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Synthèse du rapport de la Commission de réflexion sur la Justice

COMMISSION DE REFLEXION SUR LA JUSTICE

10 juillet 1997


Les textes suivants sont publiés avec l'aimable autorisation de Monsieur Pierre Truche,

Président de la Commission de Réflexion sur la Justice.

Synthèse du rapport de la commission

Résumé des principales propositions de la commission

1. Les relations entre le parquet et le gouvernement : éliminer le soupçon

2. Mieux protéger la présomption d'innocence

SYNTHESE DU RAPPORT DE LA COMMISSION

    La mission de réflexion et de proposition confiée à la commission par le Président de la République comportait deux sujets majeurs:

      1. Ies moyens de mieux assurer le respect de la présomption d'innocence, droit fondamental proclamé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais trop souvent malmené dans les faits; sujet qui commandait une série d'interrogations sur la procédure pénale, le poids respectif des phases d'instruction et de jugement, le caractère contradictoire et la publicité des débats, la réparation des atteintes à la présomption d'innocence...;

      2. l'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir politique et, plus particulièrement, les liens du parquet avec le garde des sceaux, objets parfois d'une suspicion de l'opinion publique préjudiciable à la démocratie.

    Au-delà de ces deux interrogations, selon les termes mêmes de sa saisine, c'est à une réflexion de fond sur nos institutions judiciaires, leur légitimité, leur place au sein de notre démocratie et leur relation avec les pouvoirs législatif et exécutif que la commission était invitée à se livrer.

    En abordant les interrogations qui lui étaient soumises, la commission a eu à coeur de respecter notre riche héritage judiciaire tout en s'efforçant d'en corriger pour l'avenir les traditionnels travers. Elle a ainsi souhaité se tenir à égale distance de la politisation de la justice et du corporatisme judiciaire, fut-il paré de l'idéal de l'indépendance de la magistrature. La légitimité de l'autorité judiciaire ne saurait en effet résider dans la seule vertu professionnelle ou éthique des magistrats. Elle trouve avant tout sa source dans la fonction éminente de la justice au coeur de l' Etat de droit et dans une relation directe ou indirecte avec le politique. D'où l'impératif de ne pas laisser pervertir cette appartenance essentielle à l'Etat et ce lien nécessaire avec le politique par des ingérences partisanes dans le cours normal de la justice et autres conflits d'intérêts.

    Les orientations de la commission ont également été inspirées - c'est le lien entre les deux grands sujets de sa réflexion - par le souci de réaliser un équilibre entre un parquet renforcé dans son statut et ses prérogatives et une défense à laquelle notre procédure pénale a fait historiquement une part trop réduite. Cet équilibre doit être garanti par le juge, dont la commission a tenu à souligner, par-delà l'unité du corps de la magistrature, la fonction singulière.

       Sur ces bases, et au terme de riches et longs débats, la commission a orienté ses réflexions sur la question des rapports entre le ministère public et le pouvoir politique dans deux directions, soigneusement équilibrées dans chacune de leurs composantes.

    Elle a considéré en premier lieu que, pour des raisons d'ordre constitutionnel, la politique judiciaire de la nation devait en démocratie continuer à relever de la responsabilité du gouvernement en la personne du garde des Sceaux, et s'est en conséquence prononcée contre une autonomie totale du ministère public. Elle a conclu de surcroît à la nécessité d'instituer une véritable politique de l'action publique, servant à encadrer l'application du principe d'opportunité des poursuites, et dont elle s'est attachée à définir le contenu. Animée et coordonnée par les procureurs généraux, faisant l'objet d'un débat périodique au Parlement, cette politique ouvrirait une possibilité de recours contre certaines décisions de non-poursuite ou de refus de réquisitoire supplétif. Elle viserait aussi à réduire le nombre des situations dans lesquelles les demandes adressées à l'institution judiciaire demeurent sans réponse.

