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Conférence du Stage

L'expérimentation médicale sur l'Homme

par Maître Patrice VOILQUE
Avocat à la Cour de Nancy




RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE
22 avril 1989

Des archéologues contemporains ont retrouvé des crânes humains d'époque néolithique porteurs d'orifices artificiellement forés, mettant en évidence des fractures suivies de trépanations, et il semble que sur les 32 individus ainsi opérés, 19 aient survécu.

En Perse ancienne, la pratique veut que le roi livre les criminels condamnés pour qu'ils soient soumis à des expériences scientifiques.

En 1581, François Rousset tente avec succès la première opération césarienne sur une femme vivante, et au XVIIIe siècle, Harvey réalise des expériences contrôlées sur l'animal et sur l'homme afin de démontrer que le sang circule au travers du coeur et des poumons.

A la fin du siècle dernier, Pasteur, après de longues expériences sur l'animal, et non sans hésitation, teste l'efficacité de son vaccin antirabique sur l'être humain.

Après la seconde guerre mondiale, des chercheurs américains sur la base des travaux de Flemming sur la pénicilline, en isolent le principe antibiotique dont ils vérifient l'efficacité sur l'animal puis sur l'homme, permettant ainsi à la médecine de réaliser un prodigieux bond en avant dans le traitement des maladies infectieuses.

*

L'homme a toujours tenté, par de multiples expériences réalisées tant sur lui-même que sur ses semblables, de comprendre le fonctionnement de son organisme afin de prévenir ou de soigner les maladies qui l'attaquent.

*

Il n'est pas douteux que l'expérimentation médicale sur l'homme a permis à la médecine de réaliser de grands progrès pour le bien-être de l'humanité toute entière, mais il ne faut pas non plus se cacher qu'elle a également pu engendrer des abominations telles que celles survenues à l'époque nazie.

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Le développement rapide de la chimie moderne permettant à partir des années 60 de disposer de molécules de synthèse, débouchant sur des médicaments toujours plus nombreux et efficaces, l'extraordinaire avancée de la recherche et des biotechnologies, qui pose d'ailleurs des questions graves et totalement nouvelles, notamment dans le domaine de la vie prénatale et de la procréation médicalement assistée, ainsi et surtout que la médiatisation des « affaires médicales » ont tendance à faire renaître dans l'opinion publique une certaine méfiance du médecin déjà exprimée par Pline l'Ancien :

« Les médecins s'instruisent à nos risques et dépens ; la mort des hommes est pour eux une série d'expériences. Seuls ils jouissent du privilège de tuer impunément. »

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Nombreux étaient ceux qui depuis quelques années déjà pressaient le législateur d'intervenir dans ce domaine, ou lui reprochaient de n'avoir pas le courage de poser enfin des règles applicables à tous.

C'est maintenant chose faite puisqu'a été votée le 20 décembre 1988, sur la proposition des sénateurs Huriet et Serusclat, la loi relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.

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Les autres pays qui réglementaient déjà cette matière le faisaient par voie de décret. La France est le premier pays à se doter d'un système législatif, qui va d'ailleurs être complété puisqu'est à l'étude actuellement un avant-projet de loi sur la vie prénatale et la procréation médicalement assistée.

La loi du 20 décembre ne vise, si l'on peut dire, « que » les recherches biomédicales, c'est-à-dire les études, recherches ou essais organisés, ayant pour objet l'acquisition de connaissances sur la vie de l'être humain, ce qui englobe les essais de médicaments, mais aussi toutes les études à but cognitif, prophylactique, diagnostique ou thérapeutique.

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Le texte a été voté à l'Assemblée Nationale en présence de quelques députés, à l'unanimité électronique des 570 élus, et le rapporteur de la Commission des affaires sociales du Sénat avait indiqué le 13 décembre :

« Je regrette que nous ne soyons pas plus nombreux pour étudier ce texte important. »

Et bien nous regrettons avec lui que l'expérimentation médicale humaine, qui est un véritable problème de société, n'ait pu retenir sur leurs bancs les représentants de la Nation.

