L'AVOCAT PRIS AU PIEGE DE L'IMAGINAIRE
Le cinéma de fiction comme source de l'histoire de la profession d'avocat 1920-1990




Il est devenu banal de dire que le cinéma en sa qualité d'art de communication de masse a la capacité de traduire l'imaginaire social d'une époque et, partant de représenter les groupes sociaux dans leurs archétypes idéologiques fondamentaux. Le cinéma peut être ainsi le lieu d'une sorte de consensus social, autour d'images communément admises, à un moment donné. Il peut en outre, en retour, contribuer à conforter telle ou telle image, à la rendre évidente par sa répétition(1).

Il en en va de l'image de l'avocat comme de celle du juge, du notaire, du médecin pour prendre des catégories sociales ciblées dans la sphère des professions libérales ou judiciaires (2). Notre questionnement pouvait donc se définir au départ de la façon suivante : quelle est la spécificité de la représentation de l'avocat nous renvoie-t-elle ? Cette dernière évolue-t-elle dans le siècle ?

I - CE PROPOS QUI S'INSCRIT...

...Dans l'histoire des mentalités et des représentations sociales nous confronte à une source originale de notre histoire : la production filmique.

- C'est la première difficulté de notre travail. Source récente, elle est déjà menacée. Les historiens qui travaillent sur le cinéma le savent.

En moins de cent ans, de multiples films ont disparu et malgré le travail des cinémathèques, des copies existantes sur support nitrate sont en train chaque jour de mourir lentement (54 000 kilomètres de pellicule à sauver d'ici l'an 2000 pour sauvegarder la mémoire cinématographique actuellement stockée).

- seconde difficulté : aucun dépôt légal obligatoire n'ayant existé jusqu'à la guerre, c'est aussi une source totalement dispersée qui oblige le chercheur à un véritable parcours du combattant pour découvrir l'existence de telle ou telle copie.

- troisième difficulté enfin : les oppositions des ayants-droit et leurs prétentions souvent exorbitantes rendent souvent difficile, voire impossible, le visionnement des films qui pourraient être disponibles.

II - LES SOURCES DE REFERENCES

... Sont donc au départ des sources indirectes, permettant à défaut de tout voir, de se faire une idée exhaustive de la production.

Si avant 1919, il n'existe aucun inventaire systématique, il en va tout autrement à compter de cette date grâce tout particulièrement aux travaux de Raymond CHIRAT et de Jean-Charles SABRIAT auxquels il faut ici rendre hommage.

- pour les années, 1919-1950, Raymond CHIRAT a entrepris un travail essentiel de recensement et d'analyse de la production française. A travers trois livres : le catalogue des films français de long métrage : 1929-1939 (cinémathèque royale de Belgique 1981) et " le catalogue des films français de long métrage de fiction : 1940-1950" (cinémathèque du Luxembourg 1981) il a posé les bases d'une monumentale encyclopédie systématique de la production cinématographique française, travail qui se poursuit aujourd'hui à travers une édition luxueuse dont les deux derniers tomes couvrent les années 1950-1955 et 1956-1960 viennent ainsi compléter son travail en rentrant en concurrence avec celui de SABRIAT pour la même période (3).

Chaque film recensé est l'objet d'un résumé mais aussi d'une transcription du générique permettant d'évaluer en une vingtaine de lignes le nom du réalisateur, l'oeuvre littéraire adapté (éventuellement), le scénariste, donc de se faire une idée de la place de l'avocat dans le cinéma français à travers une lecture indirecte de l'ensemble de la production. La place faite à l'avocat dans le résumé, recoupée avec son ordre de citation au générique permet d'affiner la lecture en délimitant pour chaque film recensé la place de l'avocat en tant que personnage principal (indispensable au récit) et la place de l'avocat en tant que personnage secondaire (non indispensable au récit).

La même lecture permet aussi de recenser les sources d'inspiration (adaptation de thèmes littéraires à succès ou scénario original). Elle permet de recenser l'intérêt de tel ou tel réalisateur pour le sujet et aussi d'inventorier les acteurs et les actrices ayant joué des rôles d'avocat.

- pour les années 1950-1960, le travail de Raymond CHIRAT, non encore publié à l'époque où nous avons commencé à travailler, peut être confronté à celui de Jean-Charles SABRIAT ("le cinéma français des années 50" - éditions du centre Pompidou - Paris 1987). Ce travail nous a servi de guide pour ces années-là. Résumés et génériques atteignent ici la perfection. Sur les mille films recensés, il suffisait de repérer le personnage de l'avocat en travaillant avec les mêmes méthodes.

Pour les années suivantes, le dépouillement systématique de l'année cinématographique de 1960 à 1989 (revue du cinéma) qui recense l'ensemble des films sortis en

France pendant l'année de référence a permis de compléter notre inventaire. Là encore, chaque film est présenté avec un générique, un résumé, et depuis les années soixante, un commentaire critique. La lecture en est cependant plus difficile car les productions françaises et étrangères sont ici mélangées et les génériques reproduits d'une façon moins fidèle et moins systématique que dans les travaux de Raymond CHIRAT et de Jean-Charles SABRIAT.

III - L'APPREHENSION DU CONTENU EXACT

... De chaque film aurait dû passer par son visionnement. Ce travail s'est révélé beaucoup plus difficile du fait de l'indisponibilité bien connue de la plupart des films. Ainsi, au hasard des disponibilités, nous n'avons pu visionnner qu'une quarantaine de films.

Les bandes vidéo commercialisées, les vidéothèques de quelques amis nous ont aidés. Mais aussi, le passage, depuis que nous travaillons sur ce sujet d'un certain nombre de films consacrés aux avocats à la télévision française qui devient ainsi le relais du cinéma de masse.

Remercions aussi tout particulièrement la cinémathèque française et son conservateur Vincent Pinel, qui nous a permis de visionner certains films sur tables de montage et précisons que nous avons appris aussi qu'à tel ou tel endroit, dans les fonds de telles ou telle cinémathèque, existait potentiellement un film que nous pourrions un jour appréhender (nos remerciements aussi à Jean Icart de la cinémathèque de Toulouse et à Daniel Armogathe de la cinémathèque de Marseille).

