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Présidence de séance
M. André VITU,
est Professeur émérite à l'Université
de Nancy 2, où il a enseigné le droit pénal
et créé le DEA de Sciences Criminelles.
Intervenants
Mme Christine DERENNE-JACOBS
enseigne le droit pénal et la procédure pénale
à la Faculté de Droit de l'Université de
Liège depuis 1990. Elle est avocate au Barreau de Marche-en-Famenne
et Juge Suppléant à la Justice de Paix du Canton
de Barvaux-sur-Ourthe. Elle est également chercheur pour
la Commission d'enquête parlementaire du Sénat de
Belgique sur la criminalité organisée.
M. Heike JUNG est Professeur
de droit pénal, criminologie et droit pénal comparé,
à l'Université de la Sarre.
Mme Andrea LOUX est depuis septembre
1996 Lecturer in Law à l'université d'Edinburgh,
où elle enseigne le droit constitutionnel et les droits
de l'homme. Elle enseignait précédemment le droit
pénal à l'Université de Lancaster.
M. Gilles LUCAZEAU est Procureur
Général près la Cour d'Appel de Nancy. Il
est également Professeur associé à l'Université
de Nancy II.
Mme Michèle-Laure RASSAT
est Professeur agrégé des Universités. Elle
enseigne le droit à l'Université de Paris XII. Elle
est l'auteur du Rapport sur le projet de Réforme du Code
de Procédure Pénale.
M. Jean-François SEUVIC
est Professeur agrégé des Universités et
enseigne le droit pénal à l'Université de
Nancy 2. Il est également directeur de l'Institut d'Etudes
Judiciaires et du DEA de Sciences Criminelles.
M. Andrew STEWART est Advocate
à Edinburgh. Il était précédemment
l'assistant du Lord Justice General - le Président
de la Juridiction Suprême en Ecosse. Il est membre du comité
écossais de l'Association des Juristes Franco-britanniques.
Il contribue aux enseignements de la Faculté de Droit de
Nancy depuis 1993.
M. Yves STRICKLER est Professeur
agrégé des Universités. Il enseigne le droit
pénal, la procédure pénale et la procédure
civile à la Faculté de Droit de Nancy.
M. Rik VANDEPUTTE est Avocat
Général près la Cour d'Appel de Gand en Belgique.
Il est délégué comme Inspecteur Général
de la Police Judiciaire auprès du Parquet et délégué
au Ministère de la Justice.
Afin de ne pas retarder l'ouverture des débats, mes quelques mots liminaires seront aussi brefs que possible. Au nom de la Faculté de Droit, Sciences Economiques et Gestion de Nancy et de son Doyen Etienne Criqui, je souhaiterai d'abord la bienvenue au public nombreux qui nous a rejoint, mêlant étudiants, professeurs, praticiens et même simples citoyens.
Je souhaite aussi la plus cordiale bienvenue à tous nos intervenants, lesquels forment une masse de compétence en droit pénal tout à fait impressionnante.
Permettez-moi de vous adresser à tous mes chaleureux remerciements pour avoir répondu avec tant d'empressement et de dynamisme à mon invitation à participer à la Table ronde réunie à Nancy ce 24 mars. De chacun d'entre vous, j'ai reçu un accueil positif et enthousiaste, tant de la part des universitaires que des praticiens. Je vous en suis très reconnaissant.
Permettez-moi également d'associer dans ces remerciements :
- Monsieur Roland Kirsch, Président des Tribunaux de Commerce d'Arlon et de Neufchateau qui fut un relais si efficace entre la France et la Belgique pour la préparation de cette conférence,
- Monsieur Alain Courtois, Conseiller à la Cour d'Appel de Nancy délégué à la formation des Magistrats qui fut mon intermédiaire auprès de l'Ecole Nationale de la Magistrature,
- L'équipe de la Faculté qui a mis sur pied avec
moi ce colloque dans des conditions de délai très
brèves, spécialement mon collègue Guy Venandet,
ainsi que Véronique Montémont, Agnès Lopez
et David Vicci.
S'agissant du thème des débats de ce soir " Indépendance du Parquet, opportunité des poursuites ", et pour rendre à César ce qui est à César, je me dois de signaler que l'idée m'en a été suggérée par le Professeur Heike Jung au cours de l'une de ses directions d'études de droit pénal comparé à notre Faculté.
Ce thème m'est apparu immédiatement particulièrement intéressant et ce à un triple titre :
- Sur un plan événementiel déjà, puisque l'idée d'indépendance du parquet est un sujet de débat très actuel dans notre pays.
- Mais également sur un plan plus technique, juridique et politique. Ce thème nous invite à nous pencher sur l'évolution des pouvoirs qui structurent la démocratie, sur le rapport du juridique et du politique, sur la mise en cause du schéma classique de nos démocraties. Sa richesse tient à ce qu'à partir de l'analyse technique du fonctionnement de la justice répressive, il conduit vers une réflexion constitutionnelle et politique.
- Enfin, sur un plan cette fois européen, l'intérêt
du sujet se démultiplie encore du fait que la question
de l'indépendance du parquet a été posée
ou traitée dans nombre de pays voisins dans les années
qui viennent de s'écouler, qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne,
de l'Italie, ou actuellement de la Belgique comme de la France.
Cette dimension européenne m'a paru d'un intérêt majeur. Qu'une même question aussi importante vienne à se poser quasi simultanément dans la plupart des pays européens, soulevant des interrogations aussi fondamentales sur l'organisation de l'Etat, n'est-ce pas la manifestation d'une similitude profonde exprimant la communauté qui unit les pays d'Europe de l'Ouest en dépit de leur apparente diversité ?
Cette diversité des réponses juridiques n'exclut
pas une réflexion commune, bien au contraire. Il en découle
nécessairement un enrichissement du débat. C'est
heureusement cette approche multiculturelle de l'Europe qui tend
à s'imposer aujourd'hui après une phase par trop
schématique qui laissait présager l'érosion
des systèmes nationaux sous l'action d'un droit communautaire
unificateur.
Une réflexion commune sur des difficultés
partagées, qui seront certes traitées différemment
par chaque pays européen mais de la façon la moins
incompatible avec les solutions retenues dans les pays voisins,
me semble à la fois fondamentale et nécessaire.
C'est l'objectif des formations développées par
la Faculté de Droit de Nancy depuis plusieurs années,
qu'il s'agisse du Magistère de Juriste d'Affaires Européen
ou du DEA de Droit Européens Comparés. C'est le
sens aussi de nos grands programmes de recherches dans le cadre
régional avec le projet "Cohérence Europe"
et dans le cadre transfrontalier avec le soutien du programme
communautaire "Interreg 2". Le souhait de voir s'inscrire
dans cette logique la conférence " indépendance
du Parquet, opportunité des poursuites" me servira
donc d'unique conclusion.
~ Le thème de ces débats tel qu'il a été fixé par les organisateurs de cette table ronde porte sur, et je reprends l'intitulé, "Indépendance du parquet, opportunité des poursuites". Avant de donner la parole comme je vais le faire dans un instant à nos intervenants, je vais résumer très brièvement la position actuelle du Ministère public en droit français, position qu'il est indispensable d'avoir présente à l'esprit car elle servira de point de départ à l'ensemble de nos réflexions.
Deux expressions, qui sont d'ailleurs
parfaitement contradictoires, me paraissent caractériser
le Ministère public français : subordination hiérarchique,
liberté dans l'action. Je m'explique : le Ministère
public, c'est d'abord un corps de magistrats marqué par
une stricte subordination hiérarchique. Vous savez que
tous les membres du parquet ont un supérieur commun, le
Ministre de la Justice et que celui-ci exerce sur eux une autorité
qui lui permet d'être informé à tout moment
des affaires judiciaires en cours, de donner des instructions
aux Procureurs concernés et éventuellement, d'exercer
sur les membres du parquet un pouvoir disciplinaire redoutable.
Et cette subordination se retrouve à l'intérieur
du corps, chaque membre du corps étant lui-même subordonné
à un supérieur hiérarchique. L'absence d'inamovibilité
complète ce tableau. Ainsi vous le voyez, le parquet est
caractérisé par une stricte et forte structure interne,
gouvernée par l'unité de direction émanée
par le Ministre.
Mais le Ministère public, c'est
également un corps de magistrats libre dans son action.
Sans doute en raison de la subordination évoquée
à l'instant, il est dépendant du Ministre ; mais
sa liberté s'exprime ailleurs et autrement. Elle s'exprime
d'abord dans les rapports avec les juridictions : les tribunaux
ne peuvent ni obliger un parquet à agir, ni à exercer
des poursuites, ni à prendre des réquisitions, et
il ne peut pas non plus blâmer ce que ferait le Ministère
public. La Cour de cassation serait très stricte à
cet égard si l'on se permettait d'oublier cela. Liberté
surtout à l'égard des procédures, et pas
seulement des juridictions, des procédures dont il a la
charge, et tout spécialement, en dehors de son pouvoir
propre, il est libre de mettre ou non en mouvement les poursuites,
ce qui se traduit par le principe dit de l'opportunité
des poursuites. Il est libre également de développer
à l'audience les réquisitions qu'il croit bonnes
pour le bien de la justice - la parole est libre - et qui peuvent
d'ailleurs ne pas coïncider avec les ordres écrits
reçus du Ministère.
Subordination hiérarchique, liberté
dans l'action : cette antinomie souvent incomprise des non-juristes
qui y voient une quadrature du cercle dans laquelle nous nous
débattons sans pouvoir la résoudre, est actuellement
très attaquée. Faut-il maintenir, aménager,
supprimer la subordination ? Faut-il apporter des limites et lesquelles
à la liberté d'action ? Le débat va s'ouvrir.
J'espère qu'il nous apportera des lumières, le Saint
Esprit aidant, celles aussi du raisonnement juridique sans doute,
et plus modestement celles du bon sens. Je donnerai la parole
au droit français d'abord parce que c'est lui qui est en
cause, c'est lui qui nous rassemble, et il est bon, que comme
toute demanderesse, Madame Rassat, que vous ayez la parole. Vous
êtes donc première attaquante, Monsieur Lucazeau
vous répondra tout à l'heure. Et puis nous passerons
aux droits étrangers : d'abord au droit belge, parce qu'il
est bon que nous ne nous éloignions pas trop dès
le départ du droit français, puis le droit allemand
qui a quelques connexions avec l'autre, et enfin nous irons du
côté du droit écossais qui, lui, fait que
l'on change de planète quand on change de continent.
C'est donc à moi qu'il incombe de ne
pas commencer à dépasser l'horaire et je vais essayer
de m'en tenir aux dix minutes qui me sont accordées.
Quitte à perdre quelques unes de ces minutes pour le fond et à violer les usages habituels de politesse, je vais tout de même commencer par dire quelques mots de ce qui me concerne à propos du ministère public.
Monsieur le Professeur Vitu a bien voulu rappeler que je suis en quelque sorte pour la France l'inventeur de l'idée d'indépendance du ministère public puisque c'est l'idée force de ma thèse de doctorat avant laquelle personne n'avait jamais eu une idée aussi farfelue. J'aime bien, d'ailleurs, à ce propos rappeler la phrase par laquelle mon Maître, le Professeur Robert Vouin caractérisait cette thèse dans la préface qu'il a écrite pour l'édition commerciale de celle-ci : "(une idée) trop surprenante pour séduire jamais un éventuel législateur". Et il ne s'agissait pas là d'une erreur d'appréciation individuelle de Robert Vouin car je sais parce qu'ils me l'ont dit que nombre d'autres Maîtres parisiens de l'époque ne m'auraient jamais laissé soutenir cette thèse en l'état, s'ils en avaient présidé la préparation. Non pas, bien sûr par volonté de censure mais pour protéger mon avenir universitaire qu'ils estimaient en danger à prôner des idées aussi iconoclastes.
En entendant un de nos journalistes vedettes interviewer le Président de la République en décembre dernier et lui disant avec insistance: "mais faites-là, faites-là" en parlant de l'indépendance du ministère public, je me disais, d'une part, qu'on avait fait pas mal de chemin depuis ma thèse, et d'autre part, que les choses n'étaient toujours pas aussi simples que ce jeune homme paraissait le penser. Je continue à croire qu'une certaine forme d'indépendance du ministère public est un meilleur système d'organisation judiciaire mais je crois aussi qu'il ne faut pas établir n'importe quoi ni n'importe comment. Il importe au surplus de bien noter que le Président a souhaité qu'on réfléchisse à la question. Il n'a jamais dit, comme on a trop tendance à l'affirmer, qu'il fallait nécessairement instituer l'indépendance. Et c'est une des raisons qui fait (peut-être avec d'autres) qu'il n'était pas souhaitable que je puisse appartenir à la Commission de réflexion instituée à cet effet car je suis trop symbolique de la question de l'indépendance. C'était au surplus inutile puisque je me suis exprimée sur la question, outre ma thèse, dans le Rapport général sur l'instauration d'un nouveau Code de procédure pénale remis au Garde des Sceaux le 30 janvier dernier.
Fermons cette parenthèse personnelle pour passer au fond.
Monsieur le Professeur Vitu nous a dépeint une situation du ministère public qui paraissait tout à fait acceptable et je crois savoir que tel est aussi l'avis de M. Lucazeau. Je pense, au contraire, personnellement, qu'elle est assez largement tordue. Présentés comme les représentants du pouvoir exécutif auprès des tribunaux (ce qui s'entend habituellement de fonctionnaires), les officiers du ministère public se recrutent et appartiennent au corps de la magistrature. Tenus d'exécuter les ordres (ou au moins certains ordres) du gouvernement représenté par le Garde des Sceaux, ils gardent la possibilité de s'y soustraire puisqu'il n'y pas de pouvoir de substitution. Agents de liaison entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire chargés de faire entendre au second le point de vue du premier, ils ont le droit d'exprimer leur opinion personnelle par la liberté de parole qui leur est reconnue.
Cette situation étrange du ministère public est, à mon sens, le résultat d'une erreur historique des Révolutionnaires qui ont eu quelque mal à prendre conscience immédiatement de la portée des bouleversements institutionnels qu'ils avaient opérés.
Ils ont cru définir la situation du ministère
public en écrivant que : "Les officiers du ministère
public sont les agents du pouvoir exécutif auprès
des tribunaux" (Art. ler, titre 8, D-L. 16. 24 août
1790), ce qu'on répète depuis. S'ils ont fait ainsi,
c'est parce qu'un peu plus d'un an plus tôt on disait des
officiers du ministère public qu'ils étaient les
"agents du Roi auprès des tribunaux". Ce que
les Révolutionnaires n'ont pas compris, c'est que cette
formule, en parlant d'agents du Roi, ne disait pas que les officiers
du ministère public étaient les agents du pouvoir
exécutif auprès des tribunaux mais qu'ils
y étaient les agents du pouvoir souverain auprès
des tribunaux. Une exacte transposition aurait donc du les amener
à dire que les officiers du ministère public étaient
les agents de la Nation auprès des tribunaux puisque c'est
désormais la Nation qui est souveraine. Ils ne l'ont pas
dit, mais, en pratique, ils ont été obligés
de le faire parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Or
c'est là que les choses se compliquent car la Nation en
régime démocratique s'exprime de deux façons
différentes, d'une part par le vote de la loi auquel procèdent
ses représentants et, d'autre part, par le choix des gouvernants.
Les officiers du ministère public agents de la Nation auprès
des tribunaux se sont donc retrouvés, par la force des
choses et quoi qu'en ait dit leur texte fondateur, les serviteurs
de deux maîtres différents : la loi, d'une part et
le gouvernement de l'autre. Dans l'immense majorité des
cas, cela ne pose pas le moindre problème, le gouvernement
n'ayant pas d'autre intérêt que celui de l'application
de la loi. Mais dans quelques affaires rarissimes où l'intérêt
du gouvernement ou de ceux qui lui sont proches est en cause et
peut être en contradiction avec l'application de la règle
de droit, il risque d'y avoir des difficultés. Les officiers
du ministère public seront alors inévitablement
amenés à sacrifier une partie de leur mission (la
loi s'ils exécutent des ordres du gouvernement de nature
à négliger ou limiter une action qui serait autrement
déterminée par elle ; le gouvernement si appliquant
la loi ils refusent de déférer à des ordres
qui peuvent cependant être légaux). Cela n'est pas
satisfaisant d'où l'idée de rechercher d'autres
solutions.
Dans la réflexion qu'il convient de mener
à ce propos, il me semble utile de faire plusieurs reoenarques.
Première remarque: En toute hypothèse et quelle que soit l'option prise sur la question de son indépendance, il convient de revoir, sur un plan textuel, tout ce qui concerne le ministère public.
Contrairement à ce qui pourrait apparaître à un auditeur attentif mais peu informé des critiques actuelles souvent portées à l'institution, il n'existe pas de véritable statut écrit et cohérent de la condition du ministère public mais une série de textes disparates figurant au statut de la magistrature (art. 5 ord. 23 déc. 1958), au Code de l'organisation judiciaire et au Code de procédure pénale. En outre les articles de celui-ci qui envisagent la question ne sont rédigés ni dans un ordre rationnel ni d'une façon claire ce qui donne lieu, par exemple, à des discussions connues sur le point de savoir si le ministre de la Justice peut ou non donner l'ordre de ne pas poursuivre les infractions.
Il nous paraît donc, tout d'abord, que
ce statut doit être instauré et figurer au Code de
l'organisation judiciaire pour la raison qu'il s'agit d'une institution
commune à l'intégralité de la justice judiciaire.
Deuxième remarque : Il ne peut donc être question de toucher à la hiérarchie du corps, en général. Le rôle des officiers du ministère public est d'être le représentant de la société auprès des tribunaux. Or il est clair que la nécessaire égalité des citoyens sur l'ensemble du territoire à laquelle le Conseil constitutionnel veille, à juste titre avec circonspection, ne pourrait se satisfaire que chaque membre du ministère public pris individuellement choisisse librement les infractions qu'il désire poursuivre ou les situations de droit privé dans lesquelles il souhaite intervenir ni la façon plus ou moins sévère ou efficace dont il croit devoir traiter les dossiers. L'exercice de l'action du ministère public suppose une relative uniformité sur l'ensemble du territoire.
La seule question qui se pose dans le cadre
de ce qu'on appelle d'une façon trop approximative "l'indépendance"
du ministère public est celle de savoir si le sommet de
la hiérarchie doit être occupé par le Garde
des Sceaux ou par une autre autorité indépendante
à définir.
Troisième remarque: Il ne peut pas être question d'exclure le gouvernement de la conduite des actions en justice. Une des tâches essentielles du ministère public est de mettre en oeuvre une politique pénale. Or la définition de cette politique-là comme de toutes les autres relève du gouvernement.
La solution la plus rationnelle, une fois expliquée la dualité de statut du ministère public, est de proposer une scission entre les deux intérêts dont il est chargé et qui sont susceptibles de devenir contradictoires. Mais il importe de bien insister sur le fait qu'il s'agit d'organiser une scission et non, comme on le fait trop souvent, de plaider pour un retrait pur et simple du gouvernement de l'action en justice ce qu'évoque seul l'idée de "couper le cordon ombilical qui relie le ministère public au gouvernement".
La séparation des pouvoirs n'est pas
une ignorance des pouvoirs l'un par l'autre. De même que
le gouvernement peut se faire entendre au Parlement, de même
il est légitime et même indispensable qu'il puisse
faire connaitre son point de vue à l'Autorité judiciaire.
La solution ne saurait donc se borner à rendre le ministère
public indépendant du gouvernement sans assurer corrélativement
la représentation de celui-ci auprès des tribunaux.
Dernière remarque : La solution que nous
critiquons est peut-être erronée mais c'est une erreur
qui a fait droit puisqu'elle préside depuis deux cents
ans au fonctionnement du ministère public. Il ne peut donc
être question de faire comme si nous en étions toujours
à l'origine et de négliger les appréhensions
manifestées par des juristes non négligeables tels
que Jean Foyer ou François Terré par exemple devant
l'idée d'indépendance.
