INDEPENDANCE

DU PARQUET,

OPPORTUNITE

DES POURSUITES

Colloque organisé sous l'égide de la Fédération Cohérence Europe et de la Faculté de Droit de Nancy

Sous la direction de

François JACQUOT


Cette Table Ronde Européenne a reçu le label "DIALOGUE NATIONAL POUR L'EUROPE"

PRESENTATION DES INTERVENANTS

Présidence de séance

M. André VITU, est Professeur émérite à l'Université de Nancy 2, où il a enseigné le droit pénal et créé le DEA de Sciences Criminelles.

Intervenants

Mme Christine DERENNE-JACOBS enseigne le droit pénal et la procédure pénale à la Faculté de Droit de l'Université de Liège depuis 1990. Elle est avocate au Barreau de Marche-en-Famenne et Juge Suppléant à la Justice de Paix du Canton de Barvaux-sur-Ourthe. Elle est également chercheur pour la Commission d'enquête parlementaire du Sénat de Belgique sur la criminalité organisée.

M. Heike JUNG est Professeur de droit pénal, criminologie et droit pénal comparé, à l'Université de la Sarre.

Mme Andrea LOUX est depuis septembre 1996 Lecturer in Law à l'université d'Edinburgh, où elle enseigne le droit constitutionnel et les droits de l'homme. Elle enseignait précédemment le droit pénal à l'Université de Lancaster.

M. Gilles LUCAZEAU est Procureur Général près la Cour d'Appel de Nancy. Il est également Professeur associé à l'Université de Nancy II.

Mme Michèle-Laure RASSAT est Professeur agrégé des Universités. Elle enseigne le droit à l'Université de Paris XII. Elle est l'auteur du Rapport sur le projet de Réforme du Code de Procédure Pénale.

M. Jean-François SEUVIC est Professeur agrégé des Universités et enseigne le droit pénal à l'Université de Nancy 2. Il est également directeur de l'Institut d'Etudes Judiciaires et du DEA de Sciences Criminelles.

M. Andrew STEWART est Advocate à Edinburgh. Il était précédemment l'assistant du Lord Justice General - le Président de la Juridiction Suprême en Ecosse. Il est membre du comité écossais de l'Association des Juristes Franco-britanniques. Il contribue aux enseignements de la Faculté de Droit de Nancy depuis 1993.

M. Yves STRICKLER est Professeur agrégé des Universités. Il enseigne le droit pénal, la procédure pénale et la procédure civile à la Faculté de Droit de Nancy.

M. Rik VANDEPUTTE est Avocat Général près la Cour d'Appel de Gand en Belgique. Il est délégué comme Inspecteur Général de la Police Judiciaire auprès du Parquet et délégué au Ministère de la Justice.


Avertissement : Les textes figurant sur ce document ne peuvent être reproduits ou utilisés sans le consentement de leurs auteurs


François JACQUOT, Professeur (Faculté de Droit de Nancy), Organisateur de la Table Ronde

   Afin de ne pas retarder l'ouverture des débats, mes quelques mots liminaires seront aussi brefs que possible. Au nom de la Faculté de Droit, Sciences Economiques et Gestion de Nancy et de son Doyen Etienne Criqui, je souhaiterai d'abord la bienvenue au public nombreux qui nous a rejoint, mêlant étudiants, professeurs, praticiens et même simples citoyens.

Je souhaite aussi la plus cordiale bienvenue à tous nos intervenants, lesquels forment une masse de compétence en droit pénal tout à fait impressionnante.

   Permettez-moi de vous adresser à tous mes chaleureux remerciements pour avoir répondu avec tant d'empressement et de dynamisme à mon invitation à participer à la Table ronde réunie à Nancy ce 24 mars. De chacun d'entre vous, j'ai reçu un accueil positif et enthousiaste, tant de la part des universitaires que des praticiens. Je vous en suis très reconnaissant.

   Permettez-moi également d'associer dans ces remerciements :

- Monsieur Roland Kirsch, Président des Tribunaux de Commerce d'Arlon et de Neufchateau qui fut un relais si efficace entre la France et la Belgique pour la préparation de cette conférence,

- Monsieur Alain Courtois, Conseiller à la Cour d'Appel de Nancy délégué à la formation des Magistrats qui fut mon intermédiaire auprès de l'Ecole Nationale de la Magistrature,

- L'équipe de la Faculté qui a mis sur pied avec moi ce colloque dans des conditions de délai très brèves, spécialement mon collègue Guy Venandet, ainsi que Véronique Montémont, Agnès Lopez et David Vicci.

   S'agissant du thème des débats de ce soir " Indépendance du Parquet, opportunité des poursuites ", et pour rendre à César ce qui est à César, je me dois de signaler que l'idée m'en a été suggérée par le Professeur Heike Jung au cours de l'une de ses directions d'études de droit pénal comparé à notre Faculté.

   Ce thème m'est apparu immédiatement particulièrement intéressant et ce à un triple titre :

- Sur un plan événementiel déjà, puisque l'idée d'indépendance du parquet est un sujet de débat très actuel dans notre pays.

- Mais également sur un plan plus technique, juridique et politique. Ce thème nous invite à nous pencher sur l'évolution des pouvoirs qui structurent la démocratie, sur le rapport du juridique et du politique, sur la mise en cause du schéma classique de nos démocraties. Sa richesse tient à ce qu'à partir de l'analyse technique du fonctionnement de la justice répressive, il conduit vers une réflexion constitutionnelle et politique.

- Enfin, sur un plan cette fois européen, l'intérêt du sujet se démultiplie encore du fait que la question de l'indépendance du parquet a été posée ou traitée dans nombre de pays voisins dans les années qui viennent de s'écouler, qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne, de l'Italie, ou actuellement de la Belgique comme de la France.

Cette dimension européenne m'a paru d'un intérêt majeur. Qu'une même question aussi importante vienne à se poser quasi simultanément dans la plupart des pays européens, soulevant des interrogations aussi fondamentales sur l'organisation de l'Etat, n'est-ce pas la manifestation d'une similitude profonde exprimant la communauté qui unit les pays d'Europe de l'Ouest en dépit de leur apparente diversité ?

Cette diversité des réponses juridiques n'exclut pas une réflexion commune, bien au contraire. Il en découle nécessairement un enrichissement du débat. C'est heureusement cette approche multiculturelle de l'Europe qui tend à s'imposer aujourd'hui après une phase par trop schématique qui laissait présager l'érosion des systèmes nationaux sous l'action d'un droit communautaire unificateur.

   Une réflexion commune sur des difficultés partagées, qui seront certes traitées différemment par chaque pays européen mais de la façon la moins incompatible avec les solutions retenues dans les pays voisins, me semble à la fois fondamentale et nécessaire. C'est l'objectif des formations développées par la Faculté de Droit de Nancy depuis plusieurs années, qu'il s'agisse du Magistère de Juriste d'Affaires Européen ou du DEA de Droit Européens Comparés. C'est le sens aussi de nos grands programmes de recherches dans le cadre régional avec le projet "Cohérence Europe" et dans le cadre transfrontalier avec le soutien du programme communautaire "Interreg 2". Le souhait de voir s'inscrire dans cette logique la conférence " indépendance du Parquet, opportunité des poursuites" me servira donc d'unique conclusion.


André VITU, Professeur Emerite (Faculté de Droit de Nancy), Président de séance

 ~  Le thème de ces débats tel qu'il a été fixé par les organisateurs de cette table ronde porte sur, et je reprends l'intitulé, "Indépendance du parquet, opportunité des poursuites". Avant de donner la parole comme je vais le faire dans un instant à nos intervenants, je vais résumer très brièvement la position actuelle du Ministère public en droit français, position qu'il est indispensable d'avoir présente à l'esprit car elle servira de point de départ à l'ensemble de nos réflexions.

    Deux expressions, qui sont d'ailleurs parfaitement contradictoires, me paraissent caractériser le Ministère public français : subordination hiérarchique, liberté dans l'action. Je m'explique : le Ministère public, c'est d'abord un corps de magistrats marqué par une stricte subordination hiérarchique. Vous savez que tous les membres du parquet ont un supérieur commun, le Ministre de la Justice et que celui-ci exerce sur eux une autorité qui lui permet d'être informé à tout moment des affaires judiciaires en cours, de donner des instructions aux Procureurs concernés et éventuellement, d'exercer sur les membres du parquet un pouvoir disciplinaire redoutable. Et cette subordination se retrouve à l'intérieur du corps, chaque membre du corps étant lui-même subordonné à un supérieur hiérarchique. L'absence d'inamovibilité complète ce tableau. Ainsi vous le voyez, le parquet est caractérisé par une stricte et forte structure interne, gouvernée par l'unité de direction émanée par le Ministre.

    Mais le Ministère public, c'est également un corps de magistrats libre dans son action. Sans doute en raison de la subordination évoquée à l'instant, il est dépendant du Ministre ; mais sa liberté s'exprime ailleurs et autrement. Elle s'exprime d'abord dans les rapports avec les juridictions : les tribunaux ne peuvent ni obliger un parquet à agir, ni à exercer des poursuites, ni à prendre des réquisitions, et il ne peut pas non plus blâmer ce que ferait le Ministère public. La Cour de cassation serait très stricte à cet égard si l'on se permettait d'oublier cela. Liberté surtout à l'égard des procédures, et pas seulement des juridictions, des procédures dont il a la charge, et tout spécialement, en dehors de son pouvoir propre, il est libre de mettre ou non en mouvement les poursuites, ce qui se traduit par le principe dit de l'opportunité des poursuites. Il est libre également de développer à l'audience les réquisitions qu'il croit bonnes pour le bien de la justice - la parole est libre - et qui peuvent d'ailleurs ne pas coïncider avec les ordres écrits reçus du Ministère.

    Subordination hiérarchique, liberté dans l'action : cette antinomie souvent incomprise des non-juristes qui y voient une quadrature du cercle dans laquelle nous nous débattons sans pouvoir la résoudre, est actuellement très attaquée. Faut-il maintenir, aménager, supprimer la subordination ? Faut-il apporter des limites et lesquelles à la liberté d'action ? Le débat va s'ouvrir. J'espère qu'il nous apportera des lumières, le Saint Esprit aidant, celles aussi du raisonnement juridique sans doute, et plus modestement celles du bon sens. Je donnerai la parole au droit français d'abord parce que c'est lui qui est en cause, c'est lui qui nous rassemble, et il est bon, que comme toute demanderesse, Madame Rassat, que vous ayez la parole. Vous êtes donc première attaquante, Monsieur Lucazeau vous répondra tout à l'heure. Et puis nous passerons aux droits étrangers : d'abord au droit belge, parce qu'il est bon que nous ne nous éloignions pas trop dès le départ du droit français, puis le droit allemand qui a quelques connexions avec l'autre, et enfin nous irons du côté du droit écossais qui, lui, fait que l'on change de planète quand on change de continent.


Michèle-Laure RASSAT, Professeur Agrégé des Universités (Paris XII), auteur du rapport sur le projet de réforme du Code de Procédure Pénale (1)

LE PARQUET AU REGARD DE LA LEGISLATION INTERNE

   C'est donc à moi qu'il incombe de ne pas commencer à dépasser l'horaire et je vais essayer de m'en tenir aux dix minutes qui me sont accordées.

   Quitte à perdre quelques unes de ces minutes pour le fond et à violer les usages habituels de politesse, je vais tout de même commencer par dire quelques mots de ce qui me concerne à propos du ministère public.

   Monsieur le Professeur Vitu a bien voulu rappeler que je suis en quelque sorte pour la France l'inventeur de l'idée d'indépendance du ministère public puisque c'est l'idée force de ma thèse de doctorat avant laquelle personne n'avait jamais eu une idée aussi farfelue. J'aime bien, d'ailleurs, à ce propos rappeler la phrase par laquelle mon Maître, le Professeur Robert Vouin caractérisait cette thèse dans la préface qu'il a écrite pour l'édition commerciale de celle-ci : "(une idée) trop surprenante pour séduire jamais un éventuel législateur". Et il ne s'agissait pas là d'une erreur d'appréciation individuelle de Robert Vouin car je sais parce qu'ils me l'ont dit que nombre d'autres Maîtres parisiens de l'époque ne m'auraient jamais laissé soutenir cette thèse en l'état, s'ils en avaient présidé la préparation. Non pas, bien sûr par volonté de censure mais pour protéger mon avenir universitaire qu'ils estimaient en danger à prôner des idées aussi iconoclastes.

   En entendant un de nos journalistes vedettes interviewer le Président de la République en décembre dernier et lui disant avec insistance: "mais faites-là, faites-là" en parlant de l'indépendance du ministère public, je me disais, d'une part, qu'on avait fait pas mal de chemin depuis ma thèse, et d'autre part, que les choses n'étaient toujours pas aussi simples que ce jeune homme paraissait le penser. Je continue à croire qu'une certaine forme d'indépendance du ministère public est un meilleur système d'organisation judiciaire mais je crois aussi qu'il ne faut pas établir n'importe quoi ni n'importe comment. Il importe au surplus de bien noter que le Président a souhaité qu'on réfléchisse à la question. Il n'a jamais dit, comme on a trop tendance à l'affirmer, qu'il fallait nécessairement instituer l'indépendance. Et c'est une des raisons qui fait (peut-être avec d'autres) qu'il n'était pas souhaitable que je puisse appartenir à la Commission de réflexion instituée à cet effet car je suis trop symbolique de la question de l'indépendance. C'était au surplus inutile puisque je me suis exprimée sur la question, outre ma thèse, dans le Rapport général sur l'instauration d'un nouveau Code de procédure pénale remis au Garde des Sceaux le 30 janvier dernier.

   Fermons cette parenthèse personnelle pour passer au fond.

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   Monsieur le Professeur Vitu nous a dépeint une situation du ministère public qui paraissait tout à fait acceptable et je crois savoir que tel est aussi l'avis de M. Lucazeau. Je pense, au contraire, personnellement, qu'elle est assez largement tordue. Présentés comme les représentants du pouvoir exécutif auprès des tribunaux (ce qui s'entend habituellement de fonctionnaires), les officiers du ministère public se recrutent et appartiennent au corps de la magistrature. Tenus d'exécuter les ordres (ou au moins certains ordres) du gouvernement représenté par le Garde des Sceaux, ils gardent la possibilité de s'y soustraire puisqu'il n'y pas de pouvoir de substitution. Agents de liaison entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire chargés de faire entendre au second le point de vue du premier, ils ont le droit d'exprimer leur opinion personnelle par la liberté de parole qui leur est reconnue.

   Cette situation étrange du ministère public est, à mon sens, le résultat d'une erreur historique des Révolutionnaires qui ont eu quelque mal à prendre conscience immédiatement de la portée des bouleversements institutionnels qu'ils avaient opérés.

   Ils ont cru définir la situation du ministère public en écrivant que : "Les officiers du ministère public sont les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux" (Art. ler, titre 8, D-L. 16. 24 août 1790), ce qu'on répète depuis. S'ils ont fait ainsi, c'est parce qu'un peu plus d'un an plus tôt on disait des officiers du ministère public qu'ils étaient les "agents du Roi auprès des tribunaux". Ce que les Révolutionnaires n'ont pas compris, c'est que cette formule, en parlant d'agents du Roi, ne disait pas que les officiers du ministère public étaient les agents du pouvoir exécutif auprès des tribunaux mais qu'ils y étaient les agents du pouvoir souverain auprès des tribunaux. Une exacte transposition aurait donc du les amener à dire que les officiers du ministère public étaient les agents de la Nation auprès des tribunaux puisque c'est désormais la Nation qui est souveraine. Ils ne l'ont pas dit, mais, en pratique, ils ont été obligés de le faire parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Or c'est là que les choses se compliquent car la Nation en régime démocratique s'exprime de deux façons différentes, d'une part par le vote de la loi auquel procèdent ses représentants et, d'autre part, par le choix des gouvernants. Les officiers du ministère public agents de la Nation auprès des tribunaux se sont donc retrouvés, par la force des choses et quoi qu'en ait dit leur texte fondateur, les serviteurs de deux maîtres différents : la loi, d'une part et le gouvernement de l'autre. Dans l'immense majorité des cas, cela ne pose pas le moindre problème, le gouvernement n'ayant pas d'autre intérêt que celui de l'application de la loi. Mais dans quelques affaires rarissimes où l'intérêt du gouvernement ou de ceux qui lui sont proches est en cause et peut être en contradiction avec l'application de la règle de droit, il risque d'y avoir des difficultés. Les officiers du ministère public seront alors inévitablement amenés à sacrifier une partie de leur mission (la loi s'ils exécutent des ordres du gouvernement de nature à négliger ou limiter une action qui serait autrement déterminée par elle ; le gouvernement si appliquant la loi ils refusent de déférer à des ordres qui peuvent cependant être légaux). Cela n'est pas satisfaisant d'où l'idée de rechercher d'autres solutions.

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   Dans la réflexion qu'il convient de mener à ce propos, il me semble utile de faire plusieurs reoenarques.

   Première remarque: En toute hypothèse et quelle que soit l'option prise sur la question de son indépendance, il convient de revoir, sur un plan textuel, tout ce qui concerne le ministère public.

Contrairement à ce qui pourrait apparaître à un auditeur attentif mais peu informé des critiques actuelles souvent portées à l'institution, il n'existe pas de véritable statut écrit et cohérent de la condition du ministère public mais une série de textes disparates figurant au statut de la magistrature (art. 5 ord. 23 déc. 1958), au Code de l'organisation judiciaire et au Code de procédure pénale. En outre les articles de celui-ci qui envisagent la question ne sont rédigés ni dans un ordre rationnel ni d'une façon claire ce qui donne lieu, par exemple, à des discussions connues sur le point de savoir si le ministre de la Justice peut ou non donner l'ordre de ne pas poursuivre les infractions.

   Il nous paraît donc, tout d'abord, que ce statut doit être instauré et figurer au Code de l'organisation judiciaire pour la raison qu'il s'agit d'une institution commune à l'intégralité de la justice judiciaire.

Deuxième remarque : Il ne peut donc être question de toucher à la hiérarchie du corps, en général. Le rôle des officiers du ministère public est d'être le représentant de la société auprès des tribunaux. Or il est clair que la nécessaire égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire à laquelle le Conseil constitutionnel veille, à juste titre avec circonspection, ne pourrait se satisfaire que chaque membre du ministère public pris individuellement choisisse librement les infractions qu'il désire poursuivre ou les situations de droit privé dans lesquelles il souhaite intervenir ni la façon plus ou moins sévère ou efficace dont il croit devoir traiter les dossiers. L'exercice de l'action du ministère public suppose une relative uniformité sur l'ensemble du territoire.

   La seule question qui se pose dans le cadre de ce qu'on appelle d'une façon trop approximative "l'indépendance" du ministère public est celle de savoir si le sommet de la hiérarchie doit être occupé par le Garde des Sceaux ou par une autre autorité indépendante à définir.

   Troisième remarque: Il ne peut pas être question d'exclure le gouvernement de la conduite des actions en justice. Une des tâches essentielles du ministère public est de mettre en oeuvre une politique pénale. Or la définition de cette politique-là comme de toutes les autres relève du gouvernement.

   La solution la plus rationnelle, une fois expliquée la dualité de statut du ministère public, est de proposer une scission entre les deux intérêts dont il est chargé et qui sont susceptibles de devenir contradictoires. Mais il importe de bien insister sur le fait qu'il s'agit d'organiser une scission et non, comme on le fait trop souvent, de plaider pour un retrait pur et simple du gouvernement de l'action en justice ce qu'évoque seul l'idée de "couper le cordon ombilical qui relie le ministère public au gouvernement".

