LA MEDIATION : LES HAUTS ET LES BAS



L'EXEMPLARITÉ DANS LA DÉMARCHE DE MÉDIATION : L'AFFAIRE DE L'ASSOCIATION POUR LA FORMATION CONTINUE DES KINÉSITHÉRAPEUTES


Réclamation no 90-2325 transmise par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, Sénateur du Territoire de Belfort
(Mlle M..., Présidente de l'Association mutuelle pour la formation continue des kinésithérapeutes)



L'action du Médiateur, en matière fiscale, concernant les " associations loi 1901 "

L'évolution de l'environnement socio-économique au cours de ces dernières années, en affectant sensiblement le fonctionnement des associations, conduit souvent à assimiler tout ou partie de leur action aux activités lucratives qu'exercent, dans les mêmes branches, les entreprises industrielles et commerciales.

Le contrôle fiscal des " associations loi 1901 " placées dans cette situation a pour conséquence de substituer au régime fiscal de faveur (exonération de tout droit, impôt ou taxe) prévu par les articles 207.1 et 261.1 du Code général des impôts par référence à leur nature sociale, éducative, culturelle ou sportive et au caractère désintéressé de leur gestion, celui applicable aux entreprises industrielles et commerciales dans les conditions de droit commun.

Toutefois, en raison de la très stricte application de la loi et de la jurisprudence qu'entend poursuivre l'Administration envers ces organismes, eu égard aux conditions d'octroi d'un régime fiscal de faveur particulièrement dérogatoire, il apparaît que l'action en équité du Médiateur ne peut rencontrer là un accueil aussi favorable que dans les autres domaines de la fiscalité.

L'issue pleinement favorable et dans un court délai (environ cinq mois) de la médiation menée pour résoudre au plan amiable les difficultés, nombreuses, de ce dossier, constitue donc davantage un bon exemple de sensibilisation de l'administration fiscale aux arguments d'équité en général - les circonstances de l'affaire étant en effet très particulières - que la manifestation de la volonté d'assouplir les règles fiscales en faveur des " associations loi 1901 ".

Le cas particulier de l'association de Mlle M...

1. Les faits

Mlle M... est l'inventeur d'une méthode de kinésithérapie qui porte son nom. Elle décide, au début des années 1970, de mettre en place une structure d'enseignement capable de sauvegarder et de développer le fruit de ses travaux.

À cet effet sont créées, en 1974, à R... :

-une société en participation entre Mlle M... et M. S..., dont l'objet est l'exploitation d'un cabinet de kinésithérapie et l'organisation de stages de formation des praticiens à la méthode créée par Mlle M...;

-une " association loi 1901 ", destinée à la collecte de l'épargne formation nécessaire au financement des stages.

La participation Mlle M... - M. S... procure des revenus aux deux associés, lesquels sont normalement imposés à ce titre (catégorie des bénéfices non commerciaux).

En revanche, l'activité de l'association est totalement non lucrative.

De graves dissensions sont intervenues entre Mlle M... et M. S..., ce dernier souhaitant gérer seul l'enseignement de la méthode M...

L'association, en raison de ces difficultés, a pris peu à peu le relais de l'activité de la société en participation, dont le contrat a été rompu de fait dès 1980 et résilié en droit, à la demande de Mlle M..., par un jugement de la cour d'appel d'A... le 28 mai 1986.

L'association a donc dérivé de son objet statutaire vers l'activité lucrative initialement exercée dans le cadre de la société en participation.

2. Les conséquences fiscales

À l'occasion d'une vérification de comptabilité de l'association, menée par une brigade de la direction des services fiscaux du G..., pour les exercices 1979 à 1982, le service vérificateur a considéré que cet organisme constituait " un écran " aux activités lucratives de la société en participation.

Il motive sa position sur les constatations suivantes :

-la totalité des activités d'enseignement est concentrée au niveau de l'association, ce qui constitue un manquement statutaire;

-les dirigeants (Mlle M... et M. S...) se sont abstenus de souscrire toute déclaration comptable et fiscale au nom de l'association;

-les bénéfices procurés ne sont pas réinvestis dans l'oeuvre elle-même, mais sont répartis entre les codirigeants de droit ou de fait.

