JURIPOLE : LA SOCIETE EN FORMATION - Sommaire - Ivan Tchotourian

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LA SOCIETE EN FORMATION
Ivan TCHOTOURIAN



DEUXIEME PARTIE



TITRE 2 : Le fonctionnement de la société en formation



Le régime de la société en formation est au coeur de notre étude, non seulement parce qu'il justifie la distinction de la société en formation d'autres groupements tels que la société de fait, la société créée de fait ou la société en participation, mais aussi parce qu'il présente une certaine originalité, tant au regard de la situation de fait qu'il est appelé à régir, qu'à la solution qu'il apporte.

Antérieurement à la loi du 24 juillet 1966, la signature des statuts matérialisait l'accord des parties et attribuait simultanément la personnalité juridique. Malgré cette simplicité apparente, la nature de la situation existant avant la constitution définitive de la société nourrissait des doutes. Les auteurs hésitaient entre plusieurs solutions : reconnaître une certaine personnalité morale à la société en formation (une personne morale interne naissant dès la signature de l'acte de société1), constater l'existence d'une autre société ou d'un autre groupement précédant la société constituée ou enfin estimer que seuls les fondateurs étaient engagés si la société ne reprenait pas leur engagement. Cette dernière solution représentait l'opinion majoritaire2.

Depuis la loi du 24 juillet 1966, la personnalité morale naît de l'immatriculation de la société au R.C.S : article 5 de la loi de 19663, créant une nouvelle phase intermédiaire entre la constitution et l'immatriculation de la société. L'innovation de l'immatriculation, apportée à l'imitation du droit allemand4, a soulevé des difficultés semblables entre les deux pays concernant le régime des trois périodes : avant la constitution de la société, entre la constitution de la société et l'immatriculation de la société, et postérieurement à l'immatriculation.

Les règles régissant, pendant ces périodes, la société en formation seront précisées sous différents aspects, tout d'abord celles régissant les relations des partenaires entre eux (chapitre 1), puis celles concernant les rapports des partenaires avec les tiers (chapitre 2).

Chapitre 1 - Rapports internes



Deux périodes de formation doivent être distinguées dans le processus conduisant à la naissance de la personnalité juridique : une première période allant jusqu'à la signature des statuts5, et une seconde période allant de cette signature à l'immatriculation de la société au R.C.S. C'est ainsi par exemple que M. GERMAIN6, MM. HEMARD, TERRE et MABILAT7 distinguent plusieurs périodes.

Divers arguments textuels peuvent être avancés à l'appui de cette opinion, non seulement l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 qui évoque une société " régulièrement constituée et immatriculée ", mais aussi l'article 1 al.2 du décret du 23 mars 1967 énonçant que " la demande d'immatriculation est présentée après accomplissement des formalités de constitution de la société ".

En ce qui concerne la première période8 : son point de départ fait l'objet de divergences doctrinales9, tantôt entendu de manière large (dès qu'existe la volonté de créer une société10 ou encore dès les " premières initiatives "11), tantôt défini plus strictement (une intention à laquelle s'ajoute une manifestation extérieure12). Cette période est marquée, en principe, par l'absence d'engagement des futurs associés les uns à l'égard des autres13. Cependant, ce principe connaît des exceptions :

- La rupture fautive de simples pourparlers en vue de la constitution de la société peut entraîner la condamnation de son auteur à des dommages-intérêts14, conformément au droit commun de la responsabilité délictuelle.

- Une promesse de société a pu être conclue entre les partenaires. A la différence du projet de société qui n'engage finalement qu'à poursuivre les négociations de bonne foi, la promesse de société oblige les participants à conclure le contrat définitif de société auquel ils ont déjà donné leur consentement. Elle se détermine ainsi par l'accord des partenaires sur les éléments essentiels15 du contrat dont il est question. La chambre commerciale de la Cour de cassation16 et la cour d'appel de Paris17 ont fixé la liste de ces éléments essentiels : l'objet, la forme de la future société, l'importance, la nature respective de chaque apport et l'affectio societatis ; tous les autres éléments, sauf volonté contraire des parties qui pourraient les ériger en éléments essentiels, ont le statut d'éléments accessoires. Si une telle promesse est habituellement constatée par écrit, sa preuve peut se faire par tous moyens18.

La sanction du non-respect d'une promesse de société ne se fait que sous la forme d'une réparation par équivalent, c'est-à-dire avec des dommages-intérêts19.

Dans les relations entre la société en formation, situation de fait, et la promesse de société, situation de droit, il n'y a pas d'incompatibilité juridique mais indépendance et conjonction éventuelle. Il peut ainsi émerger tant un projet de société20 qu'une promesse de société21 dans le cadre d'une société en formation. Toutefois la situation de la société en formation et celle de la promesse de société n'offre pas les mêmes attraits juridiques ; selon les demandeurs à l'action et leurs intérêts c'est donc plutôt la nature (promesse de société) ou plutôt le contexte des relations des parties (société en formation) qui sera allégué :

- Entre partenaires, une promesse de société permet d'obtenir plus sûrement des dommages-intérêts que l'allégation d'une société en formation.

- Vis-à-vis des tiers, ceux-ci auront tout intérêt à invoquer l'existence d'une société en formation.

La détermination du point final de cette période apparaît problématique. En effet, la constitution de la société se réalise-t-elle lors de l'approbation des statuts (ou la réunion de l'assemblée constitutive22) ou faut-il en outre, que les formalités de publicité des statuts aient été accomplies ?

L'étude des textes n'apporte pas de solution.

Certains textes assimilent la constitution et la signature des statuts23 tels les articles 83 al.2 de la loi du 24 juillet 196624 et 71 du décret du 23 mars 196725, dont il résulte que la constitution d'une société faisant publiquement appel à l'épargne s'achève avec l'approbation par l'assemblée générale constitutive des divers documents qui lui sont soumis en application de l'art.79 al. 2 de la loi de 1966.

D'autres textes considèrent que la période constitutive se termine par l'accomplissement des formalités de publicité des statuts. Participent à cette idée : l'art. 55 du décret du 23 mars 1967 relatif au registre du commerce26 ; l'art. 4 de la loi du 24 juillet 1966 qui fait référence aux " formalités de publicité exigées lors de la constitution de la société ", c'est-à-dire, aux publications légales au B.O.D.A.C.C ou au B.A.L.O, au dépôt de certaines pièces au greffe du tribunal ; l'art. 285 du décret du 23 mars 196727 qui prévoit, sous l'intitulé " Constitution de la société ", l'insertion d'un avis dans un journal d'annonces légales. Il semble qu'il faille, en plus de la signature des statuts, la réalisation de certaines formalités de publicité28.

Finalement, " seule est nettement affirmée par l'ensemble de ces textes la nécessité de distinguer constitution et immatriculation "29. Cette solution est imposée par la nature dualiste de la société (contrat et personne morale) renforcée par la loi du 24 juillet 1966, subordonnant la naissance de la personnalité juridique à une immatriculation au R.C.S. Le critère de distinction doit se fonder sur cette dualité. Pour qu'il y ait contrat de société, il suffit que les conditions de fond soient réunies, or la société est constituée dès lors que les conditions de formation des contrats en général, et du contrat de société en particulier, sont remplies. Les conditions de forme, dans la mesure où elles ne sont exigées qu'à titre de publicité, et non ad solemnitatem, doivent être exclues. La première période prend donc fin au moment de la signature des statuts30.

Cette thèse, majoritaire en doctrine31, est celle adoptée dans une réponse ministérielle à propos de la date d'application de la loi du 30 décembre 1981 sur la mise en harmonie des sociétés commerciales avec la deuxième directive européenne32.

En ce qui concerne la seconde période : celle-ci pose moins de problème de délimitation, puisqu'elle va de la signature des statuts jusqu'à l'immatriculation de la société au R.C.S. La question s'est posée de savoir si la société était constituée avant son immatriculation ?

Une réponse négative à cette question ferait de l'immatriculation de la société au R.C.S l'ultime formalité de constitution de la société. Trois articles semblent consacrer une telle position : l'article 2 al.1 de la loi du 24 juillet 1966 qui fait courir la durée de la société à dater de son immatriculation, et les articles 39 et 83 de la loi du 24 juillet 1966 indiquant que le retrait des fonds versés par les souscripteurs et déposés conformément à la loi ne peut s'effectuer qu'après l'immatriculation.

Toutefois, ces arguments ne sont guère convaincants33, et divers articles consacrent l'opinion contraire de M. BASTIAN34. Tout d'abord, l'article 1 al.2 du décret du 23 mars 1967 précise que la demande d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés est présentée " après accomplissement des formalités de constitution de la société ", ce qui implique que celle-ci est constituée. De plus, l'article 55 al.1 du décret du 23 mars 1967 sur le registre du commerce ajoute que cette demande est présentée après accomplissement des formalités de publicité. D'autre part, l'article 285 al.1 du décret du 23 mars 1967 laisse penser que l'avis inséré dans un journal d'annonces légales est la dernière des formalités de constitution35. Enfin, peut être mentionnée la circulaire du garde des sceaux sur le registre du commerce, en date du 23 mars 1967, qui contient la phrase suivante : " Avant l'immatriculation, il existe une société sans personnalité morale, qui n'est donc pas habile à être titulaire de droits et d'obligations, ni à agir par elle-même "36.

Pendant cette période, dès lors que les associés ne désirent pas poursuivre la réalisation de leur projet de société, ils ne peuvent mettre fin à leur contrat que par décision unanime (article 1134 al.1 du code civil), ou par résolution du contrat demandée en justice (article 1184 du code civil)37. A défaut, l'auteur de la rupture engage sa responsabilité, et est susceptible d'être condamné à des dommages et intérêts38.

Dans les rapports internes de la société en formation, c'est-à-dire, dans les rapports entre partenaires, seront étudiés, successivement le régime des biens (section 1) et les règles applicables (section 2). Toutefois, cette étude ne sera consacrée qu'à la période entre la constitution de la société (signature des statuts, ou réunion de l'assemblée constitutive pour les sociétés anonymes faisant publiquement appel à l'épargne) et son immatriculation au registre du commerce et des sociétés en déterminant la portée donnée à l'article 1842 al.2 du code civil39.

