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Conférence du Stage

La télévision au prétoire

par Maître Jean-Louis SPENS
Avocat à la Cour de Nancy




RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE
23 avril 1983

Le 5 février 1983, la Presse Nationale toute entière publiait l'annonce de l'extradition de Klaus BARBIE.

Cette extradition couronnait plusieurs années de recherches, de minutieux découpages effectués par Serge et Béate KLARSFELD.

Elle couronnait aussi un travail remarquable de patience et d'obstination oeuvre d'un juge d'instruction de LYON, aidé en cela par une intense collaboration diplomatique entre la FRANCE et la BOLIVIE.

L'incarcération de BARBIE, de son arrivée sur le territoire national, n'a pas manqué de provoquer de très nombreuses réactions quant à l'issue même du procès à intervenir.

La nature et les circonstances des crimes commis par BARBIE ne pouvant qu'être l'objet de débats passionnés.

Ainsi d'aucuns s'interrogeaient sur la nécessité même d'un tel procès, alors que d'autres n'hésitait pas à se prononcer pour le rétablissement de la peine de mort, à titre exceptionnel, pour le détenu le mieux garde de la vieille prison Iyonnaise Saint Joseph.

Cette passion devait amener certains organes de presse à commander à l'lnstitut BVA, un sondage dans lequel, la question principale était de savoir si la personne interrogée souhaitait voir le procès à intervenir, retransmis par la télévision.

Ce sondage réalise entre le 7 et 9 février 1983 amena les résultats suivants : 70 % des personnes interrogées étaient favorables à la diffusion en direct du procès BARBIE.

A l'annonce de ces résultats certaines opinions se firent connaître : celle du Monsieur FILLIOUD, Ministre de la Communication et de ce fait, Ministre de Tutelle des chaînes de T.V. exprima son intérêt pour une telle éventualité.

Opinion partagée par un responsable de la haute autorité de l'audiovisuel.

Cependant, le voeu des personnes interrogées se heurte en l'état actuel des textes a une impossibilité, d'où la nécessité de légiférer pour permettre cette retransmission.

Interroge à ce sujet, le Garde des Sceaux, Monsieur BADINTER exprima qu'il ne saurait être question de changer la loi pour le seul procès BARBIE, mais que par contre la question du débat judiciaire télévisé ou enregistré mériterait d'être revu.

Cette réflexion eut pour effet la constitution d'une commission, destinée à envisager une éventuelle modification des textes : sa tâche ne sera pas aisée tant sont nombreuses les difficultés que l'on élève contre le principe d'une publicité des débats élargie, avec un tel libéralisme.

Il échet d'en examiner les plus sérieuses, mais auparavant il convient de se remémorer l'évolution de la législation au cours de ces dernières années, étant rappelé que les débats judiciaires, dès que les moyens techniques l'ont permis, on toujours attiré une attention soutenue parmi les professionnels de la presse.

Mais la perspective de voir un jour les débats judiciaires faire l'objet de retransmissions télévisées, franchit un cap supplémentaires dans l'intérêt entretenu par les mass media à l'agard de la Justice.

Ce qui m'amène à présent à vous entretenir de la Justice rendue au nom et aux yeux du peuple français ou la télévision au prétoire.

ÉTAT DE LA LÉGISLATION ACTUELLE

L'accès des salles d'audience aux micros et caméras a été l'objet depuis la dernière guerre, d'une législation alternant entre la liberté totale, l'interdiction quasi absolue, et enfin plus récemment une liberté réglementée et soumise à de nombreuses conditions de forme.

Il n'est pas inutile de rappeler ces différentes phases, dans la mesure ou il apparaît que le législateur appelé à se prononcer sur la modification des textes devra lui aussi dans un souci d'information et d'analyse, se remettre en mémoire les modifications intervenues pour réglementer la matière, depuis que l'audio-visuel a transformé les conditions de l'exercice du droit à l'information.

