Année 1984


Colloque " Etre citoyen " organisé par l'institution du Médiateur au Conseil économique et social les 22 et 23 novembre 1984


Préambule



Le 24 mai 1984, le Médiateur de la République a remis au Chef de l'Etat un rapport spécial intitulé " Etre citoyen " qui a retenu toute son attention et reçu son accord quant aux orientations proposées.

Parmi les suites envisagées dans ce rapport était prévu un colloque sur le thème du civisme. Il s'est tenu les jeudi 22 et vendredi 23 novembre 1984 au Conseil économique et social.

Cette manifestation, placée sous le haut patronage du Président de la République, la présence effective du Premier ministre et avec la participation du Ministre de l'Education nationale, du Ministre du Travail, de l'Emploi et de la formation professionnelle et du Secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé des Techniques de la communication, a rassemblé de nombreuses hautes personnalités du Gouvernement, des Assemblées parlementaires, du Conseil économique et social, des grands corps de l'Etat et des représentants qualifiés des secteurs socio - professionnels et associatif, ainsi que des membres de la presse écrite et parlée.

Le colloque avait pour objet la recherche d'une démarche commune tendant à promouvoir et à adapter le civisme à notre société contemporaine.

Les participants se sont livrés à une réflexion d'ensemble sur les problèmes posés dans le rapport spécial du Médiateur. Qu'il leur soit ici exprimé toute notre gratitude pour une démarche ayant permis de dégager d'importantes propositions positives.

Des remerciements particuliers doivent être adressés aux personnalités ayant accepté de présider ou d'animer les trois groupes de travail qui ont été constitués.

Premier groupe: Civisme et Education.

Président: M. François Goguel, ancien membre du Conseil constitutionnel, Président du Conseil de direction de l'Institut des études politiques de Paris.

Rapporteur: M. Claude Nicolet, professeur d'histoire à l'Université Paris I.

Deuxième groupe: Civisme et Formation.

Président: M. Jean-Jacques Dupeyroux, professeur à l'université Paris II.

Rapporteur: M. Michel Lucas, chef de l'Inspection générale des Affaires sociales.

Troisième groupe: Civisme et Communication.

Président : M. Jacques Fauvet, Président de la C . N . I . L.

(Commission nationale informatique et libertés), ancien directeur du " Monde ".

Rapporteur: M. Philippe Viannay, Vice-président du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes.

Ces groupes, après débat en commission, ont déposé leurs conclusions en assemblée plénière, au cours de laquelle divers participants sont intervenus.

Colloque " Etre citoyen " organisé par l'institution du Médiateur au Conseil économique et social les 22 et 23 novembre 1984

PROGRAMME



Jeudi 22 novembre 1984:

14 heures 30: Séance plénière d'ouverture.

Allocutions de:

M. Gabriel Ventejol, Président du Conseil économique et social;

M. Robert Fabre, Médiateur;

M. J.-P. Chevènement, Ministre de l'Education nationale;

M. Michel Delebarre, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle;

M. Georges Fillioud, Secrétaire d'Etat chargé des Techniques de la communication.

16 heures 30: Réunion des trois groupes de travail (cf. la fiche annexée):

Education;

Formation;

Communication.

Vendredi 23 novembre 1984:

De 9 heures à 10 heures 30: Séance plénière.

Exposés des Rapporteurs des trois groupes de travail suivis de débats.

10 heures 45: Synthèse des travaux par M. Robert Fabre.

11 heures 45: Discours de clôture par M. Laurent Fabius,

Premier ministre.

12 heures 45: Buffet.

Rapport spécial remis le 24 mai 1984 au Chef de l'Etat par M. R. Fabre, Médiateur de la République



Agité par les difficultés économiques, secoué par les conflits idéologiques, les guerres de religion, le monde entier, à de rares exceptions près, vit dans la tourmente.

Parmi ces exceptions, la France.

En paix - mis à part les dramatiques événements d'Indochine et d'Algérie et quelques tragiques engagements récents- depuis près de quarante ans. Sans disette ni épidémies. Bénéficiant, dans l'ensemble, malgré des inégalités à réduire, d'un niveau de vie élevé.

De ces privilèges, les Français ne semblent pas conscients.