Préalablement à la constitution de la société40, le principe est que les partenaires ne sont tenus d'aucun engagement les uns à l'égard des autres41, sauf les hypothèses de rupture abusive des pourparlers ou de non-respect d'une promesse de société. L'arrêt du 24 septembre 1991 rendu par la cour d'appel de Paris42 apporte un éclaircissement sur le délicat problème de la répartition des frais de constitution entre les cofondateurs lorsque la société n'est pas créée. En effet, les magistrats se sont refusés à appliquer la répartition du capital prévu par le protocole conclu entre les associés, au motif qu'elle était " envisagée à d'autres fins et de toute façon caduque ", et lui ont préféré une ventilation égalitaire des frais, par parts viriles43.

Postérieurement à l'immatriculation de la société, celle-ci acquiert la personnalité juridique conformément à l'article 1842 al.1 du code civil et de l'article 5 al.1 de la loi du 24 juillet 1966, et la société perd la qualité de société en formation.

Section 1 : Régime des biens



Le régime des biens peut être étudié de deux manières, tout d'abord en s'intéressant aux apports ( §1), ensuite en précisant le sort réservé aux autres biens que les apports ( §2).

§1 : Les apports

Ils se définissent comme le " bien qu'un associé s'engage à mettre à la disposition de la société en vue de l'exploitation "44. Par cet acte d'apport, " les associés scellent le pacte social et manifestent leur désir d'oeuvrer ensemble, autrement dit leur affectio societatis "45.

Les apports qui constituent le patrimoine initial de la société (le capital social) sont de trois sortes (article 1843-3 du code civil) :

- L'apport en numéraire qui rend le contractant débiteur de la société, et en vertu duquel l'associé reçoit en contrepartie de la remise d'une somme d'argent des droits sociaux.

- L'apport en nature où l'associé met à disposition de la société tout autre bien que l'argent, et qui peut être fait en propriété ou en jouissance.

- L'apport en industrie consistant dans l'engagement de travailler pour la société.

Avant l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés, la société est dépourvue de personnalité morale, donc de toute possibilité d'être titulaire de droits et d'obligations46.

Ceci a plusieurs conséquences :

- Sur le transfert de propriété : deux solutions ont été proposées, depuis la loi du 24 juillet 196647, sur ce délicat problème.

Soit en tirant argument de l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 prévoyant la reprise des engagements des fondateurs qui sont alors réputés avoir été souscrits dés l'origine par la société, la personnalité morale se voit conférer un certain caractère rétroactif. Bien que cette solution se rapproche de l'article 1843-1 du code civil48, on emprunte à une fiction qui a un autre objet. En effet, l'article 5 de la loi de 1966 ne concerne que des engagements passés envers des tiers par des personnes ayant agi au nom de la société. Or ceux qui apportent des biens, tout d'abord s'ils se sont engagés ne l'ont pas fait vis-à-vis de tiers, mais vis-à-vis de la société, et d'autre part n'ont pas agit au nom de la société, mais en leur nom propre.

Soit l'apporteur reste propriétaire des biens apportés jusqu'à l'immatriculation. Si cette opinion est plus satisfaisante, elle pose problème par rapport à la libération des apports. Or en l'absence d'immatriculation, il n'y a pas véritablement libération des apports puisqu'il ne saurait y avoir transfert de propriété. MM. MERCADAL et JANIN49, tout comme M. GERMAIN50 se montrent favorables à cette solution. Toutefois, même si l'apporteur reste propriétaire des biens, il est lié par son engagement d'apport51. En outre, il doit assurer la conservation du bien promis (article 1614 al.1 du code civil) et rendre compte à la société des fruits de ce bien (article 1614 al.2 du code civil)52.

- Sur le transfert des risques : il suit en principe le transfert de propriété (article 1138 al.2 du code civil). En d'autres termes, tant que la société n'est pas immatriculée, l'apporteur supporte seul les risques de disparition des biens qu'il a apporté, même si cette disparition intervient après la signature des statuts53.

Les autres associés peuvent demander en justice la résiliation du contrat de société (article 1184 du code civil), car il a été en effet jugé que l'action en résolution d'un contrat est recevable quelle que soit la cause de l'inexécution par l'une des parties de ses engagements et alors même qu'elle se serait trouvée dans un cas de force majeure54.

Si les associés renoncent à demander la résolution du contrat, ils sont censés prendre à leur charge les risques de la perte de l'apport et accepter que l'apporteur demeure associé.

Une difficulté surgit à propos des apports en numéraire dans les sociétés anonymes et dans les S.A.R.L.

En effet, les articles 39 al.2 et 83 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 précisent que si la société n'est pas constituée dans le délai de six mois55 à compter, soit du dépôt du projet de statuts pour les S.A faisant appel public à l'épargne (article 83 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et article 71 du décret du 23 mars 1967), soit du dépôt des fonds pour les S.A.R.L (article 39 al.2 de la loi du 24 juillet 1966) et pour les S.A ne faisant pas publiquement appel à l'épargne (article 84 de la loi du 24 juillet 1966 renvoyant à l'article 83 de cette même loi, et article 76 du décret du 23 mars 1967), tout souscripteur peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de restituer les fonds versés. La loi du 24 juillet 1966, et son décret d'application, ouvrent donc la possibilité aux associés, à certaines conditions, de reprendre leurs fonds.

Il est donc nécessaire que la société ne soit pas constituée56 dans un délai de six mois, c'est-à-dire, ou que l'assemblée constitutive n'ait pas été réunie pour les S.A faisant appel public à l'épargne (article 71 du décret du 23 mars 1967) ou que les statuts n'aient pas été signés pour les autres société (solution doctrinale57).

Toutefois, une lacune apparaît dans l'hypothèse où la société, bien qu'étant constituée, n'est pas immatriculée. Les textes apparaissent inapplicables à cette " période post-constitutive "58. C'est sur cette carence des textes qu'a eu à se prononcer la jurisprudence.

En premier lieu, la cour d'appel de Paris, le 23 septembre 198259 accepte d'appliquer l'article 83 de la loi du 24 juillet 1966 sur renvoi de l'article 84 (il s'agissait en l'espèce d'une S.A ne faisant pas appel public à l'épargne), alors même que la société avait été constituée.

En second lieu, la cour d'appel de Lyon, par un arrêt du 10 novembre 198360, s'est également montrée favorable à l'application de l'article 83 de la loi du 24 juillet 1966 dans le cas où une société serait constituée sans être immatriculée61.

En doctrine, diverses solutions ont été proposées :

- Recourir à la notion de société créée de fait62. Cependant, une telle qualification, si elle peut résoudre des difficultés rencontrées avec des tiers, n'apporte aucune réponse aux associés qui souhaitent obtenir l'immatriculation de la société, ou la reprise de leurs apports (sauf dans ce dernier cas à liquider cette société63).

- Saisir le juge des référés pour demander la désignation d'un mandataire de justice chargé d'immatriculer la société. Mais aucun texte ne donne la possibilité à des associés non dirigeants de requérir l'immatriculation, et l'article 6 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 est sans application à une telle circonstance64. De plus, le principe de non-immixtion du juge semble s'opposer à la consécration d'une telle solution.

- Rompre à l'unanimité le contrat de société65. Cette proposition, outre qu'elle est expressément indiquée dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 septembre 198266, apparaît comme la plus satisfaisante.

Le projet de réforme du droit des sociétés du 20 avril 1998 du ministère de la justice67 consacre légalement cette jurisprudence puisqu'il propose une nouvelle rédaction des articles 39 al.2 et 83 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 respectivement dans ces articles 3 al.1 et 19 al.1 comme suit : " Si la société n'est pas constituée dans le délai de six mois à compter du dépôt de projet de statuts au greffe ou si elle n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés dans le même délai, tout souscripteur peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de retirer les fonds pour les restituer aux souscripteurs, sous déduction des frais de répétition ".

§2 : Les biens autres que les apports

Cette approche est celle envisagée par M. GERMAIN68 dans son étude consacrée à la naissance et à la mort des sociétés commerciales, où dans une partie intitulée " Le régime des biens ", cet auteur n'hésite pas à dissocier la situation des apports et la situation des autres biens.

En ce qui concerne ces derniers, dès lors qu'ils sont acquis selon l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966, c'est la personne qui a agi au nom de la société qui est titulaire du droit réel. La société ne deviendra titulaire de ce droit que lorsqu'elle aura été immatriculée si les conditions de reprise, de fond et de forme, se trouvent réunies69.

Section 2 : Règles applicables



Après avoir défini de quel régime juridique relève les associés (§1), il faudra s'intéresser aux conséquences qui y sont attachées (§2).

§1 : Détermination des règles applicables

La société est constituée, tantôt par la réunion de l'assemblée constitutive70 pour les sociétés anonymes faisant publiquement appel à l'épargne (article 79 de la loi du 24 juillet 1966), tantôt par la signature des statuts par les partenaires pour les autres sociétés. Les statuts étant acceptés directement par les partenaires, ou par l'intermédiaire d'une assemblée constitutive71, doivent-ils s'appliquer à ce moment ?

L'article 1842 al.2 du code civil72 apporte une solution mais laisse également place à des doutes qui vont faire l'objet des développements ci-après.

A - Notion de " contrat de société " 

La doctrine n'est pas unanime sur la définition à donner à cette expression.

Pour MM. MERCADAL et JANIN73, ce contrat de société contient deux éléments74 :

- Un " pacte social " qui est " l'accord de volonté sur les éléments fondamentaux de la société ". " Seul le pacte social régit les rapports entre associés ".

- Les " statuts " qui sont " l'ensemble des règles applicables à la personne morale ".

M. GERMAIN75 a une conception relativement proche en distinguant les éléments fondamentaux rappelés à l'article 1832 du code civil (mise en commun par deux ou plusieurs personnes des apports, recherche de bénéfices ou d'une économie qui puisse en résulter, affectio societatis), de l'ensemble des autres clauses statutaires. Les premières clauses seraient gouvernées par le droit commun des obligations, alors que les secondes seraient régies par le droit des sociétés et ne s'appliqueraient qu'à partir de l'immatriculation de la société au R.C.S.

D'autres auteurs, notamment M. DERRUPPE76, estiment au contraire que le terme " contrat de société " est synonyme de statuts, et que par conséquent les associés ont les mêmes droits qu'après l'immatriculation.