L'Administration a donc estimé que les inobservations répétées des obligations fiscales de l'association étaient visées par les dispositions de l'article L 267 du Livre des procédures fiscales.

En conséquence, les impositions supplémentaires (de l'ordre de 2 500 000 F avec les pénalités), établies au nom de l'association, ont été mises à la charge de Mlle M... présidente statutaire et, à ce titre, redevable personnellement et solidairement avec les autres codirigeants de cette dette fiscale, en application de l'article L 267 déjà cité.

3. Situation au moment de la saisine du Médiateur (juillet 1990)

Au plan du droit, la position de l'administration fiscale, qui a compétence liée, peut être considérée comme définitive puisque les juges de première instance et d'appel ont confirmé cette interprétation de la situation fiscale de l'association et de ses dirigeants (jugement du tribunal de grande instance d'A... du 12 octobre 1988 et arrêt de la cour d'appel d'A... du 24 janvier 1990).

Un pourvoi en cassation a été présenté par l'avocat de Mlle M... Les poursuites du Trésor public envers Mlle M... sont en voie d'exécution : malgré une situation personnelle difficile (maladie ayant entraîné une longue hospitalisation), Mlle M... est sur le point d'être dépossédée de l'ensemble de ses revenus et de ses biens, la procédure de saisie de ses comptes bancaires et de ses meubles ayant été engagée par le percepteur au cours du dernier trimestre 1990.

Enfin, l'état du patrimoine de l'intéressée, relativement important, ne permet pas d'envisager une remise gracieuse de la dette fiscale, ou une modération significative.

4. L'intervention du Médiateur

- Compte tenu des jugements déjà rendus en faveur de l'Administration, il ne pouvait être invoqué, essentiellement, que des arguments d'équité.

Ainsi, Mlle M..., responsable légale des impositions établies au nom de l'association, était écartée de sa gestion depuis 1980 : mise à l'écart à la suite d'une assemblée générale extraordinaire en juin 1980 à laquelle elle n'avait pas été conviée, Mlle M... ne pouvait accéder aux locaux et aux documents comptables de l'association.

Cette situation était attestée par des procès-verbaux d'huissiers et une expertise du tribunal de grande instance d'A...

Dans le même temps, Mlle M... a fait toutes diligences en son pouvoir pour prévenir la dérive statutaire, comptable et fiscale de l'association : elle a demandé, dès 1980, que le tribunal de grande instance d'A... désigne un séquestre dans cette affaire, et nomme un administrateur judiciaire.

Par ailleurs, elle a fait consigner l'ensemble des sommes qui lui ont été versées par l'association.

- La demande du Médiateur a été suivie d'effet dans les meilleurs délais.

En effet, dès le 18 décembre 1990, le directeur de la Comptabilité publique a fait savoir au Médiateur que l'action en recouvrement forcé exercée par le Trésor public à l'encontre de Mlle M... était suspendue, notamment dans l'attente des conclusions du directeur général des Impôts.

Le 27 décembre 1990, le directeur général adjoint des Impôts accède à la requête du Médiateur, l'informant de la remise totale de l'ensemble des impositions mises à la charge de Mlle M... pour le compte de l'association, sous réserve, bien sûr, de désistement de toutes les actions pendantes en justice.

5. L'exemplarité dans la démarche de médiation entreprise

Les conséquences de la position de l'administration fiscale confirmée par des jugements s'avéraient être extrêmement inéquitables pour Mlle M..., âgée de 85 ans et gravement malade (elle décédera d'ailleurs quelques mois après le dénouement du litige).

L'urgence et la gravité de cette situation nécessitaient un prompt règlement du dossier, mais laissaient peu de marge d'action au Médiateur, étant rappelé l'importance de la dette fiscale, de l'ordre de 2 500 000 F.

