CLARIFICATION DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES, DES EXEMPLES SIGNIFICATIFS


Dans le cadre de l'Année internationale de l'alphabétisation décidée par l'ONU, la commission française pour l'Éducation, la Science et la Culture a organisé en association avec l'UNESCO, du 11 au 13 mars 1991, un colloque européen sur le thème : " Illettrisme et complexité des administrations contemporaines ". Le Médiateur de la République a été sollicité pour apporter son parrainage et son concours aux travaux de ce colloque. À son initiative, des Ombudsmän européens y ont pris part.

L'intérêt de ce colloque a déjà été évoqué par le Médiateur de la République dans son Rapport pour 1991, sur le plan de l'illettrisme et de l'exclusion qui en découle.

À l'occasion de la publication du rapport final de ce colloque, intervenue à la fin de l'année 1993, il est apparu utile d'évoquer l'autre aspect du sujet traité : la complexité administrative en ce qu'elle peut être source d'exclusion.


I. LA COMPLEXITÉ ADMINISTRATIVE ET L'EXCLUSION

A. LA COMPLEXITÉ DES ADMINISTRATIONS CONTEMPORAINES

La complexité des systèmes de fonctionnement qui plus particulièrement accompagnent dans les administrations leur modernisme, tend à substituer à l'acte humain manuel le procédé de l'automatique et de la machine comme outil de succès, avec pour objectif la certitude et l'exactitude du fonctionnement.

Il est vrai que le développement de leurs attributions, entraînant dans ces administrations un accroissement de leurs charges, ne laisse pas d'autres voies que de recourir à ces procédés.

Bien que les satisfactions que l'on en tire soient effectives, dans certaines circonstances des lacunes, liées à l'absence de traitement personnalisé des situations et confinant à l'exclusion, apparaissent, plus particulièrement dans le monde touché par l'illettrisme ou en situation précaire, démuni de connaissance, ne sachant pas lire ou ne sachant pas comprendre. Ces personnes sont incapables de supposer que l'Administration, dont elles pensent, selon les principes, qu'elle est faite pour protéger les citoyens et assurer le respect de leurs droits, puisse ne pas mesurer et prévoir les risques d'erreurs ou d'iniquités et leurs causes, et manquer du moyen d'en modifier les effets.

De telles situations sont fréquentes, où l'individu, ressentant son impuissance à obtenir la reconnaissance de ses droits ou, à défaut, le secours, finit par en appeler à l'aide du Médiateur de la République.

Trois cas, parmi d'autres, illustrent ces constats.

Cas no 93-2222

La famille C... vit depuis des années un véritable drame familial qui aboutit à l'incarcération du père sur plainte de l'une de ses filles et à sa condamnation à de nombreuses années de réclusion criminelle.

Ancien fonctionnaire retraité, l'intéressé bénéficiait d'une pension de retraite de l'État.

Un premier jugement réglant la situation au plan familial a accordé à la mère une pension alimentaire prélevée directement par le Trésor public sur la retraite de l'intéressé, permettant ainsi à la famille de survivre.

La régularisation ultérieure de la situation administrative de M. C... au regard des règles applicables aboutit à la suspension de son droit à pension en application des dispositions de l'article L 58 du code des Pensions civiles et militaires, qui prévoient notamment que " le droit à la jouissance de la pension de retraite est suspendu par la condamnation à une peine afflictive ou infamante ".

Cette suspension brutale de la pension laisse la famille sans ressources, la pension alimentaire ne pouvant ainsi plus être prélevée.

Mme C... ignorait que les dispositions de l'article L 60 du code des Pensions, telles qu'elles existaient au moment des faits, prévoyaient la possibilité d'accorder à l'épouse ou aux enfants de moins de 20 ans une pension égale à 50 % de la pension du fonctionnaire. Elle ignorait qu'elle devait, dès la condamnation de son époux et en prévision des sanctions futures de l'administration, constituer un dossier, formuler une demande de pension dite " de veuve " et accomplir elle-même toutes les démarches nécessaires.

Totalement désorientée, la famille C... a recours au Médiateur de la République.

Compte tenu de l'urgence, la démarche entreprise auprès de l'administration concernée et du ministre du Budget a permis, avec leur collaboration, d'aboutir au versement d'urgence d'une provision sur pension, puis à la régularisation administrative du dossier dans des délais très rapides au regard de la procédure habituelle.

