Année 1984


INTRODUCTION




Le rapport annuel du Médiateur doit être objectif. C'est-à-dire éviter à la fois l'autosatisfaction abusive et le dénigrement systématique. C'est pourquoi je me suis efforcé de mettre en lumière les bons résultats obtenus sans laisser dans l'ombre les difficultés et les résistances rencontrées.

J'avais, dans les précédents rapports, fait état d'une certaine amélioration des contacts administrés- administrations, et m'en étais réjouis. Ces améliorations restaient ponctuelles, mais, dans le même temps, j'avais décelé au plus haut niveau des responsabilités un désir louable de promouvoir des réformes. C'était le cas de certaines Administrations, se penchant sur les voeux exprimés par les usagers; ou bien du ministère de la Fonction publique et des réformes - vocation oblige ! - amorçant l'expérience " A votre service " ayant pour objectif un accueil plus aimable et plus personnalisé aux guichets administratifs.

J'avais également noté, sous la pression plus exigeante de l'Institution, une - modeste mais incontestable - accélération de l'instruction des dossiers soumis à certaines administrations, et une vigilance accrue des correspondants ministériels se traduisant par des réponses plus rapides et plus circonstanciées.

Il est à souligner que, dans les deux cas, les différences de traitement des dossiers sont si marquantes qu'une seule conclusion peut en être tirée: la célérité et l'approfondissement des instructions tiennent essentiellement au comportement des responsables les plus haut placés. De leur volonté, de leur exemple dépend la bonne marche de leur service. De leur conscience, de leur sens humain, dépend la souplesse dans l'application des textes, le courage de revenir sur une erreur commise, la prise en compte de l'équité dans une décision.

Ce qui me conforte dans cette idée, que j'ai maintes fois exprimée: ce qui importe, plus que le changement des règlements, c'est le changement des mentalités.

Mais j'ai dû en faire le constat: le courant favorable à une meilleure conception des rapports administrés- administrations, s'il ne s'est pas tari, n'a pas pris les proportions d'un raz de marée. Dans certains cas la routine, les mauvaises habitudes ont refait surface. L'opinion n'a pas le sentiment que simplifications, harmonisations et humanisation aient beaucoup progressé dans le domaine administratif. Les améliorations, pourtant réelles, sont occultées par les complexités nouvelles. Le courrier que je reçois est toujours aussi critique en matière de lenteurs, de non-réponses de persistance dans des refus injustifiés.

Les exemples sont nombreux - dont quelques-uns sont rapportés en détail dans ce rapport - d'incompréhension, d'accueil grincheux, d'erreurs réitérées.

La constitution d'un dossier de retraite paraît toujours aussi laborieuse, avec réclamation, à plusieurs reprises, de l'état civil ou de documents déjà fournis. Les expertises médicales en vue du taux d'invalidité toujours aussi contestées, les examens ne se faisant souvent que sur pièces, en quelques minutes, et sans appel possible. D'une manière plus générale, la solution des problèmes sociaux (pensions, retraites, handicapés, tierce personne etc.), demande de longs délais, trop souvent incompatibles avec la situation de dénuement dans laquelle se trouvent les requérants Des contribuables se voient réclamer, pendant plusieurs années malgré leurs mises au point successives, les mêmes taxes foncières pour des immeubles vendus depuis dix ans ou ne leur ayant jamais appartenu. Des mandats volés dans les boites aux lettres (en généra la pension de modestes retraités) sont toujours payés aux guichet des postes à des escrocs présentant des papiers d'identité grossièrement falsifiés, par des agents, débordés sans doute, mais insuffisamment attentifs. Des permis de construire restent en suspens pendant des années, dans l'attente d'une révision du plan d'occupation de sols ou par suite du " gel " prolongé de zones à acquérir par une commune désargentée... L'indemnisation des expropriés défavorise ceux qui traitent à l'amiable.

Mais j'ai dû en faire le constat: le courant favorable à une meilleure conception des rapports administrés- administrations, s'il ne s'est pas tari, n'a pas pris les proportions d'un raz de marée. Dans certains cas la routine, les mauvaises habitudes ont refait surface. L'opinion n'a pas le sentiment que simplifications, harmonisations et humanisation aient beaucoup progressé dans le domaine administratif. Les améliorations, pourtant réelles, sont occultées par les complexités nouvelles. Le courrier que je reçois est toujours aussi critique en matière de lenteurs, de non-réponses, de persistance dans des refus injustifiés.

Les exemples sont nombreux- dont quelques-uns sont rapportés en détail dans ce rapport- d'incompréhension, d'accueil grincheux, d'erreurs réitérées.