Nous pensons que l'opinion de MM. MERCADAL et JANIN, de M. GERMAIN mérite d'être retenue pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, alors que l'article 1832 al.1 du code civil parle de " contrat ", l'article 1835 du même code concerne les " statuts ", ce qui laisse penser qu'il y a lieu de distinguer entre ces deux actes. De plus, les statuts, en raison des énonciations qu'ils doivent contenir, n'ont de sens qu'à partir du moment où une société - personne morale a été créée, car pour que la durée, la forme, l'appellation, les modalités de fonctionnement, le siège social, en d'autres termes les statuts s'appliquent, il est nécessaire que la société existe en tant que personne. En outre, les dispositions de l'article 1835 du code civil sont exigées lors de la demande d'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés77, ce qui permet de rattacher les statuts à l'idée de personnalité morale de la société. D'autre part, la distinction entre le contrat de société et les statuts correspond à la double nature de la société : contrat et institution, le contrat de société répondant à une approche contractuelle, les statuts répondant à une approche plus institutionnelle.

Mme PAILLET78 invoque deux arguments contraires. Le premier est le fait que, dans les sociétés anonymes, les administrateurs puissent, avant l'immatriculation de la société79, désigner le président du conseil d'administration80 ; ce qui serait une " application pure et simple des statuts ". Mais on peut s'opposer à ce point de vue en remarquant d'une part que c'est un texte spécial, le décret du 23 mars 1967 et non la loi du 24 juillet 1966, qui habilite " les personnes désignées pour être administrateurs " à désigner le président du conseil d'administration ; d'autre part que cet article ne parle pas expressément de conseil d'administration mais de " personnes désignées pour être administrateurs ". Le second est que considérer le contrat de société comme un accord portant sur les éléments fondamentaux de la société revient à le soumettre au droit des obligations81. N'y a-t-il pas alors répétition lorsque l'article 1842 al.2 du code civil soumet les rapports entre associés au contrat de société (soumis lui-même au droit des obligations) et aux principes généraux de droit applicable aux contrats et obligations ? Mais ce raisonnement postule que le droit des sociétés ne puisse s'appliquer que quand existent des statuts, or l'existence d'un simple contrat de société (au sens de l'article 1832 al.1 du code civil) suffit à permettre l'application du droit des sociétés82. Par voie de conséquence, il n'y a aucune répétition, les rapports internes étant régis aussi bien par le droit des sociétés (car existe un contrat de société) que par le droit des obligations.

B - Signification de " et " 

MM. MERCADAL et JANIN83 n'envisagent le droit commun des contrats qu'à titre complémentaire. 

M. GERMAIN84 a une vision quelque peu différente puisqu'il soumet les rapports entre les partenaires au droit commun des obligations. Non seulement il ne fait donc pas de ce droit commun des obligations un critère subsidiaire, mais aussi soustrait du droit des sociétés les rapports internes. Cette solution présente, tout d'abord, l'inconvénient d'entraîner une répétition du législateur85. De plus, elle semble quelque peu excessive puisque existe une disposition propre au droit des sociétés concernant ces rapports internes : l'article 1844-10 al.186 du code civil qui expose la société à la nullité en cas de non-respect de l'article 1832 du même code.

C'est pourquoi nous pensons que " les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations " ne s'appliquent qu'à titre subsidiaire, même si, en raison du peu de dispositions du droit des sociétés régissant les rapports internes87, il sera souvent fait référence au droit commun des obligations.

C - Définition des " principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations "

Ils ne doivent pas être entendus dans le sens de règles générales créées par le pouvoir du juge, à partir de la loi, ou dégagées par " induction amplifiante " de celle-ci88.

Cette expression fait référence au droit commun des contrats89, à l'ensemble des règles qui leur sont applicables.

Une fois déterminées les règles régissant les rapports entre partenaires avant l'immatriculation de la société au R.C.S, il convient d'en voir les conséquences sur le plan des décisions collectives, des droits sociaux, des dirigeants sociaux, et du redressement judiciaire d'un associé.

§2 : Conséquences

A - Décisions collectives

Les décisions à prendre, avant l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés, relèvent de ce que MM. MERCADAL et JANIN90 appellent le " pacte social ". Elles sont soumises au droit commun des contrats. Dès lors, toute décision de modification des statuts (existants mais non encore applicables) constitue un " avenant " au contrat de société, et est par conséquent subordonnée à l'accord unanime des associés91. En outre, il semble que ces modifications doivent être publiées puisqu'elles auront vocation à s'appliquer lorsque la société aura été immatriculée92.

C'est ce qu'a décidé la cour d'appel de Paris le 6 novembre 198093 en considérant qu'un associé ne pouvait unilatéralement modifier la répartition des parts sociales. Elle en a déduit que l'associé avait mit fin sans juste motif au contrat de société, et devait réparation à son coassocié du préjudice subi par ce dernier du fait de la rupture.

La loi de la majorité ne saurait jouer. Il n'en serait autrement que si les partenaires, en vertu du principe de liberté contractuelle, prévoyaient dans le contrat de société la possibilité d'une modification des statuts et en fixaient les conditions.

B - Droits sociaux

Les droits sociaux se définissent comme des " créances éventuelles sur les bénéfices à venir et sur le partage de l'actif s'il en existe, au cas de dissolution. C'est une créance de nature originale parce qu'elle comporte, outre des conséquences pécuniaires, des prérogatives extra-pécuniaires, notamment le droit de participer au fonctionnement de la société "94.

Ces droits sociaux sont de deux sortes : les parts sociales qui sont des droits nés du contrat de société quand la société revêt une des formes prévues par la loi pour les sociétés de personnes ; les actions qui désignent le droit de l'associé dans les sociétés de capitaux et qui sont négociables95.

Pour MM. MERCADAL et JANIN96, les droits mobiliers représentés par les parts sociales ne peuvent naître qu'après l'apparition de la personnalité juridique, ainsi n'existe pas à proprement parler de parts sociales. M. GERMAIN97 semble avoir un point de vue radicalement opposé, car en prônant l'application de l'article 1844-5 du code civil (concernant l'hypothèse de la réunion de toutes les parts sociales en une seule main), il postule que des parts sociales existent. Cependant cette affirmation se doit d'être nuancée, parce que, lorsqu'il estime que l'unanimité est nécessaire à certaines opérations, il vise notamment la " cession des droits de chaque associé "98, et non la cession des parts sociales. Finalement, dans le traité de droit commercial auquel M. GERMAIN participe99, il apparaît que cet auteur est réservé sur l'existence possible de parts sociales.

Mme PAILLET100 admet qu'il y a réellement parts sociales avant l'immatriculation, car les droits sociaux, représentés par les parts sociales, sont déterminés dés la signature du contrat de société101.

Il semble que l'on puisse difficilement utiliser le vocable " parts sociales ". En effet, à ce terme sont attachés des droits de nature divers : droits politiques, droits financiers, et droits patrimoniaux102, droits qui n'ont de sens que si la personnalité juridique est attribuée à la société par son immatriculation. Tant que celle-ci n'a pas eu lieu, l'associé ne bénéficie d'aucun droit sociétaire particulier103. D'autre part, l'article 1843-2 al.1 du code civil104 peut être cité au soutien de ce point de vue, car, quand il fait allusion à la situation des associés postérieurement à la constitution de la société, il fait référence aux " droits " des associés et non à des parts sociales. Au lieu de recourir aux parts sociales, il est plus satisfaisant de parler de droits sociaux tant que n'a pas eu lieu l'immatriculation.

S'agissant de droits, la cession de ses droits par un des partenaires avant l'immatriculation de la société doit s'analyser en une cession de droits dans le contrat de société105. Par conséquent elle est soumise à l'accord de tous les associés, aux formalités de l'article 1690 du code civil pour être opposable aux tiers (signification par exploit d'huissier aux autres associés ou acceptation par eux dans un acte authentique), et à la publicité afférente aux modifications statutaires.

C - Dirigeants sociaux

Les personnes désignées pour exercer les fonctions de gérant n'acquièrent cette qualité qu'après l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés106. Les dispositions législatives et réglementaires, ainsi que les clauses statutaires, concernant les gérants ne sont applicables qu'à partir de la date de cette immatriculation, puisque c'est à cette date que la société acquiert la personnalité morale. La fonction de gérant, ou de dirigeant, n'a de sens que dans le cadre d'une société - personne morale, qui doit exprimer sa volonté par leurs intermédiaires.

Un bref exposé de décisions jurisprudentielles permet d'illustrer cette affirmation :

- CA Nancy 13 décembre 1983107, arrêt selon lequel un associé désigné comme gérant ne saurait se prévaloir de cette qualité à l'égard des tiers avant l'immatriculation de la société.

- CA Paris 4 janvier 1990108 : la cour d'appel de Paris estime qu'un gérant,démissionnaire de ses fonctions avant l'immatriculation de la société mise par la suite en liquidation de biens, ne peut être frappé de l'interdiction de gérer et d'administrer une personne morale.

Cependant un arrêt de la cour d'appel de Paris109 paraît revenir sur ce qu'elle avait affirmé le 4 janvier 1990110, car elle décide qu'en l'absence de disposition législative contraire, la date à partir de laquelle commence à courir la durée des fonctions d'administrateur doit être fixée au jour où celui-ci a accepté ses fonctions qui peut résulter de la signature des statuts.

D - Redressement judiciaire d'un des associés

Si un des partenaires au contrat de société est mis en redressement judiciaire avant l'immatriculation de la société, les autres partenaires ne peuvent prétendre à la résiliation de ce contrat. En effet, l'article 37 al.6 de la loi du 25 janvier 1985 dispose qu'aucune  " résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ". Ce principe s'applique même si le contrat a été conclu " intuitu personae "111, ce qui est l'hypothèse pour les sociétés autres que les S.A faisant publiquement appel à l'épargne112.

Les associés doivent alors mettre l'administrateur judiciaire en demeure de leur faire savoir s'il entend poursuivre l'exécution du contrat de société. Si l'administrateur ne donne aucune réponse dans le délai d'un mois, il est présumé avoir renoncé à la continuation du contrat (article 37 al.3 de la loi du 25 janvier 1985), et les autres associés peuvent soit modifier leur contrat pour tenir compte de la défaillance de l'associé en redressent judiciaire, soit décider d'un commun accord de mettre fin au contrat de société.