Cas no 94-0529

Les parents de M. B... vivaient en concubinage.

L'enfant est âgé de cinq ans lorsque son père, fonctionnaire titulaire, décède tragiquement en 1963. Sa mère est informée qu'elle ne peut se voir reconnaître de droit à pension de reversion, n'ayant pas la qualité de veuve.

Par ignorance des droits de son enfant à une pension d'orphelin mineur et non informée de cette possibilité par le service des pensions du ministère de la Défense, qui détenait pourtant dans ses dossiers la mention de la naissance de l'enfant et servait d'ailleurs au père, à ce titre, les avantages familiaux auxquels il avait droit, la mère n'accomplit aucune démarche pour solliciter la pension pour son fils.

L'enfance de celui-ci se déroule dans des conditions financières difficiles et ce n'est qu'au décès de sa mère que M. B..., devenu majeur, et ayant ainsi perdu désormais tout droit à pension, découvre le préjudice subi tout au long des années qui ont précédé. Il demande alors l'intervention du Médiateur de la République pour tenter de convaincre l'administration concernée de reconnaître rétroactivement l'existence de ses droits, malgré la prescription qui lui est opposée.

Après un examen approfondi, il est apparu impossible de faire droit à cette demande. Selon la législation en vigueur, le droit à pension est ouvert à l'enfant conçu antérieurement à la date de radiation des cadres du père. Or, l'intéressé est né 7 ans après la cessation de fonction de son père.

Cas no 94-0658

Suite à son départ en préretraite, un ancien harki, devenu par la suite salarié d'une entreprise, n'a pas reçu tout le soutien et les informations qui auraient pu lui être apportés pour effectuer les démarches nécessaires à la liquidation des retraites auxquelles il pouvait prétendre. Ce salarié, illettré par ailleurs, n'a jamais su qu'il avait des droits à la retraite complémentaire, non seulement pour ses activités dans le secteur privé, mais aussi auprès de l'IRCANTEC pour ses activités antérieures au service de l'État français. Il ignorait également que des prestations vieillesse doivent être demandées le moment venu par l'intéressé et qu'un organisme tel que l'IRCANTEC ne peut attribuer un avantage qui n'aurait pas été sollicité. Il n'a donc jamais perçu de son vivant les retraites complémentaires correspondantes.

Après son décès, sa veuve, secondée par son entourage, tente de faire reconnaître les droits de son mari auprès des organismes de retraite complémentaire.

Le Médiateur de la République a estimé devoir aider l'intéressée dans ses démarches sur la base de l'équité. Un réexamen de l'affaire a conduit le directeur à la soumettre à l'examen de la commission compétente du Conseil d'administration de l'IRCANTEC. Un avis positif a été émis à titre exceptionnel autorisant le versement des arrérages de l'allocation de reversion.

B. L'AMORCE D'UNE ÉVOLUTION

Il faudrait que dans cette vocation nouvelle qu'il entreprend d'intégrer, le service public soit bien déterminé à devenir, réellement, un lieu transparent d'intégration de citoyenneté. C'est une tâche immense, à laquelle le Médiateur de la République entend participer activement, dans la limite de son champ de compétence.

L'attitude observée dans ce domaine d'intervention révèle que le service public n'est pas toujours attentif à ce phénomène qui place l'individu dans la situation d'exclu. On a tendance à ne pas préévaluer, ou pas suffisamment, les effets immédiats de ce phénomène sur le tissu économique et social de l'État.

Dans son appréhension des faits, le Médiateur de la République relève aussi que l'application des règles complexes produit des effets proches de l'exclusion et place l'individu dans des situations de droit aboutissant à de véritables iniquités, ou dans certains cas à des ambiguïtés sources d'incompréhension.

En matière de retraite des agents publics, par exemple, divers cas surviennent où des agents ou leurs ayants droit qui n'ont pas été instruits de leurs droits et de leurs obligations, se trouvent placés devant des difficultés insurmontables.

La réglementation en matière de pension pour le secteur public obéit à des règles très strictes, ne laissant pas de marge à l'appréciation. Fixées par des textes législatifs, elles s'imposent tant à l'administration gestionnaire qu'aux agents concernés. Toute dérogation pour un cas particulier serait en effet une source d'iniquité eu égard au plus grand nombre, soumis à la règle générale.

