L'ACTION DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE EN MATIÈRE D'INEXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE


Nul ne peut se soustraire à l'obligation d'exécuter les décisions de justice. Plus que quiconque, l'Administration est tenue d'observer, à l'égard des décisions de justice la concernant, un comportement irréprochable impliquant non seulement qu'elle s'abstienne de méconnaître par son action la chose jugée mais aussi qu'elle prenne toutes les mesures nécessaires à assurer le respect de la chose jugée.

Si l'obligation d'exécuter est contenue dans la formule exécutoire dont sont revêtues les décisions de justice, quel que soit l'ordre de juridiction dont elles émanent, la portée de cette formule paraît, dans les faits, nécessairement limitée, dès lors que les voies d'exécution du droit commun ne peuvent être mises en úuvre à l'encontre des collectivités publiques.

L'impossibilité d'utiliser les voies d'exécution se trouve toutefois compensée par un certain nombre de règles qui, sans appartenir aux procédures spécialement créées pour garantir l'exécution des décisions de justice, ont des effets suffisamment persuasifs pour que l'on puisse considérer qu'elles contribuent à assurer le respect de la chose jugée.

La première de ces règles est celle selon laquelle l'appel des jugements rendus par les tribunaux administratifs n'est pas suspensif. Aussi, l'obligation d'exécuter subsiste-t-elle, sauf si l'appel a été assorti d'une demande de sursis à exécution du jugement et que la juridiction supérieure y a fait droit (art. R 125 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel).

Malheureusement, trop de collectivités publiques invoquent encore l'exercice d'une voie de recours pour tenter de se soustraire à leurs obligations d'exécution ou pour en retarder l'échéance.

En revanche, l'appel des décisions émanant de la juridiction judiciaire est suspensif sauf si l'exécution provisoire a été accordée par le jugement.

Par ailleurs, l'efficacité des décisions juridictionnelles d'annulation est assurée par la publication, au Journal officiel, des décisions du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort et prononçant l'annulation des actes administratifs réglementaires qui avaient été eux-mêmes, en leur temps, publiés au Journal officiel.

Mise en place depuis une instruction du Premier ministre en date du 28 décembre 1973, cette mesure de publicité, certes limitée à la catégorie des actes à caractère réglementaire pris par l'Administration centrale, témoigne néanmoins de l'intérêt porté au contrôle juridictionnel et du souci d'assurer, au moins sur le plan pédagogique et sur celui de l'information, l'efficacité de ce contrôle.

Au-delà d'un délai raisonnable, plus ou moins étendu selon que l'exécution de la chose jugée présente ou non des difficultés, l'inexécution d'une décision de justice constitue une illégalité et permet de mettre en jeu la responsabilité de l'Administration. Le bénéficiaire d'un jugement peut donc obtenir, distinctement ou simultanément, l'annulation de la décision refusant l'exécution ainsi que la condamnation de la collectivité publique à réparer le préjudice subi. La menace d'une sanction de cette nature suffit parfois à vaincre l'inertie de l'Administration, mais en cas de mauvais vouloir persistant, le justiciable se trouve dans l'obligation de reprendre une initiative contentieuse.

Tant qu'il s'est agi de cas d'inexécution de décisions de justice isolés, il n'est pas apparu utile de multiplier les mécanismes destinés à faire échec à des difficultés de cette nature. Il a fallu cependant faire face à un contentieux en augmentation permanente et à une demande légitime du citoyen pour une justice efficace, ce qui devait conduire le Parlement et le Gouvernement à rechercher des moyens propres à améliorer les délais ainsi que les modalités d'exécution de décisions juridictionnelles rendues sur des recours mettant en cause des collectivités publiques.

Au cours des trente dernières années, diverses solutions ont été imaginées et mises en place. Récemment encore, le législateur a prévu une procédure audacieuse, que le juge administratif peut mettre en úuvre pour prévenir une absence d'exécution ou pour la sanctionner. Tout ceci montre que le respect des décisions de justice constitue une préoccupation essentielle.

Cette préoccupation s'exprime également dans les circulaires qui, régulièrement, rappellent aux collectivités publiques l'étendue de leurs obligations : circulaires du Premier ministre en date des 13 octobre 1988 et 9 février 1995 et du ministre de l'Intérieur en date des 23 juin 1987 et 16 octobre 1989. Dans la circulaire du 9 février 1995, le Premier ministre insiste sur l'obligation, pour l'Administration, de respecter les décisions de la juridiction judiciaire, au même titre qu'elle est tenue de respecter celles de la juridiction administrative. J'avais en effet signalé au Premier ministre l'existence de situations traduisant une mauvaise volonté manifeste de la part de certaines administrations à l'égard des décisions du juge judiciaire.

Par l'action qu'il met en úuvre sur le fondement de l'article 11 alinéa 2 de la loi du 3 janvier 1973, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 1976, le Médiateur de la République concourt à donner au justiciable, bénéficiaire d'une décision de justice rendue à son profit, les moyens d'obtenir une satisfaction effective. Rappelons en effet qu'aux termes des dispositions de cet article, il peut, " ... en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme mis en cause de s'y conformer dans un délai qu'il fixe. Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice fait l'objet d'un rapport spécial présenté dans les conditions prévues à l'article 14 et publié au Journal officiel ".

Il m'est apparu utile d'évoquer dans le présent rapport la compétence originale dévolue au Médiateur de la République depuis une vingtaine d'années et d'en évaluer l'efficacité.


I. LE MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE, EN RENFORT DES MOYENS D'EXÉCUTION DES DÉCISIONS DE JUSTICE

Les divers moyens mis à la disposition des personnes confrontées à l'inexécution d'une décision de justice de la part de l'Administration ne sont pas tous de même nature et ne sont pas interchangeables. Les solutions varient en effet selon que la décision émane de la juridiction judiciaire ou de la juridiction administrative, prononce l'annulation d'un acte administratif ou condamne une collectivité publique au paiement d'une somme d'argent, est ou non passée en force de chose jugée.

Parmi les procédures que l'on peut recenser, certaines présentent un caractère exclusivement juridictionnel, ce qui implique l'obligation d'engager une nouvelle instance à l'encontre de la collectivité publique récalcitrante. Cette perspective peut apparaître comme abusivement contraignante pour le justiciable dont les droits ont déjà été reconnus par un tribunal lors du jugement du litige principal.

L'inexécution des décisions de justice doit donc pouvoir être également combattue par des moyens autres que juridictionnels.

A. LES MÉCANISMES À CARACTÈRE NON JURIDICTIONNEL

1. Les mesures propres aux condamnations pécuniaires

En principe, l'exécution des décisions de justice prononçant une condamnation de payer une somme d'argent ne soulève pas de difficulté juridique. Le montant même de l'indemnité étant, sauf exception, indiqué dans le dispositif, l'Administration est tenue de s'en acquitter. Elle est même tenue de faire diligence, de façon à éviter que la somme mise à sa charge ne s'accroisse dans des proportions importantes en raison du cours des intérêts. Cette somme est en effet productrice d'intérêts, soit à compter d'une date fixée par le juge si celui-ci a été saisi de conclusions expresses sur ce point, soit, en l'absence de demande expresse tendant à l'octroi des intérêts au taux légal, à compter du jour du prononcé du jugement. Quant au taux de l'intérêt légal, il est majoré de cinq points si le jugement n'est pas exécuté dans les deux mois de sa notification (CE, sect. 16 janvier 1987, Ribot Leb., p. 9).

L'importante loi no 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, offre aux justiciables deux procédures distinctes d'une extrême importance, l'une juridictionnelle (réservée aux

astreintes), l'autre non juridictionnelle. C'est à cette dernière que l'on s'intéressera tout d'abord puisqu'il s'agit de la mise en place d'un mécanisme administratif permettant de contraindre une collectivité publique à payer la somme d'argent à laquelle elle a été condamnée par une décision de justice.

