LE MEDIATEUR ET LES INSTITUTIONS GESTIONNAIRES DU RÉGIME D'ASSURANCE CHOMAGE


Les réclamations concernant le domaine de la protection sociale au sens large sont les plus nombreuses parmi celles reçues par le Médiateur (environ 30 % des dossiers).

Parmi celles-ci, près d'un tiers porte sur l'assurance-chômage et les questions connexes (emploi/formation).

Cette importance n'a cessé de se confirmer depuis le premier semestre de 1993, date à laquelle le nombre des réclamations des demandeurs d'emploi avait très fortement augmenté.

Il est donc apparu indispensable au Médiateur, après les remarques formulées dans son rapport de 1993, de faire à nouveau le bilan, deux ans après, des relations avec les institutions du régime d'assurance-chômage.

Ce point s'organisera autour de trois axes :

- les réclamations reçues, leur objet et les effets de ses interventions;

- les relations du Médiateur avec les ASSEDIC et l'UNEDIC;

- les difficultés qui subsistent liées au contexte économique général.


I.LES RÉCLAMATIONS

Le chômage défini comme un " arrêt involontaire et prolongé du travail dû à l'impossibilité de trouver un emploi en raison de la situation du marché du travail " entraîne des conséquences sociales d'autant plus graves qu'il est devenu un phénomène massif.

Outre l'absence de revenu professionnel, il génère pour les personnes privées d'emploi une mise à l'écart et, à terme, une certaine marginalisation qui porte atteinte à leur dignité.

Ce risque très particulier nécessite donc une prise en charge par la collectivité. Celle-ci repose sur un dispositif complexe, caractérisé notamment par la juxtaposition d'un régime d'assurance conventionnel, financé par les employeurs et les salariés, et d'un régime de solidarité, financé par l'État.

Trois types d'organismes concourent aujourd'hui à la protection contre le chômage :

- les ASSEDIC et l'UNEDIC (1) (institutions de droit privé gérées paritairement par les représentants des salariés et des employeurs) pour l'indemnisation;

(1) ASSEDIC : Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce;
UNEDIC : Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce.


- l'Agence nationale pour l'emploi, ANPE, (établissement public) pour la reconnaissance de la qualité de demandeur d'emploi et le retour au travail;

- les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (services déconcentrés du ministère du travail) pour le contrôle de la recherche de travail et l'attribution de certaines aides à l'emploi.

Ce paysage compliqué, spécifique à la France, apparaît difficilement compréhensible à la majorité des demandeurs d'emploi.

Cette complexité, jointe à une dégradation du marché du travail, explique l'augmentation constante des réclamations adressées au Médiateur.

Celles-ci, pour leur très grande majorité, touchent l'indemnisation des chômeurs; le nombre des requêtes émanant des employeurs reste limité.

A. L'OBJET DES REQUÊTES

Une analyse détaillée des réclamations permet d'appréhender les principaux motifs de recours.

Ceux-ci sont essentiellement liés aux conditions d'attribution des allocations et à leur paiement.

1. L'ouverture des droits

Les travailleurs privés d'emploi peuvent prétendre à un revenu de remplacement constitué par une allocation de base dont le montant est dégressif et dont la durée de versement varie en fonction de la durée d'affiliation et de l'âge de l'intéressé.

Pour en bénéficier, les anciens salariés doivent remplir un certain nombre de conditions.

Certaines d'entre elles soulèvent des problèmes particuliers d'appréciation :

- Par exemple, la reconnaissance du statut de salarié qui, faute de définition juridique précise, s'apprécie à partir d'un faisceau d'indices matériels tels que l'existence d'un contrat de travail, d'un lien de subordination, d'une rémunération...

Le Médiateur est fréquemment saisi par d'anciens dirigeants de société liés à leur entreprise par un contrat de travail qui rencontrent des difficultés pour faire reconnaître leur qualité de salarié.

L'action du Médiateur consiste à demander à l'ASSEDIC de réexaminer de façon approfondie l'ensemble des éléments de preuve apportés pour chaque cas. Il reste que l'existence d'un lien de subordination, critère essentiel du contrat de travail, n'est pas toujours facile à établir, surtout dans les sociétés de petite dimension.