    Pour autant, la commission a estimé qu'eu égard notamment à l'unité de la magistrature, qu'elle n'a pas estimé souhaitable de remettre en cause, le soupçon qui affecte l'indépendance de la justice tout entière du fait de la subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des Sceaux devait impérativement être éliminé. Ce résultat ne peut être atteint, aux yeux de la commission, qu'en redistribuant la gestion des carrières des magistrats du parquet entre le garde des Sceaux et un Conseil supérieur de la magistrature à la légitimité renforcée. La commission s'est donc prononcée en faveur de la soumission des propositions de nomination des magistrats du parquet par le garde des Sceaux à l'avis conforme d'un Conseil supérieur de la magistrature rénové. Dans ce nouveau Conseil, les magistrats n'auraient plus la majorité des voix mais seraient élus selon un mode de scrutin plus représentatif des diverses sensibilités composant la magistrature, le garde des Sceaux ne siégerait plus et le président de la République, qui continuerait à présider l'institution, n'aurait plus voix délibérative.

    Cette réforme doit s'accompagner d'une clarification des rapports de la Chancellerie avec le ministère public, au terme de laquelle les interventions du garde des Sceaux dans les dossiers particuliers seraient interdites sous quelque forme que ce soit dans toute situation manifestant un conflit d'intérêt entre le pouvoir politique et le cours normal de la justice, et ne seraient autorisées dans les autres cas que dans le cadre des directives générales de la politique d'action publique et à la condition d'êtres versées au dossier.

    L'indépendance accrue du parquet à l'égard du pouvoir exécutif serait enfin renforcée par une meilleure maîtrise des magistrats sur les missions et moyens de la police judiciaire, au moyen notamment de la présence dans chacun des ministères concernés (intérieur et défense) de magistrats de haut rang.

       S'agissant des moyens de renforcer la présomption d'innocence, la commission a estimé que ce sujet ne saurait se réduire au conflit entre le secret de l'instruction et la liberté de l'information. Elle a considéré qu'il lui revenait de faire porter d'abord sa réflexion sur les atteintes à la présomption d'innocence causées par certaines caractéristiques de notre procédure pénale, avant d'examiner les problèmes posés par l'écho médiatique de l'activité judiciaire.

    La commission a donc orienté sa réflexion à cet égard dans trois directions:

      -   une meilleure protection des libertés individuelles, notamment des droits de la défense, des personnes présumées innocentes. La commission s'est notamment prononcée en faveur d'une présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue et de l'enregistrement audio de celle-ci, du transfert de la décision de mise en détention provisoire vers une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu, et de limitations apportées à la durée tant de la détention provisoire que de l'instruction tout entière;

      -   l'organisation - au terme d'une phase initiale skictement protégée par le secret - de la transparence de la procédure, notamment par la tenue de débats contradictoires publics à l'occasion des principales décisions affectant les libertés individuelles, ainsi que par l'institutionnalisation d'une communication des juridictions;

      -  enfin, compte tenu de ce rééquilibrage de la procédure, une responsabilité accrue des acteurs de justice (officiers de police judiciaire, magistrats du parquet et du siège) comme des journalistes. La commission a notamment souhaité une meilleure protection des droits de la personne face aux médias dans certaines situations manifestement abusives.

    Les principales propositions de la commission sont résumées ci-après. Leur mise en oeuvre requiert à l'évidence une volonté politique ferme, mais aussi des moyens significatifs.

    Notre pays n'aura jamais que la justice dont il veut bien payer le prix.


RESUME DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

DE LA COMMISSION

    I.    Les relations entre le parquet et le gouvernement: éliminer le soupçon

Inscription des relations entre le parquet et le pouvoir politique dans le cadre d'une politique de l'action publique consacrée par la loi, relevant de la responsabilité du garde des sceaux au niveau national, animée et coordonnée par les procureurs généraux au niveau régional et mise en oeuvre localement par les procureurs de la République;

Rapport annuel du garde des sceaux au Parlement sur la mise en oeuvre de la politique d'action publique;

Encadrement du principe de l'opportunité des poursuites par des directives générales et publiques de politique d'action publique émanant du garde des sceaux; possibilité de recours, par toute personne intéressée ne pouvant se constituer partie civile, contre les décisions de classement sans suite ou de refus de réquisitoire supplétif devant un organisme composé de magistrats des trois plus hautes juridictions;