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Ceci étant, il est important de souligner que la loi du 20 décembre 1988 n'est pas une réponse hâtive et désordonnée aux reproches qui étaient adressés au Législateur.

Une réflexion éthique est en effet conduite depuis le début des années 1970 par les praticiens qui ont spontanément créé des comités d'éthique. Cette réflexion a en quelque sorte été officialisée par la création en février 1983 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé.

Une réflexion juridique a également été conduite notamment par le Conseil d'Etat qui, en février 1988, a rendu public un rapport intitulé « de l'Ethique au Droit », par lequel le Conseil proposait des solutions juridiques aux questions se posant notamment dans le domaine des essais médicaux sur l'homme.

*

Il apparaît donc que la démarche du législateur, ou pour être plus précis, de ceux qui ont proposé la loi, a été d'examiner dans un premier temps la situation de la recherche biomédicale en France, de définir et de soupeser les intérêts en présence, avant de tenter d'en réaliser un équilibre délicat.

*

La situation de la recherche biomédicale en France avant le 20 décembre 1988 se caractérise par un triple malaise :

- juridique
- économique et financier
- et, ce n'est pas le moindre, malaise éthique.

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On a pu dire qu'en matière d'expérimentation médicale humaine, la France connaissait un vide juridique, facteur d'insécurité pour les uns, de souplesse pour les autres.

Il est vrai qu'il n'existait aucun texte spécial venant légaliser ou interdire les recherches, mais cela n'empêchait pas le droit commun de s'y intéresser le cas échéant.

Et ce en particulier dans le domaine des essais de médicaments.

Il faut savoir que ces essais s'effectuent en quatre phases dont la première, qui a pour but de vérifier l'innocuité de la substance, est la plupart du temps réalisée sur des sujets en bonne santé : les sujets sains, puisqu'il est inconcevable d'administrer à un malade une substance dont on ne connaît pas au préalable la toxicité.

Effectués sur des individus bien portants, ces essais peuvent être considérés comme des atteintes à l'intégrité corporelle insusceptibles d'être justifiés par un intérêt thérapeutique, pas plus que par le consentement de l'intéressé, qui, dans notre droit, n'exonère pas le médecin de sa responsabilité pénale.

Or, ces essais de phase 1 ont été rendus obligatoires par une directive européenne du 20 juillet 1975.

Ainsi, un médecin peut en cas d'accident être traduit devant le tribunal correctionnel prévenu de coups et blessures volontaires pour avoir commis un acte obligatoire... mais illégal à la fois.

Au cours des travaux parlementaires, il a été fait remarquer qu'inquiétés par cette contradiction juridique, de nombreux fabriquants de produits pharmaceutiques avaient tendance à faire réaliser leurs essais de phase 1 à l'étranger, ce qui rend largement illusoire la protection qui doit s'attacher à la découverte d'une nouvelle substance.

*

Ceci n'est pas de nature à favoriser le développement de l'industrie pharmaceutique française qui fait vivre directement ou indirectement 190.000 personnes et qui, depuis les années 1960, perd d'une façon constante la place prépondérante qu'elle occupait sur le marché mondial.

La découverte d'un nouveau médicament exige que l'on y consacre des années de travail, en moyenne 10 ans, et des sommes fabuleuses pour un profit, qui s'il peut être colossal, n'en est pas moins le plus souvent hypothétique.

Dans le cadre de la lutte contre le SIDA, la découverte de l'Azidothymidine commercialisée sous le nom de Retrovir, a coûté 80 millions de dollars et peut générer un chiffre d'affaires annuel pour le seul marché américain de 410 millions de dollars. « Peut » seulement, car il semble que ce produit ne soit pas à la hauteur des espérances que l'on y avait placées.