Cela étant dit, je propose, dans mon Rapport quatre versions possibles pour l'organisation du ministère public de façon à laisser s'établir la discussion que nous souhaitons. Parmi celles-ci, je vais vous dire quelle est celle qui a ma préférence.
Ayant constaté qu'il est souvent bien difficile à la même personne de servir deux maîtres à la fois, la solution parait consister à faire servir chacun des deux intérêts actuellement défendus par le seul ministère public (la loi et le gouvernement) par deux serviteurs différents.
Il est assez évident que c'est le ministère public actuel qui peut être le meilleur serviteur de la loi. C'est la raison pour laquelle il nous semble normal d'envisager de couper le cordon reliant ce ministère public au gouvernement sur le plan de son action. En ce qui concerne le sommet de la nouvelle hiérarchie du ministère public et si l'on en retire le Garde des Sceaux on peut hésiter entre un magistrat spécifique à créer (le Chancelier de la justice préconisé autrefois par une proposition de loi de Jacques Toubon) ou le Procureur général près la Cour de cassation. Cette dernière solution plus simple nous a toujours paru amplement suffisante.
Mais il faut immédiatement organiser la représentation du gouvernement auprès des tribunaux. Nous avions suggéré, dans notre Thèse, de doubler systématiquement chaque procureur par un fonctionnaire représentant du gouvernement. Quelques années plus tard cette solution nous parait affligée de deux défauts majeurs caractéristiques de la jeunesse : au fond de témoigner d'un abusif esprit de système et matériellement, de pécher par un excès d'indifférence pour les questions d'intendance, en clair pour les problèmes budgétaires. A la réflexion et sur la base de ce que nous avons dit, cette représentation systématique nous paraît à la fois ruineuse et finalement inutile. Ainsi que nous l'avons noté, les conflits entre le gouvernement et l'application de la loi telle que la feraient des officiers du ministère public indépendants nous paraissent devoir être rarissimes. Il suffit donc que le gouvernement puisse se faire représenter dans ces cas-là, ce qui peut parfaitement être obtenu au coup par coup en lui donnant le droit de faire défendre son point de vue par un fonctionnaire ou par un avocat. Chaque fois qu'il l'estimerait utile, le garde des Sceaux aurait le droit de déclencher toute action où le ministère public est normalement partie principale et de faire exercer celle-ci par une personne de son choix ainsi que d'intervenir avec les mêmes modalités à toute action déclenchée par le ministère public.
Quant à la situation statutaire des officiers
du ministère public, il nous paraît fondamental de
ne pas oublier, une fois encore, que la tâche essentielle
du ministère public est de mettre en oeuvre une politique
pénale et que la définition de celle-ci relève
du gouvernement. Dans ces conditions il nous paraît normal
que le gouvernement ne soit pas éliminé du choix
des hommes qui vont mettre en oeuvre cette politique alors surtout
qu'il seraient appelés à le faire d'une façon
tout à fait indépendante. Le gouvernement nous paraîtrait
devoir garder un rôle plus important dans le déroulement
de la carrière des magistrats du parquet que dans celle
des magistrats du siège. La situation a laquelle on est
aujourd'hui parvenu nous parait satisfaisante et pouvoir être
gardée comme telle.
Il nous reste à faire une suggestion de mise en oeuvre. Ainsi que nous l'avons dit, la solution rationnelle d'une indépendance du ministère public dans l'exercice de ses fonctions se heurte à un grand nombre de critiques et à une profonde incompréhension d'une partie importante de la classe politique et de la hiérarchie judiciaire.
La principale critique est que la coupure du lien gouvernemental ruinerait toute possibilité de politique pénale nationale, chaque procureur indépendant menant désormais la sienne. Ces appréhensions nous paraissent infondées. Rien ne permet de penser qu'un ministère public indépendant n'aurait rien de plus urgent à faire que d'appliquer une politique pénale en contradiction délibérée avec celle définie au niveau national car la séparation des pouvoirs n'est pas la lutte des pouvoirs l'un contre l'autre. De même que les difficultés sont à l'heure actuelle rarissimes, de même on peut croire que dans l'immense majorité des parquets on se conformerait à la politique pénale définie au niveau national sous réserve des aménagements locaux. Des remèdes permettraient, d'ailleurs, éventuellement d'empêcher ces dysfonctionnements. D'abord le nouveau droit d'action du gouvernement qui par son caractère exceptionnel serait assez symbolique pour rétablir le cours des choses si un parquet faisait abusivement preuve de mauvaise volonté. Ensuite le fait qu'il n'est en rien touché à la hiérarchie interne du ministère public. Enfin par ceci que la mauvaise volonté systématique d'un procureur de la République qui s'abstiendrait ostensiblement de se conformer aux options de politique pénale nationale devrait être considérée, nonobstant son indépendance de principe, comme une faute professionnelle susceptible d'engager sa responsabilité disciplinaire. L'indépendance n'est pas le droit de faire n'importe quoi et suppose la responsabilité.
Nous proposons donc une action en deux étapes.
Dans un premier temps, on ne changerait rien sur le fond à la situation du ministère public tout en rerédigeant, parce que c'est indispensable, mais on introduirait tout de même le droit d'action autonome du gouvernement en faisant coexister les deux systèmes. Dès lors et si les gardes des Sceaux successifs veulent bien jouer le jeu et acceptent de recourir à cette nouvelle formule plutôt qu'à celle des ordres donnés, bien que ceux-ci restent légaux, ils démontreraient, par la pratique, l'absence de danger réel de l'indépendance du ministère public pouvant conduire, à terme, à l'instauration de celle-ci.
Ensuite, quand l'absence d'inconvénients
graves au système aurait été démontrée
et que les inquiétudes seraient apaisées, on pourrait
passer à un système définitif.
(1) Le texte du Rapport de
Madame Michèle-Laure RASSAT a été
publié sous le titre de Propositions de réforme
du Code de procédure pénale, Editions Dalloz,
Collection "Dalloz service"
Je vois qu'il me reste à peu près
trois minutes pour m'exprimer sur le sujet compte tenu de l'intervention
préliminaire de Madame Rassat.
Je la remercie parce qu'à mon sens, trois
minutes c'est encore beaucoup trop pour parler du Ministère
Public et plus précisément de la réforme
de son statut. D'abord parce que je pense être venu ici
derrière ce podium, comme le disait tout à l'heure
Monsieur Vitu, sans idée préconçue pouvant
consister à faire un certain nombre de propositions de
réforme dudit statut et ensuite j'allais vous dire que
si j'ai répondu avec enthousiasme à la proposition
qui m'était faite de porter à mon tour un regard
sur le système judiciaire français, c'est très
largement en raison de la conviction qui est la mienne que le
sujet prête moins à parler de droit que de politique,
tant il est vrai qu'en définitve la question du statut
du Ministère Public relève me semble-t-il plus d'une
question d'ordre politique que purement juridique.
Une chose me frappe à cete égard
: lorsqu'on 'examine un peu autour de nous, je veux dire autour
de la France, les autres systèmes en vigueur en Europe
dont nos éminents confrères et intervenants vont
nous parler tout à l'heure, j'y vois une extrême
diversité, et je défie quiconque dans cette assemblée
de pouvoir démontrer ce soir qu'il existerait aujourd'hui,
dans nos pays d'Europe, deux systèmes judiciaires identiques
et notamment deux systèmes de poursuites idéalement
calqués l'un sur l'autre. Les systèmes en présence
empruntent les uns aux autres, de telle sorte qu'au moment où
nous nous exprimons sur ce sujet, il n'est pas possible de tirer
un enseignement unitaire de ces divers systèmes.
Ce qui m'intéresse personnellement, plus
particulièrement, dans l'examen du statut du Ministère
Public "à la française", c'est de porter
tout d'abord la réflexion sur l'histoire des origines de
ce statut. Sans doute s'agit-il là d'un sujet rebattu,
mais quoi qu'il en soit, chacun d'entre nous se situe bien dans
une culture spécifique avec ses raisons d'être, une
culture qui possède des origines, des racines. On ne peut
à mon sens, à aucun moment, négliger cet
aspect fondamental. Et je poserai ici volontiers la question :
quelles sont les origines de cette "culture du Ministère
Public à la française" ?
Ces origines sont de trois ordres : il y une
tout d'abord une tradition centralisatrice que tout le
monde connaît bien, qui est née avec les grands monarques
qui ont fait ce pays, de Philippe le Bel à François
Ier, et j'arrêterai là cette référence
à l'Histoire non sans toutefois avoir rappelé que
c'est à François Ier que l'on doit l'institution
en tant que telle du corps du Ministère Public par l'attribution
de la qualité de "magistrats de l'ordre judiciaire"
à ces officiers d'un genre particulier chargés de
la "vindicte publique" , ceux que l'on appelait à
l'époque les lieutenants criminels et qui alors réalisaient
une espèce de fusion des pouvoirs entre les poursuites
et l'organe d'instruction que l'on a connu plus tard. Cette tradition
centralisatrice constitue sans aucun doute le premier pivot sur
lequel s'appuie le Ministère Public français.
Il y a eu ensuite ce que je pourrais qualifier
de tentation autonomiste, dans la mesure où les
"officiers du Ministère Public" vont progressivement
se voir reconnaître une autonomie de fonction par rapport
aux magistrats du siège de cette époque et il est
important dans notre discussion d'aujourd'hui relative au statut
du Ministère Public de ne pas oublier cet aspect de l'histoire.
Rappelons nous en effet la parole de Muyart
de Vouglans qui énonçait lorsqu'il faisait l'analyse
du Code des lois criminelles, cet adage de l'ancien droit : "tout
juge est Procureur Général". Or aujourd'hui,
tout juge n'est pas Procureur Général, et précisément
c'est là un point de discussion et peut-être bien
un point de sensibilité majeure. Du reste, le même
Muyart de Vouglans affirmait ce qui apparaissait à la fin
du XVIIIème siècle comme la vérité
de l'époque : "Il existe trois catégories de
procureurs : les Procureurs Généraux, les Procureurs
du Roi et les Procureurs fiscaux. De ces trois catégories
de procureurs, c'est la première, celle des Procureurs
généraux, qui est chargée de la poursuite
de la vindicte publique." Vous voyez que les temps ont bien
changé, et que l'on a assisté depuis quelques décennies
à un glissement progressif mais apparemment inexorable
des pouvoirs sur le terrain de l'action publique au profit des
Procureurs de la République.
La troisième racine à laquelle
se nourrit à mon sens à mon sens le Ministère
Public d'aujourd'hui est apparue, me semble-t-il, à l'époque
de la Révolution - Mme Rassat en a parlé à
l'instant - et je verrais personnellement dans cette période
une tentative pondératrice. Je ne pense pas qu'il
se soit agi d'une erreur ou d'une mauvaise analyse du législateur
de l'époque sur les fonctions respectives de chacun des
magistrats. J'y vois au contraire une illustration parfaite de
cette tentative pondératrice - pondératrice par
la recherche d'un nouvel équilibre s'appuyant sur des forces
contraires -, à travers le principe désormais constitutionnel
de la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction
et de jugement. Ce triangle constitue à vrai dire une véritable
quadrature du cercle qui se lit dans le fait qu'à chacune
de ces fonctions spécifiques correspondent des magistrats
spécialisés, lesquels, malgré la spécialité
de leurs fonctions, se retrouvent tout de même à
l'intérieur d'un même corps. Et sans doute l'une
des questions centrales posées par le problème du
statut de la réforme du Ministère Public est de
savoir si demain, ces magistrats que l'on appelle aujourd'hui
magistrats du Ministère Public peuvent continuer d'appartenir
à une organisation hiérarchisée tout en relevant
en même temps du statut communément applicable au
corps judiciaire. Autrement dit : les officiers du Ministère
Public de demain doivent-ils toujours être magistrats ou
se ranger dans la catégorie des fonctionnaires ? C'est
là à mon sens l'une des questions les plus importantes
qui se pose lorsqu'on évoque le statut du Ministère
Public, et cette question là, j'estime qu'elle est d'abord
et avant tout d'ordre politique.
Un autre aspect sur lequel il me plaît
également d'appeler votre attention est celui du rapport
entre la dépendance hiérarchique du parquet et
sa liberté d'appréciation. Certains voient en
effet une sorte d'antinomie entre cette dépendance hiérarchique
du parquet et le pouvoir d'apprécier l'opportunité
des poursuites qui lui est reconnu. Or je crois personnellement,
et tout à fait à l'inverse, que loin d'être
antinomique, ce principe de fonctionnement s'inscrit dans une
totale complémentarité. C'est, je le pense, parce
qu'il y a pouvoir d'opportunité des poursuites au niveau
de chaque parquet qu'il est important que ce pouvoir s'exerce
en même temps dans un cadre hiérarchisé, c'est-à-dire
sous contrôle, et c'est bien là ce qui se dégage
de l'esprit de cette culture traditionnelle à la française,
avec ou sans Descartes, qui consiste à établir des
contre-pouvoirs pour aboutir à un équilibre institutionnel
certes extrêmement fragile, mais parvenu au fil des siècles
à un tel point qu'il est à mon avis extrêmement
hasardeux de vouloir le modifier. Le modifier au profit de quoi
? Et pour aller vers quel autre système ?
J'ajouterai ici la considération suivante
à laquelle m'ont conduit les recherches que j'ai été
amené à effectuer sur les divers modes de fonctionnement
judiciaire dans les pays européens (et la recherche n'est
pas simple dans la mesure où, je le disais tout à
l'heure, aucun des systèmes judiciaires ne se recouvre
exactement). Je veux faire ici allusion à une décision
de la Cour constitutionnelle italienne, qui paraît donner
quelque crédit à mon propos de l'instant sur les
rapports entre dépendance hiérarchique et opportunité
des poursuites. Cette haute juridiction a en effet, dans un arrêt
de principe cité comme tel, et daté de 1991, affirmé
: "C'est seulement avec l'indépendance du Ministère
Public qu'il est possible de réaliser le principe de la
légalité des poursuites". Je pense donc qu'il
est possible d'inverser la formule et de soutenir dans un parallélisme
parfait, que "c'est seulement dans le cadre d'une organisation
du Ministère Public hiérarchisée qu'il est
possible de maintenir le principe de l'opportunité des
poursuites". A cet égard la question est et demeure
pour nous de savoir si dans un statut rénové du
Ministère Public nous souhaiterions préserver ce
principe d'opportunité des poursuites auquel nous nous
référons depuis des siècles ou abandonner
ce principe au profit de celui apparemment, mais apparemment seulement,
plus clair dit de la "légalité des pousuites",
lequel justifierait alors l'attribution d'un "statut d'indépendance"
au profit de ces nouveaux "officiers du Ministère
Public ". Mais s'agirait-il de magistrats ou de fonctionnaires
? Question déjà abordée plus haut...
Je ne dis pas que les choses ne doivent pas
être réformées. Je ne dis pas qu'il n'y a
pas d'ambiguïté dans la situation actuelle, notamment
sur le rôle, le contenu et les limites exactes des pouvoirs
des parquets. Je dis simplement qu'il faut agir avec une extrême
précaution car la réforme éventuelle d'un
statut du Ministère Public aboutit en réalité
à la réforme de la Constitution, et peut-être
plus encore, cette réforme de la Constitution cache-t-elle
une véritable réforme du régime politique
dans lequel nous sommes. Peut-être alors la véritable
question sera-t-elle de savoir si au plan politique, nous serons
encore dans la Vème République ou déjà
dans la Vième.
Telles seront, parmi quelques autres, les questions
majueres qui se posent à mon sens à nous lorsqu'on
aborde l'évolution du statut du Ministère Public
et auxquelles, je l'espère, le débat qui s'instaurera
tout à l'heure permettra peut-être de répondre
au moins en partie.
André VITU : Après ce plaidoyer
vibrant qui répondait d'ailleurs à une attaque nourrie
et forte de Mme Rassat, je passe la parole à Mme Derenne
Jacobs, enseignante à Liège, qui va nous présenter
le point de vue qui est le sien et celui de son droit en la matière.
Pour répondre aux voeux des organisateurs de cette journée
d'étude, j'axerai mon intervention sur deux thèmes.
Tout d'abord le statut du Ministère public, ensuite le
principe de l'opportunité des poursuites et son corollaire,
la politique criminelle, et me contenterai, entre ces deux thèmes,
d'esquisser les questions d'organisation, de recrutement et de
discipline du Ministère public.
I-STATUT DU MINISTERE PUBLIC.
S'il fallait donner un exemple de bon compromis...
comme les Belges en ont le secret, le Ministère public
pourrait être cité : à la fois organe de l'Exécutif,
à la fois membre de l'Ordre judiciaire, le Ministère
public a un statut hybride.
Cette ambiguïté se trouvait déjà
dans la Constitution de 1830. L'article 153 stipule en effet :
"Le Roi nomme et révoque les officiers du Ministère
public".
On aurait pu en déduire que le Ministère public
relève sans plus du Pouvoir exécutif, mais ce serait
perdre de vue que l'article 153 de la Constitution figure au Chapitre
VI du Titre III intitulé "Du Pouvoir judiciaire".
Cette réserve par rapport à une assimilation au
Pouvoir exécutif a encore été clairement
exprimée au cours des travaux préparatoires du Code
judiciaire.
Dans sa version initiale, l'article 137 stipulait en effet que
: "Le Ministère public représente l'Exécutif
dans le ressort territorial de la cour ou du tribunal près
lesquels il est établi... ".
Cette référence à une appartenance au Pouvoir
exécutif a été volontairement écartée
au profit d'une formulation plus neutre: "Le Ministère
public remplit les devoirs de son office dans le ressort territorial
de la cour ou du tribunal près lesquels il est établi...
".
Pour ne pas m'enfermer dans cette controverse
sans fin que suscite la définition du statut du Ministère
public, je relèverai seulement quelques éléments-clé
du débat qui, je l'espère, vous permettront de mieux
cerner la réalité de la situation :
1. les membres du Ministère public sont nommés et révoqués par le Roi ;
2. le Ministère public est soumis à l'autorité (notamment disciplinaire) du Ministre de la Justice ;
3. par contre, les membres du Ministère public sont des magistrats ; ils sont recrutés selon le même processus que les magistrats du siège, qui sont également nommés par le Roi ;
4. le fonctionnement du Ministère public est organisé
par la loi, qui lui a confié des missions spécifiques,
et non par le Ministre.
En définitive, charnière entre
l'Exécutif et le Judiciaire, le Ministère public
jouit, de par le fait qu'il tient ses pouvoirs de la Nation, d'une
autonomie certaine par rapport à l'Exécutif.
Ainsi, est-il unanimement admis, même s'il s'agit d'un principe
non écrit, que le Ministre de la Justice ne peut entraver
le Ministère public dans l'exécution de la mission
que la Nation lui a confiée, à savoir la poursuite
des infractions : le Ministre ne pourra en aucun cas donner d'injonctions
négatives au Ministère public.
De même, si le Ministre peut, de manière exceptionnelle,
pour veiller à l'exécution de la loi, donner des
injonctions positives de poursuivre, il ne peut se substituer
au Ministère public et intenter lui-même les poursuites.
Peut-on en conclure que le Ministère
public est indépendant par rapport à l'Exécutif,
et plus particulièrement par rapport au Ministre de la
Justice ?
Force est de constater que cette indépendance est relative
puisque le Ministère public exerce sa mission sous l'autorité
du Ministre de la Justice, dont il relève disciplinairement.
Mais force m'est aussi de constater qu'en Belgique, le Ministère
public a avant tout l'âme d'un magistrat indépendant.