   La séparation des pouvoirs n'est pas une ignorance des pouvoirs l'un par l'autre. De même que le gouvernement peut se faire entendre au Parlement, de même il est légitime et même indispensable qu'il puisse faire connaitre son point de vue à l'Autorité judiciaire. La solution ne saurait donc se borner à rendre le ministère public indépendant du gouvernement sans assurer corrélativement la représentation de celui-ci auprès des tribunaux.

   Dernière remarque : La solution que nous critiquons est peut-être erronée mais c'est une erreur qui a fait droit puisqu'elle préside depuis deux cents ans au fonctionnement du ministère public. Il ne peut donc être question de faire comme si nous en étions toujours à l'origine et de négliger les appréhensions manifestées par des juristes non négligeables tels que Jean Foyer ou François Terré par exemple devant l'idée d'indépendance.

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   Cela étant dit, je propose, dans mon Rapport quatre versions possibles pour l'organisation du ministère public de façon à laisser s'établir la discussion que nous souhaitons. Parmi celles-ci, je vais vous dire quelle est celle qui a ma préférence.

   Ayant constaté qu'il est souvent bien difficile à la même personne de servir deux maîtres à la fois, la solution parait consister à faire servir chacun des deux intérêts actuellement défendus par le seul ministère public (la loi et le gouvernement) par deux serviteurs différents.

    Il est assez évident que c'est le ministère public actuel qui peut être le meilleur serviteur de la loi. C'est la raison pour laquelle il nous semble normal d'envisager de couper le cordon reliant ce ministère public au gouvernement sur le plan de son action. En ce qui concerne le sommet de la nouvelle hiérarchie du ministère public et si l'on en retire le Garde des Sceaux on peut hésiter entre un magistrat spécifique à créer (le Chancelier de la justice préconisé autrefois par une proposition de loi de Jacques Toubon) ou le Procureur général près la Cour de cassation. Cette dernière solution plus simple nous a toujours paru amplement suffisante.

   Mais il faut immédiatement organiser la représentation du gouvernement auprès des tribunaux. Nous avions suggéré, dans notre Thèse, de doubler systématiquement chaque procureur par un fonctionnaire représentant du gouvernement. Quelques années plus tard cette solution nous parait affligée de deux défauts majeurs caractéristiques de la jeunesse : au fond de témoigner d'un abusif esprit de système et matériellement, de pécher par un excès d'indifférence pour les questions d'intendance, en clair pour les problèmes budgétaires. A la réflexion et sur la base de ce que nous avons dit, cette représentation systématique nous paraît à la fois ruineuse et finalement inutile. Ainsi que nous l'avons noté, les conflits entre le gouvernement et l'application de la loi telle que la feraient des officiers du ministère public indépendants nous paraissent devoir être rarissimes. Il suffit donc que le gouvernement puisse se faire représenter dans ces cas-là, ce qui peut parfaitement être obtenu au coup par coup en lui donnant le droit de faire défendre son point de vue par un fonctionnaire ou par un avocat. Chaque fois qu'il l'estimerait utile, le garde des Sceaux aurait le droit de déclencher toute action où le ministère public est normalement partie principale et de faire exercer celle-ci par une personne de son choix ainsi que d'intervenir avec les mêmes modalités à toute action déclenchée par le ministère public.

   Quant à la situation statutaire des officiers du ministère public, il nous paraît fondamental de ne pas oublier, une fois encore, que la tâche essentielle du ministère public est de mettre en oeuvre une politique pénale et que la définition de celle-ci relève du gouvernement. Dans ces conditions il nous paraît normal que le gouvernement ne soit pas éliminé du choix des hommes qui vont mettre en oeuvre cette politique alors surtout qu'il seraient appelés à le faire d'une façon tout à fait indépendante. Le gouvernement nous paraîtrait devoir garder un rôle plus important dans le déroulement de la carrière des magistrats du parquet que dans celle des magistrats du siège. La situation a laquelle on est aujourd'hui parvenu nous parait satisfaisante et pouvoir être gardée comme telle.

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   Il nous reste à faire une suggestion de mise en oeuvre. Ainsi que nous l'avons dit, la solution rationnelle d'une indépendance du ministère public dans l'exercice de ses fonctions se heurte à un grand nombre de critiques et à une profonde incompréhension d'une partie importante de la classe politique et de la hiérarchie judiciaire.

   La principale critique est que la coupure du lien gouvernemental ruinerait toute possibilité de politique pénale nationale, chaque procureur indépendant menant désormais la sienne. Ces appréhensions nous paraissent infondées. Rien ne permet de penser qu'un ministère public indépendant n'aurait rien de plus urgent à faire que d'appliquer une politique pénale en contradiction délibérée avec celle définie au niveau national car la séparation des pouvoirs n'est pas la lutte des pouvoirs l'un contre l'autre. De même que les difficultés sont à l'heure actuelle rarissimes, de même on peut croire que dans l'immense majorité des parquets on se conformerait à la politique pénale définie au niveau national sous réserve des aménagements locaux. Des remèdes permettraient, d'ailleurs, éventuellement d'empêcher ces dysfonctionnements. D'abord le nouveau droit d'action du gouvernement qui par son caractère exceptionnel serait assez symbolique pour rétablir le cours des choses si un parquet faisait abusivement preuve de mauvaise volonté. Ensuite le fait qu'il n'est en rien touché à la hiérarchie interne du ministère public. Enfin par ceci que la mauvaise volonté systématique d'un procureur de la République qui s'abstiendrait ostensiblement de se conformer aux options de politique pénale nationale devrait être considérée, nonobstant son indépendance de principe, comme une faute professionnelle susceptible d'engager sa responsabilité disciplinaire. L'indépendance n'est pas le droit de faire n'importe quoi et suppose la responsabilité.

   Nous proposons donc une action en deux étapes.

   Dans un premier temps, on ne changerait rien sur le fond à la situation du ministère public tout en rerédigeant, parce que c'est indispensable, mais on introduirait tout de même le droit d'action autonome du gouvernement en faisant coexister les deux systèmes. Dès lors et si les gardes des Sceaux successifs veulent bien jouer le jeu et acceptent de recourir à cette nouvelle formule plutôt qu'à celle des ordres donnés, bien que ceux-ci restent légaux, ils démontreraient, par la pratique, l'absence de danger réel de l'indépendance du ministère public pouvant conduire, à terme, à l'instauration de celle-ci.

   Ensuite, quand l'absence d'inconvénients graves au système aurait été démontrée et que les inquiétudes seraient apaisées, on pourrait passer à un système définitif.

(1) Le texte du Rapport de Madame Michèle-Laure RASSAT a été publié sous le titre de Propositions de réforme du Code de procédure pénale, Editions Dalloz, Collection "Dalloz service"


Gilles LUCAZEAU, Procureur Général près la Cour d'Appel de Nancy

   Je vois qu'il me reste à peu près trois minutes pour m'exprimer sur le sujet compte tenu de l'intervention préliminaire de Madame Rassat.

   Je la remercie parce qu'à mon sens, trois minutes c'est encore beaucoup trop pour parler du Ministère Public et plus précisément de la réforme de son statut. D'abord parce que je pense être venu ici derrière ce podium, comme le disait tout à l'heure Monsieur Vitu, sans idée préconçue pouvant consister à faire un certain nombre de propositions de réforme dudit statut et ensuite j'allais vous dire que si j'ai répondu avec enthousiasme à la proposition qui m'était faite de porter à mon tour un regard sur le système judiciaire français, c'est très largement en raison de la conviction qui est la mienne que le sujet prête moins à parler de droit que de politique, tant il est vrai qu'en définitve la question du statut du Ministère Public relève me semble-t-il plus d'une question d'ordre politique que purement juridique.

   Une chose me frappe à cete égard : lorsqu'on 'examine un peu autour de nous, je veux dire autour de la France, les autres systèmes en vigueur en Europe dont nos éminents confrères et intervenants vont nous parler tout à l'heure, j'y vois une extrême diversité, et je défie quiconque dans cette assemblée de pouvoir démontrer ce soir qu'il existerait aujourd'hui, dans nos pays d'Europe, deux systèmes judiciaires identiques et notamment deux systèmes de poursuites idéalement calqués l'un sur l'autre. Les systèmes en présence empruntent les uns aux autres, de telle sorte qu'au moment où nous nous exprimons sur ce sujet, il n'est pas possible de tirer un enseignement unitaire de ces divers systèmes.

   Ce qui m'intéresse personnellement, plus particulièrement, dans l'examen du statut du Ministère Public "à la française", c'est de porter tout d'abord la réflexion sur l'histoire des origines de ce statut. Sans doute s'agit-il là d'un sujet rebattu, mais quoi qu'il en soit, chacun d'entre nous se situe bien dans une culture spécifique avec ses raisons d'être, une culture qui possède des origines, des racines. On ne peut à mon sens, à aucun moment, négliger cet aspect fondamental. Et je poserai ici volontiers la question : quelles sont les origines de cette "culture du Ministère Public à la française" ?

   Ces origines sont de trois ordres : il y une tout d'abord une tradition centralisatrice que tout le monde connaît bien, qui est née avec les grands monarques qui ont fait ce pays, de Philippe le Bel à François Ier, et j'arrêterai là cette référence à l'Histoire non sans toutefois avoir rappelé que c'est à François Ier que l'on doit l'institution en tant que telle du corps du Ministère Public par l'attribution de la qualité de "magistrats de l'ordre judiciaire" à ces officiers d'un genre particulier chargés de la "vindicte publique" , ceux que l'on appelait à l'époque les lieutenants criminels et qui alors réalisaient une espèce de fusion des pouvoirs entre les poursuites et l'organe d'instruction que l'on a connu plus tard. Cette tradition centralisatrice constitue sans aucun doute le premier pivot sur lequel s'appuie le Ministère Public français.

   Il y a eu ensuite ce que je pourrais qualifier de tentation autonomiste, dans la mesure où les "officiers du Ministère Public" vont progressivement se voir reconnaître une autonomie de fonction par rapport aux magistrats du siège de cette époque et il est important dans notre discussion d'aujourd'hui relative au statut du Ministère Public de ne pas oublier cet aspect de l'histoire.

   Rappelons nous en effet la parole de Muyart de Vouglans qui énonçait lorsqu'il faisait l'analyse du Code des lois criminelles, cet adage de l'ancien droit : "tout juge est Procureur Général". Or aujourd'hui, tout juge n'est pas Procureur Général, et précisément c'est là un point de discussion et peut-être bien un point de sensibilité majeure. Du reste, le même Muyart de Vouglans affirmait ce qui apparaissait à la fin du XVIIIème siècle comme la vérité de l'époque : "Il existe trois catégories de procureurs : les Procureurs Généraux, les Procureurs du Roi et les Procureurs fiscaux. De ces trois catégories de procureurs, c'est la première, celle des Procureurs généraux, qui est chargée de la poursuite de la vindicte publique." Vous voyez que les temps ont bien changé, et que l'on a assisté depuis quelques décennies à un glissement progressif mais apparemment inexorable des pouvoirs sur le terrain de l'action publique au profit des Procureurs de la République.

   La troisième racine à laquelle se nourrit à mon sens à mon sens le Ministère Public d'aujourd'hui est apparue, me semble-t-il, à l'époque de la Révolution - Mme Rassat en a parlé à l'instant - et je verrais personnellement dans cette période une tentative pondératrice. Je ne pense pas qu'il se soit agi d'une erreur ou d'une mauvaise analyse du législateur de l'époque sur les fonctions respectives de chacun des magistrats. J'y vois au contraire une illustration parfaite de cette tentative pondératrice - pondératrice par la recherche d'un nouvel équilibre s'appuyant sur des forces contraires -, à travers le principe désormais constitutionnel de la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement. Ce triangle constitue à vrai dire une véritable quadrature du cercle qui se lit dans le fait qu'à chacune de ces fonctions spécifiques correspondent des magistrats spécialisés, lesquels, malgré la spécialité de leurs fonctions, se retrouvent tout de même à l'intérieur d'un même corps. Et sans doute l'une des questions centrales posées par le problème du statut de la réforme du Ministère Public est de savoir si demain, ces magistrats que l'on appelle aujourd'hui magistrats du Ministère Public peuvent continuer d'appartenir à une organisation hiérarchisée tout en relevant en même temps du statut communément applicable au corps judiciaire. Autrement dit : les officiers du Ministère Public de demain doivent-ils toujours être magistrats ou se ranger dans la catégorie des fonctionnaires ? C'est là à mon sens l'une des questions les plus importantes qui se pose lorsqu'on évoque le statut du Ministère Public, et cette question là, j'estime qu'elle est d'abord et avant tout d'ordre politique.

   Un autre aspect sur lequel il me plaît également d'appeler votre attention est celui du rapport entre la dépendance hiérarchique du parquet et sa liberté d'appréciation. Certains voient en effet une sorte d'antinomie entre cette dépendance hiérarchique du parquet et le pouvoir d'apprécier l'opportunité des poursuites qui lui est reconnu. Or je crois personnellement, et tout à fait à l'inverse, que loin d'être antinomique, ce principe de fonctionnement s'inscrit dans une totale complémentarité. C'est, je le pense, parce qu'il y a pouvoir d'opportunité des poursuites au niveau de chaque parquet qu'il est important que ce pouvoir s'exerce en même temps dans un cadre hiérarchisé, c'est-à-dire sous contrôle, et c'est bien là ce qui se dégage de l'esprit de cette culture traditionnelle à la française, avec ou sans Descartes, qui consiste à établir des contre-pouvoirs pour aboutir à un équilibre institutionnel certes extrêmement fragile, mais parvenu au fil des siècles à un tel point qu'il est à mon avis extrêmement hasardeux de vouloir le modifier. Le modifier au profit de quoi ? Et pour aller vers quel autre système ?

   J'ajouterai ici la considération suivante à laquelle m'ont conduit les recherches que j'ai été amené à effectuer sur les divers modes de fonctionnement judiciaire dans les pays européens (et la recherche n'est pas simple dans la mesure où, je le disais tout à l'heure, aucun des systèmes judiciaires ne se recouvre exactement). Je veux faire ici allusion à une décision de la Cour constitutionnelle italienne, qui paraît donner quelque crédit à mon propos de l'instant sur les rapports entre dépendance hiérarchique et opportunité des poursuites. Cette haute juridiction a en effet, dans un arrêt de principe cité comme tel, et daté de 1991, affirmé : "C'est seulement avec l'indépendance du Ministère Public qu'il est possible de réaliser le principe de la légalité des poursuites". Je pense donc qu'il est possible d'inverser la formule et de soutenir dans un parallélisme parfait, que "c'est seulement dans le cadre d'une organisation du Ministère Public hiérarchisée qu'il est possible de maintenir le principe de l'opportunité des poursuites". A cet égard la question est et demeure pour nous de savoir si dans un statut rénové du Ministère Public nous souhaiterions préserver ce principe d'opportunité des poursuites auquel nous nous référons depuis des siècles ou abandonner ce principe au profit de celui apparemment, mais apparemment seulement, plus clair dit de la "légalité des pousuites", lequel justifierait alors l'attribution d'un "statut d'indépendance" au profit de ces nouveaux "officiers du Ministère Public ". Mais s'agirait-il de magistrats ou de fonctionnaires ? Question déjà abordée plus haut...

   Je ne dis pas que les choses ne doivent pas être réformées. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'ambiguïté dans la situation actuelle, notamment sur le rôle, le contenu et les limites exactes des pouvoirs des parquets. Je dis simplement qu'il faut agir avec une extrême précaution car la réforme éventuelle d'un statut du Ministère Public aboutit en réalité à la réforme de la Constitution, et peut-être plus encore, cette réforme de la Constitution cache-t-elle une véritable réforme du régime politique dans lequel nous sommes. Peut-être alors la véritable question sera-t-elle de savoir si au plan politique, nous serons encore dans la Vème République ou déjà dans la Vième.

   Telles seront, parmi quelques autres, les questions majueres qui se posent à mon sens à nous lorsqu'on aborde l'évolution du statut du Ministère Public et auxquelles, je l'espère, le débat qui s'instaurera tout à l'heure permettra peut-être de répondre au moins en partie.

   André VITU : Après ce plaidoyer vibrant qui répondait d'ailleurs à une attaque nourrie et forte de Mme Rassat, je passe la parole à Mme Derenne Jacobs, enseignante à Liège, qui va nous présenter le point de vue qui est le sien et celui de son droit en la matière.



CHRISTINE DERENNE-JACOBS, Avocate,

Enseignante (Faculté de Droit de Liège - Belgique)

Pour répondre aux voeux des organisateurs de cette journée d'étude, j'axerai mon intervention sur deux thèmes. Tout d'abord le statut du Ministère public, ensuite le principe de l'opportunité des poursuites et son corollaire, la politique criminelle, et me contenterai, entre ces deux thèmes, d'esquisser les questions d'organisation, de recrutement et de discipline du Ministère public.

I-STATUT DU MINISTERE PUBLIC.

   S'il fallait donner un exemple de bon compromis... comme les Belges en ont le secret, le Ministère public pourrait être cité : à la fois organe de l'Exécutif, à la fois membre de l'Ordre judiciaire, le Ministère public a un statut hybride.

   Cette ambiguïté se trouvait déjà dans la Constitution de 1830. L'article 153 stipule en effet : "Le Roi nomme et révoque les officiers du Ministère public".

On aurait pu en déduire que le Ministère public relève sans plus du Pouvoir exécutif, mais ce serait perdre de vue que l'article 153 de la Constitution figure au Chapitre VI du Titre III intitulé "Du Pouvoir judiciaire".

Cette réserve par rapport à une assimilation au Pouvoir exécutif a encore été clairement exprimée au cours des travaux préparatoires du Code judiciaire.

Dans sa version initiale, l'article 137 stipulait en effet que : "Le Ministère public représente l'Exécutif dans le ressort territorial de la cour ou du tribunal près lesquels il est établi... ".

Cette référence à une appartenance au Pouvoir exécutif a été volontairement écartée au profit d'une formulation plus neutre: "Le Ministère public remplit les devoirs de son office dans le ressort territorial de la cour ou du tribunal près lesquels il est établi... ".

   Pour ne pas m'enfermer dans cette controverse sans fin que suscite la définition du statut du Ministère public, je relèverai seulement quelques éléments-clé du débat qui, je l'espère, vous permettront de mieux cerner la réalité de la situation :

1. les membres du Ministère public sont nommés et révoqués par le Roi ;

2. le Ministère public est soumis à l'autorité (notamment disciplinaire) du Ministre de la Justice ;

3. par contre, les membres du Ministère public sont des magistrats ; ils sont recrutés selon le même processus que les magistrats du siège, qui sont également nommés par le Roi ;

4. le fonctionnement du Ministère public est organisé par la loi, qui lui a confié des missions spécifiques, et non par le Ministre.

   En définitive, charnière entre l'Exécutif et le Judiciaire, le Ministère public jouit, de par le fait qu'il tient ses pouvoirs de la Nation, d'une autonomie certaine par rapport à l'Exécutif.

Ainsi, est-il unanimement admis, même s'il s'agit d'un principe non écrit, que le Ministre de la Justice ne peut entraver le Ministère public dans l'exécution de la mission que la Nation lui a confiée, à savoir la poursuite des infractions : le Ministre ne pourra en aucun cas donner d'injonctions négatives au Ministère public.

De même, si le Ministre peut, de manière exceptionnelle, pour veiller à l'exécution de la loi, donner des injonctions positives de poursuivre, il ne peut se substituer au Ministère public et intenter lui-même les poursuites.