De la fin de la dernière guerre jusqu'en 1954, s'étale une période au cours de laquelle, la liberté totale prédomine. C'est ainsi que de nombreux grands procès seront très minutieusement suivis par la presse tant écrite que radiotélévisée : l'événement sera couvert.

C'est ainsi qu'il sera permis aux populations ayant souffert des années terribles de 1939 à 1945, de suivre fidèlement le procès des criminels de guerre se déroulant au Tribunal International de NUREMBERG,

ce procès bien qu'ayant lieu hors du territoire national, restera comme l'exemple de la matière, l'intégralité des débats étant enregistré et filmé, et sa retransmission assurée dans la quasi-totalité des Pays européens.

Bien entendu, l'importance des moyens mis en oeuvre pour assurer le suivi de ce procès fameux, tenait autant à la spécificité des faits reprochés aux différents prévenus, qu'à la volonté clairement exprimée de dévoiler les rouages, hélas trop bien rodés, de la Politique conçue et mise en application par le 111 REICH.

D'une facon peut être plus intime, parce que plus spécialement liée à la Politique du régime en place dans notre Pays pendant ces années douloureuses, la presse eut un rôle important au cours du procès du Maréchal PÉTAIN.

Elle permit au principe de la publicité des débats de prendre sa véritable dimension, sans être pour autant limitée à la dimension d'une salle d'audience.

A cet égard nul ne saurait contester la valeur tant historique que politique, des documents photographiques ou filmés, réalisés à cette occasion.

Toujours avant 1954, la liberté totale de rendre compte par tous moyens des audiences, n'eut pas comme seul champ d'application les procès de nature politique.

Elle eut pour conséquence également de permettre à la population de suivre avec une certaines passion les rebondissements de grands procès criminels.

Par exemple, celui de l'empoisonneuse Marie BESNARD, au cours duquel l'atmosphère des salles d'audience ou l'affaire était évoquée, laissait penser qu'un concours de photographes amateurs y était organisé.

Le procès de Gaston DOMINICI fut à cet égard, encore plus significatif.

La personnalité rnême de l'accusé, les zones d'ombre émaillant le dossier, furent autant d'éléments qui expliquaient à l'époque, la présence dans la salle d'audience d'un nombre impressionnant de chroniques et de photographes, dont l'activité fébrile et incessante au cours des débats, eurent pour effet de convaincre beaucoup, de ce qu'un tel personnage était victime d'une erreur judiciaire.

Les abus constates au cours de ces procès de l'histoire judiciaire, ont été sans aucun doute les catalyseurs d'une réflexion au terme de laquelle la conclusion qui en ressortait, se résumait à une question : savoir si la Justice pouvait encore conserver les garanties de sérénité inéluctablement liées à son bon fonctionnement, lorsque celui-ci s'exerce au milieu du crépitement des flashes.

Ces excès conduisirent le législateur à intervenir en modifiant par la loi du 6 décembre 1954, les dispositions énoncées par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

C'est ainsi que son article 39 fut transformé, et que l'emploi de tout appareil d'enregistrement sonore, caméra de télévision ou de cinéma et d'appareils photographiques, fut interdit à l'intérieur des salles d'audience et au cours des débats. Cette interdiction pouvant être tournée cependant à l'initiative du Garde des Sceaux, cette atténuation faisant l'objet d'une vive opposition des Partis de Gauche.

Ce texte restreignant la liberté d'agir de la presse, bien que durement critique, demeura en vigueur pendant 27 ans.

Il marque ainsi de son sceau, une longue période d'interdiction quasi-absolue.

Il ne peut être cependant dissimulé que cette loi fut souvent violée, et ce toujours à l'occasion de procès faisant l'objet d'une certaine passion dans l'esprit du public. C'est ainsi que quelques clichés, réalisés en CATIMINI, furent néanmoins publiés, comme par exemple ceux de Pierre GOLDMANN criant à l'injustice depuis son box d'accusé, en prenant connaissance du verdict rendu par la cour d'assises de la Seine, qui le reconnaissait coupable du meurtre de deux pharmaciennes.