IV - DES LIMITES DE CE CORPUS...

...découlent notre méthode et nos premiers résultats.

- De la lecture des sources indirectes, nous pouvons retenir six constatations.

1° UNE QUANTIFICATION SOMMAIRE...

... du nombre de films de fiction mettant en scène l'avocat en tant que personnage principal ou secondaire. Ainsi, 186 ont été recensés. Il est à préciser que pour la liste des personnages secondaires, un chiffre noir important existe du fait de l'insuffisance des résumés ou de la carence des génériques (La liste complète de ces films sera publiée dans un ouvrage à paraître à l'automne 1991)

2° UNE MESURE DE LA FREQUENCE...

... des adaptations littéraires très prononcée dans les trente premières années et de la prédisposition pour les scénario originaux dans la seconde période (1950-1990).

3° UNE PERIODISATION QUI PERMET...

... de noter des engouements passsagers pour le personnage de l'avocat (le boum des années 50) et des périodes où il semble disparaître totalement de l'écran (la décennie 1965-1975), mais une moyenne globale de deux films par an représentant approximativement pour les années 1919-1960, 2 % de la production française.

4 ° L'INTERET DE LA PLUPART DES CINEASTES...

... français pour le personnage.

5° LA CONSTATATION QU'AUCUN GENRE...

... n'échappe au personnage : du mélodrame au film comique, de la reconstitution historique au film policier, en passant par le film pornographique (2 films recensés).

6 ° UN INVENTAIRE DES ACTEURS...

... et actrices ayant joué le rôle, faisant ressortir la plupart des grands noms du cinéma français (Charles Vanel, Raimu, François Perier, jean Gabin, Paul Meurisse, Brasseur père et fils, Alain Delon, André Dussolier, Gérard Depardieu, Daniel Auteuil etc.) mais aussi quelques excentriques ou comiques inattendus : de Funès ou Darry Cowl ou Pierre Richard par exemple. La même constatation s'impose pour les femmes avocates (Danielle Darrieux : 2 films, Michèle Morgan, Léa Massari, Marie-France Pisier etc.).

- Du recoupement entre l'analyse systématique des résumés et le visionnement des films, d'une façon plus affinée, ,nous pouvons alors tenter de comprendre la spécificité du personnage à l'écran, l'évolution de sa représentation sur plusieurs décennies, et, ainsi, tenter de proposer une première grille d'interprétation(4).

C'est bien évidemment cette analyse plus fine qui nous permet de prendre l'avocat à l'imaginaire, de tenter de montrer comment c'est le rapport à l'argent qui structure les oppositions majeures, personnages positifs, personnages négatifs, avocats, avocates, comment c'est l'idéologie du désintéressement d'un côté et la réalité du rapport marchand de l'autre qui les opppose.

Nous voudrions ici modestement pointer les premières vérifications de cette hypothèse en présentant la chronique cinématographique de la recherche d'une identité.



I - LE MANICHEISME DES IMAGES : DES LE MUET, TOUT EST DIT

Dès le muet, tout est dit. A travers le manichéisme des images, qui est l'un des éléments essentiels du film populaire, le personnage de l'avocat se détache d'une façon très contrastée.

Ainsi, d'un côté, se présente le bon avocat désintéressé et dévoué et de l'autre, le mauvais avocat tenté par l'argent ou la politique.

Quelques exemples permettront de préciser ces archétypes.

1-1 L'AVOCAT DESINTERESSE

L'avocat désintéressé tout d'abord : chez lui, il n'est plus question ni d'argent, ni de politique, il plaide par amour et par dévouement.

C'est le cas de "l'avocat" de Gaston Ravel (1925), tiré du roman de Brieux. Vous avez vu le film, résumons le rapidement(5).

Il s'agit du cas de conscience de l'avocat, Louis Martigny, à qui on demande de défendre la femme qu'il aime, présumée coupable d'avoir assassiné son mari, un dévoyé. Est-elle ou non la meurtrière ? En réalité, elle l'est et l'avocat va s'acharner à prouver son innocence. Louise du Coudrais sera acquitée et Martigny apprendra alors qu'elle l'aimait aussi et que son mari dévoyé a provoqué le coup de revolver fatal.

Ainsi, il est ici question d'un cas de conscience, du fait de savoir.si on peut plaider pour une femme que l'on aime, comment et jusqu'où peut aller un avocat; mais à aucun moment, l'avocat apparaît comme un homme intéressé par l'argent ou la politique. Il n'est intéressé là que par la cause de sa cliente sans qu'il soit question de rétribution, si ce n'est symbolique...

C'est aussi le cas, à la même époque, de l'avocat des "Rocquevillard"" de Julien Duvivier (1922) ou de Maître Evora" (1920) qui sont, là encore, des avocats forcément désintéressés puisqu'ils défendent leurs enfants.

L'avocat désintéressé semble donc avoir tout particulièrement la faveur du public; témoin, le héros de " La veine" (1928) de René Barbaris : il s'agit d'un avocat sympatique qui a un passage à vide (6).

Un modeste avocat, julien Bréard, s'éprend d'une gentille fleuriste, Charlotte Lanier; La chance lui sourit et il gagne un procès. Ses affaires prospèrent, le succès l'enivre, et il délaisse alors Charlotte, courtise l'ambitieuse Simone Baudin qui veut faire de lui un député. Toutefois, Julien se méfie, déclare qu'il n'entend rien à la politique. Simone le plante là et Bréard va retrouver Charlotte (résumé emprunté à Raymond CHIRAT).

Comme vous pouvez le constater, c'est bien de l'idéologie du désintéressement qu'il s'agit. Elle imprègne le film. L'avocat ne redevient sympatique qu'autant qu'il abandonne l'idée de faire carrière. Alors tout peut lui être pardonné : sa timidité (Les deux timides de René Clair 1929), comme éventuellement ses démêlés amoureux et c'est le cas de nombreux films de l'époque.