La résiliation de plein droit du contrat en ce qui concerne l'associé mis en redressement judiciaire est constatée par le juge-commissaire sur la demande de tout intéressé (article 61-1 du décret du 27 décembre 1987).

Après s'être intéressé aux règles s'appliquant dans les relations des associés de la société en formation, il convient d'étudier les rapports des associés avec les tiers, et plus précisément de détailler le fonctionnement du mécanisme de reprise des engagements conclus par des personnes ayant agit au nom de la société.

Chapitre 2 - Rapports externes : la reprise des engagements par la société



Avant la loi du 24 juillet 1966, la question s'était posée de savoir si les fondateurs ayant traités avec des tiers pendant la période de constitution n'avaient engagé qu'eux-mêmes ou avaient contracté au nom de la société sans s'engager personnellement.

Certains auteurs s'étaient attachés à démontrer que la société avait, pendant sa constitution, une certaine personnalité " embryonnaire " permettant à des tiers de traiter pour son compte. Mais la jurisprudence s'était montrée plus réservée. Elle avait décidé que la société n'avait aucune personnalité juridique avant l'accomplissement des formalités constitutives, et que les fondateurs ne pouvaient agir en son nom113. De même sous le régime antérieur à la loi du 4 janvier 1978 une société civile ne pouvait être engagée par un acte antérieur à sa constitution114. Une tendance se dégageait, toutefois, surtout parmi les juges du fond : la société était tenue des engagements souscrits en son nom pendant sa constitution lorsqu'elle acceptait de les reprendre, et les tiers avec lesquels ils avaient été conclus pouvaient exercer l'action de in rem verso si elle avait profité du contrat sans le reprendre à son nom115.

Pour justifier l'engagement de la société et la libération du fondateur après la ratification par la personne morale, les juges et la doctrine faisaient appel à la théorie du porte-fort116.

L'administration fiscale appliquait, dans le domaine des droits d'enregistrement, la théorie de la propriété apparente par laquelle elle imposait au droit de mutation non seulement l'engagement contracté par le(s) fondateur(s), mais aussi la ratification accordée par la société après son immatriculation117 en tant que transfert des bénéfices du contrat primitivement souscrit.

Telle était la situation lorsque est intervenue la loi du 24 juillet 1966118 sur les sociétés commerciales précisée par le décret du 23 mars 1967119 prévoyant les modalités de reprise des engagements conclus par les fondateurs120.

En outre, cet ensemble normatif a été complété, pour les sociétés autres que commerciales, par la loi du 4 janvier 1978121 modifiant le titre IX du livre III du code civil d'une part, et par le décret du 3 juillet 1978122d'autre part.

Ce régime de la reprise par la société des engagements conclus en son nom, prévu aux articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil, sera étudié en trois points : les conditions de fond (section 1), les conditions de forme (section 2), les effets tantôt de la reprise tantôt de l'absence de reprise ou d'immatriculation (section 3).

Section 1 : Conditions de fond



La reprise des engagements par la société nécessite la réunion de quatre conditions de fond.

§1 : Une société en formation

Cette condition ne sera pas développée ici123.

§2 : Une personne agissant au nom et pour le compte de celle-ci

A - Principe

L'exigence d'un engagement conclu au nom de la société en formation est prévue de manière expresse dans les articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil.

Cette obligation trouve sa justification dans les effets attachés au mécanisme de la reprise. En effet, celle-ci entraînant une substitution rétroactive de débiteur, on peut voir dans cet agissement au nom de la société en formation, un moyen de faire accepter par avance au cocontractant la substitution de débiteur124. Ainsi dès lors que la reprise est préjudiciable au créancier (la société est insolvable contrairement à l'auteur de l'acte), celui-ci doit avoir accepté la substitution, d'où la nécessité de l'en informer en contractant au nom de la société en formation (article 1237 du code civil).

Il faut donc, comme le remarque M. BASTIAN, que " ceux avec qui ils ont traité aient pu se décider en connaissance de cause "125. Il est par conséquent indispensable que le signataire mentionne des renseignements permettant d'identifier la société126.

Plusieurs décisions jurisprudentielles se prononcent en ce sens :

- un arrêt de la cour d'appel de Paris127, où le fondateur a été jugé personnellement tenu d'une promesse de bail parce qu'il n'avait fait aucune mention de la personne morale au moment de sa conclusion.

- un arrêt de la cour administrative de Lyon128 selon lequel " pour qu'un acte soit réputé avoir été souscrit dés l'origine par une société en formation, il faut notamment qu'il mentionne qu'il est conclu pour le compte d'une société en formation dont les principales caractéristiques doivent être indiquées ".

A défaut de cette mention expresse, le tiers est protégé car le contrat peut être annulé à la demande du cocontractant de la société129.  

A été décidé en jurisprudence que ne répond pas à la condition d'un acte conclu au nom de la société en formation, l'engagement contracté en qualité de gérant ou de représentant de la personne morale130.

Une première difficulté est apparue à propos des lettres de change. On a considéré que la qualité du signataire devait apparaître sur le titre pour qu'il puisse en être tenu compte, ainsi le signataire devait préciser qu'il agissait en qualité de mandataire d'une société en formation, à défaut ce signataire était engagé personnellement131. Par un arrêt du 15 juin 1993132, la cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir considéré que le signataire de l'acceptation avait agi en qualité de mandataire d'une société en formation même lorsque la mention d'acceptation ne précisait pas la qualité du signataire de l'acceptation.

Une seconde difficulté s'est développée à propos de la portée des renseignements à préciser. Selon M. DAUBLON133, dans l'acte d'acquisition devra être précisé que le signataire n'agit pas pour son compte personnel mais pour le compte de telle ou telle société en formation, en indiquant par ailleurs que faute d'être reprise par la société, la convention sera conclue au profit de son signataire. Dans ce dernier cas, l'état civil des intéressés devra être porté à l'acte de la même façon que l'aura été celui du signataire.

Enfin, une dernière difficulté concerne le terme de " personne ayant agi au nom d'une société en formation ". Un arrêt de la cour de cassation du 4 mai 1981134 a précisé la nécessité de distinguer les fondateurs des personnes ayant agi au nom de la société en formation. La notion de fondateur est à la fois plus large et plus étroite qu'on ne l'avait longtemps entendu. Plus large, car la jurisprudence déclare que la responsabilité instituée par la loi ne se limite pas aux seuls fondateurs, mais peut atteindre " ceux qui, sans avoir la qualité de fondateurs ont agi au nom de la société non encore immatriculée et, ont contracté pour elle des obligations "135. Elle est plus étroite en ce sens que la solidarité légale " englobe seulement ceux qui ont passé cet acte ou ont donné mandat de le passer sans s'étendre aux personnes qui lui sont restées étrangères, même si elles ont pu par ailleurs acquérir la qualité de fondateur "136.

Il est possible pour la société de reprendre à son compte un acte passé au nom personnel de son associé et qui est conforme à l'intérêt social. Une telle opération est parfaitement valable entre la société et l'auteur de l'acte, mais est en revanche inopposable aux tiers. La novation ne peut s'opérer que sous réserve de l'accord du créancier, acceptation qui n'emporte pas sa renonciation à poursuivre l'auteur de l'acte137. Ce mécanisme ne répond pas à celui des articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil.

B - Applications particulières

Deux cas vont retenir notre attention : l'ouverture d'un compte bancaire au profit d'une société en formation, et l'action en justice de cette même société.

1. Relations de la société en formation avec les banques

Tout d'abord, la banque peut ouvrir un compte bancaire138, dit compte de fonctionnement, destiné à permettre à la société en voie de constitution d'engager une certaine activité. Elle joue le rôle d'un " pourvoyeur de fonds "139.

Aux termes de l'article 12 de la loi du 12 juillet 1990 " Les organismes financiers doivent, avant d'ouvrir un compte, s'assurer de l'identité de leur cocontractant par la présentation de tout document probant ". En outre, l'article 33 du décret du 22 mai 1992 impose ensuite la vérification du domicile des demandeurs.

Lorsque le compte est ouvert à plusieurs titulaires, le banquier doit vérifier l'identité et le domicile de chacun d'eux. Faute de procéder à ces vérifications, le banquier engage sa responsabilité à l'égard des tiers si le compte est la source d'un préjudice qui leur est causé par le ou les titulaires du compte140.

En droit et dans le strict langage juridique, le compte n'est pas ouvert à une société en formation qui n'a pas la personnalité morale ; il est ouvert à une ou plusieurs personnes sous la dénomination de la société en formation, et ceci même si ces personnes agissent au nom de la société en formation. La cour de cassation141 rappelle dans cette hypothèse que la banque doit vérifier l'identité de chacun des titulaires du compte, et pas seulement de l'un d'eux.

D'autre part, la banque a la possibilité de délivrer un chéquier. Elle doit, en plus des diligences précédemment étudiées142, interroger la Banque de France (qui procède aux recherches d'interdictions bancaires concernant les associés143) et s'assurer que le projet de fondation a une certaine consistance144. En outre, la banque doit clairement signaler sur les formules de chèques que la société est encore en formation145, et doit veiller à limiter au strict nécessaire le nombre de chèques confiés aux fondateurs146. Si elle ne respecte pas ces diligences la banque peut voir sa responsabilité engagée, et se retrouver tenu du préjudice subi par le(s) tiers.

Enfin, la banque est habilitée à recevoir le produit des souscriptions en numéraire au capital social. Les banques ouvrent alors un compte spécial qui ne peut être utilisé par les fondateurs en émettant des chèques puisque les fonds déposés au sein de ce compte de dépôt sont indisponibles jusqu'à l'immatriculation de la société.

Cette règle a été rappelée par un arrêt de la chambre commerciale du 19 mai 1998147. En l'espèce, l'un des fondateurs d'une S.A.R.L avait effectué sur le compte d'une société en formation deux versements successifs. Le premier, de 100 000 F, était destiné à constituer le capital social, le second, de 500 000 F, devait servir à l'achat d'un fonds de commerce. Peu de temps plus tard, le gérant désigné a donné l'ordre de payer par débit de ce compte une lettre de change, tirée par un tiers sur une E.U.R.L.