Néanmoins, dans certaines réclamations transmises au Médiateur de la République, il apparaît qu'une erreur, un dysfonctionnement des services gestionnaires ou une mauvaise information donnée à l'agent concerné, ont eu pour ce dernier des conséquences très lourdes pécuniairement, alors qu'il se trouvait être de bonne foi.

Dans ce contexte, l'intervention du Médiateur se veut fondée sur l'équité, notamment par la prise en considération de tous les facteurs ayant conduit à la situation évoquée par le réclamant qui s'estime injustement pénalisé.

Au fil des ans, cette intervention fondée sur le souhait de voir rétablir un juste équilibre entre la rigueur de la loi, le respect de l'égalité de traitement de tous les agents et les conséquences de l'insuffisance d'un service, semble de mieux en mieux perçue.

Quelques exemples illustrent le cheminement favorable de cette évolution.

Cas no 93-0804

Mme D... a divorcé en 1980 de son premier époux, M. B..., dont elle a eu deux enfants. Elle s'est remariée en 1983 avec M. J...

M. B..., ancien fonctionnaire retraité, décède peu après. Mme D..., alors remariée, ne peut prétendre à une pension de réversion. Celle-ci est attribuée aux enfants B..., jusqu'à leur majorité.

Sa nouvelle union avec M. J... s'acheminant vers une séparation, Mme D... s'informe auprès de l'administration de ses droits éventuels à pension de réversion du chef de son premier époux, M. B... Une lettre du ministère du Budget lui confirme, sans plus de précisions, qu'en cas de second divorce, elle retrouverait le bénéfice de la pension de réversion de M. B...

Une procédure ayant été mise en oeuvre, le divorce d'avec M. J... est prononcé en 1992. Le règlement des problèmes du couple au niveau financier intervenu à l'amiable entre les époux a tenu largement compte de la situation future de Mme D... au regard de ses droits affirmés à pension de réversion.

Mme D... sollicite alors le bénéfice de cet avantage. Celui-ci lui est finalement refusé par l'administration.

Il lui est indiqué que si le conjoint divorcé d'un fonctionnaire, remarié avant le décès de celui-ci, peut désormais faire valoir un droit à pension de réversion à la dissolution de la seconde union, ce droit n'existe cependant que s'il n'est pas alors ouvert au profit d'un autre ayant cause.

Or, le dernier enfant du couple B..., bénéficiaire de la pension en sa qualité d'orphelin mineur, n'a atteint sa majorité que le 28 décembre 1992, et le divorce de Mme D... d'avec M. J... a été prononcé le 8 décembre 1992, soit vingt jours trop tôt pour que Mme D... puisse prétendre à un droit retrouvé, à cette date, à pension de réversion.

Placée dans une situation difficile, Mme D... sollicite l'intervention du Médiateur.

La démarche du Médiateur a consisté à faire valoir des arguments de fait (Mme D... aurait retardé de quelques jours la procédure de divorce si les informations communiquées par l'administration consultée avaient été précises), mais aussi des arguments de droit (prononcé le 8 décembre 1992, le divorce n'est devenu définitif qu'après expiration des délais d'appel et de cassation, soit à une date postérieure au 28 décembre 1992, date à laquelle le dernier enfant a atteint sa majorité et cessé de bénéficier d'une pension).

Prenant en considération les circonstances bien particulières de ce dossier, le ministre du Budget a donné son accord pour approuver la proposition de pension en faveur de Mme D...

Cas no 93-2643

M. M... a exercé au début de sa carrière, en qualité de non-titulaire, des fonctions de commis de mairie, puis d'agent des Postes et Télécommunications. Il a ensuite été titularisé en qualité de fonctionnaire auprès de cette dernière administration.

À l'âge de la retraite, il s'est vu attribuer par les Postes et Télécommunications une pension de fonctionnaire titulaire, et par l'IRCANTEC une pension pour les années accomplies en qualité de non-titulaire. Ce n'est que quatre années plus tard qu'il a été avisé qu'une erreur avait été commise dans le calcul de la pension servie par l'IRCANTEC. En effet, ses deux années de service national et une partie de ses années de non-titulaire avaient été prises en compte à la fois par le régime des pensions de l'État et par l'IRCANTEC.