Toujours est-il que l'industrie pharmaceutique française ne paraît plus suffisamment forte pour lutter à armes égales avec ses concurrentes, et aurait une certaine tendance à se rabattre sur des recherches moins « pointues » ou sur la réalisation de copies améliorées ou non de molécules déjà existantes.

*

On a par ailleurs beaucoup parlé des effets pervers de la rémunération des sujets sains.

Comme l'a relevé le Conseil d'Etat dans son rapport, ces derniers, souvent des étudiants en médecine, sont beaucoup plus motivés par l'aspect lucratif (de 1500 à 2000 francs par jour pour certaines expériences), que par le côté altruiste de leur coopération.

Coopération qui n'est par voie de conséquence pas toujours totale, puisque les sujets sont en même temps désireux d'éviter les risques et désagréments parfois relativement importants de l'expérience, dont les résultats peuvent en définitive être faussés.

*

Certains ont en outre dénoncé avec virulence l'existence des « caisses noires » des services hospitaliers, caisses alimentées par les sommes versées en rémunération des essais effectués.

On est allé jusqu'à parler de corruption.

A notre sens, de tels propos procèdent d'une volonté gratuite, à la mode et qui se vend bien, de discréditer le « pouvoir médical », ou traduisent une profonde méconnaissance du sens aigu de la responsabilité des praticiens qui ne fausseraient jamais les résultats d'un essai quand celui-ci porte sur une maladie grave pouvant avoir des conséquences importantes pour la santé publique.

Il n'est pas exagéré en revanche de dire que les essais de la 4e phase, réalisés après l'autorisation de mise sur le marché, qui ont normalement pour but de suivre le médicament utilisé à une grande échelle dans le cadre des cabinets médicaux, sont en réalité un moyen de faire connaître la substance au praticien et de l'inciter à la prescrire.

Là encore, le propos doit être nuancé.

On s'est rendu compte en effet que ces études dites de pharmacovigilance permettent dans certains cas de percevoir les effets jusque là inconnus du produit, ce qui peut éviter des catastrophes.

Souvenez-vous de la Thalidomide.

... et du talc Morange

Que l'on se rappelle également que ce n'est que 25 ans après la mise sur le marché du Tandéril, anti-inflammatoire que tout le monde connaît pour en avoir pris un jour que l'on s'est rendu compte qu'il pouvait dans certains cas provoquer des agranulocytoses, c'est-à-dire la destruction de certains globules blancs... parfois mortelle.

Pour en finir avec l'aspect économique et financier, nous noterons que la loi du 20 décembre n'avait pas tant pour but de « moraliser » la recherche biomédicale que de poser des exigences éthiques et scientifiques conférant un label de qualité à nos recherches susceptibles d'attirer en FRANCE les firmes pharmaceutiques désireuses de tester leurs découvertes.

*

Sur le plan éthique, l'expérimentation médicale humaine génère de vives discussions se résumant à deux questions essentielles :

- peut-on expérimenter et sur qui ?
- dans quelles conditions ?

Ce n'est pas le principe même de l'expérimentation qui soulève des controverses.

Tout le monde s'accorde en effet à en reconnaître la nécessité, même si certains éprouvent quelques réticences, comme le Professeur Jean Bernard, pour lequel ces essais sont « nécessairement immoraux, mais moralement nécessaires. »

De même, la nécessité de procéder à des essais sur des sujets sains n'est pas discutée à condition qu'ils soient réalisés avec le consentement parfaitement libre et éclairé du sujet.

Les débats sont en revanche très animés en ce qui concerne les malades.

C'est ici qu'apparaît une distinction fondamentale séparant la recherche à finalité thérapeutique présentant un intérêt pour le sujet de l'expérience et la recherche sans finalité thérapeutique qui peut avoir un intérêt scientifique ou médical mais seulement pour le malade futur pas pour celui qui se prête à la recherche.

La première est relativement bien admise, la seconde suscite de véritables batailles éthiques et idéologiques.