La constitution d'un dossier de retraite paraît toujours aussi laborieuse, avec réclamation, à plusieurs reprises, de l'état civil ou de documents déjà fournis. Les expertises médicales en vue du taux d'invalidité toujours aussi contestées, les examens ne se faisant souvent que sur pièces, en quelques minutes, et sans appel possible. D'une manière plus générale, la solution des problèmes sociaux (pensions, retraites, handicapés, tierce personne, etc.), demande de longs délais, trop souvent incompatibles avec la situation de dénuement dans laquelle se trouvent les requérants. Des contribuables se voient réclamer, pendant plusieurs années, malgré leurs mises au point successives, les mêmes taxes foncières pour des immeubles vendus depuis dix ans ou ne leur ayant jamais appartenu. Des mandats volés dans les boîtes aux lettres (en général la pension de modestes retraités) sont toujours payés aux guichets des postes à des escrocs présentant des papiers d'identité grossièrement falsifiés, par des agents, débordés sans doute, mais insuffisamment attentifs. Des permis de construire restent en suspens pendant des années ,dans l'attente d'une révision du plan d'occupation des sols ou par suite du " gel " prolongé de zones à acquérir par une commune désargentée. L'indemnisation des expropriés défavorise ceux qui traitent à l'amiable.

Créer une entreprise - ce qui devrait être simple et immédiat - constitue encore un " parcours du combattant ".

Etablir un contrat d'apprentissage comporte le risque d'être noyé sous la paperasserie.

Je pourrais poursuivre longuement cette litanie. A un niveau de responsabilité plus élevé; la sécrétion bureaucratique ne s'est guère ralentie. Les circulaires restent obscures, les imprimés, parfois améliorés dans leur présentation, exigent toujours un pénible déchiffrage et la vigilance du décrypteur Les lois annoncées à l'opinion comme étant bientôt applicables attendent, des mois, des années, leurs décrets d'application. " L'effet d'annonce " continue à sévir, faisant succéder la déception à l'illusion d'une satisfaction immédiate.

A contrario, trop de décisions sont prises sans que leurs motivations en aient été clairement expliquées, et parfois sans concertation préalable avec les intéressés.

Pour être juste, et je me réfère au rapport pour l'année 1983, le tableau ne doit pas être noirci à outrance, car nombre de propositions de réformes émises par le Médiateur ont été prises en compte par le Gouvernement. Depuis l'origine de l'institution, 123 ont été retenues sur 257 émises, ce qui constitue une excellente proportion.

Mais que de lenteur dans le passage de l'adoption de principe à la mise en oeuvre réelle !

J'ai déjà évoqué l'expérience très localisée de l'accueil A.V.S. (A votre service). Mais où en est l'expérience qui devait être tentée sur ma proposition de " Livret de carrière " ? Où en est le projet - toujours à l'étude - de contrôle technique des véhicules vendus d'occasion et anciens ?

A côté d'un certain nombre de résultats heureux, la liste des projets restant à l'étude ou au stade des velléités d'expérimentation est encore trop longue.

Ce bilan est repris de manière plus précise dans le chapitre consacré aux propositions de réforme du Médiateur.

C'est donc, après la satisfaction mesurée que j'avais exprimée dans mon précédent rapport, un cri d'alarme, teinté encore d'espoir, que je jette ici, devant la lenteur de l'évolution et le repli frileux de trop de responsables administratifs devant l'effort de simplification, de modernisation et d'humanisation demandé par le Gouvernement, souhaité par l'opinion et amorcé par les initiatives du Médiateur.

Où sont les résultats des campagnes officielles successives, lancées tous les six mois à grands sons de trompe, annonçant les améliorations tant attendues par un public devenu blasé et sceptique ?

Les statistiques publiées dans ce rapport font apparaître, à travers le traitement des dossiers instruits par le Médiateur, une amélioration du pourcentage des réussites, due à l'accroissement de nos efforts, mais aussi un raidissement de l'Administration face à des réclamations pourtant plus souvent justifiées.

Un nouveau sujet d'inquiétude a surgi, que je laissais présager dans mes précédentes réflexions: il vient de l'application " sur le terrain " de certaines mesures découlant des lois sur la décentralisation.

Excellentes pour promouvoir les prises de responsabilité des élus locaux, départementaux, régionaux, ces lois entraînent, dans le tout naturel flottement inhérent à leur mise en oeuvre, des litiges d'un type nouveau. Ceux qui dressent les administrés contre les décisions d'une municipalité, en particulier dans le domaine de l'urbanisme. Les contestations s'adressent aujourd'hui au maire de la commune, plutôt qu'au directeur départemental de l'équipement, lorsqu'un permis de construire est refusé, lorsqu'un branchement à un réseau d'eau ou d'assainissement est différé, ou qu'une participation financière est exigée en sus de la taxe d'équipement. Le Médiateur est plus fréquemment saisi de ce type de problème, et l'on s'adresse aussi à lui pour intervenir dans des questions d'indemnité de logement aux instituteurs, d'inscription dans une école maternelle ou une cantine, de réintégration d'un employé municipal licencié abusivement, etc.