En ce qui concerne les 100 000 F, l'arrêt observe qu'ils étaient indisponibles, et que la banque ne pouvait les utiliser pour un paiement, même avec l'accord écrit du gérant, tant que l'immatriculation n'avait pas été réalisée. Une telle solution, constante en jurisprudence148, trouve appui dans différents textes qui consacrent l'indisponibilité des sommes constituant le capital social149 jusqu'à l'immatriculation de la société : article 39 al.1 de la loi du 24 juillet 1966 et article 23 du décret du 23 mars 1967150.

En ce qui concerne la somme de 500 000 F, l'arrêt retient qu'elle était " conventionnellement indisponible pour toute autre affectation prévue à son versement ", et que par conséquent la banque engage sa responsabilité en laissant le gérant utiliser les fonds à d'autres fins.

Pour justifier cette position, trois arguments peuvent être cités :

- M. SERLOOTEN151 invoque l'absence de tout pouvoir de représentation du gérant avant l'immatriculation de la société.

- Mme HONORAT152 fait référence aux règles du dépôt153 en vertu desquelles seul le futur vendeur du fond de commerce pouvait recevoir la somme de 500 000 F.

- L'auteur du commentaire dans la revue Droit des sociétés154 préconise d'obtenir l'accord de l'auteur du dépôt.

La banque pouvait certes arguer de son devoir de non-ingérence, mais il a été jugé que celui-ci ne peut justifier l'absence de contrôle lorsque, par une convention spéciale, les fonds déposés ont reçu une affectation spéciale ouvrant un droit à des tiers155.

2. Droit d'agir en justice

a) Délivrance d'un congé par une société en formation

Une décision du tribunal de grande instance de Bobigny rendue le 25 juin 1991 a validé un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction délivré par une S.C.I. à son locataire commercial. Le problème se posait de savoir si le tribunal pouvait valider un congé délivré pour le compte d'une société en formation sans que le nom des associés fut indiqué ?

La cour d'appel de Versailles par une décision du 19 novembre 1992156 n'hésite pas à valider la délivrance de ce congé pour deux raisons : la première est que la société avait une identité bien définie, la seconde que le défaut d'indication du nom du gérant ne faisait pas grief à l'appelante.

Cette décision n'est pas sans soulever certaines questions, notamment celle de son respect de la règle " Nul ne plaide par procureur "157.

Cette règle signifie que le mandant doit toujours être en nom dans les actes de procédure. Or le mandant, n'existant pas par hypothèse, il ne peut figurer dans l'instance ; seul le nom du mandataire est finalement indiqué dans les actes de procédure. C'est pourquoi M. RAFFRAY158 propose, pour que ce principe soit respecté, que tous les associés agissent en justice pour le compte de la société en formation, et qu'ils accomplissent tous les actes de procédure.

En outre, les arguments de la cour d'appel ne sont pas à l'abri de diverses critiques. Tout d'abord, on peut se demander ce qui permettait d'affirmer que l'identité de la société était bien définie alors qu'elle n'avait pas encore était immatriculée, et qu'elle ne bénéficiait pas d'une individualisation. D'autre part, on peut s'interroger sur l'absence de grief causé à l'appelante par la non-indication du nom du gérant (seul était indiqué sa qualité)159.

On peut se demander si finalement cette décision n'a pas été prise en fonction de considérations pratiques, c'est-à-dire, en raison des nombreux manquements du locataire : absence non seulement de justification de la souscription d'une assurance conformément à l'article 8 du bail, mais encore de la réalisation de mise en conformité.

Un arrêt de la troisième chambre civile du 22 mars 1995160 a refusé, de la même manière que la cour d'appel, de valider un congé qui avait été délivré par le gérant de la S.C.I. en formation au motif que celui-ci s'était abstenu de préciser qu'il intervenait au nom de la société.

b) Possibilité d'interjeter appel

La chambre commerciale dans son arrêt du 7 juin 1994161 a estimé que l'appel interjeté par une société en formation était irrecevable.

Mme PRIETO162 adopte une conception différente de celle de M. RAFFRAY163 en admettant l'action en justice par deux voies différentes. En effet, elle fonde la possibilité d'agir en justice, tout d'abord sur l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966164, mais aussi sur l'article 32 du Nouveau Code de Procédure Civile165. Que le défaut de capacité soit une cause de nullité ou soit une cause d'irrecevabilité, dans un cas comme dans l'autre la régularisation est ouverte166. On pourrait ainsi concevoir que la qualité de partie soit reconnue à la société dés lors que son immatriculation a été effectuée avant que le juge ne statue sur la nullité ou sur l'irrecevabilité soulevée en cours d'instance.

L'arrêt du 9 octobre 1996167 rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation admet pour la première fois, semble-t-il, que l'irrégularité résultant d'une assignation délivrée au nom d'une société en formation soit couverte en cours d'instance par l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés.

Cet arrêt soulève un problème attaché à la formulation de sa motivation. Il semble que la chambre civile accepte la régularisation parce que l'assignation avait été délivrée par " son représentant légal ayant reçu, dans les statuts du 25 octobre 1991, tous pouvoirs pour acquérir l'immeuble objet du " compromis " du 25 septembre 1991 ". Elle fait de cette habilitation à agir en justice, résultant des termes " (…) tous pouvoirs pour acquérir l'immeuble (…) ", une condition de la régularisation. Cependant la société, ne jouissant pas de la personnalité morale, ne peut être dotée d'organes chargés de la représenter. De plus, quelle serait la solution dans l'hypothèse où la personne qui délivre l'assignation est dépourvue de pouvoir ? Il apparaît que l'arrêt du 9 octobre 1996 écarte la possibilité de régularisation168.

§3 : Un engagement conclu


Deux questions se posent non seulement par rapport à l'importance de ces engagements (A), mais aussi par rapport à leur portée (B).

A - Importance de ces engagements

En doctrine, diverses interprétations ont été proposées sur ce que voulait dire le législateur en autorisant certaines personnes à " prendre des engagements "169.

M. BASTIAN170 estime que les sociétés en formation, du moins les S.A.R.L. et S.A., ne pourraient pas exercer d'activité du fait que leur capital devait être bloqué en vertu des articles 38, 77 de la loi du 24 juillet 1966. Cette opinion prive de toute utilité l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et l'article 1843 du code civil, parce qu'aucun engagement ne pourra être conclu.

Une autre partie de la doctrine171 admet qu'une société en formation peut avoir une activité, mais qui ne doit avoir pour but que de préparer le commencement des opérations sociales. Enfin, certains auteurs172 estiment qu'une société en formation peut avoir une activité illimitée, en raison du fait que " l'entreprise sociale précède presque toujours la société ", et des termes généraux des articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil.

Nous pensons, comme le laisse entendre la réponse ministérielle de 1989173, qu'une société en formation peut exercer une activité sociale.

Cette activité sociale va au-delà de la simple conclusion d'un bail ou de la réalisation d'une acquisition concernant le siège social174, car on peut penser que si le législateur avait voulu que la société en formation ne puisse conclure que de tels actes, il n'aurait pas employé de termes aussi généraux que ceux de l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966.

Toutefois cette activité se doit d'être limitée175, en raison tout d'abord du contexte dans lequel s'inscrit la loi du 24 juillet 1966. En vertu des principes posés par la première directive européenne du 9 mars 1968, les états membres ne devaient mettre sur le marché que des sociétés vierges de tout vice de constitution, or on conçoit mal que le législateur français ait mis à néant cette protection en permettant aux sociétés avant leur immatriculation d'exercer leur activité. De plus, reconnaître à la société la possibilité de fonctionner sans attendre son immatriculation ne revient-il pas à nier l'importance de l'innovation introduite par la loi du 24 juillet 1966 et à continuer d'appliquer le régime antérieur à cette loi. Enfin, selon les articles 6 du décret du 3 juillet 1978, 67 al.4 et 74 al.3 du décret du 23 mars 1967, un mandat déterminé et précis est nécessaire pour conclure un acte susceptible d'être repris par la société.

Ainsi l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 autorise la conclusion d'actes qui permettront d'entamer la vie sociale le jour de l'immatriculation. Dans l'hypothèse de la transformation d'une entreprise en une forme sociétaire, il semble difficile de défendre cette position, puisque l'entreprise précède la société, elle a déjà une activité en tant que telle.

B - Portée

Des termes des articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil, il semble que la reprise ne puisse concerner que des contrats. En effet, les mots " engagement ", " actes ", " souscrits ", " obligations " 176, " contractées "177 rappellent le vocable utilisé dans le domaine des obligations contractuelles. Ces expressions visent incontestablement les contrats passés pour le compte de la société en formation, qu'ils lui donnent des droits ou qu'ils créent des obligations à sa charge178. Peut-on aller au-delà ?

1.Délits et quasi-délits

Les opinions sont divergentes en doctrine.

Certains auteurs y sont favorables : M. DAGOT179 indique ainsi que " la procédure de reprise doit pouvoir jouer pour tous les actes, toutes les opérations, qui ont été réalisés pour le compte de la société en formation. Aucune exception ne paraît pouvoir être admise ". D'autres auteurs180 adoptent une position opposée, en considérant que la procédure de reprise ne saurait couvrir les délits et quasi-délits, civils et pénaux.

La jurisprudence s'est prononcée par deux décisions.

Tout d'abord, la cour d'appel de Paris, le 24 février 1977181, a refusé la reprise d'actes de concurrence déloyale. Des cadres de la société " Infrastructures routières et industrielles ", après avoir démissionnés de cette entreprise et fondés la société " Organisation pour le bâtiment et les travaux publics ", débauchèrent des salariés de leur ancienne société et leur consentirent des contrats de travail au nom de leur nouvelle société non encore immatriculée. La reprise par la société " Organisation pour le bâtiment et les travaux publics " ayant eu lieu, la société " Infrastructures routières et industrielles " assigna la société concurrente en dommages et intérêts.

Pour la cour d'appel, l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 ne concerne que les engagements commerciaux, et ne saurait englober un fait de concurrence déloyale, constitutive d'un délit au moins civil et exceptionnellement pénal.

Par la suite, la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 5 février 1991182, a précisé que la réparation des agissements frauduleux commis par le fondateur peut être mise à la charge de la société qui en a bénéficié.

Il semble que la solution consistant à exclure la reprise soit préférable183, d'une part, parce que les termes des articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil l'y incitent ; et d'autre part, parce qu'admettre la reprise ne ferait pas disparaître la responsabilité de l'auteur de l'acte184 ce qui est l'effet même de la reprise.