Le Médiateur a donc, très vite, provoqué une réunion avec les responsables de l'administration centrale des impôts. À cette occasion, les arguments d'équité ont été plaidés auprès du sous-directeur du contentieux de la direction générale des Impôts.

Il a par ailleurs été souligné les anomalies constatées dans la procédure de poursuites mise en oeuvre, de nature à entacher ces actions d'irrégularité.

Une liaison entre les services des Impôts et ceux de la Comptabilité publique a ensuite permis de suspendre, sans délai, le recouvrement forcé des impositions contestées, dans l'attente d'une décision au fond.

Dans le même temps, le Médiateur ne pouvait s'immiscer dans le pourvoi formé devant la Cour de Cassation. Néanmoins, la Haute juridiction devait se prononcer rapidement; la décision de la Cour était en effet attendue avec impatience dès lors que les circonstances de l'affaire dans laquelle l'Administration paraissait avoir compétence liée, pouvaient venir contrarier les conditions d'un règlement amiable.

En fait, en janvier 1991, la Cour de Cassation cassait le jugement de la cour d'appel d'A... et ordonnait le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction alors que le litige n'existait plus depuis quelques jours, l'administration fiscale ayant décidé, à la demande du Médiateur, d'abandonner la totalité des impositions contestées.


L'INEXÉCUTION PAR UNE COLLECTIVITÉ LOCALE D'UNE DÉCISION DE JUSTICE : L'AFFAIRE NIOX


Réclamation no 94-0652 présentée par Monsieur François LESEIN, Sénateur de l'Aisne.

Monsieur Claude Niox, directeur de la caisse de Crédit municipal de Nîmes, a été détaché à compter du 1er février 1992 pour une période de 5 ans auprès de la commune de Mennecy (Essonne) afin d'y exercer les fonctions d'adjoint au secrétaire général, par arrêté du 29 janvier 1992 du ministre de l'Économie, des Finances et du Budget.

En raison d'impératifs budgétaires, le maire de Mennecy a mis fin à ce détachement de manière anticipée par un arrêté du 1er octobre 1992 prenant effet le 22 décembre 1992. M. Niox a, alors, sollicité sa réintégration auprès du ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, ce qui lui a été refusé par une décision du 7 décembre 1992.

Faute d'obtenir sa réintégration, M. Niox a sollicité de la commune de Mennecy, en invoquant les dispositions des articles 22 et 23 du décret no 85-986 du 16 septembre 1985, le maintien de sa rémunération. Il s'est heurté à une décision de refus.

Par un jugement du 22 juin 1993, le tribunal administratif de Versailles a annulé ces deux décisions de refus et a condamné la commune de Mennecy à verser à M. Niox les traitements qu'il aurait dû percevoir entre le 23 décembre 1992 et le 28 février 1993. En exécution de ce jugement, M. Niox a perçu le 9 septembre 1993 une somme de 32 372 F. Mais, depuis ce versement M. Niox, malgré ses différentes demandes, n'a pu obtenir le maintien de son traitement.

Devant l'abstention de la Ville de Mennecy à lui verser son traitement et faute d'obtenir sa réintégration, M. Niox a sollicité successivement le concours de la Section du Rapport et des Études du Conseil d'État et, le 18 février 1994, le concours du Médiateur de la République, pour parvenir à une complète exécution du jugement intervenu en sa faveur.

L'instruction de ce dossier a, de suite, démontré la complexité de la situation de M. Niox qui ne connaît probablement pas d'équivalent dans la fonction publique. Pour la clarté des développements qui suivent, il convient de distinguer les conséquences à tirer de la position de détachement dans laquelle se trouvait M. Niox, de l'évolution du statut applicable à son corps d'origine.

1. Les effets du détachement

Le détachement est l'une des positions ouvertes par le statut de la fonction publique aux fonctionnaires - qu'il s'agisse des fonction
naires de l'État ou des fonctionnaires territoriaux - qui leur permet tout en étant placés en dehors de leur corps ou de leur cadre d'emploi d'origine, de continuer à bénéficier dans ce corps ou ce cadre d'emploi de leurs droits à l'avancement et à la retraite.