Les dispositions de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 présentent un triple intérêt : d'une part, elles visent toute décision juridictionnelle sans distinction entre les ordres de juridictions; d'autre part, des contraintes équivalentes pèsent sur les collectivités publiques, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités territoriales ou des établissements publics; enfin la Cour de discipline budgétaire et financière, saisie par le créancier, peut être amenée à sanctionner les manquements à l'obligation d'exécuter les décisions de justice (cf. article 1er-III de la loi du 16 juillet 1980 et article 78 de la loi no 93-122 du 29 janvier 1993).

Le bénéfice des dispositions de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 est subordonné à deux conditions : il faut que la décision soit passée en force de chose jugée et que le montant de la condamnation soit expressément mentionné dans la décision elle-même, ce qui exclut les décisions qui, après avoir statué sur les droits du demandeur, renvoient celui-ci devant l'Administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité.

Dès lors que ces deux conditions sont réunies, l'ordonnance ou le mandat de paiement doivent être émis avant l'expiration d'un délai de quatre mois calculé à compter de la date de notification de la décision juridictionnelle en cause, à la collectivité publique condamnée. En cas de retard dans l'ordonnancement d'une somme due par l'État, le créancier peut saisir directement le comptable public, tenu alors de procéder au paiement. S'agissant des collectivités locales et des établissements publics, le retard dans l'ordonnancement ou le mandatement permet respectivement au préfet ou à l'autorité de tutelle de procéder au mandatement d'office après avoir, le cas échéant, inscrit d'office la dépense au budget (cf. décret du 12 mai 1981 modifié par le décret du 11 avril 1988).

Lorsque les conditions susvisées permettant la mise en úuvre de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 ne sont pas réunies, le bénéficiaire d'une décision juridictionnelle prononçant une condamnation pécuniaire à l'encontre d'une collectivité territoriale dispose d'une procédure spécifique, qui a été créée par la loi du 2 mars 1982 modifiée pour garantir l'acquittement des dettes exigibles. Cette procédure, décrite aux articles 11 et 12 pour les communes, 52 et 53 pour les départements, et 83 pour les régions, permet au préfet, au comptable public ou à " toute personne y ayant intérêt " de saisir la chambre régionale des comptes, laquelle dispose alors d'un délai d'un mois pour mettre en demeure la collectivité concernée d'inscrire à son budget une dépense obligatoire. En cas d'échec, le préfet procède à l'inscription d'office de la dépense au budget de la collectivité concernée, puis au mandatement d'office de la dette exigible si la collectivité n'y procède pas elle-même après mise en demeure adressée, cette fois-ci, par le représentant de l'État.

Ainsi, à la différence du mécanisme prévu par la loi du 16 juillet 1980, celui qui résulte de la loi du 2 mars 1982 modifiée fait intervenir la chambre régionale des comptes.

Le justiciable ne peut choisir indifféremment de mettre en úuvre l'un ou l'autre de ces deux mécanismes. L'article 98-I de la loi du 2 mars 1982 modifiée prévoit en effet que l'exécution des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée demeure régie par la loi du 16 juillet 1980.

À la suite d'un avis du Conseil d'État en date du 5 janvier 1989, rendu sur la demande du ministre de l'intérieur, ce dernier a précisé dans une circulaire du 16 octobre 1989 que la procédure de la loi du 2 mars 1982 s'applique d'une part, aux décisions " passées en force de chose jugée et portant condamnation au paiement d'une somme d'argent dont le montant n'a pas été fixé par la décision elle-même " et, d'autre part, aux décisions " non passées en force de chose jugée, mais néanmoins exécutoires ".

2. La Section du rapport et des études du Conseil d'État et la réforme résultant du titre IV de la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative

À l'égard des décisions émanant de la juridiction administrative, un mécanisme spécifique a été introduit par le décret no 63-766 du 30 juillet 1963, permettant aux justiciables de saisir la Commission du rapport et des études du Conseil d'État en cas d'impossibilité d'obtenir l'exécution d'une décision rendue en leur faveur.

La Section du rapport et des études, qui a succédé à la commission susvisée, exerce deux types de compétences définies par le décret du 30 juillet 1963, modifié à plusieurs reprises et en dernier lieu, par le décret no 95-830 du 3 juillet 1995, pris en application de la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

Tout d'abord, à la demande d'un ministre, la Section du rapport et des études peut être amenée à donner tous éclaircissements sur les modalités d'exécution des décisions de la juridiction administrative.

L'intervention de la Section du rapport et des études a pu également, pendant plus de trente ans, être sollicitée par tout requérant, bénéficiaire d'une décision d'une juridiction administrative lui accordant satisfaction, même partiellement. Le rôle joué par la Section du rapport et des études a été considérable dans l'aide apportée aux justiciables pour assurer, dans les meilleures conditions, l'exécution des décisions rendues en leur faveur.

L'accroissement très important du nombre de décisions de la juridiction administrative s'est nécessairement traduit par une augmentation des cas d'inexécution soumis à la Section du rapport et des études.

Aussi, depuis quelques années, une réflexion s'est-elle engagée sur les réformes susceptibles d'être mises en úuvre, qui permettraient, avec des moyens diversifiés, de prévenir les difficultés et de censurer les abus.

Une première réforme, introduite par le décret du 15 mai 1990, a permis au président de la Section du rapport et des études de charger le président de la cour administrative d'appel qui a rendu l'arrêt, ou dans le ressort de laquelle se trouve le tribunal administratif qui a rendu le jugement, d'accomplir toutes démarches utiles en vue d'obtenir l'exécution de la décision en cause.

Cette disposition a été supprimée, en conséquence du nouveau dispositif mis en place par la loi susvisée du 8 février 1995 et par les décrets nos 95-830 et 95-831 du 3 juillet 1995.

La réforme issue de ces textes constitue une véritable déconcentration des compétences exercées jusqu'alors par la Section du rapport et des études du Conseil d'État.

Désormais en effet, les parties qui se heurtent à l'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt s'adressent, en application de l'article L 8-4 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel issu de la loi du 8 février 1995, soit au tribunal administratif si le jugement qu'il a rendu est définitif, soit à la cour administrative d'appel si le jugement lui a été déféré ou si l'arrêt est définitif.

Dans tous les autres cas, notamment ceux où la décision a été rendue par le Conseil d'État statuant au contentieux ou par une juridiction administrative spéciale, la demande " d'aide à l'exécution " est adressée à la Section du rapport et des études du Conseil d'État.

Lorsque le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel sont saisis sur le fondement de l'article L. 8-4 susvisé, le président ou le rapporteur désigné à cette fin procèdent à toutes diligences utiles en vue d'assurer l'exécution de la décision de justice en cause (article R 222-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel).

Pour la conduite de cette phase de conciliation, l'expérience de la Section du rapport et des études, qui a toujours fait úuvre de " médiation ", recherchant par le dialogue et la persuasion l'exécution de la décision dans un délai satisfaisant, sera très utile pour les magistrats des tribunaux et des cours.

L'autorité morale dont jouit la Section du rapport et des études a bien souvent suffi à convaincre l'Administration récalcitrante de prendre les mesures nécessaires à l'exécution. La crainte d'une publication au rapport annuel du Conseil d'État a pu également avoir raison des refus opposés aux premières demandes d'exécution. La réforme évoquée ci-dessus laisse d'ailleurs intacte cette menace, les présidents des tribunaux et des cours devant chaque année rendre compte au président de la Section du rapport et des études des difficultés dont ils ont été saisis, lesquelles peuvent, éventuellement, être retenues pour figurer au rapport annuel du Conseil d'État.

La phase de la concertation peut être suivie, très rapidement, d'une phase juridictionnelle permettant de prescrire toute mesure d'exécution et de prononcer une astreinte par décision de justice. La décision d'ouverture de la procédure juridictionnelle est prise par voie d'ordonnance par le président du tribunal ou de la cour dès qu'il l'estime utile, et en tout état de cause, dans les six mois de la saisine de la juridiction concernée.