Qu'il me soit permis de citer brièvement les propos tenus
par un avocat général lors d'un colloque consacré
au Ministère public: "... si nous restons dépendants
parfois de nos habitudes et de nos facilités, nous sommes
tous viscéralement attachés à notre indépendance
institutionnelle qu'il nous faut sauvegarder. Toute atteinte à
cette indépendance, politique, administrative, médiatique,
financière ou économique, à cette indépendance
face aux pressions de toutes sortes, qu'elles soient internes
ou proviennent du monde extérieur, toute atteinte à
cette indépendance, si minime soit-elle, nous la percevons
aussitôt comme un véritable péril."
Cette indépendance, qu'on pourrait peut-être qualifier
d'impartialité, disposition de l'esprit, est profondément
ancrée dans la tradition de notre pays : "Le magistrat
debout agit au nom de la Nation, prise dans son ensemble, et ne
peut être lié à une partie quelconque et,
dès lors, moins encore au gouvernement ou à quelque
thèse ou doctrine que ce soit".
Cette tradition d'indépendance était telle que le
Ministre de la Justice se voyait même contester le droit
de tracer une politique criminelle ; il s'agissait d'une affaire
judiciaire.
L'institution fonctionnait de manière autonome, sans contrôle
réel.
Il.- ORGANISATION DU MINISTERE PUBLIC.
Très brièvement, tout comme en France, le Ministère public belge est un corps hiérarchisé, organisé de façon pyramidale autour des procureurs généraux près les cours d'appel.
Les substituts sont placés sous l'autorité d'un
procureur du Roi ; eux-mêmes sont sous l'autorité
d'un procureur général, lui-même soumis à
l'autorité, telle qu'on l'a limitée, c'est-à-dire
essentiellement disciplinaire, du Ministre de la Justice.
III.- RECRUTEMENT.
Notons tout d'abord que le recrutement s'opère
de la même manière pour les magistrats du siège
que pour ceux du Parquet.
I1 y a essentiellement deux filières qui peuvent être
suivies pour devenir magistrat du Ministère public.
Tout d'abord, le concours qui est accessible aux candidats qui
ont un an de pratique du barreau et dont la réussite donne
accès à un stage judiciaire à l'issue duquel
on peut postuler.
D'autre part, l'examen, qui est accessible aux juristes qui ont
une plus grande expérience professionnelle et dont la réussite
ouvre l'accès à la postulation.
La nomination s'opère par arrêté royal ; elle
résulte donc d'un choix politique entre les candidats.
IV.- LA DISCIPLINE.
D'un point de vue disciplinaire, les membres
du Parquet relèvent de l'autorité du procureur général
et du Ministre de la Justice.
L'application des sanctions les plus graves, à savoir la
suspension et la révocation, nécessite un arrêté
royal, pris à la demande du Ministre de la Justice.
Dans la pratique, il semble que le Ministre, qui dispose pourtant
d'une arme redoutable, n'use son pouvoir disciplinaire qu'avec
beaucoup de circonspection et uniquement aux fins de sanctionner
les manquements graves (infractions pénales, manquements
à la dignité de la profession, ... ), et non à
des fins politiques.
V.- L'OPPORTUNITÉ DES POURSUITES
ET LA POLITIQUE CRIMINELLE.
1.- La Belgique a opté pour le principe
de l'opportunité des poursuites : le Ministère public
dispose du droit de classement sans suite.
Cette option fondamentale pour un système pénal
n'est cependant inscrite dans aucun texte de loi, à l'heure
actuelle. Un projet de loi, qui est pour le moment débattu
à la Chambre des représentants, prévoit cependant
son incorporation dans le Code d'instruction criminelle (ce texte
aurait le mérite de préciser que la mise en oeuvre
de ce principe, qui n'est pas remis en question, appartient à
ces missions que le législateur a confiées au Ministère
public).
2.- L'application du principe de l'opportunité
des poursuites suppose que des choix soient opérés
: certains dossiers feront l'objet de poursuites, d'autres seront
classés. Selon quels critères ces choix seront-ils
opérés ? Qui doit opérer ce choix ? Autrement
dit, qui élabore la politique criminelle ? S'agit-il d'un
choix judiciaire ou politique ?
Jusqu'il y a quelques années, chaque Parquet général
menait sa propre politique, de manière autonome.
Les distorsions étaient telles d'un ressort à l'autre,
et même parfois à l'intérieur d'un même
ressort, que les procureurs généraux ont décidé
de se concerter et ont créé spontanément
le Collège des procureurs généraux, qui se
réunit mensuellement pour débattre des options de
politique criminelle.
Dans son rapport du 30 avril 1990, la Commission d'enquête
parlementaire sur le terrorisme et le grand banditisme a porté
un regard nouveau et particulièrement critique sur la situation
existante : constatant l'absence d'une politique criminelle réelle
et l'absence de contrôle sur l'action du Ministère
public, la Commission concluait que "la politique générale
de recherches et de poursuites relève de la responsabilité
du gouvernement (et plus particulièrement du Ministre de
la Justice) et doit être contrôlée par le Parlement
: le Ministre de la Justice doit, par des directives générales,
imprimer au Parquet les lignes directrices de sa politique criminelle.
Il en assume les responsabilités politiques devant les
Chambres. Par contre, la mise en oeuvre de ses lignes directrices
incombe au Ministère public, auquel la loi a confié
la mission de poursuivre. Le Ministre contrôlera l'application
correcte de ces directives.
C'est dans cette perspective qu'a été
créé, en 1994, le Service de politique criminelle,
chargé d'éclairer le Ministre quant aux choix à
opérer et que tout récemment, une loi instituant
le Collège des procureurs généraux a été
adoptée (loi du 20 février 1997 votée mais
non encore publiée au Moniteur belge).
Cette loi confère un statut légal au Collège
des procureurs généraux, placé sous l'autorité
du Ministre de la Justice.
Mais elle va beaucoup plus loin: Article 3 : "Le Ministre
de la Justice arrête les directives de politique criminelle,
y compris en matière de politique de recherches et de poursuites,
après avoir pris l'avis du Collège des procureurs
généraux. Les directives sont contraignantes pour
tous les membres du Ministère public."
On le voit, le Ministre de la Justice a désormais l'obligation
d'assumer un rôle moteur dans la définition de la
politique criminelle. Il le fera par des directives (terme qui
doit être compris au sens européen, c'est-à-dire
que la finalité doit être atteinte mais que les moyens
concrets à utiliser relèvent de la compétence
exclusive du Ministère public). Ces directives sont contraignantes
pour tous les membres du Parquet.
Par contre, il relève des missions attribuées par
la loi au Collège des procureurs généraux
de veiller à la mise en application, par des dispositions
concrètes, de ces directives ministérielles.
La loi prévoit à cet égard :
1. le Collège décide, par consensus, de toutes les mesures utiles en vue de la mise en oeuvre cohérente et de la coordination de la politique criminelle déterminée par les directives;
2. ces décisions, prises par consensus, engagent individuellement chaque procureur général ainsi que tous les membres du Parquet qui en dépendent;
3. en l'absence de consensus, ayant pour conséquence la
mise en péril des directives du Ministre de la Justice,
celui-ci prendra les mesures nécessaires. Il pourra s'agir
d'une médiation, mais bien plus puisque le Ministre pourrait
aller jusqu'à prendre des mesures disciplinaires.
VI.- CONCLUSION.
Il est trop tôt pour dire quel sera l'impact
pratique de cette loi :
une simple consécration de la situation existante;
ou entraînera-t-elle des immixtions de plus en plus fréquentes
de l'Exécutif dans les missions confiées par la
Nation au Ministère public, par le biais d'injonctions
négatives générales; permettra-t-elle l'introduction
d'une politique criminelle partisane ?
Je préfère espérer qu'elle permettra la construction
d'une politique criminelle responsable, dans le respect des compétences
propres de chacun.
Dans le droit belge, on chercherait en vain
une définition du Ministère public. Néanmoins,
dans la doctrine classique belge, on accepte d'une manière
générale que les magistrats du ministère
public soient revêtus d'une double qualité, à
savoir qu'ils sont en même temps organes du pouvoir exécutif
et membres de l'ordre judiciaire. La conception qu'ils sont membres
de l'ordre judiciaire se fonde notamment sur la Constitution belge
qui, dans son chapitre VI " Pouvoir Judiciaire "
art. 101, précise que " Le roi nomme et révoque
les officiers du ministère public pour les cours et les
tribunaux. "
Le ministère public exerce une fonction du pouvoir exécutif quand il met l'action publique en mouvement et la dirige par la procédure écrite jusqu'à son terme, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle soit épuisée par une décision définitive.
Le ministère public agit comme organe
judiciaire quand il participe par son concours à l'interprétation
et à l'application des lois par les juges, dans l'exercice
de ses fonctions judiciaires, le Ministère public est pleinement
indépendant de l'exécutif, c'est-à-dire du
Ministre de la Justice.
En Belgique, l'organisation du Ministère public repose sur le principe fondamental que toutes les fonctions auprès des cours et des tribunaux sont spécialement et personnellement confiées aux Procureurs Généraux. (art. 143 du Code judiciaire).
A la différence de la plupart des fonctionnaires de l'ordre administratif qui n'agissent que par délégation du Ministre compétent et en son nom, le Procureur général agit en vertu de la délégation que la nation elle-même lui a donnée.
Le Ministère public est caractérisé par son unité fonctionnelle et hiérarchisée. Cette unité est garantie par le fait que tous les magistrats du Ministère public sont sous la direction et l'autorité du Procureur général près la Cour d'appel (art. 144-145-146-149-150-152 et 153 du Code judiciaire). De ce fait , le Procureur général est garant de l'unité dans la manière dont le ministère public exerce ses fonctions.
Néanmoins, je tiens à vous faire remarquet que cette unité fonctionnelle et hiérarchisée n'implique pas que les magistrats du parquets doivent suivre d'une manière servile les instructions de leurs supérieurs hiérarchiques quand ils participent à l'interprétation et à l'application des lois par les juges, ce que traduit bien l'adage " La plume est serve, mais la parole est libre ".
Puisque le Roi ( le pouvoir exécutif) n'a pas d'autre pouvoir que celui qui lui est conféré explicitement par la Constitution elle-même ou par la loi, tous les pouvoirs que le gouvernement exerce vis-à-vis du ministère public doivent trouver leur justification dans une attribution expresse par la loi.
Le Ministre de la Justice peut donner l'ordre d'entamer des poursuites (art. 274 du Code de procédure pénale : " Le Procureur Général, soit d'office, soit par les ordres du Ministre de la Justice, charge le Procureur du Roi de poursuivre les délits dont il a connaissance "). Le Ministre de la Justice a un pouvoir de surveillance sur le ministère public (art. 400 du Code judiciaire : " Le Ministre de la Justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le Procureur général près la Cour de Cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts ").
Le Ministre de la Justice a un pouvoir disciplinaire
propre.
***
En Belgique, le principe de l'opportunité qui donne au Ministère public le pouvoir de ne pas entamer des poursuites dans les cas où toutes les conditions pour l'application de la loi pénale sont réunies, ne trouve pas sa justification dans la loi, mais dans le droit coutumier. Néanmoins, ce principe est reconnu comme un principe général de droit.
Ce pouvoir n'est ni arbitraire ni absolu.
La décision de ne pas poursuivre, qui doit être l'exception, doit être motivée par la nature des faits, la personnalité de l'auteur et en tenant compte de la finalité de la loi pénale.
Comme déjà dit plus haut, vu l'organisation hiérarchique du ministère public, le Ministre de la Justice ou le supérieur hiérarchique peut donner l'ordre d'entamer des poursuites, la partie lésée peut mettre en route les poursuites par une citation directe devant le tribunal pénal compétent ou en se constituant partie civile devant le juge d'instruction.
Cette conception presque autonome du principe de l'opportunité est en train d'évoluer. Cette évolution qui, selon moi, est non seulement inévitable mais qui apparaît aussi dans certains textes légaux récents, est motivée par l'évolution de notre société et par l'impact de la politique criminelle.
Cette évolution doit être inscrite
dans un changement du concept de droit de surveillance du Ministre
de la Justice. Jusqu'il y a peu, ce droit de surveillance était
plutôt vu comme un droit de contrôle et d'information
permanent quant à la manière dont le ministère
public exerçait ses pouvoirs. De plus, il n'était
pas contesté que le Ministre de la Justice avait le droit
de s'informer sur des affaires pénales précises.
Aujourd'hui, on constate une tendance selon laquelle le Ministre de la Justice peut intervenir d'une manière plus dirigiste vis-à-vis du ministère public.
Ainsi, à la suite de la nouvelle loi du 20 février 1997 instituant le Collège des Procureurs généraux et créant la fonction de Magistrat national, le Ministre arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite après avoir pris l'avis des Procureurs généraux.
Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du ministère public. Les Procureurs généraux près les Cours d'appel veillent à l'exécution de ces directives au sein de leur ressort.
Jusqu'à cette loi, il n'était pas clairement établi qui était chargé de déterminer la politique criminelle. Une forte tendance, soutenue principalement par les Procureurs généraux, prétendait qu'il revenait en principe aux Procureurs généraux de déterminer la politique de recherche et de poursuite. Néanmoins, vu le fait que chaque Procureur général n'était compétent que pour son propre ressort, on constatait que déterminer une politique nationale ne pouvait être réalisé que quand il y avait un consensus de tous les Procureurs généraux, ce qui ne s'avérait pas toujours possible.
Bien que le Ministre de la Justice pût,
par des directives s'appuyant sur le droit de l'injonction positive,
influencer la politique de poursuites, il y a toujours eu une
discussion latente sur le droit du Ministre de la Justice de restreindre,
par des injonctions négatives, le pouvoir du ministère
public d'entamer des poursuites ;
Même si, au cours des travaux parlementaires concernant le projet de loi instituant le Collège des Procureurs généraux, il était en principe reconnu que le Ministre n'avait pas la compétence de l'injonction négative, il faut cependant constater que, du fait de l'interprétation donnée au pouvoir du Ministère public d'entamer des poursuites, ce pouvoir a été partiellement restreint (cfr. Doc. P. Sénat, Session 1996-1997 1 447/4 p . 66)
"Un autre membre aimerait savoir si, dans le cadre de la lutte contre l'arriéré judiciaire en matière pénale, l'on peut décréter par une ligne directrice que les affaires ne soient plus déférées aux juridictions de jugements - pour autant que la loi l'autorise - mais qu'on recoure à la conciliation et à la médiation pénale.
Le Ministre répond que cette manière de faire s'inscrit parfaitement dans l'éventail des possibilités d'une politique criminelle.
Le Ministre répond que l'on inaugure une ère nouvelle dans l'évolution de notre droit en accordant au Ministre de la Justice le pouvoir d'aller, dans cette matière, au-delà de ce qui est admis actuellement sur la base de sa responsabilité politique vis-à-vis du Parlement et en concertation avec le Collège des Procureurs généraux.
Deux limites ne sauraient toutefois être dépassées.
Premièrement, le Ministre ne peut pas modifier la loi (cfr. art. 108 de la Constitution).
Deuxièmement, il ne peut pas intervenir dans les dossiers
individuels. Il ne dispose donc pas d'une droit d'injonction négative. "
Personnellement, je suis d'avis que dans notre
société actuelle l'application de la loi pénale
et ainsi aussi la mission du ministère public doit s'inscrire
dans une politique criminelle générale, laquelle
ne peut être envisagée indépendamment de l'organisation
globale de la société.
En outre, une bonne politique criminelle doit
tenir compte de la politique menée dans d'autres domaines
tels que la politique de prévention, la politique socio-économique,
la politique de l'enseignement, de l'aménagement du territoire,
etc.
Ceci implique que la politique de recherche
et de poursuite ne peut pas dépendre de la vision individuelle
de chaque magistrat du ministère public, fût-il Procureur
général.
Certes, cette politique de poursuite ne peut
pas être d'une rigidité telle que le ministère
public ne pourrait plus, dans certains cas individuels, s'écarter,
d'une manière motivée, des directives générales.
Le ministère public n'intervient dans
le maintien de l'ordre public que lorsque la politique préventive
a échoué. Ce n'est qu'à ce moment que le
ministère public est chargé de la recherche et de
la poursuite des infractions.
La recherche de ces infractions est spécialement
la mission des services de police. Ceux-ci doivent, dans l'exécution
de leurs missions de police judiciaire, s'inscrire dans la politique
criminelle globale.
Il va de soi que, dans les faits, les services
de police ont, d'une manière indirecte, un grand impact
sur la politique de poursuite du Ministère public, celui-ci
est largement dépendant de la manière dont la police
exerce ses missions de recherche.
La manière dont la police gère
sa politique de recherche et de constatation détermine
à quels phénomènes criminels et à
quelles infractions précises la priorité est donnée
et fixe de ce fait de quelles infractions le Ministère
public peut prendre connaissance.
D'autre part, un management effectif des moyens
aussi bien au niveau des services de police qu'au niveau du parquet
exige que les efforts fournis soient en concordance avec la politique
criminelle et obtiennent un suivi adéquat de part et d'autre.
Ce consensus doit être atteint par une
concertation permanente entre tous les acteurs, où les
moyens de chacun pour réaliser la politique criminelle
soient accordés.
En Belgique, cette concertation a lieu dans ce qu'on appelle la " Concertation pentagonale " créée par l'Arrêté Royal du 10 avril 1995 portant sur les modalités générales de la concertation pentagonale qui prévoit :
"Art.3 : La Concertation pentagonale locale a pour mission :
1/ de promouvoir au niveau local une politique administrative, criminelle et policière intégrée dans le domaine de l'ordre public, de la prévention et de la lutte contre la criminalité ;
2/ de déterminer les mesures à prendre afin d'assurer
la collaboration entre les autorités et les services de
police et entre les services de police pour l'exécution
d e la politique visée au 1°".
Cette concertation a lieu entre le Procureur
du Roi, le(s) bourgmestres et les chefs des trois services de
police.
Toutefois, dans l'exercice de ses fonctions,
le ministère public doit rester indépendant en ce
sens que, dans l'appréciation de chaque cas individuel,
le magistrat du parquet doit, en concordance avec la loi, en se
basant sur les faits objectifs et en tenant compte de la personnalité
du suspect, pouvoir prendre une décision en âme et
conscience.
L'indépendance et la marge de manoeuvre
du ministère public sont en pratique restreintes par sa
dépendance vis-à-vis d'autres secteurs qui déterminent
et mettent en oeuvre la politique globale et la politique criminelle.
André VITU : Je remercie particulièrement
nos amis belges, qui ont insisté vous l'avez remarqué
sur un thème très central qui est celui de la politique
criminelle et sur la concertation nécessaire entre tous
les organes qui interviennent en matière de poursuites.
Je passe maintenant la parole à notre collègue de
Sarrebrück, le Professeur Heike Jung
Laissez-moi commencer par un bref aperçu
historique. En Allemagne, on n'a pas la chance en ce qui concerne
le Ministère public de remonter jusqu'à François
Premier, parce que l'Allemagne, comme vous le savez peut-être,
a hérité de l'institution du Ministère public
au siècle dernier, et l'a hérité de la France.
Mais je crois qu'à l'époque déjà,
ce Ministère public était un autre personnage, parce
que c'était le Ministère public à l'issue
de la Révolution, du siècle des Lumières
et des pensées de Montesquieu. C'est pourquoi nous sommes
confrontés dans cette matière à un mélange
de continuité et de discontinuité. A l'époque,
le Ministère public a été introduit en Prusse
par un fameux juriste allemand, Friedrich-Carl von Savigny, qui
a été le ministre de la Législation. C'est
un peu bizarre pour un juriste qui a en particulier favorisé
l'évolution d'un droit plutôt d'origine coutumière
("Volksgeist"). Mais il a néanmoins joué
un grand rôle comme ministre de la Législation, et
il a, en introduisant le Ministère public, parlé
de sa fonction de gardien de la loi, mais aussi de gardien des
juges, c'est-à-dire de gardien de la justice même.
Peut-être qu'on a dans cette ambivalence déjà
quelques uns des problèmes qui entourent le Ministère
public de nos jours.