Le détachement est révocable à tout moment.

De façon à mieux protéger les fonctionnaires, au regard d'une telle mesure, le législateur, à l'initiative du gouvernement, a, en 1984, introduit à leur profit des garanties nouvelles en ce qui concerne le maintien de leur traitement. Qu'il s'agisse de la loi du 11 janvier 1984 (article 45) portant statut de la fonction publique d'État ou de la loi du 26 janvier 1984 (article 67) portant statut de la fonction publique territoriale, il est prévu que " le fonctionnaire remis à la disposition de son administration d'origine avant le terme prévu pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice de ses fonctions, et qui ne peut être réintégré dans son corps ou son cadre d'emploi d'origine faute d'emploi vacant, continue d'être rémunéré par l'organisme de détachement jusqu'à sa réintégration dans son administration d'origine ".

L'obligation qui pèse sur l'organisme de détachement cesse à la date où le détachement devait normalement prendre fin.

2. L'évolution du statut des directeurs de caisse de Crédit municipal

Lorsque M. Niox a été détaché en janvier 1992, le corps des directeurs de caisse de Crédit municipal était alors géré par le ministère de l'Économie et des Finances en vertu des dispositions du décret no 81-839 du 24 avril 1981.

La loi no 92-518 du 15 juin 1992 relative aux caisses de Crédit municipal, a eu pour effet de modifier cette situation en prévoyant aux termes de son article 4-II qu'" un décret en Conseil d'État fixe les conditions dans lesquelles les directeurs relevant du statut des personnels des caisses de Crédit municipal fixé par le décret no 81-389 du 24 avril 1981 sont intégrés, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, dans des cadres d'emplois existants de la Fonction publique territoriale ".

Le ministre de l'Économie, des Finances et du Budget devait se fonder sur ces dispositions nouvelles (et notamment celles qui comportaient un caractère rétroactif) pour refuser le 7 décembre 1992 de statuer sur la réintégration de M. Niox dans son corps d'origine.

Le tribunal administratif de Versailles a, dans son jugement du 22 juin 1993, annulé cette décision parce qu'à la date où le ministre a refusé de statuer sur la réintégration de M. Niox, le décret d'application annoncé par l'article 4-1 de la loi du 15 juin 1992 n'était pas encore publié, rendant la loi inapplicable.

Ce décret d'application est intervenu le 23 mars 1993. Selon ce texte, les directeurs de caisse de Crédit municipal de catégories A et B nommés en application du décret no 81-839 du 24 avril 1981 modifié, sont intégrés dans le cadre d'emplois des administrateurs territoriaux par décision du président de la caisse auprès de laquelle ils ont été nommés par arrêté du ministre des Finances.

En vertu de ces dispositions, M. Niox dont le statut d'origine est d'être directeur de la caisse de Crédit municipal de Nîmes (arrêté du 17 juin 1987), caisse classée en catégorie B, a vocation à être intégré par le président de la Caisse de Nîmes dans le cadre d'emplois des administrateurs territoriaux. Sa position de fonctionnaire détaché ne saurait faire échec à ce droit.

En application des dispositions de l'article 4 de la loi du 15 juin 1992, cette décision a une portée rétroactive et prendra effet à compter du 19 juin 1992, date d'application de la loi.

De l'analyse de la situation statutaire pour le moins particulière de M. Niox, et du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles, le Médiateur de la République a été conduit à tirer les conclusions suivantes :

1. La commune de Mennecy, en s'abstenant de verser à M. Niox son traitement au-delà du 28 février 1993, méconnaissait les termes de l'obligation qui lui est impartie par la loi, obligation qui lui avait été clairement rappelée par le tribunal administratif de Versailles le 22 juin 1993.