2.Surenchère

La seconde chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 18 mai 1989185, a décidé que la surenchère faite au nom d'une société en formation n'était pas régulière. Il apparaît que, contrairement à d'autres actes, le fait de porter surenchère au nom d'une société en formation, formalité imposée par l'article 1843 du code civil, soit insuffisante pour permettre la reprise186.

La seconde chambre civile a eu l'occasion de réitérer cette jurisprudence dans un arrêt du 13 décembre 1995187, par laquelle elle a approuvé l'annulation d'une surenchère effectuée, lors de l'adjudication d'un immeuble, par une personne se présentant comme agissant au nom d'une S.C.I. en formation.

Finalement, la Cour de cassation exclut la déclaration de surenchère du mécanisme de reprise, le respect d'un acte passé au nom de la société en formation n'ayant aucune incidence188.

Une telle solution soulève de nombreuses difficultés189. En premier lieu, elle fait de la surenchère un acte spécial qui ne peut être repris190. En second lieu, elle va entraîner sur le plan pratique une complexité (une personne devant porter enchères pour elle-même, puis revendre l'immeuble à la société constituée) et sur le plan fiscal un coût élevé. Enfin, un risque supplémentaire est créé résultant du délai qui va s'écouler avant la revente à la société pendant lequel la situation de l'adjudicataire peut se modifier. On peut rajouter qu'aucune disposition sur la vente judiciaire n'exclut le jeu de l'article 1843 du code civil, et que l'adjudicataire est expressément admis à se réserver la faculté de déclarer command (article 707 ancien Code de procédure civile), c'est-à-dire à designer l'acheteur dont l'identité sera ultérieurement révélée.

3.Action en justice

Les décisions du 7 juin 1994191 et du 22 mars 1995192 appliquent les règles de la reprise des engagements par une société (l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 est cité dans le visa de la décision de la chambre commerciale du 7 juin 1994193), cependant s'agit-il d'engagement au sens de l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et de l'article 1843 du code civil ?

Mme PRIETO194 répond positivement à cette question en considérant que " Le mécanisme de reprise pourrait également concerner les actes de procédure ". Cependant la question reste en suspens, d'autant plus que cet auteur n'apporte aucune justification particulière si ce n'est l'importance que revêt cette notion. S'agissant de la possibilité d'ester en justice, il apparaît difficile de parler de contrat ou d'obligation, ce qui est le domaine des articles 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 et 1843 du code civil.

§4 : Une société immatriculée


Cette condition résulte des articles 1843 du code civil195 et 6 alinéas 2196, 3197, et 4198 du décret du 3 juillet 1978. On retrouve des dispositions similaires en ce qui concerne les sociétés commerciales : article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966, et articles 26, 67, 74 du décret du 23 mars 1967.

Section 2 : Conditions de forme



Après avoir étudié dans une première partie la reprise automatique (§1), et dans une deuxième partie la reprise volontaire (§2)199, les différents fondements doctrinaux de ces reprises seront développés (§3).

§1 : Reprise automatique


Elle résulte des articles 6 al.2, 3, 4 du décret du 3 juillet 1978 concernant les sociétés civiles et 26, 67, 74 du décret du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales. Ces articles distinguent entre deux catégories d'actes : ceux conclus avant la signature des statuts (A) et ceux conclus entre la signature des statuts et l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés (B).

A - Acte conclu avant la signature des statuts

Dans les sociétés civiles (article 6 al.2 et 3 du décret du 3 juillet 1978) et les S.A.R.L. (article 26 al.1 et 2 du décret du 23 mars 1967) : " L'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, avec l'indication, pour chacun d'eux, de l'engagement qui en résulterait pour la société, est présenté aux associés avant la signature des statuts. Cet état est annexé aux statuts, dont la signature emportera reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci aura été immatriculée au registre du commerce et des sociétés ".

Dans les sociétés anonymes sans appel public à l'épargne, cet état est mis à la disposition des associés trois jours au moins avant la signature des statuts : article 73 sur renvoi de l'article 74 du décret du 23 mars 1967.

Dans les sociétés anonymes faisant publiquement appel à l'épargne, c'est l'assemblée constitutive qui reprend les actes au vu d'un rapport établi par les fondateurs et précisant pour chaque acte l'engagement qui en résulterait pour la société : article 67 du décret du 23 mars 1967.

La jurisprudence est stricte, car elle exige que cet état des engagements soit dressé et annexé aux statuts200 ou que ces actes soient indiqués dans le corps des statuts201. Toute formule générale de reprise des actes dans les statuts est sans effet202.

Ce qui importe c'est que les associés soient informés, avant la signature des statuts, de l'étendue des actes passés pour le compte de la société en formation203.

Un problème surgit lorsque l'objectif de ces modalités légales est atteint sans que les exigences légales et réglementaires soient respectées.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 janvier 1994204, a fait prévaloir le respect des dispositions légales en refusant la reprise d'un acte d'achat qui n'avait pas été annexé aux statuts alors que tous les associés de la société avaient indiqué dans les statuts le reprendre.

Or ne peut-on pas penser que le fait que les associés soient tous au courant des actes passés pendant la période de formation suffise à permettre sa reprise ? En effet, non seulement l'intérêt des partenaires est sauf, puisqu'ils sont tous au courant de l'étendue des différents engagements205, mais aussi l'intérêt des tiers, parce qu'en facilitant la reprise on met en face de ceux-ci une personne qui présente, dans bien des cas, une surface financière plus importante.

La question s'est posée en doctrine de savoir si cette procédure de reprise constitue une limite à la liberté des partenaires.

Certains auteurs206 estiment que les associés ne peuvent refuser de reprendre les actes ainsi annexés, sauf à ne pas signer les statuts renonçant alors à leur projet.

Une autre partie de la doctrine207 adopte une opinion contraire en pensant qu'il est possible de ne pas annexer les actes accomplis aux statuts sans que se soit un obstacle à la constitution.

Dès lors qu'un acte ne fait pas l'objet d'un état annexé, à défaut d'état ou à défaut d'être annexé, les magistrats considèrent qu'il pourra être repris postérieurement à l'immatriculation208.

B - Acte conclu entre la signature des statuts et l'immatriculation de la société

1. Principe : nécessité d'un mandat précis et déterminé

Ce mode de reprise est, selon Mme PRIETO et M. MESTRE209, celui qui expose le moins le cocontractant à des incertitudes, car il lui suffira de vérifier la concordance entre le contrat qu'il s'apprête à conclure et la teneur du mandat.

Un mandat préalable210 peut être donné, dans les statuts ou par acte séparé, de prendre des engagements au nom de la société en formation.

Les personnes pouvant recevoir un tel mandat varient d'une société à une autre.

Dans les sociétés civiles, les S.N.C, les S.C.S, et les S.A.R.L, le mandat peut être donné à un ou plusieurs associés ou au gérant non associé : article 6 al.3 du décret du 3 juillet 1978, et article 26 al.3 du décret du 23 mars 1967. Ces dispositions ont fait l'objet d'une décision récente de la troisième chambre civile211 qui a indiqué que la cour d'appel devait rechercher si le gérant de la S.C.I., qui avait reçu mandat d'acheter un immeuble pour le compte de cette société, était ou non associé de cette société en formation.

Dans les S.A sans appel public à l'épargne, seuls les actionnaires peuvent recevoir mandat de passer les actes : article 74 al.3 du décret du 23 mars 1967. Par conséquent, le mandat conféré à un membre du futur directoire, non-actionnaire, serait soumis aux dispositions générales de l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966.

Dans les S.A qui font publiquement appel à l'épargne, l'assemblée constitutive peut donner mandat aux premiers administrateurs ou membres du conseil de surveillance : article 67 al.4 du décret du 23 mars 1967.

Pour se dégager de sa responsabilité, l'auteur de l'acte passé pour le compte de la société en formation doit prouver qu'il avait reçu un mandat spécial qui lui était expressément adressé212. La charge de la preuve appartient en effet à celui qui invoque la reprise213.

Une première difficulté a trait au caractère intuitu personae du mandat, à savoir s'il est donné en fonction des qualités personnelles et de la personnalité de son bénéficiaire.

Les tribunaux se sont montrés favorables à ce caractère dans une décision du 3 avril 1973214, car les juges ont considéré que le décès de l'administrateur qui avait reçu mandat empêchait son successeur de s'en prévaloir.

Une seconde difficulté porte sur les caractéristiques que doit présenter ce mandat. En effet, selon les textes régissant la matière, ce mandat doit être déterminé et ses modalités précisées. C'est ce qui va faire l'objet du développement ci-après.

2.Application du principe

Si la doctrine respecte la spécialité du mandat215, la jurisprudence se montre dans quelques hypothèses plus libérale.

D'une part, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 21 février 1975216, a considéré qu'un mandat général, en l'espèce un mandat statutaire habilitant les dirigeants à souscrire pour le compte de la société les engagements entrant dans leurs pouvoirs statutaires et légaux, pouvait générer une reprise automatique lorsque le mandataire ne dépassait pas ses pouvoirs217.

D'autre part, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 20 juin 1989218, a estimé qu'un mandat donné au gérant pour " signer tous contrats avec les fournisseurs, acquérir tout matériel, effectuer tous paiements " était conforme aux exigences de l'article 26 du décret du 23 mars 1967.

Hormis ces cas marginaux, les magistrats se montrent respectueux des dispositions légales. Selon la CA Pau, 20 décembre 1991219, le mandat doit être exprimé en termes suffisamment déterminés. De plus, a été jugé que le mandat de souscrire les actes et engagements entrant dans l'objet statutaire et conformes à l'intérêt social est un mandat général qui ne répond pas aux exigences légales de précision : Cass. com., 24 mars 1998220.

Le mandat général résultant des statuts apparaît condamné. Tout d'abord, ce mandat abouti a donné aux dirigeants des pouvoirs identiques à ceux qui lui sont attribués dans une société jouissant de la personnalité morale. D'autre part, les tiers risquent d'être induits en erreur sur la situation réelle. En outre, les textes sont dépourvus d'équivoque et n'accordent pas les mêmes droits aux dirigeants avant et après l'immatriculation221. Enfin, les articles 26 et 74 du décret du 23 mars 1967 " fourmillent de précautions ", le mandat ne pouvant être donné à n'importe qui et n'importe quand. Le mandat général n'est pas dénué de tout effet, il fonde en effet la condamnation des mandants à répondre solidairement des engagements souscrits222.