On pardonne, ainsi, à un avocat âgé mais compétent cédant au démon de midi et quittant son épouse et ses enfants pour une aventure (La vierge folle de Luitz Morat 1928), alors même qu'on ne l'aurait pas fait s'il était parti pour se lancer dans la politique ou se mêler à des affaires louches.

1.2 L'avocat intéressé ou "Marchand" :

A l'opposé de ce personnage, c'est l'avocat négatif par excellence et il apparaît intéressé avant tout par l'argent, le paraître ou la réussite facile.

"L'arriviste" d'André Hugon (1924) ne saurait être un meilleur exemple de cet archétype (6 bis)

Le film porte bien son nom. Il nous présente un avocat sans fortune qui n'hésite pas à dérober un milion à un ami, puis à assassiner son épouse qui risquait de le dénoncer .Il fait ensuite son chemin dans la politique et devient député; Finalement, il sera arrêté grâce à la perspicacité d'un juge d'instruction et à la ténacité de son ami décidé à venger la mort de son épouse...

Plus subtil, l'avocat de "Crainquebille" (1922) de Jacques Feyder nous décrit un avocat qui se désintéresse totalement de son client et le film semble nous laisser entendre qu'il s'en désintéresse, en fait, parce qu'il s'agit d'un client pauvre pour lequel il a été commis d'office ou duquel il ne doit pas attendre une forte rétribution (l'opposition du début du film entre les plans montrant Maître Lemerle, vivant dans la débauche jusqu'à une heure avancée de la nuit, et Crainquebille commençant sa journée de très bon matin, est à cet égard, fort significative).

Là encore, vous avez vu le film et là encore, vous avez pu constater à quel point tous les poncifs de l'avocat négatif étaient en place ; ici l'avocat fait rire, non pas d'un rire sympatique mais d'un ricanement provoqué par un personnage qui ne remplit pas sa fonction.

Ainsi, dès le cinéma muet, à travers la dizaine de films que nous avons cités, et nous pourrions à la limite tous les passer à travers cette grille, la place de l'avocat dans le cinéma Français oscille entre une image fortement positive ou fortement négative, suivant qu'il est question d'argent, de politique ou au contraire d'amour, qu'il s'agisse de relations amoureuses ou filiales...

Ce manichéisme va peu évoluer pendant les 60 années de films parlants, mais les personnages d'avocats "négatifs" vont s'imposer au point d'envahir presque totalement l'écran.

II - 60 ANS DE CINÉMA PARLANT : ROBES NOIRES ET VILAINS MESSIEURS

Nous pensons que ce titre correspond malheureusement à une réalité ; en effet, à des degrés moindres, selon les genres où il faut mettre à part les reconstitutions historiques où l'avocat d'un grand procès est mis en valeur et rarement présenté comme un personnage négatif, la constation s'impose au fil des ans, que notre grille d'analyse se révèle de plus en plus opératoire.

II. 1 - Les ambiguités des années trente :

Des années trente, nous pouvons retenir, dans une production qu'il n'est pas possible d'analyser dans le cadre de cette communication, trois films de la fin de la periode, c'est à dire des années 1940-1945 ( les historiens du cinéma ayant tendance à englober les quinze premières années du parlant dans un terme générique qui est celui des années 30, car à personne, le cinéma de l'occupation n'apparaît vraiment comme une rupture).

Trois films donc pour une démonstration : "Les inconnus dans la maison" (1941) - Henri Decoin, "Les Rocquevillard"(1943) - Jean Dreville, "La vie de plaisir" (1943) - A. Valentin (7).

Quatre avocats positifs et trois avocats négatifs.

II.1.1. - Les avocats positifs tout d'abord

- Raimu dans "Les inconnus dans la maison" : il s'agit d'un père défendant le fiancé de sa fille. Là, bien évidemment, il ne peut-être question d'argent, d'honoraires.

Raimu, en défendant ce garçon, cherche à se racheter aux yeux de sa fille. Il est brillant , sympatique, on lui pardonne tout, même son alcoolisme !

- Deux personnages des "Rocquevillard" ensuite : le père, joué par Charles Vanel, il finit par se trouver dans l'obligation de défendre son fils. Il le fait avec éloquence en défendant les grandes vertus familiales, l'honneur et en lui conseillant de lire la vérité. Il n'est bien évidemment pas question d'argent dans leurs rapports. Plutôt que d'être payé par son client, c'est même lui qui paye, en l'espèce, en vendant son domaine pour essayer de composer avec la partie civile.

Le bâtonnier ensuite qui ne laisse pas tomber son vieil ami dans la difficulté et entre eux, il ne peut bien évidemment être question d'argent. C'est une histoire d'honneur entre deux hommes !

- Quatrième avocat sympathique : Noël Roquevert dans "La vie de plaisir". Il défend, dans le cadre d'un divorce, un homme aux prises avec une belle-famille qui veut à tout prix obtenir la rupture du lien matrimonial, qui leur apparaît comme une mésalliance, alors même que le roturier en question, directeur d'un cabaret à paris, a permis par sa dot, de redorer le blason de la famille. Il plaide dans ce cadre et défend mieux son client en expliquant comment ce dernier est tombé dans une machination.

On le voit uniquement pendant les plaidoiries et à aucun moment, il n'est question d'argent entre lui et son client

II.1.2. - Les personnages d'avocats négatifs

Dans "Les Rocquevillards, la famille pense un temps s'adresser à un spécialiste de sessions d'assises. Très vite, il apparaît comme cynique, maladroit, refusant de plaider le vrai, prêt à tous les accomodements de la réalité. Charles Vanel finit par le récuser et par plaider à sa place.

De l'autre côté de la barre, l'avocat mercenaire "d'un barreau extérieur" qui accepte de plaider pour le notaire malhonnête, est présenté comme franchement odieux.

- De même, le personnage joué par Carle, dans "La vie de plaisir", pendant sa plaidoirie, est non seulement affabulateur travestissant sans cesse la réalité, mais agit sutout comme éminence grise de la famille. Dès le départ, il est présenté comme leur avocat "conseil" ; siègeant dans les conseils d'administation, il fréquente le même milieu, n'hésitant pas par ailleurs à sortir le soir avec des "femmes lègéres", apparaissant comme atteint de tous les vices de la haute société nobiliaire critiquée dans le film.