- La condition de privation involontaire d'emploi entraîne également des difficultés.

La cessation du contrat de travail du salarié doit résulter d'un licenciement, d'une fin de contrat de travail à durée déterminée ou d'une démission considérée comme " légitime ".

Le Médiateur reçoit nombre de réclamations formulées par des salariés qui ont démissionné et qui ne parviennent pas à faire reconnaître le caractère légitime de cette démission (changement de résidence du conjoint, mariage, démission au cours de la période d'essai...).

- D'autres réclamations émanent de chômeurs se trouvant dans une situation particulière nécessitant un traitement spécifique.

- Les changements de domicile qui impliquent le transfert des dossiers entre ASSEDIC engendrent parfois des dysfonctionnements (dossier égaré, appréciation différente des droits d'un organisme à l'autre).

- La reprise d'activité n'entraîne pas automatiquement la cessation du versement des allocations s'il s'agit d'une " activité réduite " exercée dans certaines conditions. Les missions d'intérim entrent dans cette catégorie. Cependant, la complexité des règles entraîne des difficultés de gestion.

- L'indemnisation des intermittents du spectacle, des travailleurs saisonniers, des salariés ayant travaillé à l'étranger... régis, de par la nature de leur activité par une réglementation spécifique, pose de très nombreux problèmes.

2. Le paiement des allocations

- Des réclamations concernent le montant des allocations servies. Les requérants saisissent le Médiateur surtout pour obtenir des explications précises sur les modalités de calcul.

Les situations étant souvent complexes, le Médiateur intervient auprès de l'ASSEDIC afin que la personne bénéficie d'une information personnalisée.

- Par ailleurs, les trop-perçus représentent près du tiers des réclamations et sont en constante augmentation.

Il faut toutefois relativiser leur importance par rapport au montant des allocations versées.

Ces trop-perçus sont dus à la conjugaison de plusieurs facteurs :

. Une réglementation complexe qui connaît des bouleversements fréquents.

Il s'ensuit des chevauchements de dispositifs et des mises en place de nouvelles règles qui peuvent être mal maîtrisées par le système informatique.

Ceci génère des révisions de situation a posteriori et des demandes de remboursement d'allocations perçues indûment. Ce phénomène s'est, semble-t-il, amplifié lors de l'instauration de la dégressivité des allocations en 1993.

. Des changements de plus en plus rapides dans la situation des demandeurs d'emploi : alternances de périodes de chômage, de formation, de reprise d'activité pour une période courte et quelquefois à temps réduit...

. Des défauts de signalement de la part des allocataires : reprises d'activité même très courtes, périodes de maladie indemnisées...

Dans le cas de reprise d'activité non déclarée, l'allocataire se voit réclamer, pour un ou quelques jours travaillés, la totalité des indemnités versées pour le mois entier.

. Des erreurs imputables aux ASSEDIC dans l'appréciation des droits des allocataires, particulièrement mal ressenties.

Le Médiateur a pu constater, dans certains cas, que des demandes de remboursement de montants relativement élevés sont par trop laconiques et sont insuffisamment explicitées.

Or, la forme et les motivations sont capitales dans la procédure de récupération des indus.

Le Médiateur, au-delà des nécessaires explications, tente d'obtenir dans les cas qui lui paraissent justifiés, des remises ou, à tout le moins, un échéancier de paiement adapté aux capacités contributives des personnes.

B. LES EFFETS DE L'INTERVENTION DU MÉDIATEUR

L'analyse des interventions et des réponses apportées fait apparaître que dans près de trois cas sur quatre, les décisions prises résultent de la stricte application des textes.

Les requêtes s'expliquent toutefois par l'insuffisance des informations données par les organismes et par les difficultés rencontrées par les requérants pour les obtenir. Dès lors, le Médiateur joue un rôle pédagogique à l'égard des réclamants et contribue à " calmer le jeu ".

