LE MEDIATEUR ET LES JURIDICTIONS DE L'ORDRE JUDICIAIRE


La tradition française, que nous devons notamment à Montesquieu, a prévu de séparer le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Fidèle à cette tradition, la Constitution de 1958 qui régit l'organisation des pouvoirs publics a confirmé l'indépendance de la fonction de juger, confiée aux juridictions.

En France, le pouvoir juridictionnel est double; outre les juridictions judiciaires, l'Administration a, depuis Napoléon, son propre juge : la juridiction administrative qui tranche les contestations relatives à ses actes.

Indépendance de l'autorité judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, mais également indépendance du Médiateur, qui est " une autorité indépendante ".

Le Médiateur de la République ne saurait donc être rattaché ni au pouvoir exécutif, ni au pouvoir législatif, ni à l'autorité judiciaire. C'est ainsi qu'il n'a aucun pouvoir, et en particulier, aucun pouvoir juridictionnel.

En application de ces principes, le Médiateur de la République ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.

Notre système judiciaire français est bien complexe. Il existe également dans les tribunaux des magistrats chargés de défendre les intérêts généraux de la société. Ces magistrats sont placés sous l'autorité du ministre de la justice auquel les doléances d'un citoyen peuvent être exceptionnellement soumises.

Au service de l'activité juridictionnelle, il y a le service public de la justice qui peut, comme celui de tout autre service public, connaître des dysfonctionnements et justifier l'intervention du Médiateur.

Le Médiateur de la République est saisi de réclamations concernant des dossiers qui se sont égarés; il entreprend alors des démarches en vue de s'assurer de leur reconstitution, prévue par les textes.

Des lenteurs dans le déroulement des procédures lui sont également signalées; il s'adresse alors à l'autorité compétente afin d'attirer son attention sur les conséquences préjudiciables qui en résultent pour le plaideur.

Les victimes d'infractions se plaignent également de ne pas être informées des suites réservées à leur plainte, et de ne pas être convoquées au procès pénal au cours duquel est jugé l'auteur de l'infraction dont elles ont été victimes.

Le Médiateur de la République intervient également auprès des autorités judiciaires pour qu'il soit remédié à ces dysfonctionnements.

Enfin, le Médiateur est parfois saisi par des détenus de difficultés qui les opposent à l'administration pénitentiaire au cours de leur détention.

Dans la mesure où il s'agit du rapport d'un détenu avec l'administration pénitentiaire, rien ne s'oppose à une intervention.

En France les rapports du Médiateur de la République et des juridictions sont définis par l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973 instituant le Médiateur de la République qui dispose : " Le Médiateur de la République ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle... "

Lors de l'élaboration de la loi de 1973, le garde des sceaux, ministre de la justice, René PLEVEN, rappelant les préoccupations du gouvernement, précisait : le Médiateur doit s'insérer " exactement dans notre organisation constitutionnelle. Celle-ci définit les rôles respectifs du Parlement, du Gouvernement et de l'autorité judiciaire... " Il ajoutait encore : " quant aux décisions des juridictions, elles sont souveraines et il ne saurait être question de transformer le Médiateur en troisième ou quatrième degré d'appel, le Médiateur n'aura donc pas à connaître des décisions juridictionnelles. "

La discussion parlementaire, sur ce point, a été quasiment inexistante tant il est apparu évident pour le gouvernement, comme pour les parlementaires, que l'indépendance respective du Médiateur et des juridictions devait être sauvegardée.

La rédaction de l'article 11 de la loi de 1973 et les travaux préparatoires sont en parfaite harmonie avec l'organisation des pouvoirs en France telle qu'elle est définie par la Constitution votée en 1958.

Si l'expression " pouvoir judiciaire " a disparu dans le texte de la Constitution de 1958, pour être remplacée par celle d'" autorité judiciaire ", il est néanmoins unanimement admis que l'indépendance de la fonction de juger dévolue aux juridictions doit être préservée.

C'est pourquoi l'indépendance des juridictions, organes chargés de dire le droit, a été qualifiée de principe constitutionnel fondé sur l'article 64 de la Constitution, pour la juridiction judiciaire, et sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, pour la juridiction administrative.