On ne saurait mieux dire, trois films où les avocats sont poutant à l'honneur, mais trois films qui démontrent l'ambigüité de leur image.

L'après guerre va conforter ces ambigüités.

II.2 - Le bain de jeunesse de l'après-guerre :

Dans les années cinquante, le jeune avocat est à l'honneur et pourtant les premiers glissement apparaissent.

II.2.1 - Le succès des jeunes avocats

Citons là encore trois films, dont deux sans doute, totalement oubliés :

- "La Souricière de Henri Calef - 1949, décrit un jeune avocat joué par François Perier, aux prises avec un cas de conscience, qu'il finit par résoudre avec l'aide de son Bâtonnier.

- "Né de père inconnu" de Maurice Cloche ) - 1950. Là, l'avocat s'implique totalement dans la défensed'un orphelin dont le destin lui rappelle sa propre histoire.

- De même, le jeune avocat de "Nous sommes tous des assassins" d'André Cayatte (1951) se bat, tel un DON QUICHOTTE moderne, avec véhémence contre la peine de mort;

Rappelons enfin, l'image rassurante et sympathique du jeune avocat débutant joué par Robert Lamoureux dans "Papa, maman, la bonne et moi" de Jean-Paul Lechanois - 1954 (8), suivi l'année suivantede "Papa, maman, la bonne et moi".

Ce que nous avons appelé en nous amusant le "Baby-boom" de la profession d'avocat, n'aura pourtant qu'un temps à l'écran car en même temps les fantasmes antérieurs ressurgissent et, avec force l'image de l'avocat se noircissant de plus en plus.

II.2.2 - Les premiers glissements

A la fin des années 50, dans "La tête contre les murs" - 1958, George Franju - le père avocat du jeune premier interné en Hôpital psychiatrique, par la volonté de son ascendant, a ce dialogue terrible avec son fils : "Gérane (Dure, avec une pointe de mépris). Je me souviens aussi... Tu plaidais partie civile en Cour d'Assises... Ton talent obtenait la peine de l'accusé, et, le soir même avec une passion égale, tu m'exposais les arguments qui lui auraient sauvé la vie... Maître Gerane (Il pointe son index). La société, mon petit, est essentiellement un jeu. Mais encore, faut-il savoir le jouer. Je ne demandais qu'à t'apprendre, tu ne l'as pas voulu. Tu ne m'as jamais compris..."(9)

Il ouvre la voie à toute une série de films où les images d'avocats agés, cyniques revenus de tout, mais prêts à tous, abondent.

Rappelons les trois films essentiels de cette période et passons rapidemen t sur les commentaires ; vous les avez tous vus :"En cas de malheur" de Claude Autant-Lara - 1958, "La vérité" de Henri-Georges Clouzot - 1960, "Les bonnes causes" de Christian Jaque - 1962 (10)

Attribuons cependann une mention spéciale à ce dernier, car il introduit un élément dialectique tout particulier, que l'on retrouvera pendant toute la Vème République : l'Opposition manichéiste entre l'avocat forcément interessé (Pierre Brasseur) et le juge d'Instruction forcément désintéressé, faisant oeuvre de justice (BOURVIL).

II.3 - UNE TRISTE IMAGE

Citons maintenant pour toute la Vème République un certain nombre de films où le schéma de l'avocat, personnage négatif et intéressé se perpétue de bobines en bobines, d'images en images égrenant la chronique d'une identité négative.

Le comble de la négativité sera apporté par des films présentant d'un côté les Juges intègres, de l'autre, l'avocat lié, soit au milieu tout court, soit au milieu politique, avocat lié à la mafia ("L'homme qui trahit la mafia" - 1960), avocat receleur d'"un aller simple" de José Giovanni (1970), avocat peu scrupuleux et cédant aux pressions politiques ("Les assassins de l'ordre" de Michel Carné - 1970), avocat empêchant par son habileté la Justice d'éclater et défendant les milieux politique louches ou les trafiquants de drogues ("Le Juge Fayard" d'Yves Boisset - 1976 - "Cap canaille" de Juliette

Bertho -1982 et "Le Juge" de Philippe Lefevre - 1983). Autant de films qui se succèdent dans les décennies qui vont suivre et qui donnent à l'image de l'avocat sous la cinquième République, un aspect bien noir : complice et prêt à toutes les compromissions.

On comprend alors que le personnage puisse être victime de réglements de compte ("La crime" de Labro - 1983 qui commence dans le couloir du Palais par un assassinat) et que de cette image certains puissent s'offusquer... Mais lorsque le mal est fait, il est bien difficile d'aller contre. L'avocat qui ne pense s'être reconnu dans "Le Juge" de Philippe Lefebvre sera débouté par la 14ème Chambre de la Cour d'Appel de Paris, qui, dans un Arrêt du 6 Juin 1984, énonce : "Même si la ressemblance entre l'acteur jouant dans un film le rôle d'un avocat et un avocat en exercice était parfaite, ce qui n'est nullement le cas, l'intéressé ne serait pas fondé à se prévaloir de la protection de son droit sur son image, alors qu'il n'est pas montré en personne dans le film, lequel n'utilise à aucun moment sa propre image » (11)

Qui sauvera alors l'honneur de la profession au cinéma?

Certainement pas Claude Brasseur dans « une belle fille comme moi » de François Truffaut (1972), symbole de l'avocat « marron ». Témoin cet extrait du dialogue signé Dabadie : « Vos parents ne vous ont pas appris ça. Qui dit avocat, dit provision ». Il est vrai qu'ici avocat s'appelle Maître Murene et qu'il chasse en eau particulièrement trouble, et notamment le client à l'occasion d'un accident de la circulation dont il est le témoin, le poursuivant jusqu'à son domicile, lui faisant signer des documents en blanc et n'hésitant pas à écrire sur sa plaque « Avocat Conseil ».

Pas davantage les jeunes premiers qui se laissent aller dans toutes les compromissions, confondant avocat de proximité et conseil en promiscuité coupable ! Ainsi, Richard Anconina dans «Police» de Pialat (1985) , ou Jacques Dutronc dans « Le mouton noir » de Jean-Pierre Moscardo (1979).