Ma première thèse est la suivante
: le statut du Ministère public est révélateur
de la conception d'Etat. Ainsi la présente discussion sur
le statut témoigne d'une nouvelle approche quant à
l'organisation du pouvoir étatique. Deuxième point
: cette discussion n'est pas une particularité française.
Au contraire, on discute du statut du Ministère public
un peu partout, non seulement en Allemagne mais partout en Europe.
Le Conseil de L'Europe vient d'établir un comité
de travail qui a la tâche d'analyser ce statut, d'analyser
le rôle du Ministère public dans le but de présenter
une possible recommandation. En ce qui concerne l'Allemagne, le
Ministère public et la situation du Ministère public,
et ses tâches et son organisation sont réglées
à la fois dans le code de l'organisation judiciaire et
aussi dans notre code de procédure pénale. En principe,
l'institution du Ministère public est comme en France organisée
de façon hiérarchique. Mais il y a quand même
vis-à-vis de la France quelques points de différences
qui affaiblissent peut-être la rigueur de cette hiérarchisation
: c'est avant tout le principe de légalité qui domine
a priori l'action du Ministère public, cette obligation
de poursuivre qui n'est pas toujours forcément le principe
directeur, mais le principe de règle de notre procédure
pénale. Deuxième point : l'état allemand
est comme vous le savez un état fédéral.
C'est important dans notre matière, parce qu'il y a dix-sept
gardes des Sceaux qui peuvent instruire ; et l'existence de dix-sept
gardes des Sceaux implique qu'il y a peu d'instructions, parce
qu'il y a 16 Länder et tous les Gardes des Sceaux des différents
Länder peuvent donner des instructions. Il y a de plus le
Ministre de Justice Fédérale qui peut donner des
instructions au Procureur Général de la République
à Karslruhe.
On attribue chez nous et maintenant, je répète
un peu le cours de la discussion, à l'institution du parquet
un statut sui generis. C'est une formule que l'on trouve
toujours lorsque l'on ne sait plus en trouver une autre ; c'est
l'ambivalence incarnée dans un terme. C'est-à-dire
que le Ministère public est à la fois organisé
comme un corps administratif, mais en même temps cette administration
s'imprègne de sa place et de sa fonction dans le cadre
de la justice. Le Ministère public allemand peut être
destinataire d'instructions concernant le traitement individuel
d'une affaire ainsi que la politique criminelle générale.
Ces instructions peuvent être des instructions internes
mais aussi des instructions externes, émanant du Ministre
de la Justice. Le champ d'application des ces instructions est
grosso modo limité au principe d'opportunité
qui existe dans un mélange avec le principe de légalité
mais il y a aussi lorsque la loi prévoit une marge d'appréciation
la possibilité de donner une instruction dans le cadre
du principe de légalité.
L'obligation de poursuivre, c'est une de mes
convictions très profondes, et l'opportunité des
poursuites ne doivent pas être conçues comme antagonistes.
Dans un état de droit, toute action du Ministère
public doit être prévisible. Dans cette perspective,
on peut se demander si la règle vague de l'article 40 alinéa
1 du Code de Procédure Pénale français ne
devrait pas être concrétisée. Vous avez de
nouveau dans le cadre du Conseil de l'Europe une recommandation
sur la simplification de la procédure qui vous donne aussi
des exemples, mais je suis sûr que Mme Rassat a trouvé
un fil directeur qui servirait encore mieux au législateur
français.
De toute façon, et dans ce contexte je
suis un peu opposé à la position qui vient d'être
prise par Monsieur le Procureur Général, un principe
d'opportunité n'exige pas l'ultime responsabilité
du Ministre. Au contraire, celle-ci implique toujours le risque
de politisation d'une affaire. Dans un état de droit, le
principe de la division du pouvoir menée à son terme,
et maintenant je parle un peu pour l'Allemagne et peut-être
pour la France, milite en faveur d'une réallocation de
la position du Ministère public. Cette réallocation
pourrait s'exprimer dans l'abolition d'une instruction concernant
le traitement d'une affaire individuelle. Aussi la préfabrication
de l'issue du procès par l'enquête, le glissement
de rôle, la tâche quasi-juridictionnelle du Ministère
public devrait-elle s'exprimer dans un statut plus indépendant
vis-à-vis des institutions politiques.
L'attribution d'un statut indépendant
au Ministère public n'aurait pas de conséquences
immédiates sur son rôle vis-à-vis des autres
agents dans le procès. Elle produit avant tout un renforcement
de crédibilité de la justice, une séparation
plus nette entre le droit et la politique. Même une indépendance
accrue ne résoudrait pas un problème qui à
mon avis est un problème névralgique du Ministère
public, c'est sa relation avec la police, et la domination du
Ministère public par la police. Je termine en souhaitant
bon courage aux Français : ils ont inventé l'institution
du Ministère public et probablement même le droit
écossais en a profité. Et je crois que maintenant
les Français ont la tâche de réformer cette
institution. On vous attend avec impatience.
André VITU : Voilà qui est inquiétant pour
les Français parce l''Europe a les yeux fixés sur
nous. Grâce à M. Jung, nous voilà dans l'arène
où le taureau nous attend et ou les spectateurs souhaitent
peut-être notre mise à mort.
Heike JUNG : Pas forcément, je peux vous donner des conseils.
André VITU : Nous attendons que l'Europe achève
de nous mettre sur ce piédestal, et pour cela nous allons
passer la parole à M. Stewart.
Quand je dis que je suis écossais, les Français me parlent toujours de mon kilt et s'ils sont polis, ils ne posent pas de questions indiscrètes. Si je dis que je vis en Ecosse, les Français me parlent de Nessie, et s'ils ont voyagé ils savent où est le Loch Ness. Mais si je dis que suis juriste écossais, les Français me parlent hélas du droit anglais. Je remercie donc les organisateurs de savoir que l'Ecosse n'est pas l'Angleterre et de me permettre de vous parler du système écossais.
Les Anglais et les Ecossais se sont pendant des années
battus pour finalement aboutir en 1603 à l'union des deux
couronnes et en 1707 au traité d'Union entre l'Angleterre
et l'Ecosse. Si ces deux nations sont unies au sein du Royaume-Uni,
il est important de savoir que l'Ecosse a conservé son
système juridique et plus important encore, son équipe
de rugby, qui hélas n'est pas aussi bonne que l'équipe
de France.
Que retenir donc du système de poursuite des infractions
en Ecosse ? Pour commencer, je souhaiterais vous parler de ce
qu'en France on nomme le Ministère public et que nous appelons
Crown Office et vous indiquer sa particularité par
rapport au système français. Ensuite, nous aborderons
la question de son indépendance par rapport au pouvoir
politique.
Le Lord Advocate est le ministre responsable en Ecosse
de toutes les questions judiciaires et juridiques et le Solicitor
General est son Junior Minister.
Pour cela, le Lord Advocate est responsable de :
l'administration des juridictions,
il conseille le gouvernement sur le droit écossais en général et la rédaction des lois applicables en Ecosse.
il représente le gouvernement pour les affaires civiles
et enfin, ce qui nous intéresse aujourd'hui, est qu'il
est responsable des poursuites pénales.
Responsable de la poursuite des infractions, le Lord Advocate
est à la tête du Crown Office.
Le Crown Office est un service public et son personnel
est recruté parmi des juristes (solicitors) qui
prennent le titre de Procurator Fiscal. Ils font une carrière
dans le service public comme des fonctionnaires.
La mission essentielle du Procurator Fiscal est :
- de lancer et d'exercer l'action publique,
- de contrôler la police dans la recherche des preuves,
- ils peuvent également interroger les témoins, victimes...pour évaluer les preuves, etc.
Son rôle, comme vous pouvez le constater, est similaire
à celui du Ministère public en France et cette institution
vieille de trois siècles a été exportée
en Angleterre en 1985 sous le nom de Crown Prosecution Service.
Cependant, le Procurator Fiscal a plus de pouvoirs que
le Procureur en France car en Ecosse il est maître de l'instance.
Il peut négocier avec l'accusé sur les infractions
à poursuivre, négocier un guilty plea (que
l'on peut présenter comme des aveux négociés,
pour faire plaisir à M. Toubon), et peut abandonner les
poursuites même au cours du procès s'il se déroule
devant la Sheriff Court.
Cependant, pour le procès lui-même, le Procurator
Fiscal devra transmettre le dossier à un Advocate
si l'affaire est grave et doit être jugée par une
juridiction supérieure. L'Advocate a son tour devient
maître de l'instance. Il faut savoir qu'en Ecosse la High
Court est compétente pour toutes les affaires pénales
les plus graves (comme la Cour d'Assises en France pour les crimes),
et la Sheriff Court pour toutes les affaires moins graves
(comme le tribunal de police en France).
En règle générale, la profession de solicitor
(qui correspond plus ou moins à la profession d'avocat
en France) a un droit de postulation et de plaidoirie devant les
Sheriff Courts et les Advocates ont le monopole
devant la juridiction suprême (à savoir la High
Court).
Pour revenir au Lord Advocate et au Solicitor General,
ils peuvent tous deux intervenir devant la juridiction suprême
pour les affaires les plus graves, et ils exercent cette prérogative
fréquemment. S'ils décident de ne pas intervenir
personnellement, ils sont représentés devant la
Cour par ce que nous appelons un Advocate Depute. Peut-être
pouvons nous établir un parallèle avec la hiérarchie
existant en France, entre le Procureur Général,
le Procureur de la République et les substituts.
J'ai mentionné au début que le Procurator Fiscal
fait carrière dans le service public comme un fonctionnaire.
Cela ne s'applique pas à l'Advocate Depute, qui
exerce une profession indépendante, comme un avocat. Qui
sont donc les Advocate Depute ? C'est un privilège
réservé aux meilleurs Advocates déjà
spécialisés, généralement en droit
civil, et souhaitant s'orienter vers le droit pénal pour
éventuellement devenir Judge de la juridiction suprême.
Ils exercent les fonctions d'Advocate Depute pendant environ
trois ans et pour cela doivent accepter une diminution importante
de leurs revenus. Inutile de préciser que pour un Ecossais,
on ne fait pas carrière à vie comme Advocate
Depute, quand on peut être mieux payé comme Advocate
indépendant.
Cela nous amène au deuxième point de notre exposé,
à savoir l'indépendance du Crown Office par
rapport au pouvoir politique.
L'indépendance du Crown Office est assurée
par un système typiquement britannique : théoriquement
il permet de nombreux abus, mais il fonctionne en pratique extrêmement
bien.
Le Lord Advocate et le Solicitor General font partie
du gouvernement et sont également membres du pouvoir législatif.
Ils sont responsables devant le Parlement et sont membres du parti
politique au pouvoir. Aussi, si le Parti Conservateur perd les
prochaines élections, nous assisterons à de nombreuses
mutations.
Le Lord Advocate est nommé par le Premier Ministre
et est choisi en général non pas parmi des politiciens
mais parmi les juristes les plus éminents. Il est de tradition
que le Dean of Faculty (ce qui correspond au Bâtonnier
de l'Ordre des avocats) soit nommé Lord Advocate.
Pour comprendre le système écossais, il est important
de savoir que les juristes choisis font passer leurs fonctions
professionnelles avant leurs convictions politiques. Aussi, leur
appartenance à un parti politique n'influence pas leurs
décisions. Le meilleur exemple que je puisse vous donner
est celui des poursuites engagées contre Allan Stuart,
un ministre du gouvernement pour l'Ecosse. L'année dernière,
en essayant de négocier avec des écologistes manifestants
contre la construction d'une nouvelle autoroute, le Ministre s'est
laissé emporter par la discussion et a agressé un
des manifestants. Inutile de préciser que cela a fait la
joie des media, mais pas celle du Lord Advocate, qui a
décidé d'engager des poursuites. Le Ministre a été
condamné.
La question cruciale de l'indépendance du Lord Advocate
n'est pas à l'ordre du jour en Ecosse. Il est indépendant
et n'est responsable ni devant le Parlement ni devant le gouvernement.
Le Lord Advocate est libre de décider de poursuivre
ou de ne pas poursuivre une infraction. Cependant, il demeure
responsable pour les autres fonctions que j'ai déjà
énoncées, à savoir en tant que Conseil du
gouvernement et responsable de l'administration des juridictions.
Comment cette indépendance par rapport au pouvoir exécutif
est-elle assurée ?
La fonction de Lord Advocate bénéficie de
beaucoup de prestige en raison de son ancienneté. Vieille
de plus de cinq cents ans, elle a connu de loin la fameuse Révolution
française mais également la création des
fonctions de Premier Ministre du Royaume-Uni en 1783. Aussi, si
le Premier Ministre décidait de remplacer le Lord Advocate
pour manque de coopération avec le pouvoir politique, cela
serait une crise constitutionnelle sans précédent,
et on doit reconnaître que cette éventualité
est une hypothèse d'école.
C'est pourquoi, en raison de ses pouvoirs importants, il est essentiel
que l'intégrité du Lord Advocate soit au-dessus
de tout soupçon et que son indépendance soit sans
compromis. Toute l'indépendance du Lord Advocate
repose sur cette intégrité. Que se passe-t-il si
un Lord Advocate n'est pas à la hauteur ?
Tout d'abord, une victime peut tout comme en France, déclencher
les poursuites pénales. Ce que vous appelez partie civile
est pour nous private prosecution, mais il faut bien avouer
qu'elles sont rares (deux au cours de ce siècle) et que
cette procédure est plutôt une soupape de sûreté.
Mais plus efficace est la pression sociale qui peut être
forte dans un petit Etat comme l'Ecosse. Elle peut s'exercer notamment
par le biais des Advocates Depute (qui font partie de la
profession d'Advocate, qui est libérale et indépendante)
et qui peuvent décider de ne pas faire partie du Crown
Office. Il est donc essentiel, pour un bon fonctionnement
du système, que le Lord Advocate soit reconnu comme
indépendant et intègre.
En conclusion, il est difficile de comparer le système écossais avec celui de la France, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs. L'indépendance du Lord Advocate est assurée plus par le prestige et l'ancienneté de ses fonctions que par des règles constitutionnelles
Si comme je l'ai mentionné, théoriquement le système
permet de nombreux abus, en pratique, il fonctionne extrêmement
bien.
Cependant nous nous posons nous aussi des questions, mais elles
sont liées à l'indépendance de l'Ecosse,
à la dévolution des pouvoirs du Parlement du Royaume-Uni
à un nouveau Parlement Ecossais. Par exemple, le Lord
Advocate deviendrait-il un membre du Parlement Ecossais ou
resterait-il membre du Parlement pour le Royaume-Uni à
Londres ? Verrions-nous la création d'un Ministère
de la Justice en Ecosse comme celui qui existe en France ? Dans
l'affirmative, quelle sera la relation entre ce nouveau ministère
et le Lord Advocate ? Est-ce qu'un parlement basé en Ecosse
sera plus tenté d'intervenir et d'influencer les décisions
du Lord Advocate qu'un Parlement basé dans la lointaine
Londres ? Ces questions seront à l'ordre du jour si le
parti travailliste gagne les élections, le mois prochain.
Comme vous pouvez le constater, chaque système est en perpétuelle mutation et si nous sommes satisfaits par l'indépendance de notre Lord Advocate, en revanche, un grand débat s'est ouvert sur l'indépendance du juge pour le prononcé de la peine. Peut-être cela pourrait-il faire l'objet d'une nouvelle conférence ?
André VITU : Je remercie
particulièrement l'Ecosse de s'être présentée
avec autant d'humour, avec autant de simplicité également.
Puisque nous avons à peu près fait le tour des différents
systèmes qui nous ont été présentés,
je vais ouvrir maintenant le débat avec la salle.
M. WOLFF, étudiant
en droit : J'aimerais savoir ce que Mme Rassat pense
de l'idée de donner plus de pouvoir au Conseil Supérieur
de la Magistrature, qui par exemple serait élu à
parité par le Parlement et les magistrats, en lui donnant
les pouvoirs de discipline, de nomination, d'organisation, autant
pour les magistrats du siège que pour les magistrats du
Parquet. Si cela était possible, comment pourrait-on l'appliquer
?
Michèle-Laure RASSAT
: C'est la solution que le Conseil Supérieur de la Magistrature
a proposée lui-même et d'ailleurs de façon
parfaitement illégale. Le Conseil Supérieur de la
Magistrature multiplie les illégalités depuis qu'il
existe. Notamment, il est prévu dans la Constitution qu'il
y a deux formations du Conseil Supérieur de la Magistrature,
mais il n'est prévu nulle part qu'elle peuvent se réunir
pour faire des délibérations communes. Ils ont décidé
ça tout seuls, et ils se réunissent pour statuer
sur des questions que personne ne leur a posées. Et en
l'occurrence, personne ne leur avait rien demandé sur les
évolutions du Ministère public,
ils ont décidé de faire connaître
leur avis. Alors, cela étant, ils ont pris à mon
sens le problème par le petit bout de la lorgnette, car
ils n'ont envisagé, c'est ce que je disais tout à
l'heure, que le problème du statut du Ministère
public, qui me paraît être un problème très
secondaire. Car ils n'envisagent pas de toucher quoi que ce soit
quant à la façon dont le Ministère public,
quel qu'il soit, exerce ses pouvoirs. Or, c'est ça, le
coeur du problème. Donc ils veulent - c'est un des points
de vue qui est soulevé depuis très longtemps mais
qui n'est pas d'une originalité folle - aligner le statut
du Ministère public sur celui des magistrats du siège.
Personnellement, je pense que ça ne règle rien,
parce qu'une fois de plus, le coeur du problème, c'est
la façon dont le Ministère public exerce son action
aussi bien au sein du procès pénal que du procès
civil. Or ça, ils n'envisagent pas d'y toucher. Et en outre,
si un pouvoir supplémentaire devait être donné
au Conseil Supérieur de la Magistrature, il faudrait commencer
par le réformer, d'une façon extrêmement sensible
et entre autres sur ce point que j'ai toujours trouvé monstrueux,
qui est que l'on puisse organiser des élections pour élire
qui que ce soit au sein de l'institution judiciaire. Nous ne somme
pas écossais, malheureusement, et dès qu'il y a
une élection il y a une politisation. Or je trouve actuellement
inadmissible, au regard du justiciable, qu'il y ait des élections.
J'ai toujours été favorable, et je n'ai pas changé
d'avis là-dessus, à ce que bien entendu les magistrats
soient représentés au Conseil Supérieur de
la Magistrature mais par tirage au sort, qui me paraît être
la seule formule qui respecte véritablement l'indépendance.
Arielle PETITDEMANGE, étudiante
en DEA de Droit communautaire : Je voudrais savoir
si la construction communautaire aura une influence sur le rôle
du Parquet et si ou comment elle sera prise en compte dans les
différents Parquets des états membres.
Heike JUNG : Je crois qu'il
faut à cet égard faire la distinction entre les
différentes organisations. Dans le cadre du Conseil de
l'Europe, il y a un groupe de travail qui analyse le rôle
du Parquet et cette analyse a été stimulée
à la fois par les discussions qui ont lieu chez nous mais
aussi par l'Europe en transition, parce que les pays d'Europe
Centrale et les pays d'Europe de l'Est ont un fort intérêt
dans la question. Il faut distinguer cela de l'autre question,
à savoir : que se passe-t-il dans le droit communautaire
? Vous savez que dans le droit communautaire, il n'y a pas de
compétence pénale. Les autorités de l'Union
Européenne n'ont pas de moyen d'agir par exemple par directive.
Mais il y a un projet qui, à l'initiative du Parlement
européen, a été formulé par un groupe
de travail présidé par Mme Delmas-Marty, un projet
qui est probablement conçu comme un projet de convention,
qui concerne l'abus dans l'utilisation des financements des institutions
européennes. Dans ce contexte, on a essayé de formuler
un projet qui touche à pratiquement toutes les questions
du droit pénal et touche aussi au rôle du Ministère
public. Je prends cette occasion pour à nouveau démontrer
le fort lien entre l'Etat et le Ministère public parce
qu'apparemment même au sein de cette Commission, les idées
concernant une instance centrale à Bruxelles, ou n'importe
où, qui pourrait déclencher une poursuite de cette
matière, ont déclenché une forte opposition.