Réalisent-ils davantage que, ces problèmes de survie étant écartés, ils jouissent non seulement de la paix et de l'abondance, mais encore d'une large liberté ? Celle qu'apporte, malgré ses multiples imperfections, le système démocratique.

Non. Car, en fonction du réflexe du verre à demi vide, nos compatriotes ont perdu de vue les dangers auxquels ils échappent quotidiennement, et que connaissent tant d'autres peuples. Les médias ne nous épargnent pourtant pas les images d'horreur. Mais nous les localisons dans un " ailleurs " qui nous paraît lointain, et dont nous nous croyons protégés.

La guerre, c'est du côté de Bagdad. La guerre civile, c'est à Beyrouth ou au Salvador. Les tortures, au Chili ou au Cambodge. La faim, au Sahel ou au Bengladesh. L'occupation, en Afghanistan. Les goulags, en Sibérie...

Certes, nous avons nos enlèvements, nos attaques à main armée, nos délinquants, nos drogués.

Mais ces " bavures ", contenues dans des limites supportables pour ceux qui ne sont pas directement concernés, cette fausse sécurité nous incitent à penser surtout à préserver notre confort matériel.

Les risques nucléaires, on les craint ou on les accepte avec fatalisme ou on les assume. Mais les risques de la vie de tous les jours paraissent de plus en plus inacceptables. Emploi garanti, niveau de vie en croissance, protection contre la maladie, contre la vieillesse, promotion sociale, réduction du temps de travail, loisirs et culture, voilà, c'est certain, des objectifs qui méritent d'être défendus. On comprend le désir légitime de chacun d'échapper au chômage, de bénéficier d'avantages sociaux, d'élever sa famille dans les meilleures conditions. Mais jusqu'où peut aller la générosité publique dans la redistribution des gains de productivité et des richesses acquises, quand monte l'âpre concurrence mondiale et que sont dépassés nos moyens de production et nos prix de revient ?

Ignorant superbement la dégradation de notre situation économique, tant au regard des pays à technologie plus avancée qu'au regard des pays à bas salaires, nous continuons à réclamer de l'Etat omniprésent et protecteur davantage encore de crédits, de subventions, d'aides, d'allocations ou de primes; et, à la moindre stagnation de notre pouvoir d'achat, nous mobilisons; corporation par corporation, syndicat par syndicat, nos forces les plus vives au profit d'une contestation quasi permanente.

" Moins d'impôts, moins d'efforts et plus d'avantages ! " C'est caricatural, mais c'est vrai.

Maintenue trop longtemps dans l'illusion de la crise passagère, notre société admet avec peine la remise en cause de ses privilèges, parfois baptisés " droits acquis ", et perd de vue l'intérêt général, au profit d'une lutte corporative, égoïste, aveugle.

Les syndicats ont tendance à se mobiliser sur les thèmes de l'immobilisme économique: maintenir le passé plutôt qu'avancer hardiment vers un avenir technologique qui révolutionnera toutes nos traditions et habitudes.

Les partis politiques vivent trop dans la hantise des sondages et des échéances électorales. Leurs responsables, paralysés par la perspective de leur possible échec, sont tentés par la facilité démagogique et oublient ainsi le rôle d'éducateurs politiques que la Constitution leur a confié.

Ce vent, de pessimisme, de défaitisme amer, de désillusions remâchées ou de revanches à prendre ne peut être porteur de la moindre espérance pour notre jeunesse.

Cette jeunesse n'a pas- heureusement !- connu la guerre. Ecartons l'idée absurde de la nécessité d'une autre guerre pour la " motiver ". Elle est prête à l'enthousiasme si l'on sait lui donner des responsabilités que, trop souvent, on lui refuse; si l'on sait l'arracher au dégoût, à l'indifférence; si on l'invite à autre chose qu'une carrière où la promotion et le gain dans une société aseptisée et sans risques tiennent lieu de foi et d'espérance.

Accéder à la nouvelle citoyenneté, c'est d'abord donner à chacun, dès sa prime jeunesse, le sens des responsabilités, puis les responsabilités elles-mêmes.

C'est apprendre à chacun ses droits, mais aussi ses devoirs.

C'est lui rappeler que l'épanouissement de l'individu exige l'acceptation de la vie en société collective au lieu du frileux repli et du " chacun pour soi ".

