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Conférence du Stage

Réflexions sur les libertés individuelles

par Maître Marie-Reine HENIQUI
Avocat à la Cour de Nancy


RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE
3 février 1979


Le choix même de ce thème « réflexions sur les libertés individuelles » correspond à une préoccupation unanimement ressentie par l'opinion publique en général, par le juriste en particulier.

L'actualité ne nous livre-t-elle pas, en effet, des exemples par trop nombreux de peuples opprimés ? A l'inverse, nous connaissons les efforts entrepris pour défendre la dignité de l'homme : ce fut en 1975, la Conférence d'Helsinki, dont l'un des thèmes les plus marquants fut celui de la coopération dans le domaine humanitaire.

Notre propos se garde d'être la réponse péremptoire à ces préoccupations, il a plus humblement pour ambition de lancer les questions, à la manière du pêcheur qui lance ses filets...

Le mot « Liberté » a une résonance toute particulière... Depuis toujours, l'homme lutte pour conquérir sa liberté :

D'aucuns, parmi les pessimistes, refuseront à l'homme l'illusion de la liberté, ne voyant en lui qu'un grain perdu dans un univers programmé et déterminé.

D'autres, glorifiant la nature humaine supérieure à toute donnée géographique ou historique, proclameront la dignité de l'homme. Cette dignité trouvera son expression dans la Liberté.

C'est cet homme digne et libre qui a présidé à l'élaboration du texte fondamental de « la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » de 1789.

Par cette déclaration (et celles qui suivirent tant au niveau national qu'international), le concept de la « Liberté » se voyait mis en oeuvre concrètement par l'exercice « des libertés ». Ainsi, du singulier abstrait « la Liberté », nous passons au pluriel concret « les libertés ».

Cependant, ce passage de l'idéal au réel ne se fait pas sans déviation. Quels sont alors, dans notre civilisation, les facteurs qui sont susceptibles de venir dévier, grignoter le bel agencement de nos libertés tel que légué par la Révolution ?

RENDEMENT et son corollaire ORGANISATION, tels sont les dieux païens auxquels sacrifie notre civilisation. Jean Onimus n'écrit-il pas dans son avant propos à une recherche collective sur le thème de la liberté et l'organisation : « nous sommes rentrés dans l'ère des organisateurs. Ils ont droit de regard partout : l'usine, l'école, la famille, le mariage et la procréation, les divertissements, l'orientation professionnelle, le marché du travail, rien ne peut ni ne doit leur échapper ».

C'est donc au nom de la rentabilité et de l'organisation que l'homme actuel aliène ses libertés. Cette aliénation lorsqu'elle est consentie peut trouver son explication dans le fait que l'homme rêvera peut-être moins (il le sait) mais il réalisera plus (il le veut)...

Cependant, cette aliénation peut, à l'inverse, ne pas être consentie mais subie : la révolte est proche. On assiste alors à un phénomène de violence. Ce phénomène est certes une réaction à l'aliénation de l'homme, mais il est en lui-même un péril car d'une part, la violence est une atteinte à l'intégrité de l'homme et d'autre part, elle entraîne, par un phénomène d'escalade, une réaction du monde organisé qui se fera encore plus opprimant.

Organisation et Besoin de Sécurité sont donc à notre sens, les deux variables qui viennent aujourd'hui infléchir la ligne de nos libertés.

La question alors sans cesse reposée est la suivante :

« Doit-on porter atteinte aux libertés pour assurer une bonne organisation de la société et pour combattre avec plus d'efficacité la violence qui la met en péril, ou bien doit-on au contraire s'efforcer de garantir ces libertés pour éviter une dégradation irrémédiable ? »

Atteinte ou Protection des libertés individuelles : c'est don vers une ébauche de bilan que se dirigeront nos réflexions.

Encore sera-t-il utile de définir préalablement ces libertés :

- les libertés peuvent en fait être exercées par l'individu : ce sont les libertés individuelles stricto sensu ; elles concernent la sûreté de l'individu, son droit d'aller et venir, sa vie privée ; elles concernent également son statut (militaire, étranger) ou sa condition (femme, malade...)

- Les libertés peuvent aussi être exercées par le groupe (liberté d'information, d'association...) Elles sont alors collectives, mais il est entendu que le groupe n'est jamais que la somme des individus qui le composent et que ce qui est collectif est ressenti individuellement.

Atteinte et Protection des libertés de l'homme, tels seront donc les deux pôles de notre réflexion.

