juripole information juridique
informatique juridique droit de l'informatique

Conférence du Stage

Les Droits de l'Animal

par Maître Etienne BAUMANN
Avocat à la Cour de Nancy




RENTREE SOLENNELLE DE LA CONFERENCE DU STAGE
29 février 1964


La Déclaration des Droits de l'Homme, en date du 26 août 1789, proclamait dans son article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».

S'inspirant de la même pensée et reproduisant la même formule, la déclaration des droits de l'Animal du XXème siècle, doit proclamer à son tour : « Egales devant la joie et devant la souffrance, toutes les créatures animées naissent libres et égales en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ou pour leur bien personnel ».

Ainsi s'exprimait, non sans un désir manifeste de frapper l'imagination, au seuil même de son livre « Déclaration des Droits de l'Animal », André Géraud, aimable philosophe, qui publia son ouvrage original au début du deuxième conflit mondial, temps où le problème soulevé passait après ceux plus immédiats posés par les circonstances. Il faut dire que semblable projet, pour généreuses que soient les idées qui animent son auteur, soulève bien des difficultés par son idéalisme même. Le romantisme n'étant pas l'apanage du siècle où nous vivons, ces nobles préoccupations ont-elles des chances d'aboutir, et le jour est-il proche, de l'avènement d'une charte animale qui donnerait satisfaction aux zoophiles intransigeants ?

Il suffit de constater le caractère nécessaire de la coexistence des sociétés humaines et des animaux, pour apercevoir immédiatement que, quelle que soit l'époque ou le lieu, les hommes sont conduits à édicter des prescriptions concernant ceux qu'il est convenu d'appeler nos frères inférieurs.

Impératifs économiques, philosophiques, religieux ou sentimentaux sont à la base de ces règles.

Ainsi l'Animal, de l'humble hôte de basse-cour au taureau fougueux des arènes, figure-t-il en bonne place dans la Jurisprudence, encore que ne comparaissant jamais devant ses juges, et c'est de ce curieux plaideur que nous voudrions vous entretenir.

*
*   *

Plaideur qui ne comparaît jamais « en personne », allions-nous dire !

C'est certain à l'heure présente, mais il n'en a pas toujours été ainsi, et les procès intentés aux animaux étaient faits habituels il y a de cela quelques siècles.

En effet, le Moyen-Age, pénétré de religion, voyait dans les animaux des créatures auxquelles Dieu avait donné la vie et, partant, comme il n'était pas possible de leur donner une personnalité au même titre qu'aux êtres humains, et qu'il n'était pas plus concevable de les considérer comme des choses inanimées, il fut admis qu'ils avaient une quasi-personnalité, qui les rendait susceptibles d'être punis aussi bien de mort que d'excommunication.

Ainsi en 1457, il fut procédé à la pendaison « par les pieds derrière à un arbre » d'une truie convaincue après enquête d'avoir tué un enfant.

Disons tout de suite que les pourceaux de cette truie, dont la participation au crime de leur mère n'était pas établie, et qui, de toute façon, étaient excusables pour n'avoir fait que suivre l'exemple qui leur était donné, ne furent pas exécutés, mais déclarés biens vacants, et confisqués, leur propriétaire ayant refusé de payer la caution qui lui était demandée pour pouvoir les reprendre.

En 1389, c'était un cheval qui, coupable d'avoir « méchamment occis » un homme, avait été condamné à mort par les échevins de Dijon.

En 1512, un taureau, meurtrier lui aussi, se verra infligé le même sort.

Vaches et ânesses ne sont pas épargnées non plus...

Mais ces animaux, individualisés, convaincus de crime, ne sont pas les seuls à subir les foudres de la Justice et à la même époque, certains insectes se voient poursuivis pour la seule raison qu'ils s'avèrent nuisibles.

C'est le cas pour les scarabées du district de Coire, pour les chenilles de Pont-du-Château et pour les amblevins de Saint-Jean-de-Maurienne.

La vindicte populaire s'étend même à la faune aquatique puisqu'en 1451, les habitants de Lausanne intentent un procès aux sangsues du Lac de Genève.

L'insignifiance de ces petits animaux est sans commune mesure avec les précautions prises pour procéder contre eux.

Ainsi ne faut-il pas moins de trois citations, faites par huissiers sur les bords du Lac pour commencer le procès ; et les pauvres bêtes faisant naturellement défaut, un syndic est nommé pour les représenter, et un avocat désigné pour les défendre, qui dépose des conclusions et plaide longuement.

Ce sont d'ailleurs, dans ces procès, les mêmes arguments qui sont invoqués, à savoir qu'il s'agit de créatures de Dieu ; qu'elles sont en possession immémoriale du droit de vivre dans les lieux d'où l'on veut les chasser, et les défenseurs trouvent dans les Ecritures une source intarissable où puiser leurs moyens de défense.

Ce luxe de procédure et de formalités va très loin, puisque le juge qui s'était vu confier l'affaire des scarabées pourvut ceux-ci d'un curateur, à l'instar des mineurs, en raison de « leur jeune âge et de l'exiguïté de leur corps ».