Cumulant ainsi pour une même période, contrairement à la loi, une retraite de fonctionnaire de l'État et une retraite complémentaire de l'IRCANTEC, M. M... se trouve alors contraint de rembourser à l'IRCANTEC un trop-perçu de 21 582 F, portant sur quatre ans de cumul.

Or l'intéressé, qui avait fait valider d'autres annuités de services de non-titulaire, s'acquitte également, par prélèvement sur sa pension de l'État, du règlement des cotisations y afférentes. Ces prélèvements, réduisant le montant de sa pension à la somme de 4 020 F par mois, le mettraient en situation particulièrement difficile s'il devait subir un nouveau prélèvement pour rembourser aussi les sommes dont il a, de bonne foi, bénéficié à tort.

L'intervention du Médiateur, faisant valoir l'erreur des organismes concernés, la bonne foi et la situation financière de M. M..., conduit l'IRCANTEC à décider, en équité, de réduire de moitié la dette de M. M... et de lui accorder également un étalement sur deux ans du remboursement de la somme restant due.

Cas no 93-4134

M. D..., employé dans une mairie, a exercé de façon concomitante une activité principale de titulaire et une activité accessoire. Les services de la mairie, mal informés des règles applicables, ont, pour cette deuxième activité, affilié l'intéressé au régime des retraites des non-fonctionnaires. Mis à la retraite, M. D... a reçu une pension de titulaire versée par la CNRACL et une seconde pension versée par le régime général.

Quelques années plus tard, la caisse des Dépôts et Consignations l'a avisé qu'un tel cumul était contraire à la réglementation. Pour normaliser cette situation, le régime général ne pou
vait pas revenir, en fonction des normes qui lui sont propres,

sur une décision d'attribution d'une pension, ni reverser des cotisations indues. Il restait à la caisse des Dépôts à précompter chaque mois sur la pension de titulaire de M. D... la somme de 1 527,62 F, correspondant au montant mensuel de la pension servie par le régime général.

M. D... s'estimant injustement pénalisé a fait valoir qu'il n'avait jamais été informé par son employeur des règles en vigueur en la matière et qu'il subissait un préjudice financier important, puisqu'il avait, au cours de sa carrière active, versé des cotisations pour une pension qui lui était désormais refusée, sans pouvoir même prétendre à un remboursement.

Suite à l'intervention du Médiateur de la République, la caisse des Dépôts et Consignations, prenant en compte la bonne foi du réclamant, le préjudice financier subi de façon irréversible et l'erreur de la collectivité territoriale, a alors décidé en équité d'autoriser l'intéressé à cumuler ses deux pensions à titre exceptionnel.

Certaines situations ne permettent pas de se référer à une législation ou à une réglementation et ne peuvent donc être traitées.

Cas no 93-4059

M. B... est né le 12 août 1931 en Algérie. Il a cessé son activité professionnelle le 17 août 1986 et a été pris en charge par l'assurance chômage jusqu'à l'âge de 60 ans, soit jusqu'au 31 août 1991, conformément à la réglementation. La requête qu'il présente au Médiateur expose que, par lettre en date du 20 décembre 1990, il avait informé la caisse régionale d'Assurance maladie (CRAM) qu'il n'avait pas l'intention de faire valoir ses droits à retraite avant d'atteindre l'âge de 65 ans.

Néanmoins, ayant épuisé ses droits à l'assurance chômage et privé des prestations correspondantes, le 3 décembre 1991 il demande à la CRAM de lui servir sa pension de retraite avec effet au 1er janvier 1992, soit avant d'atteindre l'âge de 65 ans.

La CRAM donne rapidement suite à sa demande, le 23 janvier 1992.

Pourtant, le 16 juillet 1992 (soit plus de 5 mois après la notification), le requérant saisit la commission de Recours amiable (CRA) pour contester le point de départ de sa retraite, fixé au 1er janvier 1992, et demander qu'il soit avancé au 1er septembre 1991. Le choix de cette date lui permettrait en effet de faire coïncider la cessation des prestations chômage avec le versement de la pension.

À l'appui de sa réclamation, M. B... expose qu'il ne sait pas lire le français et qu'il n'a pas compris les formulaires qui lui ont été adressés.