Les uns estiment qu'en toute hypothèse l'intérêt de la science et des malades futurs ne peut l'emporter sur celui personnel du sujet de l'expérience.

Les autres au contraire soutiennent qu'il faut accorder une importance accrue à l'intérêt scientifique et au bien de la collectivité.

La contradiction entre ces deux courants de pensée était véritablement criante pour certaines catégories de sujets, à commencer pour les personnes en état végétatif chronique.

Il s agit d'individus sortis d'un stade de coma profond qui retrouvent des périodes veille-sommeil, respirent sans assistance, mais qui ont perdu d'une façon irréversible tout contact avec l'extérieur.

Légalement, ils sont indiscutablement vivants.

Mais un débat s'est instauré sur le point de savoir s'ils devaient être considérés comme des êtres humains à part entière.

Le Professeur MILHAUD ne semble pas en être absolument convaincu pour avoir expérimenté en 1985, sur un sujet en état végétatif chronique, une nouvelle technique de transfusion sanguine massive par voie osseuse, tout en sachant qu'elle ne présentait aucun intérêt pour le sujet.

Questionné après coup par le médecin, le Comité d'Ethique a rendu un avis qui en dit long sur l'ampleur du fossé qui sépare entre eux les praticiens : « en ce qui concerne les essais thérapeutiques en général sur les malades en état végétatif chronique le Comité manifeste son opposition absolue aux formules du Professeur MllHAUD selon lesquelles ces malades seraient des modèles humains presque parfaits et constitueraient des intermédiaires entre l'animal et l'homme ».

Qu'aurait dit le Comité d'Ethique lorsque le Professeur LEPINE parlait quant à lui de « guenilles humaines » ?

*

S'agissant d'une autre catégorie de sujets, les personnes en état de mort cérébrales, c'est encore le Professeur MILHAUD qui a alimenté le débat.

Ces individus souffrent d'une abolition totale des fonctions cérébrales, leur électro-encéphalogramme est plat, et si leur organisme fonctionne, ce n'est que grâce à l'assistance d'appareils.

A l'inverse des sujets en état végétatif chronique, ils sont considérés comme légalement morts.

Pour autant, leur dépouille doit-elle être assimilée à un simple amas biologique au service de la Science ?

Ne mérite-t-elle pas plutôt un certain respect ?

Tout le monde se souvient du scandale créé par le Docteur MILHAUD qui à l'occasion du procès des Docteurs ARCHAMBAULT et DIALHO et afin de vérifier une hypothèse soutenue dans ce procès, a testé sur un sujet en état de mort cérébrale les effets du Protoxyde d'azote.

Un nouvel avis a été rendu par le Comité d'Ethique, rappelant le respect dû à la dépouille mortelle de tout être humain et affirmant qu'une expérience ne peut être tentée sur un sujet en état de mort cérébrale qu'à la condition que celui-ci ait de son vivant et par écrit exprimé son accord.

Interrogé par un journaliste sur les positions adoptées par le Comité d'Ethique, le Professeur MILHAUD rappelait quant à lui la théorie de HEGEL, selon laquelle: « Les choses sont progressistes à leur origine et ensuite deviennent progressivement réactionnaires ».

*

S'agissant des conditions de l'expérimentation, le problème essentiel est celui du consentement, exigé par les déclarations de l'Association Médicale Mondiale et par le pacte de New-York.

Selon les uns, ce consentement est une condition absolue que doit respecter toute expérimentation médicale.

D'autres estiment que cette exigence pour les malades dont l'état est particulièrement grave est irréaliste, en particulier pour les cancéreux en phase dite terminale.

On soutient qu'informer le malade et lui demander son avis risquerait de détruire la confiance qu'il a placée dans la médecine et de le plonger dans les abîmes d'angoisse qui ne peuvent que lui être défavorables.