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*     *

Les atteintes portées aux libertés individuelles sont d'ordinaire légitimées par l'alibi de la Légalité ; elles sont parfois franchement abusives. Ainsi, à côté de certains textes (lois, décrets) qui sont venus restreindre les libertés, se sont développées certaines pratiques contestables dont la légalité n'est pas toujours apparente.

Concernant les atteintes légales, il est rassurant de penser que le Législateur ne porte pas atteinte aux libertés sans raison : quand il intervient, c'est généralement pour protéger la société, la collectivité toute entière, mais c'est aussi et de plus en plus souvent pour protéger l'individu, même contre son gré.

La protection et la bonne organisation de notre société vont nous imposer toutes sortes de restrictions que nous allons admettre (du moins lorsqu'il s'agit des autres !).

C'est ainsi que l'initiative privée va devoir satisfaire à toute une réglementation contraignante : il n'est plus question aujourd'hui de construire le Palais Idéal du facteur Cheval dans tel lotissement ou telle Z.U.P. ou tel P.O.S. ! Il est difficile aujourd'hui de donner libre cours à sa fantaisie et d'entreprendre librement un projet sans se heurter à des contraintes administratives et économiques de toutes sortes souvent représentées par des sigles barbares.

Si l'entrepreneur d'aujourd'hui s'essouffle dans le corset étriqué de la réglementation, celui qui consomme est-il plus à l'aise ? Il y eut autrefois des citoyens, il y a maintenant les consommateurs... Le Consommateur est une espèce humaine apparue au XXe siècle après Jésus Christ et qui a pour caractéristique de se créer de nouveaux besoins au fur et à mesure que les anciens disparaissent... L'atteinte à l'individualité de chacun devient ici très profonde et même sournoise. Ce n'est plus un problème de légalité, c'est un problème de civilisation...

Le second impératif d'une société bien organisée est d'assurer la sécurité de ses membres.

Dans cette optique, la plupart des textes récents qui sont venus restreindre les libertés étaient destinés à lutter contre la CRIMINALITE : on peut citer par exemple la loi du 8 juin 1970 dite « loi anti-casseurs », la loi du 31 décembre 1970 prolongeant la garde à vue jusqu'à 4 jours en cas d'infraction à la législation des stupéfiants, la loi d'octobre 1978 sur la réforme des permissions de sortie.

Dans certains cas, le Législateur est intervenu pour protéger la collectivité contre des personnes dont l'état peut constituer un DANGER : ainsi l'article R. 30-7° du Code pénal punit d'une amende de 40 francs à 80 francs, ceux qui auront laissé divaguer des fous ou des bêtes féroces (assimilation pour le moins curieuse !...)

Plus récemment, c'est le danger que fait courir l'alcoolique au volant qui a été combattu, dans un premier temps, par le contrôle de l'imprégnation alcoolique en cas d'infraction grave et depuis 1978 même en l'absence de toute infraction.

Mais l'individu en tant que tel est de plus en plus visé : c'est lui que l'on veut protéger contre son gré.

C'est dans le domaine médical surtout que la loi a porté atteinte aux libertés individuelles et notamment à l'intégrité corporelle :

- ainsi l'obligation de se soumettre à un examen médical prévu par le droit du travail (avec une surveillance toute particulière pour les handicapés, les femmes enceintes, les travailleurs de moins de 18 ans) ;

- ainsi également l'obligation de se soumettre à un contrôle anti-dopage pour les sportifs.

Dans certains cas, l'obligation va jusqu'à suivre un traitement médical : c'est le cas pour les alcooliques dangereux, c'est le cas depuis la loi du 31 décembre 1970 pour les toxicomanes considérés plus comme des malades que comme des délinquants.

Lutte contre l'alcoolisme, lutte contre la toxicomanie, lutte contre le tabagisme : l'homme n'est plus libre de s'adonner à ces vices. Le fondement de ces interdictions peut paraître absurde à celui qui, selon l'expression, dira : « mais, je ne fais de mal à personne qu'à moi-même ! »... Une autre question plus ponctuelle retient l'attention : TABAC ou HASCHICH ? Pourquoi l'un et pas l'autre ? La Faculté nous répondra d'un point de vue médical sur les dangers respectifs de ces deux excitants. Mais d'ores et déjà nous savons que tous deux sont nuisibles à la santé. En réalité, l'emploi du haschich a pu sans doute être interdit parce que c'est une drogue d'apparition relativement récente en Occident, en même temps que son apparition s'est dessinée une volonté déterminée de la combattre. Par contre, le tabac s'est glissé dans les moeurs depuis longtemps et l'interdire serait une révolution - rappelons-nous le temps de la prohibition aux Etats-Unis qui n'eut pour effet que d'épanouir quelques gangsters sans scrupules - Charmante persuasion et slogans publicitaires, tels sont les moyens sur lesquels s'est rabattue la lutte contre le tabagisme et bien dur serait celui qui ne fondrait pas devant la persuasion d'une tendre jeune fille lançant « une cigarette écrasée, c'est un peu de Liberté gagnée ! »