Ce mécanisme, défini aux articles L 8-4 et R 222-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, s'inspire très largement du dispositif déjà prévu par l'article 59-4 du décret du 30 juillet 1963 au profit du président de la Section du rapport et des études du Conseil d'État. Sous réserve de quelques adaptations de textes, ce dispositif a été conservé.

3. Le Médiateur de la République

Le Médiateur de la République exerce en matière d'inexécution des décisions de justice des compétences particulières qui ont été créées par la loi du 24 décembre 1976, d'initiative parlementaire. Il s'agit en effet d'une proposition de loi déposée au Sénat par MM. SCHIÉLÉ, MARCILHACY, DE MONTIGNY et NUNINGER. La loi du 24 décembre 1976 a ajouté à l'article 11 de la loi fondatrice du 3 janvier 1973 l'alinéa suivant :

" Il (le Médiateur) peut en outre, en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme mis en cause de s'y conformer dans un délai qu'il fixe. Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice fait l'objet d'un rapport spécial présenté dans les conditions prévues à l'article 14 et publié au Journal officiel ".

En conférant au Médiateur un pouvoir d'injonction, alors que le Gouvernement y était à l'époque opposé, le législateur a fait úuvre novatrice, témoignant par là-même de sa volonté de lutter avec une efficacité renforcée contre les défaillances abusives des personnes publiques.

Comme toutes les autres catégories de réclamations qui sont présentées au Médiateur de la République, celles qui dénoncent l'inexécution d'une décision juridictionnelle doivent être présentées par l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur dont le demandeur a le choix. Il s'agit d'une formalité simple et peu contraignante, étant en outre rappelé que le recours au Médiateur de la République est gratuit.

La demande peut émaner aussi bien d'une personne physique que d'une personne morale, dès lors que cette dernière est effectivement concernée par la décision dont l'exécution est recherchée.

Enfin, le dossier soumis au Médiateur de la République doit faire apparaître que le demandeur a accompli les démarches préalables nécessaires auprès de l'Administration compétente.

En ce qui concerne la compétence du Médiateur de la République, les précisions suivantes doivent être apportées :

- d'une part, son intervention est évidemment subordonnée à la condition que la décision de justice concerne directement l'une des personnes énumérées à l'article 1er de la loi du 3 janvier 1973 : État, collectivité territoriale, établissement public, organisme investi d'une mission de service public;

- d'autre part, les dispositions de l'article 8 de la loi en vertu desquelles le Médiateur de la République ne peut connaître des réclamations présentées par des agents en conflit avec l'Administration ou l'organisme dont ils relèvent ne font pas obstacle à ce que celui-ci mette en úuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article 11. En effet, dès lors que l'objet même du litige a été, par définition, résolu par le juge, l'inexécution de la décision rendue au profit d'un agent d'un service public peut être soumise au Médiateur de la République, les dispositions de l'article 11 alinéa 2 ne comportant, sur ce point, aucune limitation de compétence.

En revanche, les réserves de l'article 8 redeviennent applicables lorsque, à l'occasion d'une réclamation relative à l'inexécution d'une décision de justice rendue en faveur d'un agent public, ce dernier saisit en même temps le Médiateur de la République d'un litige distinct qui l'oppose à son Administration mais qui est étranger à la décision juridictionnelle en cause.

Le cas s'est produit récemment dans les circonstances suivantes : par jugement du 28 avril 1994, le tribunal administratif de Toulouse a, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête aux fins d'annulation, prononcé le sursis à exécution d'un arrêté en date du 31 janvier 1994 par lequel le maire de V. avait mis fin au stage que Mlle S... accomplissait en qualité de rédacteur territorial. N'obtenant pas l'exécution de ce jugement, Mlle S... a saisi le Médiateur de la République qui est intervenu auprès du maire. Par arrêté en date du 24 janvier 1995, ce dernier a prononcé la réintégration de Mlle S... dans son cadre d'emplois de rédacteur. L'intéressée a toutefois estimé que cette décision n'était pas " respectueuse de ses droits ". Elle a fait valoir que, alors que son stage de rédacteur territorial était en cours, elle avait été intégrée dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux par arrêté municipal. Bien que le maire ait rapporté cette décision par un arrêté ultérieur, Mlle S... revendiquait sa réintégration en qualité d'attaché territorial. Le Médiateur de la République lui a fait savoir qu'il n'avait pas compétence pour intervenir dans ce conflit, d'une part en application de l'article 8 de la loi du 3 janvier 1973, et d'autre part en raison de la procédure engagée par Mlle S... devant la juridiction administrative, relative à sa situation statutaire au sein de la commune. Il a considéré que la réintégration de Mlle S... dans le cadre d'emplois de rédacteur territorial correspondait à la stricte exécution du jugement du 28 avril 1994 et a procédé à la clôture du dossier (Réclamation no 95-0031).

Les attributions dévolues au Médiateur de la République sont à rapprocher de la mission que la Section du rapport et des études du Conseil d'État a exercée avant l'entrée en vigueur de la réforme issue de la loi du 8 février 1995 et des décrets du 3 juillet 1995. Deux différences fondamentales méritent toutefois d'être signalées :

- Tout d'abord, le Médiateur de la République peut être saisi d'un cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle quel que soit l'ordre de juridiction dont émane la décision en cause, alors que l'intervention de la Section du rapport et des études a toujours été évidemment limitée aux décisions rendues par la juridiction administrative. Le Médiateur de la République est donc actuellement la seule institution en mesure d'apporter son aide à un justiciable bénéficiaire d'une décision de la juridiction judiciaire. Celui-ci peut certes, en cas de condamnation pécuniaire, utiliser le dispositif prévu par l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 ou celui de la loi du 2 mars 1982, qui ont été évoqués ci-dessus. On constate toutefois que ces mécanismes ne sont pas mis en úuvre aussi souvent qu'ils pourraient l'être, par ignorance ou par lassitude de devoir accomplir certaines formalités préalables. Aussi faut-il se féliciter que, en sa qualité d'autorité indépendante, les prérogatives du Médiateur de la République puissent s'exercer dans le domaine de l'inexécution des décisions juridictionnelles sans distinction entre l'un ou l'autre ordre de juridiction.

- Ensuite, le Médiateur de la République dispose du pouvoir d'injonction, prérogative qui n'est pas partagée par la Section du rapport et des études. Toutefois, l'injonction et, par voie de conséquence, la publication d'un rapport spécial au Journal officiel ne peuvent être mises en úuvre que si la décision est " passée en force de chose jugée ", condition que l'on ne retrouve pas dans les dispositions qui régissent la Section du rapport et des études. Cette différence se justifie par le fait que l'article 59 du décret du 30 juillet 1963 évoqué ci-dessus ne confère pas de pouvoirs de contrainte à cette dernière, aussi bien dans sa rédaction antérieure que dans celle issue du décret no 95-830 du 3 juillet 1995.

Une décision est passée en force de chose jugée lorsqu'elle n'est pas susceptible de faire l'objet d'une voie de recours ordinaire.

Il faut ici rappeler la distinction qui existe entre les décisions passées en force de chose jugée, appelées aussi décisions définitives, à l'égard desquelles le Médiateur de la République peut faire usage de son pouvoir d'injonction, et les décisions qui sont revêtues de l'autorité de la chose jugée, laquelle est acquise dès leur prononcé (à l'exception toutefois des jugements prononçant un sursis à exécution et des ordonnances rendues dans le cadre d'une procédure d'urgence).