En toute hypothèse, ajoute-t-on, compte tenu de l'état de dépendance du patient à l'égard de sa maladie, de l'équipe soignante, voire des appareils qui l'aident à survivre, un consentement libre est illusoire.

La Société de Réanimation de Langue Française indiquait que dans son secteur, les expérimentations étaient chose courante et se réalisaient sans qu'aucun consentement ne soit demandé, pas plus au patient qu'à sa famille.

La Société de Réanimation de Langue Française demandait même que la loi future l'autorise à se passer définitivement de ce consentement.

*

L'expérimentation médicale humaine pose donc aux praticiens, aux pouvoirs publics, aux juristes et à tous les citoyens des questions graves. Le respect de la personne humaine doit-il avoir des limites ? L'individu isolément considéré doit-il passer avant ou après l'intérêt de la Science et le bien-être futur des autres hommes ?

C'est une certaine conception de l'Homme par rapport à lui-même et par rapport au corps social qui est en cause.Le Conseil d'Etat ne s'y est pas trompé: pour répondre à ces questions, l'éthique ne suffit plus.

C'est la loi qui doit intervenir.

*

En s'intitulant « loi relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales », le texte du 20 décembre semble indiquer que le choix est fait, et que l'intérêt particulier doive l'emporter sur celui de la Science ou de la Médecine au sens large.

Protection certes, mais réalisme également puisqu'un équilibre est recherché.

Le moyen de cet équilibre réside dans la différence des régimes applicables à la recherche à finalité thérapeutique d'une part, et à la recherche sans finalité thérapeutique d'autre part.

*

La protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales est organisée surtout en amont et en aval de l'expérimentation.

En amont, des conditions générales sont posées que doit respecter toute recherche effectuée sur l'Homme.

Ainsi la recherche doit toujours se fonder sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante, et ne doit jamais être réalisée s'il apparaît que le risque encouru est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour le sujet ou avec l'intérêt de la recherche.

En outre, une protection particulière bénéficie à certaines personnes que la loi présume physiquement ou moralement faibles qui ne peuvent en principe être les sujets d'une recherche sans finalité thérapeutique directe.

Il en va ainsi notamment des détenus, des mineurs et majeurs sous tutelle.

La même interdiction protège les personnes séjournant dans un établissement sanitaire et social, ce qui vise entre autres les sujets en état végétatif chronique, et les malades en situation d'urgence auxquels peuvent être assimilés les personnes en réanimation.

Par ailleurs suivant le modèle américain, la loi exige que le consentement de l'intéressé soit recueilli par écrit après que lui ait été remis un document d'information complet sur les tenants et les aboutissants de la recherche.

Enfin, des dispositions administratives ont été prévues:

Il faut, préalablement à la réalisation de l'expérience, en transmettre le protocole à un comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale qui rend un avis, et parallèlement, adresser une lettre d'intention au Ministre chargé de la Santé, qui peut suspendre ou interdire la recherche.

*

A la protection préventive, s'ajoute en aval de l'expérimentation la protection répressive.

Sur le plan civil, la responsabilité de celui qui prend l'initiative de la recherche - le promoteur - et de celui qui l'exécute - l'investigateur - est aménagée:

- une recherche à finalité thérapeutique directe engendre une responsabilité pour faute présumée.

- tandis qu'une recherche sans finalité thérapeutique directe suscite une responsabilité même sans faute.

Il s'agit d'une dérogation importante au droit commun dans lequel il appartient à la victime de rapporter la preuve des faits qu'elle allègue.

Pour compléter le système et en assurer l'efficacité, il est prévu que le promoteur a l'obligation de souscrire une assurance couvrant sa propre responsabilité civile et celle de tous les intervenants.

*

Sur le plan pénal, des peines d'emprisonnement- jusqu'à 3 ans - et d'amende - jusqu'à 200 000 F - sanctionnent la violation des règles relatives au consentement, l'omission de transmission du protocole au comité de protection ou encore le défaut d'assurance.

