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Conférence du Stage

L'avocat est-il porteur de la vérité ou serviteur du mensonge ?

par Maître Pascale POTIER-BOURGEOIS
Avocat à la Cour de Nancy




RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE
SAMEDI 11 OCTOBRE 1997


INTRODUCTION

L'Avocat est une "conscience de louage", un menteur à gages, accusait le XVIème siècle par la plume de son plus illustre auteur... Montaigne. Montaigne qui tenait la vérité pour la "première et fondamentale partie de la vertu", mais qui n'en faisait manifestement pas crédit aux avocats !

Et au XVIIème siècle, le Conseiller d'Etat et Académicien Jacques Esprit -qui en dépit de son nom devait assurément en être quelque peu dépourvu-, lui fait écho : la vérité ? A l'en croire, "on l'affaiblit, on la dissimule et on la déguise dans le Barreau".

Le reproche, comme une litanie, continue d'être asséné à son tour par La Bruyère, certes au détour de considérations plus générales sur la probité de l'orateur, mais qui font mouche : "sans cette probité, nous dit La Bruyère, il déguise ou il exagère l'effet, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle" et -estocade finale- "il est de la classe de ces avocats dont le proverbe dit qu'ils sont payés pour dire des injures".

Ainsi donc, le mensonge chez l'avocat est proverbial ; le propos en deviendrait presque tautologique.

Cette image, aussi vivace que déformée il va sans dire, est pratiquement aussi ancienne que le Barreau lui-même, puisque déjà sous le règne de Louis XI, elle avait inspiré une comédie, "la Farce de Maître Pathelin" qui décrit abondamment l'incommensurable turpitude des avocats, escrocs, menteurs et prêts à toutes les compromissions.

Ce portrait, qui ne s'est pas enjolivé au fil des siècles, se matérialise au XIXème sous les traits des caricatures, amusantes mais fort peu plaisantes, de Daumier, qui donnent à penser que le coquin n'est pas celui qu'on croit !

Mais dans tous ces temps passés, ces flèches dont la pointe était trempée davantage dans le fiel que dans le miel, se trouvaient malgré tout compensées par l'aura qui entourait la profession, le respect dont elle jouissait auprès des particuliers ; particuliers dont les appréciations n'étaient alors pas perverties par ces auteurs, fauteurs de trouble et mauvais esprits !

Et, à l'exception de ceux-ci, on considérait généralement et globalement l'avocat comme un notable, dont l'honorabilité n'était pas -trop- mise en doute.

Mais aujourd'hui, la défiance s'est propagée, la critique est générale.

Faut-il y voir la cause dans la "désacralisation" de l'avocat qui, s'éloignant au fil des siècles de ses origines cléricales, a vu son crédit se rétrécir en même temps que sa soutane se raccourcir ? !

Quoi qu'il en soit, il est fort à craindre que cette descente aux enfers s'accentue encore, à la faveur de la féminisation croissante de la profession, puisque, si l'on écoute Sacha Guitry, "les femmes sont tellement menteuses que l'on ne peut même pas croire le contraire de ce qu'elles disent!"

On pourrait sans doute balayer ces critiques d'un revers de manche désinvolte ou fataliste et se consoler en se disant qu'après tout, nous n'essuyons pas seuls le reproche de mensonge, au moins partagé avec une autre profession vilipendée et pourtant bien utile, celle des arracheurs de dents, et même avec toute notre Nation, l'ensemble des français, dont il serait une caractéristique quasi-génétique, et, en tout cas, un estampillage classiquement opéré, puisqu'au temps de l'empereur Valentinien, on disait déjà qu"'aux français le mentir n'est pas vice, mais une façon de parler".

Alors, vice professionnel ? vice national ? vice universel, pourrait-on rétorquer à la lecture du psaume CXVI-ll : "omnis homo mendax", tout homme est menteur. C'est en somme le signe infaillible de notre humanité, qui nous distingue, êtres humains, des espèces végétales et animales.

Mais alors, pourquoi cette "distinction" nous affecte-t-elle tout particulièrement ? "Pourquoi tant de haine ?" pour reprendre le mot d'un humoriste.