   Peut-on en conclure que le Ministère public est indépendant par rapport à l'Exécutif, et plus particulièrement par rapport au Ministre de la Justice ?

Force est de constater que cette indépendance est relative puisque le Ministère public exerce sa mission sous l'autorité du Ministre de la Justice, dont il relève disciplinairement.

Mais force m'est aussi de constater qu'en Belgique, le Ministère public a avant tout l'âme d'un magistrat indépendant. Qu'il me soit permis de citer brièvement les propos tenus par un avocat général lors d'un colloque consacré au Ministère public: "... si nous restons dépendants parfois de nos habitudes et de nos facilités, nous sommes tous viscéralement attachés à notre indépendance institutionnelle qu'il nous faut sauvegarder. Toute atteinte à cette indépendance, politique, administrative, médiatique, financière ou économique, à cette indépendance face aux pressions de toutes sortes, qu'elles soient internes ou proviennent du monde extérieur, toute atteinte à cette indépendance, si minime soit-elle, nous la percevons aussitôt comme un véritable péril."

Cette indépendance, qu'on pourrait peut-être qualifier d'impartialité, disposition de l'esprit, est profondément ancrée dans la tradition de notre pays : "Le magistrat debout agit au nom de la Nation, prise dans son ensemble, et ne peut être lié à une partie quelconque et, dès lors, moins encore au gouvernement ou à quelque thèse ou doctrine que ce soit".

Cette tradition d'indépendance était telle que le Ministre de la Justice se voyait même contester le droit de tracer une politique criminelle ; il s'agissait d'une affaire judiciaire.

L'institution fonctionnait de manière autonome, sans contrôle réel.

Il.- ORGANISATION DU MINISTERE PUBLIC.

   Très brièvement, tout comme en France, le Ministère public belge est un corps hiérarchisé, organisé de façon pyramidale autour des procureurs généraux près les cours d'appel.

Les substituts sont placés sous l'autorité d'un procureur du Roi ; eux-mêmes sont sous l'autorité d'un procureur général, lui-même soumis à l'autorité, telle qu'on l'a limitée, c'est-à-dire essentiellement disciplinaire, du Ministre de la Justice.

III.- RECRUTEMENT.

   Notons tout d'abord que le recrutement s'opère de la même manière pour les magistrats du siège que pour ceux du Parquet.

I1 y a essentiellement deux filières qui peuvent être suivies pour devenir magistrat du Ministère public.

Tout d'abord, le concours qui est accessible aux candidats qui ont un an de pratique du barreau et dont la réussite donne accès à un stage judiciaire à l'issue duquel on peut postuler.

D'autre part, l'examen, qui est accessible aux juristes qui ont une plus grande expérience professionnelle et dont la réussite ouvre l'accès à la postulation.

La nomination s'opère par arrêté royal ; elle résulte donc d'un choix politique entre les candidats.

IV.- LA DISCIPLINE.

   D'un point de vue disciplinaire, les membres du Parquet relèvent de l'autorité du procureur général et du Ministre de la Justice.

L'application des sanctions les plus graves, à savoir la suspension et la révocation, nécessite un arrêté royal, pris à la demande du Ministre de la Justice.

Dans la pratique, il semble que le Ministre, qui dispose pourtant d'une arme redoutable, n'use son pouvoir disciplinaire qu'avec beaucoup de circonspection et uniquement aux fins de sanctionner les manquements graves (infractions pénales, manquements à la dignité de la profession, ... ), et non à des fins politiques.

V.- L'OPPORTUNITÉ DES POURSUITES ET LA POLITIQUE CRIMINELLE.

   1.- La Belgique a opté pour le principe de l'opportunité des poursuites : le Ministère public dispose du droit de classement sans suite.

Cette option fondamentale pour un système pénal n'est cependant inscrite dans aucun texte de loi, à l'heure actuelle. Un projet de loi, qui est pour le moment débattu à la Chambre des représentants, prévoit cependant son incorporation dans le Code d'instruction criminelle (ce texte aurait le mérite de préciser que la mise en oeuvre de ce principe, qui n'est pas remis en question, appartient à ces missions que le législateur a confiées au Ministère public).

   2.- L'application du principe de l'opportunité des poursuites suppose que des choix soient opérés : certains dossiers feront l'objet de poursuites, d'autres seront classés. Selon quels critères ces choix seront-ils opérés ? Qui doit opérer ce choix ? Autrement dit, qui élabore la politique criminelle ? S'agit-il d'un choix judiciaire ou politique ?

Jusqu'il y a quelques années, chaque Parquet général menait sa propre politique, de manière autonome.

Les distorsions étaient telles d'un ressort à l'autre, et même parfois à l'intérieur d'un même ressort, que les procureurs généraux ont décidé de se concerter et ont créé spontanément le Collège des procureurs généraux, qui se réunit mensuellement pour débattre des options de politique criminelle.

Dans son rapport du 30 avril 1990, la Commission d'enquête parlementaire sur le terrorisme et le grand banditisme a porté un regard nouveau et particulièrement critique sur la situation existante : constatant l'absence d'une politique criminelle réelle et l'absence de contrôle sur l'action du Ministère public, la Commission concluait que "la politique générale de recherches et de poursuites relève de la responsabilité du gouvernement (et plus particulièrement du Ministre de la Justice) et doit être contrôlée par le Parlement : le Ministre de la Justice doit, par des directives générales, imprimer au Parquet les lignes directrices de sa politique criminelle. Il en assume les responsabilités politiques devant les Chambres. Par contre, la mise en oeuvre de ses lignes directrices incombe au Ministère public, auquel la loi a confié la mission de poursuivre. Le Ministre contrôlera l'application correcte de ces directives.

   C'est dans cette perspective qu'a été créé, en 1994, le Service de politique criminelle, chargé d'éclairer le Ministre quant aux choix à opérer et que tout récemment, une loi instituant le Collège des procureurs généraux a été adoptée (loi du 20 février 1997 votée mais non encore publiée au Moniteur belge).

Cette loi confère un statut légal au Collège des procureurs généraux, placé sous l'autorité du Ministre de la Justice.

Mais elle va beaucoup plus loin: Article 3 : "Le Ministre de la Justice arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherches et de poursuites, après avoir pris l'avis du Collège des procureurs généraux. Les directives sont contraignantes pour tous les membres du Ministère public."

On le voit, le Ministre de la Justice a désormais l'obligation d'assumer un rôle moteur dans la définition de la politique criminelle. Il le fera par des directives (terme qui doit être compris au sens européen, c'est-à-dire que la finalité doit être atteinte mais que les moyens concrets à utiliser relèvent de la compétence exclusive du Ministère public). Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du Parquet.

Par contre, il relève des missions attribuées par la loi au Collège des procureurs généraux de veiller à la mise en application, par des dispositions concrètes, de ces directives ministérielles.

La loi prévoit à cet égard :

1. le Collège décide, par consensus, de toutes les mesures utiles en vue de la mise en oeuvre cohérente et de la coordination de la politique criminelle déterminée par les directives;

2. ces décisions, prises par consensus, engagent individuellement chaque procureur général ainsi que tous les membres du Parquet qui en dépendent;

3. en l'absence de consensus, ayant pour conséquence la mise en péril des directives du Ministre de la Justice, celui-ci prendra les mesures nécessaires. Il pourra s'agir d'une médiation, mais bien plus puisque le Ministre pourrait aller jusqu'à prendre des mesures disciplinaires.

VI.- CONCLUSION.

   Il est trop tôt pour dire quel sera l'impact pratique de cette loi :

une simple consécration de la situation existante;

ou entraînera-t-elle des immixtions de plus en plus fréquentes de l'Exécutif dans les missions confiées par la Nation au Ministère public, par le biais d'injonctions négatives générales; permettra-t-elle l'introduction d'une politique criminelle partisane ?

Je préfère espérer qu'elle permettra la construction d'une politique criminelle responsable, dans le respect des compétences propres de chacun.


Rik VANDEPUTTE, Avocat Général près la Cour d'Appel de Gand (Belgique)

   Dans le droit belge, on chercherait en vain une définition du Ministère public. Néanmoins, dans la doctrine classique belge, on accepte d'une manière générale que les magistrats du ministère public soient revêtus d'une double qualité, à savoir qu'ils sont en même temps organes du pouvoir exécutif et membres de l'ordre judiciaire. La conception qu'ils sont membres de l'ordre judiciaire se fonde notamment sur la Constitution belge qui, dans son chapitre VI " Pouvoir Judiciaire " art. 101, précise que " Le roi nomme et révoque les officiers du ministère public pour les cours et les tribunaux. "

   Le ministère public exerce une fonction du pouvoir exécutif quand il met l'action publique en mouvement et la dirige par la procédure écrite jusqu'à son terme, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle soit épuisée par une décision définitive.

   Le ministère public agit comme organe judiciaire quand il participe par son concours à l'interprétation et à l'application des lois par les juges, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, le Ministère public est pleinement indépendant de l'exécutif, c'est-à-dire du Ministre de la Justice.

   En Belgique, l'organisation du Ministère public repose sur le principe fondamental que toutes les fonctions auprès des cours et des tribunaux sont spécialement et personnellement confiées aux Procureurs Généraux. (art. 143 du Code judiciaire).

   A la différence de la plupart des fonctionnaires de l'ordre administratif qui n'agissent que par délégation du Ministre compétent et en son nom, le Procureur général agit en vertu de la délégation que la nation elle-même lui a donnée.

   Le Ministère public est caractérisé par son unité fonctionnelle et hiérarchisée. Cette unité est garantie par le fait que tous les magistrats du Ministère public sont sous la direction et l'autorité du Procureur général près la Cour d'appel (art. 144-145-146-149-150-152 et 153 du Code judiciaire). De ce fait , le Procureur général est garant de l'unité dans la manière dont le ministère public exerce ses fonctions.

   Néanmoins, je tiens à vous faire remarquet que cette unité fonctionnelle et hiérarchisée n'implique pas que les magistrats du parquets doivent suivre d'une manière servile les instructions de leurs supérieurs hiérarchiques quand ils participent à l'interprétation et à l'application des lois par les juges, ce que traduit bien l'adage " La plume est serve, mais la parole est libre ".

   Puisque le Roi ( le pouvoir exécutif) n'a pas d'autre pouvoir que celui qui lui est conféré explicitement par la Constitution elle-même ou par la loi, tous les pouvoirs que le gouvernement exerce vis-à-vis du ministère public doivent trouver leur justification dans une attribution expresse par la loi.

   Le Ministre de la Justice peut donner l'ordre d'entamer des poursuites (art. 274 du Code de procédure pénale : " Le Procureur Général, soit d'office, soit par les ordres du Ministre de la Justice, charge le Procureur du Roi de poursuivre les délits dont il a connaissance "). Le Ministre de la Justice a un pouvoir de surveillance sur le ministère public (art. 400 du Code judiciaire : " Le Ministre de la Justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le Procureur général près la Cour de Cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts ").

   Le Ministre de la Justice a un pouvoir disciplinaire propre.

***

   En Belgique, le principe de l'opportunité qui donne au Ministère public le pouvoir de ne pas entamer des poursuites dans les cas où toutes les conditions pour l'application de la loi pénale sont réunies, ne trouve pas sa justification dans la loi, mais dans le droit coutumier. Néanmoins, ce principe est reconnu comme un principe général de droit.

   Ce pouvoir n'est ni arbitraire ni absolu.

   La décision de ne pas poursuivre, qui doit être l'exception, doit être motivée par la nature des faits, la personnalité de l'auteur et en tenant compte de la finalité de la loi pénale.

   Comme déjà dit plus haut, vu l'organisation hiérarchique du ministère public, le Ministre de la Justice ou le supérieur hiérarchique peut donner l'ordre d'entamer des poursuites, la partie lésée peut mettre en route les poursuites par une citation directe devant le tribunal pénal compétent ou en se constituant partie civile devant le juge d'instruction.

   Cette conception presque autonome du principe de l'opportunité est en train d'évoluer. Cette évolution qui, selon moi, est non seulement inévitable mais qui apparaît aussi dans certains textes légaux récents, est motivée par l'évolution de notre société et par l'impact de la politique criminelle.

   Cette évolution doit être inscrite dans un changement du concept de droit de surveillance du Ministre de la Justice. Jusqu'il y a peu, ce droit de surveillance était plutôt vu comme un droit de contrôle et d'information permanent quant à la manière dont le ministère public exerçait ses pouvoirs. De plus, il n'était pas contesté que le Ministre de la Justice avait le droit de s'informer sur des affaires pénales précises.

   Aujourd'hui, on constate une tendance selon laquelle le Ministre de la Justice peut intervenir d'une manière plus dirigiste vis-à-vis du ministère public.

   Ainsi, à la suite de la nouvelle loi du 20 février 1997 instituant le Collège des Procureurs généraux et créant la fonction de Magistrat national, le Ministre arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite après avoir pris l'avis des Procureurs généraux.

   Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du ministère public. Les Procureurs généraux près les Cours d'appel veillent à l'exécution de ces directives au sein de leur ressort.

   Jusqu'à cette loi, il n'était pas clairement établi qui était chargé de déterminer la politique criminelle. Une forte tendance, soutenue principalement par les Procureurs généraux, prétendait qu'il revenait en principe aux Procureurs généraux de déterminer la politique de recherche et de poursuite. Néanmoins, vu le fait que chaque Procureur général n'était compétent que pour son propre ressort, on constatait que déterminer une politique nationale ne pouvait être réalisé que quand il y avait un consensus de tous les Procureurs généraux, ce qui ne s'avérait pas toujours possible.

   Bien que le Ministre de la Justice pût, par des directives s'appuyant sur le droit de l'injonction positive, influencer la politique de poursuites, il y a toujours eu une discussion latente sur le droit du Ministre de la Justice de restreindre, par des injonctions négatives, le pouvoir du ministère public d'entamer des poursuites ;

   Même si, au cours des travaux parlementaires concernant le projet de loi instituant le Collège des Procureurs généraux, il était en principe reconnu que le Ministre n'avait pas la compétence de l'injonction négative, il faut cependant constater que, du fait de l'interprétation donnée au pouvoir du Ministère public d'entamer des poursuites, ce pouvoir a été partiellement restreint (cfr. Doc. P. Sénat, Session 1996-1997 1 447/4 p . 66)

   "Un autre membre aimerait savoir si, dans le cadre de la lutte contre l'arriéré judiciaire en matière pénale, l'on peut décréter par une ligne directrice que les affaires ne soient plus déférées aux juridictions de jugements - pour autant que la loi l'autorise - mais qu'on recoure à la conciliation et à la médiation pénale.

   Le Ministre répond que cette manière de faire s'inscrit parfaitement dans l'éventail des possibilités d'une politique criminelle.

   Le Ministre répond que l'on inaugure une ère nouvelle dans l'évolution de notre droit en accordant au Ministre de la Justice le pouvoir d'aller, dans cette matière, au-delà de ce qui est admis actuellement sur la base de sa responsabilité politique vis-à-vis du Parlement et en concertation avec le Collège des Procureurs généraux.

   Deux limites ne sauraient toutefois être dépassées.

   Premièrement, le Ministre ne peut pas modifier la loi (cfr. art. 108 de la Constitution).

Deuxièmement, il ne peut pas intervenir dans les dossiers individuels. Il ne dispose donc pas d'une droit d'injonction négative. "

***

   Personnellement, je suis d'avis que dans notre société actuelle l'application de la loi pénale et ainsi aussi la mission du ministère public doit s'inscrire dans une politique criminelle générale, laquelle ne peut être envisagée indépendamment de l'organisation globale de la société.

   En outre, une bonne politique criminelle doit tenir compte de la politique menée dans d'autres domaines tels que la politique de prévention, la politique socio-économique, la politique de l'enseignement, de l'aménagement du territoire, etc.

   Ceci implique que la politique de recherche et de poursuite ne peut pas dépendre de la vision individuelle de chaque magistrat du ministère public, fût-il Procureur général.

   Certes, cette politique de poursuite ne peut pas être d'une rigidité telle que le ministère public ne pourrait plus, dans certains cas individuels, s'écarter, d'une manière motivée, des directives générales.

   Le ministère public n'intervient dans le maintien de l'ordre public que lorsque la politique préventive a échoué. Ce n'est qu'à ce moment que le ministère public est chargé de la recherche et de la poursuite des infractions.

   La recherche de ces infractions est spécialement la mission des services de police. Ceux-ci doivent, dans l'exécution de leurs missions de police judiciaire, s'inscrire dans la politique criminelle globale.

   Il va de soi que, dans les faits, les services de police ont, d'une manière indirecte, un grand impact sur la politique de poursuite du Ministère public, celui-ci est largement dépendant de la manière dont la police exerce ses missions de recherche.

   La manière dont la police gère sa politique de recherche et de constatation détermine à quels phénomènes criminels et à quelles infractions précises la priorité est donnée et fixe de ce fait de quelles infractions le Ministère public peut prendre connaissance.

   D'autre part, un management effectif des moyens aussi bien au niveau des services de police qu'au niveau du parquet exige que les efforts fournis soient en concordance avec la politique criminelle et obtiennent un suivi adéquat de part et d'autre.

   Ce consensus doit être atteint par une concertation permanente entre tous les acteurs, où les moyens de chacun pour réaliser la politique criminelle soient accordés.

   En Belgique, cette concertation a lieu dans ce qu'on appelle la " Concertation pentagonale " créée par l'Arrêté Royal du 10 avril 1995 portant sur les modalités générales de la concertation pentagonale qui prévoit :

   "Art.3 : La Concertation pentagonale locale a pour mission :

1/ de promouvoir au niveau local une politique administrative, criminelle et policière intégrée dans le domaine de l'ordre public, de la prévention et de la lutte contre la criminalité ;

2/ de déterminer les mesures à prendre afin d'assurer la collaboration entre les autorités et les services de police et entre les services de police pour l'exécution d e la politique visée au 1°".

   Cette concertation a lieu entre le Procureur du Roi, le(s) bourgmestres et les chefs des trois services de police.

   Toutefois, dans l'exercice de ses fonctions, le ministère public doit rester indépendant en ce sens que, dans l'appréciation de chaque cas individuel, le magistrat du parquet doit, en concordance avec la loi, en se basant sur les faits objectifs et en tenant compte de la personnalité du suspect, pouvoir prendre une décision en âme et conscience.

   L'indépendance et la marge de manoeuvre du ministère public sont en pratique restreintes par sa dépendance vis-à-vis d'autres secteurs qui déterminent et mettent en oeuvre la politique globale et la politique criminelle.

   André VITU : Je remercie particulièrement nos amis belges, qui ont insisté vous l'avez remarqué sur un thème très central qui est celui de la politique criminelle et sur la concertation nécessaire entre tous les organes qui interviennent en matière de poursuites. Je passe maintenant la parole à notre collègue de Sarrebrück, le Professeur Heike Jung


Heike JUNG, Professeur de Droit Pénal comparé à la Faculté de Droit de Sarrebruck (Allemagne)

   Laissez-moi commencer par un bref aperçu historique. En Allemagne, on n'a pas la chance en ce qui concerne le Ministère public de remonter jusqu'à François Premier, parce que l'Allemagne, comme vous le savez peut-être, a hérité de l'institution du Ministère public au siècle dernier, et l'a hérité de la France. Mais je crois qu'à l'époque déjà, ce Ministère public était un autre personnage, parce que c'était le Ministère public à l'issue de la Révolution, du siècle des Lumières et des pensées de Montesquieu. C'est pourquoi nous sommes confrontés dans cette matière à un mélange de continuité et de discontinuité. A l'époque, le Ministère public a été introduit en Prusse par un fameux juriste allemand, Friedrich-Carl von Savigny, qui a été le ministre de la Législation. C'est un peu bizarre pour un juriste qui a en particulier favorisé l'évolution d'un droit plutôt d'origine coutumière ("Volksgeist"). Mais il a néanmoins joué un grand rôle comme ministre de la Législation, et il a, en introduisant le Ministère public, parlé de sa fonction de gardien de la loi, mais aussi de gardien des juges, c'est-à-dire de gardien de la justice même. Peut-être qu'on a dans cette ambivalence déjà quelques uns des problèmes qui entourent le Ministère public de nos jours.