La Justice ne pouvait cependant ignorer l'importance de l'image dans la Société contemporaine, et une nouvelle législation vint mettre un terme à ces vingt sept années d'interdiction.

Cette modification des textes est intervenue très récemment par l'intermédiaire de la loi sécurité et liberté, dont l'abrogation a été annoncée par le gouvernement mais non encore effectuée.

Il s'agit donc là du droit positif en la matière, celui la même qu'il sera nécessaire de modifier, suivant la décision qui sera prise, sur l'opportunité de retransmettre le procès de Klaus BARBIE.

Les auteurs de la loi sécurité et liberté, ont ainsi créé un article 38 ter à la loi du 29 juillet 1881.

Aux termes de cet article, il est interdit lors des audiences administratives et judiciaires, d'employer tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image, dès l'ouverture de l'audience.

Cependant, cette interdiction se trouve assouplie par la faculté laissée au Magistrat dirigeant les débats, d'autoriser sur demande, des prises de vue lorsque les débats ne sont pas commencés.

Ce qui tout en prohibant l'usage de ces appareils alors même que l'audience ait été ouverte laisse cependant aux journalistes la faculté de pénétrer avec leurs appareils dans le prétoire, afin de fixer les préparatifs du procès. Il faut toutefois observer que le texte précise qu'outre l'autorisation du Président le consentement du représentant du parquet. et celui des parties en cause, doit être recueilli.

En vertu des oppositions de ce texte, les téléspectateurs ont pu pénétrer dans les enceintes judiciaires à l'aube des grandes criminelles, par l'intermédiaire des caméras qui en filmaient les acteurs principaux.

Les téléspectateurs purent ainsi connaître le visage des assassins du Prince de BROGLIE, alors qu'ils s'installaient dans le box, à l'exception d'un seul qui avait refusé de se laisser filmer.

De la même façon, la France entière fut témoin du masque pathétique arboré par le Baron EMPAIN lors du procès des auteurs de l'enlèvement le plus rocambolesque de ces vingt dernières années.

Il est incontestable que les dispositions précédemment énoncées de la loi sécurité et liberté ne peuvent être satisfaisantes pour les partisans d'une retransmission télévisée du procès BARBIE.

En effet, elle n'autorisait que le suivi des préliminaires de l'audience, sans permettre aux téléspectateurs de suivre le fond de l'affaire, qui seul pourrait justifier un tel déploiement de moyens techniques.

On s'aperçoit aisément, au vu de la législation précitée, que la loi française privilégie de façon importante la sérénité et la solennité des audiences judiciaires.

*
*   *

De nombreux états n'ont cependant pas hésité, et parfois depuis longtemps, à donner une publicité « extra Muros » aux débats judiciaires.

Israël, par exemple, et dans un cas somme toute similaire à celui qui inspire notre propos, il faut se rappeler que le procès d'EICHMANN en 1961 fut très largement retransmis sur les antennes.

Il apparaissait essentiel en effet à ce jeune état de se forger sa mémoire collective, et surtout de la fixer dans l'esprit des jeunes générations.

En ITALIE, très récemment, la télévision nationale ouvrit ses ondes, à la retransmission partielle du procès des brigades rouges, au cours de séquences exhibant plusieurs dizaines de terroristes vociférant, dressant le poing, et insultant les magistrats.

Gageons que ce spectacle n'a en aucune façon permis aux Italiens de comprendre le phénomène anarchique créé et développé par ces terroristes, devant lequel leur pays s'était trouvé désarmé durant de nombreuses années.