Il a été indiqué par ailleurs, dès l'introduction de cette étude, que l'appel des jugements rendus par les tribunaux administratifs n'a pas d'effet suspensif. Il s'agit donc de décisions exécutoires même lorsqu'elles ne sont pas passées en force de chose jugée en raison de l'exercice d'une voie de recours. En cas d'inexécution de la part de l'Administration, rien ne s'oppose à l'intervention du Médiateur de la République qui instruira la demande dont il est saisi en privilégiant l'information, la persuasion, la recommandation, comme il le fait dans tous les autres cas de dysfonctionnements portés à sa connaissance. Il s'interdira seulement, lorsque la décision n'est pas passée en force de chose jugée, l'exercice du pouvoir d'injonction.

Même à l'égard des décisions de justice passées en force de chose jugée, l'injonction a toujours été considérée comme devant demeurer exceptionnelle. Le Médiateur de la République encourage, en priorité, le dialogue, l'information et la pédagogie, ce qui n'exclut nullement les interventions énergiques à l'encontre des administrations défaillantes.

En tout état de cause, l'injonction est un pouvoir propre du Médiateur de la République et le recours à cette arme ultime est laissé à sa seule appréciation, ainsi qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973, tel qu'il a été complété par la loi du 24 décembre 1976. Le Médiateur de la République, qui n'est donc jamais tenu de faire usage de l'injonction, détermine, en fonction des éléments propres à chaque réclamation, la stratégie qui lui paraît la plus appropriée, laquelle peut d'ailleurs évoluer en cours d'instruction.

L'injonction, lorsqu'elle ne peut être évitée, a valeur de sanction morale pour son destinataire, qui est informé que le rapport spécial transmis au Président de la République et au Parlement puis publié au Journal officiel constitue la dernière étape du processus s'il persiste dans son refus de prendre les mesures nécessaires à l'exécution de la décision de justice.

B. LES PROCÉDURES JURIDICTIONNELLES

Soucieux d'assurer le respect de la chose jugée par tous moyens, le législateur a prévu une procédure juridictionnelle qui a fait récemment l'objet de nombreux aménagements.

En effet, la loi du 16 juillet 1980, dont l'article 1er a été évoqué plus haut au titre des procédés administratifs destinés à faire échec à l'inexécution d'une condamnation pécuniaire, a également institué une procédure d'astreinte, exclusivement réservée aux décisions rendues par la juridiction administrative, dont le Conseil d'État a eu le monopole jusqu'à l'intervention de la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

L'article 2 de la loi du 16 juillet 1980 donne au Conseil d'État le pouvoir de prononcer, même d'office, une astreinte contre les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public pour assurer l'exécution d'une décision rendue par une juridiction administrative. Les décisions de la juridiction judiciaire sont, par suite, exclues de cette procédure, alors qu'elles peuvent bénéficier du mécanisme de l'article 1er de cette même loi.

Récemment, le Conseil d'État a fait application de l'article 2 susvisé de la loi du 16 juillet 1980 dans des circonstances inédites.

Constatant que le Gouvernement n'avait pas pris les mesures permettant d'assurer l'exécution d'une décision d'annulation qu'il avait rendue le 24 janvier 1992, le Conseil d'État statuant au contentieux a prononcé une astreinte à l'encontre de l'État lui fixant un délai de six mois pour publier les décrets d'application de la loi du 11 janvier 1984, nécessaires à la titularisation d'agents contractuels du ministère de l'agriculture (CE, 11 mars 1994, M. BOIVIN - M. SOULAT). Au vu de la carence persistante de l'État, le Conseil d'État a liquidé les astreintes, quelques mois plus tard, par plusieurs décisions du 6 janvier 1995.

Le souci d'améliorer par tous moyens l'efficacité des décisions de justice a conduit le législateur à franchir un pas considérable en donnant aux tribunaux administratifs, aux cours administratives d'appel et au Conseil d'État, dans des hypothèses certes bien circonscrites, un pouvoir d'injonction à l'égard de l'autorité administrative. Le principe traditionnel bien connu selon lequel il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'Administration se trouve battu en brèche par les dispositions de l'article L 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et par celles de l'article 6-1 de la loi du 16 juillet 1980 précitée, dans leur rédaction issue de la loi du 8 février 1995.

Sous la double condition que le jugement ou l'arrêt " implique nécessairement " l'intervention d'une mesure d'exécution dans un sens déterminé de la part de l'Administration, et que des conclusions en ce sens soient présentées, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel devront prescrire cette mesure et fixer, le cas échéant, un délai d'exécution (pour une application de ces dispositions, voir CE, ass. 26 mai 1995, M. ETNA et ministre des départements et territoires d'outre mer).

Si, en revanche, le jugement ou l'arrêt implique seulement - mais nécessairement - que l'Administration prenne une décision après une nouvelle instruction, les tribunaux et les cours prescriront le délai à l'intérieur duquel cette décision doit intervenir, à condition là encore, que des conclusions expresses aient été formulées sur ce point. Dans cette hypothèse, le juge se borne à prescrire un délai d'instruction; il ne saurait substituer son pouvoir d'appréciation à celui de l'administration compétente.

Malgré cette restriction, la réforme est d'une extrême importance. Sa portée ne peut encore être mesurée en raison de son caractère récent, mais il est certain qu'elle va contribuer dans des proportions importantes à protéger le justiciable et à éviter les retards abusifs ou, dans les cas extrêmes, l'inertie et les refus manifestes d'exécution. L'injonction peut en effet être accompagnée d'une astreinte qui sera prononcée par la même décision à condition d'avoir été demandée (article L 8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel).

Ces pouvoirs d'injonction et d'astreinte sont également exercés par le Conseil d'État " lorsqu'il règle un litige au fond " (nouvel article 6-1 de la loi du 16 juillet 1980).

II. PORTÉE DE L'ACTION DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

A. BILAN CHIFFRÉ DES DOSSIERS SOUMIS AU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

L'information du public sur les compétences exercées par le Médiateur de la République en matière d'inexécution de décisions de justice s'est réalisée lentement. Ainsi, entre 1977 et 1980, trois saisines seulement ont été recensées, et l'injonction n'a été utilisée qu'une fois, en produisant d'ailleurs les résultats escomptés.

De 1981 à 1990, une centaine de réclamations ont été identifiées par le service informatique de la médiature comme étant relatives à l'inexécution d'une décision de justice. C'est à compter de 1990 que les saisines du Médiateur de la République en cette matière commencent à devenir significatives, atteignant cette année-là le chiffre de 39.

Depuis 1991, le nombre de dossiers enregistrés est en progression constante.
Année 1991 1992 1993 1994 1995 Saisines 46 66 63 98 100 Le rythme s'est nettement accru au cours des deux dernières années. Il est vrai que les décisions de justice rendues chaque année sont en augmentation constante et que, par suite, les risques d'inexécution sont eux-mêmes plus nombreux. Il est vrai, surtout, que le Médiateur de la République fait désormais partie du " paysage familier " de nos institutions et que les usagers sont de plus en plus nombreux à connaître ses possibilités d'action. Sans doute est-ce là la cause principale de l'augmentation du nombre de réclamations en 1994 et 1995.

Au cours de la même période de deux ans, le nombre d'affaires réglées s'établit à 33 pour 1994 et à 6 pour 1995.

Ce sont principalement les agents publics qui dénoncent les difficultés d'exécution des décisions de justice rendues en leur faveur. Près de la moitié des réclamations soumises au Médiateur de la République émanent d'agents qui ne parviennent pas à obtenir leur réintégration à la suite de l'annulation d'un licenciement ou qui se plaignent du non-paiement des indemnités qui leur ont été accordées. Les autres dossiers appartiennent aux catégories les plus diverses : urbanisme, environnement, remembrement, enseignement (examens notamment), police des étrangers, responsabilité de la puissance publique.

B. LES INTERLOCUTEURS NATURELS DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

1. La Section du rapport et des études du Conseil d'État

La Section du rapport et des études du Conseil d'État et le Médiateur de la République ont depuis de nombreuses années, dans un souci d'efficacité, manifesté conjointement une volonté de rapprochement des deux institutions.