La sentence rendue, quelques jours (trois en général) sont laissés aux occupants indésirables pour déguerpir des lieux qu'ils occupent témérairement... passé lequel délai ils encourent la malédiction de Dieu, et par la suite, l'extermination. En fait, nous apprend-on, c'est à cela que l'on veut arriver mais les formes prises, qui sont destinées à inculquer au peuple le respect de la vie, le sont également pour mettre le Droit du côté des poursuivants (ce qui est adroit et simple à réaliser).

Après quoi le massacre est permis.

Mais il faut dire que si les animaux jugés étaient fort souvent condamnés, il pouvait arriver qu'ils ne le fussent pas, et même s'ils l'étaient, qu'ils ne subissent pas leur peine, comme ce troupeau de porcs que le Duc de Bourgogne sauva en apposant son sceau sur des lettres de grâce.

La disparition, au 17ème siècle, des procès comme ceux que nous venons de voir, ne devait pas priver les juridictions d'une catégorie aussi remarquable de plaideurs.

Sans possibilité de comprendre la portée de ses actes, sans contrition possible, l'Animal est voué à occasionner des dégâts. Si les systèmes élaborés pour permettre le dédommagement de la victime ont varié, ils existent depuis longtemps ; les théories les plus hardies de la quasi-personnalité, voire de la personnalité des Animaux, rejoignent dans ce domaine celles de la non-personnalité et ce n'est donc plus l'auteur même du dommage qui sera tenu par la décision de Justice : le méfait accompli, il s'efface pour laisser la place à son maître, qui seul est susceptible de réparer le préjudice...

*
*   *

Le Droit français antérieur au Code civil connaissait la responsabilité du maître de l'animal et, selon les coutumes, la responsabilité était fondée, ou pas, sur l'idée d'une faute quelconque commise par le maître.

Le Code civil, par l'article 1385, devait poser en principe la responsabilité du maître ou de celui qui se sert de l'animal, et la Jurisprudence, estimant que ce texte renfermait une présomption de responsabilité, supprimait ainsi pour la victime du dommage, la difficulté qui consiste à administrer la preuve d'une faute à la charge du maître.

Désormais le seul moyen d'échapper à cette responsabilité est de démontrer l'existence d'un cas de force majeure, ou la faute de la victime.

C'est assez dire que les écarts de conduite des animaux placent leurs maîtres dans une situation bien difficile !

Si le directeur d'une ménagerie n'est pas responsable de l'accident survenu à un spectateur qui, enfreignant les consignes de prudence affichées, donne à manger à un lion en passant un bras dans la cage, le chef de famille qui n'élève qu'un modeste chien, mais en liberté, court indiscutablement le risque de voir sa responsabilité mise en jeu.

Les hypothèses où cette responsabilité peut être engagée sont illimitées. En particulier, l'anecdote suivante, dont l'authenticité ne paraît pas pouvoir être contestée, aurait pu accéder aux honneurs de la publication dans les revues juridiques si le hasard ne s'était montré particulièrement heureux.

Un perroquet avait sa cage à la fenêtre d'une maison, laquelle avait vue sur une gare de chemin de fer. Habitué au spectacle des trains comme au bruit accompagnant les manoeuvres, et mu sans doute par un réflexe conditionné, il donna, un jour, de son perchoir, le signal du départ à un train sous pression, en imitant le sifflet du chef de gare.

La chance voulut qu'aucun accident ne se produisit.

Mais il est permis de se demander si dans le cas contraire, la responsabilité du propriétaire n'aurait pas été retenue, surtout si l'oiseau s'était déjà, mais sans effets, livré à cette dangereuse imitation.

*
*   *

Engagée en raison de l'article 1385 du Code civil, la responsabilité du propriétaire de l'animal peut l'être aussi en vertu d'autres dispositions, ce qui laisse clairement apparaître que si l'on a cessé de procéder contre elles directement, nos amies les bêtes demeurent néanmoins, bien qu'à leur insu, des plaideurs impénitents.

Encore ne nous sont-elles apparues jusqu'ici qu'à cause de leur comportement dommageable.

*
*   *

Mais les lois humaines ont toujours tendu à assurer la protection de l'animal.

Les moyens utilisés, qui consistaient, à l'origine, à réprimer, parfois très sévèrement, la torture ou le meurtre des animaux, ont évolué, dans le sens de la clémence d'ailleurs, dans bien des cas, en se doublant d'autres moyens plus positifs permettant de porter secours aux bêtes.

Nous sommes loin aujourd'hui de la peine de la lapidation, qu'encourait dans l'Egypte Antique, celui qui avait tué un animal.

Actuellement en France, la peine la plus grave qui puisse être prononcée dans le cas d'actes de cruauté, est de six mois d'emprisonnement.

Mesure récente d'ailleurs : elle a vu le jour il y a quelques semaines.

*
*   *

En fait, la pensée française, profondément marquée par Descartes, semble ne pas avoir oublié la théorie dite des animaux machines, et le sens aigu de la propriété, plus tard, au 19ème siècle, viendra limiter la portée qu'aurait pu avoir la célèbre loi Grammont, dont le promoteur était indiscutablement un véritable ami des animaux.