C'est lui donner les moyens de connaître nos institutions, nos rouages politiques, notre système démocratique, pour lui permettre d'abord de s'inscrire sur les listes électorales (plus de quatre millions de Français s'en abstiennent); ensuite, de choisir lucidement son bulletin de vote; enfin, de s'engager les yeux ouverts dans l'action syndicale ou politique.

C'est lui fournir les éléments de connaissance de l'économie pour réussir sa vie professionnelle.

C'est le tenir informé des évolutions technologiques si rapides que connaît un monde où le règne de l'informatique remet en cause bien des données de notre éducation et de nos actes quotidiens.

C'est lui faire gagner et apprécier les avantages qui s'attachent à une société démocratique, et qui se nomment liberté, égalité des chances, solidarité.

Dans le même temps, où alimenté par l'insécurité, la violence et la déception, se développe un profond courant de pessimisme et de découragement, commencent à se manifester les symptômes d'un possible redressement.

On n'en relève encore que les aspects d'apparence négative: la tentation de révolte, le recours aux solutions extrêmes.

Il faudrait peu de chose pour que le désir d'évolution, toujours latent chez une jeunesse saine par définition, renverse la tendance au profit d'un élan régénérateur.

Sans doute, dans les décennies où s'impose le bond inimaginable des technologies informatiques, spatiales et biologiques, faut-il d'abord y adapter nos " actifs " pour ne pas perdre pied dans la sévère compétition internationale.

Sans doute faut-il lancer les jeunes générations à la conquête de la maîtrise des sciences nouvelles.

Mais pas au prix de l'abandon du " sens de la vie ", pas en y perdant notre âme.

L'objectif développement économique et scientifique n'est pas plus primordial que l'objectif épanouissement de l'individu dans une société solidaire. Ce qui exige que le " grand dessein " de notre nation soit autant spiritualiste que matérialiste.

Laissant à d'autres, bien plus qualifiés, le soin de nous forger de futurs techniciens et chercheurs pouvant rivaliser dans le monde avec les meilleurs, j'en appelle à ceux que leur mandat ou leur fonction ont situés au plus haut niveau des responsabilités pour que, dans un effort parallèle nous assurions la formation de vrais citoyens, conscients de leurs devoirs tout autant que de leurs droits.

Il ne s'agit pas, comme cela existe, hélas ! dans trop de pays, de fanatiser notre jeunesse, de l'embrigader par une propagande religieuse ou idéologique.

Au pays de Descartes, on peut faire appel à la raison autant qu'aux sentiments.

C'est dans cet esprit qu'ayant rencontré des personnalités issues de tous les horizons, qui partagent ces vues et cette espérance, j'ai constitué un groupe de travail, puis des sous-groupes, qui ont beaucoup réfléchi et discuté; j'ai sollicité les avis, le concours de certaines autres, particulièrement qualifiées. Et la synthèse de ces études fait l'objet de ce " Rapport spécial Médiateur ".

Œuvre largement collective, donc, mais dont j'assume la responsabilité, estimant - ainsi que je l'ai exprimé à maintes reprises - que le Médiateur de la République peut et doit, dans le cadre du pouvoir de promoteur de réformes que lui a confié le législateur, lancer un appel en faveur d'un changement des mentalités; souhaiter que, dans le nécessaire équilibre à maintenir entre les citoyens et leur Etat, chacun assume pleinement ses responsabilités.

Le Français de demain ne doit plus être un " assujetti ", ni devenir un simple matricule. Il doit être pleinement citoyen.

Car être citoyen, c'est refuser de subir passivement les conséquences négatives d'une évolution trop rapide de notre mode de vie, en maintenant dans notre société les valeurs fondamentales de notre civilisation.

Ce rapport spécial comporte trois parties:

L'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle (nous n'emploierons parfois l'expression " instruction civique élargie " que par commodité) implique la durée: commencée dès le premier âge, à l'école, elle doit se poursuivre toute la vie, en formation " continuée ", et utiliser, largement, en sus des moyens classiques, le pouvoir des médias.

C'est pourquoi nous examinerons successivement l'éducation, la formation continuée, la communication.

Avec, pour chaque chapitre, le constat, les objectifs et les moyens proposés.