§2 : Reprise volontaire


A - Principe

Quand les conditions prévues pour la reprise automatique des actes passés au nom de la société en formation ne sont pas réunies, la société, après avoir été immatriculée, peut reprendre ces actes en vertu de l'article 6 al.4 du décret du 3 juillet 1978223.

Cette reprise ne nécessite aucune acceptation particulière de la part du cocontractant qui a été informé que l'acte était conclu pour le compte de la société en formation224.

B - Problèmes soulevés par cette reprise

1. Organe compétent

Avant le décret du 3 juillet 1978, la doctrine225 exigeait une décision de l'assemblée générale ordinaire, par analogie avec les procédures de reprise prévues par le décret du 23 mars 1967 qui se trouvait en effet " entre les mains des associés "226.

La jurisprudence, à part quelques décisions qui avaient admis la reprise tacite par le gérant227 et par le Président Directeur Général228, avait fait de la décision de reprise une décision relevant de la compétence exclusive de l'assemblée générale ordinaire229.

Depuis le décret du 3 juillet 1978, la question s'est posée de savoir quelle portée donner à l'expression " sauf clause contraire ". Cette clause concerne-t-elle uniquement la majorité ou peut-elle porter sur la compétence de l'assemblée générale ?

Il apparaît que la référence aux clauses des statuts ne doit s'entendre que de la condition requise pour l'élaboration des décisions, et ne saurait donner compétence aux dirigeants pour décider une reprise d'un engagement230.

Deux raisons permettent de justifier cette affirmation. Tout d'abord, si ce mode de reprise était exclu en l'absence de toute disposition, a fortiori la solution doit être identique dés lors qu'une disposition apporte une solution. D'autre part, permettre aux dirigeants de reprendre eux-mêmes un acte, exclut tout contrôle des associés, ce qui s'avère contraire aux voeux du législateur qui visait, entre autre chose, à protéger les partenaires par le biais de cette information.

Aujourd'hui, si l'organe compétent ne pose plus de difficulté231 il n'en est pas de même du caractère exprès de cette reprise.

2. Reprise tacite

Avant le décret du 3 juillet 1978, coexistaient deux théories : celle de la ratification explicite et celle de la ratification implicite.

La possibilité d'une ratification tacite était défendue par M. DAUBLON232, et par M. CORVEST233

Certaines décisions des juges du fond avaient admis la reprise implicite déduite du comportement de la société immatriculée, par exemple l'exécution du contrat par la société elle-même234. La chambre commerciale de la Cour de cassation se prononçait au contraire en faveur d'une reprise explicite en cassant un arrêt qui s'était contenté d'un paiement partiel par la société pour en déduire l'existence d'une reprise tacite235.

Depuis le décret de 1978, la doctrine majoritaire236 semble condamner toute espèce de ratification tacite ou implicite.

En ce qui concerne la jurisprudence, celle-ci est plutôt mitigée.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation237 fait une interprétation stricte des dispositions des articles 1843 du code civil et 6 du décret du 3 juillet 1978, en précisant que la reprise légale est soumise aux conditions de forme des articles 44 et 45 du décret du 3 juillet 1978 ; par conséquent le procès-verbal de ratification ni coté ni paraphé ne peut valoir reprise.

De même, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le 24 mars 1998238 toute référence à une éventuelle reprise par exécution.

Les juges du fond239 ont une interprétation plus souple, et notamment la cour d'appel de Paris.

D'une part, elle reconnaît que la reprise peut résulter de l'approbation des comptes du premier exercice et donc des opérations qu'ils traduisent240.

D'autre part, elle a jugé que la reprise pouvait résulter du comportement de la société, c'est-à-dire, de l'exécution de la convention conclue en son nom241.

Une autre partie des juridictions du fond ont une conception plus étroite de la reprise. Il en est ainsi des cours d'appel de Lyon242 ou de Grenoble243 qui excluent expressément une reprise tacite ou implicite.

Tout d'abord, admettre le principe d'une reprise tacite serait revenir à la proposition faite par la Commission des lois de l'Assemblée nationale lors de la discussion de la loi du 24 juillet 1966244

De plus, le mécanisme légal permet de protéger les associés, et le formalisme permettant une information précise s'oppose à une décision tacite. Toutefois, les exigences d'information au sein des procédures de reprise automatique s'expliquent parce que les engagements conclus seront repris par l'immatriculation et ne seront plus soumis au contrôle des associés. En revanche, lors d'une reprise postérieure à l'immatriculation, les associés exercent leur contrôle puisqu'ils peuvent refuser de reprendre l'acte. Or lorsqu'ils approuvent la comptabilité du premier exercice, il y a respect, non seulement de l'esprit du décret du 3 juillet 1978, car existe un contrôle des associés (l'ensemble des actes figure dans cette comptabilité245), mais aussi des dispositions légales, parce qu'une décision collective est nécessaire246. Est-il opportun d'affirmer que la volonté des associés, exprimée en pleine connaissance de cause, ne peut valablement s'exprimer que dans le cadre de l'article 6 du décret du 23 mars 1967 ?

Nous pensons qu'il est possible de valider une reprise résultant d'une approbation des premiers comptes sociaux, ceci d'autant plus lorsque tous les associés approuvent de tels comptes247.

En ce qui concerne l'exécution par la société des engagements conclus, il semble plus difficile de considérer qu'il y a eu reprise, les associés n'ayant pu contrôler cette exécution parce que relevant du pouvoir des dirigeants. En outre, ce serait conférer au dirigeant la compétence de décider une éventuelle reprise, solution qui n'est guère acceptable.

Un autre mode de reprise de ceux qui viennent d'être cités est-il valable ?

La portée de la clause statutaire contraire, prévu à l'article 6 al.4 du décret du 3 juillet 1978, étant limitée à la définition de la majorité (majorité qualifiée, unanimité,…), il semble que l'établissement d'un autre mécanisme de reprise ne puisse être mis au point248. Par conséquent, la clause statutaire prévoyant que les actes conclus par le gérant, en vertu du mandat général qui lui avait été conféré d'agir au nom et pour le compte de la société en formation, seraient automatiquement repris par la société une fois celle-ci immatriculée n'est pas valable.

3.Délai de reprise

Aucun délai n'est stipulé pour que les associés se prononcent sur une éventuelle reprise de l'acte en cause249. En théorie, il semble que rien n'interdise à ceux-ci de reprendre un acte après plusieurs années, voire au cours d'une instance judiciaire concernant la reprise250. En pratique, vu l'intérêt des tiers, qui est le plus souvent d'avoir comme cocontractant la société, et vu l'importance de la responsabilité pesant sur le signataire de l'acte qui incitera les associés à se prononcer le plus rapidement possible, ce délai sera relativement court.

Cependant, si on admet la validité d'une reprise par l'approbation des comptes du premier exercice, il semble que la reprise aura lieu au moment de l'approbation de cet exercice et non semble-t-il de l'approbation d'exercices suivants251.

Dès lors qu'un tiers désire contracter avec une société, il faut, comme le remarque Mme PRIETO et M. MESTRE252, s'assurer que l'un de ces trois mécanismes de reprise des engagements fonctionne, à défaut de quoi seule la personne qui a agi sera tenue.

§3 : Fondement juridique de la reprise


Des théories généralement anciennes ont cherché à expliquer, d'après le droit commun des obligations, comment les rapports juridiques nés pendant la période de formation peuvent lier la société quand elle sera créée253.

A - Stipulation pour autrui

Il apparaît difficile d'expliquer le mécanisme de la reprise sur ce fondement254. D'une part, le recours à la stipulation pour autrui ne permettrait pas de rendre la société débitrice tout autant que créancière. D'autre part, elle laisserait le fondateur libre de disposer des promesses obtenues jusqu'à ce que la société les aient acceptées.

B - Promesse de porte-fort

Ce fondement semble également devoir être exclu255. Tout d'abord, on ne peut se porter fort pour une personne inexistante. De plus, la convention conclue par le porte fort implique l'engagement du signataire de rapporter la ratification de celui pour le compte duquel il agit (article 1120 du code civil), donc celui qui se porte fort contracte un engagement différent par son objet, de celui qui sera mis, en cas de ratification, à la charge d'autrui.

M. DAGOT défend cette opinion, parce qu'on y retrouve la rétroactivité de la ratification par le tiers256.

C - Mandat

Le mandat ne saurait pas plus que les cas précédents justifier la reprise257. En effet, la société non seulement ne choisit pas son mandataire, mais encore n'est pas obligée de reprendre l'engagement souscrit en son nom.

D - Gestion d'affaire

Cette explication est à exclure pour plusieurs raisons258. La première est que les règles de la gestion d'affaires imposent à celui dont les biens ont été correctement administrés, de remplir les engagements que le gérant a contracté en son nom, de l'indemniser de tous les engagements personnels qu'il a pris et de lui rembourser tous les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites (article 1375 du code civil). Or l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 ne met aucune de ces obligations à la charge de la société. La seconde est que l'on se demande comment les droits et obligations nées de l'intervention du gérant peuvent se fixer rétroactivement sur le maître à une époque où celui-ci n'avait pas encore d'existence juridique ?

E - Condition résolutoire

Le jeu de la condition résolutoire, si elle paraît être le fondement juridique le plus adéquat259 pour M. GUYON260, n'est pas satisfaisante car elle n'explique pas l'engagement de la société.

F - Novation

Ce mécanisme semble la meilleure justification. En effet, l'obligation subsiste alors que l'une des parties au contrat change (la société remplace le ou les contractant(s)). Seule l'exigence du consentement soulève difficulté. Toutefois, de la conclusion du contrat au nom de la société en formation, on peut présumer que le créancier a donné par avance son accord.

Section 3 : Effets de la reprise ou de l'absence de reprise



Seront étudiés, dans une première partie, les effets de la reprise (§1), puis dans une seconde partie les effets d'une absence de reprise ou d'immatriculation (§2).

§1 : Effets de la reprise


Elle se caractérise par un engagement rétroactif de la société qui se substitue à la personne ayant agi au nom de cette société (A). Cependant, cette personne reste tenu dans certaines hypothèses (B).

A - Engagement de la société

Des articles 1843 du code civil et 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966, il résulte que la reprise a un effet rétroactif en ce sens que les engagements seront réputés avoir été souscrits par la société dés l'origine261.