Dans un autre domaine, l'accroissement de la circulation et la multiplication des accidents de la route sont à l'origine d'une autre atteinte à la liberté individuelle, celle-ci très contestée par certains : l'obligation du port de la ceinture de sécurité... Est-il besoin de rappeler que nous, auxiliaires de Justice, bénéficions d'une immunité toute particulière sur le ressort de la juridiction touloise ?... Mais sur le reste du territoire national, cette obligation nous incombe et il convient de se demander si cette mesure n'a pas une justification plus vaste que la protection immédiate de l'individu. En fait, un accident concerne non seulement la victime mais aussi toute la collectivité qui en supporte le coût et bien des protections engagées dans l'intérêt immédiat de l'individu sont aussi motivées par le fait que ces individus victimes d'eux-mêmes deviennent des charges pour la société.

Nous voici donc à l'Ere de l'Etat-Prévention. L'Etat veille sur ces grands enfants que sont les citoyens et les « gendarmes et C.R.S. se préparent au rôle affable de psycho-socio-éducateurs spécialistes en publicité de surcroît ! » Reste à savoir, comme le dit la journaliste Chantal Didier « si tant de sollicitude envers les citoyens enfants de l'Etat ne conduira pas les Français à protester : « Laissez-nous vivre et mourir en paix ! »

Port de la ceinture, contrôle de l'imprégnation alcoolique, loi anti-casseurs ont en commun d'avoir une base légale incontestable. Il en va tout autrement dans le cas de pratiques abusives ou même d'illégalité.

- Les pratiques abusives doivent être dénoncées. Nous retiendrons pour exemple les excès dans la détention provisoire et l'extradition.

La détention provisoire est une pratique, bien souvent nécessaire, même s'il s'agit d'une mesure très grave. Tant qu'elle reste limitée à une courte période (quelques mois au maximum), aucune critique ne peut être faite, mais lorsqu'elle se prolonge des années durant, il faut bien parler d'abus et d'abus dangereux. Ainsi, en janvier 1978, ont été jugées deux personnes, auteurs d'un hold-up en 1971 et arrêtées en février 1973. Pendant 5 ans, les prévenus ont été convoqués 5 fois par le magistrat instructeur : une fois par an en moyenne. Dans un pareil cas, ce n'est pas le Tribunal qui prononce la peine mais le Juge d'Instruction ! Il s'agit là bien sûr d'un cas extrême...

D'autres pratiques que l'on peut qualifier d'abusives sont les expulsions et les extraditions précipitées.

- en 1977, l'avocat allemand Klaus CROISSANT est extradé immédiatement après l'avis partiellement favorable de la Chambre d'Accusation sans même laisser le temps à ses défenseurs de former un recours devant le Conseil d'Etat contre le décret d'extradition. Certes, rien en droit, n'obligeait le gouvernement à suspendre la décision d'extradition, mais rien ne l'obligeait non plus à renvoyer Klaus CROISSANT en R.F.A. aussi rapidement. Pourquoi ne pas avoir attendu comme cela avait été le cas dans une affaire précédente (similaire dans les faits sinon dans son retentissement), que le Conseil d'Etat se prononce sur le sursis à exécution ?

Détention provisoire prolongée, extradition précipitée, ne sont que des pratiques contestables, mais dans certains cas, l'Etat recourt à des méthodes manifestement illégales. Très graves sont alors les atteintes portées aux libertés en dehors de toute base légale.

Ces dernières années, trois domaines ont été particulièrement visés :

- celui de l'internement administratif, mesure discrétionnaire qui semblait reléguée au passé et que l'on a vu poindre récemment, sur simple circulaire, à l'encontre des étrangers en voie d'expulsion et qui peuvent être internés pendant une durée de 7 jours.

- l'autre domaine privilégié de l'illégalité est celui du flou existant autour de la limite entre les pouvoirs de la police administrative (dont le but est de prévenir les infractions) et ceux de la police judiciaire (dont le but est de réprimer les infractions), la première voulant s'arroger les pouvoirs de la seconde... Certes la distinction entre les deux polices n'est pas toujours facile, mais il convient d'être vigilant et de veiller notamment à ce que la police administrative ne pêche par excès en procédant par exemple à des interpellations ou à des contrôles d'identité, qui ne sont pas de son ressort.