L'examen du dossier révèle que :

. la réclamation, présentée plus de cinq mois après la notification de la décision lui accordant, sur sa demande, le service de sa pension à compter du 1er janvier 1992, est atteinte de forclusion;

. le 17 mars 1991, l'allocataire a été avisé par les ASSEDIC qu'arrivant prochainement à la fin de son indemnisation, il lui appartenait de déposer sa demande de retraite. De ce courrier, l'intéressé n'a pas tenu compte.

Il faut rappeler que les articles R 351-2 et R 351-37 alinéa 1 du Code de la sécurité sociale disposent que l'assurance vieillesse garantit à l'assuré qui en fait la demande une pension au premier jour du mois suivant son soixantième anniversaire ou, après 60 ans, " au premier jour du mois suivant la date de dépôt de sa demande ". Ces dispositions ne prévoient aucune dérogation.

Sur ces constatations, le Médiateur de la République se trouve démuni de toute possibilité de plaider en faveur du réclamant.

C. DES EFFORTS A ENGAGER

Des efforts sont à engager pour faciliter l'information et même la diffuser.

On peut noter à cet égard les résultats obtenus, par la mise en oeuvre de procédures cohérentes et simplificatrices, recommandées par la commission de Simplification des formalités administratives (COSIFORM), instituée en 1983.

Un exemple significatif dans le domaine social peut être cité : le système Transfert des données sociales (TDS) en matière de simplifications administratives, très apprécié par les entreprises et par l'ensemble des administrations et services publics concernés. Il s'agit dans ce cas, d'informations relatives aux rémunérations perçues par les salariés, transmises sur supports papiers ou informatiques par les employeurs, à un interlocuteur unique (la CRAM) qui, après contrôle, les diffuse par moyens informatiques aux autres partenaires concernés (services fiscaux, INSEE, CPAM, URSSAF).

De son côté, le programme de renouveau du service public entraîne des changements dans les administrations. Les interventions spécifiques du Médiateur de la République pour tenter de trouver des solutions aux problèmes posés sont aussi de mieux en mieux comprises par les institutions publiques.

Les efforts qui sont faits ne sont malheureusement pas toujours à la dimension du problème.

Il est donc indispensable que les services publics rendent un service plus personnalisé et plus proche des citoyens.

Il faut aller plus loin d'une manière générale en arrivant à développer un service public participatif.

Les situations qui viennent d'être décrites induisent de recommander à l'Administration une plus grande attention en faveur des personnels. En contrepartie, ceux-ci devront apporter plus d'attention dans le suivi des échéances dans leurs carrières, en prévoyant, en s'informant en temps utile, en accomplissant les démarches nécessaires et en apportant à leurs intérêts toute la vigilance qu'ils requièrent.

L'attention attendue ne doit pas supposer que, l'individu devenu plus conscient de ses droits et apte à en saisir toutes les subtilités, son cas ne poserait plus de problème. Il restera toujours, à un moment ou à un autre, quelqu'un qui a oublié. D'où la nécessité de tempérer de plus de réalisme, en particulier à l'égard de personnes en situation difficile qui, constituant des cas exceptionnels, n'en méritent que plus d'attention.

Les services de l'administration gagneraient en temps et en charges à informer complètement les futurs retraités sur leurs droits et sur la nécessité d'accomplir les formalités que la réglementation exige.

À cet effet, on peut citer l'initiative mise en oeuvre depuis 1985 par la branche vieillesse du régime général (la CNAVTS) qui adresse à tout assuré social qui atteint l'âge de 58 ans (désormais 55 ans en région parisienne et Bourgogne-Franche-Comté), une lettre personnalisée, accompagnée d'un " relevé de carrière " retraçant les différentes périodes d'activité (ou assimilées) enregistrées depuis le 1er jour de travail de l'intéressé.

Cette information permet au destinataire de vérifier les périodes enregistrées et de disposer de près de deux ans pour effectuer éventuellement toute démarche en vue de régulariser ou compléter son relevé de carrière pour les périodes non prises en compte : périodes militaires, chômage, maladie, etc.

Une pratique semblable a été instituée pour les personnels relevant de l'Administration (décret no 80-790 du 2 octobre 1980). L'édition régulière par les organismes concernés des listes de leurs ressortissants approchant de l'âge de la retraite doit être effectuée par les administrations. L'envoi aux intéressés de cette information est normalement accompagné d'une brochure rappelant leurs droits, les droits de leurs ayants cause, les formalités à accomplir, etc. Les exemples qui précèdent montrent que son application est incomplète.

