Année 1986


INTRODUCTION




Bien que les problèmes relatifs à l'identité du Médiateur et à sa compétence soient traités dans le corps de ce rapport, je crois bon de résumer, en guise d'introduction, mes principales préoccupations en ces domaines.

1 - L'identité du Médiateur



La loi n'a pas précisé l'identité du Médiateur parmi les divers rouages de l'Etat.

Il appartenait donc au Conseil d'Etat, à l'occasion d'un litige particulier, de combler ce vide juridique. Il a eu l'occasion de le faire le 10 juillet 1981 (Arrêt Sieur Retail).

Cette décision est fondée sur le postulat selon lequel les institutions de l'Etat en France doivent nécessairement être réparties en trois catégories seulement :

- celles qui relèvent du pouvoir législatif ;

- celles qui appartiennent à l'autorité judiciaire ;

- celles qui dépendent de l'ordre administratif.

Partant de cet a priori, le Conseil d'Etat a constaté, à juste titre, que le Médiateur n'était ni législateur, ni juge. Dès lors, il a conclu que le Médiateur devait nécessairement relever de l'ordre administratif.

Ainsi, depuis cette décision du Conseil d'Etat le Médiateur est, en droit, une Institution administrative.

Bien que j'aie de bonnes raisons personnelles de respecter les décisions du Conseil d'Etat et que je reconnaisse que l'esprit de système a souvent du bon, je dois, après neuf mois d'exercice du mandat de Médiateur, constater que la décision du Conseil d'Etat ne traduit pas la réalité.

Cette décision paraît déjà, sur le plan doctrinal, entachée de contradictions puisque le Conseil d'Etat reconnaît que les actes du Médiateur " n'ont pas le caractère de décisions administratives susceptibles de faire l'objet d'un recours par la voie contentieuse ".

Elle est par ailleurs faiblement motivée puisqu'elle n'invoque expressément pour justifier la qualification d'autorité administrative du Médiateur, que le fait de sa nomination en Conseil des ministres, alors qu'un examen attentif du mode de désignation du Médiateur révèlerait que cette nomination a un caractère particulier qui la différencie de celle des hautes autorités administratives - prévue par l'article 13 de la Constitution et par l'ordonnance du 29 novembre 1958.

En effet, en la forme, le décret de nomination est pris uniquement sur le rapport du Premier ministre et il n'est contresigné que par lui. Autrement dit, cet acte traduit implicitement une position hors hiérarchie administrative.

Quant au fond, le terrain, apparemment le plus solide, retenu par le Conseil d'Etat, se révèle en réalité bien fragile puisqu'il existe au moins une autorité de l'Etat, en l'espèce le Conseil Constitutionnel, dont les membres non élus n'appartiennent pas à la fonction publique et n'en ont pas le statut durant l'exercice de leur mandat.

Mais, sur le strict plan du droit administratif, c'est bien l'existence d'une possibilité de contrôle de la légalité des décisions qui permet de reconnaître les autorités qui méritent la qualification d'autorités administratives.

Le Conseil Constitutionnel a rappelé ce principe dans sa décision en date du 18 septembre 1986, relative à la Commission Nationale de la Communication et des Libertés. A cette occasion, la Haute Assemblée a indiqué que la C.N.C.L. " sera, à l'instar de toute autorité administrative, soumise au contrôle de légalité ... ". Donc, a contrario, le Médiateur, dont les actes ne sont pas soumis au contrôle de légalité, n'est pas une autorité administrative.

Cette position extérieure à l'Administration est confirmée par l'indépendance complète que la loi assure au Médiateur.

Celle-ci prévoit que " dans la limite de ses attributions, il ne reçoit d'instruction d'aucune autorité " précisant, en outre, qu'il ne peut être " poursuivi, recherché, arrêté ou jugé à l'occasion des opinions qu'il émet ou des actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions ".

Cette indépendance est également inhérente à ses pouvoirs puisque " à défaut de l'autorité administrative compétente, le Médiateur peut, aux lieu et place de celle-ci, engager contre tout agent responsable une procédure disciplinaire ou, le cas échéant, saisir d'une plainte la juridiction répressive ". Si le Médiateur appartenait à l'administration le législateur n'aurait pas pu prévoir que " les ministres et toutes autorités publiques... sont tenus d'autoriser les agents placés sous leur autorité à répondre aux questions et éventuellement aux convocations du Médiateur ". De même n'aurait pu être instaurée l'obligation du Vice-Président du Conseil d'Etat et du Premier Président de la Cour des Comptes de faire " procéder à toutes études " demandées par le Médiateur ; de même que la faculté pour le Médiateur de " demander au ministre responsable ou à l'autorité compétente de lui donner communication de tout document ou dossier... ". Enfin, si le Médiateur était une autorité administrative la loi n'aurait pu le doter d'un pouvoir de faire des recommandations et de délivrer des injonctions aux autorités administratives.

Mais ce n'est pas principalement pour faire coïncider la vérité juridique et la réalité des faits que le Médiateur récuse la qualification d'autorité administrative dont le Conseil d'Etat l'a affublé.

Cette qualification a malheureusement des conséquences importantes et gênantes sur le fonctionnement de l'institution.

D'abord elle a déjà été à l'origine d'un conflit avec la C.A.D.A. qui prétendait avoir accès aux documents du Médiateur. Elle a fourni aussi un argument à certains personnels qui, contrairement à la lettre et à l'esprit de la loi créant le Médiateur, voulaient ignorer que " les collaborateurs du Médiateur sont nommés par celui-ci pour la durée de sa mission ".

Plus grave encore : cette qualification remet en cause la mission du Médiateur définie par le législateur.