Si, bien entendu, la Section du rapport et des études s'attache avant tout à l'analyse juridique de la décision de justice, elle n'exclut pas pour autant les démarches de nature amiable. Ce sont également des considérations juridiques qui guident le Médiateur de la République, mais il recherchera aussi toute solution négociée faisant intervenir l'équité, lorsque les conséquences de la chose jugée apparaissent irréalisables. Les diligences accomplies par la Section du rapport et des études et par le Médiateur de la République présentent, par suite, de nombreux points communs.

Ce souci de coopération est illustré par de nombreuses réclamations, dont la plus célèbre reste à ce jour celle de M. NIOX, qui a donné lieu à de multiples interventions et à l'instruction de trois demandes d'astreinte de la part de la Section du rapport et des études, tandis que le Médiateur de la République avait recours, après de nombreuses démarches, à l'injonction puis à la publication d'un rapport spécial au Journal officiel du 14 octobre 1994 (1).


(1) Le rapport spécial publié au Journal officiel désigne nommément les parties en présence, notamment M. NIOX qui ne parvenait pas à obtenir le paiement des sommes auxquelles avait été condamnée une collectivité publique. C'est pourquoi le nom de M. NIOX se trouve intégralement cité dans le présent rapport.

Par ailleurs, comme cela a été indiqué plus haut, des difficultés juridiques particulières peuvent conduire un ministre à saisir la Section du rapport et des études du Conseil d'État d'une demande d'éclaircissement sur les modalités d'exécution d'une décision de la juridiction administrative.

En pareil cas, par souci de cohérence et de bonne administration, le Médiateur de la République diffère son intervention auprès de la collectivité publique concernée, ce qui ne l'empêche pas, bien entendu, de donner au demandeur tous les conseils d'usage. Les demandes d'éclaircissement adressées à la Section du rapport et des études révèlent en effet, non pas un refus de l'Administration ni même une défaillance de sa part, mais au contraire la volonté de mettre en place des modalités d'exécution du jugement exemptes de toute erreur juridique.

Les contacts réguliers qui se sont instaurés entre la Section du rapport et des études et le Médiateur de la République ont, dans tous les cas, toujours permis une coordination des actions à entreprendre à l'égard des dossiers dont les deux institutions se trouvent saisies simultanément.

2. Le rôle des préfets

L'autorité préfectorale contribue également, on l'a vu, à l'exécution des décisions de justice, en mettant en úuvre la procédure de l'inscription et du mandatement d'office lorsqu'une condamnation pécuniaire prononcée à l'encontre d'une collectivité locale n'est pas exécutée. Au-delà de cette compétence particulière, il faut relever le rôle joué par les préfets pour inciter les collectivités locales à respecter la chose jugée lorsque le bénéficiaire d'une décision de justice leur signale la survenance d'une difficulté.

C'est également souvent au préfet que s'adresse le Médiateur de la République lorsque la réclamation met en cause le mauvais vouloir ou la carence d'une collectivité territoriale. Grâce à sa connaissance des réalités locales et des circonstances dans lesquelles s'est développé le litige, le préfet fournit de précieux éléments d'information qui permettent d'apprécier la nature des difficultés et de déterminer l'action la mieux appropriée pour vaincre l'inertie de la collectivité concernée.

C'est ainsi que le préfet de la Charente-Maritime et le Médiateur de la République ont recherché en commun une solution permettant de mettre un terme au litige suivant :

Une commune du département de la Charente-Maritime avait été condamnée, par un arrêt de la cour d'appel de Poitiers en date du 26 octobre 1988, à procéder à des travaux de zinguerie sur la toiture d'un immeuble communal, sous astreinte provisoire de 200 F par jour. L'astreinte a été liquidée par un arrêt du 25 octobre 1989 à la somme de 2 000 F et le propriétaire de la maison contiguë, en faveur duquel ont été rendues ces deux décisions, a été autorisé à faire exécuter les travaux aux frais de la commune, après nouvelle mise en demeure restée sans effet.

Divers travaux ont été exécutés par la commune en 1993. Estimant toutefois que certains d'entre eux ne présentaient pas de garantie de solidité suffisante, le requérant a saisi le Médiateur de la République en se plaignant d'une exécution non satisfaisante, de la part de la commune, des décisions de justice rendues à son profit.

Les pièces du dossier ont fait apparaître que les services du préfet avaient suivi l'évolution de ce litige depuis son origine et que leur action avait permis le règlement de diverses indemnités.

S'agissant des réparations litigieuses, la seule mesure susceptible d'éviter une nouvelle action contentieuse consistait à faire procéder à un examen de la toiture de l'immeuble par un expert en bâtiment, avec mission de dire si les travaux exécutés par la commune étaient conformes aux règles de l'art.

Cette solution, envisagée par le préfet, est apparue tout à fait raisonnable. Elle présentait en effet l'avantage de permettre aux parties de se rapprocher, et le cas échéant, de négocier sur la base des conclusions de l'expert, en dehors de tout contexte contentieux.

Elle n'a pu cependant être concrétisée, la commune ayant accepté de prendre à sa charge la moitié seulement des frais d'expertise, estimant que l'autre moitié devait être supportée par le requérant dès lors que celui-ci mettait en cause les travaux exécutés par la collectivité en décembre 1993. Ce dernier, de son côté, a refusé toute participation aux honoraires de l'expert.

Il a alors fallu se rendre à l'évidence : d'une part, le montant des frais d'expertise ne pouvait faire l'objet d'une inscription d'office au budget de la commune, dès lors qu'une telle dépense ne présentait pas le caractère d'une dépense obligatoire au sens de l'article 11 de la loi du 2 mars 1982 modifiée; d'autre part, il ne pouvait être reproché à la commune une absence d'exécution de la décision de justice en cause puisque celle-ci avait déjà procédé à des réparations. Seule, une mesure d'expertise aurait donc permis d'apprécier le bien-fondé éventuel des critiques émises par le requérant à l'encontre de ces réparations dont il invoquait le caractère incomplet.

En dépit des efforts conjugés du préfet et du Médiateur de la République, les parties en présence ont maintenu leurs positions respectives.

Dans ces conditions, le Médiateur de la République n'a pu que constater qu'il avait épuisé sa compétence puisqu'il ne pouvait, en l'espèce, faire usage de son pouvoir d'injonction.

Le dossier a été clos sur cette base (Réclamation no 94-0978).

C. LES MÉTHODES DE TRAVAIL DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

Distribuées aux secteurs d'instruction concernés, les réclamations font l'objet d'un premier examen suivi d'une saisine de l'organisme mis en cause. Il s'agit d'une lettre simple par laquelle le Médiateur de la République fait part à l'autorité administrative de son analyse juridique du dossier. Il arrive que les éléments recueillis conduisent rapidement à la réorientation ou au rejet des réclamations. Dans les autres cas, il est procédé au traitement du dossier jusqu'à ce qu'une solution satisfaisante se dégage.

1. La réorientation ou le rejet des réclamations

L'analyse de la réclamation révèle parfois que le litige est présenté à tort comme l'inexécution d'une décision de justice de la part de la collectivité publique. Le cas le plus fréquent est celui des expulsions locatives. À l'origine, il s'agit d'un litige opposant le propriétaire d'un bien immobilier à un occupant dont l'expulsion a été ordonnée par une décision de la juridiction judiciaire. Lorsque le préfet refuse d'accorder le concours de la force publique au propriétaire, la responsabilité de l'État se trouve certes engagée à son égard et le Médiateur de la République peut intervenir dans les négociations permettant d'aboutir à la réparation du préjudice. Il conserve donc bien entendu le dossier et engage les premières démarches auprès de l'administration préfectorale. Mais il ne saurait être question de faire application, en pareil cas, des dispositions de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973, la collectivité publique étant totalement étrangère à la décision de justice en cause (Réclamations nos 94-3782 et 95-1132).