Ce système devrait être généralisé à l'ensemble des régimes de retraite, régimes spéciaux et particuliers.

Une procédure semblable devrait également être mise en oeuvre dans le cas de suspension d'une pension déjà liquidée (décès, sanction pénale) afin de permettre une collaboration plus étroite entre l'Administration et ses administrés, dans des domaines que les progrès techniques rendent plus aisément maîtrisables désormais.

C'est en ce sens que le Médiateur de la République étudie un projet de réforme qu'il proposera aux administrations concernées.


II. L'EXCLUSION SOCIALE ET LE CONTRIBUABLE

Est contribuable le citoyen à qui l'État demande de participer au financement des dépenses publiques en payant l'impôt.

Cette contribution est forcément complexe dans un État de droit comme la France où la fiscalité est aussi un instrument de redistribution sociale et d'incitation économique.

Mais au-delà de la technique fiscale, la participation des citoyens à l'impôt se fonde sur l'égalité devant les charges publiques, grand principe de la République selon lequel chaque personne paie l'impôt selon ses facultés contributives, c'est-à-dire essentiellement en raison du revenu et du patrimoine dont elle dispose.

Dès lors, l'appellation de " contribuables en situation d'exclusion sociale " conduit à associer des notions qui peuvent apparaître antinomiques.

En effet, les personnes que l'on regroupe généralement selon des critères assez divers, sous le qualificatif d'" exclus ", présentent toutefois une caractéristique commune qui est la grande précarité de leurs conditions matérielles de vie.

Peut-on alors en déduire que la loi fiscale puisse assujettir à l'impôt des personnes placées dans un dénuement matériel plus ou moins grand ? Et quel en serait d'ailleurs l'avantage pour l'État ?

En fait, la loi fiscale n'a sans doute jamais été autant qu'aujourd'hui protectrice des intérêts des personnes disposant de faibles ressources.

Il apparaît ainsi qu'en raison, à la fois du relèvement annuel du seuil d'imposition sur le revenu et de divers abattements, déductions, minorations et exonérations liés soit à la situation personnelle du contribuable, soit à la nature des revenus perçus, ce sont environ 50 % des foyers qui ne paient pas d'impôt sur le revenu ou d'impôts locaux.

À plus forte raison, les personnes que les circonstances de la vie ont placées en situation d'exclusion sociale sont donc bien sûr exonérées de toute contribution fiscale.

Parallèlement - et c'est peut-être l'un des traits les plus préoccupants de notre société où les amortisseurs sociaux se montrent parfois défaillants -, il est des circonstances qui conduisent, en quelques mois, d'une vie sociale et professionnelle normale à l'exclusion.

Or si, dans de tels cas, les cotisations d'impôt sur le revenu ou d'impôts locaux restant dues sont susceptibles de donner lieu à remise par le service des impôts, par voie de réclamation gracieuse, il n'en va pas de même en matière de taxe sur la valeur ajoutée ou de droits d'enregistrement.

En effet, selon les dispositions du dernier alinéa de l'article L 247 du Livre des procédures fiscales, " aucune autorité publique ne peut accorder de remise totale ou partielle de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droit de timbre, de taxe sur le chiffre d'affaires, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes et contributions ".

Dans les faits, c'est essentiellement en matière de TVA, pour d'anciens commerçants ou artisans devenus totalement insolvables, que va se poser cette difficile question du recouvrement de l'impôt.

Ces personnes, même en situation d'exclusion sociale, demeurent légalement redevables de la TVA au titre d'une activité professionnelle antérieure. Elles seront donc poursuivies en paiement de leurs dettes fiscales par les comptables publics compétents, c'est-à-dire les receveurs des impôts.

Cette rigueur particulière de la loi s'explique par le fait que la TVA a bien été payée par le client au commerçant qui l'a encaissée pour le compte de l'État; la taxe collectée doit donc être reversée quelles que soient la situation personnelle du commerçant ou les raisons qui ont conduit à sa cessation d'activité.

Cela étant, on peut s'interroger sur les effets des actions de recouvrement forcé menées envers des contribuables en situation d'exclusion sociale, étant précisé que la contrainte par corps, c'est-à-dire l'emprisonnement, ne s'applique pas dans ces cas-là.