La raison de cette suspicion est assez simple à imaginer et résulte justement d'une simplification, d'une schématisation -qui comme toute schématisation gauchit la réalité- : dans l'esprit du public, il y a toujours, pour tout procès entre particuliers, un gagnant et un perdant. Le gagnant, puisqu'il a triomphé, avait donc raison, il détenait LA vérité. Et, parallèlement, le perdant, puisqu'il a succombé, était dans le faux et n'a donc pu soutenir qu'une argumentation mensongère... mensonge dont son avocat s'est dès lors fait le serviteur.

Comme tous les avocats perdent, peut-être en proportions variables, mais perdent néanmoins tous, certains de leurs procès, ils occupent donc régulièrement, chacun à leur tour, le rôle du menteur.

Dans les affaires pénales, c'est aux yeux du public, sinon des Magistrats, encore plus évident : pour défendre ses clients -dont certains, sinon la plupart, sinon tous ! sont coupables-, l'avocat doit forcément tordre le cou à la vérité, faire fi de la réalité, et devenir sûrement, d'une certaine façon, le complice de celui qu'il défend (car "qui se ressemble s'assemble", n'est-ce pas ? !)

Une telle conception, simplifiée à l'extrême, apparaît dangereuse ; tout aussi dangereuse que sa soeur jumelle, selon laquelle les coupables -ennemis du corps social et des honnêtes gens- n'ont pas à être défendus, mais châtiés.

Là se loge le danger, dans cette nostalgie de la justice expéditive de l'Ancien Régime, marchant de concert avec le soupçon qui pèse sur l'intégrité des défenseurs, intégrité qui conditionne l'effectivité de leur rôle.

Il est donc nécessaire de combattre cette défiance, de rétablir la confiance, dont La Rochefoucauld disait qu'elle "est le lien de la société", et dont l'étiolement ne peut que remettre en cause l'équilibre qui s'est créé entre l'Etat et les individus, entre la force d'un appareil et la fragilité de chaque individu isolé.

Et pour restaurer cette indispensable confiance dans l'intégrité de l'avocat, ne suffit-il pas tout simplement d'aller vers les sceptiques, de leur exposer cette obligation de vérité qui sous-tend et guide notre mission, tel un fil d'Ariane protecteur ?

Ne faut-il pas mettre notre force de conviction, pour une fois, dans la défense de notre profession, puisque cette défense conditionne la défense de chacun ?


Entrer dans l'Ordre n'est finalement pas si différent que de rentrer dans les Ordres : c'est un sacerdoce, c'est aussi faire allégeance à certaines règles, parmi lesquelles l'obligation de ne pas corrompre la vérité.

Pour l'amour d'une rose, le jardinier devient l'esclave de mille épines.... l'avocat de "cet épineux fardeau qu'on nomme vérité", selon la formule d'Agrippa d'Aubigné.

Dés le Moyen-Age, l'Ordre des Avocats, semblable à l'Ordo Clericorum ou aux Ordres de Chevalerie, impose à ses membres la probité.

L'Avocat ne peut user à l'égard de la Justice ou de ses contradicteurs des stratégies infidèles de Richelieu -pourtant grand clerc !- qui prétendait que "pour tromper un rival, l'artifice est permis, on peut tout employer contre ses ennemis". Les Magistrats et les confrères adverses ne pouvant au demeurant être considérés comme des ennemis, l'artifice devrait être inutile....

Mais quoi qu'il en soit, l'avocat doit mener son combat loyalement. L'un de nos plus réputés prédécesseurs l'exprimait sans ambiguïté ni ambages : "tout défenseur qui affirme des faits qu'il sait inexacts peut être un rhéteur habile, un orateur éloquent, mais ce n'est pas un avocat" (Labori, "les Réformes de l'Instruction" in Le journal du 16 Janvier 1909).



Cette éthique, dont l'origine religieuse s'est progressivement estompée pour se muer en véritable déontologie professionnelle, est contenue dans notre serment, dont la première expression remonte à 1274.

Et même si les termes en ont depuis lors été maintes fois modifiés, même si on ne le prononce plus la main posée sur les Saints Evangiles, l'obligation de vérité, elle, a traversé les temps et demeure immuable.

Car "... la probité... l'amour de la vérité... est la base de notre (leur) état", ainsi que le précisait le Décret du 14 Décembre 1810 rétablissant l'Ordre des Avocats après la période révolutionnaire.

Plus proche de nous, la Cour de Cassation, dans un arrêt de 1984, rappelle que "si les prévenus ne sont pas tenus de dire la vérité et peuvent organiser leur défense par des déclarations mensongères, les avocats ne peuvent invoquer les droits de la défense pour user de ces procédés prohibés".