   Ma première thèse est la suivante : le statut du Ministère public est révélateur de la conception d'Etat. Ainsi la présente discussion sur le statut témoigne d'une nouvelle approche quant à l'organisation du pouvoir étatique. Deuxième point : cette discussion n'est pas une particularité française. Au contraire, on discute du statut du Ministère public un peu partout, non seulement en Allemagne mais partout en Europe. Le Conseil de L'Europe vient d'établir un comité de travail qui a la tâche d'analyser ce statut, d'analyser le rôle du Ministère public dans le but de présenter une possible recommandation. En ce qui concerne l'Allemagne, le Ministère public et la situation du Ministère public, et ses tâches et son organisation sont réglées à la fois dans le code de l'organisation judiciaire et aussi dans notre code de procédure pénale. En principe, l'institution du Ministère public est comme en France organisée de façon hiérarchique. Mais il y a quand même vis-à-vis de la France quelques points de différences qui affaiblissent peut-être la rigueur de cette hiérarchisation : c'est avant tout le principe de légalité qui domine a priori l'action du Ministère public, cette obligation de poursuivre qui n'est pas toujours forcément le principe directeur, mais le principe de règle de notre procédure pénale. Deuxième point : l'état allemand est comme vous le savez un état fédéral. C'est important dans notre matière, parce qu'il y a dix-sept gardes des Sceaux qui peuvent instruire ; et l'existence de dix-sept gardes des Sceaux implique qu'il y a peu d'instructions, parce qu'il y a 16 Länder et tous les Gardes des Sceaux des différents Länder peuvent donner des instructions. Il y a de plus le Ministre de Justice Fédérale qui peut donner des instructions au Procureur Général de la République à Karslruhe.

   On attribue chez nous et maintenant, je répète un peu le cours de la discussion, à l'institution du parquet un statut sui generis. C'est une formule que l'on trouve toujours lorsque l'on ne sait plus en trouver une autre ; c'est l'ambivalence incarnée dans un terme. C'est-à-dire que le Ministère public est à la fois organisé comme un corps administratif, mais en même temps cette administration s'imprègne de sa place et de sa fonction dans le cadre de la justice. Le Ministère public allemand peut être destinataire d'instructions concernant le traitement individuel d'une affaire ainsi que la politique criminelle générale. Ces instructions peuvent être des instructions internes mais aussi des instructions externes, émanant du Ministre de la Justice. Le champ d'application des ces instructions est grosso modo limité au principe d'opportunité qui existe dans un mélange avec le principe de légalité mais il y a aussi lorsque la loi prévoit une marge d'appréciation la possibilité de donner une instruction dans le cadre du principe de légalité.

   L'obligation de poursuivre, c'est une de mes convictions très profondes, et l'opportunité des poursuites ne doivent pas être conçues comme antagonistes. Dans un état de droit, toute action du Ministère public doit être prévisible. Dans cette perspective, on peut se demander si la règle vague de l'article 40 alinéa 1 du Code de Procédure Pénale français ne devrait pas être concrétisée. Vous avez de nouveau dans le cadre du Conseil de l'Europe une recommandation sur la simplification de la procédure qui vous donne aussi des exemples, mais je suis sûr que Mme Rassat a trouvé un fil directeur qui servirait encore mieux au législateur français.

   De toute façon, et dans ce contexte je suis un peu opposé à la position qui vient d'être prise par Monsieur le Procureur Général, un principe d'opportunité n'exige pas l'ultime responsabilité du Ministre. Au contraire, celle-ci implique toujours le risque de politisation d'une affaire. Dans un état de droit, le principe de la division du pouvoir menée à son terme, et maintenant je parle un peu pour l'Allemagne et peut-être pour la France, milite en faveur d'une réallocation de la position du Ministère public. Cette réallocation pourrait s'exprimer dans l'abolition d'une instruction concernant le traitement d'une affaire individuelle. Aussi la préfabrication de l'issue du procès par l'enquête, le glissement de rôle, la tâche quasi-juridictionnelle du Ministère public devrait-elle s'exprimer dans un statut plus indépendant vis-à-vis des institutions politiques.

   L'attribution d'un statut indépendant au Ministère public n'aurait pas de conséquences immédiates sur son rôle vis-à-vis des autres agents dans le procès. Elle produit avant tout un renforcement de crédibilité de la justice, une séparation plus nette entre le droit et la politique. Même une indépendance accrue ne résoudrait pas un problème qui à mon avis est un problème névralgique du Ministère public, c'est sa relation avec la police, et la domination du Ministère public par la police. Je termine en souhaitant bon courage aux Français : ils ont inventé l'institution du Ministère public et probablement même le droit écossais en a profité. Et je crois que maintenant les Français ont la tâche de réformer cette institution. On vous attend avec impatience.

André VITU : Voilà qui est inquiétant pour les Français parce l''Europe a les yeux fixés sur nous. Grâce à M. Jung, nous voilà dans l'arène où le taureau nous attend et ou les spectateurs souhaitent peut-être notre mise à mort.

Heike JUNG : Pas forcément, je peux vous donner des conseils.

André VITU : Nous attendons que l'Europe achève de nous mettre sur ce piédestal, et pour cela nous allons passer la parole à M. Stewart.


Andrew STEWART, Advocate, Edimburgh (Ecosse)

Quand je dis que je suis écossais, les Français me parlent toujours de mon kilt et s'ils sont polis, ils ne posent pas de questions indiscrètes. Si je dis que je vis en Ecosse, les Français me parlent de Nessie, et s'ils ont voyagé ils savent où est le Loch Ness. Mais si je dis que suis juriste écossais, les Français me parlent hélas du droit anglais. Je remercie donc les organisateurs de savoir que l'Ecosse n'est pas l'Angleterre et de me permettre de vous parler du système écossais.

Les Anglais et les Ecossais se sont pendant des années battus pour finalement aboutir en 1603 à l'union des deux couronnes et en 1707 au traité d'Union entre l'Angleterre et l'Ecosse. Si ces deux nations sont unies au sein du Royaume-Uni, il est important de savoir que l'Ecosse a conservé son système juridique et plus important encore, son équipe de rugby, qui hélas n'est pas aussi bonne que l'équipe de France.

Que retenir donc du système de poursuite des infractions en Ecosse ? Pour commencer, je souhaiterais vous parler de ce qu'en France on nomme le Ministère public et que nous appelons Crown Office et vous indiquer sa particularité par rapport au système français. Ensuite, nous aborderons la question de son indépendance par rapport au pouvoir politique.

Le Lord Advocate est le ministre responsable en Ecosse de toutes les questions judiciaires et juridiques et le Solicitor General est son Junior Minister.

Pour cela, le Lord Advocate est responsable de :

l'administration des juridictions,

il conseille le gouvernement sur le droit écossais en général et la rédaction des lois applicables en Ecosse.

il représente le gouvernement pour les affaires civiles

et enfin, ce qui nous intéresse aujourd'hui, est qu'il est responsable des poursuites pénales.

Responsable de la poursuite des infractions, le Lord Advocate est à la tête du Crown Office.

Le Crown Office est un service public et son personnel est recruté parmi des juristes (solicitors) qui prennent le titre de Procurator Fiscal. Ils font une carrière dans le service public comme des fonctionnaires.

La mission essentielle du Procurator Fiscal est :

- de lancer et d'exercer l'action publique,

- de contrôler la police dans la recherche des preuves,

- ils peuvent également interroger les témoins, victimes...pour évaluer les preuves, etc.

Son rôle, comme vous pouvez le constater, est similaire à celui du Ministère public en France et cette institution vieille de trois siècles a été exportée en Angleterre en 1985 sous le nom de Crown Prosecution Service.

Cependant, le Procurator Fiscal a plus de pouvoirs que le Procureur en France car en Ecosse il est maître de l'instance. Il peut négocier avec l'accusé sur les infractions à poursuivre, négocier un guilty plea (que l'on peut présenter comme des aveux négociés, pour faire plaisir à M. Toubon), et peut abandonner les poursuites même au cours du procès s'il se déroule devant la Sheriff Court.

Cependant, pour le procès lui-même, le Procurator Fiscal devra transmettre le dossier à un Advocate si l'affaire est grave et doit être jugée par une juridiction supérieure. L'Advocate a son tour devient maître de l'instance. Il faut savoir qu'en Ecosse la High Court est compétente pour toutes les affaires pénales les plus graves (comme la Cour d'Assises en France pour les crimes), et la Sheriff Court pour toutes les affaires moins graves (comme le tribunal de police en France).

En règle générale, la profession de solicitor (qui correspond plus ou moins à la profession d'avocat en France) a un droit de postulation et de plaidoirie devant les Sheriff Courts et les Advocates ont le monopole devant la juridiction suprême (à savoir la High Court).

Pour revenir au Lord Advocate et au Solicitor General, ils peuvent tous deux intervenir devant la juridiction suprême pour les affaires les plus graves, et ils exercent cette prérogative fréquemment. S'ils décident de ne pas intervenir personnellement, ils sont représentés devant la Cour par ce que nous appelons un Advocate Depute. Peut-être pouvons nous établir un parallèle avec la hiérarchie existant en France, entre le Procureur Général, le Procureur de la République et les substituts.

J'ai mentionné au début que le Procurator Fiscal fait carrière dans le service public comme un fonctionnaire. Cela ne s'applique pas à l'Advocate Depute, qui exerce une profession indépendante, comme un avocat. Qui sont donc les Advocate Depute ? C'est un privilège réservé aux meilleurs Advocates déjà spécialisés, généralement en droit civil, et souhaitant s'orienter vers le droit pénal pour éventuellement devenir Judge de la juridiction suprême. Ils exercent les fonctions d'Advocate Depute pendant environ trois ans et pour cela doivent accepter une diminution importante de leurs revenus. Inutile de préciser que pour un Ecossais, on ne fait pas carrière à vie comme Advocate Depute, quand on peut être mieux payé comme Advocate indépendant.

Cela nous amène au deuxième point de notre exposé, à savoir l'indépendance du Crown Office par rapport au pouvoir politique.

L'indépendance du Crown Office est assurée par un système typiquement britannique : théoriquement il permet de nombreux abus, mais il fonctionne en pratique extrêmement bien.

Le Lord Advocate et le Solicitor General font partie du gouvernement et sont également membres du pouvoir législatif. Ils sont responsables devant le Parlement et sont membres du parti politique au pouvoir. Aussi, si le Parti Conservateur perd les prochaines élections, nous assisterons à de nombreuses mutations.

Le Lord Advocate est nommé par le Premier Ministre et est choisi en général non pas parmi des politiciens mais parmi les juristes les plus éminents. Il est de tradition que le Dean of Faculty (ce qui correspond au Bâtonnier de l'Ordre des avocats) soit nommé Lord Advocate.

Pour comprendre le système écossais, il est important de savoir que les juristes choisis font passer leurs fonctions professionnelles avant leurs convictions politiques. Aussi, leur appartenance à un parti politique n'influence pas leurs décisions. Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui des poursuites engagées contre Allan Stuart, un ministre du gouvernement pour l'Ecosse. L'année dernière, en essayant de négocier avec des écologistes manifestants contre la construction d'une nouvelle autoroute, le Ministre s'est laissé emporter par la discussion et a agressé un des manifestants. Inutile de préciser que cela a fait la joie des media, mais pas celle du Lord Advocate, qui a décidé d'engager des poursuites. Le Ministre a été condamné.

La question cruciale de l'indépendance du Lord Advocate n'est pas à l'ordre du jour en Ecosse. Il est indépendant et n'est responsable ni devant le Parlement ni devant le gouvernement.

Le Lord Advocate est libre de décider de poursuivre ou de ne pas poursuivre une infraction. Cependant, il demeure responsable pour les autres fonctions que j'ai déjà énoncées, à savoir en tant que Conseil du gouvernement et responsable de l'administration des juridictions.

Comment cette indépendance par rapport au pouvoir exécutif est-elle assurée ?

La fonction de Lord Advocate bénéficie de beaucoup de prestige en raison de son ancienneté. Vieille de plus de cinq cents ans, elle a connu de loin la fameuse Révolution française mais également la création des fonctions de Premier Ministre du Royaume-Uni en 1783. Aussi, si le Premier Ministre décidait de remplacer le Lord Advocate pour manque de coopération avec le pouvoir politique, cela serait une crise constitutionnelle sans précédent, et on doit reconnaître que cette éventualité est une hypothèse d'école.

C'est pourquoi, en raison de ses pouvoirs importants, il est essentiel que l'intégrité du Lord Advocate soit au-dessus de tout soupçon et que son indépendance soit sans compromis. Toute l'indépendance du Lord Advocate repose sur cette intégrité. Que se passe-t-il si un Lord Advocate n'est pas à la hauteur ?

Tout d'abord, une victime peut tout comme en France, déclencher les poursuites pénales. Ce que vous appelez partie civile est pour nous private prosecution, mais il faut bien avouer qu'elles sont rares (deux au cours de ce siècle) et que cette procédure est plutôt une soupape de sûreté.

Mais plus efficace est la pression sociale qui peut être forte dans un petit Etat comme l'Ecosse. Elle peut s'exercer notamment par le biais des Advocates Depute (qui font partie de la profession d'Advocate, qui est libérale et indépendante) et qui peuvent décider de ne pas faire partie du Crown Office. Il est donc essentiel, pour un bon fonctionnement du système, que le Lord Advocate soit reconnu comme indépendant et intègre.

En conclusion, il est difficile de comparer le système écossais avec celui de la France, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs. L'indépendance du Lord Advocate est assurée plus par le prestige et l'ancienneté de ses fonctions que par des règles constitutionnelles

Si comme je l'ai mentionné, théoriquement le système permet de nombreux abus, en pratique, il fonctionne extrêmement bien.

Cependant nous nous posons nous aussi des questions, mais elles sont liées à l'indépendance de l'Ecosse, à la dévolution des pouvoirs du Parlement du Royaume-Uni à un nouveau Parlement Ecossais. Par exemple, le Lord Advocate deviendrait-il un membre du Parlement Ecossais ou resterait-il membre du Parlement pour le Royaume-Uni à Londres ? Verrions-nous la création d'un Ministère de la Justice en Ecosse comme celui qui existe en France ? Dans l'affirmative, quelle sera la relation entre ce nouveau ministère et le Lord Advocate ? Est-ce qu'un parlement basé en Ecosse sera plus tenté d'intervenir et d'influencer les décisions du Lord Advocate qu'un Parlement basé dans la lointaine Londres ? Ces questions seront à l'ordre du jour si le parti travailliste gagne les élections, le mois prochain.

Comme vous pouvez le constater, chaque système est en perpétuelle mutation et si nous sommes satisfaits par l'indépendance de notre Lord Advocate, en revanche, un grand débat s'est ouvert sur l'indépendance du juge pour le prononcé de la peine. Peut-être cela pourrait-il faire l'objet d'une nouvelle conférence ?

***

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DEBAT

André VITU : Je remercie particulièrement l'Ecosse de s'être présentée avec autant d'humour, avec autant de simplicité également. Puisque nous avons à peu près fait le tour des différents systèmes qui nous ont été présentés, je vais ouvrir maintenant le débat avec la salle.

M. WOLFF, étudiant en droit : J'aimerais savoir ce que Mme Rassat pense de l'idée de donner plus de pouvoir au Conseil Supérieur de la Magistrature, qui par exemple serait élu à parité par le Parlement et les magistrats, en lui donnant les pouvoirs de discipline, de nomination, d'organisation, autant pour les magistrats du siège que pour les magistrats du Parquet. Si cela était possible, comment pourrait-on l'appliquer ?

Michèle-Laure RASSAT : C'est la solution que le Conseil Supérieur de la Magistrature a proposée lui-même et d'ailleurs de façon parfaitement illégale. Le Conseil Supérieur de la Magistrature multiplie les illégalités depuis qu'il existe. Notamment, il est prévu dans la Constitution qu'il y a deux formations du Conseil Supérieur de la Magistrature, mais il n'est prévu nulle part qu'elle peuvent se réunir pour faire des délibérations communes. Ils ont décidé ça tout seuls, et ils se réunissent pour statuer sur des questions que personne ne leur a posées. Et en l'occurrence, personne ne leur avait rien demandé sur les évolutions du Ministère public, ils ont décidé de faire connaître leur avis. Alors, cela étant, ils ont pris à mon sens le problème par le petit bout de la lorgnette, car ils n'ont envisagé, c'est ce que je disais tout à l'heure, que le problème du statut du Ministère public, qui me paraît être un problème très secondaire. Car ils n'envisagent pas de toucher quoi que ce soit quant à la façon dont le Ministère public, quel qu'il soit, exerce ses pouvoirs. Or, c'est ça, le coeur du problème. Donc ils veulent - c'est un des points de vue qui est soulevé depuis très longtemps mais qui n'est pas d'une originalité folle - aligner le statut du Ministère public sur celui des magistrats du siège. Personnellement, je pense que ça ne règle rien, parce qu'une fois de plus, le coeur du problème, c'est la façon dont le Ministère public exerce son action aussi bien au sein du procès pénal que du procès civil. Or ça, ils n'envisagent pas d'y toucher. Et en outre, si un pouvoir supplémentaire devait être donné au Conseil Supérieur de la Magistrature, il faudrait commencer par le réformer, d'une façon extrêmement sensible et entre autres sur ce point que j'ai toujours trouvé monstrueux, qui est que l'on puisse organiser des élections pour élire qui que ce soit au sein de l'institution judiciaire. Nous ne somme pas écossais, malheureusement, et dès qu'il y a une élection il y a une politisation. Or je trouve actuellement inadmissible, au regard du justiciable, qu'il y ait des élections. J'ai toujours été favorable, et je n'ai pas changé d'avis là-dessus, à ce que bien entendu les magistrats soient représentés au Conseil Supérieur de la Magistrature mais par tirage au sort, qui me paraît être la seule formule qui respecte véritablement l'indépendance.

Arielle PETITDEMANGE, étudiante en DEA de Droit communautaire : Je voudrais savoir si la construction communautaire aura une influence sur le rôle du Parquet et si ou comment elle sera prise en compte dans les différents Parquets des états membres.

