LA TRANSACTION FACILITE LE RÈGLEMENT DES LITIGES



Depuis plus de vingt ans, les Médiateurs ont eu en permanence le souci d'introduire plus de dialogue et d'équité dans les relations entre les citoyens et les organismes investis d'une mission de service public, de contribuer au bon fonctionnement de l'État de droit et à une meilleure cohésion sociale.

Plusieurs mesures récentes témoignent de la volonté affichée au plus haut niveau de l'État de prendre en considération les besoins et les attentes des citoyens en privilégiant : la qualité, l'accessibilité, la simplicité, la rapidité, la transparence.

Il s'agit notamment de la circulaire du 6 février 1995 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits (Journal officiel du 15/02/95 p. 2518).

Ces dispositions sont encourageantes, elles nécessitent un effort d'innovation et d'adaptation qui permettra d'aller vers un système plus ouvert, plus évolutif des relations entre les citoyens et les services publics.

Traditionnellement les litiges en matière administrative sont réglés selon un mode classique : le règlement juridictionnel. De façon habituelle, ce sont la juridiction administrative et plus exceptionnellement l'autorité judiciaire qui tranchent les litiges de façon binaire en accueillant ou en rejetant le recours.

La complexité croissante des relations sociales et l'exigence par les administrés d'une meilleure reconnaissance de leurs droits ont entraîné une multiplication des conflits entre l'Administration et ses partenaires, avec la nécessité de les régler le plus vite et le mieux possible.

La multiplication des conflits a provoqué une explosion des recours et la surcharge des juridictions administratives.

Outre la nécessité de trouver des remèdes à cette surcharge des juridictions, il est apparu nécessaire, afin de rapprocher l'Administration de ses usagers, de rechercher des procédures de règlement des litiges plus rapides, moins formelles.

Fort de ce constat, le Premier ministre a, en juillet 1991, sollicité du Conseil d'État qu'il procède à une étude concernant les modes non contentieux de règlement des conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative.

Dans son introduction, cette étude a consacré un développement au Médiateur de la République qui, depuis plus de vingt ans, reçoit des réclamations relatives au fonctionnement des administrations de l'État, des collectivités publiques territoriales ou de tout organisme investi d'une mission de service public.

Le Médiateur de la République recherche, par voie d'accord amiable, un terrain d'entente avec les services investis d'une mission de service public; il s'efforce de les convaincre afin d'améliorer leur bon fonctionnement.

Les démarches entreprises par le Médiateur aboutissent fréquemment à une issue favorable, dès lors que la réclamation est justifiée.

Si le Médiateur de la République favorise le règlement amiable des conflits, il ne dispose à l'égard des administrations que de son pouvoir de persuasion.

Afin de développer les processus amiables, le Conseil d'État a exploré les possibilités de recourir à certains outils juridiques, comme la transaction.

Le premier constat est que la transaction existe dans les textes : c'est un règlement amiable d'un litige impliquant des concessions réciproques et, à tout le moins, un rapprochement de prétentions pécuniaires au départ éloignées les unes des autres.

Rien ne s'oppose à ce que l'Administration transige; depuis la fin du siècle dernier, le Conseil d'État a reconnu aux ministres le droit de transiger.

Mais la conception ancienne, qui voit dans la transaction une renonciation à des droits, a marqué durablement le comportement de la plupart des administrations, qui sont réticentes à transiger, à l'exception de deux d'entre elles : l'administration fiscale et celle des douanes.

Il est à noter que, dans le cadre de la représentation de l'État devant le juge judiciaire, l'agence judiciaire du Trésor et, en matière de responsabilité médicale, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, ont également recours à la transaction.

Dans certains domaines comme la réparation des préjudices résultant des accidents de la circulation ou les indemnisations du refus de concours de la force publique en matière d'expulsions locatives, la réparation est également négociée amiablement.

Le succès de la transaction dans ces domaines paraît lié à l'existence de litiges de même nature relativement nombreux et ne posant pas de problèmes juridiques ou d'évaluation complexes.

À l'exception de ces domaines précis, la transaction est peu utilisée, notamment par les collectivités locales et par les services départementaux de l'État.