Dans d'autres cas, les services du Médiateur de la République constatent, au vu des pièces produites, que la décision de justice litigieuse a, en réalité, été exécutée. Ce sont les modalités de cette exécution qui sont contestées, ce qui se produit parfois dans le contentieux indemnitaire.

Il arrive en effet que, faute d'éléments suffisants au dossier, le juge ne soit pas en mesure de fixer le montant exact de la somme à laquelle peut prétendre le requérant. En ce cas, il renvoie ce dernier devant l'Administration

pour qu'il soit procédé à la liquidation de son indemnité, en indiquant les bases sur lesquelles doit reposer le calcul. Sauf à avoir la conviction, par un ensemble d'indices probants, que l'évaluation effectuée par l'Administration méconnaît manifestement les termes du jugement - aucun exemple de cette nature n'a été répertorié jusqu'à présent -, le Médiateur de la République ne peut que constater que le jugement a été exécuté, en dépit de la contestation soulevée par le demandeur sur le mode de calcul. Deux dossiers clos respectivement les 9 et 24 février 1995 illustrent cette difficulté. Le premier mettait en cause les services du ministre du travail pour le calcul d'une indemnité destinée à réparer un préjudice résultant du comportement de l'Administration qui avait induit en erreur un salarié sur l'étendue de ses droits. Le second concernait le département du Loiret, redevable d'un rappel de rémunération à l'égard d'une assistante maternelle. Dans chacun de ces dossiers, les indemnités avaient été versées mais les bénéficiaires revendiquaient des sommes plus élevées. L'exécution des décisions de justice n'était donc pas en cause. En outre, le Médiateur de la République ne disposait d'aucun élément attestant du caractère prétendument erroné de l'évaluation à laquelle avait procédé chacune des collectivités publiques mises en cause (Réclamations nos 93-4670 et 94-5555).

Les réclamations faisant état de difficultés de cette nature ne peuvent donc aboutir, mais le Médiateur de la République donne aux intéressés toutes explications utiles ainsi que les conseils nécessaires permettant, le cas échéant, de soumettre la difficulté à la juridiction compétente.

Ce sont également des informations à caractère pédagogique que donne le Médiateur de la République lorsqu'il constate que l'auteur de la réclamation commet une confusion sur l'étendue de ses droits, à la suite de l'annulation d'un acte administratif. Si cette annulation a été prononcée pour un motif de légalité externe, rien ne s'oppose à ce que l'autorité administrative prenne une décision identique, sur le fond, à celle que le juge a annulée, à condition cette fois-ci, de respecter les formalités qui avaient été précédemment méconnues.

Tel a été le cas pour cet étudiant qui a obtenu l'annulation de la décision d'un président d'université qui lui refusait, à la suite de ses résultats à un test d'aptitude, l'autorisation de poursuivre les enseignements conduisant au certificat d'études cliniques spéciales. L'annulation avait été prononcée en raison de deux vices de procédure entachant la décision litigieuse. Prenant soin ultérieurement de respecter la procédure prévue par les textes régissant le certificat d'études cliniques spéciales, le président de l'université a de nouveau opposé une décision de refus à l'intéressé. Le Médiateur de la République devait alors constater que l'université avait respecté la chose jugée. S'agissant du contenu même de la décision, il ne pouvait que rappeler qu'il ne lui appartient pas de contester l'appréciation portée par un jury sur la valeur et les mérites d'un candidat (Réclamation no 94-5040).

Le Médiateur de la République a également eu à connaître une demande présentée par un ressortissant algérien qui avait fait l'objet d'un arrêté d'expulsion annulé par la juridiction administrative pour motivation insuffisante. L'intéressé revendiquait l'autorisation de revenir sur le territoire français : il sollicitait la délivrance d'un visa et la restitution de son ancien titre de séjour.

Alors que ce dossier était en cours d'instruction à la médiature, le Conseil d'État statuant au contentieux a rendu, dans des instances soulevant des questions de même nature, plusieurs décisions desquelles il résulte, d'une part, que l'annulation d'un arrêté d'expulsion a pour effet de faire revivre, à la date de cet arrêté et pour la durée restant à courir à cette date, le titre de séjour que l'expulsion avait abrogé, et d'autre part, que, hormis le cas où le titre de séjour serait en cours de validité, le retour en France du ressortissant étranger est subordonné à la délivrance d'un visa, l'annulation pour motivation insuffisante de l'arrêté d'expulsion ne faisant en elle-même pas obstacle à un refus d'entrée sur le territoire pour des raisons tenant à la situation de fait et de droit (CE, sect. 4 novembre 1994, M. CHIKER no 149 389 et M. AL JOUJO no 136 240).

Prenant acte de cette jurisprudence, en tous points transposable à la réclamation dont il était saisi, le Médiateur de la République a été conduit à rejeter celle-ci après s'être assuré que la situation de l'intéressé avait fait l'objet d'un nouvel examen de la part de l'autorité administrative (Réclamation no 94-3589).

2. L'aide apportée par le Médiateur de la République aux justiciables victimes de l'inexécution de décisions de justice

Le Médiateur de la République a toujours conçu le pouvoir d'injonction comme un pouvoir exceptionnel, auquel il n'a recours qu'après l'échec de ses interventions antérieures. Cette conception est parfaitement conforme aux souhaits exprimés par le législateur, que M. Pierre SCHIÉLÉ, sénateur, rapporteur de la proposition de loi, avait traduits de la façon suivante :

" Je sais très bien que le terme " injonction " ou " enjoindre " a un caractère déplaisant. Dire que le Médiateur " peut, en outre, en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme concerné de s'y conformer dans un délai qu'il fixe ", lui, Médiateur, peut être déplaisant à l'égard de celui qui reçoit ladite injonction.

Rappelons-nous cependant que, si l'injonction doit être faite par le Médiateur à l'organisme en question, c'est que ce dernier n'a pas respecté le jugement qui lui est contraire et qu'il n'a pas exécuté la décision de justice dont il a eu connaissance. C'est donc après des recommandations, des objurgations, des demandes réitérées que le Médiateur, fatigué, va dire : " je vous ordonne de le faire ". Je ne vois rien là de détestable, sinon le fait que nous passons sous silence les étapes intermédiaires, mais il est bien évident qu'elles ne peuvent pas ne pas avoir été accomplies. "

La durée de ces étapes est naturellement fonction des difficultés à résoudre.

Quelques exemples concrets peuvent illustrer ce propos :

Un jugement du conseil des prud'hommes de Paris en date du 26 mai 1992 a accordé diverses indemnités à Mme D..., agent retraité d'un établissement public de l'État. L'appel interjeté par celui-ci a été rejeté par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 6 avril 1993.

N'obtenant pas le règlement des indemnités qui lui avaient été allouées, Mme D... a saisi le Médiateur de la République (Réclamation no 94-1389).

Une difficulté est apparue au cours de l'instruction de ce dossier.

En effet, par suite d'une confusion de langage résultant d'une tradition ancienne dont le conseil des prud'hommes n'avait pas été informé, ou avait été mal informé, celui-ci a condamné non l'établissement public lui-même sous sa dénomination exacte, mais une " fondation ".

Invoquant ce malentendu dans la désignation de la personne morale redevable des indemnités, l'établissement public a persisté dans son refus de paiement des sommes litigieuses, en dépit de plusieurs demandes de la part du Médiateur de la République.

Ce dernier a également entrepris des investigations pour déterminer l'origine de la confusion qui s'était produite.

Les recherches ont confirmé qu'en raison d'une regrettable habitude de langage qui persiste depuis le début du siècle, le terme " fondation " est utilisé à tort, laissant croire à l'existence de deux personnes morales distinctes : l'établissement public d'une part, et la " fondation " de l'autre, alors qu'en réalité aucune fondation n'a été constituée.