CHAPITRE Ier

Education



L'éveil de la personnalité intervient, tant dans le milieu familial qu'à l'école, dès le plus jeune âge. Dès l'école maternelle, dès le berceau disent certains, il convient d'éveiller l'esprit de l'enfant au monde extérieur.

Chacune des relations entre les parents, les maîtres et les enfants concourt à l'éducation globale du futur citoyen. Dès lors peut être préparé le terrain apte à faire germer ultérieurement l'esprit civique, qui est le sens des responsabilités et des devoirs.

Jusqu'à une époque récente, l'instruction civique, volet de notre instruction publique répondait à la mission impartie par le législateur de 1887. L'histoire est là pour en témoigner. Mais, avec l'évolution des moeurs et les crises qui ont secoué la société au cours de ces dernières années, elle a progressivement perdu de son audience, de sa crédibilité, pour apparaître en définitive dépassée, inadaptée aux exigences du temps présent.

1- Le constat.

Nous connaissons actuellement - et c'est vrai aussi au-delà de nos frontières - une crise des valeurs civiques et morales, qui se manifeste tant chez l'enfant et l'adolescent que chez l'adulte par un développement de l'agressivité, de la violence, de la lâcheté devant cette violence, bref par l'égoïsme. A quoi s'ajoutent le laxisme dont font trop souvent preuve parents et maîtres, et l'intolérance dont l'exemple vient parfois de haut. On peut trouver dans les structures et les programmes de l'enseignement moderne certaines causes de cette désaffectation des valeurs morales traditionnelles et responsabilité, de solidarité, de fraternité.

La suppression de nombreuses classes dans les bourgades rurales, corollaire de l'entassement dans des cités déshumanisées, a contribué à détruire l'environnement naturel, humain du village. Cette destructuration de l'enseignement a opéré une véritable strangulation de la fonction pédagogique au niveau de l'éducation civique. Même figurant encore dans les programmes, celle-ci a été abandonnée ou négligée dans quantité d'établissements scolaires.

Mais il serait inéquitable de mettre en cause le seul système éducatif. L'indifférence ou le refus exprimés par l'individu à l'égard de certaines valeurs expliquent beaucoup de comportements jugés critiquables. Aussi, de nos jours, l'autorité n'est-elle plus acceptée comme auparavant. Certes, si les jeunes en éprouvent inconsciemment le besoin et ne la contestent pas en tant que valeur intrinsèque, en revanche ils la rejettent dans son expression et dans les procédures à travers lesquelles elle s'exerce.

Il est intéressant à ce propos d'analyser l'évolution de cette attitude. Vers les années 1900, on a vécu dans la crainte de l'autorité; à partir de 1950, ce sentiment s'est mué en contestation systématique pour aboutir à l'explosion de 1968. Et, fait paradoxal, de globale et monolithique durant une brève période, la contestation s'est " délitée ", pour devenir anarchique, phénomène que nous connaissons présentement.

Mais d'autres explications peuvent encore être trouvées, telles les relations s'établissant entre les partenaires politiques, sociaux et familiaux, le caractère manichéen de l'affrontement des classes et des responsables politiques, les disparités socio-économiques d'une société qui s'accroche vaille que vaille à la notion de consommation, l'incompréhension des adultes vis-à-vis des jeunes. Tout cela conduit à circonscrire la jeunesse dans un monde différent, dans un " monde kafkaïen ".

De même en ce qui concerne l'autorité, dans toute l'acception du terme, on peut se poser la question de la dualité existant - et très ressentie par les jeunes - entre l'autorité telle que la conçoivent les parents au sein de la famille et celle exprimée par l'enseignant en milieu scolaire, dont l'impact sur la jeunesse n'est forcément pas négligeable.

L'éducation est étroitement liée au vecteur communication. Or l'information que reçoivent les enfants est très différente de celle d'antan; limitée alors à la lecture, la classe, le milieu familial où il existait des relais: livres, professeurs, parents, grands-parents. De nos jours, les jeunes disposent de moyens directs de perception grâce à l'image et au son et il n'y a plus d'intermédiaires obligés entre eux et le monde extérieur. Cela contribue à transformer radicalement les relations parents- enfants; d'où des réactions parfois brutales à l'origine de divergences significatives entre ce que l'enfant interprète par l'image et ce qu'en pensent les parents. Ce même hiatus se retrouve parfois entre éducateurs et élèves, d'où le divorce intellectuel et affectif entre les partenaires concernés qui pourrait expliquer en partie notre société " éclatée " d'aujourd'hui.