Dans le projet qui existe comme projet et rien d'autre pour le
moment, on a donc établi une institution que l'on peut
appeler une institution de clearing instance, une institution
qui après avoir vu les cas peut donc déléguer
ça au Ministère public dans les différents
systèmes nationaux. Une harmonisation sera plutôt
achevée au niveau de la police et au niveau du Ministère
public, parce qu'a contrario de ce que je dis, l'audience diffère
encore beaucoup plus que l'enquête préliminaire et
les actions dans l'enquête préliminaire. En somme,
il n'y a rien de précis pour le moment, faute de compétence.
On peut seulement négocier la base d'une convention, convention
que les états membres de l'Union européenne doivent
adopter ou non.
Michèle-Laure RASSAT
: Vous savez, le droit pénal a toujours été
le royaume du nationalisme, beaucoup plus que toutes autres les
branches du droit. Je ne suis pas sûre qu'on voie vraiment
grand-chose, à prévision de ma génération,
en droit pénal. Cela étant, à la Cour de
Luxembourg pour les affaires de droit communautaire, il y a un
Ministère public, mais qui a le rôle du Procureur
Général de la Cour de Cassation chez nous. C'est-à-dire
que ce n'est pas un Ministère public partie, c'est une
autorité légale, plutôt un jurisconsulte.
François STAECHELE, Premier
Vice-Président du Tribunal de Grande Instance à
Metz : Je voudrais simplement un complément
d'information et savoir si dans les pays qui sont représentés
par nos invités étrangers, il existe pour les magistrats
des points de passage, qui existent en France, entre le siège
et le Parquet. Ça a une certaine importance pour l'indépendance
du Ministère public et pour l'indépendance des magistrats
du siège
André VITU : Savoir si
en somme on peut passer d'un des cadres à l'autre, comme
on le fait en France, du siège au Parquet et du Parquet
au siège.
Christine DERENNE-JACOBS : En
Belgique, tout à fait. Comme je l'ai dit tout à
l'heure, les modes de recrutement sont les mêmes, et l'évolution
de la carrière est parallèle, et pas uniquement
parallèle, on peut très bien passer de la Magistrature
assise au Parquet et vice-versa, ça se fait d'ailleurs
très régulièrement
Rik VANDEPUTTE : Les années
d'expérience qui peuvent être gagnées dans
certains postes peuvent aussi bien être valorisées
en années de Parquet qu'en années de siège.
Heike JUNG : En Allemagne c'est
la même chose. Le deuxième examen d'Etat vous permet
d'être nommé soit Procureur, soit Juge et vous pouvez
ensuite changer pendant toute votre carrière.
Michèle-Laure RASSAT
: En France, on passe du siège au Parquet et du Parquet
au siège. Malheureusement, il y a une fâcheuse tendance
depuis quelque vingt ans à laisser des carrières
se faire au siège et des carrières se faire au Parquet.
Je proteste vigoureusement contre ce qui est un détournement.
Est-ce que l'on peut poser la question à nos amis pour
savoir si cela se fait de la même façon chez eux
? Parce que chez nous, c'est vrai qu'on peut théoriquement
et juridiquement passer de l'un à l'autre, mais j'ai des
exemples de gens célèbres en tête, et nous
les avons tous, de personnes qui ont fait des carrières
entières et notamment au Parquet, et par la force des choses,
puisque c'est une histoire de vases communicants, de gens qui
font des carrières entières au siège. De
même que l'on a à mon avis le grand tort de laisser
des carrières pénales et des carrières civiles.
Il y a un principe d'unité de la justice pénale
et de la justice civile et j'aimerais bien qu'on l'applique un
peu mieux parce que je pense que la première qualité
d'un juge pénal, c'est d'avoir l'esprit ouvert, et de temps
en temps il faut se laver l'esprit en faisant autre chose.
M. MERLE, Magistrat à la Cour d'Appel
de Metz : Je ne suis pas tout à fait d'accord
avec vous sur la façon dont vous présentez les problèmes
du corps judiciaire à l'heure actuelle et la manière
aussi dont vous voulez opposer le Parquet au siège
Michèle-Laure RASSAT
: Je ne veux pas l'opposer justement.
M. MERLE : Oui, mais vous le percevez comme tel, et grâce notamment au Conseil Supérieur de la Magistrature. Alors sur ce point, j'aimerais quand même qu'il y ait quelques petites choses de rappelées. D'abord, que l'on soit magistrat du siège ou magistrat du Parquet, on est des agents publics de l'Etat. A ce titre, comme agent public de l'Etat, on a le droit de se syndiquer. On dispose de certaines garanties, et il est normal que l'on soit représenté également dans des organismes qui ont vocation à gérer nos carrières. Il ne s'agit peut-être pas pour les magistrats de revendiquer le même type de représentation que dans les autres corps de la fonction publique, mais il serait complètement anormal qu'il y ait un système qui soit tout à fait dérogatoire pour les magistrats. C'est là un premier point. Un deuxième point en ce qui concerne le Conseil Supérieur de la Magistrature. Dans le souci de promouvoir une gestion commune des carrières pour le siège et le Parquet, il y a effectivement deux formations au Conseil Supérieur de la Magistrature et c'est là une des originalités du système français, qui fait d'ailleurs que dans les colloques internationaux, souvent on nous regarde d'une manière un peu bizarre, parce que quand on cherche à décrire la manière dont est composé le Conseil Supérieur de la Magistrature et la manière dont il fonctionne, tous nos collègues étrangers sont souvent un peu surpris. Quoiqu'il en soit, il n'a jamais été interdit par les textes que les deux formations qui existent au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature puissent se réunir en des collèges distincts pour s'occuper des problèmes des magistrats du Parquet et des magistrats du siège. Dès lors qu'un texte n'interdit pas une pratique, il n'y a aucune raison que l'organisme qui ne se voit pas interdire un certain type de pratique s'astreigne à une discipline particulière, quelle que soit la philosophie de ceux qui la proposent. Et à ce titre, il me paraît que le Conseil Supérieur de la Magistrature ne manque nullement à l'esprit dans lequel il a été institué et dans lequel ses pouvoirs ont été étendus quand il s'occupe ou qu'il veut s'occuper conjointement de la carrière des magistrats du Parquet et de celle des magistrats du siège.
Alors j'en viens maintenant aux autres
problèmes qui sont plus en rapport direct avec les débats
de ce soir. Je crois que partout, on ne peut pas opposer trop
brutalement opportunité des poursuites et légalité
des poursuites. Quel que soit le système que l'on envisage,
on ne peut pas encombrer les tribunaux de toutes les affaires
pénales virtuelles. En Allemagne, par exemple, on dit qu'il
y a le principe de légalité des poursuites. Mais
quand on réfléchit concrètement à
ce principe de légalité des poursuites devant les
magistrats allemands, on s'aperçoit qu'il y a des dérogations
au système et des soupapes de sûreté qui font
qu'il y a un grand nombre d'affaires qui ne viennent pas devant
les tribunaux, également pour des raisons d'opportunité.
Alors le problème est de savoir qui doit être réellement
titulaire du pouvoir d'opportunité des poursuites. C'est
un vaste problème, parce que l'on ne peut pas concevoir
que devant les cent quatre-vingt un tribunaux de grande instance
de France, il y ait cent quatre-vingt une procédures pénales
qui soient menées. Il faut bien qu'il y ait un organisme
central qui fasse coïncider toutes ces procédures
pénales susceptibles d'être mises en oeuvre. Pourquoi
? Il y a un ordre public national qui est à garantir. Il
y également l'égalité devant la loi : il
serait complètement anormal que dans un tel endroit en
France, on ne poursuive jamais un certain type d'infractions,
que les gens ne soient jamais punis, alors que dans un autre ressort
de tribunal, les gens vont être systématiquement
poursuivis. Mais qui a vocation à définir cette
politique centrale ? C'est au niveau central qu'on doit le faire.
De ce point de vue là, il n'y a aucune raison de retirer
au Garde des Sceaux le pouvoir de mettre en oeuvre et de définir
une politique pénale. En revanche, ce qui est proprement
scandaleux en France à l'heure actuelle, c'est comment
les Gardes des Sceaux se permettent de donner des injonctions
dans des procédures particulières. Quant un procès
est en cours, il ne faut pas chercher à peser sur l'indépendance
de la justice. Le procès doit suivre normalement son cours
et personne ne doit chercher à en fausser l'exercice. Et
je suis convaincu que si on partait un peu de ces distinctions,
entre la phase préparatoire au procès, et la phase
du procès proprement dite, il y a bien des points qui se
résoudraient.
Michèle-Laure RASSAT
: Un mot sur le Conseil Supérieur de la Magistrature. Vous
nous dites "Il ne leur est pas interdit de donner des avis".
C'est vrai que le texte ne l'interdit pas, mais dans la version
58, il était prévu qu'ils pouvaient donner des avis,
et cette mention a été supprimée dans la
version 93. Alors je crois personnellement qu'il faut quand même
en tirer une conséquence.
Francis HUMBERT, ancien Bâtonnier
de l'Ordre des Avocats de Nancy:
Je voudrais rejoindre ce que disait le Président Merle
à propos de l'indépendance des magistrats du Parquet
par rapport au Garde des Sceaux, et rappeler la magistrale démonstration
qu'à l'audience de rentrée de la Cour a faite Monsieur
le Procureur Général Lucazeau. Si on coupe le lien
entre le Garde des Sceaux et les Parquets, nous aurons en France
cent quatre-vingt un petits dictateurs qui mèneront la
politique pénale qu'ils veulent. Je me demande, et j'aimerais
avoir sur ce point l'avis des intervenants, si la solution, au
lieu de couper le lien entre les Parquets et le Garde des Sceaux
ne serait pas plutôt de couper le lien entre le Garde des
Sceaux et le gouvernement. Et je pense qu'à cet égard,
l'Ecosse nous donne un excellent exemple.
Michèle-Laure RASSAT
: C'était la version Jacques Toubon député,
et non pas Garde des Sceaux, puisqu'il prévoyait de créer
un Chancelier de la Justice qui aurait coiffé le Ministère
public.
André VITU : C'est également
la position qu'a prise il y a quatre jours Monsieur Seguin, Président
de l'Assemblée Nationale, dans une intervention qu'il avait
donnée dans je ne sais plus quel organisme, où il
demandait effectivement que le personnage qui serait le supérieur
hiérarchique du Ministère public soit indépendant,
nommé par le Président de la République et
entériné dans ses fonctions par l'Assemblée
Nationale. Il ne pourrait plus être ensuite révoqué,
il aurait donc un poste stable qui ne dépendrait plus des
mutations politiques.
Michèle-Laure RASSAT
: Je suis désolée, mais je continue à penser
que la politique pénale, c'est une politique et que comme
telle elle doit dépendre du gouvernement, sinon elle n'a
plus aucune légitimité.
Gilles LUCAZEAU : Puisque Monsieur le Bâtonnier Humbert a fait référence tout à l'heure à l'une de mes interventions, me permettez-vous quelques mots d'appréciation sur ce débat ? Personnellement, je suis toujours au moment où je m'exprime très perplexe sur cette question-là et contrairement à un certain nombre de personnes, je n'ai pas de réponse a priori ni de proposition. D'ailleurs ce n'est pas tellement mon rôle, et puis je n'envisage pas, et je rejoins un peu Madame Rassat sur le point, de m'arroger un pouvoir qui ne m'a pas été reconnu à l'instar du Conseil Supérieur de la Magistrature. Quoique nous sommes, me semble-t-il, dans une période où la liberté d'expression a tendance à l'emporter sur le silence imposé. Je suis quand même représentant du Ministère public, soumis à une hiérarchie que je défends dans son principe et je pense pouvoir démontrer assez facilement que je m'exprime ce soir librement. Donc, il y a au moins dans ce débat deux questions qui ne me semblent pas avoir été totalement mises sur la sellette, et un peu évacuées sauf sans doute par M. Jung quant au rapport nécessaire et inévitable entre la police et le Ministère public. Venons-en au fait sur la question de l'indépendance éventuelle du Ministère public. Est-ce le problème de la dépendance ou de l'indépendance du Parquet qui l'emporte à l'heure actuelle sur la véritable question des pouvoirs réels attribués au Ministère public ? Ces pouvoirs sont liés, il faut quand même l'affirmer, le proclamer, tout à fait aux liens qui existent, non seulement dans les textes, mais aussi dans la réalité, qui est souvent bien au-delà et en dehors des textes, entre la police et le Ministère public. Il faut savoir ce que de ce point de vue là on veut exactement obtenir. Il y a une deuxième question qui me semble abordée d'une façon un peu biaisée : on souligne volontiers la différence entre la politique pénale qui serait le domaine privilégié d'un Ministère public relié, qui justifierait ce lien hiérarchique pour le Ministère public, alors que dit-on dans les affaires individuelles, le Garde des Sceaux serait incapable de toute intervention et le Ministère public serait en quelque sorte protégé, statutairement bien évidemment, et dans une action parfaitement libre et indépendante. J'aimerais bien qu'on me donne ici la recette d'une ligne de frontière claire et précise entre ce que l'on appelle les affaires individuelles et la politique pénale.
Une dernière petite observation
sur la réalité de ce débat de ce soir : je
crois qu'il s'inscrit parfaitement en ce qui concerne le moment
où vient cette question là en France, à la
suite de la situation de décentralisation que traverse
notre pays. Et j'entendais tout à l'heure avec beaucoup
d'intérêt l'une des interventions qui présentait
un Ministère public dans un pays de système fédéral.
Evidemment, dans le cadre d'un pays à système fédéral,
il y a plus facilement un Ministère public indépendant.
La question n'est pas posée innocemment à l'heure
qu'il est. Nous vivons une décentralisation forte : est-ce
cette décentralisation forte qui amène au plus haut
niveau la question d'une éventuelle indépendance
du Parquet du Ministère public ? Je le crois assez volontiers.
Heike JUNG : Je crois que l'aspect
de la police est un aspect que nous avons probablement trop négligé
mais je suis sûr que Monsieur Jacquot a déjà
pris note en vue de l'organisation d'une prochaine rencontre,
parce que dans un débat sur l'indépendance du Parquet
et du Ministère public, cette question devrait être
un point de mire. En ce qui concerne la fameuse question de couper
les liens entre le Garde des Sceaux et le Ministère public,
il faut distinguer deux questions : la question d'égalité
des justiciables et la question de la responsabilité pour
la politique criminelle. Ces deux questions sont peut-être
liées, mais elles ne sont pas forcément identiques.
Parce que l'on peut très bien concevoir en ce qui concerne
la politique générale une collégialité
de Procureurs Généraux qui garantissent l'égalité.
Mais on peut certainement se demander si cette collégialité
est dans un système particulier l'instance compétente
d'un point de vue constitutionnel en ce qui concerne la formation
d'une politique criminelle. Moi je suis d'avis que les ministres
de la justice devraient garder cette compétence de concrétiser
la politique criminelle par voie de circulaire. Et je crois qu'on
peut très bien distinguer entre cette voie de circulaire
et le traitement d'un cas individuel. Parce que cette voie de
circulaire est une démarche qui doit être publique.
On peut discuter sur la circulaire, la critiquer ; c'est quand
même une base de poids, tandis que l'instruction dans un
cas individuel, c'est à mon avis une démarche très
individualisée qui, même si elle est faite par écrit,
n'est pas tellement publique. C'est-à-dire que je suis
toujours d'avis - même en Allemagne, on discute cette question
parce qu'on discute là aussi ces problèmes d'indépendance
du Parquet -, je suis d'avis qu'on peut distinguer entre la directive
générale et l'instruction concrète. Il y
a des problèmes, bien sûr, mais donnez-moi un domaine
où il n'y a pas de problème de distinction.
Michèle-Laure RASSAT
: Je voudrais m'inscrire en faux contre ce que dit Monsieur Jung
et rejoindre Monsieur Lucazeau. Je ne comprends pas cette espèce
de différence qu'on veut faire entre la politique pénale
et les actions particulières. A quoi peut bien servir une
politique pénale qu'on définit comme ça,
dans l'absolu, en théorie, pour la mettre dans une circulaire
si ce n'est pas pour l'appliquer aux affaires concrètes
? Est-ce que la politique pénale, ce n'est pas la somme
de ce que l'on fait dans des affaires concrètes ? Sur ce
point, je suis tout à fait opposée à ce que
le gouvernement ne puisse pas intervenir dans des affaires individuelles.
Je propose qu'il le fasse officiellement, sous ses couleurs et
par des gens qui le représentent lui. Laissez le Ministère
public agir et créez autre chose à côté.
Prenez l'affaire du sang contaminé : on a un problème
majeur, qui est celui de savoir quel est l'élément
intentionnel de l'empoisonnement. Pourquoi veut-on priver le gouvernement
d'avoir une opinion sur la question et de l'émettre devant
les tribunaux ? Je ne comprends pas comment on peut vouloir l'en
empêcher ! On est en train de mélanger à mon
avis deux choses différentes, qui sont l'égalité
de traitement sur l'ensemble du territoire et la question de la
légitimité, que l'on escamote. Certes, il faut une
égalité qui sera toujours relative - je ne connais
pas deux affaires identiques - ou une relative inégalité
du traitement des affaires sur l'ensemble du territoire. Mais
l'autre question fondamentale, c'est celle de la légitimité
: qui va donner au tribunaux la légitimité du déclenchement
des poursuites, pour savoir ce qu'on poursuit ou qu'on ne poursuit
pas ? Et là on est quand même manifestement en présence
d'une politique. Pour s'en tenir à ce que l'on connaît
chez nous, la politique pénale d'une majorité socialiste
et la politique pénale d'une majorité de droite,
ce n'est pas la même ! Et il est quand même normal
que, les électeurs ayant voté, elle s'exprime et
elle se manifeste.
Monsieur, vous disiez tout à l'heure que tout ça
ne servait à rien, parce que des politiques pénales,
il n'y en avait pas en France. Vous avez raison. Mais ce n'est
pas une raison pour renoncer. Je suis au désespoir de dire
que la dernière circulaire de politique pénale que
l'on ait vue en France, c'est la circulaire de Robert Badinter,
d'octobre 1981. Depuis, il n'y a pas eu une circulaire de politique
pénale. Mais c'est inadmissible ! Je me bats depuis trente
ans pour qu'il y ait chaque année au Parlement un débat
d'orientation - sans vote parce que le vote n'est pas concevable,
mais un débat d'orientation de politique pénale,
et chaque année, une circulaire du Garde des Sceaux de
politique pénale. C'est ce qu'on fait au Canada par exemple.
Il est inadmissible qu'en France, il n'y ait jamais de vrai débat
de politique pénale. Alors on me répond "Oui,
mais on en parle au moment du budget". Mais enfin, soyons
sérieux : le débat d'un budget, c'est une question
de moyens, pas une question de politique pénale. Alors
vous avez raison de me dire "Il n'y en a pas". Mais
ce n'est pas une raison pour ne pas se battre pour qu'il y en
ait une.
Heike JUNG : J'observe que vous
définissez la politique pénale comme votre voisin
[lui-même], par circulaire...
Michèle-Laure RASSAT
: Oui, mais avec la possibilité d'intervenir dans les affaires
individuelles pour la faire appliquer, justement.
Gilles LUCAZEAU : La dernière
circulaire de politique pénale est un peu plus récente
que celle de 81, c'est celle d'octobre 92, mais je sais que je
ne vous consolerai pas en disant cela. Mais je pense que la question
fondamentale est bien celle de savoir si on donne la possibilité
au Garde des Sceaux d'exercer dans un cadre hiérarchique
une autorité consistant à pouvoir non seulement
donner injonction de poursuite, mais aussi donner injonction de
classement. J'ai tendance à cet égard à réagir
comme le juriste que je crois être à peu près
devenu : les textes ne parlent pas dans le Code pénal de
la possibilité pour le Garde des Sceaux de donner une injonction
de classement. Donc, j'aurais tendance à penser, en vertu
de l'interprétation restrictive du droit, qu'il n'en aurait
pas la possibilité.
