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La protection des fichiers informatiques "personnels" du salarié


Mots-clés : 

Vie privé du salarié, utilisation de la messagerie électronique, arrêt Nikon, fichiers personnels

Date : 

07-11-2005

La Cour de cassation avait posé en 2001, dans une décision qui avait fait couler beaucoup d’encre, les fondations de la jurisprudence relative à l’utilisation par les salariés à des fins personnelles des moyens informatiques mis à leur disposition par l’employeur.

Dans son arrêt "Nikon" du 2 octobre 2001, elle avait énoncé, sur le fondement du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances, la règle selon laquelle "l'employeur ne peut (...) prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur".

Plus récemment, dans un arrêt du 12 octobre 2004, la Cour de cassation avait jugé, dans le même sens et sur les mêmes fondements, qu’une sanction disciplinaire ne pouvait être valablement prononcée à l’égard d’une salariée qui avait entretenu une correspondance avec une ex-salariée de l'entreprise, au moyen de la messagerie électronique, pendant son temps de travail avec le matériel de l'entreprise, alors que les messages sur le contenu desquels cette sanction était fondée avaient été découverts par l’employeur en consultant l'ordinateur mis à la disposition de cette salariée par la société.

C’est dans le droit fil de ces décisions que la Cour de cassation a jugé, le 17 mai 2005 que "sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé".

Il ne s’agissait donc pas, cette fois, de messagerie électronique, et le secret des correspondances n’était donc pas visé par la Cour de cassation. C’est uniquement sur le principe du droit au respect de la vie privée que la décision est fondée : l’arrêt ne le mentionne pas expressis verbis, mais la cassation est prononcée au visa de l’article 8 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du Code civil.

La Cour de cassation franchit donc un pas supplémentaire dans le sens de la protection du salarié en affirmant que le contenu du disque dur est protégé indépendamment de toute "correspondance" électronique.

La seule condition posée par la Cour pour que les fichiers bénéficient de l’"immunité" est que ces fichiers soient identifiés comme personnels : en l’espèce, ils figuraient dans un fichier (dossier ?) intitulé "perso". A la vérité, l’arrêt du 12 octobre 2004 semble montrer que dès lors que le contenu des fichiers s’avère personnel, ils bénéficient de la même protection (c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être invoqués par l’employeur à l’appui d’une quelconque sanction), peu important que l’employeur n’ait pas pu a priori supposer qu’ils fussent personnels.

La protection dont bénéficie le salarié n’est cependant pas sans limite :

D’une part, la Cour de cassation indique que les fichiers personnels peuvent être ouverts "en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé"... ce qui réduit singulièrement la portée de la protection, sauf à considérer que le salarié peut valablement s’opposer à cette ouverture, mais l’arrêt n’apporte pas d’éléments de réponse sur cette question.

D’autre part, l’employeur peut ouvrir les fichiers personnels, même sans en aviser le salarié, en cas de "risque ou d’événement particulier".

Reste à savoir ce que recouvre cette notion.

Or on aurait légitimement pu penser qu’il s’agissait d’une question de fait que la Cour de cassation abandonnerait à l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, la Cour d’appel avait pris soin de préciser que les fichiers avaient été ouverts à l’occasion de la découverte (dans un tiroir du bureau du salarié) de photos érotiques n’ayant aucun lien avec l’activité du salarié, ce qui constituait, toujours selon la Cour d’appel, des circonstances exceptionnelles l’autorisant à contrôler le contenu du disque dur de l’ordinateur.

Ce motif semblait caractériser l’existence d’un "événement particulier" justifiant l’ouverture des fichiers (dont l’arrêt ne précise cependant pas s’ils étaient de même nature que les documents découverts dans les tiroirs : il indique néanmoins que la recherche sur le disque dur de l'ordinateur du salarié avait permis de trouver un "ensemble de dossiers totalement étrangers à ses fonctions").

Pourtant la Cour de cassation, prenant position sur cette question de fait qui semblait échapper à son contrôle, affirme qu’"aucun risque ou événement particulier" ne justifiait en l’espèce l’ouverture des fichiers personnels hors la présence du salarié.

On observera pour conclure que, dans une affaire comparable mais pour des faits, semble-t-il, plus graves (pour autant qu’on puisse en juger sans connaître le détail de ces affaires), la chambre criminelle s’est montrée infiniment moins clémente avec un salarié condamné pour abus de confiance pour avoir détourné son ordinateur et la connexion internet de l’usage pour lequel ils avaient été mis à sa disposition, dans les termes suivants :

"Attendu que, pour déclarer Jean-François X... coupable d'abus de confiance, l'arrêt énonce, par motifs adoptés des premiers juges, que son employeur avait mis à sa disposition, pour les besoins de son activité professionnelle, un ordinateur et une connexion internet qu'il a utilisés pour visiter des sites à caractère érotique ou pornographique et pour stocker, sur son disque dur, de très nombreux messages et photographies de même nature ; que les juges ajoutent que Jean- François X... utilisait la messagerie ouverte à son nom au sein de la société qui l'employait pour des envois ou des réceptions de courrier se rapportant à des thèmes sexuels et qu'il alimentait et consultait, depuis son ordinateur professionnel et aux heures de travail, le site personnel à caractère pornographique qu'il avait créé ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent que le prévenu a détourné son ordinateur et la connexion internet de l'usage pour lequel ils avaient été mis à sa disposition, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées."

Alexis Baumann

Avocat à la Cour


Voir aussi :
- Soc. 17 mai 2005 : Ouverture des fichiers personnels du salarié
- Soc. 12 octobre 2004 : Ouverture des messages personnels du salarié
- Crim. 19 mai 2004 : Sexe, mensonge et... abus de confiance du salarié
- Soc. 2 octobre 2001 : Arrêt Nikon

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