Faire respecter les droits de la défense, même avec passion et acharnement, ne signifie pas pour autant cautionner crime ou malhonnêteté. Et quelle image, du reste, donnerions-nous ainsi à nos clients de la Justice ? !

Car notre état d'auxiliaires de justice nous fait en effet participer à ce service public. Et cette mission ne serait que pantomime si l'avocat, simple mercenaire servile du justiciable, plaidait sans vergogne le faux pour le vrai.

L'avocat n'est pas cet écran trompeur, mais un miroir qui reflète au Juge l'image qu'il a perçue de son client. Il aide ainsi ce dernier à se faire comprendre du Magistrat et, réciproquement, à le comprendre. Il s'efforce par là de contribuer à la recherche d'une solution juste.

La prohibition du mensonge, loin d'être un colifichet désuet, une obligation formelle vide de sens, est dès lors un garant -au même titre que le secret professionnel- de l'effectivité du rôle qu'il nous appartient de tenir.

De même que nul n'irait plus se confier à un prêtre, consulter médecin -ou un avocat- s'il pouvait en craindre la divulgation secret confié ; de même le recours à l'avocat serait-il vain si parole, connue pour mensongère, ne rencontrait plus aucun crédit.

L'agonie de la défense, telle est la sanction naturelle de l'obligation à la vérité.

Alors, la vérité, rien que la vérité mais toute la vérité  ? mais quelle vérité ?



Si l'on doit proscrire le mensonge, sincérité n'est pas sottise, sincérité n'est pas suicide.... et l'avocat, sous nos régimes, n'est pas encore chargé d'accabler son client, cette tâche étant suffisamment consciencieusement remplie par le Ministère Public ou la partie adverse !

Et puis le défenseur a déjà fort à faire à recueillir tous les éléments en faveur de son client !



Car "un client, un dossier, c'est l'entrée dans une connaissance personnelle et particulière d'une personne ou d'une histoire ou d'une théorie de droit" (André Damien, "l 'Avocat et la Vérité" Gazette du Palais 4 Décembre 1984)

Et notre mission est d'exprimer cette vérité, celle qu'on a pu découvrir ; vérité partielle, mais qu'il nous appartient de faire triompher contre les vérités de la partie adverse ou de l'accusation, qui ne sont pas davantage absolues.

La vérité absolue ne se laisse jamais dominer, "il n'y a pas d'ange de la réalité" disait Eluard, et la seule que nous puissions prétendre atteindre peut être comparée à un labyrinthe de chemins ou à "une ville ancienne : un dédale de ruelles et de places, de maisons nues et anciennes, de maisons avec des agrandissements datant de différentes époques, le tout entouré d'une succession de nouveaux faubourgs avec des rues droites et régulières". (Wittgenstein, à propos du langage).

Il suffit pour s'en convaincre de réunir, par exemple, Isaac Newton, le Petit Prince et le lecteur moyen du Nouvel Observateur, et de leur demander de raconter un coucher de soleil. Monsieur Lecteur Moyen dira : "chaque soir de beau temps, je contemple le coucher du soleil", le Petit Prince "Un jour, j'ai vu le Soleil se coucher 43 fois", enfin le savant dira : "Jamais le soleil ne se couche".

Trois vérités partielles, qui traduisent chacune un aspect particulier de la réalité. L'Avocat est le porteur d'une de ces vérités, celle qui appartient à l'univers de son client.

Mais pour la faire accéder à la lumière, pour la porter au rang de vérité judiciaire, le défenseur se heurte bien souvent à de multiples obstacles.



Certains s'élèvent, là même où l'on aurait pu s'attendre à l'expression d'une vérité clairement et sûrement accessible : quels obstacles a priori plus surprenants que le client lui-même et, dans une optique différente, la science ?



Certaines affaires ont montré que des justiciables étaient empreints d'un tel sentiment d'immanence de la justice, qu'ils se trouvaient incapables de coopérer avec leur avocat dans l'élaboration de leur défense.

Pour ceux-là, la certitude de leur innocence, parfois, se fait insolence, comme ce fut le cas, par exemple, de Christian RANUCCI.