De façon plus extraordinaire, un pays habituellement tourné vers une énigmatique discrétion, nous offrit dernièrement de très longs commentaires et de nombreux reportages filmés, du procès de quatre de ses anciens dirigeants :

la veuve du Président MAO et trois vieux dignitaires du régime comparaissant en effet à PÉKIN devant leurs juges, pour répondre de crimes dont la nature exacte fut mal assimilée par les mentalités occidentales.

D'une façon générale, les quatre accusés apparurent au contraire faire l'objet de règlements de comptes internes Toujours est-il que la réplique farouche et passionnée que Madame MAO opposa à ses accusateurs, eut pour conséquence que le spectateur ne pouvait immanquablement s'interroger sur la légitimité d'un tel procès.

Les mêmes réflexions viennent à l'esprit lorsque que l'on se remémore le procès du Docteur AGGOYARD, retransmis sans doute par l'exemple, par et dans son intégralité (une heure quinze) par la télévision afghane.

Enfin, il nous a été permis à de nombreuses reprises d'assister comme téléspectateurs aux comptes rendus de procès d'opposants politiques se déroulant en Iran ou en Turquie par exemple.

Mais dans ces cas particuliers, ou l'idée même de justice semble n'avoir de réel que le nom, il semble que l'on ait procédé plus en fonction du résultat, que de l'intérêt même de la cause.

Il ne nous fut par épargné la retransmission des nombreuses exécutions publiques, point d'orgue de ces procès collectifs, relevant plus de la dissuasion, que de la volonté d'informer.

Il apparaît que les exemples tirés de notre histoire judiciaire contemporaine ainsi que ceux qui nous viennent de l'Etranger ne peuvent manquer de soulever un grand nombre de questions.

Que la justice de notre Pays soit rendue au nom du peuple français est un postulat de base, qui ne souffre pas la contradiction.

Que le peuple français, grâce aux moyens de plus en plus performants de l'audiovisuel, soit convie à y participer en direct en est un autre.

Incontestablement, l'éventualité d'une modification de la législation en vigueur en la matière, place le débat sur un terrain ou partisans et détracteurs ne manqueront pas de s'affronter le moment venu.

Mais ne peut on, dès à présent, s'interroger non seulement sur la nécessité d'exister, mais aussi sur les conditions mêmes d'une telle éventualité.

Les résultats du sondage réalise après l'extradition de BARBIE, selon lesquels une grande partie de Français souhaiterait voir son procès retransmis à la télévision, établissent d'une manière certaine, que les personnes interrogées, dont on considère généralement qu'elles reflètent l'opinion générale, sont intéressées par les suites judiciaires de cette affaire.

Il convient cependant de relativiser ces résultats, dans la mesure ou ils ont été recueillis à chaud, sans qu'une nécessaire période de réflexion ne soit observée.

En tout état de cause, la retransmission télévisée du procès BARBIE, motivée par la seule volonté de satisfaire la curiosité de l'homme de la rue, résulterait d'une bien piètre argumentation.

Le fait que certains n'hésitèrent pas à se prononcer en faveur d'une modification de la législation, limitée à la couverture du seul procès BARBIE, ne saurait de même être retenue.

La loi promulguée au vu de ces considérations n'étant alors qu'une loi d'exception, tout à fait contraire aux aspirations constitutionnelles et juridiques de notre république.

Il ne peut donc être question que de l'élaboration d'un texte de portée générale, autorisant la présence des photographes et caméraman dans les salles d'audience, au cours des débats judiciaires.

Le texte devant tout à la fois préserver la liberté de la presse par le respect des contraintes de l'information, tout en respectant l'essentielle nécessité de sérénité sans laquelle la justice ne saurait fonctionner.

Les difficultés naissent lorsque l'on examine les applications d'une telle législation.

Il apparaît à l'évidence, que la faculté ainsi offerte, ne pourrait s'exercer que ponctuellement.

On imagine mal en effet, l'essentiel des programmes radiotélévisés, composées de retransmissions de débats judiciaires.