Cette obligation qui pèse sur l'organisme de détachement a été conçue comme une garantie du fonctionnaire. Elle a pour objet de permettre au fonctionnaire de disposer de son traitement indépendamment de l'aléa de carrière qu'il subit et qui ne lui est pas imputable. L'organisme de détachement ne peut donc, vis-à-vis du fonctionnaire détaché dont la réintégration est impossible, s'exonérer de son obligation pendant toute cette période quelle qu'en soit la cause.

S'il estime que l'impossibilité de réintégrer l'intéressé dans son corps d'origine résulte du comportement fautif de l'administration chargée de la réintégration, il lui appartient, dans le cadre d'un recours contentieux, de faire valoir ses droits en se retournant contre la collectivité en cause pour se faire indemniser du préjudice subi.

2. Si le ministre de l'Économie, des Finances et du Budget a pris, le 7 décembre 1992, une décision illégale en s'estimant incompétent pour statuer sur la réintégration de M. Niox dans son corps d'origine, il était clair que désormais, en vertu des dispositions prises à la suite de la loi du 15 juin 1992, le ministre de l'Économie n'est plus aujourd'hui qualifié pour statuer sur la situation de M. Niox, à l'issue de son détachement eu égard à la qualité de directeur de caisse de Crédit municipal de l'intéressé.

3. Une double obligation pèse sur la caisse de Crédit municipal de Nîmes.

Tout d'abord, ainsi que l'a rappelé le tribunal administratif de Versailles dans son jugement du 22 juin 1993, il appartient à son président, de par la loi du 15 juin 1992 complétée par le décret du 23 mars 1993, de prononcer l'intégration de M. Niox dans le cadre d'emploi d'administrateur territorial et de procéder au reclassement qui en résulte pour l'intéressé.

Cette obligation est distincte de celle qui consiste à tirer les conséquences de la décision du maire de Mennecy de révoquer de façon anticipée le détachement dont bénéficiait M. Niox, mais elle en est le préalable nécessaire.

4. De par leur abstention, les différentes autorités en cause placent M. Niox dans une situation inacceptable : l'intéressé est à la fois illégalement privé de son traitement, mais également dans l'impossibilité de faire toute recherche d'un emploi du fait de son maintien également illégal dans un corps d'agents dont le législateur a décidé la suppression et pour lequel l'ancienne autorité compétente n'a plus la possibilité de faire acte de gestion.

De facto, M. Niox se trouve évincé de la fonction publique sans d'ailleurs pouvoir prétendre à un revenu de remplacement puisque les dispositions du statut de la fonction publique interdisent à un fonctionnaire détaché de bénéficier à l'issue de ce détachement d'une indemnité de licenciement (article 45 de la loi du 11 janvier 1984, article 66 de la loi du 26 janvier 1984).

Sans disconvenir de l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour les différentes collectivités en cause de faire valoir leurs droits respectifs au contentieux, compte tenu de la complexité du litige, il est apparu au Médiateur de la République contraire à l'équité de continuer à faire peser sur M. Niox les conséquences de ce conflit.

Aussi, compte tenu de la gravité du préjudice de carrière subi par M. Niox, de l'urgence à mettre fin à cette situation compte tenu de ses difficultés matérielles, le Médiateur de la République a invité, le 8 mars 1994, les différentes parties à respecter la décision du tribunal administratif, en insistant sur la nécessité, pour les collectivités locales intéressées, de rechercher un accord amiable.

Pour faciliter la recherche de cet accord, le Médiateur de la République, en dehors de la commune de Mennecy et de la caisse de Crédit municipal de Nîmes, a saisi également le ministre de l'Économie ainsi que le ministre de l'Intérieur.

- Le premier volet de la démarche a porté sur le versement à Monsieur Niox de son traitement. C'est sur ce point que le courrier du 8 mars 1994 adressé au maire de Mennecy insistait.

Dans son courrier du 16 mars 1994, le maire de Mennecy devait rappeler le versement intervenu le 9 septembre 1993 et indiquer que depuis le 19 juin 1992, " avant même que la commune ne mette fin au détachement de M. Claude Niox, la rémunération de l'intéressé au grade d'administrateur territorial incombe à la caisse de Crédit municipal de Nîmes, même en cas de décharge de fonctions auprès du centre national de la Fonction publique ".