- enfin, l'erreur et ce qu'il faut bien nommer pudiquement les bavures policières doivent être stigmatisées de manière à ce que celles-ci se réduisent à de simples postillons !

Les atteintes aux libertés individuelles fusent donc de toutes parts : tantôt elles se parent de l'alibi de la légalité ; tantôt, plus criardes, elles adoptent la voie de la déraison et de l'illégalité ; enfin, sournoises, elles font de l'individu un être « normalisé » et - qui sait ? - peut-être heureux de l'être !

Mais les atteintes à certaines libertés sont parfois la simple protection d'autres libertés (par exemple, la liberté d'information sanglée dans les limites du respect de la vie privée). La liberté de l'un cède le pas à la créance de l'autre (par exemple, la liberté de licencier battue en brèche par le droit au travail). Les libertés elles-mêmes se posent donc entre elles des limites de coexistence pacifique.

Compris de cette manière, la réduction de certaines libertés ne signifie pas dégradation des libertés. C'est en réalité un compromis. Un compromis d'autant mieux accepté que le principe reste la protection des libertés individuelles.

Qui dit protection des libertés pense aux Tribunaux, mais on ne peut passer sous silence l'oeuvre législative.

C'est, suivant l'article 34 de notre Constitution, la LOI qui fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

Le Législateur s'est montré soucieux du respect de la sûreté de l'individu qui est selon M. RIVERO, « la protection avancée de toutes les autres libertés ». Par une loi du 17 juillet 1970, le Législateur a tenté de remédier aux défauts de la détention provisoire, posant le principe selon lequel la détention provisoire était exceptionnelle et mettant en place un certain nombre de moyens (tels que le contrôle judiciaire) destinés à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens... D'autres textes sont venus compléter cette loi : détention ne pouvant excéder 6 mois en matière correctionnelle ; création de substituts aux courtes peines de prison, indemnisation (parcimonieuse) en raison du mauvais fonctionnement de la Justice.

La protection de la vie privée a été également l'un des soucis du Législateur.

Cette protection est particulièrement nécessaire en raison des innovations techniques telles que l'informatique : l'homme-consommateur cède la place à l'homme consommé et digéré sous forme de fiche ! Si la pratique peut être alléchante pour les demoiselles en quête du mari parfait (ou presque) trouvé sur ordinateur, la pratique devient inquiétante lorsque l'on considère le nombre d'informations qui peuvent être données sur un individu à tout organisme public ou privé en quête d'indiscrétions !

Des textes récents sont venus prévenir de tels abus et dangers...

La protection de la vie privée, c'est aussi la non-divulgation par les moyens de l'information des éléments de cette vie que l'on veut préserver du public... Une loi de 1970 est venue combler un vide législatif dangereux : elle autorise la saisie des publications attentatoires à l'intimité de la vie privée et renforce la protection pénale. Ainsi telle actrice célèbre verra l'image de son corps dévêtu protégée lorsqu'il est surpris chez elle et exaltée lorsqu'il est montré à l'écran...

Certaines catégories d'individus enfin ont retenu l'attention du Législateur.

Il s'agit des femmes tout d'abord, qui se voient reconnaître l'égalité juridique avec l'homme, la libre accession à presque toutes les professions, la non-discrimination... La femme accède à sa liberté aux côtés de l'homme (elle saura le moment venu, agir avec la même sollicitude envers celui qu'elle aura par mégarde colonisé !...)

Mais l'une des libertés acquises depuis peu et qui risque (si ce n'est déjà fait) de transformer profondément les moeurs, c'est la liberté qu'a la femme de donner ou de ne pas donner la vie. Si l'interruption volontaire de grossesse provoque des débats passionnés et des questions de conscience auxquelles il appartient à chacun de trouver une réponse en son coeur, la contraception est devenue chose courante. La femme et l'homme sont libres de programmer une famille (la femme, du moins, a cette liberté, car le temps est-il bien loin où l'homme demandera humblement à sa femme de lui faire un enfant ?)

Avant que l'homme, par opposition à la femme, ne devienne une catégorie en tant que telle à protéger, le Législateur s'est préoccupé d'insérer les immigrés dans la vie nationale (droit de vote dans les comités d'entreprise et récemment, bénéfice de l'aide judiciaire ou encore saisine du médiateur).

Ces textes légaux assurant la protection des libertés ne sont pas négligeables, mais quelle portée auraient-ils, si les Tribunaux n'étaient pas là pour les garantir ?