Michèle-Laure RASSAT
: Je soutiens depuis trente ans qu'effectivement il n'a pas le
droit de donner l'ordre de ne pas poursuivre. L'actuel Garde des
Sceaux a adopté ce point de vue puisqu'il l'a dit tout
de suite dès qu'il est devenu Garde des Sceaux. Dans le
texte de la réforme, c'est parfaitement clair, je dis en
toutes lettres qu'il n'a pas le droit de donner l'ordre de ne
pas poursuivre, et je vais même plus loin. Je lui interdis
de donner l'ordre de ne pas exercer une voie de recours parce
que le problème est le même.
Christine DERENNE-JACOBS : Pour
donner des éléments de réponse à la
question qui a été posée tout à l'heure,
je crois que l'expérience que nous connaissons en Belgique
est particulièrement marquante à ce niveau-là.
En Belgique, nous venons d'un système marqué par
une déconcentration, où il y avait une grande autonomie
au niveau de chaque Parquet général. La question
qui s'est posée, c'est de savoir quel interlocuteur le
gouvernement avait lorsqu'il y avait des problèmes. Parce
que le Ministère public en fait ne rendait pas de comptes
précis sur la politique menée. Et le Parlement a
appelé de ses voeux que le ministre de la Justice assume
à cet égard sa responsabilité politique.
La loi qui vient d'être adoptée en Belgique s'inscrit
vraiment dans cette vision des choses : on souhaite que le ministre
de la Justice donne des lignes directrices. Il s'agit de directives
au sens - ça a été précisé
dans les travaux préparatoires - européen du terme.
On donne un cadre, une finalité, mais les moyens sont laissés
à l'appréciation des Parquets généraux.
Dès lors, il est encore clairement établi que le
Ministre de la Justice ne pourra pas intervenir dans des injonctions
négatives dans des affaires individuelles. Donc nous connaissons
une évolution vers plus de concentration entre les mains
du Ministre de la Justice, mais sans que cela porte atteinte,
je pense, à l'indépendance qui était celle
du Ministère public. Cette évolution a été
dictée par un souci de plus de transparence. Le Ministre
de la Justice prendra ces directives qui sont publiques et il
devra en faire rapport annuellement devant les Chambres.
M. ABDULAZIZ, étudiant
en Maîtrise de Droit : Lorsqu'un membre du Ministère
public ne respecte pas les instructions ou les applique mal, comment
cela va-t-il se passer ? Par la voie d'une sanction ? Cela pose
deux problèmes : dans la relation entre le Ministère
public et entre le gouvernement et le tribunal qui devra jouer
le rôle d'arbitre.
Michèle-Laure RASSAT
: Il est là pour ça
M. ABDULAZIZ : Mais dans ce
cas là, qui va définir la politique criminelle ?
Michèle-Laure RASSAT
: Qu'est ce que la politique criminelle ? Je donne une définition.
La politique criminelle naît de ceci : il serait évidemment
souhaitable que l'on poursuive toutes les infractions qui se commettent.
Il n'y a pas un pays au monde où on peut le faire parce
qu'il n'y a pas un système juridictionnel qui ait la capacité
d'absorption pour juger tout cela. Il faut donc faire des choix.
Selon les modes de calcul en France, c'est ou de l'ordre de 80%
ou de l'ordre de 50% des infractions qui sont poursuivies, selon
qu'on tient compte qu'on a découvert l'auteur ou pas, au
niveau policier. On dit souvent 80% mais c'est un peu faussé
car il y a de nombreux cas où la police n'a pas découvert
l'identité. Donc la poursuite étant vouée
à l'échec, on ne l'exerce pas. En pratique, c'est
entre 50 et 60%, mais c'est déjà énorme.
Quand on dit ça au citoyen français, il est horrifié.
A partir du moment où on ne peut pas tout poursuivre, il
faut faire des choix. Non pas on ne poursuit pas du tout, mais
on met l'accent sur ça ou ça. Il est
parfaitement clair aujourd'hui qu'il y a un grand débat
national lancé notamment par un certain nombre de juges
d'instruction pour savoir si on met l'accent sur la corruption,
la délinquance économico-financière ou sur
la violence. C'est ça la politique pénale : décider
qu'on fait de préférence ça, ce qui ne veut
pas dire que l'on ne fait pas du tout le reste. C'est au niveau
du déclenchement. Après le déclenchement,
ce sont les juges de jugement qui jugent, parce que c'est leur
métier, si j'ose dire. Ils ont déjà deux
opinions minimum : celle de l'accusation, du Ministère
public, et celle de la personne qui est poursuivie. Il peut y
en avoir dans notre système une troisième qui est
la victime. Ce que je propose, c'est que les magistrats aient
une quatrième opinion qui viendra s'exprimer devant eux,
qui sera celle du gouvernement. Et puis ils feront leur travail,
au bout du compte ils jugeront.
M. ABDULAZIZ : Ma question porte
sur l'efficacité de la mesure. Dans la mesure où
le gouvernement est seul habilité à définir
la politique pénale, est-ce que le Ministère public
a le droit de passer outre cette politique pénale déjà
définie ?
Michèle-Laure RASSAT
: Tout dépend du système dans lequel vous vous placez.
Si vous restez dans le cadre du droit positif, l'action du gouvernement
n'est pas utile puisque la politique pénale, le gouvernement
l'exprime en donnant des ordres au Parquet. Moi
je me place dans une autre perspective : celle dans
laquelle on accorderait, comme il en est question, toute liberté
d'action au Ministère public. A ce moment-là, pour
faire contrepoids à cette liberté d'action laissé
au Ministère public, je donne au gouvernement la possibilité
soit de déclencher les actions soit d'y intervenir pour
faire entendre son point de vue. Au bout du compte, les juges
jugent.
M. ABDULAZIZ : Si le gouvernement
a un droit d'action en cas de méconnaissance des instructions
qu'il donne par le Ministère public, si cette méconnaissance
n'est pas sanctionnée, quelle sera l'utilité d'une
telle réforme ? Deuxièmement : si le gouvernement
est seul compétent pour définir la politique pénale,
dans le cas d'un conflit de politique pénale entre le Ministère
public et le gouvernement, si ce conflit est soumis à un
juge, n'est-ce pas au juge de partager ?
Michèle-Laure RASSAT
: L'articulation n'est pas là. C'est l'articulation entre
la définition générale et l'intervention
dans des affaires particulières. Beaucoup de personnes
ici disent "Il faut que le gouvernement définisse
d'une façon générale la politique pénale
mais qu'il n'intervienne pas dans les affaires." Je pense
qu'il faut effectivement qu'il définisse d'une façon
générale mais qu'en plus, lorsque telle ou telle
affaire est significative, il intervienne de façon particulière.
Bien entendu, l'action du gouvernement sera très symbolique,
il y en aura peut-être une dizaine ou une quinzaine par
an. Mais lorsqu'il estimera que dans un Parquet il y a des dérapages
qui ne correspondent pas à ses circulaires générales,
il déclenchera l'action ou il interviendra dans l'action
déclenchée par le Ministère public pour bien
montrer que lui, il n'est pas favorable à cette politique
là. Cela étant, je ne comprends pas ce qui vous
choque quand vous dites "Finalement, ce sont les juges de
jugement qui décideront". C'est toujours les juges
de jugement qui décident.
Gilles LUCAZEAU : Juste un mot
à la suite de cette question. Je crois qu'elle pose tout
de même un problème très important, à
savoir le problème du statut de protection du Ministère
public. Là il y a une articulation très délicate
à faire, si l'on reste dans un système de dépendance
du Ministère public, entre le pouvoir attribué ou
donné au Garde des Sceaux, de donner un certain nombre
d'impulsions, sinon d'injonctions, dans le domaine de la politique
pénale et le fait que le Ministère public puisse
être placé en situation d'être jugé
sur son action par le gouvernement, par le pouvoir exécutif
en définitive. Là, il y a un problème tout
à fait fondamental qui conduirait à mon sens à
se tourner vers une réforme, un ajout protecteur au statut
du Ministère public, de façon à ce qu'il
n'y ait pas la possibilité, pour le gouvernement, de prononcer
des mutations, dans l'intérêt du service par exemple.
Il faut que la notion de mutation dans l'intérêt
du service s'appuie sur un contenu beaucoup plus clair qu'il n'est
exprimé actuellement.
Michèle-Laure RASSAT
: Un mot. Je vous ai exprimé tout à l'heure la solution
qui avait ma préférence. Mais ce que je fais dans
le rapport, ce n'est pas cela du tout. Je n'ai pas pris position
dans le rapport : je propose quatre systèmes différents
allant de l'actuel à "de plus en plus de". Or,
il est tout à fait concevable que l'on aligne la situation
statutaire du Parquet sur le siège, je ne l'ai pas exclus.
Donc, on peut parfaitement imaginer ça.
Mme DORY, Président de Chambre à
la Cour d'Appel de Nancy : Vous ne craignez pas que
ce système politise davantage la décision prise
par les magistrats du siège ? Il y aura un combat public
entre le gouvernement et le Ministère public, et les magistrats
du siège auront à prendre position pour ou contre.
Michèle-Laure RASSAT
: Parce que vous vous situez dans une optique délibérément
politique. Moi je vous ai cité un exemple tout à
l'heure qui ne l'était pas.
Mme DORY : Excusez-moi, mais
l'enjeu est tout de même politique, et ouvertement politique
dans le système que vous proposez et ça me semble
extrêmement dangereux.
Michèle-Laure RASSAT
: Moi je ne le vois pas du tout comme ça. Je vous citais
un exemple tout à l'heure qui me paraît extrêmement
brûlant, si j'ose dire, qui est celui de savoir, dans l'affaire
du sang contaminé, s'il y a dans le crime d'empoisonnement
une intention ou non de tuer. Ca ce n'est pas un problème
politique. Vous vous placez dans une perspective politique, moi
pas. J'ai peut-être tort, on est d'accord.
Madame DORY : Aujourd'hui, on
voit que les media, les journaux sont pleins d'interprétations
des décisions judiciaires sur le plan politique. Et je
crois que votre projet précisément est de nature
à accentuer ce phénomène, qui malheureusement
ne va pas dans le sens de l'image de l'impartialité des
magistrats du siège. Et je trouve votre proposition dangereuse
pour ça.
Michèle-Laure RASSAT
: Je comprends très bien mais je répète :
je vous ai énuméré tout à l'heure
un certain nombre de choses qui me paraissent impossibles. Il
me paraît impossible que le gouvernement soit totalement
exclus de l'action judiciaire, ça c'est clair. Vous pouvez
ne pas être d'accord. Moi je veux bien qu'on rende le Ministère
public indépendant : il faut permettre au gouvernement
de faire entendre son point de vue. Il faut que ce soit équilibré.
Francis MARTIN, magistrat du siège
au Tribunal de Grande Instance d'Epinal : Je voudrais
peut-être redonner une dimension plus européenne
à notre débat. Mais avant juste une parenthèse,
Madame le Professeur Rassat. Vous avez dit quelque chose qui en
tant que magistrat m'a beaucoup choqué par cette charge
un peu violente contre le Conseil Supérieur de la Magistrature,
notamment en critiquant le mode électif de nomination de
certains de ses membres. Vous avez dit élection égale
politisation. J'ai envie de vous prendre au mot : Madame Rassat,
indiquez nous quelle est la couleur politique du Conseil Supérieur
de la Magistrature aujourd'hui.
Michèle-Laure RASSAT
: Ce n'est pas le problème
Francis MARTIN : Ce n'est pas
le problème, mais c'est pourtant le problème tel
que vous l'avez posé.
Michèle-Laure RASSAT
: Pas du tout.
Francis MARTIN : Vous avez dit
"Il ne peut pas y avoir d'élection sans politisation
en France". Donc ma question est la suivante, Madame Rassat
: quelle est la couleur politique du Conseil Supérieur
de la Magistrature, dont certains de ses membres sont actuellement
élus ? Je pense que vous répondrez tout à
l'heure à cette question. Mais je veux revenir à
une dimension plus européenne pour notre débat.
Il est vrai qu'à l'heure actuelle en France, je crois qu'un
consensus s'est dégagé au cours de la discussion,
il n'y a pas de politique pénale. Je suis magistrat du
siège depuis dix ans - j'ai été magistrat
sous un gouvernement de gauche, puis sous un gouvernement de droite
- et il est clair que je n'ai vu aucune différence, au
pénal, dans les affaires que j'ai eu à juger. On
est en train de s'obnubiler sur un problème de politique
criminelle, on nous dit que l'indépendance du Parquet n'est
pas possible parce qu'on va avoir trente-trois politiques criminelles
différentes ou cent quatre-vingt une politiques criminelles
différentes, mais c'est déjà le cas. C'est
déjà le cas car chaque Procureur de la République
mène son Parquet comme il l'entend, sous le contrôle
du Procureur Général. Je ne suis pas parquetier,
je ne parle peut-être pas parfaitement en connaissance de
cause, mais en tant que magistrat du siège, je puis vous
assurer que je n'ai jamais discerné l'ombre d'une ombre
de politique pénale dans les dossiers que j'avais à
juger en correctionnelle ou au tribunal de police, c'est évident.
Michèle-Laure RASSAT
: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je vous ai dit
que je le déplorais.
Francis MARTIN : Pour revenir
à une dimension plus européenne et pour donner la
parole à vos invités étrangers, je voudrais
savoir si en Ecosse, en Belgique ou en Allemagne, on ressent également
dans la pratique judiciaire cette absence de politique pénale
ou est-ce que dans la pratique judiciaire, cette politique pénale
se fait sentir réellement.
André VITU : Je souhaiterais
que l'on commence par l'Ecosse, si elle veut bien répondre.
Andrea LOUX : Perhaps, if I
can begin in English. This debate enters in indivudual cases.
We have the same debate in Great-Britain. Même en Angleterre,
mais aussi en Ecosse. The sentence in criminal cases and the politician
say the same thing, that it isn't in the name of the democraty
that the Gouvernment must decide the sentence in individual cases.
But the judges resist and right now, we have an election, and
we can see that the Government is not the best guarantor of liberty
of the people. It is the judges who are independant who are the
guarantee of the opinion and the liberty of individuals. Because
we see right now during an election, it is not possible to say
certain things, because we have a war against criminals. And it
is not possible during an election to stand up for liberty in
England now. Ce sont les juges qui défendent la liberté
en Grande -Bretagne - vous le savez, nous n'avons pas une Constitution
qui est écrite - le droit de l'homme est dans notre système.
Bien évidemment que les partis politiques ne peuvent pas
défendre les droits individuels, les droits des citoyens.
C'est le juge qui défend le droit des citoyens, et je crois
que le juge n'est pas élu, mais il a un sens vraiment public,
en ce qui concerne la liberté des citoyens en Grande- Bretagne
Francis HUMBERT : Je suis extrêmement
surpris de voir que dans ce débat sur l'indépendance
du Parquet, nul n'a songé à rappeler le vieil l'adage
: "La plume est serve, mais la parole est libre"
André VITU : Monsieur
le Bâtonnier, je me permets de vous dire que juristes nous
sommes, juristes nous savons cet adage par coeur. Il était
même le soubassement de nos interventions. Je pense même
avoir dit tout à l'heure quand je débutais mon exposé
: "La parole est libre". Je n'ai peut-être pas
cité la première partie de l'adage, mais j'ai dit
"La parole est libre".
Francis HUMBERT : Justement,
parce qu'on parle de l'implication politique de certaines affaires,
je voudrais citer une affaire qui s'est déroulée
devant la Cour d'Appel de Nancy il y a déjà assez
longtemps mais qui est restée très célèbre.
Venait devant la chambre correctionnelle de la Cour une affaire
qui avait de très profondes implications politiques. Et
l'Avocat Général a lu un réquisitoire implacable
contre les prévenus, demandant l'aggravation des peines
prononcées en première instance. Et puis, ayant
lu son réquisitoire, il a dit : "Mais maintenant,
je vais vous donner mon avis". Et il a longuement plaidé
pour demander à la Cour la relaxe des prévenus.
André VITU : Nous avons
tout à l'esprit une affaire (inaudible...) L'Avocat Général
qui près de cette Cour représentait le gouvernement
n'a pas requis cette peine, et on sait les suites que ça
a entraîné pour sa carrière. C'est un exemple
que l'on peut citer qui peut-être tombera dans l'oubli,
mais que l'on peut rappeler : il y a des injonctions qui sont
données et le Ministère public marque son indépendance,
et garde la liberté de parole. Il prend les réquisitions
à l'audience qu'il croit "nécessaires pour
le bien de la justice", c'est la formule qu'on emploie souvent
pour traduire cette liberté de la parole.
Michèle-Laure RASSAT
: J'ai changé les choses, mais dans mon esprit pour les
améliorer. Je comprends qu'on soit attaché à
l'histoire. Mais cette séparation de l'écrit et
de la parole, ça correspond à quoi ? Ce qu'il faut,
c'est que le Ministère public, si on le maintient bien
entendu dans un système d'ordres, exécute ce qu'on
lui dit et après puisse faire connaître son avis.
Pourquoi distinguer par écrit et oralement ? Donc, moi
j'ai franchi le pas, j'ai écrit qu'il doit, dans le système
où il se maintient dans un système d'ordres, je
répète, qu'il doit exécuter les ordres et
qu'ensuite il fait connaître son avis. Mais qu'est-ce qui
empêche de le faire connaître dans la procédure
écrite, en disant "Voilà ce qu'on m'a dit de
dire, mais maintenant je vais vous donner mon avis, et également
dans la procédure orale". Ce qui m'a choquée
dans cette affaire, c'est la séparation qu'on veut faire
entre l'écrit et l'oral, que je supprime en la remplaçant
par le fait que, à chaque fois, on exécute l'ordre,
et après on dit ce qu'on en pense, que ce soit par écrit
et oralement.
M. WOLFF : Je voudrais vraiment
rentrer dans le vif du sujet. Je voudrais vous demander, à
Monsieur Lucazeau ainsi qu'à vous, si vous avez entendu
parler d'une certaine lettre de Monsieur Toubon, Ministre de la
Justice, du 4 août 1995, envoyée à son vis-à-vis
suisse, une lettre demandant, par rapport aux juges d'instruction
qui faisaient des enquêtes en Suisse, en Belgique, ou dans
d'autres pays européens, de limiter seulement aux cas d'urgence
les correspondances entre les juges d'instruction français
et les juges d'instruction suisses. Je voudrais vous demander
ce que vous pensez de cette lettre et si ce n'est pas justement
la marque...
Michèle-Laure RASSAT
: Moi je veux bien répondre.
Gilles LUCAZEAU : Mme Rassat,
je vous laisse le soin d'entamer, je vous répondrai après.
Michèle-Laure RASSAT
: Monsieur, nous avons tous tendance, mais ça c'est une
tendance humaine, à trouver que ce que nous faisons, c'est
ce qu'il y a de mieux, de plus beau, que c'est le centre du monde.
Moi comme vous, bien entendu. Cela étant, il ne faut pas
croire que la justice est le pilier central des rapports entres
Etats. Il y a des règles, cela s'appelle le droit international
public, et des règles diplomatiques. Ce que Monsieur Toubon
a fait, dans la lettre à laquelle vous faites allusion,
c'est rappeler, pour éviter les difficultés avec
nos voisins, les règles diplomatiques. Cela étant,
il a immédiatement mis en oeuvre une procédure pour
faire changer les choses, mais par la voie normale, qui est la
voie diplomatique. C'est tout
M. WOLFF : Mais c'est quand
même une intervention du Garde des Sceaux dans la justice,
c'est incontestable !