Heike JUNG : Je crois qu'il faut à cet égard faire la distinction entre les différentes organisations. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, il y a un groupe de travail qui analyse le rôle du Parquet et cette analyse a été stimulée à la fois par les discussions qui ont lieu chez nous mais aussi par l'Europe en transition, parce que les pays d'Europe Centrale et les pays d'Europe de l'Est ont un fort intérêt dans la question. Il faut distinguer cela de l'autre question, à savoir : que se passe-t-il dans le droit communautaire ? Vous savez que dans le droit communautaire, il n'y a pas de compétence pénale. Les autorités de l'Union Européenne n'ont pas de moyen d'agir par exemple par directive. Mais il y a un projet qui, à l'initiative du Parlement européen, a été formulé par un groupe de travail présidé par Mme Delmas-Marty, un projet qui est probablement conçu comme un projet de convention, qui concerne l'abus dans l'utilisation des financements des institutions européennes. Dans ce contexte, on a essayé de formuler un projet qui touche à pratiquement toutes les questions du droit pénal et touche aussi au rôle du Ministère public. Je prends cette occasion pour à nouveau démontrer le fort lien entre l'Etat et le Ministère public parce qu'apparemment même au sein de cette Commission, les idées concernant une instance centrale à Bruxelles, ou n'importe où, qui pourrait déclencher une poursuite de cette matière, ont déclenché une forte opposition. Dans le projet qui existe comme projet et rien d'autre pour le moment, on a donc établi une institution que l'on peut appeler une institution de clearing instance, une institution qui après avoir vu les cas peut donc déléguer ça au Ministère public dans les différents systèmes nationaux. Une harmonisation sera plutôt achevée au niveau de la police et au niveau du Ministère public, parce qu'a contrario de ce que je dis, l'audience diffère encore beaucoup plus que l'enquête préliminaire et les actions dans l'enquête préliminaire. En somme, il n'y a rien de précis pour le moment, faute de compétence. On peut seulement négocier la base d'une convention, convention que les états membres de l'Union européenne doivent adopter ou non.

Michèle-Laure RASSAT : Vous savez, le droit pénal a toujours été le royaume du nationalisme, beaucoup plus que toutes autres les branches du droit. Je ne suis pas sûre qu'on voie vraiment grand-chose, à prévision de ma génération, en droit pénal. Cela étant, à la Cour de Luxembourg pour les affaires de droit communautaire, il y a un Ministère public, mais qui a le rôle du Procureur Général de la Cour de Cassation chez nous. C'est-à-dire que ce n'est pas un Ministère public partie, c'est une autorité légale, plutôt un jurisconsulte.

François STAECHELE, Premier Vice-Président du Tribunal de Grande Instance à Metz : Je voudrais simplement un complément d'information et savoir si dans les pays qui sont représentés par nos invités étrangers, il existe pour les magistrats des points de passage, qui existent en France, entre le siège et le Parquet. Ça a une certaine importance pour l'indépendance du Ministère public et pour l'indépendance des magistrats du siège

André VITU : Savoir si en somme on peut passer d'un des cadres à l'autre, comme on le fait en France, du siège au Parquet et du Parquet au siège.

Christine DERENNE-JACOBS : En Belgique, tout à fait. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les modes de recrutement sont les mêmes, et l'évolution de la carrière est parallèle, et pas uniquement parallèle, on peut très bien passer de la Magistrature assise au Parquet et vice-versa, ça se fait d'ailleurs très régulièrement

Rik VANDEPUTTE : Les années d'expérience qui peuvent être gagnées dans certains postes peuvent aussi bien être valorisées en années de Parquet qu'en années de siège.

Heike JUNG : En Allemagne c'est la même chose. Le deuxième examen d'Etat vous permet d'être nommé soit Procureur, soit Juge et vous pouvez ensuite changer pendant toute votre carrière.

Michèle-Laure RASSAT : En France, on passe du siège au Parquet et du Parquet au siège. Malheureusement, il y a une fâcheuse tendance depuis quelque vingt ans à laisser des carrières se faire au siège et des carrières se faire au Parquet. Je proteste vigoureusement contre ce qui est un détournement. Est-ce que l'on peut poser la question à nos amis pour savoir si cela se fait de la même façon chez eux ? Parce que chez nous, c'est vrai qu'on peut théoriquement et juridiquement passer de l'un à l'autre, mais j'ai des exemples de gens célèbres en tête, et nous les avons tous, de personnes qui ont fait des carrières entières et notamment au Parquet, et par la force des choses, puisque c'est une histoire de vases communicants, de gens qui font des carrières entières au siège. De même que l'on a à mon avis le grand tort de laisser des carrières pénales et des carrières civiles. Il y a un principe d'unité de la justice pénale et de la justice civile et j'aimerais bien qu'on l'applique un peu mieux parce que je pense que la première qualité d'un juge pénal, c'est d'avoir l'esprit ouvert, et de temps en temps il faut se laver l'esprit en faisant autre chose.

M. MERLE, Magistrat à la Cour d'Appel de Metz : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur la façon dont vous présentez les problèmes du corps judiciaire à l'heure actuelle et la manière aussi dont vous voulez opposer le Parquet au siège

Michèle-Laure RASSAT : Je ne veux pas l'opposer justement.

M. MERLE : Oui, mais vous le percevez comme tel, et grâce notamment au Conseil Supérieur de la Magistrature. Alors sur ce point, j'aimerais quand même qu'il y ait quelques petites choses de rappelées. D'abord, que l'on soit magistrat du siège ou magistrat du Parquet, on est des agents publics de l'Etat. A ce titre, comme agent public de l'Etat, on a le droit de se syndiquer. On dispose de certaines garanties, et il est normal que l'on soit représenté également dans des organismes qui ont vocation à gérer nos carrières. Il ne s'agit peut-être pas pour les magistrats de revendiquer le même type de représentation que dans les autres corps de la fonction publique, mais il serait complètement anormal qu'il y ait un système qui soit tout à fait dérogatoire pour les magistrats. C'est là un premier point. Un deuxième point en ce qui concerne le Conseil Supérieur de la Magistrature. Dans le souci de promouvoir une gestion commune des carrières pour le siège et le Parquet, il y a effectivement deux formations au Conseil Supérieur de la Magistrature et c'est là une des originalités du système français, qui fait d'ailleurs que dans les colloques internationaux, souvent on nous regarde d'une manière un peu bizarre, parce que quand on cherche à décrire la manière dont est composé le Conseil Supérieur de la Magistrature et la manière dont il fonctionne, tous nos collègues étrangers sont souvent un peu surpris. Quoiqu'il en soit, il n'a jamais été interdit par les textes que les deux formations qui existent au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature puissent se réunir en des collèges distincts pour s'occuper des problèmes des magistrats du Parquet et des magistrats du siège. Dès lors qu'un texte n'interdit pas une pratique, il n'y a aucune raison que l'organisme qui ne se voit pas interdire un certain type de pratique s'astreigne à une discipline particulière, quelle que soit la philosophie de ceux qui la proposent. Et à ce titre, il me paraît que le Conseil Supérieur de la Magistrature ne manque nullement à l'esprit dans lequel il a été institué et dans lequel ses pouvoirs ont été étendus quand il s'occupe ou qu'il veut s'occuper conjointement de la carrière des magistrats du Parquet et de celle des magistrats du siège.

    Alors j'en viens maintenant aux autres problèmes qui sont plus en rapport direct avec les débats de ce soir. Je crois que partout, on ne peut pas opposer trop brutalement opportunité des poursuites et légalité des poursuites. Quel que soit le système que l'on envisage, on ne peut pas encombrer les tribunaux de toutes les affaires pénales virtuelles. En Allemagne, par exemple, on dit qu'il y a le principe de légalité des poursuites. Mais quand on réfléchit concrètement à ce principe de légalité des poursuites devant les magistrats allemands, on s'aperçoit qu'il y a des dérogations au système et des soupapes de sûreté qui font qu'il y a un grand nombre d'affaires qui ne viennent pas devant les tribunaux, également pour des raisons d'opportunité. Alors le problème est de savoir qui doit être réellement titulaire du pouvoir d'opportunité des poursuites. C'est un vaste problème, parce que l'on ne peut pas concevoir que devant les cent quatre-vingt un tribunaux de grande instance de France, il y ait cent quatre-vingt une procédures pénales qui soient menées. Il faut bien qu'il y ait un organisme central qui fasse coïncider toutes ces procédures pénales susceptibles d'être mises en oeuvre. Pourquoi ? Il y a un ordre public national qui est à garantir. Il y également l'égalité devant la loi : il serait complètement anormal que dans un tel endroit en France, on ne poursuive jamais un certain type d'infractions, que les gens ne soient jamais punis, alors que dans un autre ressort de tribunal, les gens vont être systématiquement poursuivis. Mais qui a vocation à définir cette politique centrale ? C'est au niveau central qu'on doit le faire. De ce point de vue là, il n'y a aucune raison de retirer au Garde des Sceaux le pouvoir de mettre en oeuvre et de définir une politique pénale. En revanche, ce qui est proprement scandaleux en France à l'heure actuelle, c'est comment les Gardes des Sceaux se permettent de donner des injonctions dans des procédures particulières. Quant un procès est en cours, il ne faut pas chercher à peser sur l'indépendance de la justice. Le procès doit suivre normalement son cours et personne ne doit chercher à en fausser l'exercice. Et je suis convaincu que si on partait un peu de ces distinctions, entre la phase préparatoire au procès, et la phase du procès proprement dite, il y a bien des points qui se résoudraient.

Michèle-Laure RASSAT : Un mot sur le Conseil Supérieur de la Magistrature. Vous nous dites "Il ne leur est pas interdit de donner des avis". C'est vrai que le texte ne l'interdit pas, mais dans la version 58, il était prévu qu'ils pouvaient donner des avis, et cette mention a été supprimée dans la version 93. Alors je crois personnellement qu'il faut quand même en tirer une conséquence.

Francis HUMBERT, ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Nancy: Je voudrais rejoindre ce que disait le Président Merle à propos de l'indépendance des magistrats du Parquet par rapport au Garde des Sceaux, et rappeler la magistrale démonstration qu'à l'audience de rentrée de la Cour a faite Monsieur le Procureur Général Lucazeau. Si on coupe le lien entre le Garde des Sceaux et les Parquets, nous aurons en France cent quatre-vingt un petits dictateurs qui mèneront la politique pénale qu'ils veulent. Je me demande, et j'aimerais avoir sur ce point l'avis des intervenants, si la solution, au lieu de couper le lien entre les Parquets et le Garde des Sceaux ne serait pas plutôt de couper le lien entre le Garde des Sceaux et le gouvernement. Et je pense qu'à cet égard, l'Ecosse nous donne un excellent exemple.

Michèle-Laure RASSAT : C'était la version Jacques Toubon député, et non pas Garde des Sceaux, puisqu'il prévoyait de créer un Chancelier de la Justice qui aurait coiffé le Ministère public.

André VITU : C'est également la position qu'a prise il y a quatre jours Monsieur Seguin, Président de l'Assemblée Nationale, dans une intervention qu'il avait donnée dans je ne sais plus quel organisme, où il demandait effectivement que le personnage qui serait le supérieur hiérarchique du Ministère public soit indépendant, nommé par le Président de la République et entériné dans ses fonctions par l'Assemblée Nationale. Il ne pourrait plus être ensuite révoqué, il aurait donc un poste stable qui ne dépendrait plus des mutations politiques.

Michèle-Laure RASSAT : Je suis désolée, mais je continue à penser que la politique pénale, c'est une politique et que comme telle elle doit dépendre du gouvernement, sinon elle n'a plus aucune légitimité.

Gilles LUCAZEAU : Puisque Monsieur le Bâtonnier Humbert a fait référence tout à l'heure à l'une de mes interventions, me permettez-vous quelques mots d'appréciation sur ce débat ? Personnellement, je suis toujours au moment où je m'exprime très perplexe sur cette question-là et contrairement à un certain nombre de personnes, je n'ai pas de réponse a priori ni de proposition. D'ailleurs ce n'est pas tellement mon rôle, et puis je n'envisage pas, et je rejoins un peu Madame Rassat sur le point, de m'arroger un pouvoir qui ne m'a pas été reconnu à l'instar du Conseil Supérieur de la Magistrature. Quoique nous sommes, me semble-t-il, dans une période où la liberté d'expression a tendance à l'emporter sur le silence imposé. Je suis quand même représentant du Ministère public, soumis à une hiérarchie que je défends dans son principe et je pense pouvoir démontrer assez facilement que je m'exprime ce soir librement. Donc, il y a au moins dans ce débat deux questions qui ne me semblent pas avoir été totalement mises sur la sellette, et un peu évacuées sauf sans doute par M. Jung quant au rapport nécessaire et inévitable entre la police et le Ministère public. Venons-en au fait sur la question de l'indépendance éventuelle du Ministère public. Est-ce le problème de la dépendance ou de l'indépendance du Parquet qui l'emporte à l'heure actuelle sur la véritable question des pouvoirs réels attribués au Ministère public ? Ces pouvoirs sont liés, il faut quand même l'affirmer, le proclamer, tout à fait aux liens qui existent, non seulement dans les textes, mais aussi dans la réalité, qui est souvent bien au-delà et en dehors des textes, entre la police et le Ministère public. Il faut savoir ce que de ce point de vue là on veut exactement obtenir. Il y a une deuxième question qui me semble abordée d'une façon un peu biaisée : on souligne volontiers la différence entre la politique pénale qui serait le domaine privilégié d'un Ministère public relié, qui justifierait ce lien hiérarchique pour le Ministère public, alors que dit-on dans les affaires individuelles, le Garde des Sceaux serait incapable de toute intervention et le Ministère public serait en quelque sorte protégé, statutairement bien évidemment, et dans une action parfaitement libre et indépendante. J'aimerais bien qu'on me donne ici la recette d'une ligne de frontière claire et précise entre ce que l'on appelle les affaires individuelles et la politique pénale.

    Une dernière petite observation sur la réalité de ce débat de ce soir : je crois qu'il s'inscrit parfaitement en ce qui concerne le moment où vient cette question là en France, à la suite de la situation de décentralisation que traverse notre pays. Et j'entendais tout à l'heure avec beaucoup d'intérêt l'une des interventions qui présentait un Ministère public dans un pays de système fédéral. Evidemment, dans le cadre d'un pays à système fédéral, il y a plus facilement un Ministère public indépendant. La question n'est pas posée innocemment à l'heure qu'il est. Nous vivons une décentralisation forte : est-ce cette décentralisation forte qui amène au plus haut niveau la question d'une éventuelle indépendance du Parquet du Ministère public ? Je le crois assez volontiers.

Heike JUNG : Je crois que l'aspect de la police est un aspect que nous avons probablement trop négligé mais je suis sûr que Monsieur Jacquot a déjà pris note en vue de l'organisation d'une prochaine rencontre, parce que dans un débat sur l'indépendance du Parquet et du Ministère public, cette question devrait être un point de mire. En ce qui concerne la fameuse question de couper les liens entre le Garde des Sceaux et le Ministère public, il faut distinguer deux questions : la question d'égalité des justiciables et la question de la responsabilité pour la politique criminelle. Ces deux questions sont peut-être liées, mais elles ne sont pas forcément identiques. Parce que l'on peut très bien concevoir en ce qui concerne la politique générale une collégialité de Procureurs Généraux qui garantissent l'égalité. Mais on peut certainement se demander si cette collégialité est dans un système particulier l'instance compétente d'un point de vue constitutionnel en ce qui concerne la formation d'une politique criminelle. Moi je suis d'avis que les ministres de la justice devraient garder cette compétence de concrétiser la politique criminelle par voie de circulaire. Et je crois qu'on peut très bien distinguer entre cette voie de circulaire et le traitement d'un cas individuel. Parce que cette voie de circulaire est une démarche qui doit être publique. On peut discuter sur la circulaire, la critiquer ; c'est quand même une base de poids, tandis que l'instruction dans un cas individuel, c'est à mon avis une démarche très individualisée qui, même si elle est faite par écrit, n'est pas tellement publique. C'est-à-dire que je suis toujours d'avis - même en Allemagne, on discute cette question parce qu'on discute là aussi ces problèmes d'indépendance du Parquet -, je suis d'avis qu'on peut distinguer entre la directive générale et l'instruction concrète. Il y a des problèmes, bien sûr, mais donnez-moi un domaine où il n'y a pas de problème de distinction.

Michèle-Laure RASSAT : Je voudrais m'inscrire en faux contre ce que dit Monsieur Jung et rejoindre Monsieur Lucazeau. Je ne comprends pas cette espèce de différence qu'on veut faire entre la politique pénale et les actions particulières. A quoi peut bien servir une politique pénale qu'on définit comme ça, dans l'absolu, en théorie, pour la mettre dans une circulaire si ce n'est pas pour l'appliquer aux affaires concrètes ? Est-ce que la politique pénale, ce n'est pas la somme de ce que l'on fait dans des affaires concrètes ? Sur ce point, je suis tout à fait opposée à ce que le gouvernement ne puisse pas intervenir dans des affaires individuelles. Je propose qu'il le fasse officiellement, sous ses couleurs et par des gens qui le représentent lui. Laissez le Ministère public agir et créez autre chose à côté. Prenez l'affaire du sang contaminé : on a un problème majeur, qui est celui de savoir quel est l'élément intentionnel de l'empoisonnement. Pourquoi veut-on priver le gouvernement d'avoir une opinion sur la question et de l'émettre devant les tribunaux ? Je ne comprends pas comment on peut vouloir l'en empêcher ! On est en train de mélanger à mon avis deux choses différentes, qui sont l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire et la question de la légitimité, que l'on escamote. Certes, il faut une égalité qui sera toujours relative - je ne connais pas deux affaires identiques - ou une relative inégalité du traitement des affaires sur l'ensemble du territoire. Mais l'autre question fondamentale, c'est celle de la légitimité : qui va donner au tribunaux la légitimité du déclenchement des poursuites, pour savoir ce qu'on poursuit ou qu'on ne poursuit pas ? Et là on est quand même manifestement en présence d'une politique. Pour s'en tenir à ce que l'on connaît chez nous, la politique pénale d'une majorité socialiste et la politique pénale d'une majorité de droite, ce n'est pas la même ! Et il est quand même normal que, les électeurs ayant voté, elle s'exprime et elle se manifeste.

Monsieur, vous disiez tout à l'heure que tout ça ne servait à rien, parce que des politiques pénales, il n'y en avait pas en France. Vous avez raison. Mais ce n'est pas une raison pour renoncer. Je suis au désespoir de dire que la dernière circulaire de politique pénale que l'on ait vue en France, c'est la circulaire de Robert Badinter, d'octobre 1981. Depuis, il n'y a pas eu une circulaire de politique pénale. Mais c'est inadmissible ! Je me bats depuis trente ans pour qu'il y ait chaque année au Parlement un débat d'orientation - sans vote parce que le vote n'est pas concevable, mais un débat d'orientation de politique pénale, et chaque année, une circulaire du Garde des Sceaux de politique pénale. C'est ce qu'on fait au Canada par exemple. Il est inadmissible qu'en France, il n'y ait jamais de vrai débat de politique pénale. Alors on me répond "Oui, mais on en parle au moment du budget". Mais enfin, soyons sérieux : le débat d'un budget, c'est une question de moyens, pas une question de politique pénale. Alors vous avez raison de me dire "Il n'y en a pas". Mais ce n'est pas une raison pour ne pas se battre pour qu'il y en ait une.

Heike JUNG : J'observe que vous définissez la politique pénale comme votre voisin [lui-même], par circulaire...

Michèle-Laure RASSAT : Oui, mais avec la possibilité d'intervenir dans les affaires individuelles pour la faire appliquer, justement.

Gilles LUCAZEAU : La dernière circulaire de politique pénale est un peu plus récente que celle de 81, c'est celle d'octobre 92, mais je sais que je ne vous consolerai pas en disant cela. Mais je pense que la question fondamentale est bien celle de savoir si on donne la possibilité au Garde des Sceaux d'exercer dans un cadre hiérarchique une autorité consistant à pouvoir non seulement donner injonction de poursuite, mais aussi donner injonction de classement. J'ai tendance à cet égard à réagir comme le juriste que je crois être à peu près devenu : les textes ne parlent pas dans le Code pénal de la possibilité pour le Garde des Sceaux de donner une injonction de classement. Donc, j'aurais tendance à penser, en vertu de l'interprétation restrictive du droit, qu'il n'en aurait pas la possibilité.