L'autorité judiciaire, garante des libertés, est plus qu'une image ou une figure de style, c'est une réalité que reconnaît d'ailleurs notre Constitution qui en fait dans l'article 66, la gardienne de la liberté individuelle.

Les exemples ne manquent pas qui viennent confirmer ce rôle :

Ainsi la protection de la vie privée était jusqu'à la loi de 1970, mal assurée par le Législateur : aussi ce sont les Tribunaux civils qui ont pallié cette carence en décidant notamment dans la célèbre affaire du fils de Gérard Philipe, la saisie des publications attentatoires à la vie privée, jurisprudence entérinée par la loi du 1970.

Mais il faut distinguer deux juridictions dont l'action en faveur de la protection des libertés individuelles doit être soulignée : le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel.

La jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de protection est abondante. La Haute Assemblée n'a jamais hésité à sanctionner le Pouvoir, notamment en 1962 dans la célèbre affaire Canal, où celui-ci fut sauvé de justesse par l'annulation d'une ordonnance instituant une Cour Militaire de Justice.

C'est dans le domaine des expulsions et de l'extradition que le Conseil d'Etat s'est montré ces dernières années le plu hardi en contrôlant non seulement les conditions de forme du décret d'extradition (rôle dans lequel il se cantonnait habituellement) mais également en examinant les conditions de fond. (Cet examen fut favorable pour un certain Astudillio Callejo, mais pas pour un certain Klaus Croissant).

L'action du Conseil d'Etat est donc en principe efficace, mais sa compétence se limite aux décisions gouvernementales. Jusqu'en 1958, les décisions du Législateur étaient insusceptibles de recours.

Depuis 1958, le Conseil Constitutionnel vérifie la conformité des lois avec la Constitution, norme suprême qui a repris dans son préambule les termes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Après de timides débuts, le Conseil Constitutionnel a pris ses distances vis-à-vis du pouvoir et a annulé un certain nombre de lois, dont la plupart d'ailleurs concernaient les libertés publiques.

En matière de libertés individuelles, c'est la récente loi sur la fouille des véhicules qui a été déclarée inconstitutionnelle, en raison notamment de l'étendue des pouvoirs conférés aux Officiers de Police Judiciaire et à leurs agents.

L'évolution récente de la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil Constitutionnel est probablement ce qu'il y a de plus important concernant la protection des libertés individuelles.

La protection des libertés individuelles trouve encore sa réalité dans le rôle quotidien des Magistrats auxquels il appartient de juger en toute indépendance. « L'indépendance, a dit le Procureur Général Dupin, dans son discours d'installation, le 23 août 1830, est la liberté perfectionnée ».

Mais les Tribunaux seront-ils toujours saisis des atteintes faites aux libertés individuelles ?

C'est là le rôle de l'Avocat et la vigilance du citoyen se complètent... N'est-il pas écrit en effet sur le Tableau de l'Ordre des Avocats à la Cour d'Appel de Nancy, que le rôle de l'avocat est « d'intervenir, comme Conseils ou Défenseurs, en toutes circonstances où sont en jeu, la vie, l'honneur, la liberté et les intérêts des personnes » ? Cette intervention se fera par une action efficace devant les Tribunaux. Ne pourra-t-elle se faire également par une action directe « sur le terrain » dans tous les aspects de la vie quotidienne ? L'avocat et le citoyen seront alors très étroitement liés.

C'est d'ailleurs en se regroupant que les actions les plus utiles peuvent être menées par les individus :

- ainsi les associations de consommateurs, qui peuvent depuis peu se constituer partie civile, dénonçant les fraudes, les publicités mensongères (ou audacieuses, telles que les collants estampillés à la marque « Danone » !)

- ainsi les organisations telles que Amnesty International dont les résultats pour être modestes n'en sont pas moins tangibles...

C'est donc vers une conscience et une efficacité collective que se dirige la protection des libertés individuelles. C'est vers un supplément de Justice que nous invite à aller le Bâtonnier Pettiti qui, lors de la rentrée de la Conférence du Stage du Barreau de Paris, le 28 janvier 1978, nous dit : « L'Etat moderne n'existe que pour servir l'homme, toute atteinte aux droits de la personne humaine est une perversion et conduit au dépérissement du Droit. Le meilleur instrument de l'Etat contre la violence qui est le mal du siècle, ne peut être qu'un supplément de Justice ».

C'est à ces quelques conditions, que notre société pourra se voir appliquer la conclusion du Comité pour une Charte des libertés animé par notre confrère Maître Badinter, qui est la suivante : « Les signes par lesquels on reconnaît une société libre, sont le rire, la fête, l'humour et la tendresse »...


© Marie-Reine HENIQUI

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