Il y aurait un choix à effectuer, et les critères de ce choix laissés à l'appréciation des responsables de l'information.

En fonction de quels aspects, telle affaire serait préférée à une autre ?

La question n'est pas de mince importance.

Certes, il n'est pas question de revenir sur le principe de la publicité des débats judiciaires, destinée à contrôler la façon dont la justice est rendue.

Il s'agit d'une exigence nécessaire, les journalistes ayant toujours su et sauront toujours rendre compte des audiences, avec la conscience que nous leur connaissons. Mais, dans l'hypothèse ou la retransmission télévisée des débats et la faculté de photographier le cours du procès, serait librement autorise, on peut songer à la difficulté de choisir le sujet même du compte rendu.

Sous la pression des impératif& commerciaux et des indices d'écoute l'opérateur n'aura-t-il pas tendance à effectuer son choix en fonction du caractère dramatique ou sanglant de tel fait divers.

Cette publicité très large des débats se résumerait alors à s'étendre avec complaisance sur des détails ou des aspects de l'affaire ne méritant pas d'être mis en relief. Une telle façon d'opérer consisterait dans sa finalité à mettre en exergue de manière tapageuse la personnalité même des criminels ou les aspects de l'art auquel ils atteignent.

Le choix du procès à retransmettre est déjà, on le voit, une source de nombreuses difficultés, et si une libéralisation des textes intervenant dans le sens de la possibilité de libre accès des photographes et des cameramen aux salles d'audiences pendant la conduite du procès, il serait dès lors nécessaire de se prononcer de façon très précise quand à savoir, à qui serait laissée l'initiative de ce choix :

-A la presse :

Une telle faculté serait contraire au principe selon lequel, seul le Président dirigeant les débats possède la prérogative de la police de l'audience

De plus, les risques de favoriser le sensationnel n'en seraient que plus exacerbés.

-Au Président lui-même :

On peut craindre dès lors, que certains d'entre eux, pour des raisons diverses, ne trouvent pas l'autorité nécessaire pour refuser de telles autorisations dans des cas spécifiques.

En outre, cela pourrait créer des variations d'une juridiction à l'autre, voire même de l'intérieur d'un même tribunal, d'une chambre à l'autre.

Il semble enfin, que le Président se trouverait en but aux critiques, dans la mesure ou en favorisant la perturbation née de la présence des journalistes il priverait l'accusé du bénéfice de la présomption d'innocence.

-Au Garde des Sceaux :

Cette faculté existait sous l'Empire de la loi de 1954, tombée en désuétude cependant par manque d'utilisation. En toute hypothèse, cette solution n'est guère envisageable.

Elle donnerait une portée plus importante à l'affaire que celle qu'elle ne possède réellement.

De plus, il existe toujours un danger à faire intervenir le pouvoir exécutif dans l'organisation de la Police des débats judiciaires, de telles interventions violant le principe de la séparation des pouvoirs !!

Outre le problème du choix du procès à retransmettre, une autre difficulté de taille vient s'ajouter. Celle de l'impossibilité de rendre compte de l'intégralité des débats. Le procès peut en effet se dérouler sur plusieurs jours, voire sur plusieurs semaines.

Dès lors se pose un nouveau problème de choix touchant à la substance du reportage à réaliser, un découpage s'imposant au réalisateur, véritable défi a l'objectivité de celui-ci.

Comment pourrait-on en quelques minutes de retransmission ou en quelques photos, rendre compte de manière complète et objective de débats prolongés formant une entité insusceptible d'être fractionnée?

Comment pourrait-on également proposer un tel montage à l'information du public, sans fausser immanquablement son jugement ?

Puisqu'il s'agit d'informer le public de la façon avec laquelle la justice est rendue en son nom, peut-on envisager que cette information soit condensée dans la reproduction d'une partie de réquisitoire, et d'un fragment de plaidoiries.