Michèle-Laure RASSAT : Je soutiens depuis trente ans qu'effectivement il n'a pas le droit de donner l'ordre de ne pas poursuivre. L'actuel Garde des Sceaux a adopté ce point de vue puisqu'il l'a dit tout de suite dès qu'il est devenu Garde des Sceaux. Dans le texte de la réforme, c'est parfaitement clair, je dis en toutes lettres qu'il n'a pas le droit de donner l'ordre de ne pas poursuivre, et je vais même plus loin. Je lui interdis de donner l'ordre de ne pas exercer une voie de recours parce que le problème est le même.

Christine DERENNE-JACOBS : Pour donner des éléments de réponse à la question qui a été posée tout à l'heure, je crois que l'expérience que nous connaissons en Belgique est particulièrement marquante à ce niveau-là. En Belgique, nous venons d'un système marqué par une déconcentration, où il y avait une grande autonomie au niveau de chaque Parquet général. La question qui s'est posée, c'est de savoir quel interlocuteur le gouvernement avait lorsqu'il y avait des problèmes. Parce que le Ministère public en fait ne rendait pas de comptes précis sur la politique menée. Et le Parlement a appelé de ses voeux que le ministre de la Justice assume à cet égard sa responsabilité politique. La loi qui vient d'être adoptée en Belgique s'inscrit vraiment dans cette vision des choses : on souhaite que le ministre de la Justice donne des lignes directrices. Il s'agit de directives au sens - ça a été précisé dans les travaux préparatoires - européen du terme. On donne un cadre, une finalité, mais les moyens sont laissés à l'appréciation des Parquets généraux. Dès lors, il est encore clairement établi que le Ministre de la Justice ne pourra pas intervenir dans des injonctions négatives dans des affaires individuelles. Donc nous connaissons une évolution vers plus de concentration entre les mains du Ministre de la Justice, mais sans que cela porte atteinte, je pense, à l'indépendance qui était celle du Ministère public. Cette évolution a été dictée par un souci de plus de transparence. Le Ministre de la Justice prendra ces directives qui sont publiques et il devra en faire rapport annuellement devant les Chambres.

M. ABDULAZIZ, étudiant en Maîtrise de Droit : Lorsqu'un membre du Ministère public ne respecte pas les instructions ou les applique mal, comment cela va-t-il se passer ? Par la voie d'une sanction ? Cela pose deux problèmes : dans la relation entre le Ministère public et entre le gouvernement et le tribunal qui devra jouer le rôle d'arbitre.

Michèle-Laure RASSAT : Il est là pour ça

M. ABDULAZIZ : Mais dans ce cas là, qui va définir la politique criminelle ?

Michèle-Laure RASSAT : Qu'est ce que la politique criminelle ? Je donne une définition. La politique criminelle naît de ceci : il serait évidemment souhaitable que l'on poursuive toutes les infractions qui se commettent. Il n'y a pas un pays au monde où on peut le faire parce qu'il n'y a pas un système juridictionnel qui ait la capacité d'absorption pour juger tout cela. Il faut donc faire des choix. Selon les modes de calcul en France, c'est ou de l'ordre de 80% ou de l'ordre de 50% des infractions qui sont poursuivies, selon qu'on tient compte qu'on a découvert l'auteur ou pas, au niveau policier. On dit souvent 80% mais c'est un peu faussé car il y a de nombreux cas où la police n'a pas découvert l'identité. Donc la poursuite étant vouée à l'échec, on ne l'exerce pas. En pratique, c'est entre 50 et 60%, mais c'est déjà énorme. Quand on dit ça au citoyen français, il est horrifié. A partir du moment où on ne peut pas tout poursuivre, il faut faire des choix. Non pas on ne poursuit pas du tout, mais on met l'accent sur ça ou ça. Il est parfaitement clair aujourd'hui qu'il y a un grand débat national lancé notamment par un certain nombre de juges d'instruction pour savoir si on met l'accent sur la corruption, la délinquance économico-financière ou sur la violence. C'est ça la politique pénale : décider qu'on fait de préférence ça, ce qui ne veut pas dire que l'on ne fait pas du tout le reste. C'est au niveau du déclenchement. Après le déclenchement, ce sont les juges de jugement qui jugent, parce que c'est leur métier, si j'ose dire. Ils ont déjà deux opinions minimum : celle de l'accusation, du Ministère public, et celle de la personne qui est poursuivie. Il peut y en avoir dans notre système une troisième qui est la victime. Ce que je propose, c'est que les magistrats aient une quatrième opinion qui viendra s'exprimer devant eux, qui sera celle du gouvernement. Et puis ils feront leur travail, au bout du compte ils jugeront.

M. ABDULAZIZ : Ma question porte sur l'efficacité de la mesure. Dans la mesure où le gouvernement est seul habilité à définir la politique pénale, est-ce que le Ministère public a le droit de passer outre cette politique pénale déjà définie ?

Michèle-Laure RASSAT : Tout dépend du système dans lequel vous vous placez. Si vous restez dans le cadre du droit positif, l'action du gouvernement n'est pas utile puisque la politique pénale, le gouvernement l'exprime en donnant des ordres au Parquet. Moi je me place dans une autre perspective : celle dans laquelle on accorderait, comme il en est question, toute liberté d'action au Ministère public. A ce moment-là, pour faire contrepoids à cette liberté d'action laissé au Ministère public, je donne au gouvernement la possibilité soit de déclencher les actions soit d'y intervenir pour faire entendre son point de vue. Au bout du compte, les juges jugent.

M. ABDULAZIZ : Si le gouvernement a un droit d'action en cas de méconnaissance des instructions qu'il donne par le Ministère public, si cette méconnaissance n'est pas sanctionnée, quelle sera l'utilité d'une telle réforme ? Deuxièmement : si le gouvernement est seul compétent pour définir la politique pénale, dans le cas d'un conflit de politique pénale entre le Ministère public et le gouvernement, si ce conflit est soumis à un juge, n'est-ce pas au juge de partager ?

Michèle-Laure RASSAT : L'articulation n'est pas là. C'est l'articulation entre la définition générale et l'intervention dans des affaires particulières. Beaucoup de personnes ici disent "Il faut que le gouvernement définisse d'une façon générale la politique pénale mais qu'il n'intervienne pas dans les affaires." Je pense qu'il faut effectivement qu'il définisse d'une façon générale mais qu'en plus, lorsque telle ou telle affaire est significative, il intervienne de façon particulière. Bien entendu, l'action du gouvernement sera très symbolique, il y en aura peut-être une dizaine ou une quinzaine par an. Mais lorsqu'il estimera que dans un Parquet il y a des dérapages qui ne correspondent pas à ses circulaires générales, il déclenchera l'action ou il interviendra dans l'action déclenchée par le Ministère public pour bien montrer que lui, il n'est pas favorable à cette politique là. Cela étant, je ne comprends pas ce qui vous choque quand vous dites "Finalement, ce sont les juges de jugement qui décideront". C'est toujours les juges de jugement qui décident.

Gilles LUCAZEAU : Juste un mot à la suite de cette question. Je crois qu'elle pose tout de même un problème très important, à savoir le problème du statut de protection du Ministère public. Là il y a une articulation très délicate à faire, si l'on reste dans un système de dépendance du Ministère public, entre le pouvoir attribué ou donné au Garde des Sceaux, de donner un certain nombre d'impulsions, sinon d'injonctions, dans le domaine de la politique pénale et le fait que le Ministère public puisse être placé en situation d'être jugé sur son action par le gouvernement, par le pouvoir exécutif en définitive. Là, il y a un problème tout à fait fondamental qui conduirait à mon sens à se tourner vers une réforme, un ajout protecteur au statut du Ministère public, de façon à ce qu'il n'y ait pas la possibilité, pour le gouvernement, de prononcer des mutations, dans l'intérêt du service par exemple. Il faut que la notion de mutation dans l'intérêt du service s'appuie sur un contenu beaucoup plus clair qu'il n'est exprimé actuellement.

Michèle-Laure RASSAT : Un mot. Je vous ai exprimé tout à l'heure la solution qui avait ma préférence. Mais ce que je fais dans le rapport, ce n'est pas cela du tout. Je n'ai pas pris position dans le rapport : je propose quatre systèmes différents allant de l'actuel à "de plus en plus de". Or, il est tout à fait concevable que l'on aligne la situation statutaire du Parquet sur le siège, je ne l'ai pas exclus. Donc, on peut parfaitement imaginer ça.

Mme DORY, Président de Chambre à la Cour d'Appel de Nancy : Vous ne craignez pas que ce système politise davantage la décision prise par les magistrats du siège ? Il y aura un combat public entre le gouvernement et le Ministère public, et les magistrats du siège auront à prendre position pour ou contre.

Michèle-Laure RASSAT : Parce que vous vous situez dans une optique délibérément politique. Moi je vous ai cité un exemple tout à l'heure qui ne l'était pas.

Mme DORY : Excusez-moi, mais l'enjeu est tout de même politique, et ouvertement politique dans le système que vous proposez et ça me semble extrêmement dangereux.

Michèle-Laure RASSAT : Moi je ne le vois pas du tout comme ça. Je vous citais un exemple tout à l'heure qui me paraît extrêmement brûlant, si j'ose dire, qui est celui de savoir, dans l'affaire du sang contaminé, s'il y a dans le crime d'empoisonnement une intention ou non de tuer. Ca ce n'est pas un problème politique. Vous vous placez dans une perspective politique, moi pas. J'ai peut-être tort, on est d'accord.

Madame DORY : Aujourd'hui, on voit que les media, les journaux sont pleins d'interprétations des décisions judiciaires sur le plan politique. Et je crois que votre projet précisément est de nature à accentuer ce phénomène, qui malheureusement ne va pas dans le sens de l'image de l'impartialité des magistrats du siège. Et je trouve votre proposition dangereuse pour ça.

Michèle-Laure RASSAT : Je comprends très bien mais je répète : je vous ai énuméré tout à l'heure un certain nombre de choses qui me paraissent impossibles. Il me paraît impossible que le gouvernement soit totalement exclus de l'action judiciaire, ça c'est clair. Vous pouvez ne pas être d'accord. Moi je veux bien qu'on rende le Ministère public indépendant : il faut permettre au gouvernement de faire entendre son point de vue. Il faut que ce soit équilibré.

Francis MARTIN, magistrat du siège au Tribunal de Grande Instance d'Epinal : Je voudrais peut-être redonner une dimension plus européenne à notre débat. Mais avant juste une parenthèse, Madame le Professeur Rassat. Vous avez dit quelque chose qui en tant que magistrat m'a beaucoup choqué par cette charge un peu violente contre le Conseil Supérieur de la Magistrature, notamment en critiquant le mode électif de nomination de certains de ses membres. Vous avez dit élection égale politisation. J'ai envie de vous prendre au mot : Madame Rassat, indiquez nous quelle est la couleur politique du Conseil Supérieur de la Magistrature aujourd'hui.

Michèle-Laure RASSAT : Ce n'est pas le problème

Francis MARTIN : Ce n'est pas le problème, mais c'est pourtant le problème tel que vous l'avez posé.

Michèle-Laure RASSAT : Pas du tout.

Francis MARTIN : Vous avez dit "Il ne peut pas y avoir d'élection sans politisation en France". Donc ma question est la suivante, Madame Rassat : quelle est la couleur politique du Conseil Supérieur de la Magistrature, dont certains de ses membres sont actuellement élus ? Je pense que vous répondrez tout à l'heure à cette question. Mais je veux revenir à une dimension plus européenne pour notre débat. Il est vrai qu'à l'heure actuelle en France, je crois qu'un consensus s'est dégagé au cours de la discussion, il n'y a pas de politique pénale. Je suis magistrat du siège depuis dix ans - j'ai été magistrat sous un gouvernement de gauche, puis sous un gouvernement de droite - et il est clair que je n'ai vu aucune différence, au pénal, dans les affaires que j'ai eu à juger. On est en train de s'obnubiler sur un problème de politique criminelle, on nous dit que l'indépendance du Parquet n'est pas possible parce qu'on va avoir trente-trois politiques criminelles différentes ou cent quatre-vingt une politiques criminelles différentes, mais c'est déjà le cas. C'est déjà le cas car chaque Procureur de la République mène son Parquet comme il l'entend, sous le contrôle du Procureur Général. Je ne suis pas parquetier, je ne parle peut-être pas parfaitement en connaissance de cause, mais en tant que magistrat du siège, je puis vous assurer que je n'ai jamais discerné l'ombre d'une ombre de politique pénale dans les dossiers que j'avais à juger en correctionnelle ou au tribunal de police, c'est évident.

Michèle-Laure RASSAT : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vous ai dit que je le déplorais.

Francis MARTIN : Pour revenir à une dimension plus européenne et pour donner la parole à vos invités étrangers, je voudrais savoir si en Ecosse, en Belgique ou en Allemagne, on ressent également dans la pratique judiciaire cette absence de politique pénale ou est-ce que dans la pratique judiciaire, cette politique pénale se fait sentir réellement.

André VITU : Je souhaiterais que l'on commence par l'Ecosse, si elle veut bien répondre.

Andrea LOUX : Perhaps, if I can begin in English. This debate enters in indivudual cases. We have the same debate in Great-Britain. Même en Angleterre, mais aussi en Ecosse. The sentence in criminal cases and the politician say the same thing, that it isn't in the name of the democraty that the Gouvernment must decide the sentence in individual cases. But the judges resist and right now, we have an election, and we can see that the Government is not the best guarantor of liberty of the people. It is the judges who are independant who are the guarantee of the opinion and the liberty of individuals. Because we see right now during an election, it is not possible to say certain things, because we have a war against criminals. And it is not possible during an election to stand up for liberty in England now. Ce sont les juges qui défendent la liberté en Grande -Bretagne - vous le savez, nous n'avons pas une Constitution qui est écrite - le droit de l'homme est dans notre système. Bien évidemment que les partis politiques ne peuvent pas défendre les droits individuels, les droits des citoyens. C'est le juge qui défend le droit des citoyens, et je crois que le juge n'est pas élu, mais il a un sens vraiment public, en ce qui concerne la liberté des citoyens en Grande- Bretagne

Francis HUMBERT : Je suis extrêmement surpris de voir que dans ce débat sur l'indépendance du Parquet, nul n'a songé à rappeler le vieil l'adage : "La plume est serve, mais la parole est libre"

André VITU : Monsieur le Bâtonnier, je me permets de vous dire que juristes nous sommes, juristes nous savons cet adage par coeur. Il était même le soubassement de nos interventions. Je pense même avoir dit tout à l'heure quand je débutais mon exposé : "La parole est libre". Je n'ai peut-être pas cité la première partie de l'adage, mais j'ai dit "La parole est libre".

Francis HUMBERT : Justement, parce qu'on parle de l'implication politique de certaines affaires, je voudrais citer une affaire qui s'est déroulée devant la Cour d'Appel de Nancy il y a déjà assez longtemps mais qui est restée très célèbre. Venait devant la chambre correctionnelle de la Cour une affaire qui avait de très profondes implications politiques. Et l'Avocat Général a lu un réquisitoire implacable contre les prévenus, demandant l'aggravation des peines prononcées en première instance. Et puis, ayant lu son réquisitoire, il a dit : "Mais maintenant, je vais vous donner mon avis". Et il a longuement plaidé pour demander à la Cour la relaxe des prévenus.

André VITU : Nous avons tout à l'esprit une affaire (inaudible...) L'Avocat Général qui près de cette Cour représentait le gouvernement n'a pas requis cette peine, et on sait les suites que ça a entraîné pour sa carrière. C'est un exemple que l'on peut citer qui peut-être tombera dans l'oubli, mais que l'on peut rappeler : il y a des injonctions qui sont données et le Ministère public marque son indépendance, et garde la liberté de parole. Il prend les réquisitions à l'audience qu'il croit "nécessaires pour le bien de la justice", c'est la formule qu'on emploie souvent pour traduire cette liberté de la parole.

Michèle-Laure RASSAT : J'ai changé les choses, mais dans mon esprit pour les améliorer. Je comprends qu'on soit attaché à l'histoire. Mais cette séparation de l'écrit et de la parole, ça correspond à quoi ? Ce qu'il faut, c'est que le Ministère public, si on le maintient bien entendu dans un système d'ordres, exécute ce qu'on lui dit et après puisse faire connaître son avis. Pourquoi distinguer par écrit et oralement ? Donc, moi j'ai franchi le pas, j'ai écrit qu'il doit, dans le système où il se maintient dans un système d'ordres, je répète, qu'il doit exécuter les ordres et qu'ensuite il fait connaître son avis. Mais qu'est-ce qui empêche de le faire connaître dans la procédure écrite, en disant "Voilà ce qu'on m'a dit de dire, mais maintenant je vais vous donner mon avis, et également dans la procédure orale". Ce qui m'a choquée dans cette affaire, c'est la séparation qu'on veut faire entre l'écrit et l'oral, que je supprime en la remplaçant par le fait que, à chaque fois, on exécute l'ordre, et après on dit ce qu'on en pense, que ce soit par écrit et oralement.

M. WOLFF : Je voudrais vraiment rentrer dans le vif du sujet. Je voudrais vous demander, à Monsieur Lucazeau ainsi qu'à vous, si vous avez entendu parler d'une certaine lettre de Monsieur Toubon, Ministre de la Justice, du 4 août 1995, envoyée à son vis-à-vis suisse, une lettre demandant, par rapport aux juges d'instruction qui faisaient des enquêtes en Suisse, en Belgique, ou dans d'autres pays européens, de limiter seulement aux cas d'urgence les correspondances entre les juges d'instruction français et les juges d'instruction suisses. Je voudrais vous demander ce que vous pensez de cette lettre et si ce n'est pas justement la marque...

Michèle-Laure RASSAT : Moi je veux bien répondre.

Gilles LUCAZEAU : Mme Rassat, je vous laisse le soin d'entamer, je vous répondrai après.

Michèle-Laure RASSAT : Monsieur, nous avons tous tendance, mais ça c'est une tendance humaine, à trouver que ce que nous faisons, c'est ce qu'il y a de mieux, de plus beau, que c'est le centre du monde. Moi comme vous, bien entendu. Cela étant, il ne faut pas croire que la justice est le pilier central des rapports entres Etats. Il y a des règles, cela s'appelle le droit international public, et des règles diplomatiques. Ce que Monsieur Toubon a fait, dans la lettre à laquelle vous faites allusion, c'est rappeler, pour éviter les difficultés avec nos voisins, les règles diplomatiques. Cela étant, il a immédiatement mis en oeuvre une procédure pour faire changer les choses, mais par la voie normale, qui est la voie diplomatique. C'est tout

M. WOLFF : Mais c'est quand même une intervention du Garde des Sceaux dans la justice, c'est incontestable !

Michèle-Laure RASSAT : Non, c'est une intervention d'un Ministre du Gouvernement de la République sur un problème diplomatique..

M. WOLFF : Oui, mais il met des met des embûches pour les juges d'instruction qui veulent faire des enquêtes sur les fraudes fiscales...

Michèle-Laure RASSAT : Je vous répète, et je me demande même si l'accord n'est pas déjà fait, qu'il a rappelé les principes du droit positif à un moment donné et considérant qu'ils n'étaient pas bons, immédiatement il a mis en route ce qui devrait les changer. Il a autrement dit respecté le droit.

M. WOLFF : Je voudrais savoir, du point de vue européen justement, si en Belgique, en Ecosse ou Angleterre....

Rik VANDEPUTTE : On respecte les conventions internationales. La voie directe entre les juges d'instruction et le Parquet n'est que dans des affaires urgentes. Si on trouve que ce n'est pas bon, on n'a qu'à changer les conventions, mais ce n'est pas aux juges ni au Parquet de changer les conventions internationales.