Mais il y a plus. L'instantanéité de l'information, les moyens modernes d'écoute et d'expression, les procédures de traitement de données - même élémentaires (informatique, robotisation, bureautique, etc.) nécessaires maintenant à la vie quotidienne sont autant de données contribuant à rendre délicate la compréhension réciproque entre adultes et jeunes. Les premiers seraient rebelles à l'innovation parce que, parfois, leur culture se révèle fragmentaire; les seconds, assoiffés de modernisme, parlent un langage hermétique, rompant ainsi toute possibilité de communication.

Par ailleurs, l'information dispensée quotidiennement en tant qu'expression des idées et traduction des faits, ne revêt pas toujours les critères d'objectivité requis et de respect des valeurs. Et cela n'est pas sans influer sur le psychisme et les mentalités des jeunes gens, exposés durant des heures à l'action combinée d'images matraquage.

Une évidence s'impose: bien des parents ne sont plus conscients du rôle qu'ils ont à jouer dans l'éducation de leurs enfants, allant parfois jusqu'à une certaine démission. Ils en sont restés au stade de l'enseignement " primaire ", ne se rendant pas compte de l'évolution signalée plus haut. Par ailleurs, il est affligeant de relever, lors des réunions de conseils de classe, de conseils d'établissement dans les établissements scolaires, l'impossibilité pour les Jeunes de faire passer leur message (que les adultes ne veulent parfois pas écouter). Alors, pour se faire comprendre et s'exprimer, il ne leur reste plus comme ressource utile qu'à se livrer à des excentricités, à des provocations, voire à des gestes désespérés pour attirer l'attention des adultes.

Ainsi nous trouvons-nous confrontés à des cultures parallèles selon que l'on appartient à une génération ou à une autre; chacun ayant son langage propre, et posant le problème de l'adaptation de la génération ancienne à la génération plus jeune, celle-ci, davantage orientée vers l'audiovisuel et disposant d'un autre support pour acquérir les connaissances.

Certes, ces générations ont les mêmes visées profondes, mais s'expriment avec des langages différents, qui ne se rejoignent pas; comportement qui s'explique par le fossé entre la génération des adultes marquée par la guerre et celle des jeunes rejetant ce qu'ils n'ont pas vécu, d'où la difficulté pour ces derniers de s'adapter à la vie de la cité et leur désaffection à l'égard de la vie publique.

Ces quelques réflexions aboutissent à un constat global de carence: nous ne possédons pas actuellement en France un réel projet de société, lié aux valeurs de civisme et de morale, en mesure de remédier à la communauté " éclatée " que nous subissons sans réagir.

2- Les objectifs.

La mise en oeuvre d'une efficace initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle (instruction civique élargie et modernisée) ne peut se situer que dans le cadre d'une éducation globale de l'être humain, et non se réduire à la vision étriquée du simple exercice des droits et de l'observance des obligations.

Avant même la fixation des objectifs de base, deux préalables sont à respecter, sans lesquels aucune éducation valable ne peut se concevoir:

- dans les relations humaines, substituer le débat au combat;

- utiliser un langage et des méthodes accessibles à tous, quel que soit le milieu d'origine.

Tout système d'éducation qui a pour objet d'aider l'individu à mieux comprendre la société où il évolue et à s'y insérer ne doit pas lui en cacher les difficultés et les tares, mais doit l'inciter à la civilité et à la convivialité. La courtoisie, la sympathie témoignée donnent une tonalité plus agréable à la vie courante. La tolérance commence au niveau du dialogue engagé. A la curiosité naturelle des jeunes, les adultes (parents et enseignants) doivent répondre dans un langage simple épuré d'un excès de termes techniques et ésotériques. Trop de manuels - en particulier scientifiques - sont d'un hermétisme répulsif pour des élèves déjà peu enclins à " subir " l'information.

Ces préalables observés, quelques objectifs de base sont à retenir:

- le sentiment d'appartenance à une communauté nationale pluriculturelle;

- le respect de la personne et l'acceptation délibérée de la vie en collectivité;

- le développement du sens de la responsabilité.

