serait possible de revoir la classification des actes communautaires en vue d'établir une hiérarchie entre les différentes catégories de normes". La question de la hiérarchie des normes concerne à la fois le partage des compétences législatives entre le Conseil et le Parlement européen et le partage des compétences d'exécution entre le Conseil et la Commission. Le traité d'Union n'ayant pu répondre à la demande de la Commission qui souhaitait des pouvoirs d'exécutions plus importants, celle-ci a obtenu que la question soit à l'ordre du jour en 1996.
Au delà de la répartition des compétences entre institutions, le débat sur la hiérarchisation des normes recouvre deux questions fondamentales.
La première concerne la place institutionnelle du Parlement européen. Depuis 1970 chaque révision du traité contribue à accroître sa compétence, d'abord en matière budgétaire, puis dans le processus décisionnel. Peut-il être accordé au Parlement autre chose qu'un élargissement de la liste des sujets de la codécision ? Le Conseil n'est-il pas conçu comme l'organe clé du système décisionnel ? Et comment répondre aux revendications des Parlements nationaux qui sont de plus en plus pressantes ? Or l'idée dominante de la hiérarchie des normes, outre ordonnancer le droit communautaire, est de fixer une hiérarchie en fonction du degré d'intervention du parlement européen, seul organe démocratique du système institutionnnel communautaire.

La seconde question est rendue plus actuelle par l'Avis 2/94 de la CJCE rendu le 28.3.1996. La Cour conclut à l'incompétence de la Communauté pour adhérer à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'absence de principes fondamentaux inscrits dans le traité et la simple référence faite par le Traité d'Union par l'art. F (" L'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention ... et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire") et l'art. K.2 §1, ne suffisent pas à définir les principes fondamentaux de l'Union européenne. Il y a là une lacune critiquée implicitement par les Cours constitutionnelles italienne et allemande. Le traité d'Union n'est certes pas une constitution, mais l'inscription de principes fondamentaux et la définition d'une hiérarchie des normes communautaire pourrait être pour certains un grand pas, naturel et technique, sans soulever le débat du fédéralisme.


1.2. Les piliers non communautaires de l'Union.

L'article B du traité d'Union dispose que : " L'Union se donne pour objectifs de maintenir intégralement l'acquis communautaire et de le développer afin d'examiner, conformément à la procédure visée à l'art. N §2, dans quelles mesures les politiques et les formes de coopération instaurées par le présent traité devraient être révisée afin d'assurer l'efficacité des mécanismes et institutions communautaires ". Les deux piliers non communautaires de l'Union , la politique étrangère et de sécurité commune (deuxième pilier) et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (troisième pilier) sont ainsi à l'ordre du jour. La Belgique a exigé que la question du développement de ces politiques et de leur éventuelle communautarisation soit examinée.
La politique étrangère et de sécurité commune est également évoquée parmi les thèmes de la révision de la CIG par l'art. J.4 § 6. L'Allemagne et la France souhaitaient une définition plus ambitieuse de la PESC. L'affaire yougoslave a souligné les faiblesses et les difficultés de cette politique.
L'art. J.4. § 6 évoque également l'Union de l'Europe Occidentale, l'UEO dont le traité a été conclu pour 50 ans. La question des liens avec l'UEO et du devenir de cette organisation devait être traité par la CIG.
Les nombreuses critiques sur la mise en oeuvre complexe et limitée du troisième pilier, l'absence de contrôle exercé par le Parlement européen et la CJCE ont confirmé les inquiétudes formulées par la Belgique lors de l'adoption du traité d'Union
Les critiques sur les deux piliers non communautaires sont telles qu'il devrait y avoir un vrai débat à leur sujet. Mais il s'agirait plutôt d'améliorer les politiques et de faire "glisser" dans le champ communautaire des sujets du troisième pilier que de "communautariser" ces deux piliers.