Aux termes de l'étude du Conseil d'État, il apparaît d'une part que la transaction est traditionnellement méconnue par de nombreux agents, et d'autre part que les requêtes adressées par les citoyens ne sont instruites que superficiellement et à un niveau de responsabilité insuffisant. La transaction doit passer outre aux réticences qui peuvent être liées au sentiment ressenti, en particulier par des services à faible effectif, d'une mise en cause de la manière dont l'affaire a été traitée à l'origine. La transaction, pour aboutir, implique un examen approfondi des aspects juridiques et techniques des situations litigieuses par un agent susceptible d'engager son service.

En l'état de ces éléments, l'étude a conclu à la nécessité d'encourager la démarche transactionnelle qui est un élément de qualité du service public. La mission d'intérêt général assumée par les collectivités publiques doit conduire ces dernières à privilégier la prévention des litiges, en informant précisément les usagers de leurs droits et de leurs obligations et en réglant les litiges de leur propre initiative, sans qu'il soit nécessaire qu'une contrainte extérieure s'exerce, et chaque fois qu'il apparaît que les droits des usagers sont établis de manière incontestable.

La démarche transactionnelle doit devenir un réflexe des administrations dès l'examen d'un recours gracieux, afin d'améliorer la qualité du service rendu.

Elle présente plusieurs avantages :

- rapidité, en raison de sa souplesse et de sa nature contractuelle : les parties ont le sentiment de maîtriser le déroulement de la procédure transactionnelle;

- gestion économe des deniers publics dans la mesure où elle évite les frais de procédure et réduit le montant des intérêts;

- efficacité accrue des procédures contentieuses qui, moins nombreuses, sont traitées plus rapidement. Celles-ci porteront sur des points de droit qu'elles clarifieront, renforçant ainsi la sécurité juridique, ouvrant par voie de conséquence de nouvelles possibilités de transactions.

En conclusion, la démarche transactionnelle doit être privilégiée chaque fois que la collectivité publique est certaine que sa responsabilité est engagée et qu'elle a entraîné un préjudice.

Cette étude a préconisé qu'une circulaire émanant du Premier ministre présente la transaction, marquant ainsi sa légitimité et mettant l'accent sur les conditions requises pour qu'elle soit régulière. De même, les services publics seront incités à élaborer et à lancer de véritables politiques d'information et de formation des fonctionnaires à la transaction.

C'est ainsi qu'un texte, à la préparation duquel le Médiateur de la République a été associé, a été élaboré par le secrétariat général du Gouvernement.

Le 6 février 1995, une circulaire du Premier ministre, précisant que le développement de la démarche transactionnelle est souhaitable comme élément de la qualité du service public, invitait les ministres et leurs services à recourir à la transaction pour résoudre les conflits dans tous les cas où il apparaît clairement que l'État a causé un préjudice et doit le réparer. En annexe de cette circulaire était joint le rappel des règles qui s'appliquent à l'Administration en matière de transaction.

Elle constitue un outil privilégié pour le Médiateur de la République lorsqu'il intervient auprès des administrations.

Saisi de deux dossiers dans lesquels sa responsabilité était recherchée, le ministère de la justice, reconnaissant que sa responsabilité était engagée et qu'il avait causé un préjudice, a accepté, sur le fondement de cette circulaire, de procéder à une indemnisation.

Le premier (Réclamation no 94-1613) concerne une aide juridictionnelle accordée pour une procédure engagée en Espagne.

Ayant été licencié par une entreprise espagnole, M. L... avait sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle pour engager contre son ex-employeur une procédure. Il avait obtenu du bureau d'aide juridictionnelle de son domicile une décision positive. Quelque temps plus tard, il devait apprendre du ministère de la justice que l'avocat qu'il avait mandaté en Espagne ne pourrait être rémunéré au titre de l'aide juridictionnelle, contrairement à ce qu'il avait pu espérer à la suite de la décision initiale.