Concrètement, il est clair que les poursuites engagées selon la procédure habituelle (avis de payer, commandement de payer, saisie puis vente des biens) s'avéreront inopérantes, les débiteurs ne possédant ni ressources, ni biens, ni même parfois de domicile fixe où ces actes de poursuites les toucheraient.

Pourtant, ces contribuables ne doivent pas se désintéresser de leur situation fiscale au motif que leur manquement contributif serait sans incidence pour eux en raison de leur insolvabilité totale. Les dettes fiscales dont ils restent redevables sont en effet susceptibles de constituer un lourd handicap à leur réinsertion professionnelle et sociale puisque les premières ressources qu'ils percevront seront frappées d'opposition par le receveur des impôts si aucune mesure n'est venue régulariser, même provisoirement, leur situation de recouvrement. Au surplus, la publicité qui entoure inévitablement toute mesure de poursuite, notamment à l'égard de l'entourage professionnel, peut gêner la réussite de la réinsertion sociale des intéressés à un moment où elle demeure fragile.

C'est pourquoi les contribuables en situation d'exclusion sociale ont tout intérêt à faire cesser les poursuites fiscales exercées à leur encontre, même si elles leur paraissent dénuées de conséquences dans l'immédiat.

Cette démarche est cependant difficile à mener, s'agissant de personnes totalement démunies de moyens, mais aussi, surtout en raison des dispositions légales qui, en l'espèce, interdisent l'octroi de toute mesure gracieuse.

Cela dit, il existe une procédure administrative, appelée " l'admission en non-valeur ", qui fait disparaître la prise en charge de l'imposition dans les livres du comptable, sans toutefois modifier les droits de l'État à l'encontre du débiteur, ce qui signifie qu'elle ne libère pas le contribuable qui reste légalement redevable des impositions dues, notamment en cas de retour à meilleure fortune. L'admission en non-valeur est donc de nature à répondre parfaitement aux préoccupations des contribuables en situation d'exclusion puisque :

1o elle est mise en oeuvre lorsque le recouvrement de l'impôt parfaitement justifié en droit, s'avère en fait impossible, notamment en raison de l'insolvabilité du redevable;

2o elle a pour effet de faire cesser les poursuites dès lors qu'elle est destinée à dégager la responsabilité personnelle du comptable dans le recouvrement des impôts dont il a la charge.

Toutefois, l'initiative de cette procédure qui apparaît comme l'unique moyen de faire cesser les poursuites exercées en matière de TVA à l'encontre d'un débiteur, revient exclusivement au comptable chargé du recouvrement de l'impôt dû. Les contribuables en situation d'exclusion ne peuvent donc solliciter auprès de l'administration le bénéfice de l'admission en non-valeur pour leurs dettes fiscales.

En revanche, le Médiateur de la République, saisi de réclamations dans lesquelles des redevables de TVA sont victimes d'une situation d'exclusion sociale, a la faculté de demander à l'administration d'admettre l'impôt impayé en non-valeur.

Cette démarche suppose néanmoins que les pièces jointes à la réclamation puissent permettre au Médiateur de s'engager auprès de l'administration fiscale pour solliciter le bénéfice de l'admission en non-valeur, mesure au demeurant exceptionnelle et que le comptable public concerné tarde souvent à prendre, faute d'être en possession d'éléments suffisamment probants attestant l'insolvabilité totale du redevable.

Enfin, peut-être, doit-on souligner que seul le Médiateur de la République peut suggérer à l'administration fiscale la mise en oeuvre de la procédure d'admission en non-valeur d'une créance fiscale détenue par l'État.

Cette mesure comptable, bien que de nature purement administrative, peut être utilement invoquée par le Médiateur en faveur des contribuables en situation d'exclusion sociale, conformément aux dispositions de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 instituant sa fonction et qui prévoient que, " lorqu'une réclamation lui paraît justifiée, le Médiateur de la République fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi... "

D'ailleurs, l'examen des réclamations reçues montre, pour ces affaires particulièrement difficiles, que l'administration fiscale, souvent dans un but purement humanitaire, sait réserver un accueil favorable aux demandes d'admission en non-valeur que lui adresse le Médiateur de la République.


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