Dans une importante décision du 22 juillet 1980, le Conseil constitutionnel, chargé en France de contrôler la conformité des lois à la Constitution, a confirmé et appliqué, de manière indirecte, le principe de la séparation des pouvoirs aux rapports entre les juridictions et les pouvoirs législatifs et exécutifs en indiquant: " il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement, de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans les jugements des litiges relevant de leur compétence. "

Exécutif et Législatif doivent donc respecter l'indépendance des juridictions judiciaire et administrative, c'est-à-dire des organes chargés de trancher les litiges au moyen d'une décision.

Selon les termes de la loi de 1973 instituant le Médiateur et des lois subséquentes, il en est de même pour le Médiateur de la République qui doit également respecter l'indépendance des juridictions judiciaire et administrative lorsqu'elles exercent leur pouvoir de juger.

Ces éléments ne laissent donc théoriquement pas beaucoup de place pour des interventions du Médiateur de la République auprès des juridictions.

C'est oublier que la justice est également un service public géré par le ministère de la justice; le fonctionnement de ce service public peut, comme celui de tout autre service public, connaître des dysfonctionnements et justifier une intervention du Médiateur de la République.


I. LE MÉDIATEUR NE PEUT INTERVENIR POUR INFLUENCER UNE DÉCISION MAIS IL PEUT TOUJOURS DEMANDER DES RENSEIGNEMENTS

A. L'INDÉPENDANCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE EXCLUT TOUTE INTERVENTION DU MÉDIATEUR AUPRÈS DES JURIDICTIONS

Le Médiateur ne peut donc se substituer aux juridictions pour les actes relevant de leur compétence, en raison de leur indépendance constitutionnelle, mais il dispose de la possibilité d'intervenir auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, qui exerce son autorité sur les procureurs des cours et tribunaux.

1. Une impossibilité d'intervenir auprès des juridictions pour influencer une décision ou remettre en cause une décision de justice

Cependant, il n'est pas rare qu'à l'occasion d'un litige opposant deux personnes privées, il soit demandé au Médiateur de la République d'intervenir auprès d'une juridiction pour obtenir la remise en cause d'une décision de justice.

En application de l'article 11 de la loi de 1973, le Médiateur n'aura pas compétence pour envisager une quelconque intervention en ce sens.

Dans le même ordre d'idées, il ne peut s'adresser à un juge d'instruction pour obtenir la mise en liberté d'un détenu ou, dans le sens inverse, la prolongation de son incarcération. Les réclamations adressées par des détenus qui clament leur innocence et demandent une intervention du Médiateur pour obtenir leur mise en liberté ne relèvent pas de sa compétence.

2. Une possibilité d'intervenir auprès du garde des sceaux

Les juridictions ne sont pas composées exclusivement de magistrats chargés de juger les affaires soumises aux tribunaux.

À leurs côtés, il y a les magistrats du parquet, placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques qui sont eux-mêmes sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice.

En effet, une des caractéristiques de l'appareil judiciaire français est la présence auprès de toutes les juridictions judiciaires de première instance et d'appel d'un " ministère public ou parquet " dont les représentants sont " reliés " au garde des sceaux, ministre de la justice.

Dans l'exercice de leurs attributions, ces magistrats ne prononcent pas de décisions juridictionnelles. La question se posait, dès lors, de savoir quels étaient, à leur égard, les pouvoirs du Médiateur.

À l'occasion d'une réponse à une question parlementaire en 1976, le Premier ministre devait indiquer : " la limitation des pouvoirs du Médiateur... s'applique aux décisions du ministère public prises dans le cadre d'une procédure engagée devant une juridiction, et notamment à ses réquisitions et à ses conclusions; en revanche, rien ne paraît s'opposer à ce que le Médiateur adresse au ministère de la justice les doléances qu'un citoyen aurait à formuler à l'encontre des autres décisions du ministère public ".

Une telle démarche, qui ne peut revêtir qu'un caractère exceptionnel, doit être effectuée auprès du garde des sceaux, ministre de la justice qui décidera éventuellement de saisir les magistrats du parquet, plus spécialement les procureurs généraux des cours d'appel, sans pouvoir toutefois exercer, à leur place, leur pouvoir propre.