À la suite de l'intervention du Médiateur de la République qui lui proposait une démarche transactionnelle, le ministère de la justice a reconnu que le bureau d'aide juridictionnelle avait outrepassé ses compétences en accordant l'aide juridictionnelle pour un procès engagé devant un organisme étranger qui, en l'espèce, n'était pas une juridiction. Il a en conséquence considéré que l'État était responsable du préjudice lié aux assurances illusoires qu'il avait fournies à l'intéressé, et a accepté de lui verser une indemnité égale au montant de la rétribution qu'il aurait versée à l'avocat.

L'intéressé a accepté l'indemnisation qui lui était proposée.

Une autre réclamation (no 94-4480) illustre la démarche transactionnelle mise en úuvre par le ministère de la justice :

Un jour d'élection, M. B... est informé qu'il a été radié des listes électorales parce qu'il est frappé d'une incapacité notifiée par le casier judiciaire. Il ne peut donc pas voter.

N'ayant jamais été condamné, M. B... sollicite des explications et apprend du service du casier judiciaire national qu'à la suite d'une confusion d'identité, un avis d'insoumission, concernant une personne dont l'état civil est très proche du sien, lui a été abusivement attribué. Cette regrettable erreur avait entraîné sa condamnation pénale pour insoumission prononcée par le tribunal de grande instance de D.

Estimant que cette situation lui avait causé un grave préjudice moral, M. B... considérait pouvoir prétendre à une indemnisation qu'il évaluait à 50 000 F.

Le Médiateur de la République a alors interrogé le ministère de la justice sur les possibilités de régler à l'amiable ce litige.

Le ministère de la justice, reconnaissant à la fois la responsabilité de l'État et le préjudice subi par M. B..., a proposé le règlement d'une somme de 15 000 F qui a été acceptée par M. B...

Le recours à la démarche transactionnelle est un facteur d'amélioration des relations entre les citoyens et les administrations, et le développement de cette pratique est précieux pour le Médiateur de la République qui pourra s'en prévaloir également auprès des collectivités locales.

En incitant les administrations à recourir à la transaction, le Médiateur de la République contribue ainsi au développement de cet outil juridique qui ne peut que favoriser un rapprochement des citoyens avec les administrations.

Au cours de l'année 1995, le Médiateur de la République a permis, grâce à une transaction négociée pendant de longs mois entre des propriétaires dépossédés, une commune et un organisme HLM, de mettre fin à un litige vieux de trente années.

La réclamation no 90-2214 avait été transmise par M. Jean-Pierre DELALANDE, député du Val-d'Oise :

En 1960, l'autorité judiciaire ordonna, au profit d'une commune, l'expropriation pour cause d'utilité publique de plusieurs parcelles de terrain contiguës appartenant à huit propriétaires différents. Peu de temps après, la commune céda le lot de terrains à une société d'HLM qui y entreprit aussitôt la construction d'un important ensemble immobilier.

Trois des propriétaires concernés, des dames retraitées, obtinrent de la Cour de cassation l'annulation de l'ordonnance d'expropriation. Ainsi rétablies dans leurs droits, elles pouvaient exiger la restitution de leurs terrains : or, la propriété du sol emportant la propriété du dessus et du dessous, les trois intéressées accédèrent, malgré elles, à la propriété des immeubles édifiés.

Après presque trente années d'une procédure riche en incidents divers, la dernière décision de justice est finalement intervenue en 1988 :

- en premier lieu, l'action engagée par les propriétaires dépossédées tendant à obtenir la nullité de la vente des parcelles litigieuses par la commune à la société d'HLM a été jugée irrecevable;

- en deuxième lieu, la commune et le notaire instrumentaire ont été reconnus solidairement responsables du préjudice des intéressées dû au fait que l'organisme d'HLM n'avait pas été informé de la procédure devant la Cour de cassation au moment de la vente : s'il l'avait été, le contrat n'aurait probablement pas été passé;

Au titre des dommages et intérêts, chaque victime a donc reçu une indemnité de 150 000 F.

- en troisième et dernier lieu, les propriétaires en litige, qui ne pouvaient exiger de la société d'HLM la démolition des ouvrages en raison de sa bonne foi, étaient tenues, pour obtenir la restitution des terrains, de lui rembourser une somme égale à celle dont le fonds avait été valorisé par les constructions soit, à dire d'expert, 16 000 000 F. Néanmoins, une indemnisation de l'improductivité prolongée des terrains a été ordonnée à leur profit.