Trois exceptions méritent cependant quelques commentaires. Dans « Comme un boomerang » de Jose Giovanni 1976, Charles Vanel reprend du métier à 84 ans, pour incarner un avocat sympathique, se dévouant pour une cause qui lui paraît juste, mais il s'agit en fait d'un jeune délinquant, fils d'un truand qu'il a défendu antérieurement. On apprendra bien évidemment qu'il en est le parrain. Pas question d'argent donc.

Dans «la brute» de Claude Guillemot (1987), Jean Carmet joue le rôle d'un vieil avocat sans cause, commis d'office, par son ami, le Bâtonnier de l'ordre pour défendre une cause impossible : un aveugle, sourd et muet, aurait commis un meurtre. Il s'agit d'un invraisemblable mélo tiré d'un livre de Guy des Cars (1951). Pour une fois que la profession rencontrait un réalisateur complaisant, il eut été souhaitable qu'il choisît mieux son scénario, même si Jean Carmet est parfois remarquable... L'invraisemblance du récit lui fait malheureusement perdre toutes forces. Pourtant, l'idéologie du désintéressement règne en maître d'un bout à l'autre du film, mais il s'agit d'une autre époque !

Analysons maintenant «Rive droite, rive gauche» de Philippe Labro (1984).

Rappelons le cadre du film. Il nous montre un avocat qui se révolte contre le rôle qui est le sien. Au prix d'un scénario et d'une mise en scène parfois invraisemblables - (même s'il s'est pas étonnant que deux avocats d'affaires puissent avoir chacun une Mercédès (où Philippe Labro en a-t-il rencontré partageant le même Bureau et officiant face à face ?...) -, Gérard Depardieu y apparaît comme un avocat honnête, reconnaissant les difficultés de son métier et s'en offusquant, titillé, il est vrai, par la femme dont il est amoureux, qui le présente de la façon suivante : Paul Senanque, brillant espoir du Barreau, a commencé par défendre la vérité et la justice, aujourd'hui préfère gagner beaucoup d'agent, sans se poser trop de questions sur la moralité de ses clients ».

Ainsi, mis au défi, il n'hésitera pas à trahir son client en plein plateau télévisé, en laissant entendre qu'il le désapprouve totalement, terminant son intervention par ces mots : «En fait, ce que je me demande aussi depuis quelques temps, et que vous me demandez, c'est suis-je un salaud parce que je défends un salaud ?». Ensuite, il passera tout le film à tenter de confondre celui qu'il était censé initialement défendre et finira par y arriver, l'heure de la vérité sonnant comme celle de la trahison. Ainsi, même si l'image est bonne, l'avocat n'en ressort grandi aux yeux des spectateurs qu'au prix d'un mandat bafoué.

L'avocat à l'écran est donc un personnage rarement sympathique et plus intéressé qu'intéressant. Cependant, il conviendrait de nuancer notre propos et de mettre à part les films que nous pourrions qualifier de « manifestes », visant à la dénonciation de la peine de mort, films disparus de nos écrans depuis 1981. Là, l'avocat reprend, aux yeux des réalisateurs la plénitude de sa fonction, comme porte-parole d'une cause qui le dépasse, mais à laquelle sa présence et sa voix sont indispensables. Ainsi, « La vie l'amour la mort » de Lelouch, « La machine » de Vecchiali, présentent des avocats particulièrement positifs. Les deux réalisateurs ont d'ailleurs voulu créer des « effets de réel » ou, souligné l'intérêt qu'ils portaient au sujet, en faisant jouer les rôles d'avocat par des avocats bien réels en ce qui concerne Lelouch et en s'attribuant lui-même le rôle en ce qui concerne Vecchiali.

Des exceptions donc, qui ne font que confirmer la règle, et ce, d'autant plus, que les avocats du « pull-over rouge » de Michel Drach, loin d'être montrés comme de réels défenseurs s'impliquant pur l'abolition de la peine de mort, apparaissent plutôt comme des rouages du système aboutissant à l'erreur judiciaire dénoncée par le film.

Par contre les deux autres films sur la peine de mort mettent en scène des avocates (Annie Girardot dans "Une Robe noire pour un tueur" et Malka Ribowska dans "Deux hommes dans la ville"). Nous rentrons alors dans une toute autre problématique, celle du dévouement et du désintéressement, valeur forcément féminine

III - LES FEMMES AVOCATES A L'ECRAN : COMME DES ANGES
         OU LE TRIOMPHE DU DESINTERESSEMENT :

Pourtant pour la femme avocate, à l'écran, tout a failli commencer très mal, surtout quand une avocate en, 1933 s'est avisée de transgresser deux interdictions fondamentales : faire de la politique, en réclament le suffrage universel, présenter cette revendication, à l'écran et en robe.

Résultat : en 1935, le Conseil de l'Ordre de Paris, dans la séance du 9 avril, prend une décision disciplinaire qui a valeur de symbole. Il rappelle que le port de la robe "insigne du caractère de l'avocat, n'est permis que pour les manifestations d'ordre professionnel, qu'il est interdit pour toute autre manifestation publique et notamment pour des représentations théâtrales ou cinématographiques". Le Conseil de l'Ordre, considérant qu'elle s'est laissée entraîner, se refuse à prononcer une peine et se contente de prévoir une simple admonestation paternelle du Bâtonnier (12).

Cette anecdote paraît significative d'une époque où la femme avocate a des difficultés à s'imposer tant au Barreau qu'à l'écran.

A l'écran, en tous cas, elle prête à rire et ce sera le cas jusque dans les années 50.

III.1 - Un sujet qui prête à rire

Les avocates prennent à cette époque et tout particulièrement dans les années 30, une place de choix dans l'imagination des réalisateurs mais reste marginales, leur entrée dans le Barreau n'étant jamais présentée comme évidente, qu'il s'agisse du mélodramatique abus de confiance, (Henri Decoin - 1937- où la jeune étudiante en droit est obligée de mentir à son protecteur pour pouvoir revêtir la robe, se faisant passer pour sa fille naturelle), ou de comédies plus lestes comme "Un Mauvais Garçon" de Jean Boyer (1936) ou "Maître Bolbec et son mari" de Jacques Natanson (1934).