Michèle-Laure RASSAT : C'est bien évident.

M. WOLFF : Vous avez bien dit qu'en Belgique, par exemple, le ministre de la Justice belge ne peut pas faire des mesures d'injonction négative

Michèle-Laure RASSAT : Mais ça n'a aucun rapport !

Gilles LUCAZEAU : Derrière votre question, Monsieur, peut-être se profilait l'intervention du Procureur Général Monsieur Bertossat sur le problème des relations directes. Alors je pense, comme Madame Rassat et comme notre intervenant Monsieur l'Avocat Général Vandeputte qu'il y a des conventions et qu'on ne peut pas tourner ces conventions. Simplement ce problème fait apparaître à l'heure actuelle, me semble-t-il, et pour quelques années à venir, sans doute assez nombreuses, les difficultés auxquelles nous nous heurterons pour la construction d'une Europe judiciaire. Ca me paraît aller de soi. C'est un constat que je fais là. Je voudrais simplement apporter une contradiction brève à mon collègue Monsieur Martin tout à l'heure sur l'absence de politique pénale. Vous étiez d'ailleurs conforté je crois par Mme Rassat. Je m'inscris un peu en faux contre cela. Sans doute vous ne la palpez pas, ni les uns ni les autres on ne la palpe tous les jours, cette politique pénale ; il y a des politiques pénales, me semble-t-il, successives, et je ne peux pas laisser se propager cette idée qu'en réalité il n'y en a pas. Ca reviendrait à dire que le Ministère public est inutile d'ailleurs. Finalement, l'indépendance du Ministère public, n'est-ce pas en même temps d'une certaine manière, l'inutilité du Ministère public ? Je crois que ce n'est pas très loin de cette question là. On ne peut pas laisser dire cela parce que personnellement, je la vis tous les jours, cette existence [d'une politique pénale] avec les Procureurs de la République. Au niveau du Parquet Général, vous savez bien que nous avons un devoir, c'est la mission qui nous est impartie même si elle n'est pas simple, d'harmonisation des politiques entre les Parquets. Il y a, et vous avez parfaitement raison, cent quatre-vingts Parquets et cent quatre-vingt politiques pénales, ça c'est vrai, mais la réalité c'est que nous devons tendre à une harmonisation de ces politiques dans le cadre au moins d'un ressort régionalisé qui est celui de la Cour d'appel. C'est la mission du Ministère public qui tient quelque part quand même à un morceau de puissance publique, permettez-moi cette expression.

Mlle COLIN, étudiante en maîtrise : J'ai écouté Monsieur Lucazeau et je voudrais lui poser la question, puisqu'il y vient, de savoir justement, à partir du moment où on rend le Parquet indépendant, quelle légitimité il va avoir.

Gilles LUCAZEAU : Je crois qu'il faudra plus qu'un débat comme celui de ce soir pour le savoir. La légitimité, quelle est-elle ? La légitimité du Ministère public, elle est à l'heure actuelle à mon sens une légitimité qui a un fondement historique. Mais j'ai un peu l'impression de m'en tirer par une pirouette en vous disant cela, parce que c'est un peu simple. Et c'est vrai que si l'on se pose la question d'une nouvelle recomposition des pouvoirs du Ministère public, on repose la question, comme vous le faites, inévitablement de la légitimité du Ministère public. Faudra-t-il trouver un autre organe représentatif, un autre organe directif que celui du Garde des Sceaux ? Toutes les questions sont posées. Monsieur le Procureur ?

M. FINIELZ, Procureur de la République à Nancy : La légitimité du juge ne suffit-elle pas au Parquet ?

Gilles LUCAZEAU : La légitimité du juge ne suffit-elle pas au Parquet pour y répondre, voulez-vous dire ?

M. FINIELZ : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec le lien qui est fait entre la légitimité et l'indépendance. Et je voudrais dire une petite chose rapidement : il me semble que dans le problème d'indépendance du Parquet, il y a quand même un problème statutaire qui est important et qu'on ne peut pas avoir un Parquet qui soit indépendant, c'est-à-dire indépendant des pressions qui peuvent s'exercer sur lui par le pouvoir. Madame le Professeur, vous avez parlé des rapports entre le Parquet, la loi et le gouvernement, c'est vrai, mais le Parquet est là quand même pour appliquer la loi, défendre la loi, mais il ne serait pas normal que cette loi il ne l'applique pas parce qu'il y a des injonctions contraires du gouvernement et qui ne pourraient pas se justifier par des notions de politique pénale ou autre. Et par conséquent il me paraît, au travers de l'indépendance du Parquet, qui est quand même nécessaire, important d'assurer par le biais du statut une indépendance du Parquet par rapport au pouvoir exécutif.

Michèle-Laure RASSAT : Je voudrais répondre à Madame Dory, parce que je crois que finalement elle a raison. Je vais lui dire pourquoi j'ai abouti à cette solution. Dans ma thèse j'avais prévu de doubler systématiquement le Ministère public, c'est-à-dire que dans chaque Parquet, il y aurait eu le procureur actuel et un fonctionnaire représentant le gouvernement. Donc là, l'action du gouvernement n'aurait pas eu cet aspect. Pourquoi j'ai renoncé à ça ? Parce que si c'est ça que je propose, c'est clair, on ne l'aura jamais. Maintenant j'ai compris ce que c'était qu'un problème budgétaire, donc je sais que ce ne sera pas possible. Et puis surtout, c'est complètement inutile, parce que dans neuf mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf cas sur dix mille, il n'y a pas de problème. Donc, ne créons l'action que pour le cas où il y a un problème justement. Je sais pas si je vous ai rassurée...Vous préféreriez, en admettant qu'il n'y a pas de problème budgétaire, qu'il y ait un fonctionnaire de l'Etat dans chaque Parquet ? Il y aurait moins l'aspect de politisation que vous dénonciez tout à l'heure.

Mme DORY : Absolument. Surtout dans le contexte actuel.

Michèle-Laure RASSAT : Je me suis rabattue là-dessus.

Mme DORY: La magistrature montre un certain courage en intervenant dans des domaines où on ne l'a jamais vue jusqu'alors intervenir et où elle est accusée justement de plus en plus d'entreprendre une action...

Michèle-Laure RASSAT : Chère Madame, si nous devions nous préoccuper de ce que pensent les médias, on ne ferait plus rien, et croyez bien que je vous parle en connaissance de cause.

Mme DORY : C'est quand même important de tenir compte de l'opinion publique. Je crois que c'est la nation, quelque part.

Michèle-Laure RASSAT : Oui, mais les média, ce n'est pas l'opinion publique.

Heike JUNG : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt, et le fait que nos deux institutions se ressemblent peu ou prou peut-être me donne une certaine légitimation pour me mêler à cette querelle, dirais-je, de base. Légitimation, c'est un mot que j'utilise avec beaucoup de précautions. Parce que pour moi, tout dépend du niveau sur lequel on parle et je vois un seul niveau, c'est le niveau constitutionnel. Et sur le niveau constitutionnel, on peut très bien se demander si la légitimation du Ministère public est une légitimation qui découle du rôle politique parlementaire démocratique de son Ministre. Je crois que c'est la seule légitimation d'une instruction externe, parce que c'est le Ministre qui est responsable. Mais je crois que c'est une position dépassée. Parce que ces questions, de nos jours, ne peuvent plus être traitées comme des questions qui sont susceptibles d'être votées. Et c'est pourquoi Madame, je ne suis pas d'avis que la question du sang contaminé puisse être parlementarisée ou décidée sur un niveau gouvernemental. Parce que c'est une question qui à mon avis est en fin de compte décidée dans un état de droit par la loi ; et la loi peut être changée, supervisée par une loi constitutionnelle. Les parlementaires peuvent exprimer une certaine position, le gouvernement peut exprimer une position, mais à mon avis le gouvernement ne peut pas trancher la question lui-même. Je vois quand même un problème dans des cas particuliers. Vous avez parlé de la concrétisation de la politique pénale. Et là, il n'y a pas forcément le problème, disons du sang contaminé, mais il y a le problème d'un Parquet qui résiste à, par exemple, renforcer le droit positif en matière de pollution, de droit de l'environnement, une matière où il n'y a pas peut-être de victime personnelle. Il y a un vrai problème, parce qu'il ne faut pas oublier que la victime peut être dans beaucoup de cas un contrepoids. Si la victime personnelle n'existe pas, on peut très bien concevoir la nécessité d'un acteur, mais de nouveau, ça ne doit pas être forcément le Ministre, ça peut être un juge, ça peut être aussi comme on l'a envisagé dans d'autres pays un comité parlementaire, Mais il y là à mon sens le seul problème où il faut concevoir une institution qui met pour ainsi dire le Ministère public en marge. Autrement je ne vois pas que ce soit nécessaire ; en particulier cette idée de doubler les parties poursuivantes en ajoutant un représentant du gouvernement me pose un problème du point de vue de l'accusé. Mais je pense qu'on va continuer de discuter ça après notre séance.

Yves STRICKLER : A propos de cette question de l'indépendance du Parquet, j'ai parfois le sentiment que lorsqu'on dit que l'on va donner son indépendance au Parquet, on va forcément lui retirer sa légitimité. En réalité, il semblerait alors que l'on envisage une légitimation, un pouvoir, uniquement par le biais d'une élection, de façon directe ou indirecte. En réalité, regardez, on a parlé tout à l'heure des juges du siège. Les magistrats du siège, sauf erreur de ma part, statuent au nom du peuple français, ce qui ne les empêche pas d'être indépendants. Sur ce point, comme l'a d'ailleurs magistralement démontré le doyen Wiederkehr très récemment dans une contribution aux mélanges Perrot, ce statut protecteur ne va pas non plus lui conférer sa légitimité. En réalité, les garanties qui sont mises en oeuvre vont permettre au magistrat d'agir, d'exercer sa fonction, et ainsi d'acquérir par lui-même sa légitimité. Une même réflexion peut être tenue concernant les membres du Parquet puisque les magistrats du Parquet exercent leur action au nom de la société, et de ce point de vue le gouvernement lui aussi bien sûr poursuit l'intérêt général. Et je me demande si sous cet angle le lien de dépendance que l'on analyse entre le Parquet et le gouvernement ne doit pas être plutôt envisagé sous un angle d'équilibre des pouvoirs plutôt que sous un angle de légitimité.

Alain COURTOIS, Conseiller à la Cour d'Appel de Nancy : donc magistrat du siège. Je souhaiterais simplement avoir une explication sur la possibilité de ne pas caractériser comme politique la décision d'une juridiction du siège - elle serait je l'espère collégiale dans ce cas là, et non pas malheureusement avec la dérive actuelle en juge unique - d'une juridiction du siège qui aurait tranché dans l'hypothèse qui a été tout à l'heure abordée, entre deux thèses ou plusieurs qui lui auraient été soumises, mais notamment celle d'un Ministère public nouvelle mouture et celle d'un agent du gouvernement. Supposons que la juridiction du siège donne à ce litige une solution qui soit contraire à la position du gouvernement. Qu'en résulte-t-il, sinon une décision politique, et surtout, dans la mesure où le gouvernement est l'exécutif, n'en résulte-t-il pas le fait que, le gouvernement censuré par les juges, le pays se trouve alors, ce que les juges n'ont jamais demandé ni souhaité, gouverné par eux ?

    L'autre question que je voudrais qu'on aborde ultérieurement, parce que ça intéresserait le point de vue de nos invités étrangers, c'est dans la mesure où se reposerait le problème de la légitimité des membres du Ministère public si l'on change ou leur statut et leur pouvoir ou l'un ou l'autre, c'est de savoir si on ne se trouverait pas dans l'obligation de changer les règles de procédure pénale. Est-ce qu'il n'y a pas un risque de glissement dans le cadre de la modification du Ministère public vers un statut de partie au procès, qui est très différent de son statut actuel, et donc par la même, comme certain des Parquetiers l'ont déjà dit, un glissement probablement incontrôlé et peut-être non voulu, mais extrêmement difficile à gérer en France, vers la procédure accusatoire, qui est le meilleur moyen probablement de bloquer la justice pénale en France.

André VITU : Il semblerait qu'il n'y ait pas de réponse...

Gilles LUCAZEAU : En tout cas il y a une position qui est la mienne sur ce point, si je peux l'exprimer. En réponse à Monsieur le Conseiller Courtois, je trouve son intervention, sur le dernier point en tout cas, tout à fait fondamentale, parce qu'à mon sens elle est au coeur du débat. Est-ce qu'en posant le problème de l'indépendance du Parquet, on n'arrive pas, par un chemin détourné, à la perpective de la procédure accusatoire ? J'ai toujours imaginé que l'indépendance du Parquet, c'est quelque chose qui doit ou qui pourrait à terme aboutir à une forme de procédure accusatoire, dans la mesure où à ce moment là, le Parquet devient une partie comme une autre dans le cadre d'un procès, puisqu'il est détaché de tout lien particulier de la puissance publique. Je vous rejoins tout à fait sur ce point.

Heike JUNG : Je regrette, mais je suis totalement opposé, parce que je ne vois aucun lien. L'indépendance du Parquetier est une conséquence, si on opte pour l'indépendance, d'un pouvoir accru, d'une certaine émancipation de son statut. Et aussi peut-être qu'on pourrait dire que cette indépendance découle d'une conception d'un état de droit. Je ne vois pas que nous ayons déjà une procédure accusatoire, en ce sens que l'accusation vient du Ministère public. Et à partir du moment où ce Ministère public est un personnage indépendant, il peut peut-être encore mieux rechercher à charge et à décharge. Alors au contraire, je me pose la question de savoir si l'indépendance du Parquet n'est pas même requise par cette forme de la loi qui se trouve en Allemagne, en France, en Italie, parce qu'on peut très bien concevoir un personnage dans une hiérarchie qui est donc destinataire d'une certaine politique criminelle ou d'un esprit de corps qui va plutôt vers - je sais que les procureurs ici présents ne tombent jamais dans ce piège - mais qui va plutôt dans une perpective de trouver les charges. Alors là, je suis même d'avis que l'indépendance servirait cette cause.

André VITU: Je pense que vu l'heure déjà avancée et sauf nouvelle intervention de la salle, il faut mettre un terme à notre débat. Un terme à notre débat ce n'est pas vrai, car nous n'avons pas fini d'en parler. Le débat n'a fait que commencer, il se poursuivra autour d'autres tables, dans les couloirs. Je remercie tous ceux qui, étrangers et français, ont accepté d'être parmi nous. Je remercie également l'auditoire si studieux, si compétent, qui a bien voulu participer à nos discussions. Ceci étant, j'ajouterais que je remercie également l'intendance, qui a beaucoup fait pour la préparation de cette table ronde. A tous, je dis un chaleureux merci.

***

Autres manifestations prévues :

- Une Table Ronde Européenne "Justice et Police", organisée par les Professeurs Heike Jung et François Jacquot, aura lieu à la Faculté de Droit de Nancy en Novembre 1997

- Un colloque "Bioéthique en droits français et allemand" sous la direction du Professeur Françoise Furkel, aura lieu à la Faculté de Droit de Nancy au Printemps 98

Ces manifestations s'inscrivent dans le cadre de la Fédération Cohérence Europe et du Programme Communautaire Interreg II.

Renseignements et organisation

Contact : Véronique Montémont

Faculté de Droit - 13 place Carnot - CO n°26

54035 NANCY cedex

tel :03 83 35 88 30

fax :03 83 32 73 50

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TEXTES FRANCAIS

CODE DE PROCEDURE PENALE FRANCAIS

Art. 1er L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code.

Art. 34 Le procureur général représente en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d'appel et auprès de la cour d'assises instituée au siège de la cour d'appel, sans préjudice des dispositions de l'article 105 [art. L. 153-1] du Code forestier et de l'article 446 [art. L. 238-2] du Code rural. Il peut, dans les mêmes conditions, représenter le ministère public auprès d'autres cours d'assises du ressort de la cour d'appel.

Art. 35 Le procureur général est chargé de veiller à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel.

A cette fin, il lui est adressé tous les mois, par chaque procureur de la République, un état général des affaires de son ressort.

Le procureur général a, dans l'exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique.

Art. 36 Le ministre de la justice peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, (L. n° 93-1013 du 24 août 1993) " lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites " ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes.

(Abrogé par L. n° 93-1013 du 24 août 1993) (L. n° 93-2 du 4 janv. 1993) " Les instructions du ministre de la justice sont toujours écrites. ".

Art. 37 Le procureur général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel.

A l'égard de ces magistrats, il a les mêmes prérogatives que celles reconnues au ministre de la justice à l'article précédent.-Pr. pén. C. 79.

Art. 38 Les officiers et agents de la police judiciaire sont placés sous la surveillance du procureur général. Il peut les charger de recueillir tous renseignements qu'il estime utiles à une bonne administration de la justice.-Pr. pén. C. 79

Art. 39 Le procureur de la République représente en personne ou par ses substituts le ministère public près (Ord. n° 58-1296 du 23 déc. 1958) "le tribunal de grande instance", sans préjudice des dispositions de l'article 105 [art. L. 153-1] du Code forestier et de l'article 446 [art. L. 238-2] du Code rural.

Il représente également en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d'assises instituée au siège du tribunal.

(Ord. n° 60-529 du 4 juin 1960) " Il représente de même, e, personne ou par ses substituts, le ministère public auprès du tribunal de police dans les conditions fixées par l'article 45 du present code."

Art. 40 (L. no 85-1407 du 30 déc. 1985) " Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. "-Entrée en vigueur le 1er févr. 1986.

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.- Pr. pén. C 81 d C 83.

Extrait de la Constitution du 4 octobre 1958

TITRE VIII: De l'autorité judiciaire

Article 64

Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.

Une loi organique porte statut des magistrats.

Les magistrats du siège sont inamovibles.

Article 65

Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

(Loi constitutionnelle ndeg. 93-952 du 27 juillet 1993) "Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet.

"La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'Etat, désigné par le Conseil d'Etat, et trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.

"La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats

du parquet et un magistrat du siège, le conseiller d'Etat et les trois personnalités mentionnées à l'alinéa précédent.

"La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance.

Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

"Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

"La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres.

"Elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.

"Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article."

Article 66

Nul ne peut être arbitrairement détenu.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.

N° 3086

ASSEMBLEE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIEME LEGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 octobre 1996.


PROPOSITION DE LOI

permettant aux contribuables des collectivités territoriales d'agir en justice en leur nom lorsque leur intérêt direct ou indirect est en cause,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRESENTEE

PAR MM. JEAN-LOUIS MASSON, DANIEL ARATA, ALPHONSE

BOURGASSER, JEAN-PIERRE CAVE, RENÉ GARREC, THIERRY

MARIANI, PATRICE MARTIN-LALANDE, GEORGES MESMIN,

Mme CATHERINE NICOLAS, MM. JACQUES PÉLISSARD, GEORGES

PRIVAT, PIERRE QUILLET, MARC REYMANN, FRANÇOIS

ROUSSEL, FRANCIS SAINT-ELLIER, GUY TEISSIER et MICHEL

VOISIN,

Députés.


EXPOSE DES MOTIFS


MESDAMES, MESSIEURS,

L'actualité récente concernant les affaires de corruption et de financements politiques illégaux montre que les poursuites judiciaires ont un déroulement parfois aléatoire. Or la justice doit être la même pour tous les citoyens et il n'est pas acceptable que tel ou tel dossier puisse être freiné ou même bloqué.