1.3. L'extension des compétences de la Communauté

Une déclaration annexée au Traité d'Union précise que, en ce qui concerne l'énergie, la protection civile et le tourisme, "la question de l'introduction dans le traité instituant la Communauté européenne de titres relatifs à ces domaines sera examinée, conformément à la procédure prévue à l'art. N § 2". Le traité prévoyait ainsi une éventuelle extension de compétence dans des domaines qui font déjà l'objet de mesures communautaires, afin notamment de clarifier la base juridique de la communauté.
Depuis l'entrée en vigueur du traité d'Union, deux domaines ont été évoqués afin de figurer dans le traité. Mais il s'agit plus d'inscrire la spécificité de ces domaines au regard du droit et de la compétence communautaire, que d'étendre la compétence communautaire. Le premier thème qui semble faire l'objet d'un consensus est la référence à la notion de service d'intérêt général, à défaut de la formulation française de service public. Le second thème est celui du sport pour lequel les réunions informelles des responsables du sport de l'Union européenne concluent au souhait d'une référence au sport au même titre qu'à la culture, afin d'en souligner la spécificité.



2. La préparation et le contexte de la CIG.


2.1. La révision du traité instituant l'Union européenne est organisée par l'art. N

"Le Gouvernement de tout État membre ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités sur lesquels est fondée l'Union.
Si le Conseil, après avoir consulté le Parlement européen et, le cas échéant, la Commission, émet un avis favorable à la réunion d'une conférence des représentants des Gouvernements des États membres, celle-ci est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter aux dits traités
Les amendements entreront en vigueur après avoir été ratifiés par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ".

Pour la CIG de 1996 la procédure a été initiée par le traité de Maastricht lui-même. Les conditions d'adoption de la révision restent classiques et du domaine du droit international et du droit constitutionnel de chaque État membre. La règle principale est que le nouveau traité doit être ratifié à l'unanimité des États membres, faute de quoi il ne peut entrer en vigueur.
L'hypothèse d'un refus de ratification n'est pas théorique. Le référendum négatif de juin 1992 au Danemark, avec 50,7% de non, empêchait juridiquement l'entrée en vigueur du traité de Maastricht ; il constitue un précédent qui influe sur la préparation du nouveau traité.
L'obligation de la conclusion à l'unanimité des représentants des quinze États membres, puis de la ratification par chaque État implique un vrai droit de veto pour chaque État et un rôle important de l'opinion dès lors que la ratification est soumise à référendum dans certains États.
La préparation de la CIG illustre d'abord le souci des États de préserver leur intérêt ; ceci est traditionnel. Mais, dans le contexte délicat des sujets à aborder, tels la communautarisation des deuxièmes et troisièmes piliers, les positionnements des États paraissent très réservés. Plusieurs tendances apparaissent. Le couple franco-allemand, traditionnel moteur de la construction européenne souhaite approfondir la communauté, mais la Grande Bretagne déclare officiellement que rien ne doit être ajouté à l'Union européenne. Les petits États, les nouveaux États et les États du sud sont partagés et inquiets. L'un des principaux obstacles officieux est la position du gouvernement britannique de M.Major. Celui-ci est intervenu à plusieurs reprises devant le Parlement britannique en annonçant son opposition à d'éventuels développement de la Communauté. Certains envisagent de faire perdurer la CIG de façon à attendre les élections législatives en Grande Bretagne, dans l'espoir que un gouvernement travailliste ait une politique plus favorable à l'Europe.
La vraie innovation dans la préparation de la révision du traité tient à l'importance de la pré-négociation et à l'intérêt porté à cette Conférence par les acteurs politiques, économiques et sociaux. Les précédentes révisions ont été préparées presque exclusivement par les représentants des États.
La révision effectuée par le traité de Maastricht, sans être préparée de manière confidentielle, est le résultat, dans une première étape, du travail des "Sherpas" et des experts, puis de la diplomatie intergouvernementale.
La préparation de la CIG, à la différence du traité de Maastricht, a fait l'objet de nombreux travaux préparatoires. Les organes de l'Union européenne ont présenté des avis. Les Parlements nationaux ont débattus à l'avance. La préparation est apparue ouverte à tous et susceptible, sans doute, d'être influencée. On a recensé des propositions de personnages politiques, de forces politiques nationales, des groupes économiques, des syndicats et des secteurs professionnels les plus variés.
L'importance des travaux des groupes politiques, économiques, sociaux ou syndicaux est à souligner tant du fait de leur nombre, que par la qualité des propositions. Cependant on peut s'inquiéter des espoirs déçus si la CIG ne parait pas tenir compte de cet effort.
L'ouverture du débat est sans doute le résultat du constat de la dimension européenne de la plupart des dossiers économiques et sociaux. Mais elle est aussi une tentative de réponse au problème qui a été révélé au moment de l'adoption du traité de Maastricht ; comment répondre aux euro-sceptiques et convaincre l'opinion. Le défi est grave et le discours difficile.
Pour mieux être en phase avec l'opinion les travaux préparatoires ont mis à l'ordre du jour deux thèmes qui n'étaient pas inscrits dans la prévision du traité de Maastricht : développer la citoyenneté européenne et définir une action européenne en faveur de l'emploi. Mais cette pré-préparation est limitée. Elle n'a pas levé les ambiguïtés sur les deux piliers intergouvernementaux de l'Union. Elle n'a pas dégagé de perspectives consensuelles sur l'avenir de l'Union. En dernier lieu, le calendrier reste inachevé. La CIG a commencé, mais son échéance n'est pas arrêtée.