La décision n'intervient qu'en fin de débats, qu'après une minutieuse instruction, de précieuses auditions de témoins et d'experts, après que l'accusation ait matérialisé l'existence de la culpabilité, et que la défense y ait apporté ses contradictions.

On voit mal comment un condensé de ces différentes phases du procès pourrait utilement renseigner le public sur le sérieux de la justice prononcée en son nom.

Sans porter atteinte, répétons-le, au principe de la publicité des débats, et des méthodes grâce auxquelles, celle-ci peut être extériorisée on ne peut nier qu'une trop large libéralisation ne serait que préjudiciable à ce principe,, compte tenu des effets pervers qui peuvent s'y attacher.

Incontestablement, les difficultés nées des choix précédemment énoncés, sont de nature à matérialiser les excès, qui ne manqueraient pas de se produire.

Il ne faut pas oublier également qu'outre la matière même du procès les débats mettent en exergue des comportements spécifiques dont il est important de tenir compte :


L'accusé d'abord,

Qui quels que soient les faits qui lui sont reprochés, doit bénéficier de la présomption d'innocence, et pouvoir présenter ses moyens de défense avec la maximum de garanties. Si au cours dés débats, il est l'objet d'un mitraillage en règle de la part des photographes, ou si ses moindres attitudes sont suivies par l'oeil curieux d'une caméra, il est à craindre que son potentiel émotif n'en soit considérablement affecté.

Alors, qu'il est nécessaire qu'il soit en possession de tous ses moyens pour se défendre, l'impression ressentie, d'être l'objet de toutes les curiosités, aura pour effet de le contraindre à se réfugier soit dans l'agressivité, soit dans la prosternation.

De ce fait s'il n'est pas un effronté, il en est réduit à sa cacher la figure et il ne sait plus ou regarder.

Ces différentes attitudes ne peuvent que jouer en sa défaveur.


Les témoins ensuite,

Isolés parfois pendant de longs moments avant de venir déposer, et qui au sortir de cet isolement, à l'instant de s'approcher de la barre, se voient ainsi, à un moment déterminant du développement de l'audience, devenir l'objet de la curiosité générale.

Aveugles par les flashes, suivis par les caméras, nul doute que la majorité s'en trouve vivement intimidée.

De ce fait, peu habitués en règle générale, à évoluer au milieu de l'appareil judiciaire, leur déposition destinée à éclairer les débats se voit affectée par une perte de contenance facilement explicable.

Venus témoigner sous serment, des faits auxquels ils ont personnellement assistés, ils font du fait des mouvements engendrés par leur apparition, figure de bête traquée dont on guette la moindre défaillance, la plus petite incertitude.


Les jurés,

Les jurés qui sans nul doute, lors du prononcé de la sentence feront l'objet de toutes les attentions.

Plus que tout autre ces hommes et ces femmes doivent être épargnés par un excès de publicité.

Leur collaboration au nom de la collectivité, à l'oeuvre de justice, ne doit entraîner pour eux le moindre préjudice, résultant du sort de la décision issue de leurs délibérations. Que sera envers eux, l'attitude de leur entourage et de leurs relations à l'annonce d'une décision de clémence rendue dans une affaire sordide ayant défraye la chronique?

Ou à l'inverse, une précision empreinte de sévérité dans un dossier ou la légitime défense, par exemple, aura pu être mise en valeur ?

Il est à craindre que les jurés ne soient l'objet de reproches d'autant plus facilités que leurs visages auront été exposés à la vue générale.


Enfin, Messieurs les Magistrats
et vous chers Confrères,

Souhaitez-vous que l'oeil indiscret d'une caméra révèle certaines manies qui vous caractérisent, ou ne révèle quelques mimiques dont vous avez l'involontaire habitude, et qui font parfois naître des sourires amusés parmi l'assistance.

Mais plus sérieusement, soyons certains de l'importance de ne pas négliger ces différents aspects dans l'hypothèse d'une modification de la législation.