Dans les autres cas, l'action du Médiateur vise à donner satisfaction aux requérants, partiellement ou totalement.

Lorsque la requête porte sur une remise en cause du bien-fondé de la réglementation, le Médiateur peut être amené à saisir l'UNEDIC.

Tel a été le cas pour la situation des personnels des ambassades et consulats étrangers en France (États hors CEE).

Le règlement de l'assurance-chômage les assimilant à des salariés expatriés, ces personnels ne bénéficient pas d'une couverture contre le risque chômage identique à celle des autres salariés alors qu'ils s'acquittent des mêmes cotisations.

Estimant cette disposition inéquitable, le Médiateur de la République a demandé à l'UNEDIC de se pencher sur cette question.

À la suite de cette démarche, les instances paritaires nationales ont donné un avis favorable à une révision du taux et à un allongement de la durée d'indemnisation de cette catégorie de salariés à compter du 1er juillet 1995.

II. LES RELATIONS DU MÉDIATEUR AVEC LES ASSEDIC ET L'UNEDIC

Dans son rapport de 1993, le Médiateur avait signalé l'existence de difficultés dans ce domaine. Deux ans après, le bilan s'avère plus positif.

A.DES AMÉLIORATIONS SUBSTANTIELLES

Dès la publication du rapport, le directeur général de l'UNEDIC a adressé, en avril 1994, des recommandations à toutes les ASSEDIC.

Celles-ci visaient à apporter des améliorations immédiates, notamment par la désignation au sein de chaque organisme d'un correspondant attitré du Médiateur.

Les ASSEDIC étaient invitées à prendre contact avec les délégués départementaux du Médiateur.

D'autre part, le directeur général rappelait aux ASSEDIC de ne pas ignorer l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 fondant la notion de décision " en équité " et de mettre en úuvre cette disposition légale lorsque la situation particulière d'un allocataire le justifie.

La mise en place progressive de correspondants a en effet facilité les communications entre les ASSEDIC et les collaborateurs du Médiateur.

- Parallèlement, des relations suivies ont été développées avec le correspondant national désigné au sein de l'UNEDIC.

Plusieurs réunions et des contacts permanents ont permis d'amorcer une collaboration fructueuse et d'apporter un échange utile sur le système d'assurance-chômage, ses finalités et ses contraintes, et de fixer des modalités plus opératoires pour le traitement des réclamations.

L'UNEDIC s'est par ailleurs attachée, pour sa part, à suivre l'évolution des relations entre les ASSEDIC et le Médiateur.

La très grande disponibilité du correspondant national a également permis de le solliciter dès le début du traitement de certains dossiers complexes, de manière à mieux appréhender les contestations des allocataires et à mieux cibler les interventions en leur faveur.

- Les délais de réponse des ASSEDIC aux interventions du Médiateur ont enregistré une nette amélioration dès le deuxième semestre 1994, qui s'est poursuivie sur 1995.

Le délai moyen de réponse s'établit désormais autour de 30 à 40 jours (environ 60 % des réponses parviennent dans un délai n'excédant pas 30 jours).

Ces résultats sont dus à la conjugaison d'efforts tant de la part des ASSEDIC que du Médiateur pour se donner les moyens d'apurer les situations anciennes et de traiter les nouveaux dossiers sans retard.

- La qualité des réponses au Médiateur

On note que les interventions du Médiateur reçoivent un meilleur accueil; ainsi les réponses des ASSEDIC sont généralement mieux argumentées.

Nombre d'ASSEDIC interrogent l'UNEDIC avant de prendre position, ayant le souci de vérifier auprès de l'organisme national si une solution amiable peut être apportée au cas d'espèce.

Cependant, malgré cette évolution positive, des difficultés subsistent.

B. LES LIMITES INHÉRENTES AU SYSTÈME

- Le traitement informatique utilisé entraîne des pratiques mal comprises par les usagers.

Le Médiateur relève ainsi l'usage fréquent de la lettre-type non signée et non personnalisée (texte peu explicite et inadapté au cas d'espèce).