Et, faute d'avoir été suffisamment informés des possibilités d'intervention accordées au Médiateur par la loi qui régit son Institution, certains maires s'étonnent de ce qu'ils considèrent comme une " intrusion " dans leur domaine propre. D'où quelques difficultés rencontrées pour obtenir les renseignements nécessaires à l'instruction de ces dossiers, d'autant plus délicats que la passion politique ou les inimitiés personnelles n'en sont pas toujours exclues. Difficultés allant parfois jusqu'à l'absence de réponse, obligeant à des rappels insistants, toujours désagréables à rédiger pour un Médiateur qui a été lui-même maire de sa commune pendant trente ans, et qui a beaucoup de respect pour les fonctions municipales.

Sans doute serait-il utile d'informer les maires, les présidents des conseils généraux et régionaux de la nature des interventions du Médiateur, qui a pour objectif la recherche de solutions de conciliation, quand la conciliation est possible; ce qui évite aux communes mises en cause d'être déférées devant les tribunaux administratifs, avec les complications, les longs délais, et parfois les désaveux- désagréables sur les plans moral et financier- qui s'ensuivent.

Les associations d'élus devraient participer à cette meilleure information. Le Médiateur se tient, quant à lui, prêt à toute action permettant, dans le cadre de ces associations, des rencontres explicatives avec les élus locaux.

L'une des lacunes, dans la recherche constante d'une meilleure compréhension entre administrés et Administration, entre les citoyens et leur Etat, reste bien l'insuffisance des moyens d'information concernant les droits et les devoirs de ces citoyens.

C'est pourquoi, depuis de longues années, je me bats pour que chaque Français devienne plus conscient de ses responsabilités et accepte de les mieux assumer.

Dans tous mes rapports annuels, depuis mon accession en 1980 au poste qui m'a été confié, je ne cesse de proposer le développement de l'esprit civique.

Dans un livre rédigé en 1978, intitulé " Toute vérité est bonne à dire ", voici quelle était ma conclusion:

" J'ai souvent rappelé à nos compatriotes, si enclins à se référer aux " Droits de l'Homme ", qu'à côté de ces Droits existent des Devoirs, bien souvent oubliés.

" Dans nos écoles primaires, l'instituteur faisait, naguère. une large part aux leçons de " morale ".

" Certes l'instruction civique figure bien encore dans nos programmes scolaires, mais qui attache de l'importance à une matière qui, à l'instar de la musique et de l'histoire, ne compte pas à l'examen ?

" Le retour au civisme reste cependant à mes yeux la condition indispensable au redressement de notre pays.

" Il faut redonner à notre jeunesse le sens civique.

" Les responsables politiques doivent prendre en compte cette aspiration encore mal formulée, et ne pas la considérer comme utopique.

" Est-il impensable qu'ils parviennent à allier l'action quotidienne à la réflexion sur l'avenir de notre société ?

" Et, pour cela, donnant, les premiers, l'exemple du sens civique, qu'ils renoncent à l'affrontement permanent qui transforme notre pays en champ clos des combats idéologiques.

" Faut-il aussi que notre peuple échappe à l'engourdissement d'une lente décadence, s'arrache à la nostalgie et à la morosité et retrouve avec le goût de l'aventure le désir d'assumer ses propres responsabilités.

Il a toujours su, aux pires moments de notre histoire, accomplir le sursaut libérateur.

" Oui, il y aura d'autres rendez-vous.

" J'ai confiance. "

Mes propos d'aujourd'hui, mes initiatives dans ce domaine ne sont donc pas une improvisation, ou une adaptation opportune à la montée des inquiétudes nées de l'insécurité.

C'est une conviction profonde, que je cherche à faire partager à mes concitoyens : tout redressement de notre pays, dans les domaines économiques, sociaux, politiques, passe par un changement des mentalités et des comportements.

Le rapport spécial " Etre citoyen " et le colloque tenu sur ce thème, dont on trouvera les actes dans ce rapport annuel, ont eu pour objectif, pour ambition, de mobiliser l'opinion et d'inciter le Gouvernement à s'engager dans cette voie. Les premières décisions prises sont positives et encourageantes.

Il ne peut s'agir d'un simple feu de paille. Je veillerai personnellement à prolonger cette action dans tous les domaines, à y impliquer l'ensemble des Français.

Dans les mois à venir, et ce jusqu'à l'expiration de mon mandat - qui s'achèvera le 19 septembre 1986-, je poursuivrai ma mission de promoteur de réformes dans plusieurs directions telles que: humanisation et simplification de l'Administration, défense des droits de la personne (enfance malheureuse, adoption, disparitions, sécurité, etc.), développement du sens des responsabilités, du sens de l'appartenance à une communauté nationale, esprit de solidarité et répartition des tâches.

Toutes " lignes de force " susceptibles d'obtenir de nos concitoyens un large consensus.

Un temps viendra où il sera bon que les Français, pour éviter des crises majeures, puissent se référer à un certain nombre de valeurs communes, d'objectifs communs leur permettant de continuer à vivre ensemble, en paix civique et en harmonie.

Le message du Médiateur, toujours à la recherche des rapprochements et du maintien de l'unité nationale, s'il est alors entendu, pourra peut-être servir de trait d'union entre les hommes et les femmes de bonne volonté, qui sont les plus nombreux dans notre pays.

Robert FABRE,

Médiateur de la République

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