L'évidence paralyse quelquefois la démonstration, et, à défaut de démonstration, le bon droit ne conduit pas forcément au droit où à la justice : au jeu judiciaire, qui ne dit mot consent,

D'autres clients sont comme ces horloges, qui indiquent une heure et en sonnent une autre...d'autres encore sont toujours sincères, mais changent régulièrement de sincérité ; ce qui peut sans doute mettre leur défenseur dans l'embarras. Car s'il doit la vérité aux Juges et à son client, l'avocat, lui, ne peut contraindre ce dernier à la lui livrer.

Alors, si après avoir éliminé les erreurs et les invraisemblances, il ne reste aucun possible, aucune "province du vrai", il sera bien contraint de laisser apparaître ses doutes ou ses réserves, car sa tâche n'est pas d'apporter la solution de l'affaire, qui appartient aux seuls Juges, mais de présenter à ceux-ci la "meilleure approximation de la vérité", que Karl Popper appelait la "véri-similitude" et qui représentait pour lui une notion cruciale en science.

La science qui, sans cette notion, constitue un autre des obstacles , Rabelais l'avait bien pressenti, qui nous avertissait, il y a plus de 400 ans, que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme".



Le temps de la science Galiléenne n'est plus, qui énonçait l'idéal d'une vérité univoque et limpide, réfractaire à toute zone mystérieuse.

Depuis le début de notre siècle, plus aucun chercheur ne nourrit la conviction ancienne selon laquelle il est dans le pouvoir de la science d'arracher à la nature tous ses secrets,

La réalité est désormais du côté de l'incertitude, de la complexité, de l'indéterminisme.

Mais alors que la science avoue la disparition de ses certitudes traditionnelles, une idéologie scientiste triomphe dans la société.

On convoque tant et plus la science à la Barré des Tribunaux. Elle est accueillie comme la réponse irréfutable, elle apparaît comme le "Deus ex Machina" de la tragédie moderne.

Et pourtant, toute vérité scientifique peut être une "erreur en sursis", une imposture probable.

On nous a par exemple assuré, et nous croyons encore tous, que l'ADN est unique à chaque individu, le distingue sans coup férir d'entre tous, toute concordance étant exclue entre les bandes génétiques de personnes différentes Mais, de récentes découvertes viennent contredire cette infaillibilité prétendue : des chercheurs américains ont en effet trouvé de parfaites concordances entre les bandes ADN de 32 indigènes "Suri", en Amazonie, avec celles de Mayas vivant au Mexique, à plus de 3200 kilomètres, et alors que n'existe aucune possibilité de contact, de voyages, ou de liens de parenté.

Un jour, on pourrait ainsi découvrir que l'échantillon d'un innocent concorde avec celui prélevé sur le lieu d'un crime....

Même si elle raconte une extraordinaire histoire du monde, la science reste néanmoins une simple version des faits, nous donne simplement une information, à utiliser au même titre que d'autres éléments et preuves

Mais malgré les méprises qu'elle a déjà entraînées, la fascination qu'elle opère semble laisser bien peu de place aux autres vérités.

Et de toutes ces vérités, scientifiques, historiques, humaines,... une seule deviendra vérité judiciaire, une seule sera frappée du sceau de "Res Judicata".

Les Anciens ajoutaient en parlant de cette chose jugée, "pro veritate habetur" : elle doit être tenue pour la vérité, mais ne constitue pas une certitude, "C'est une vérité probable dans la mesure où la vérité est accessible aux hommes et rien de plus". (Maurice Garçon, "l'Eloquence Judiciaire")

La vérité "judiciaire"... pour rassurante que soit l'épithète, elle n'en traduit pas moins une inévitable restriction.

Et comment mieux saisir cette restriction qu'à travers l'hypothèse de la prescription ? prescription extinctive, par laquelle la vérité judiciaire reconnaît ouvertement sa totale indifférence aux faits, en raison de l'écoulement du temps qui les a engloutis dans des profondeurs dont ils ne pourraient être exhumés intacts....

Prescription acquisitive, grâce à laquelle une vérité parfois bien douteuse se pare du manteau honorable de la légalité.

Inévitable restriction encore, dès lors que la vérité judiciaire coexiste avec l'erreur de même épithète. (car il n'est en effet de capuche si sainte que le Diable n'y glisse la tête...!)

Et c'est précisément, aussi, pour combattre cette redoutable erreur que l'avocat se doit de servir la vérité, car, ainsi que le disait Albert Camus, "seule la vérité peut affronter l'injustice, la vérité ou bien l'amour".


© Pascale POTIER-BOURGEOIS

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