La première lecture de la loi incite donc à penser que la protection est absolue, incontournable, et que les thèses ou souhaits formulés par la Société de Réanimation de Langue Française, le Professeur MILHAUD et certains de ses Confrères ont été ignorés par le Législateur.

Il n'en faut en réalité rien croire.

Conscient des impératifs que doit malgré tout remplir la recherche, le législateur a introduit des nuances réalistes adoucissant considérablement la rigueur des principes.

*

L'adoucissement le plus remarquable concerne la possibilité d'effectuer quand même des recherches sans finalité thérapeutique directe sur les personnes protégées.

Ainsi les mineurs, les majeurs sous tutelle, les personnes séjournant dans un établissement sanitaire ou social, ainsi que les malades en situation d'urgence peuvent être sollicités pour une telle recherche si:

- elle ne présente aucun risque prévisible pour leur santé,

- elle est utile à des personnes présentant les mêmes caractéristiques d'âge, de maladie ou de handicap,

- elle ne peut être réalisée autrement.

En outre, le législateur n'est pas resté insensible aux difficultés que peut poser dans certains cas l'exigence du consentement.

Il a donc prévu qu'à titre exceptionnel, lorsque dans l'intérêt d'un patient, le diagnostic de sa maladie n'a pu lui être révélé, (on pense immédiatement aux cancéreux, l'investigateur peut réserver certaines informations lices à ce diagnostic.

On peut alors parler de consentement libre, mais pas totalement éclairé.

Il est encore admis que soient réalisées des recherches dans des situations d'urgence sans recueillir l'avis du patient : son consentement, dit la loi, sera sollicité « dès que possible ».

Les réanimateurs peuvent reprendre espoir.

*

Principe, exception; interdiction, autorisation;

On se demande en définitive si la loi obéit à une ligne directrice plus marquante que les autres, et souscrit à un courant de pensée plus qu'à un autre.

Ce qui était sûr en tout cas, dès sa promulgation, c'est qu'elle ne pouvait faire l'unanimité.

*

Les réactions à la loi du 20 décembre 1988 sont encore peu nombreuses mais déjà très enflammées.

C est la déception, voire l'indignation chez ceux qui prônaient avant tout le respect de la personne humaine, et qui parlent maintenant de la prééminence de l'expérimental sur le thérapeutique, reprochant au législateur d'avoir lui-même fissuré le barrage du respect de la dignité humaine, en laissant libre cours à la puissance scientifique et industrielle sur le corps humain.

Certains pensent qu'en permettant les recherches sans finalité thérapeutique directe sur les malades, la loi a désavoué, bafoué le Comité National d'Ethique.

Ce n'est pas notre sentiment.

D'une part en effet, les avis rendus par le Comité d'Ethique avant la loi ne proscrivaient pas de telles expérimentations.

D'autre part, un projet d'avis du 6 février 1989, indique que d'un point de vue éthique, sont valables les recherches sans finalité thérapeutique directe, dont le but est de mieux connaître la maladie ou le handicap dont sont atteints les patients.

On rejoint là la recherche sans finalité thérapeutique directe autorisée par la loi à condition d'être utile à des personnes présentant les mêmes caractéristiques d'âge, de maladie, ou de handicap.

Cette condition d'utilité à d'autres, fait-on remarquer « en face » procède de toute la générosité politique et constitue, non sans cynisme, une invitation :

« A défaut d'être guéri, identifiez-vous à ceux qui le seront peut-être un jour, mais identifiez-vous surtout à la Science en lui donnant votre corps; votre vie et vous seront sauvés ».

Le moins que l'on puisse dire est que si la loi a voulu réaliser un équilibre entre nécessité médicale et respect de la personne humaine, elle n'est pas parvenue à établir un consensus entre les différents courants de pensée.

Claude BERNARD s'en était d'ailleurs déjà rendu compte, en affirmant qu'il est impossible que des hommes qui jugent les faits avec des idées si différentes puissent jamais s'entendre.