Compte tenu de la nature de la difficulté et de l'existence d'un pourvoi en cassation, le Médiateur de la République n'a pas cru devoir recourir à l'injonction, bien que la décision soit passée en force de chose jugée, préférant en l'espèce agir par la négociation.

Aussi, soucieux de faire partager son sens de l'équité, il a insisté auprès de l'établissement public sur les conséquences particulièrement regrettables de ce qui n'était, à l'origine, qu'une erreur de vocabulaire. Il a également rappelé les termes de la circulaire du Premier ministre en date du 9 février 1995, relative au respect des décisions du juge judiciaire.

Le pourvoi formé par l'établissement public a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation en date du 27 juin 1995 au motif, notamment, que la cour d'appel avait légalement justifié sa décision en considérant que cet établissement n'avait pas été partie à l'instance devant le premier juge et n'était, par suite, pas recevable à interjeter appel du jugement.

La difficulté subsiste donc puisque ce n'est pas l'établissement public en tant que tel qui se trouve condamné. Aussi, le Médiateur de la République persiste-t-il dans la voie de la médiation auprès de l'établissement en cause, et désormais auprès de l'autorité de tutelle, pour que le respect dû à la chose jugée, l'équité et le bon sens l'emportent sur toute autre considération.

M. V... a exercé des fonctions de coopérant technique en Tunisie à compter du 23 septembre 1977, de façon continue. Il a été mis fin à ses fonctions à compter du 25 septembre 1992 par une décision du ministre des affaires étrangères en date du 13 avril 1992.

Estimant que cette décision avait été prise en violation des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 10 janvier 1994, considéré dans ses motifs que la décision du 13 avril 1992 devait être annulée et a condamné l'État à verser à M. V... une indemnité pour perte de rémunération, au titre d'une période comprise entre le 25 septembre 1992, date d'effet de son éviction, et le 10 janvier 1994, date du jugement.

Par suite d'une substitution de date, qui ne pouvait s'expliquer que par une erreur strictement matérielle, l'article 1er du dispositif de cette décision a condamné l'État au versement d'une indemnité pour la période du 24 septembre 1992 au 10 janvier 1993 (au lieu du 10 janvier 1994).

Dès qu'il a été en possession de ce jugement, M. V... a déposé un recours en rectification d'erreur matérielle en application de l'article R 205 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Il a également interjeté appel dudit jugement, craignant que son recours soit rejeté comme ne satisfaisant pas aux exigences de délai prévues par l'article R 205 susvisé.

M. V... a par ailleurs demandé au Médiateur de la République d'intervenir auprès du ministre des affaires étrangères.

Il a été aussitôt fait observer à l'autorité administrative que les difficultés d'exécution susceptibles de survenir étaient exclusivement imputables à une erreur matérielle dans le dispositif du jugement, alors que les motifs de la décision elle-même étaient parfaitement clairs.

L'Administration a accepté de procéder au règlement d'une indemnité correspondant à la période du 25 septembre 1992 au 10 janvier 1994 (Réclamation no 94-3713).

En ce qui concerne la décision du 13 avril 1992 mettant fin aux fonctions de M. V..., aucun article du dispositif n'en prononce l'annulation expresse par suite d'une omission, alors que, statuant dans ses motifs sur les conclusions du requérant dirigées contre ladite décision, le tribunal a considéré que celle-ci devait être annulée en raison de l'illégalité dont elle était entachée.

C'est pourquoi, sur ce point également, le Médiateur de la République est intervenu auprès du ministre des affaires étrangères pour rappeler l'étendue des droits du requérant : droit à réintégration, vocation à titularisation en application des articles 73 et 74-1 de la loi du 11 janvier 1984 et droit à indemnisation jusqu'à la réintégration effective.

Il ne semble pas que l'Administration, pour échapper à ses obligations à l'égard de cet agent, entende se prévaloir de l'omission, dans le dispositif du jugement, d'un article prononçant l'annulation expresse de la décision de licenciement.

Toutefois, l'exécution de cette partie du jugement se trouve différée, M. V..., privé d'emploi, ayant accepté d'accomplir une mission de plusieurs mois pour le compte des Nations Unies.

Sa réclamation est donc toujours en cours d'instruction dans les services du Médiateur de la République (Réclamation no 95-0349).

La décision d'un office public d'HLM prononçant la révocation de l'un de ses agents a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 10 décembre 1992.

Un an plus tard, cette décision n'était toujours pas exécutée.

Saisi par l'intéressé, le Médiateur de la République a multiplié les démarches auprès de l'établissement en lui rappelant à chaque fois l'étendue de ses obligations, le jugement étant exécutoire en dépit de l'appel qui avait été formé devant le Conseil d'État.

L'office public d'HLM a alors recherché la possibilité d'échapper à l'obligation de réintégrer son agent en négociant avec lui une solution d'indemnisation que celui-ci a rejetée.

Par décision en date du 4 novembre 1994, le Conseil d'État a rejeté la requête de l'office public dirigée contre le jugement du tribunal administratif.

Le Médiateur a de nouveau insisté auprès de l'établissement pour qu'il réintègre l'agent à compter de la date de sa révocation, et que des mesures à caractère rétroactif soient prises à l'égard de sa situation pécuniaire.

Invoquant la disparition de l'emploi précédemment occupé par cet agent à la suite d'une réorganisation de ses services, l'office persistait à méconnaître la chose jugée.

Le Médiateur a aussitôt manifesté son intention de mettre en úuvre son pouvoir d'injonction, accordant à l'office un dernier délai d'un mois pour procéder à l'exécution des décisions de justice.

À l'issue de ce délai, l'établissement a informé le Médiateur de la République qu'il avait procédé à la réintégration de son agent (Réclamation no 93-4479).

3. Le recours à l'injonction, suivie éventuellement d'un rapport spécial présenté au Président de la République et au Parlement et publié au Journal officiel

L'action du Médiateur de la République ne vise pas à sanctionner les administrations mais à obtenir une exécution complète et diligente de la décision de justice. L'autorité morale qui s'attache à ses interventions, et l'aspect pédagogique des correspondances qu'il adresse aux services mis en cause suffisent bien souvent à résoudre les difficultés. Lorsque la persuasion ne suffit pas, la menace de l'injonction se révèle, dans de nombreux cas, un moyen de pression efficace pour vaincre une réticence persistante.

Ce n'est donc qu'en cas d'échec de ces différents moyens d'action que le Médiateur de la République aura recours à l'injonction, conçue comme un pouvoir exceptionnel réservé aux situations mettant en évidence une volonté délibérée de méconnaître la chose jugée.

C'est la raison pour laquelle le nombre d'injonctions prononcées par le Médiateur de la République est peu élevé, en proportion du nombre de réclamations dont il est saisi : en moyenne, une à cinq injonctions par an, à l'exception de l'année 1987 au cours de laquelle dix injonctions ont été émises.

De 1992 à 1995, le Médiateur de la République a exercé six fois son pouvoir d'injonction :
C'est en juillet 1977 que le Médiateur de la République a eu recours à l'injonction pour la première fois, afin de garantir l'exécution d'une décision de la juridiction judiciaire.

À la suite d'une expropriation de terrains qui n'avaient pas reçu la destination prévue, les propriétaires expropriés ont engagé en 1952 une procédure de rétrocession. Cette procédure s'est achevée en 1970, après cassation et renvoi devant une cour d'appel qui a déclaré la rétrocession impossible et a ouvert aux requérants la voie de la réparation indemnitaire.

Une procédure en indemnisation a donc été engagée.

Un premier arrêt de cour d'appel, en mars 1976, a accordé aux demandeurs une provision sur l'indemnité due. Statuant au fond, la cour a fixé le montant global de l'indemnisation par un arrêt de juin 1977.

C'est pour permettre l'exécution de la première de ces deux décisions que le Médiateur a fait usage de l'injonction.