Le maire de Mennecy devait également préciser dans ce courrier que compte tenu d'importantes restrictions budgétaires, la commune allait se voir contrainte d'engager une action en responsabilité à l'encontre du ministère de l'Économie et de la caisse de Crédit municipal de Nîmes.

Par un courrier du 27 mai 1994, le Médiateur de la République indiquait au maire de Mennecy son désaccord sur l'analyse de ce premier point du dossier et rappelait que : " L'intégration de M. Niox dans le cadre d'emploi des administrateurs territoriaux à laquelle il a droit en vertu de la loi du 15 juin 1992 n'a pas pour effet de rendre les dispositions relatives au détachement inapplicables au présent litige. Qu'il s'agisse de la loi du 11 janvier 1984 applicable aux fonctionnaires de l'État ou de la loi du 26 janvier 1984 applicable aux emplois de la fonction publique territoriale, l'agent détaché remis à la disposition de son administration d'origine pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice de ses fonctions, et qui ne peut être réintégré dans son corps d'origine faute d'emploi vacant, continue d'être rémunéré par l'organisme de détachement jusqu'à sa réintégration dans son administration d'origine ".

Comme dans le précédent courrier, il était rappelé que " l'autorité de la chose jugée s'étend aussi aux motifs qui ont été retenus par le juge pour fonder sa condamnation " et que " l'administration a l'obligation de prendre d'office toutes les mesures propres à l'exécution d'une décision de justice et qu'elle engage sa responsabilité si elle n'y procède pas dans un délai raisonnable ".

La ville de Mennecy ne devait pas modifier sa position, ce qui conduisait le Médiateur de la République à intervenir à nouveau le 24 juin 1994, et ceci à la lumière d'éléments nouveaux relatifs aux nouvelles procédures engagées par M. Niox devant le tribunal administratif de Versailles pour obtenir la condamnation de la ville de Mennecy et de la caisse de Crédit municipal de Nîmes.

Le président du tribunal administratif de Versailles avait, en effet, quelques semaines plus tôt, par ordonnance de référé rendue le 20 mai 1994, condamné la commune de Mennecy à verser à M. Niox la somme de 50 000 F à titre de provision.

Le 1er juin 1994, M. Niox demandait le paiement de la somme de 50 000 F mais sa demande est restée sans réponse.

Alerté de cette situation, contact était pris avec les services de la commune qui devaient indiquer qu'il n'était pas dans les intentions de la commune de Mennecy d'exécuter l'ordonnance du 20 mai 1994 dans la mesure où il s'agissait d'une mesure provisoire.

Le Médiateur de la République faisait alors connaître au maire de Mennecy que cette interprétation de l'ordonnance de référé était en tout point contraire à son objet et conduisait à une entière méconnaissance des décisions rendues par le juge, ce qui constitue une faute et engage la responsabilité de la commune.

Le Médiateur de la République devait en premier lieu observer que le juge des référés ne fait droit à une demande de provision présentée dans le cadre de l'article R 129 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel que si l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Force était d'insister sur la rédaction de l'ordonnance du 20 mai 1994 qui indiquait que " par application des motifs sus-rappelés du jugement du 22 juin 1993, supports nécessaires du dispositif dudit jugement et possédant comme lui l'autorité de la chose jugée, la commune de Mennecy avait l'obligation de rémunérer M. Niox jusqu'à la date du 22 juin 1993, que cette obligation de la commune à l'égard de M. Niox n'est pas sérieusement contestable ".

En second lieu, il était rappelé que la notion de provision revêt une double signification. Elle renvoie effectivement à la notion de provisoire, en ce que l'ordonnance s'analyse comme une mesure d'urgence, préalable au jugement. Mais, l'ordonnance une fois rendue est revêtue de la formule exécutoire, ce qui permet au justiciable de s'en prévaloir contre la partie condamnée.