*

Il faut remarquer par ailleurs que la proposition de loi avait initialement pour but de ne réglementer que les essais de médicaments, pas les autres recherches.

Elle était conçue, et bien conçue, en fonction des particularités de toute nature que présentent ces essais.

Au cours des travaux parlementaires, on a fait valoir qu'il serait anormal de ne protéger que ceux qui se prêtent à des essais de médicaments. L'égalité des citoyens commandait que tous fussent soumis au même régime protecteur et qu'au lieu de parler d'essais de médicaments, on parlât de recherches biomédicales.

La réglementation des relations tripartites: promoteur, investigateur, malade, qui se développent dans les 4 phases d'un essai de médicament a donc été transposée avec quelques aménagements à toutes les recherches, qu'il s'agisse de recherches fondamentales ou appliquées, de recherches à visée thérapeutique ou diagnostique, de recherches médicales au sens strict ou chirurgicales.

Sans doute aurait-il fallu examiner avec plus d'attention les écueils psychologiques et techniques qui existent dans chaque type de recherche en analysant le cas échéant la situation particulière de certaines maladies.

Le domaine du cancer par exemple présente des particularités marquées au niveau technique et au plan de son vécu par le médecin et le malade.

Tant que la recherche fondamentale à visée essentiellement biologique et non médicale n'aura pas trouvé les causes du cancer et les moyens de s'y opposer, le traitement de cette affection passera par les essais thérapeutiques dont le but n'est pas de guérir mais, mois après mois, année après année, « grignotant » quelques pour-cents de rémission sur la maladie, de permettre aux patients de vivre toujours un peu plus longtemps.

La recherche en cancérologie n'intègre donc que rarement des éléments véritablement novateurs. Tous les efforts des praticiens sont orientés vers l'amélioration des traitements existants, vers une meilleure utilisation des drogues et techniques déjà connues.

Vaut-il mieux utiliser telle drogue avec telle autre ou l'administrer avant ou après ?

Pendant combien de temps ?

Suivant quel dosage ?

Vaut-il mieux recourir à la chimiothérapie avant ou après la chirurgie .

Avant ou après les rayons ?

Les réponses à ces questions qui sont variables selon le type de cancer et selon la personnalité de chaque patient ne peuvent être obtenues qu'en pratiquant des essais qui ne peuvent s'assimiler aux essais de médicaments.

Notons par exemple que les essais de phase 1 ne sont pas réalisables en cancérologie, puisque les produits employés sont d'une telle toxicité qu'il serait presque criminel de les administrer à des sujets sains.

Prenons les règles relatives au consentement du sujet: 11 est vrai qu'elles ont été quelque peu aménagées puisque le médecin peut réserver certaines informations liées au diagnostic de la maladie.

Mais comment doser l'ampleur de l'information et son degré de précision ?

De deux choses l'une:

- ou l'information est à ce point lapidaire, vidée de sa substance, qu'on parle au patient sans rien lui dire, et il n'y a plus de consentement éclairé.

- ou bien elle est suffisamment précise, mais incomplète, et elle pousse le malade, qui ne connaît pas le diagnostic de son affection, à se renseigner et à apprendre des choses que consciemment ou non il voulait ignorer.

Quelles sont les réactions que l'on peut attendre du patient ? On a observé qu'un malade placé devant un choix entre deux traitements dont on ne mesure pas exactement les résultats, choisit systématiquement le plus agressif, le plus difficile à supporter, en pensant, souvent à tort, qu'il sera le plus efficace.

Le but de protection est-il atteint ?

Il est encore possible de penser que nombre de patients prenant conscience que la médecine ne peut les aider préféreront terminer leurs jours aussi tranquillement que possible et refuseront de se prêter aux recherches.

Le but de promotion de la recherche sera-t-il atteint ?

On peut objecter que certains patients, ayant le sentiment d'être le maillon d'une chaîne de solidarité, vont au contraire spontanément collaborer.