Michèle-Laure RASSAT
: Non, c'est une intervention d'un Ministre du Gouvernement de
la République sur un problème diplomatique..
M. WOLFF : Oui, mais il met
des met des embûches pour les juges d'instruction qui veulent
faire des enquêtes sur les fraudes fiscales...
Michèle-Laure RASSAT
: Je vous répète, et je me demande même si
l'accord n'est pas déjà fait, qu'il a rappelé
les principes du droit positif à un moment donné
et considérant qu'ils n'étaient pas bons, immédiatement
il a mis en route ce qui devrait les changer. Il a autrement dit
respecté le droit.
M. WOLFF : Je voudrais savoir,
du point de vue européen justement, si en Belgique, en
Ecosse ou Angleterre....
Rik VANDEPUTTE : On respecte
les conventions internationales. La voie directe entre les juges
d'instruction et le Parquet n'est que dans des affaires urgentes.
Si on trouve que ce n'est pas bon, on n'a qu'à changer
les conventions, mais ce n'est pas aux juges ni au Parquet de
changer les conventions internationales.
Michèle-Laure RASSAT
: C'est bien évident.
M. WOLFF : Vous avez bien dit
qu'en Belgique, par exemple, le ministre de la Justice belge ne
peut pas faire des mesures d'injonction négative
Michèle-Laure RASSAT
: Mais ça n'a aucun rapport !
Gilles LUCAZEAU : Derrière
votre question, Monsieur, peut-être se profilait l'intervention
du Procureur Général Monsieur Bertossat sur le problème
des relations directes. Alors je pense, comme Madame Rassat et
comme notre intervenant Monsieur l'Avocat Général
Vandeputte qu'il y a des conventions et qu'on ne peut pas tourner
ces conventions. Simplement ce problème fait apparaître
à l'heure actuelle, me semble-t-il, et pour quelques années
à venir, sans doute assez nombreuses, les difficultés
auxquelles nous nous heurterons pour la construction d'une Europe
judiciaire. Ca me paraît aller de soi. C'est un constat
que je fais là. Je voudrais simplement apporter une contradiction
brève à mon collègue Monsieur Martin tout
à l'heure sur l'absence de politique pénale. Vous
étiez d'ailleurs conforté je crois par Mme Rassat.
Je m'inscris un peu en faux contre cela. Sans doute vous ne la
palpez pas, ni les uns ni les autres on ne la palpe tous les jours,
cette politique pénale ; il y a des politiques pénales,
me semble-t-il, successives, et je ne peux pas laisser se propager
cette idée qu'en réalité il n'y en a pas.
Ca reviendrait à dire que le Ministère public est
inutile d'ailleurs. Finalement, l'indépendance du Ministère
public, n'est-ce pas en même temps d'une certaine manière,
l'inutilité du Ministère public ? Je crois que ce
n'est pas très loin de cette question là. On ne
peut pas laisser dire cela parce que personnellement, je la vis
tous les jours, cette existence [d'une politique pénale]
avec les Procureurs de la République. Au niveau du Parquet
Général, vous savez bien que nous avons un devoir,
c'est la mission qui nous est impartie même si elle n'est
pas simple, d'harmonisation des politiques entre les Parquets.
Il y a, et vous avez parfaitement raison, cent quatre-vingts Parquets
et cent quatre-vingt politiques pénales, ça c'est
vrai, mais la réalité c'est que nous devons tendre
à une harmonisation de ces politiques dans le cadre au
moins d'un ressort régionalisé qui est celui de
la Cour d'appel. C'est la mission du Ministère public qui
tient quelque part quand même à un morceau de puissance
publique, permettez-moi cette expression.
Mlle COLIN, étudiante en maîtrise
: J'ai écouté Monsieur Lucazeau et je voudrais lui
poser la question, puisqu'il y vient, de savoir justement, à
partir du moment où on rend le Parquet indépendant,
quelle légitimité il va avoir.
Gilles LUCAZEAU : Je crois qu'il
faudra plus qu'un débat comme celui de ce soir pour le
savoir. La légitimité, quelle est-elle ? La légitimité
du Ministère public, elle est à l'heure actuelle
à mon sens une légitimité qui a un fondement
historique. Mais j'ai un peu l'impression de m'en tirer par une
pirouette en vous disant cela, parce que c'est un peu simple.
Et c'est vrai que si l'on se pose la question d'une nouvelle recomposition
des pouvoirs du Ministère public, on repose la question,
comme vous le faites, inévitablement de la légitimité
du Ministère public. Faudra-t-il trouver un autre organe
représentatif, un autre organe directif que celui du Garde
des Sceaux ? Toutes les questions sont posées. Monsieur
le Procureur ?
M. FINIELZ, Procureur de la République
à Nancy : La légitimité du juge
ne suffit-elle pas au Parquet ?
Gilles LUCAZEAU : La légitimité
du juge ne suffit-elle pas au Parquet pour y répondre,
voulez-vous dire ?
M. FINIELZ : Je ne suis pas
tout à fait d'accord avec le lien qui est fait entre la
légitimité et l'indépendance. Et je voudrais
dire une petite chose rapidement : il me semble que dans le problème
d'indépendance du Parquet, il y a quand même un problème
statutaire qui est important et qu'on ne peut pas avoir un Parquet
qui soit indépendant, c'est-à-dire indépendant
des pressions qui peuvent s'exercer sur lui par le pouvoir. Madame
le Professeur, vous avez parlé des rapports entre le Parquet,
la loi et le gouvernement, c'est vrai, mais le Parquet est là
quand même pour appliquer la loi, défendre la loi,
mais il ne serait pas normal que cette loi il ne l'applique pas
parce qu'il y a des injonctions contraires du gouvernement et
qui ne pourraient pas se justifier par des notions de politique
pénale ou autre. Et par conséquent il me paraît,
au travers de l'indépendance du Parquet, qui est quand
même nécessaire, important d'assurer par le biais
du statut une indépendance du Parquet par rapport au pouvoir
exécutif.
Michèle-Laure RASSAT
: Je voudrais répondre à Madame Dory, parce que
je crois que finalement elle a raison. Je vais lui dire pourquoi
j'ai abouti à cette solution. Dans ma thèse j'avais
prévu de doubler systématiquement le Ministère
public, c'est-à-dire que dans chaque Parquet, il y aurait
eu le procureur actuel et un fonctionnaire représentant
le gouvernement. Donc là, l'action du gouvernement n'aurait
pas eu cet aspect. Pourquoi j'ai renoncé à ça
? Parce que si c'est ça que je propose, c'est clair, on
ne l'aura jamais. Maintenant j'ai compris ce que c'était
qu'un problème budgétaire, donc je sais que ce ne
sera pas possible. Et puis surtout, c'est complètement
inutile, parce que dans neuf mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf
cas sur dix mille, il n'y a pas de problème. Donc, ne créons
l'action que pour le cas où il y a un problème justement.
Je sais pas si je vous ai rassurée...Vous préféreriez,
en admettant qu'il n'y a pas de problème budgétaire,
qu'il y ait un fonctionnaire de l'Etat dans chaque Parquet ? Il
y aurait moins l'aspect de politisation que vous dénonciez
tout à l'heure.
Mme DORY : Absolument. Surtout
dans le contexte actuel.
Michèle-Laure RASSAT
: Je me suis rabattue là-dessus.
Mme DORY: La magistrature montre
un certain courage en intervenant dans des domaines où
on ne l'a jamais vue jusqu'alors intervenir et où elle
est accusée justement de plus en plus d'entreprendre une
action...
Michèle-Laure RASSAT
: Chère Madame, si nous devions nous préoccuper
de ce que pensent les médias, on ne ferait plus rien, et
croyez bien que je vous parle en connaissance de cause.
Mme DORY : C'est quand même
important de tenir compte de l'opinion publique. Je crois que
c'est la nation, quelque part.
Michèle-Laure RASSAT
: Oui, mais les média, ce n'est pas l'opinion publique.
Heike JUNG : J'ai écouté
avec beaucoup d'intérêt, et le fait que nos deux
institutions se ressemblent peu ou prou peut-être me donne
une certaine légitimation pour me mêler à
cette querelle, dirais-je, de base. Légitimation, c'est
un mot que j'utilise avec beaucoup de précautions. Parce
que pour moi, tout dépend du niveau sur lequel on parle
et je vois un seul niveau, c'est le niveau constitutionnel. Et
sur le niveau constitutionnel, on peut très bien se demander
si la légitimation du Ministère public est une légitimation
qui découle du rôle politique parlementaire démocratique
de son Ministre. Je crois que c'est la seule légitimation
d'une instruction externe, parce que c'est le Ministre qui est
responsable. Mais je crois que c'est une position dépassée.
Parce que ces questions, de nos jours, ne peuvent plus être
traitées comme des questions qui sont susceptibles d'être
votées. Et c'est pourquoi Madame, je ne suis pas d'avis
que la question du sang contaminé puisse être parlementarisée
ou décidée sur un niveau gouvernemental. Parce que
c'est une question qui à mon avis est en fin de compte
décidée dans un état de droit par la loi
; et la loi peut être changée, supervisée
par une loi constitutionnelle. Les parlementaires peuvent exprimer
une certaine position, le gouvernement peut exprimer une position,
mais à mon avis le gouvernement ne peut pas trancher la
question lui-même. Je vois quand même un problème
dans des cas particuliers. Vous avez parlé de la concrétisation
de la politique pénale. Et là, il n'y a pas forcément
le problème, disons du sang contaminé, mais il y
a le problème d'un Parquet qui résiste à,
par exemple, renforcer le droit positif en matière de pollution,
de droit de l'environnement, une matière où il n'y
a pas peut-être de victime personnelle. Il y a un vrai problème,
parce qu'il ne faut pas oublier que la victime peut être
dans beaucoup de cas un contrepoids. Si la victime personnelle
n'existe pas, on peut très bien concevoir la nécessité
d'un acteur, mais de nouveau, ça ne doit pas être
forcément le Ministre, ça peut être un juge,
ça peut être aussi comme on l'a envisagé dans
d'autres pays un comité parlementaire, Mais il y là
à mon sens le seul problème où il faut concevoir
une institution qui met pour ainsi dire le Ministère public
en marge. Autrement je ne vois pas que ce soit nécessaire
; en particulier cette idée de doubler les parties poursuivantes
en ajoutant un représentant du gouvernement me pose un
problème du point de vue de l'accusé. Mais je pense
qu'on va continuer de discuter ça après notre séance.
Yves STRICKLER : A propos de
cette question de l'indépendance du Parquet, j'ai parfois
le sentiment que lorsqu'on dit que l'on va donner son indépendance
au Parquet, on va forcément lui retirer sa légitimité.
En réalité, il semblerait alors que l'on envisage
une légitimation, un pouvoir, uniquement par le biais d'une
élection, de façon directe ou indirecte. En réalité,
regardez, on a parlé tout à l'heure des juges du
siège. Les magistrats du siège, sauf erreur de ma
part, statuent au nom du peuple français, ce qui ne les
empêche pas d'être indépendants. Sur ce point,
comme l'a d'ailleurs magistralement démontré le
doyen Wiederkehr très récemment dans une contribution
aux mélanges Perrot, ce statut protecteur ne va pas non
plus lui conférer sa légitimité. En réalité,
les garanties qui sont mises en oeuvre vont permettre au magistrat
d'agir, d'exercer sa fonction, et ainsi d'acquérir par
lui-même sa légitimité. Une même réflexion
peut être tenue concernant les membres du Parquet puisque
les magistrats du Parquet exercent leur action au nom de la société,
et de ce point de vue le gouvernement lui aussi bien sûr
poursuit l'intérêt général. Et je me
demande si sous cet angle le lien de dépendance que l'on
analyse entre le Parquet et le gouvernement ne doit pas être
plutôt envisagé sous un angle d'équilibre
des pouvoirs plutôt que sous un angle de légitimité.
Alain COURTOIS, Conseiller à la Cour d'Appel de Nancy : donc magistrat du siège. Je souhaiterais simplement avoir une explication sur la possibilité de ne pas caractériser comme politique la décision d'une juridiction du siège - elle serait je l'espère collégiale dans ce cas là, et non pas malheureusement avec la dérive actuelle en juge unique - d'une juridiction du siège qui aurait tranché dans l'hypothèse qui a été tout à l'heure abordée, entre deux thèses ou plusieurs qui lui auraient été soumises, mais notamment celle d'un Ministère public nouvelle mouture et celle d'un agent du gouvernement. Supposons que la juridiction du siège donne à ce litige une solution qui soit contraire à la position du gouvernement. Qu'en résulte-t-il, sinon une décision politique, et surtout, dans la mesure où le gouvernement est l'exécutif, n'en résulte-t-il pas le fait que, le gouvernement censuré par les juges, le pays se trouve alors, ce que les juges n'ont jamais demandé ni souhaité, gouverné par eux ?
L'autre question que je voudrais qu'on
aborde ultérieurement, parce que ça intéresserait
le point de vue de nos invités étrangers, c'est
dans la mesure où se reposerait le problème de la
légitimité des membres du Ministère public
si l'on change ou leur statut et leur pouvoir ou l'un ou l'autre,
c'est de savoir si on ne se trouverait pas dans l'obligation de
changer les règles de procédure pénale. Est-ce
qu'il n'y a pas un risque de glissement dans le cadre de la modification
du Ministère public vers un statut de partie au procès,
qui est très différent de son statut actuel, et
donc par la même, comme certain des Parquetiers l'ont déjà
dit, un glissement probablement incontrôlé et peut-être
non voulu, mais extrêmement difficile à gérer
en France, vers la procédure accusatoire, qui est le meilleur
moyen probablement de bloquer la justice pénale en France.
André VITU : Il semblerait
qu'il n'y ait pas de réponse...
Gilles LUCAZEAU : En tout cas
il y a une position qui est la mienne sur ce point, si je peux
l'exprimer. En réponse à Monsieur le Conseiller
Courtois, je trouve son intervention, sur le dernier point en
tout cas, tout à fait fondamentale, parce qu'à mon
sens elle est au coeur du débat. Est-ce qu'en posant le
problème de l'indépendance du Parquet, on n'arrive
pas, par un chemin détourné, à la perpective
de la procédure accusatoire ? J'ai toujours imaginé
que l'indépendance du Parquet, c'est quelque chose qui
doit ou qui pourrait à terme aboutir à une forme
de procédure accusatoire, dans la mesure où à
ce moment là, le Parquet devient une partie comme une autre
dans le cadre d'un procès, puisqu'il est détaché
de tout lien particulier de la puissance publique. Je vous rejoins
tout à fait sur ce point.
Heike JUNG : Je regrette, mais
je suis totalement opposé, parce que je ne vois aucun lien.
L'indépendance du Parquetier est une conséquence,
si on opte pour l'indépendance, d'un pouvoir accru, d'une
certaine émancipation de son statut. Et aussi peut-être
qu'on pourrait dire que cette indépendance découle
d'une conception d'un état de droit. Je ne vois pas que
nous ayons déjà une procédure accusatoire,
en ce sens que l'accusation vient du Ministère public.
Et à partir du moment où ce Ministère public
est un personnage indépendant, il peut peut-être
encore mieux rechercher à charge et à décharge.
Alors au contraire, je me pose la question de savoir si l'indépendance
du Parquet n'est pas même requise par cette forme de la
loi qui se trouve en Allemagne, en France, en Italie, parce qu'on
peut très bien concevoir un personnage dans une hiérarchie
qui est donc destinataire d'une certaine politique criminelle
ou d'un esprit de corps qui va plutôt vers - je sais que
les procureurs ici présents ne tombent jamais dans ce piège
- mais qui va plutôt dans une perpective de trouver les
charges. Alors là, je suis même d'avis que l'indépendance
servirait cette cause.
André VITU: Je pense
que vu l'heure déjà avancée et sauf nouvelle
intervention de la salle, il faut mettre un terme à notre
débat. Un terme à notre débat ce n'est pas
vrai, car nous n'avons pas fini d'en parler. Le débat n'a
fait que commencer, il se poursuivra autour d'autres tables, dans
les couloirs. Je remercie tous ceux qui, étrangers et français,
ont accepté d'être parmi nous. Je remercie également
l'auditoire si studieux, si compétent, qui a bien voulu
participer à nos discussions. Ceci étant, j'ajouterais
que je remercie également l'intendance, qui a beaucoup
fait pour la préparation de cette table ronde. A tous,
je dis un chaleureux merci.
Art. 1er L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.
Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie
lésée, dans les conditions déterminées
par le présent code.
Art. 34 Le procureur général représente en
personne ou par ses substituts le ministère public auprès
de la cour d'appel et auprès de la cour d'assises instituée
au siège de la cour d'appel, sans préjudice des
dispositions de l'article 105 [art. L. 153-1]
du Code forestier et de l'article 446 [art. L.
238-2] du Code rural. Il peut, dans les mêmes
conditions, représenter le ministère public auprès
d'autres cours d'assises du ressort de la cour d'appel.
Art. 35 Le procureur général est chargé de veiller à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel.
A cette fin, il lui est adressé tous les mois, par chaque procureur de la République, un état général des affaires de son ressort.
Le procureur général a, dans l'exercice de ses fonctions,
le droit de requérir directement la force publique.
Art. 36 Le ministre de la justice peut dénoncer
au procureur général les infractions à la
loi pénale dont il a connaissance, (L. n° 93-1013
du 24 août 1993) " lui enjoindre, par instructions
écrites et versées au dossier de la procédure,
d'engager ou de faire engager des poursuites " ou de saisir
la juridiction compétente de telles réquisitions
écrites que le ministre juge opportunes.
(Abrogé par L. n° 93-1013 du 24 août 1993)
(L. n° 93-2 du 4 janv. 1993) " Les instructions du
ministre de la justice sont toujours écrites. ".
Art. 37 Le procureur général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel.
A l'égard de ces magistrats, il a les mêmes prérogatives
que celles reconnues au ministre de la justice à l'article
précédent.-Pr. pén. C. 79.
Art. 38 Les officiers et agents de la police judiciaire
sont placés sous la surveillance du procureur général.
Il peut les charger de recueillir tous renseignements qu'il estime
utiles à une bonne administration de la justice.-Pr. pén.
C. 79
Art. 39 Le procureur de la République représente en personne ou par ses substituts le ministère public près (Ord. n° 58-1296 du 23 déc. 1958) "le tribunal de grande instance", sans préjudice des dispositions de l'article 105 [art. L. 153-1] du Code forestier et de l'article 446 [art. L. 238-2] du Code rural.
Il représente également en personne ou par ses substituts le ministère public auprès de la cour d'assises instituée au siège du tribunal.
(Ord. n° 60-529 du 4 juin 1960) " Il représente
de même, e, personne ou par ses substituts, le ministère
public auprès du tribunal de police dans les conditions
fixées par l'article 45 du present code."
Art. 40 (L. no 85-1407 du 30 déc. 1985) " Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de l'affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. "-Entrée en vigueur le 1er févr. 1986.
Toute autorité constituée, tout officier public
ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert
la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en
donner avis sans délai au procureur de la République
et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,
procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.- Pr.
pén. C 81 d C 83.
TITRE VIII: De l'autorité judiciaire
Article 64
Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.
Une loi organique porte statut des magistrats.
Les magistrats du siège sont inamovibles.
Article 65
Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.
(Loi constitutionnelle ndeg. 93-952 du 27 juillet 1993) "Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du parquet.
"La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'Etat, désigné par le Conseil d'Etat, et trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat.
"La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats
du parquet et un magistrat du siège, le conseiller d'Etat et les trois personnalités mentionnées à l'alinéa précédent.
"La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance.
Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.
"Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.
"La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis pour les nominations concernant les magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres.
"Elle donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation.
"Une loi organique détermine les conditions d'application
du présent article."