La notion de provisoire renvoie par ailleurs à celle de nécessité ou de besoin. Elle a pour but de permettre à l'intéressé de pourvoir à sa subsistance, son entretien ou sa défense. Sur ce point, je ne pouvais que rappeler la gravité de la situation de M. Niox qui, du fait même de l'abstention des différentes parties en présence, n'a perçu aucun traitement depuis le 22 décembre 1992, ce qui l'a mis dans l'obligation de contracter auprès de sa banque un emprunt, de solliciter du Trésor, d'EDF et de France Télécom des échéances de versement pour l'ensemble des sommes dont il est redevable et de solliciter l'aide de proches pour assumer son entretien quotidien.

Ayant constaté le caractère définitif de l'ordonnance, la ville de Mennecy n'en ayant pas fait appel, le Médiateur de la République indiquait au maire de Mennecy que, faute d'un courrier l'informant de l'exécution de l'ordonnance du 20 mai 1994 dans un délai de 15 jours, il envisageait de faire application des dispositions de l'article 11 alinéa 2 de la loi du 3 janvier 1973, dont il rappelait les termes.

Devant l'abstention de la ville de Mennecy, le Médiateur de la République a, le 13 juillet 1994, procédé à l'injonction, en donnant à la collectivité un délai de 15 jours pour y déférer.

Le 2 août 1994, le maire de Mennecy confirmait implicitement son refus de déférer à l'injonction en adressant au Médiateur de la République copie de son courrier au préfet du Gard lui demandant que la caisse de Crédit municipal de la ville de Nîmes soit mise en demeure de procéder au versement des traitements dus à M. Niox alors qu'elle venait d'y être condamnée par le tribunal administratif de Versailles dans un jugement du 15 juillet 1994.

Le 22 septembre 1994, le Médiateur de la République adressait au Président de la République et aux présidents des Assemblées le rapport spécial mentionné à l'article 11 alinéa 2 de la loi du 3 janvier 1973, qui devait être publié au Journal Officiel du 14 octobre 1994.

- Le deuxième volet de la démarche a porté sur l'intégration de M. Niox dans le cadre d'emploi d'administrateur territorial et a conduit à ce que le Médiateur de la République intervienne auprès du président de la caisse de Crédit municipal de Nîmes.

Dans un courrier également daté du 8 mars 1994, le Médiateur de la République rappelait à cette autorité que l'intégration de M. Niox dans le cadre d'emploi d'administrateur territorial constituait " une obligation imposée par le législateur aux caisses de Crédit municipal. De par son statut d'origine, M. Niox a un droit objectif à cette intégration. Le priver de cette intégration conduit à une radiation déguisée de la fonction publique qui engage la responsabilité de l'Administration ".

Le Médiateur de la République indiquait par ailleurs que " ce droit à intégration s'apprécie indépendamment de la situation actuelle de M. Niox et, notamment n'est pas subordonné à l'existence d'un poste vacant dans les effectifs de l'établissement ".

Dans sa réponse du 16 mars 1994, le président de la Caisse devait simplement indiquer que la complexité de ce dossier ne laisse pas clairement apparaître le lien qui pourrait exister entre M. Niox et la Ville de Nîmes.

Le Médiateur de la République devait à nouveau intervenir auprès de l'établissement à la lumière du jugement rendu le 15 juillet 1993 par le tribunal administratif de Versailles.

À l'occasion d'un courrier du 4 août 1994, le Médiateur de la République rappelait au président de la caisse que le tribunal administratif de Versailles avait relevé dans son jugement qu'" à la date du présent jugement, le président de la caisse de Crédit municipal de Nîmes, caisse auprès de laquelle M. Niox avait été nommé par arrêté du ministre des Finances, n'a pas pris la décision, qui lui incombe en vertu des dispositions précitées, d'intégrer M. Niox dans le cadre d'emploi des administrateurs territoriaux; que l'abstention de la caisse de Nîmes, laquelle avait l'obligation d'intégrer M. Niox dans ses services depuis la date du 19 juin 1992, sans condition de poste libre, a acquis le caractère d'une carence fautive dès lors que cette obligation lui a été rappelée explicitement par le jugement sus-évoqué du 22 juin 1993, qui lui faisait obligation d'intégrer immédiatement M. Niox dans ses services ".