Outre les possibilités d'interventions que la loi a confiées au Médiateur, celui-ci peut toujours informer le réclamant des procédures que les lois sont susceptibles de lui offrir (Réclamation no 92-4331).

À l'occasion de l'ouverture d'un compte bancaire, un réclamant devait apprendre qu'il était interdit bancaire à la suite de l'inscription sur son casier judiciaire de condamnations pénales pour émission de chèques sans provision.

Il se souvint alors qu'il avait été victime du vol de ses papiers d'identité. Pressentant que ses difficultés actuelles pouvaient être liées à ce vol, il entreprit des démarches auprès des autorités judiciaires dont il était sans nouvelles, lorsqu'il a saisi le Médiateur.

Conformément aux dispositions pénales en vigueur, l'intéressé qui n'avait pas été informé des poursuites pénales engagées à son encontre, a demandé - et le Médiateur l'a accompagné dans ces démarches - un nouvel examen de chacune des infractions qui lui avaient été reprochées. Il a finalement été relaxé.

B. LE MÉDIATEUR PEUT TOUJOURS DEMANDER DES RENSEIGNEMENTS CONCERNANT UNE PROCÉDURE.

Une distinction s'impose entre les procédures civiles et pénales. Les renseignements concernant une procédure civile au sens large (commerciale, prud'homale...) peuvent être demandés aux greffes des tribunaux.

Mais dans les affaires de type civil, l'interlocuteur souvent le mieux renseigné, sera l'avocat.

Une plus grande difficulté existe pour les renseignements concernant une procédure pénale.

Au cours de la phase préparatoire du procès pénal, la loi impose le secret de l'enquête et de l'instruction. Ce principe est inscrit dans l'article 11 du code de procédure pénale aux termes duquel " sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure, au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ".

La question peut dès lors se poser de savoir si le Médiateur peut demander à être informé, pour une enquête en cours, de l'état de son avancement et de la nature des investigations menées.

L'article 13 de la loi instituant le Médiateur de la République prévoit que le caractère secret ou confidentiel des pièces dont il demande la communication ne peut lui être opposé, sauf en matière de défense nationale et de sureté de l'État.

L'application combinée de ces textes prête toutefois à interprétation, et c'est la raison pour laquelle le Médiateur suit très attentivement les débats menés à l'initiative du Parlement sur le secret de l'enquête et de l'instruction afin d'enrichir la réflexion sur ce thème.

Si le plaignant sollicite une intervention parce qu'il est sans nouvelles d'une plainte qu'il a déposée, il est possible pour le Médiateur de s'adresser au garde des sceaux, ministre de la justice qui pourra demander au procureur de la République de le renseigner sur le sort réservé à la plainte déposée auprès du commissariat de police ou auprès du parquet.

En conclusion, les renseignements recueillis vont, dans certains cas, mettre en évidence un dysfonctionnement de l'administration de la justice susceptible alors de justifier l'intervention du Médiateur.

II. LE MÉDIATEUR ET LES DYSFONCTIONNEMENTS DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

L'article 1er de la loi de 1973 donne compétence au Médiateur de la République pour recevoir les réclamations concernant le fonctionnement de tous les services publics; rien n'empêche donc que le Médiateur connaisse du fonctionnement des tribunaux. Une distinction mérite d'être faite entre les dysfonctionnements en matière pénale et ceux constatés en matière civile.

A. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE PÉNALE

1. Parfois, des dossiers égarés

Dans ce cas, en liaison avec le parquet compétent, la procédure de reconstitution du dossier prévue par les article 648 et suivants du code de procédure pénale est engagée. Le dossier, une fois reconstitué, est appelé une nouvelle fois à l'audience.

Si l'issue de cette procédure ne permet pas au réclamant d'obtenir une nouvelle décision, une démarche en vue d'une indemnisation sera engagée auprès du ministère de la justice.

2. Des victimes non convoquées au procès pénal

Actuellement, plusieurs réclamations sont en cours d'instruction émanant de victimes d'infractions qui, après avoir déposé plainte au commissariat ou même directement auprès du procureur de la République, restent sans nouvelles de l'issue de l'enquête.