Dans ce dernier film, la femme avocate devient un sujet boulevardier et un personnage de comédie : "Maître Bolbec est un avocate célèbre, mais le robe qu'elle porte n'est pas celle que voudrait lui voir son mari. Lorsqu'elle s'aperçoit qu'il la trompe, elle abandonne le Barreau, mais elle est encore plus accaparée par ses amis. Monsieur Bolbec supplie alors sa femme de reprendre son métier et sollicite la place de secrétaire". Il est vrai d'ailleurs qu'il s'agit dans ce cas précis d'un film tiré d'une pièce de théâtre.

Dans "Un mauvais Garçon", Danielle Darrieux, jeune licenciée en droit, a bien du mal à imposer son choix à son père. Dans un premier temps, il lui refuse de choisir ce métier : "Le Barreau, c'est pour les gens qui font de la politique, tu n'as pas envie de faire de la politique. Tu n'as pas besoin d'être avocate". Dans un second temps, il semble la soutenir en lui offrant un local pour qu'elle s'installe avec une employée de maison qui sera également sa secrétaire, mais en même temps, il lui fixe un ultimatum de 18 mois afin qu'elle se constitue une clientèle, au 17ème mois, elle n'a toujours aucun client. Son père n'hésite pas alors à lui écrire : "Mon cher Maître, Voici ton avant dernière mensualité. Ton Père. P.S. : ne jette pas tes robes d'avocates, cela te fera de bons tabliers noirs pour tes enfants"...La voyant pourtant toujours désireuse d'être avocate, il finira par l'en dissuader définitivement, en lui trouvant, avec la complicité du Bâtonnier de l'Ordre, un client, vrai riche héritier, mais faux mauvais garçon, dont elle tombera amoureuse et qu'elle fera sortir d'une captivité fictive. Elle finira par l'épouser après un coup de théâtre final qui la fera, dans doute, mais le film ne le précise pas, renoncer définitivement à la profession, et tout finira en chanson.

Rien n'est donc simple dans ces années-là, pour faire sa place au Barreau, lorsqu'on est une femme...

Cependant , l'avocate n'est pas simplement un personnage de comédie en cette période . Nous avion déjà rencontré dans "Maître Evora" (1922) une femme défendant son fils, symbole même, là encore, du "désintéressement" obligatoire. "Abus de confiance" - d'Henri Decoin, 1937, nous donne un nouvel exemple de cette idéologie appliquée à la femme avocate.

Elle n'est reconnue que si elle proclame désirer se "consacrer aux enfants", car comme le font remarquer les amis de la jeune avocate, interprétée par Danielle Darrieux, voulant la dissuader de choisir cette profession : "il y a déjà assez de femmes avocates dans la Corporation. Les femmes avocates, cela devrait être interdit". Et c'est en défendant une adolescente devant le Tribunal pour Enfants, qu'elle gagnera sa première cause, et sa propre cause.

Les exceptions ne confirment pas la règle, mais annonce ce qui va se passer dans les décennies suivantes.

Les femmes avocates trouvent dans ces deux films leur spécificité : la défense dans un cadre où ne peut régner que de désintéressement, le Tribunal pour Enfants, en ce qui concerne Danielle Darrieux dans "Abus de confiance" - 1937 Henri Decoin - "je veux être avocate d'enfants, dit-elle" et de son propre enfant en ce qui concerne Maître Evora - 1920 Gaston Roudes.

S'agit-il en fait dans l'esprit des deux réalisateurs d'une véritable défense des mineurs ou d'une défense mineure, nous vous laisserons apprécier !

En tout cas la reconnaissance ultérieure du personnage de la femme «avocat» à l'écran permet de conforter cette impression. En effet, après l'apparition de deux rôles comiques en 1948 ( «Suzanne et les deux brigands» d'Yves Ciampi et « La veuve et l'innocent» d'André Cerf), et, alors même que la femme avocate avait totalement disparu de l'écran pendant la guerre (était-ce un sujet trop léger ?) , elle réapparaît à l'orée des années 60, comme un personnage fort, défendant par passion, allant jusqu'au bout d'elle-même, mais jamais pour des raisons financières ou dans l'espoir d'une carrière politique.

III.2 - Une image de plus en plus présente et rassurante

Le film d'Henri Decoin : «Pourquoi viens-tu si tard?» (1958) avec Michèle Morgan, dans le rôle de l'avocate, ouvre ce genre en portant à l'écran l'histoire d'une avocate aux prises avec l'alcoolisme tant dans sa vie professionnelle, qu'à la barre. Un mélo certes, mais où l'avocate en exercice est pour la première -fois le sujet central du film, à égalité avec ses confrères (13).

En 1964, Alain Cavalier met en scène dans «L'Insoumis» Léa Massari. Sa douceur et sa compréhension vis à vis de son ravisseur contrastent avec le cynisme des hommes. Ainsi, le dialogue dans une chambre d'hôtel autour de sa profession. « L'insoumis » (Alain Delon) : vous mettez une robe avec de grandes manches - Bien sûr - Il n'y a pas des gens que vous défendez mais qui vous dégoûtent ? - Non, nous sommes un peu comme des médecins, on essaie de sauver, pas de juger. Qu'est-ce que vous diriez si vous me défendiez ? - On bavarderait et je vous demanderais de me parler de vous - On raconte, vous vous arrangez les choses , c'est ça - J'essaie de comprendre, d'expliquer ». Quoi dire de plus pour présenter le rôle d'un avocat au pénal ? Fallait-il pour autant qu'une Consoeur s'offusque de ce film de fiction et qu'il soit en partie amputé ?

De même, c'est encore une avocate qui va jusqu'au bout de la lutte contre la peine de mort, dans « Une robe noire pour un tueur » de José Giovani (1980) où Annie Girardot n'hésiteras à héberger son client évadé de prison pour lui éviter la peine capitale, à une époque où elle existait encore, au risque de remettre en cause sa carrière. C'est aussi une jeune avocate qui prend le risque de se lancer dans un procès en diffamation difficile dans «L'honneur d'un capitaine » de Schoendoerffer (1982) même si elle sollicite pour l'aide un bâtonnier plus expérimenté.