En effet, l'ouverture des enquêtes dépend d'une décision du procureur de la République et celui-ci est tributaire du pouvoir politique, ainsi que de l'influence qu'ont localement les élus importants, susceptibles d'être mis en cause.

Une seule solution simple à ce problème important pour la démocratie serait que tout contribuable puisse se porter partie civile. Ce n'est pas possible actuellement même si, dans le cas d'une commune, un contribuable a d'éventuelles possibilités d'action.

Cependant, cette faculté s'appliquant uniquement aux communes s'avère de plus limitée par des dispositions excessivement restrictives. La jurisprudence récente montre ainsi que même en cas de malversations évidentes, le tribunal administratif peut refuser l'autorisation au motif que l'intérêt financier de la ville n'est que faiblement engagé.

La procédure actuelle relève en effet d'une démarche compliquée (il faut notamment attendre quatre mois puis obtenir l'aval du tribunal administratif). Elle est également hypothétique et souvent rendue impossible car les tribunaux administratifs exigent qu'il y ait un intérêt très important en jeu et des éléments de preuve sérieux. Or, c'est précisément l'objet de l'enquête judiciaire que de mettre en évidence l'ampleur des malversations et de rassembler les preuves nécessaires.

La présente proposition de loi vise donc à permettre aux contribuables de toutes les collectivités territoriales (voire des établissements publics de coopération intercommunale) d'agir directement et plus librement en justice à leurs frais et risques au nom de ces collectivités territoriales, dès lors qu'ils estiment qu'un intérêt direct ou indirect de celles-ci est en cause.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article premier.

L'article L. 2132-5 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé:

" Art. L 2132-5. - Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer librement, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, les actions qu'il croit appartenir à la commune, ou à l'établissement public de coopération intercommunale dont elle fait partie, et que cette commune ou cet établissement, préalablement appelé à en délibérer dans un délai de trente jours, a refusé ou négligé d'exercer. "

Art. 2.

Les articles L. 2132-6 et L. 2137-7 du code général des collectivités territoriales sont abrogés.

Art. 3.

Après l'article L. 3221-10 du Code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 3221-11, ainsi rédigé:

" Art. L 3221. - Les dispositions de l'article L. 3132-5 du présent code sont applicables aux contribuables des départements. "

Après l'article L. 4231-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 4231-8 ainsi rédigé:

" Art. L 4231-8. - Les dispositions de l'article L. 2132-5 du présent code sont applicables aux contribuables des régions. "


TEXTES BELGES

__________________________________

Chambre des Représentants de Belgique

__________________________________

Session ordinaire 1996-1997

20 février 1997

_________

PROJET DE LOI

instituant le collège

des procureurs génraux

et créant la fonction

du magistrat national

_________

TEXTE CORRIGE

EN SEANCE PLENIERE

_________

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

CHAPITRE 1er

Du collège des procureurs généraux

Art. 2

Un article 143bis, rédigé comme suit, est inséré dans le Code judiciaire :

" Art 143 bis. 1er. Les procureurs généraux près les cours d'appel forment ensemble un collège, appelé collège des procureurs généraux, qui est placé sous l'autorité du ministre de la Justice. La compétence du collège s'étend à l'ensemble du territoire du Royaume et ses décisions engagent les procureurs généraux près les cours d'appel et tous les membres du ministère public placés sous leur surveillance et leur direction.

§2. Le collège des procureurs généraux décide par consensus de toutes les mesures utiles en vue :

1° de la mise en oeuvre cohérente et de la coordination de la politique criminelle déterminée par les directives visées à l'article 143ter, et dans le respect de leur finalité;

2° du bon fonctionnement général et de la coordination du ministère public.

Si aucun consensus ne peut être dégagé au sein du collège, et si l'exécution des directives du ministre relatives à la politique criminelle est ainsi mise en péril, le ministre de la Justice prend les mesures nécessaires pour assurer leur application.

§3. Le collège des procureurs généraux est en outre chargé d'informer le ministre de la Justice et de lui donner avis, d'initiative ou à sa demande, sur toute question et rapport avec les missions du Ministère public.

A défaut de consensus, les avis expriment les différentes opinions exposées au sein du collège.

§ 4. Pour l'exécution de ses missions, le collège peut requérir l'aide de membres du ministère public près les cours d'appel.

§ 5. Le collège des procureurs généraux se réunit au moins une fois par mois, de sa propre initiative ou à la demande du ministre de la Justice.

Le ministre de la Justice, ou en cas d'empêchement, son délégué, assiste aux réunions du collège lorsqu'elles portent sur des compétences visées à l'article 148 ter et lorsque le collège se réunit à sa demande dans le cadre de l'exercice des compétences mentionnées au § 2.

Le ministre préside les réunions du collège auxquelles il assiste.

Pour l'exercice des compétences du collège, et après concertation avec celui-ci, le Roi peut confier à chacun de ses membres des tâches spécifiques.

§ 6. Le Roi règle les modalités de collaboration entre le collège et les services placés sous l'autorité du ministre de la Justice.

§ 7. Le collège fait annuellement rapport au ministère de la Justice. Ce rapport contient la description de ses activités, l'analyse et l'évaluation de la politique des recherches et des poursuites pour l'année écoulée et les priorités pour l'année à venir.

Le rapport est communiqué aux Chambres législatives par le ministre de la Justice et est rendu public.

§ 8. La présidence est assurée, à tour de rôle, pour chaque année judiciaire, successivement par les procureurs généraux près les cours d'appel d'Anvers, de Mons, de Bruxelles, de Gand et de Liège. Avec accord de tous les membres du collège, il peut être dérogé à l'alternance entre procureurs généraux appartenant à un même régime linguistique.

Le procureur général qui assume la présidence fixe l'ordre du jour et l'organisation des réunions. Sous son autorité, le secrétariat est dirigé par un directeur qui participe à toutes les réunions du collège. Celui-ci transmet les ordres du jour et les rapports des réunions de collège des procureurs généraux au ministre de la Justice, aux membres du collège, aux procureurs du Roi, aux auditeurs du travail et aux magistrats nationaux.

§ 9. En cas d'absence ou d'empêchement d'un membre du collège des procureurs généraux, il est remplacé conformémément à l'article à l'article 324, alinéa 1er.

Sans préjudice de l'alinéa précédent, en cas d'absence ou d'empêchement du président, la présidence est assumée par le procureur général la plus ancien au rang du même régime linguistique. "

CHAPITRE II

De la politique criminelle

Art. 3

Un article 143ter, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code :

" Art. 143ter. Le ministre de la Justice arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite après avoir pris l'avis du collège des procureurs généraux.

Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du ministère public.

Les procureurs généraux près les cours d'appel veillent à l'exécution des ces directives au sein de leur ressort. "

CONSTITUTION - Titre III

Chapitre VI : Du pouvoir judiciaire

ART. 153. Le Roi nomme et révoque les officiers du ministère public près des cours et des tribunaux.

CODE JUDICIAIRE

TITRE II

DU MINISTERE PUBLIC

Art. 137. Le ministère public remplit les devoirs de son office dans le ressort territorial de la cour ou du tribunal près lesquels il est établi, sauf les cas où la loi en dispose autrement.

- Tous les magistrats du parquet auprès d'une juridiction constituent de manière indivisible le ministère public de cette juridiction. Cass. 9 mai 1990, pas. p. 1034

Art. 138. Sous réserve des dispositions de l'article 141, le ministère public exerce l'action publique selon les modalités déterminées par la loi.

Dans les matières civiles, il intervient par voie d'action, de réquisition ou d'avis. Il agit d'office dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque fois que l'ordre public exige son intervention.

- C.j. 1052

- Le ministère public est recevable à interjeter appel d'une décsion rendue en matière civile lorsque l'ordre public est mis en péril par un état de choses auquel il importe de remédier. Cass. 14 septembre 1989, Pas. 1990, p. 55.

- Cette intervention appartient exclusivement au ministère public et non à l'Etat belge, fût-il représenté par le ministre de la justice.

Cass. 14 février 1980, Pas. 696.

Dans toutes les contestations qui relèvent de la compétence des juridictions du travail, le ministère public près les juridictions du travail peut requérir du Ministre ou des institutions ou services publics compétents les renseignements administratifs nécessaires. Il peut à cet effet requérir le concours des fonctionnaires chargés de l'autorité administrative compétente de contrôler l'application des dispositions légales et réglementaires prévues aux articles 578 et 583.

Art. 139. Le Ministère public poursuit d'office l'exécution des décisions judiciaires dans toutes les dispositions qui intéressent l'ordre public ; et en ce qui concerne les particuliers, il peut, sur la demande qui lui en est faite, soit enjoindre aux huissiers de justice de prêter leur ministère, soit requérir main-forte lorsqu'elle est nécessaire.

Il peut aussi requérir les travaux nécessaires pour l'exécution des jugements, à charge d'en faire payer le prix ordinaire à l'entrepreneur de l'ouvrage.

Art. 140. Le ministère public veille à la régularité du service des cours et tribunaux.

Art. 141. Le procureur général près la Cour de cassation n'exerce pas l'action publique, sauf lorsqu'il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation.

- C.j. 409, 410.

Art. 142. Les fonctions du ministère public près la Cour de cassation sont exercées sous l'autorité du Ministre de la justice, par le procureur général.

Le procureur général est assisté par des avocats généraux qui exercent leurs fonctions sous sa surveillance et sa direction.

Le plus ancien des avocats généraux porte le titre de premier avocat général.

Art. 143. Il y a un procureur général près chaque cour d'appel.

Il exerce, sous l'autorité du Ministre de la justice et à l'intervention du Ministre qui a le travail dans ses attributions pour les matières qui sont de la compétence des juridictions du travail, toutes les fonctions du ministère public près la cour d'appel, la cour du travail, les cours d'assises et les tribunaux de son ressort.

Le procureur général porte la parole aux chambres assemblées et aux audiences solennelles de la cour d'appel et de la cour du travail ; aussi aux audiences des chambres, quand il le juge convenable.

Art. 144. Le procureur général est assisté, à la cour d'appel, par des avocats genéraux et par des substituts du procureur général qui exercent leurs fonctions sous sa surveillance et sa direction.

Le plus ancien des avocats généraux porte le titre de premier avocat général.

Le Roi peut autoriser les substituts du procureur général ayant huit années de fonction en cette qualité à porter le titre d'avocat général.

Art. 145. Il y a un auditorat général du travail au siège de chaque cour du travail. Un ou plusieurs avocats généraux ainsi qu'un ou plusieurs substituts généraux sont nommés près cette cour pour y exercer, sous la surveillance et la direction du procureur général, les fonctions du ministère public.

Le plus ancien des avocats généraux porte le titre de premier avocat général.

(L. 7 juillet 1975, art. unique. Le Roi peut autoriser les substituts généraux ayant huit années de fonction à porter le titre d'avocat général.)

Art 146. Les avocats généraux près la cour d'appel et les avocats généraux près la cour du travail sont spécialement chargés de porter la parole au nom du procureur général aux audiences, respectivement de la cour d'appel et de la cour du travail.

Art. 147. Les substituts du procureur général sont spécialement chargés, sous la direction du procureur général, de l'examen et des rapports sur les mises en accusation ; ils rédigent les actes d'accusation et assistent le procureur général dans toutes les parties du service intérieur du parquet.

Lorsque les nécessités du service le justifient, le procureur général peut les charger d'exercer temporairement les fonctions des avocats généraux.

Art. 148. Les procureurs généraux exercent sous l'autorité du Ministre de la Justice, la surveillance sur tous les officiers de police judiciaire et officiers publics et ministériels du ressort.

Art 149. Les fonctions du ministère public près la cour d'assises sont exercées par le procureur général ; il peut déléguer un membre du parquet général ou du parquet du procureur du Roi au siège duquel les assises sont tenues.

Art. 150. Il y a un procureur du Roi au siège de chaque arrondissement.

Il exerce, sous la surveillance et la direction du procureur général, les fonctions du ministère public près le tribunal d'arrondissement, près le tribunal de première instance, près le tribunal de commerce et près les tribunaux de police de l'arrondissement.

Art. 151. Le procureur du Roi est assisté par un ou plusieurs substituts placés sous sa surveillance et sa direction immédiate. [Il peut être assisté par un ou plusieurs substituts de complément délégués conformément à l'article 326, alinéa Ier.]

- Ainsi modifié par la loi du 28 décembre 1990, art.3, 1°.

Il peut y avoir un ou plusieurs premiers substituts qui assistent le procureur du Roi dans la direction du parquet.

Les premiers substituts sont désignés par le Roi pour un terme de trois ans sur une liste double de substituts [ou de substituts de complément] présentés par le procureur général, sur avis du procureur du Roi. Cette désignation est renouvelable et chaque fois pour un terme de trois ans. Après neuf ans de fonction, ils sont nommés à titre définitif.

- Ainsi modifié par la loi du 28 décembre 1990, art.3, 2°.

TITRE V: De la discipline

Art. 400. Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général sur les procureurs du roi, les auditeurs du travail et leurs substituts.Section 2Dispositions concerant les magistrats du ministère publicArt. 414. Le procureur général près la cour d'appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l'avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande.Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l'égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d'appel.Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation.

- La Cour d'arbitrage, en son arrêt n°76/92 du 18 novembre 1992 (Mon., 16 janvier 1993, p. 717), dit pour droit que l'article 414 du Code judiciaire ne viole pas les articles 6 et 6bis de la Constitution.




TEXTES ALLEMANDS

Source : StrafProzeßordnung, pp 51 et 52

Zweites Buch. Verfahren im ersten Rechtszug

Erster Absch itt. öffentliche Kalge

6 151. [Anklagegrundsatz] Die Eröffnung einer gerichtlichen Untersuchung ist durch die Erhebung einer Klage bedingt.

§ 152. [Anklage Behörde, Legalitätsgrundsatz] (1) Zur Erhebung der öffentliche Klage ist die Staatsanwaltschaft berufen.

(2) Sie ist, soweit nicht gesetzlich ein anderes bestimmt ist, verpflichtet, wegen aller verfolgbaren Straftaten einzuschreiten, sofern zureichende tatsätliche Anhaltspunkte vorliegen.

§ 152a. [Strafverfolgung von Abgeordneten] Landesgesetzliche Vorschriften über die Voraussetzung, unter denen gegen Mitglieder eines Organs der Gestezgebung eine Strafverfolgung engeleitet oder fortgesetzt werden kann, sind auch für die anderen Länder der Bundesrepublik Deutschland und den Bund Wirksam.


Source : Gerichtverfassungsgezetz (GVG)

Zehnter Titel. Staatsanwalt

§ 141. [Sitz] Bei jedem Gericht soll eine Staatsanwaltschaft bestehen.

§ 142. [Sachliche Zuständigkeit] (1) Das Amt der Staatsanwaltschaft wird ausgeübt :

1. bei dem Bundesgerichtshof durch einen Generalbundesanwalt und durch einen oder mehrere Bundesanwälte;

2. bei den Oberlandesgerichten und den Landgerichten durch einen oder mehrere Staatsanwälte;

3. bei den Amstgerichten durch einen oder mehrere Staatsanwälte oder Amtsanwälte.

(2) Die Zuständigkeit der Amtsanwälte erstreckt sich nicht auf das amtsrichterliche Verfahren zur Vorbereitung der öffentliche Klage in den Strafsachen, die zur Zuständigkeit andere Gerichte als der Amtsgerichte gehören.

(3) Referendaren kann die Wahrnehmung der Aufgaben einer Amtsanwalts und im Eizelfall die Wahrnehmung der Aufgaben eines Staatsanwalts unter dessen Aufsicht übertragen werden.

§ 142. a 1) [Zustängig des Generalbundesanwalts] (1) Der Generalbundesanwalt übt in den zur Zuständigkeit von Oberlandesgerichten im ersten Rechtszug gehörenden Strafsachen (§ 120 Abs. 1 und 2) das Amt der Staatsanwaltschaft auch bei diesen Gerichten aus. Können in den Fällen des § 120 Abs. 1 die Beamten der Staatsanwalt eines Landes und der Generalbundesanwalt sich nicht darüber einigen, wer von ihnen die Verfolgung zu übernehmen hat, so entscheidet der Generalbundesanwalt.

(2) Der Generalbundesanwalt gibt das Verfahren vor Einreichung einer Anklageschrift oder einer Antragsschrift (§ 440 der Stafprozeßordnung) an die Landesstaatsanwaltschaft ab,

1. wenn es folgende Straftaten zum Gegenstand hat :

a) Straftaten nach den §§ 82, 83 Abd. 2, §§ 98, 99 oder 102 des Strafgesetzbuches,

b) Staftaten nach den §§ 105 oder 106 des Strafgesetzbuches, wenn die Tat sich gegen ein Organ eines Landes oder gegen ein Mitglied eines solchen Organs richtet,

c) Staftaten nach § 138 oder 106 des Strafgesetzbuches in Verbindung mit einer der in Buchstabe a bezeichneten Strafvorschriften oder,

d) Staftaten nach § 52 Abs.2 des Patentgesetzes, nach §9 Abs. 2 des gebrauchsmustergesetzes in Verbindung mit § 52 Abs. 2 des Patentgesetzes oder nach § 4 Abs. 4 des Halbleiterschutzgesetzes in Verbindung mit § 9 Abs. 2 des Gebrauchsmustergesetzes une § 52 Abs. 2 des Patengesetzes;

2. in Sachen von minderer Bedeutung.

(3) Eine Abgabe and die Landesstaatsanwaltschaft unterbleibt,

1. wenn dite Tat die Interessen des Bundes in besonderem Maße berührt oder

2. wenn es im Interessen der Rechtseinheit geboten ist, daß der General Bundesanwalt die Tat verfolgt.

(4) Der generalbundesanwalt gibt eine Sache, die er nach § 120 Abs. 2 Nr. 2 oder 3 oder § 74a Abs.2 übernommen hat ; wieder an die Landesstaatsanwaltschaft ab, wenn eine besondere Bedeutung des Falles nicht mehr vorliegt.

§ 144. [Organisation] Bestehet die Staatsanwaltschaft eines Gerichts aus mehreren Beamten, so handeln die dem ersten Beamten beigeordneten Personen als dessen Vertreter ; sie sind, wenn sie für ihn auftreten, zu allen Amtsverrichtungen desselben ohne den Nachweis eines besonderen Auftrags berechtig.

§ 145. [Befügnisse der ersten Beamten] Die ersten beamten der Staatsanwalt bei den Oberlandsgerichten une den landgerichten sind befugt, bei allen Gerichten ihres Bezirks die Amstverrichtungen der Staatsanwaltschaft selbst zu übernehmen oder mit ihrer Wahrnehmung einen anderen als den zunächst zuständigen Beamten zu beauftragen.

(2) Amtsanwälte können das Amt dar Saatsanwaltschaft nur bei den Amstgerichten versehen.

§ 145a (weggefallen)

§ 146. [Weisungsgebundenheit] Die Beamten der Staatsanwaltschaft haben den dienstlichen Anweisungen ihres Vorgesetzen nachzukommen.

§ 147. [Dienstaufsicht] Das Recht der Aufsicht und Leitung steht zu :

1. dem Bundeminister des Justiz hinsichtlich des Generalbundesanwalts und der Bundesanwälte;

2. der Landesjustizverwaltung hinsichtlich aller staatsanwaltschaftlichen Beamten des bettrefenden Landes;

3. dem ersten der Staatsanwalt bei den Oberlandesgerichten und den Landgerichten hinsichtlich aller beamten der Staatsanwaltschaft ihres Bezirks.



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@ Les auteurs - Véronique Montémont 1997