Cela n'est bien sûr pas impossible, mais force est de reconnaître qu'aux Etats-Unis l'exigence du consentement libre et éclairé a fait chuter de 20% le nombre des expérimentations médicales réalisées.

*

Il apparaît en définitive qu'en étendant trop le champ d'application de la loi, le législateur a dans certains cas créé une protection trop contraignante voire inutile et inadéquate, alors que dans d'autres cas, nous pensons aux personnes en état végétatif chronique, cette protection est insuffisante.

C'est d'autant plus surprenant que souhaitant ne s'intéresser qu'aux vivants, le texte n'a pas réglé le problème des sujets en état de mort cérébrale. Doit-on dès lors appliquer l'avis du Comité d'Ethique selon lequel les recherches ne sont permises que si le sujet a fait connaître de son vivant son accord ? Le Professeur MILHAUD, encore lui, ne le pense pas puisqu'il a fait savoir que désormais, tout était possible sur ces personnes.

Cette position est moralement choquante mais peut-être juridiquement justifiée, si l'on décide d'appliquer aux sujets en état de mort cérébrale la loi CAILLAVET qui, permet des prélèvements d'organes à des fins scientifiques, dès lors que l'intéressé n'a pas de son vivant fait connaître son désaccord.

La question se pose toujours: la dépouille mortelle d'un individu appartient-elle à sa famille ou à la Collectivité ?

A défaut de loi il appartiendra aux avocats de proposer des solutions et aux juges dé prendre des décisions.

Quant au texte du 20 décembre 1988, il va être suivi de décrets d'application déterminant notamment les conditions de formation des comités de protection.

En outre une loi portant diverses mesures d'ordre social va être édictée afin d'expliciter la pensée du législateur sur certains points, et de calmer les inquiétudes qui se sont déjà manifestées de part et d'autre.

Mais il restera que la loi du 20 décembre n'est qu'un cadre dont il faudra définir progressivement les contours, au fur et à mesure des dossiers dont la Justice aura à connaître.

Que l'on nous permette d'ores et déjà une suggestion :

A l'occasion des travaux parlementaires, une distinction avait été faite entre les recherches proprement dites qui devaient être soumises à la loi, et les innovations thérapeutiques qui devaient sortir de son champ d'application.

N'est-il pas possible de considérer que certains actes, qui procèdent plus de l'amélioration des techniques et traitements existants, que de l'expérimentation au sens propre devront n'être pas soumis à la loi du 20 décembre 1988 ?

Peut-être s'agit là d'un moyen d'éviter que ce texte constitue un frein à l'avancée médicale dans certains secteurs, en particulier dans celui de la cancérologie.

En toute hypothèse, de nombreuses questions d'interprétation vont se poser:

- sur le plan civil par exemple, la question pourra se poser de savoir si un accident survenu à l'occasion d'une recherche est dû ou non à un cas de force majeure,

- sur le plan pénal, il faudra le cas échéant apprécier, après coup, si l'évaluation du bilan risque - avantage a été correctement effectuée par le praticien.

Des juristes, si brillants soient-ils, ne peuvent répondre à de telles questions sans solliciter l'avis d'un ou plusieurs experts

Or la réponse de ces derniers dépendra autant des critères purement objectifs que de leur personnalité, leur conviction, leur culture, de leur conception de ce qu'est l'Homme et de ce que peut faire la médecine.

Des contradictions et des hésitations vont subsister.

Mais il faudra pourtant trancher.

L'argumentation que développera l'Avocat et la décision que prendra le Juge dépendront pour beaucoup du choix qu'ils devront eux-mêmes effectuer entre nécessité médicale et respect de la personne humaine.

En ce domaine, comme en bien d'autres, le mot de CICERON reste vrai: « il faut juger avec la science du droit mais également avec les lumières de sa conscience ».



© Patrice VOILQUE

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