En effet, si le Médiateur était une autorité administrative, il serait soumis à un pouvoir hiérarchique. Il pourrait certes contribuer à la bonne marche des administrations, mais il n'aurait pas le pouvoir de juger leur attitude et d'intervenir dans leur travail sans autorisation du ministre concerné. Il devrait, en outre, s'abstenir de faire les recommandations ou d'adresser les injonctions prévues par la loi. Le Médiateur ne sera1t ni plus ni moins qu'un inspecteur général polyvalent des services administratifs.

Il faudra le reconnaître : une erreur de qualification a été commise. J'espère qu'à la première occasion, le Législateur rétablira l'identité du Médiateur qui est celle d'une autorité de l'Etat indépendante.

2 - La mission du Médiateur



Le Médiateur déroge aux traditions juridiques nationales. Dans la conception classique française, l'administration, subordonnée au sa légitimité, est soumise au principe de légalité. Son action est encadrée par un droit écrit de plus en plus abondant et par la jurisprudence du Conseil d'Etat toujours plus précise. Il appartient, en effet, à la juridiction administrative d'assurer le respect du droit par les autorités administratives, de préciser le pouvoir discrétionnaire d'appréciation dont elles peuvent disposer et de combler les vides des règlements à l'occasion des litiges particuliers. La juridiction administrative constitue ainsi, pour le citoyen, une protection efficace de ses droits contre les erreurs juridiques et les excès de pouvoir des administrations. Une telle construction ne laisse en principe, aucune place pour le Médiateur dans le règlement des conflits entre le citoyen et l'administration.

Mais la vie est plus forte que la théorie : l'histoire des institutions étatiques révèle que les pays nordiques ou anglo-saxons qui s'appuyaient, depuis le début du XIXe siècle sur des systèmes apparentés à l'ombudsman, ont institué récemment des mécanismes de contrôle juridictionnel de l'administration inspirés des juridictions administratives françaises. A l'inverse, la France après avoir constamment perfectionné le rôle du Conseil d'Etat, créé en l'An VIII, a institué le Médiateur en 1973. Ces évolutions, à la fois symétriques et opposées, suggèrent une complémentarité et non une opposition entre le contrôle juridictionnel de l'administration et les fonctions du Médiateur. Ce n'est pas sans raison, en effet, que, dans chacun des systèmes étatiques, les institutions typiques créées au début du XIXe siècle et nées d'un même besoin de contrôle des actes administratifs ont été complétées, dans la seconde moitié du XXe siècle, par les mécanismes de contrôle inspirés d'autres systèmes. C'est parce qu'il existait un besoin à prendre en compte que les controverses doctrinales sur les origines (Pour le Professeur Roland Drago, " le véritable ombudsman, c'est le Conseil d'Etat ". Préface de la thèse de A. Legrand sur l'ombudsman scandinave (L.G.D.J., 1970).) OU les éventuels problèmes de frontière ont été parfaitement surmontés dans la pratique. Ce besoin étant celui d'un système juridique de protection du citoyen qui fût tout à la fois précis et adapté à l'évolution de la société. Le juge administratif apportait la précision. Il revenait à l'ombudsman de faire mieux coïncider la décision administrative avec l'évolution permanente de la société.

En France, où le besoin de stabilité des normes juridiques est particulièrement ressenti, il fallait néanmoins atténuer les conséquences d'un trop grand décalage entre l'application rigoureuse de la règle de droit et les exigences nouvelles de la vie.

Dans le respect de la volonté du législateur de 1973 et grâce aux efforts constants des titulaires successifs de la charge, le Médiateur a pu s'intégrer dans le système institutionnel français tout en préservant son originalité et en assumant pleinement sa mission. La démonstration de l'utilité du Médiateur en France a été faite. Cette Institution est désormais reconnue et admise. Personne ne la conteste.

Il est cependant bon de préciser, à la lumière de ce qui vient d'être écrit, que la mission du Médiateur est doublement limitée par son champ d'exercice particulier et par les objectifs qui lui sont strictement assignés.

Le champ d'activité se situe dans la frange étroite qui sépare ce que devrait être le comportement idéal de notre administration dans un pays organisé selon le principe de légalité et ce que révèle la pratique administrative quotidienne. C'est toute la différence entre la théorie et la réalité.

Dans cette zone la compétence du Médiateur est encore réduite par une triple condition.

En premier lieu, le Médiateur ne peut connaître que de certaines des relations des personnes physiques avec les administrations.

En second lieu, le Médiateur ne doit intervenir que s'il constate un mauvais fonctionnement de l'administration ou des conséquences inéquitables de la décision administrative.

En troisième lieu, le Médiateur ne peut être saisi qu'au terme d'une procédure.

Cela dit, il convient de remarquer que l'action du Médiateur n'a pas été strictement encadrée par le législateur.

C'est ainsi que les notions de " mauvais fonctionnement " et " d'iniquité " sont assez vagues. Leur contenu est largement subjectif. Elles ne peuvent pas être définies d'une manière générale et théorique. Cependant, la loi a imposé au Médiateur de les utiliser. Donc pendant la durée de son mandat, il appréciera et emploiera de manière souveraine ces critères de bon fonctionnement et d'équité. Mais, ce faisant, il ne confondra pas pouvoir d'appréciation et décision arbitraire.

Ainsi, dans les strictes limites de sa compétence, le Médiateur a pour mission d'être au service du citoyen et d'user de ses pouvoirs aussi bien pour le sécuriser face à l'administration que pour aider celle-ci à mieux adapter ses décisions aux besoins nouveaux de la vie sociale.

En résumé, le Médiateur, conscient aussi bien de l'espoir de justice et de progrès dont il est porteur que de la difficulté d'y répondre pleinement, doit s'attacher à sa mission avec confiance et humilité.

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