Article 66
Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle,
assure le respect de ce principe dans les conditions prévues
par la loi.
permettant aux
contribuables des collectivités
territoriales d'agir en justice en leur nom
lorsque leur intérêt direct ou indirect
est en cause,
(Renvoyée à la commission
des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut
de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
MESDAMES, MESSIEURS,
L'actualité récente concernant
les affaires de corruption et de financements politiques illégaux
montre que les poursuites judiciaires ont un déroulement
parfois aléatoire. Or la justice doit être la même
pour tous les citoyens et il n'est pas acceptable que tel ou tel
dossier puisse être freiné ou même bloqué.
En effet, l'ouverture des enquêtes
dépend d'une décision du procureur de la République
et celui-ci est tributaire du pouvoir politique, ainsi que de
l'influence qu'ont localement les élus importants, susceptibles
d'être mis en cause.
Une seule solution simple à ce problème
important pour la démocratie serait que tout contribuable
puisse se porter partie civile. Ce n'est pas possible actuellement
même si, dans le cas d'une commune, un contribuable a d'éventuelles
possibilités d'action.
Cependant, cette faculté s'appliquant
uniquement aux communes s'avère de plus limitée
par des dispositions excessivement restrictives. La jurisprudence
récente montre ainsi que même en cas de malversations
évidentes, le tribunal administratif peut refuser l'autorisation
au motif que l'intérêt financier de la ville n'est
que faiblement engagé.
La procédure actuelle relève
en effet d'une démarche compliquée (il faut notamment
attendre quatre mois puis obtenir l'aval du tribunal administratif).
Elle est également hypothétique et souvent rendue
impossible car les tribunaux administratifs exigent qu'il y ait
un intérêt très important en jeu et des éléments
de preuve sérieux. Or, c'est précisément
l'objet de l'enquête judiciaire que de mettre en évidence
l'ampleur des malversations et de rassembler les preuves nécessaires.
La présente proposition de loi vise
donc à permettre aux contribuables de toutes les collectivités
territoriales (voire des établissements publics de coopération
intercommunale) d'agir directement et plus librement en justice
à leurs frais et risques au nom de ces collectivités
territoriales, dès lors qu'ils estiment qu'un intérêt
direct ou indirect de celles-ci est en cause.
Telles sont les raisons pour lesquelles
nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente
proposition de loi.
L'article L. 2132-5 du code général
des collectivités territoriales est ainsi rédigé:
" Art. L 2132-5. - Tout contribuable
inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer librement,
tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques,
les actions qu'il croit appartenir à la commune, ou à
l'établissement public de coopération intercommunale
dont elle fait partie, et que cette commune ou cet établissement,
préalablement appelé à en délibérer
dans un délai de trente jours, a refusé ou négligé
d'exercer. "
Les articles L. 2132-6 et L. 2137-7 du code
général des collectivités territoriales sont
abrogés.
Après l'article L. 3221-10 du Code
général des collectivités territoriales,
il est inséré un article L. 3221-11, ainsi rédigé:
" Art. L 3221. - Les dispositions de
l'article L. 3132-5 du présent code sont applicables aux
contribuables des départements. "
Après l'article L. 4231-7 du code
général des collectivités territoriales,
il est inséré un article L. 4231-8 ainsi rédigé:
" Art. L 4231-8. - Les dispositions
de l'article L. 2132-5 du présent code sont applicables
aux contribuables des régions. "
La présente loi règle une matière visée
à l'article 77 de la Constitution.
Un article 143bis, rédigé comme suit, est inséré dans le Code judiciaire :
" Art 143 bis. 1er. Les procureurs
généraux près les cours d'appel forment ensemble
un collège, appelé collège des procureurs
généraux, qui est placé sous l'autorité
du ministre de la Justice. La compétence du collège
s'étend à l'ensemble du territoire du Royaume et
ses décisions engagent les procureurs généraux
près les cours d'appel et tous les membres du ministère
public placés sous leur surveillance et leur direction.
§2. Le collège des procureurs
généraux décide par consensus de toutes les
mesures utiles en vue :
1° de la mise en oeuvre cohérente et de la coordination de la politique criminelle déterminée par les directives visées à l'article 143ter, et dans le respect de leur finalité;
2° du bon fonctionnement général et de la coordination du ministère public.
Si aucun consensus ne peut être dégagé
au sein du collège, et si l'exécution des directives
du ministre relatives à la politique criminelle est ainsi
mise en péril, le ministre de la Justice prend les mesures
nécessaires pour assurer leur application.
§3. Le collège des procureurs généraux est en outre chargé d'informer le ministre de la Justice et de lui donner avis, d'initiative ou à sa demande, sur toute question et rapport avec les missions du Ministère public.
A défaut de consensus, les avis expriment les différentes opinions exposées au sein du collège.
§ 4. Pour l'exécution de ses missions, le collège peut requérir l'aide de membres du ministère public près les cours d'appel.
§ 5. Le collège des procureurs généraux se réunit au moins une fois par mois, de sa propre initiative ou à la demande du ministre de la Justice.
Le ministre de la Justice, ou en cas d'empêchement, son délégué, assiste aux réunions du collège lorsqu'elles portent sur des compétences visées à l'article 148 ter et lorsque le collège se réunit à sa demande dans le cadre de l'exercice des compétences mentionnées au § 2.
Le ministre préside les réunions du collège auxquelles il assiste.
Pour l'exercice des compétences du
collège, et après concertation avec celui-ci, le
Roi peut confier à chacun de ses membres des tâches
spécifiques.
§ 6. Le Roi règle les modalités
de collaboration entre le collège et les services placés
sous l'autorité du ministre de la Justice.
§ 7. Le collège fait annuellement
rapport au ministère de la Justice. Ce rapport contient
la description de ses activités, l'analyse et l'évaluation
de la politique des recherches et des poursuites pour l'année
écoulée et les priorités pour l'année
à venir.
Le rapport est communiqué aux Chambres
législatives par le ministre de la Justice et est rendu
public.
§ 8. La présidence est assurée, à tour de rôle, pour chaque année judiciaire, successivement par les procureurs généraux près les cours d'appel d'Anvers, de Mons, de Bruxelles, de Gand et de Liège. Avec accord de tous les membres du collège, il peut être dérogé à l'alternance entre procureurs généraux appartenant à un même régime linguistique.
Le procureur général qui assume
la présidence fixe l'ordre du jour et l'organisation des
réunions. Sous son autorité, le secrétariat
est dirigé par un directeur qui participe à toutes
les réunions du collège. Celui-ci transmet les ordres
du jour et les rapports des réunions de collège
des procureurs généraux au ministre de la Justice,
aux membres du collège, aux procureurs du Roi, aux auditeurs
du travail et aux magistrats nationaux.
§ 9. En cas d'absence ou d'empêchement d'un membre du collège des procureurs généraux, il est remplacé conformémément à l'article à l'article 324, alinéa 1er.
Sans préjudice de l'alinéa
précédent, en cas d'absence ou d'empêchement
du président, la présidence est assumée par
le procureur général la plus ancien au rang du même
régime linguistique. "
Art. 3
Un article 143ter, rédigé comme suit, est inséré dans le même Code :
" Art. 143ter. Le ministre de la Justice arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite après avoir pris l'avis du collège des procureurs généraux.
Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du ministère public.
Les procureurs généraux près
les cours d'appel veillent à l'exécution des ces
directives au sein de leur ressort. "
ART. 153. Le Roi nomme et révoque
les officiers du ministère public près des cours
et des tribunaux.
Art. 137. Le ministère public remplit
les devoirs de son office dans le ressort territorial de la cour
ou du tribunal près lesquels il est établi, sauf
les cas où la loi en dispose autrement.
- Tous les magistrats du parquet auprès
d'une juridiction constituent de manière indivisible le
ministère public de cette juridiction. Cass. 9 mai 1990,
pas. p. 1034
Art. 138. Sous réserve des dispositions
de l'article 141, le ministère public exerce l'action publique
selon les modalités déterminées par la loi.
Dans les matières civiles, il intervient
par voie d'action, de réquisition ou d'avis. Il agit d'office
dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque
fois que l'ordre public exige son intervention.
- C.j. 1052
- Le ministère public est recevable
à interjeter appel d'une décsion rendue en matière
civile lorsque l'ordre public est mis en péril par un état
de choses auquel il importe de remédier. Cass. 14 septembre
1989, Pas. 1990, p. 55.
- Cette intervention appartient exclusivement au ministère public et non à l'Etat belge, fût-il représenté par le ministre de la justice.
Cass. 14 février 1980, Pas. 696.
Dans toutes les contestations qui relèvent
de la compétence des juridictions du travail, le ministère
public près les juridictions du travail peut requérir
du Ministre ou des institutions ou services publics compétents
les renseignements administratifs nécessaires. Il peut
à cet effet requérir le concours des fonctionnaires
chargés de l'autorité administrative compétente
de contrôler l'application des dispositions légales
et réglementaires prévues aux articles 578 et 583.
Art. 139. Le Ministère public poursuit
d'office l'exécution des décisions judiciaires dans
toutes les dispositions qui intéressent l'ordre public
; et en ce qui concerne les particuliers, il peut, sur la demande
qui lui en est faite, soit enjoindre aux huissiers de justice
de prêter leur ministère, soit requérir main-forte
lorsqu'elle est nécessaire.
Il peut aussi requérir les travaux
nécessaires pour l'exécution des jugements, à
charge d'en faire payer le prix ordinaire à l'entrepreneur
de l'ouvrage.
Art. 140. Le ministère public veille
à la régularité du service des cours et tribunaux.
Art. 141. Le procureur général près la Cour de cassation n'exerce pas l'action publique, sauf lorsqu'il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation.
- C.j. 409, 410.
Art. 142. Les fonctions du ministère
public près la Cour de cassation sont exercées sous
l'autorité du Ministre de la justice, par le procureur
général.
Le procureur général est assisté
par des avocats généraux qui exercent leurs fonctions
sous sa surveillance et sa direction.
Le plus ancien des avocats généraux
porte le titre de premier avocat général.
Art. 143. Il y a un procureur général
près chaque cour d'appel.
Il exerce, sous l'autorité du Ministre
de la justice et à l'intervention du Ministre qui a le
travail dans ses attributions pour les matières qui sont
de la compétence des juridictions du travail, toutes les
fonctions du ministère public près la cour d'appel,
la cour du travail, les cours d'assises et les tribunaux de son
ressort.
Le procureur général porte
la parole aux chambres assemblées et aux audiences solennelles
de la cour d'appel et de la cour du travail ; aussi aux audiences
des chambres, quand il le juge convenable.
Art. 144. Le procureur général
est assisté, à la cour d'appel, par des avocats
genéraux et par des substituts du procureur général
qui exercent leurs fonctions sous sa surveillance et sa direction.
Le plus ancien des avocats généraux
porte le titre de premier avocat général.
Le Roi peut autoriser les substituts du
procureur général ayant huit années de fonction
en cette qualité à porter le titre d'avocat général.
Art. 145. Il y a un auditorat général
du travail au siège de chaque cour du travail. Un ou plusieurs
avocats généraux ainsi qu'un ou plusieurs substituts
généraux sont nommés près cette cour
pour y exercer, sous la surveillance et la direction du procureur
général, les fonctions du ministère public.
Le plus ancien des avocats généraux porte le titre de premier avocat général.
(L. 7 juillet 1975, art. unique.
Le Roi peut autoriser les substituts généraux ayant
huit années de fonction à porter le titre d'avocat
général.)
Art 146. Les avocats généraux
près la cour d'appel et les avocats généraux
près la cour du travail sont spécialement chargés
de porter la parole au nom du procureur général
aux audiences, respectivement de la cour d'appel et de la cour
du travail.
Art. 147. Les substituts du procureur général
sont spécialement chargés, sous la direction du
procureur général, de l'examen et des rapports sur
les mises en accusation ; ils rédigent les actes d'accusation
et assistent le procureur général dans toutes les
parties du service intérieur du parquet.
Lorsque les nécessités du
service le justifient, le procureur général peut
les charger d'exercer temporairement les fonctions des avocats
généraux.
Art. 148. Les procureurs généraux
exercent sous l'autorité du Ministre de la Justice, la
surveillance sur tous les officiers de police judiciaire et officiers
publics et ministériels du ressort.
Art 149. Les fonctions du ministère
public près la cour d'assises sont exercées par
le procureur général ; il peut déléguer
un membre du parquet général ou du parquet du procureur
du Roi au siège duquel les assises sont tenues.
Art. 150. Il y a un procureur du Roi au
siège de chaque arrondissement.
Il exerce, sous la surveillance et la direction
du procureur général, les fonctions du ministère
public près le tribunal d'arrondissement, près le
tribunal de première instance, près le tribunal
de commerce et près les tribunaux de police de l'arrondissement.
Art. 151. Le procureur du Roi est assisté par un ou plusieurs substituts placés sous sa surveillance et sa direction immédiate. [Il peut être assisté par un ou plusieurs substituts de complément délégués conformément à l'article 326, alinéa Ier.]
- Ainsi modifié par la loi
du 28 décembre 1990, art.3, 1°.
Il peut y avoir un ou plusieurs premiers
substituts qui assistent le procureur du Roi dans la direction
du parquet.
Les premiers substituts sont désignés par le Roi pour un terme de trois ans sur une liste double de substituts [ou de substituts de complément] présentés par le procureur général, sur avis du procureur du Roi. Cette désignation est renouvelable et chaque fois pour un terme de trois ans. Après neuf ans de fonction, ils sont nommés à titre définitif.
- Ainsi modifié par la loi
du 28 décembre 1990, art.3, 2°.
Art. 400. Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d'appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l'auditorat général sur les procureurs du roi, les auditeurs du travail et leurs substituts.Section 2Dispositions concerant les magistrats du ministère publicArt. 414. Le procureur général près la cour d'appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l'avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande.Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l'égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d'appel.Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation.
- La Cour d'arbitrage, en son arrêt
n°76/92 du 18 novembre 1992 (Mon., 16 janvier 1993,
p. 717), dit pour droit que l'article 414 du Code judiciaire ne
viole pas les articles 6 et 6bis de la Constitution.
6 151. [Anklagegrundsatz] Die Eröffnung einer gerichtlichen Untersuchung ist durch die Erhebung einer Klage bedingt.
§ 152. [Anklage Behörde, Legalitätsgrundsatz] (1) Zur Erhebung der öffentliche Klage ist die Staatsanwaltschaft berufen.
(2) Sie ist, soweit nicht gesetzlich ein anderes bestimmt ist,
verpflichtet, wegen aller verfolgbaren Straftaten einzuschreiten,
sofern zureichende tatsätliche Anhaltspunkte vorliegen.
§ 152a. [Strafverfolgung von Abgeordneten] Landesgesetzliche
Vorschriften über die Voraussetzung, unter denen gegen Mitglieder
eines Organs der Gestezgebung eine Strafverfolgung engeleitet
oder fortgesetzt werden kann, sind auch für die anderen Länder
der Bundesrepublik Deutschland und den Bund Wirksam.
§ 141. [Sitz] Bei jedem Gericht soll eine Staatsanwaltschaft
bestehen.
§ 142. [Sachliche Zuständigkeit] (1) Das Amt der Staatsanwaltschaft wird ausgeübt :
1. bei dem Bundesgerichtshof durch einen Generalbundesanwalt und durch einen oder mehrere Bundesanwälte;
2. bei den Oberlandesgerichten und den Landgerichten durch einen oder mehrere Staatsanwälte;
3. bei den Amstgerichten durch einen oder mehrere Staatsanwälte
oder Amtsanwälte.
(2) Die Zuständigkeit der Amtsanwälte erstreckt sich
nicht auf das amtsrichterliche Verfahren zur Vorbereitung der
öffentliche Klage in den Strafsachen, die zur Zuständigkeit
andere Gerichte als der Amtsgerichte gehören.
(3) Referendaren kann die Wahrnehmung der Aufgaben einer Amtsanwalts
und im Eizelfall die Wahrnehmung der Aufgaben eines Staatsanwalts
unter dessen Aufsicht übertragen werden.
§ 142. a 1) [Zustängig
des Generalbundesanwalts] (1) Der Generalbundesanwalt übt
in den zur Zuständigkeit von Oberlandesgerichten im ersten
Rechtszug gehörenden Strafsachen (§ 120 Abs. 1 und 2)
das Amt der Staatsanwaltschaft auch bei diesen Gerichten aus.
Können in den Fällen des § 120 Abs. 1 die Beamten
der Staatsanwalt eines Landes und der Generalbundesanwalt sich
nicht darüber einigen, wer von ihnen die Verfolgung zu übernehmen
hat, so entscheidet der Generalbundesanwalt.
(2) Der Generalbundesanwalt gibt das Verfahren vor Einreichung
einer Anklageschrift oder einer Antragsschrift (§ 440 der
Stafprozeßordnung) an die Landesstaatsanwaltschaft ab,
1. wenn es folgende Straftaten zum Gegenstand hat :
a) Straftaten nach den §§ 82, 83 Abd. 2, §§ 98, 99 oder 102 des Strafgesetzbuches,
b) Staftaten nach den §§ 105 oder 106 des Strafgesetzbuches, wenn die Tat sich gegen ein Organ eines Landes oder gegen ein Mitglied eines solchen Organs richtet,
c) Staftaten nach § 138 oder 106 des Strafgesetzbuches in Verbindung mit einer der in Buchstabe a bezeichneten Strafvorschriften oder,
d) Staftaten nach § 52 Abs.2 des Patentgesetzes, nach §9 Abs. 2 des gebrauchsmustergesetzes in Verbindung mit § 52 Abs. 2 des Patentgesetzes oder nach § 4 Abs. 4 des Halbleiterschutzgesetzes in Verbindung mit § 9 Abs. 2 des Gebrauchsmustergesetzes une § 52 Abs. 2 des Patengesetzes;
2. in Sachen von minderer Bedeutung.
(3) Eine Abgabe and die Landesstaatsanwaltschaft unterbleibt,
1. wenn dite Tat die Interessen des Bundes in besonderem Maße berührt oder
2. wenn es im Interessen der Rechtseinheit geboten ist, daß der General Bundesanwalt die Tat verfolgt.
(4) Der generalbundesanwalt gibt eine Sache, die er nach §
120 Abs. 2 Nr. 2 oder 3 oder § 74a Abs.2 übernommen
hat ; wieder an die Landesstaatsanwaltschaft ab, wenn eine besondere
Bedeutung des Falles nicht mehr vorliegt.
§ 144. [Organisation] Bestehet die Staatsanwaltschaft
eines Gerichts aus mehreren Beamten, so handeln die dem ersten
Beamten beigeordneten Personen als dessen Vertreter ; sie sind,
wenn sie für ihn auftreten, zu allen Amtsverrichtungen desselben
ohne den Nachweis eines besonderen Auftrags berechtig.
§ 145. [Befügnisse der ersten Beamten] Die ersten
beamten der Staatsanwalt bei den Oberlandsgerichten une den landgerichten
sind befugt, bei allen Gerichten ihres Bezirks die Amstverrichtungen
der Staatsanwaltschaft selbst zu übernehmen oder mit ihrer
Wahrnehmung einen anderen als den zunächst zuständigen
Beamten zu beauftragen.
(2) Amtsanwälte können das Amt dar Saatsanwaltschaft
nur bei den Amstgerichten versehen.
§ 145a (weggefallen)
§ 146. [Weisungsgebundenheit] Die Beamten der Staatsanwaltschaft
haben den dienstlichen Anweisungen ihres Vorgesetzen nachzukommen.
§ 147. [Dienstaufsicht] Das Recht der Aufsicht und Leitung steht zu :
1. dem Bundeminister des Justiz hinsichtlich des Generalbundesanwalts und der Bundesanwälte;
2. der Landesjustizverwaltung hinsichtlich aller staatsanwaltschaftlichen Beamten des bettrefenden Landes;
3. dem ersten der Staatsanwalt bei den Oberlandesgerichten und
den Landgerichten hinsichtlich aller beamten der Staatsanwaltschaft
ihres Bezirks.