Observant que ce jugement confirmait en tous points les termes de sa lettre du 8 mars 1994, le Médiateur de la République décidait de renouveler les termes de sa demande en ce qui concerne l'intégration de M. Niox dans le cadre d'emploi d'administrateur territorial en insistant sur la nécessité de procéder à cette mesure dans les meilleurs délais, compte tenu de la gravité de la situation de M. Niox qui n'a perçu aucune rémunération depuis le 1er mars 1993 et a été mis dans l'obligation de contracter divers emprunts pour subvenir à ses besoins, et de solliciter du Trésor et de divers exploitants publics (EDF, France Télécom) des échéanciers de paiement pour le règlement des diverses sommes dont il est redevable.

Le président de la caisse de Crédit municipal de Nîmes devait répondre par un courrier du 16 août 1994 en précisant son argumentation sur la réalité des liens juridiques entre M. Niox et l'établissement et en relevant à cette fin que M. Niox avait depuis son départ de la caisse le 31 mars 1990, bénéficié de deux détachements successifs.

Le Médiateur de la République devait contester cette analyse à l'occasion d'un nouveau courrier du 22 septembre 1994 et rappeler que le détachement n'a pas pour effet de rompre le lien juridique du fonctionnaire avec son corps d'origine. Celui-ci en conserve tous les droits et notamment en ce qui concerne son avancement et la retraite. La succession des détachements prononcés au bénéfice de M. Niox est donc sans incidence sur les droits que celui-ci tire de son appartenance au corps de directeur de caisse de Crédit municipal.

À l'appui de son argumentation, le Médiateur de la République devait faire observer qu'en dépit des détachements successifs la caisse avait procédé à divers actes de gestion concernant la carrière de M. Niox.

C'est ainsi que l'arrêté du 29 janvier 1992 portant changement de détachement au bénéfice de M. Niox fait explicitement référence à l'arrêté précédent du 17 juin 1987 nommant l'intéressé directeur de la caisse de Crédit municipal de Nîmes.

De la même façon, la caisse avait procédé le 30 octobre 1992 au classement de M. Niox du 3e échelon (obtenu le 17 juin 1990) au 4e échelon de son grade avec effet à compter du 17 juin 1992.

Le Médiateur de la République poursuivait en rappelant que compte tenu de son statut d'origine, M. Niox a vocation, en vertu de la loi du 15 juin 1992 et du décret du 23 mars 1993 pris pour son application, à être intégré dans le cadre d'emploi d'administrateur territorial. Les dispositions de l'article 1er-II du décret du 23 mars 1993 mettant la décision d'intégration à la charge du président de la caisse auprès de laquelle le fonctionnaire intéressé a été nommé par arrêté du ministre des Finances, il est clair que cette obligation lui incombe, par suite des dispositions de l'arrêté du 17 juin 1987.

Le président de la Caisse de Nîmes ayant indiqué qu'il faisait appel du jugement du 15 juillet 1994, le Médiateur de la République devait, comme il l'avait fait à l'égard du maire de Mennecy, rappeler que cette procédure ne saurait justifier de différer plus avant le prononcé des décisions nécessaires à l'intégration de M. Niox dans le cadre d'emplois de la fonction publique territoriale.

C'est dans ces conditions qu'est intervenu l'arrêté du maire de Nîmes en date du 13 septembre 1994 prononçant l'intégration de Monsieur Niox dans le cadre d'emplois des administrateurs territoriaux.

Parallèlement, le préfet de l'Essonne a mis en oeuvre une procédure de mandatement d'office et une requête tendant au prononcé d'une astreinte à l'encontre de la commune de Mennecy a été instruite au Conseil d'État (décembre 1994).




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