2.2. Le contexte de la CIG

Il s'agit simplement de rappeler ici que la CIG, prévue par le traité de Maastricht a bien été initiée comme prévu, mais qu'elle ne peut être dissociée des échéances de la vie de l'Union qui sont inéluctables dans les dernières années du siècle. En même temps que l'on réunit la CIG, d'autres négociations sont nécessaires.
Plusieurs négociations "internes" à l'Union européenne sont programmées.
- Le budget communautaire pour l'an 2000. Les perspectives financières ont été fixés jusqu'en 1999 et doivent être renégociées à compter de 1998 (sous présidence britannique, puis allemande finlandaise et portugaise).
- Le réexamen de la politique de cohésion économique et sociale et des fonds structurels qui sera parallèle à la révision budgétaire.
- La désignation des États participants à la monnaie unique (1998) et sa mise en place (premier janvier 1999). Le Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995 a confirmé le calendrier.
- La révision du traité de l'UEO. Il y a certes un débat sur l'échéance des 50 ans prévus par le traité, doit comprendre le délai à compter du traité de Bruxelles (17.3.1948) ou du traité de Paris (signé le 23.10.1954 et entré en vigueur le 1.5.1955) ? Mais la question devient urgente et est liée à l'évolution de l'Union européenne.
- L'échéance du traité de Paris instituant la CECA. Le premier traité communautaire, signé le 18 avril 1951 a une durée limitée à 50 ans, soit jusqu'au 23 juillet 2002. Il serait rationnel et pratique de fusionner les traités communautaires dès lors que l'on procède à leur révision.

Ces négociations ne peuvent être dissociées des élargissement envisagés. Chacune des négociations intéresse les futurs États membres notamment en ce qui concerne le budget ou la cohésion économique et sociale, mais aussi la CIG qui doit examiner l'avenir institutionnel de l'Union élargie.
L'élargissement parait déjà programmé (sans date) et inéluctable politiquement. Les négociations sont déjà prévues :
- La négociation d'adhésion avec Chypre et Malte doit commencer six mois après la conclusion de la CIG.
- La négociation avec les pays dits de l'Europe centrale est quasiment initié avec la phase de "pré-adhésion" définie par le Livre Blanc de la Commission sur la préparation des États associés de l'Europe centrale et orientale à leur intégration dans le marché intérieur de l'Union (COM-95- 163 final, du 3.5.1995). Elle concerne, du nord au sud, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, soit dix États, sans compter les États de l'ancienne Yougoslavie et le cas de la Turquie.

L'échéance 1997-1998 apparaît exceptionnelle par l'ensemble des négociations européennes. Il ne faudrait pas considérer isolément la CIG. Celle-ci est importante par sa connotation politique et l'évaluation que l'on en tirera sur la force des européens à approfondir leur union. L'introduction de la monnaie unique est sans doute au moins aussi important pour rendre crédible la volonté européenne. L'enjeu est fondamental pour l'avenir de l'Europe tant pour elle même que par rapport au reste du monde. La clé est la conviction de l'opinion.





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