Même François Truffaut, pourtant peu susceptible de tendresse vis à vis des avocats (18), se laisse séduire par son héroïne interprétée par Marie-France Pisier dans « L'amour en fuite » (1978), où elle apparaît en jeune avocate, s'interrogeant sur son devoir éthique quant à l'acceptation d'un dossier qui la répugne, a priori, le meurtre d'un enfant. De même, c'est une jeune avocate en vacances, qui prend fait et cause pour un marin pêcheur impulsif dans «MAINE-OCEAN», de Jacques Rozier (1985) . Ce sont encore des avocates qui interviennent subtilement pour défendre leur client dans «L'amour Violé» (1977) de Yannick Bellon ou dans « Le Divorcement» de Pierre Barouh (1979) et ce pour des rôles secondaires.

En outre, Costa-Gravas, en 1983, consacre un film entier au destin d'une avocate, mariée à un avocat français, qui se réalisera en Israël où elle prendra fait et cause pour un palestinien (« Hannah K ») . L'avocate a beau s'inscrire au Barreau de Jérusalem, c'est bien d'un film français sont il s'agit et il méritait d'être signalé tant il fait d'une femme le symbole de la défense.

C'est sans doute la plus grande rupture de ces vingt dernières années, l'impression que les avocates ont progressivement conquis leur place dans l'imaginaire social , et ne faisant plus rire, apparaissant comme des défenseurs à part entière, plus humaines, et plus positives que leurs Confrères.

Elles peuvent cependant, aussi craquer comme l'héroïne de «La Travestie» d'Yves Boisset (1988) se révoltant contre son patron de stage qui lui refuse de plaider, le quittant en emportant la caisse et en le menaçant d'une dénonciation aux services fiscaux et sombrant définitivement dans la folie.. Il est vrai, cependant, qu'elle le fait par révolte contre un monde masculin qui ne lui reconnaît pas sa place, autant que par dégoût pour une pratique malhonnête et mercantile du métier. Son errance la conduit alors au meurtre et, à la Police qui vient l'interpeller, elle ne sait plus que répéter, s'accrochant à une identité professionnelle dérisoire : « Je m'appelle Nicole Armago, je suis avocate au Barreau de Clermont. Vous trouverez ma carte dans ma poche » (14).


IV - Une image juste ou juste une image : en guise de conclusion provisoire

A une époque ou la profession s'interroge sur son avenir, et se demande si elle ne va pas «Perdre son âme » dans les réformes en cours. « La travestie » symbolise peut-être, sans que son réalisateur en ait eu conscience, ses inquiétudes de la profession. Entre « Le Beau Mariage » - Rhomer, 1984 - (pris comme métaphore du mariage avocats/conseillers juridiques), et « le travestissement » de l'idéal du désintéressement , la porte est étroite.

Dans quelques pages brillantes de son dernier ouvrage, Soulez-Larivière compare l'image du lawyer dans le cinéma américain à la pauvreté de l'imaginaire concernant l'avocat dans notre pays. Analysant quelques films, il y dénonce les poncifs : « L'avocat complice est un mythe qui participe de la méfiance générale envers la justice mais n'apporte rien de spécifique à l'illustration complète d'une profession... Les personnages d'avocats sont des ectoplasmes invraisemblables. Tout est faux, même dans certains détails des costumes... Les voitures, l'argent, l'appétit du pouvoir, les maîtresse attribuées à une catégorie sociale, les « avocats »...L'avocat est le «baveux», vénal, complice, orgueilleux, généralement à côté de la plaque, ou au contraire, diabolique ou manipulateur » (15).

Ces conclusions semblent parfois rejoindre les nôtres , mais notre étude les amène à les nuancer quelque peu, au regard des travaux les plus récents sur la profession.

Si le cinéma français de fiction semble parfois nous renvoyer une image caricaturale de l'avocat, il n'en demeure pas moins que par sa répétition, elle doit correspondre à une forte tendance de l'imaginaire social dont l'intuition perçoit avec une certaine justesse toute l'ambiguïté de l'idéologie du désintéressement, qui a rythmé et rythme encore le discours des avocats sur eux-mêmes.

Le cinéma ne ferait ainsi que renvoyer la profession à ses propres responsabilités, la prenant à son propre piège.

René CHEREL
Enseignant à l'Université de Gestion de Nantes

Lyonel PELLERIN
Avocat au Barreau de Nantes




(1) La bibliographie sur le sujet est assez vaste. Le lecteur pourra se rapporter avec profit aux ouvrages de Prédal, La Société Française entre 1914 et 1945 à travers le Cinéma, Paris 1974, Sorlin, Sociologie du Cinéma, Paris 1977, et à la réflexion Collective des Cahiers de la Cinémathèque, qui autour des rencontres de Perpignan font depuis 20 ans, un travail essentiel sur cette question (cf.tout particulièrement les numéros 35, 36 des Cahiers de la Cinémathèque Cinéma et Histoire - Histoire du Cinéma - 1982). Enfin, pourront être consultés les actes du colloque de Cerisy, Paris Publication de la Sorbone, 1989, Histoire du Cinéma Nouvelles Approches.

(2) Les études publiées sur la représentation des groupes sociaux au cinéma sont relativement rares. Il peut être glané des commentaires et problématiques intéressants dans les ouvrages suivants : la petite bourgeoisie au cinéma, cahiers de la cinématique 1988, François Garçon Le cinéma français de BLUM à Pétain , Paris 1984 (tout particulièrement l'image de l'ouvrier à l'écran page 53 et suivantes). Des personnages plus ciblés ont fait l'objet d'études ponctuelles Par exemple, le dictionnaire des personnages du cinéma sous la direction de gilles Orvilleux, 1988, contient le seul article existant sur l'avocat au cinéma, signé E.Decaux. Le prêtre a fait l'objet d'une étude d'Olivier Sere, les prêtes des salles obscures : l'homme de tous les conflits, in cinemaction n° 49 1988. Le médecin d'un article de jean - Jacques schleret dans le monde radio télévision des 9 et 10 septembre 1990 : le médecin, hors de tous les temps. Enfin, pour un point de vue original sur l'analyse filmique d'un personnage à l'écran, il pourra être fait références à l'article de Marc Vernet, "le personnage de film" (iris n°7 1986).