La responsabilité personnelle de la personne qui a agi au nom de la société se trouve, en principe, dégagée262.

Cette rétroactivité est surtout importante du point de vue fiscal263. S'agissant des droits d'enregistrement, elle empêche la perception des droits de mutation lorsque le contrat est transféré à la société. S'agissant des impôts sur les bénéfices et des taxes sur le chiffre d'affaire, les conventions conclues pendant la période de formation et reprises par la société sont en principe prises en compte à son nom pour la détermination des impôts dont elle est redevable.

On peut se demander quelle serait la solution en cas de reprise assortie de modalités. Nous pensons que tout dépend de l'importance des modifications exigées264. Si les modalités ne sont qu'accessoires, on pourra admettre l'application de la rétroactivité. Par contre, si ce sont les dispositions essentielles de l'acte qui se trouvent modifiées, il ne semble plus possible d'appliquer les règles de la reprise. En effet, la société ne pouvant reprendre que les " actes ainsi accomplis ", les " engagements souscrits ", cela suppose que ces conventions reprises soient celles qui aient été conclu ; en d'autres termes elles doivent être identiques au moins sur leur point essentiel.

B - Engagement possible de celui ou ceux ayant agi

1.En cas de fraude

Lorsque la reprise n'a eu pour but que de faire échapper l'auteur des actes litigieux à ses obligations, en en transférant la charge à une personne morale insolvable, cette fraude aux droits du créancier rend la reprise nulle et les juges condamnent personnellement l'auteur de l'acte265.

Toutefois, cette fraude se doit d'être établie. A cet égard, la Cour de cassation a considéré que le caractère frauduleux de la décision d'une assemblée générale des associés d'une S.A.R.L. en redressement judiciaire, qui avait repris l'emprunt accepté pour son compte avant son immatriculation par l'associé majoritaire, n'est pas établi dés lors que la S.A.R.L. avait reconnu la dette dés l'origine en la comptabilisant dans son bilan, à une époque où l'associé en cause n'était pas gérant et que l'assemblée, initialement prévue par l'administrateur judiciaire pour se tenir six mois plus tôt, avait été différée en raison du retard dans l'établissement des comptes ayant suivi la gérance de l'associé intéressé266.

2.Dans l'hypothèse d'un engagement personnel

a) Engagement cambiaire

Des articles 3 al.2 et 12 du décret-loi du 30 octobre 1935, il résulte que le tireur d'un chèque pour le compte d'autrui demeure personnellement obligé au paiement et est garant du paiement. Par conséquent la reprise par la société ne saurait dégager la personne qui a tiré des chèques sans provision au nom de la société en formation267.

Au contraire, la reprise d'une lettre de change, tirée sur une société en formation et, acceptée par l'un des associés en qualité de mandataire avant l'immatriculation, décharge l'accepteur qui n'est plus engagé personnellement envers la banque268.

b) Cautionnement

L'hypothèse envisagée sera celle du cautionnement de la société par l'auteur de l'acte269. La jurisprudence estime que ce cautionnement des dettes de la société en formation est valable270.

La preuve du cautionnement est établie conformément à l'article 1326 du code civil, sauf s'il y a recours à la notion d'intérêt personnel de la caution reconnue comme suffisante à démontrer la connaissance par celle-ci de la portée de son engagement271.

L'objet du cautionnement doit être déterminé ou déterminable, cette détermination concernant la prestation promise et la personne du débiteur principal. En outre, le cautionnement peut précéder la conclusion du contrat pour lequel il est donné puisque le cautionnement de dettes futures, déterminables au moment de l'engagement de la caution, est valable272.

Ainsi le cautionnement qui garantit un engagement souscrit au nom d'une société en formation, avec l'indication de celle-ci comme débiteur principal, répond à l'exigence de détermination273.

L'efficacité du cautionnement suppose, d'une part que la société soit immatriculée274 et, d'autre part que l'acte soit repris275. A défaut, le cautionnement disparaît pour défaut d'objet et de cause276. Si seule la reprise n'a pas lieu, le souscripteur reste personnellement tenu par application du mécanisme légal de la reprise.

§2 : Effets de l'absence de reprise ou de l'absence d'immatriculation


A - Personne(s) responsable(s)

Les personnes responsables de l'engagement conclu sont celles " qui ont agi au nom d'une société en formation " : article 1843 du code civil et article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966.

Certains auteurs ont une conception relativement large : M. DAGOT277 considère que ce sont ceux qui ont été en rapport avec les tiers, c'est-à-dire, aussi bien celui ayant participé à l'acte que celui ayant contracté. M. DAUBLON278 estime qu'en cas de décision de refus ce sont les signataires et les participants aux tractations préparatoires279, et qu'en cas d'absence d'immatriculation de la société ce sont tous les associés qui sont tenus280.

D'autres auteurs ont une vision plus restrictive. Pour M. GERMAIN281, ce sont ceux qui ont agi à l'égard des tiers qui sont tenus. M. CORVEST282 explique que ce sont les personnes qui ont eu une intervention à l'acte. Enfin, pour M. DEEN GIBIRILA283, les personnes qui ont agi au nom de la société en formation ne sont pas tous ceux qui ont pris part à la constitution, quand bien même ces personnes auraient eu un rôle primordial ou occupé un poste de dirigeant, mais sont ceux ayant passé l'acte ou ayant donné mandat pour le passer.

La jurisprudence adopte une position relativement souple en tenant pour responsable non seulement celui qui a agit, à titre individuel ou dans le cadre d'un mandat, mais également ceux qui lui ont donné mandat284. Ne peuvent être mises en cause les personnes qui n'ont pas signé l'acte et se sont contentées de procéder à des pourparlers, même si leur rôle a été prépondérant pour sa réalisation285, ni celles qui ont simplement participé à la formation de la société286, même si elles ont pris une part active à sa création287.

On peut remarquer la position paradoxale du juge288. En interprétant strictement les textes réglementaires concernant la reprise automatique en présence d'un mandat, le juge protège les associés parfois au détriment des tiers ; alors que la position eue égard aux dispositions légales étend la responsabilité des associés et privilégie la protection des tiers.

Il faudra donc établir un acte positif émanant de cette personne établissant la réalité de l'engagement pris par elle, ce qui ne concerne ni les demandes ni les pourparlers289.

Celui qui a conclu l'acte non-repris est tenu de l'ensemble des obligations résultant de ce contrat, et notamment de la clause de non-concurrence qui y est insérée290. Il ne sera pas tenu de dettes sociales à proprement parler, puisque la société n'existe pas encore291.

Cette responsabilité n'est pas transmise au cessionnaire de ses droits sociaux dès lors que celui-ci n'a joué aucun rôle dans la constitution292.

Il est assez généralement admis que le négociateur pourra stipuler dans l'acte qu'il sera libéré de toute obligation si la société n'est pas immatriculée ou si elle ne reprend pas les engagements souscrits pour son compte293.

B - Distinction entre les sociétés civiles et les sociétés commerciales

Cette distinction concerne la solidarité pouvant exister entre les personnes ayant agi au nom de la société en formation.

La solidarité entre ceux ayant passé des conventions pour le compte de la société en formation294 est de droit dans les sociétés commerciales (article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966), alors qu'elle n'est pas prévue en principe dans les sociétés civiles (article 1843 du code civil).

Toutefois, la Cour de cassation, le 16 février 1971295, avait jugé qu'existait une solidarité entre la société, bien que celle-ci ait refusé de reprendre la convention conclue en son nom, et le signataire de l'acte. Cette décision a été critiquée par différents auteurs296.

La Cour de cassation297 retient la responsabilité solidaire du mandant et du mandataire. Cependant, en vertu du droit commun, seul le mandant est responsable aux lieux et place du mandataire (articles 1991 et 1998 du code civil) par application de l'institution de la représentation298. Par conséquent, le mécanisme de la responsabilité solidaire est tout à fait original et ne peut se ramener à une stricte application des règles concernant le mandat. Cette position peut s'expliquer par l'appartenance commune et l'intérêt commun à la réalisation de l'opération existant entre les mandants et les mandataires299.

M. GUYON300 considère valable les clauses qui excluent la solidarité au motif qu'un créancier contractuel peut librement renoncer à une garantie que lui confère la loi.

C - Problème de l'existence d'une responsabilité collective

La doctrine considère que la responsabilité solidaire et indéfinie prévue par l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 concerne uniquement ceux qui ont passé l'acte ou ont donné mandat de le passer. Cette responsabilité n'a pas le caractère d'une responsabilité collective lorsque l'un ou plusieurs des fondateurs, agissant pour le compte de la société en formation, accomplissent un acte entraînant pour elle une obligation.

Mme LOPEZ301 estime que la solution actuelle n'est guère satisfaisante puisqu'elle fait prédominer un formalisme rigoureux (signature du fondateur) sur la volonté animant les fondateurs de s'engager dans une entreprise commune. Il faudrait que les magistrats examinent au cas par cas l'état d'esprit des personnes agissant au nom de la société en formation pour rechercher s'il n'existe pas entre eux une communauté d'intérêt.

Seule une décision de la cour d'appel de Rennes302 semble avoir consacré une responsabilité collective, dans une affaire où un fondateur, ayant contracté avec un prestataire de services, a engagé la responsabilité des autres au motif de la conclusion d'un contrat et de la proximité des liens familiaux unissant les fondateurs.

D'une part, cette thèse présente le risque, exposé par M. CHAMPAUD303, de laisser place à une interprétation trop extensive. D'autre part, la protection des associés, voulue par le législateur, serait mise en échec si des partenaires, du fait de leur simple qualité de fondateurs, voyaient leur responsabilité engagée sans l'avoir décidé. Enfin, si le législateur avait entendu créer une responsabilité solidaire pour tous les actes accomplis au nom de la société avant son immatriculation, il n'aurait pas manqué de le préciser comme il l'a fait à l'article 7 de la loi du 24 juillet 1966304.

D - Recours contre la société

Ce recours pourrait se fonder sur le fondement de l'enrichissement sans cause ou de la gestion d'affaire, dès lors que la société profite de l'acte passé en son nom305.

Suite à l'étude du concept de société en formation tant quant à sa notion qu'à son régime, le statut de ses associés mérite que l'on s'y attarde un moment.


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