Elles apprennent de longs mois plus tard, à l'occasion d'une démarche qu'elles font au tribunal, que l'auteur de l'infraction a été condamné sans qu'elles aient été convoquées et en mesure de demander réparation du préjudice subi.

Dans un premier temps, une intervention est menée auprès du procureur de la République afin de rechercher les raisons pour lesquelles les intéressés n'ont pas été convoqués.

En fonction des réponses reçues, il conviendra de rechercher si une démarche en vue d'obtenir du ministère de la justice une indemnisation peut être envisagée.

Toutefois, en marge de l'instance pénale - au cours de laquelle elle peut demander réparation du préjudice subi - la victime dispose également de la voie civile; ce qui signifie qu'elle pourra s'adresser, même après la décision condamnant pénalement l'auteur de l'infraction, à la juridiction civile pour obtenir réparation de son préjudice.

B. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE CIVILE

Dès ses premiers rapports, le Médiateur indiquait recevoir des réclamations attirant son attention sur la lenteur des procédures juridictionnelles et il précisait qu'il considérait pouvoir " être tenu informé du fonctionnement des juridictions " et trouver " sa pleine compétence pour intervenir lorsque lui sont dénoncées les lenteurs apportées par les tribunaux pour l'examen des litiges soumis à leur examen. " (rapport 1975).

Le Médiateur continue d'être saisi et intervient dans les réclamations de cette nature.

Dans un autre domaine, le Médiateur de la République, courant 1986, avait attiré l'attention du garde des sceaux sur les conditions d'accueil des couples lors des audiences de conciliation. Tous les couples, dont l'affaire était évoquée dans la demi-journée, étaient convoqués à la même heure et attendaient leur appel dans une même salle.

Le Médiateur avait souhaité une amélioration des convocations, étalées sur la durée de l'audience ou, tout ou moins, un ordre du jour de l'audience communiqué aux intéressés afin qu'ils puissent prendre leurs dispositions, et un aménagement des locaux d'accueil afin que les contacts et discussions entre les parties et leurs conseils puissent se dérouler avec un minimum de discrétion.

Le garde des sceaux, ministre de la justice de l'époque, avait alors adressé aux chefs de juridictions une circulaire concernant les conditions d'accueil, invitant à réduire les attentes imposées aux justiciables comme à leurs conseils.

Dans le même ordre d'idées, l'intervention du Médiateur de la République se justifie chaque fois qu'un justiciable s'adresse à une juridiction et que le courrier reste sans réponse. Même dans l'hypothèse où la demande présentée par l'intéressé ne peut être satisfaite, il incombe à l'administration de la justice de le faire savoir.

Enfin l'attention du Médiateur est également attirée sur des difficultés liées à la reconnaissance de la nationalité française.

En France, les greffiers en chef des tribunaux sont compétents pour reconnaître la nationalité française à ceux qui s'en prévalent. Il s'agit là d'une compétence administrative, le refus de délivrance d'un certificat de nationalité étant susceptible de recours gracieux devant le garde des sceaux, ministre de la justice.

Une volonté déjà ancienne se manifeste d'assurer à ceux qui sont destinataires d'un certificat de nationalité un maximum de sécurité, ceci afin d'éviter que ce document puisse par la suite être remis en cause.

Ce souci légitime de sécurité est à l'origine de délais très longs pour obtenir la délivrance d'un certificat de nationalité; les intéressés ne le comprennent pas toujours. Le Médiateur peut alors faciliter l'instruction des dossiers.

Enfin, la complexité de la combinaison des règles applicables à une personne qui sollicite la délivrance d'un certificat de nationalité française peut être source d'appréciation inexacte ou de dysfonctionnements qui justifieront l'intervention du Médiateur.

En conclusion, seule une approche pragmatique, consistant à analyser la nature de l'intervention demandée au Médiateur de la République et sa " faisabilité " juridique au regard de l'indépendance respective du Médiateur et des juridictions, permet de savoir si l'intervention sollicitée peut être envisagée.

C'est dans cet esprit et grâce à un comportement de responsabilité que les médiateurs successifs ont réussi, chacun à sa manière, sans heurter l'ordonnancement juridictionnel qui est le nôtre, à apporter aux citoyens un complément de garanties, face aux pouvoirs de l'Administration.

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