(3) Encyclopédie du Cinéma Français par Besy Maurice et Chirat Raymont (histoire du cinéma français) paris 1988, 1989, 1990)

(4) Se référant notamment aux travaux de Lucien karpik "le désintéressement", AESC 1990 et d'Anne Boigeol "de l'idéologie du désintéressement chez les avocats", (sociologie du travail n° 1 81). Pour une synthèse de ces travaux, le lecteur pourra se reporter à l'article de Tienot Grunbach : essai d'instrumentalisation des trois articles de monsieur le professeur Lucien Karpik, in revue trimestrielle du ressort de la cour d'appel de Versailles, janvier, juillet 1990 publié avec le concours de la gazette du palais.

(5) Il faut rappeler que le congrès était doublé d'une semaine de cinéma organisée conjointement par l'association culturelle du barreau de Nantes et l'association Nantes aime le cinéma et consacré à l'image de l'avocat dans le cinéma français. Ont été successivement projetés : "l'avocat" de Gaston Ravel - 1925, "crainquebille" de Jacques Feyder 1922, "les deux timides" de rené clair - 1929, "un mauvais garçon" de jean Boyer - 1936, "les inconnus dans la maison" d'Henri Decoin - 1941, " les roquevillard" de jean Dreville 1943, "la poison" de Sacha Guitry - 1951, "la vérité" d'henri-georges Clouzot - 1960, "le beau mariage" d'Eric Rohmer - 1982, "hanna k" de Constantin Costagavras - 1983, "Maine océan" de Jacques Rozier - 1985. Le catalogue du festival peut encore être obtenu auprès de l'association Nantes aime le cinéma, 19 passage Pommeraye à Nantes 44000 tél. : 40-73-88-40.

(6 & 6 bis) « La veine » et « L'arriviste » n'ont pu être retrouvés. Ont-ils à jamais disparu ? Ce serait dommage tant leur problématique s'inscrit dans l'histoire de la 3è République (cf. Yves-Henri Gaudemet Les juristes et la vie politique de la 3è République, Pairs 1972).

(7) « La vie de plaisir » a été visionné sur cassette. Projeté par FR3 en Août 1989 dans le cadre du « Cinéma de minuit », la copie existant chez UGC est trop mauvaise pour pouvoir être projetée en salle. Pourtant, ce film est apparu aux auteurs de ces lignes comme essentiel à la compréhension de l'idéologie nationale socialiste que voulait diffuser la Continental Film. Or, si les historiens ont souligné l'interdiction à la Libération, aucun ne semble avoir analysé avec précision son contenu. Il y a donc urgence à sauver ce film, qui peut éclairer d'un jour nouveau l'énigme de la politique idéologique de la Continental (cf. sur ces questions : Jacques Siclier La France de Pétain et son cinéma , Paris 1981. Jean-Pierre Bertin Maghit Le Cinéma sous l'occupation, Paris 1989 et François Garcon, op. cit., ne mentionnent même pas l'existence du film).

(8) Le film aura un immense succès, même un URSS. L'avocat comme personnage populaire, car désintéressé, fait recette. Une polémique est même déclenchée entre Jean-Paul Sarthe et Raymond Borde, qui dans « Les temps modernes » s'est permis de le soutenir, le présentant comme un aboutissement du « néoréalisme parisien » (cf. Les temps modernes n° 109 Janvier 1955 et Les cahiers de la cinémathèque n° 50, 1988, « La petite bourgeoisie dans le cinéma français » page 67 et suivantes : « Sans véritable vedette, sans intrigue... le film fit finalement beaucoup de choses. Mais il faut le voir au-delà du sourire »)

(9) Les dialogues ont été publiés dans Georges Franju « La tête contre les murs », L'avant-scène cinéma Octobre 1986 n° 356.

(10) »En cas de malheur » a été rediffusé en Février 1990 sur FR3. « La vérité » d'Henri-Georges Clouzot est ressorti en salles fin 1989 et vient d'être réédité en vidéo-cassettes.. «  Les bonnes causes » ont fait l'objet d'une réédition vidéo.

(11) Cette décision - Paris 14è Chambre 6 juin 1987 - F.../ Société Triman Film et autres - recueil Dalloz et Sirey 1985 - est étonnante si on la rapproche de la décision d'interdiction concernant « L'insoumis » prise en 1964 - TGI de la Seine Référé 25 Septembre 1964, (Gazette du Palais du 6 Avril 1965).

(12) Nous remercions Monsieur Ozanam, archiviste du Barreau de Paris, d'avoir eu l'amabilité de rechercher et de nous fournir cette décision reproduite en annexe. En 1974, les avocats jouant dans « La vie l'amour la mort » n'auront pas ces scrupules et ne seront pas sanctionnés, ni davantage Maître Polack, intervenant à la fin de l'affaire Dominici.

(13) A noter cependant, exception à la règle du désintéressement féminin, la personnalité trouble de Maître Surville, jouée par Renée Faure, dans « Rue des prairies » de Denys de La Patelliere (1959), avocate n'hésitant pas à conseiller à ses clients de mentir et d'accuser leurs parents agoptifs de mauvais traitements, stratagème qui échouera d'ailleurs devants la Tribunal.

(14) Après avoir volé dans le coffre du Cabinet, une grosse liasse de billets, elle laisse un message sur dictaphone à l'attention de son patron, Maître Asselin : « la somme que j'emporte n'est qu'une petite indemnité pour les cinq ans d'exploitation que j'ai vécu chez vous. N'essayez pas de me poursuibre,, vos méthodes pour échapper au fisc passionnereaient certainement l'administration » Extrait du dialogue signé Yves Boisset.

(15) Dominique Soulez-Lariviere Justice pour la Justice 1990 (chapitre 7, l'imaginaire - page 139 et suiv.)