D'efficaces garanties doivent être envisagées pour permettre de protéger accusé, témoins, jurés, du préjudice moral résultant des réactions de l'opinion publique à l'énoncé de la décision.

En réalité, l'ensemble de ces préoccupations sont justifiées par une motivation plus abstraite.

Nous avons l'habitude d'observer au cours des débats judiciaires, le climat solennel qui les caractérise.

Cette solennité n'est pas le résultat de l'observation de règles que certains n'hésitent pas à qualifier parfois de désuètes et de surannées. Il s'agit au contraire de l'indispensable garantie de calme et de sérénité qui entoure la mission de justice, mission périlleuse au vu de ses résultats.

De nombreux siècles ont été nécessaires pour édicter des règles de droit, des procédures destinées à protéger et de détendre la Société tout en respectant la liberté individuelle. Parmi les nombreuses applications de la liberté individuelle, figure celle qui doit permettre à tout individu répondant de crimes ou de délits, de bénéficier d'un procès se déroulant dans le calme et le respect du contradictoire.

Il ne peut y avoir de bonne justice rendue dans la précipitation et le brouhaha.

La publicité des débats ne doit pas nuire à l'audience, en favorisant la perturbation, et en transformant le procès en spectacle!

Il s'agit bien là du grand danger qui se profile derrière le principe des débats télévisés.

Les exemples étrangers précédemment cités ne peuvent que faire litière de cette préoccupation.

Chacun des acteurs-et déjà ce mot prend son entière signification-n'aura-t-il pas tendance à s'écarter du rôle qui est le sien au cours de l'audience, pour le transformer en prestation personnelle.

La présence des caméras de télévision saisissant la moindre attitude, le moindre mouvement de tel ou tel ne pourra que faciliter les excès en la matière.

Avant la loi du 6 décembre 1954, les photographes agissaient constamment au cours de l'audience. En observateur éclairé Maître Maurice GARCON écrivait déjà à ce propos :

« Ce ne sont qu'éclairs éblouissants au grand détriment de la dignité de l'audience. »

Alors que le journaliste note silencieusement ce qu'il voit et ce qu'il entend, le photographe jette la perturbation ou il y a besoin de calme et de sérénité. L'audience dégénère en salle de spectacle.

Ces remarques prendront une valeur accrue avec l'installation dans les prétoires de l'infrastructure puissante des moyens audio-visuels.

Je ne crois pas qu'il soit souhaitable d'arriver à une telle situation.

Il ne s'agit pas de denier le principe de la liberté de l'information, en préservant l'indispensable atmosphère de respect et de sérénité qui baigne les prétoires.

La publicité des débats est respectée, et exercée avec conviction par les chroniques spécialisés.

Par contre, les audiences ne doivent pas être l'objet d'une publicité au sens péjoratif du mot, qui en dénaturerait le sens.

Je ne comprends pas l'utilité d'un tel besoin, aussi radicalement opposé à l'esprit qui anime nos gouvernants.

Au moment ou l'on renforce le principe de l'égalité du citoyen devant la loi, par des mesures aussi significatives que la suppression de la Cour de Sûreté de l'Etat, ou le transfert des compétences des tribunaux militaires aux juridictions civiles, un texte permettant de donner une dimension exceptionnelle à une affaire, en autorisant qu'elle soit l'objet de retransmission télévisée, me parait contraire à ces aspirations.

Alors de grâce Monsieur le législateur n'écoutez pas le champ des sirènes, et épargnez-vous un texte qui aurait pour conséquence de transformer nos prétoires en salles de spectacles, de transformer une cause en sujet de court-métrage.

Personnellement, je souhaite encore m'entendre dire « Maître vous avez la parole ». Je me refuse à ce que cette autorisation soit remplacée par « Maître, vous avez l'antenne ».

Non par vanité, mais parce qu'il y va de la dignité de la Justice.



© Jean-Louis SPENS

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