Ainsi, le législateur de 1850, respectueux du domicile et du droit de propriété, ne réprime-t-il que les mauvais traitements ayant lieu en public.

En 1898, le caractère de publicité n'est plus nécessaire, mais aucune sanction n'est prévue et il faut attendre l'année 1959 pour que le remède soit apporté par l'article R. 38 du Code pénal. Encore ne s'agit-il que d'une contravention.

Plus généreux d'ailleurs que la loi Grammont, il protège maintenant des mauvais traitements, les animaux, dits sauvages, en captivité.

Les animaux sauvages en liberté ne bénéficient pas de cette protection : les chasseurs ne courent aucun risque...

Les juridictions pénales étant saisies, le propriétaire de l'animal tué ou mutilé par un tiers, a évidemment droit à réparation pour la perte qu'il subit au point de vue matériel, et la jurisprudence est allée plus loin puisqu'elle a même, dans certains cas, prononcé des condamnations à des dommages-intérêts pour le préjudice moral causé.

Mais, à côté du propriétaire lésé, nous voyons intervenir avec succès également, d'autres victimes : les sociétés, ligues et associations dont l'objet est la protection des animaux.

*
*   *

Du point de vue strictement juridique, l'intervention de ces personnes morales a été longtemps discutée.

Mais la passion qui peut animer des juristes soutenant des théories contraires n'atteint jamais la véhémence des luttes à caractère sentimental.

Or le problème de la protection des animaux est de ceux, qu'en vain sans doute, la raison tente de résoudre.

Il suffit de parcourir la Presse pour mesurer à quel degré la foule des lecteurs peut se passionner pour tout ce qui touche aux bêtes.

Indépendamment du nombre grandissant des revues spécialisées, le ton même des articles en est la démonstration.

De violentes polémiques s'engagent, et il suffit de placer la discussion sur le sujet de la vivisection ou des courses de taureaux, pour que les limites du bon sens et de la modération soient franchies : aussi bien d'ailleurs par les partisans d'une thèse que par les partisans de l'autre.

Précisons, il le faut, que le problème de la vivisection, réglé en Angleterre depuis longtemps, ne l'est en France que depuis peu, et encore de façon imprécise, par la loi du 19 novembre 1963 :

Sans doute donnait-il lieu à trop de controverses.

Cette loi fait un délit des actes de cruauté. C'est donc le Tribunal Correctionnel qui aura à connaître de ces infractions, trop fréquentes, hélas !

En allant au fond des choses, on s'aperçoit que l'opinion publique en général, et de nombreux esprits fins, d'instinct, sont favorables aux thèses de la personnalité de l'animal, ou du moins de sa quasi-personnalité.

Mais il faut constater que la sympathie que peut inspirer un animal est souvent en fonction de ce qu'il peut présenter de similitude avec l'Homme.

L'ourson dans une cage nous attendrit infiniment plus que les milliards d'insectes anéantis chaque année par les procédés modernes.

Goethe le regrettait déjà, qui disait : « la plus insignifiante promenade coûte la vie à des myriades de pauvres insectes ».

On conçoit donc que la jurisprudence admette aujourd'hui l'intervention à la barre des sociétés zoophiles en qualité de parties lésées.

Quel est le préjudice dont elles peuvent faire état ?

D'abord un préjudice d'ordre moral, puisque leur prestige et leur autorité sont entachés par l'existence de faits délictueux souvent atroces.

Préjudice matériel aussi résultant de ce que ces sociétés sont dans l'obligation de rechercher, nourrir et soigner leurs protégés.

Leur rôle est d'ailleurs, depuis 1959, consacré par le Code pénal qui donne le pouvoir au juge de confisquer l'animal au maître indigne et de le remettre à l'une de ces sociétés.

Il n'est pas possible, en présence de ce texte, repris d'ailleurs dans la loi de 1963, de ne pas faire le rapprochement avec l'hypothèse du placement des enfants lorsque le milieu familial peut nuire à leur santé.

La faculté d'une remise par l'autorité judiciaire à une société de protection animale constitue un progrès indiscutable.

Si une telle mesure peut être interprétée comme un moyen d'éviter le scandale causé par le spectacle d'un animal martyrisé, elle peut l'être aussi comme intervenant dans l'intérêt particulier de ce dernier.

Dans ces conditions, on est en droit de se demander si notre législation n'est pas sur le point de s'inspirer de façon assez sensible des thèses personnalistes que droits révolutionnaire et post-révolutionnaire avaient radicalement condamnées.

Il faut bien sûr attendre que d'autres prescriptions interviennent pour pouvoir exactement déceler de quel esprit elles procèdent, et il faut que bien du temps passe encore, mais, si une telle révolution de nos conceptions traditionnelles intervenait, alors peut-être, pourrait-on envisager, teintée de logique moderne, une sentimentale déclaration des droits de l'Animal.


© Etienne BAUMANN

Retour à la liste des discours
Retour au sommaire du Juripole

droit informatique droit de l'informatique
formation contrats informatiques