La Cour de cassation a rejeté successivement les deux pourvois formés par l'Administration à l'encontre des deux arrêts susvisés de la cour d'appel.

Dans l'intervalle, l'autorité administrative avait opposé la prescription quadriennale aux demandes d'indemnisation. Elle soutenait qu'en la matière, le régime applicable était non pas le régime institué par la loi du 31 décembre 1968, mais le régime issu de dispositions antérieures qui donnaient exclusivement compétence à la juridiction administrative pour statuer sur l'exception de prescription. Une nouvelle procédure s'est donc engagée sur ce point, qui s'est achevée par une décision du Tribunal des conflits donnant compétence, en l'espèce, à la juridiction judiciaire.

L'Administration ayant cherché, à différentes reprises, à faire obstacle à l'injonction émise par le Médiateur (pourvois en cassation et procédure annexe), le paiement de la provision est intervenu en décembre 1979.

Le Médiateur de la République a poursuivi ses négociations afin de permettre le règlement du reliquat de l'indemnité selon un calendrier fixé à l'avance. Il a également obtenu l'accord des parties pour que le cours des intérêts soit arrêté au 31 mars 1979 (rapports du Médiateur année 1978 p. 54 et année 1979 p. 52 à 54).

Compte tenu des difficultés susceptibles de survenir dans le déroulement des procédures d'expropriation, les occasions de saisine du Médiateur de la République sont nombreuses en la matière.

On pense notamment à l'hypothèse de l'inexécution d'une décision du juge de l'expropriation fixant le montant de l'indemnité due aux propriétaires expropriés. Le juge de l'expropriation ne condamne pas l'expropriant : il évalue et détermine les sommes dues à l'exproprié (articles L 13-1 et suiv. du code de l'expropriation). En pareil cas, on peut craindre que les dispositions déjà évoquées de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, qui prévoient une procédure de paiement direct par le comptable à l'expiration d'un délai de quatre mois suivant la notification de la décision de justice, ne puissent être mises en úuvre, le bénéfice desdites dispositions étant expressément subordonné à la condition que la décision de justice condamne une collectivité publique.

La compétence du Médiateur de la République en matière d'inexécution de décisions de justice ne comporte aucune restriction de cette nature.

Aussi, en cas de non-paiement de l'indemnité d'expropriation, le Médiateur de la République se trouve être l'unique recours en mesure de venir en aide au bénéficiaire de la décision.

Rappelons cependant que le Médiateur de la République a la faculté de prononcer une injonction mais qu'il n'y est jamais tenu. Aussi les circonstances de l'espèce peuvent-elles éventuellement le conduire à privilégier, au moins dans un premier temps, une action de dialogue et de rapprochement des parties. C'est d'ailleurs ce qui avait été fait dans le dossier dont il a été question ci-dessus. Quant à l'injonction finalement émise, elle n'a pas mis un terme à l'intervention du Médiateur, lequel est parvenu à un accord entre les parties sur la fixation d'une date à laquelle a été arrêté le cours des intérêts.

L'instruction des réclamations révèle souvent que les difficultés dénoncées au Médiateur de la République ont pour origine une méconnaissance, feinte ou réelle, de ce qu'implique le respect de la chose jugée. Une difficulté supplémentaire survient parfois lorsque l'exécution de la décision de justice nécessite l'intervention de deux personnes publiques distinctes, comme le montre la réclamation no 93-0730.

Victime d'un accident de trajet, M. F..., agent stagiaire qui exerçait ses fonctions au centre hospitalier de la ville d'A., s'est vu attribuer, par décision de cet établissement, une rente d'accident du travail calculée sur un taux d'incapacité permanente partielle de 50 %% à compter du 6 octobre 1982.

Il a contesté cette décision devant la commission régionale d'invalidité de Bordeaux, laquelle a rejeté le recours au motif que le litige ne relevait pas de la compétence du contentieux technique de la sécurité sociale.

Par un arrêt en date du 16 avril 1986, la commission nationale technique a annulé la décision de la commission régionale et renvoyé les parties devant ladite commission, autrement composée.

Statuant alors sur l'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle, la commission régionale d'invalidité de Bordeaux a maintenu celui-ci à 50 %.

M. F... ayant de nouveau interjeté appel, la Commission nationale technique a porté le taux d'incapacité à 60 % par un arrêt du 22 mai 1989.

L'intéressé n'a pas obtenu l'exécution de cet arrêt.

Les dispositions alors applicables étaient issues du décret no 77-812 du 13 juillet 1977 fixant le régime de sécurité sociale applicable aux agents stagiaires des départements, des communes et de leurs établissements. Selon l'article 6 de ce texte, la rente, liquidée et payée par la collectivité ou l'établissement dont relève ou relevait l'agent, est remboursée ultérieurement par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.

Consultée par le centre hospitalier d'A., la Caisse des dépôts et consignations, qui gère la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, prétendait pouvoir échapper à l'obligation d'exécuter l'arrêt du 22 mai 1989 en contestant la compétence des juridictions de sécurité sociale.

Or, il avait été jugé, et les décisions étaient devenues définitives, d'une part que les juridictions du contentieux technique étaient compétentes pour se prononcer sur la contestation soulevée par M. F..., et d'autre part que le taux d'incapacité devait être fixé à 60 %.

En raison de l'inexécution persistante, le Médiateur de la République a eu recours, en l'espèce, à l'injonction, laquelle a conduit le centre hospitalier à prendre très rapidement les mesures nécessaires permettant la régularisation de la situation de M. F...

C'est en 1994 que pour la première fois, l'injonction, prononcée le 13 juillet par le Médiateur de la République, a été suivie de la présentation au Président de la République et au Parlement d'un rapport spécial qui a été également publié au Journal officiel du 14 octobre 1994. Le mandatement des sommes dues par la commune de Mennecy à M. NIOX en exécution des décisions de justice rendues au cours de l'année 1994 est intervenu quelques semaines plus tard (rapport du Médiateur de la République, année 1994, p. 219 et suiv.).

Ces sommes correspondaient aux rémunérations de M. NIOX au titre d'une période comprise entre le 1er mars 1993 et le 31 mai 1994.

Par ailleurs, l'intégration de M. NIOX dans le cadre d'emplois des administrateurs territoriaux a été prononcée par un arrêté du maire de Nîmes en date du 13 septembre 1994 avec effet à compter du 18 juin 1992 en application de l'article 4 de la loi du 15 juin 1992.

Le tribunal administratif de Versailles restait saisi de requêtes par lesquelles M. NIOX sollicitait la condamnation de la commune de Mennecy au paiement de ses rémunérations au-delà du 31 mai 1994. Par jugement du 11 juillet 1995, le tribunal a condamné cette collectivité à lui verser une somme représentant ses émoluments du 1er juin 1994 au 13 septembre 1994, date de son intégration dans le corps des administrateurs territoriaux prononcée par le maire de Nîmes, en sa qualité de président de la caisse du crédit municipal de Nîmes. L'exécution de ce jugement est intervenue à la fin du mois de juillet 1995.

L'inexécution des décisions de justice est constitutive d'un grave dysfonctionnement. Elle porte atteinte à l'État de droit et révèle une absence totale de considération pour les droits du citoyen.

Chacun, à son niveau de responsabilité, mesure les conséquences préjudiciables à tous égards des abus commis en ce domaine. Les circulaires ministérielles témoignent de la vigilance du Gouvernement; l'úuvre du législateur reflète sa détermination à lutter contre les carences de l'Administration en instituant des dispositifs de plus en plus protecteurs pour le justiciable; la juridiction administrative, dotée de nouveaux pouvoirs, est désormais en mesure de prévenir les difficultés et de permettre une exécution plus rapide des décisions qu'elle rend; enfin le Médiateur de la République, qui se mobilise depuis 1976 contre les manifestations de mauvaise volonté portées à sa connaissance, entend bien poursuivre dans cette voie.

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