Interdiction des instructions du garde des sceaux dans les dossiers particuliers, et notamment de toutes instructions, recommandations ou pressions visant à réserver à un dossier un traitement exorbitant par rapport aux principes de la politique d'action publique, notamment en cas de conflit d'intérêts de l'exécutif. Maintien, dans la transparence, d'une concertation entre la chancellerie et les parquets sur l'application aux affaires individuelles des directives de politique d'action publique. Faculté propre pour le garde des sceaux de saisir toute juridiction et de présenter toutes observations par l'entremise d'un magistrat de la chancellerie ou d'un avocat;

Renforcement de l'indépendance statutaire de l'ensemble des magistrats du parquet par la soumission des propositions de nomination du garde des sceaux à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature;

Réforme de la composition du Conseil supérieur de la magistrature en vue de renforcer sa légitimité, selon les principes suivants:

  - majorité de sept membres non magistrats désignés par le Président de la République sans contreseing (deux), le Président de l'Assemblée nationale (deux), le Président du Sénat (deux) et l'Assemblée générale du Conseil d'Etat parmi ses membres (un);

  - élection de six membres émanant de la magistrature dans des conditions permettant une représentation aussi large que possible;

  - le Président de la République préside le Conseil sans prendre part au vote; le garde des sceaux présente au Conseil ses avis et propositions.

Compétence disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature dans les mêmes conditions pour tous les magistrats. Les magistrats du parquet peuvent être mutés dans l'intérêt du service sur avis conforme du Conseil;

Renforcement de la maîtrise de l'autorité judiciaire sur les missions et moyens de la police judiciaire:

    - présence dans chaque ministère concerné (intérieur et défense) de magistrats de haut rang;

    - prestation de serment des of ficiers de police judiciaire;

    - direction par un magistrat d'un corps d'inspection des missions de police judiciaire;

   - compétence de la chambre d'accusation en matière disciplinaire.

Réforme de la carte judiciaire en tenant compte à la fois des régions économiques et des centres de décision comme de ce qui doit être une justice de proximité moins dispersée;

Ouverture d'une réflexion sur la spécificité de la fonction de juger et ses conséquences en termes de recrutement et de carrière des magistrats, d'une part, de séparation des missions d'enquête et juridictionnelles, d'autre part.

    II.    Mieux protéger la présomption d'innocence

A.     Contre les atteintes de la procédure pénale

     Intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, puis en cas de prolongation de celle-ci; enregistrement par magnétophone des interrogatoires;

     Utilisation accrue de la procédure de témoin assisté avant la décision de mise en examen;

     Séparation des pouvoirs d'instruction et de celui de placer en détention provisoire et attribution de ce dernier à une collégialité excluant le juge d'instruction. Motivation des décisions d'indemnisation d'une détention;

     Limitation de la durée des informations judiciaires au moyen de dates butoirs;

     Interdiction faite aux enquêteurs de divulguer les noms des personnes mises en cause en cours d'enquête et de garde à vue;

     Amélioration de la transparence de la procédure par la publicité de principe des audiences en cours d'instruction (en cas de décision sur la mise en détention, sur la régularité de la procédure, sur sa durée ou en cas de contestation sur un refus d'accomplir certains actes), ainsi que par une politique de communication des juridictions.

    B.    Contre les atteintes médiatiques

     Affirmation de la valeur cardinale de la liberté d'expression, de la liberté de la presse et du droit à l'information des citoyens, dans le respect des lois et principes applicables, notarnment la présomption d'innocence;

     Priorité donnée à la voie civile pour la réparation des atteintes médiatiques à la présomption d'innocence, par l'extension du champ d'application de l'article 9.1 du code civil préalablement à toute mise en cause officielle et en facilitant la preuve en matière de radio et de télévision et organisation d'un droit de réponse audiovisuel;

     Compte tenu de la transparence accrue préconisée dans la procédure pénale, interdiction de certaines atteintes particulièrement graves à la présomption d'innocence, portant principalement sur:

    - la publication des noms des personnes mises en cause par une enquête préliminaire ou de flagrant délit ou une garde à vue sous la direction du parquet, cette interdiction étant levée dès l'expiration de cette phase de la procédure;

    - la publication de l'image d'une personne menottée ou entravée;

    - l'organisation de sondages relatifs à la culpabilité ou aux sanctions.

     Admission de la responsabilité pénale des entreprises de presse;

     Création d'un observatoire des situations litigieuses en matière de traitement médiatique de l'actualité judiciaire, composé de magistrats, d'avocats et de journalistes.

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