Cette décision n'a en aucune façon résolu les difficultés, bien au contraire !

Non seulement les propriétaires concernées ne disposaient pas des revenus suffisants pour financer une telle opération mais quand bien même cet obstacle eût-il été levé, chacune d'elles n'aurait jamais pleinement récupéré la jouissance de ses biens; en effet, la construction des bâtiments ayant été réalisée sans tenir compte des divisions originaires du sol, elles possédaient désormais, non plus des vergers, mais pour partie des appartements tronqués sur toute la hauteur d'un immeuble, pour partie des morceaux de jardins ou de parking !

De surcroît, les occupants de ces immeubles, qui avaient vocation à en devenir propriétaires, aux termes d'un contrat de location-coopération, ne pouvaient obtenir le transfert de propriété et en subissaient tous les désagréments.

Dans ces circonstances, la réalisation d'un accord amiable était la seule issue. À la suite de l'échec des multiples négociations entreprises, le Médiateur de la République fut sollicité : son intervention était justifiée par l'impossibilité d'exécuter une décision de justice qui a fait une stricte application de la règle de droit dans un litige mettant en cause un organisme investi d'une mission de service public.

Le Médiateur a lui-même rencontré des difficultés pour mettre les parties d'accord : si, dans le principe, la solution d'une indemnisation des propriétaires dépossédées avait d'emblée été retenue, il n'en demeure pas moins que des conflits d'intérêts émaillaient une négociation interminable à propos du choix du mode de calcul de

l'indemnité, de sa répartition et surtout de la détermination de sa contrepartie. D'une part, les trois propriétaires ne voulaient pas minorer le montant de l'indemnité qu'elles réclamaient (2 000 000 F), d'autre part, la société d'HLM et la commune étaient en position de force, la première ayant été reconnue tiers de bonne foi par le juge, la seconde ayant déjà versé des dommages et intérêts. Toutes deux soulignaient d'ailleurs à loisir la bonne volonté dont elles faisaient preuve pour coopérer. Mais, à force de temps et d'arguments, le Médiateur est parvenu à rapprocher les protagonistes.

Ces derniers, sur invitation du Médiateur, ont alors confié à leurs notaires le soin de formaliser cet accord. Mais face aux tâtonnements des parties pour y parvenir, le Médiateur a lui-même envisagé des solutions et proposé la plus pragmatique d'entre elles :

- fallait-il procéder à une vente amiable des parcelles à la société constructrice ?

- ne fallait-il pas plutôt réaliser une transaction sur la décision de justice de 1988, la validité de ce type d'acte étant depuis longtemps reconnue en droit français ?

Cette seconde solution a finalement été retenue pour des raisons matérielles :

- tout d'abord, il était nécessaire de mettre un terme définitif à une affaire ancienne de trente ans. La signature d'un protocole transactionnel s'imposait donc comme le moyen le plus rapide;

- ensuite, il a été constaté que l'arrêt de la Cour de cassation annulant l'expropriation n'avait pas été publié en sorte qu'à l'égard des tiers, l'expropriation n'avait jamais été annulée et la société d'HLM était régulièrement propriétaire.

Toute régularisation par une vente directe des parcelles litigieuses, par les propriétaires expropriées, supposait préalablement la publication de l'arrêt de la Cour de cassation et une individualisation extrêmement complexe des parcelles appartenant aux propriétaires expropriées.

Les frais afférents à ces deux opérations et notamment leur coût fiscal ont convaincu les parties d'opter pour une transaction bien moins onéreuse. C'est ainsi qu'elles ont transigé par devant notaire le 9 juin 1995 : pour leur part, la société d'HLM et la commune se sont engagées à payer sur-le-champ et respectivement 1 500 000 F et 500 000 F au titre d'une juste réparation du préjudice subi. En contrepartie, deux des propriétaires dépossédées et les héritiers de la troisième, décédée, ont renoncé à contester la propriété des parcelles à la société d'HLM.

Par voie de conséquence, le recours au Médiateur a désormais rendu possible l'accession à la propriété des occupants des appartements construits par la société d'HLM : ceux-ci peuvent désormais en disposer valablement.


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