S'agissant de décisions défavorables à l'usager, ces courriers, de par leur seule rédaction, peuvent donner l'impression que le dossier n'a pas été étudié avec soin.

Parfois, cette impression négative amène l'usager à contester, le plus souvent inutilement, une décision qui se révèle parfaitement fondée.

Le problème général de la qualité des correspondances et de tous les supports de communication utilisés entre les ASSEDIC et les allocataires mériterait un examen approfondi (personnalisation, lisibilité, invitation des personnes à prendre contact avec l'organisme ...).

Cette question revêt une réelle importance, l'objectif étant, pour les usagers comme pour les institutions, de mettre fin au climat d'incompréhension et de suspicion réciproques qui, compte tenu de la tension engendrée par la situation économique, aurait tendance à se développer.

Par ailleurs, le système informatique ne permet pas un traitement en temps réel, ce qui aboutit à un inévitable décalage dans la prise en compte des situations.

Il s'ensuit des régularisations de situations susceptibles de donner lieu à contestation.

- Les commissions paritaires.

Les institutions gestionnaires du régime d'assurance-chômage se caractérisent par un fonctionnement particulier comparé aux autres organismes de protection sociale.

Cette spécificité est liée à l'origine conventionnelle de ce régime.

Ainsi, il existe au niveau de chaque ASSEDIC, une commission paritaire composée à parts égales de représentants des salariés et des employeurs chargée d'apprécier certaines situations de fait.

La commission paritaire peut donner délégation de pouvoir au directeur de l'ASSEDIC et reste la voie de recours en cas de contestation.

En revanche, la question de savoir si les décisions des commissions paritaires peuvent faire l'objet d'un recours devant les tribunaux n'est toujours pas clairement tranchée. L'arrêt récent (5 juillet 1995) de la Cour de cassation ne permet pas de lever l'ambiguïté de la situation.

Dès lors, les commissions paritaires semblent disposer d'un véritable pouvoir discrétionnaire.

-Par ailleurs, l'intervention du Médiateur trouve ses limites dans le fait que les commissions paritaires refusent de réexaminer les situations en l'absence d'éléments nouveaux. Or, lorsque l'allocataire conteste une décision de la commission qui lui paraît inéquitable, il n'a pas toujours, pour autant, d'éléments nouveaux à faire valoir.

Dans nombre de cas, il apparaît au Médiateur que les commissions paritaires se donnent très peu de marge d'appréciation dans l'application de la règle aux cas d'espèce qui leur sont soumis.

Ce manque de souplesse est d'autant plus regrettable que les personnes privées d'emploi vivent des situations de plus en plus mouvantes et inextricables.

- S'agissant des solutions en " équité ", malgré le rappel de l'UNEDIC, il s'avère que tant l'organisme national que les ASSEDIC restent peu perméables à cette notion que le Médiateur n'invoque pourtant qu'à titre tout à fait exceptionnel.

III. DES DIFFICULTÉS SUBSISTENT LIÉES AU CONTEXTE ÉCONOMIQUE GÉNÉRAL

L'accroissement du nombre des demandeurs d'emploi induit forcément un traitement de masse de leur indemnisation.

À titre d'exemple, l'instruction des dossiers a généré environ 35 millions de mandatements pour la seule année 1994.

La dégradation de la situation économique nécessite des ajustements permanents du règlement d'assurance-chômage. Les partenaires sociaux et l'État se trouvent obligés d'adapter les règles pour faire face aux contraintes financières du régime.

En outre, les changements profonds constatés dans la situation des chômeurs rendent le système extrêmement difficile à gérer.

Dans un contexte aussi défavorable, les institutions qui concourent à la protection des demandeurs d'emploi se doivent cependant de tout mettre en úuvre pour atténuer leurs difficultés.

Le Médiateur, pour sa part, se félicite de toutes les initiatives allant dans ce sens, comme par exemple l'expérimentation en cours sur l'inscription des demandeurs d'emploi par les ASSEDIC au lieu de l'ANPE, qui vise à simplifier les formalités et à permettre une information immédiate en matière d'indemnisation.

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