C'est tout au long de la formation scolaire que doit être favorisé l'épanouissement de la personnalité, et tout particulièrement dans " l'âge adulte de l'enfance " que recouvre la période de sept à dix ans.

Dès l'enseignement du premier degré, les jeunes doivent être entraînés à faire des choix et à s'y tenir; il faut donc les amener à découvrir, tant en classe que dans leurs loisirs, les vraies raisons guidant de tels choix; à faire l'apprentissage du renoncement à toutes les facilités qui, sous prétexte de bonne entente et de respect mutuel, incitent à ne pas prendre position, cherchant la conciliation comme le bien suprême aux dépens de la justice et de la vérité.

La reconnaissance des autres et l'initiation au social doivent faire appel à des préceptes simples: ainsi, dans les petites classes, est-il souhaitable de développer un cours d'histoire de la France insistant sur les aspects constructifs, montrant aussi la nécessité de la solidarité des nations entre elles en soulignant en particulier la dimension européenne. A cette occasion, les jeunes étendront au domaine de l'histoire et de la géopolitique la découverte de la notion d'universel qu'ils sont en train de faire dans les autres disciplines. Peut-on leur laisser méconnaître les drames du tiers et du quart monde, qui en appellent à notre solidarité ? On saisira de même le réflexe de l'autodéfense que les jeunes pratiquent spontanément dans leurs jeux pour leur faire découvrir ce que sont la communication et le respect d'autrui et les raisons de l'une et de l'autre.

On pourrait imaginer, dans les activités d'éveil, l'évocation des thèmes de la paix, du respect et de la défense du bien commun, montrant l'interpénétration de ces notions. Si, à ce niveau d'âge, la notion de bien commun est bien intégrée, il y a de fortes chances pour qu'au moment de l'adolescence et à l'âge adulte elle devienne une réalité civique et sociale indispensable pour accepter le pourquoi et le comment de la vie, qui sont la base de toute communauté humaine.

Dans l'enseignement du second degré, il faut promouvoir un enseignement de l'histoire et de la géographie présenté de manière objective, un enseignement de géopolitique associé à l'acquisition d'une véritable connaissance, et des éléments de droit international incluant la vie des divers organismes internationaux. Pour être efficace, cette connaissance pourrait être matière d'examen facultatif avec bonifications. Les divers enseignements touchant au droit des affaires, à la connaissance des lois sociales, des institutions devraient être prolongés dans les universités, et non réservés à ceux qui poursuivent leurs études dans les facultés de droit et de sciences économiques.

L'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle, vise également les adultes, plus généralement dans leurs relations avec les enfants et leur attitude vis-à-vis d'eux-mêmes. En effet, s'il est tout à fait normal que les jeunes s'expriment, il l'est davantage que les adultes apprennent à les écouter; d'où ce principe de savoir écouter à quelque niveau de la hiérarchie sociale que l'on se situe; cela pour transformer l'autorité traditionnelle en autorité expliquée, au lieu et place de l'autorité de commande; autorité expliquée, laquelle avant d'agir ne craint pas d'avoir recours aux médiations préventives permettant le " faire-valoir " des arguments indispensable à tout dialogue positif.

Selon cette démarche, on admettra aisément que l'éducateur (parents, enseignants, cadres) censé disposer du savoir, puisse, après avoir écouté, expliquer au jeune qui est demandeur. Dans ces conditions, il doit se révéler capable d'être à la fois animateur et écouteur. Une information commune commentée par l'éducateur et par l'éduqué conduira forcément à une plus grande compétence pour discuter. Et le débat pourra se prolonger au sein de la famille ou dans tout autre milieu, de sorte que l'enseignant devienne l'enseigné, et vice versa, chacun y trouvant son compte par un enrichissement de la personnalité et l'instauration d'une confiance réciproque.

3- Propositions

- l'enseignement " civique " devrait d'abord reprendre les matières de l'instruction civique traditionnelle, mais en faisant une place aussi large que possible à des notions de droit (civil, administratif, constitutionnel) ainsi qu'au mécanisme concret des institutions démocratiques (élections, conséquences de la décentralisation, etc.);

- à cet apprentissage du citoyen s'ajouterait un apprentissage du " citoyen dans l'économie ". D'où la nécessité d'étendre l'éducation civique à des domaines tels que la gestion économique et financière, la comptabilité, le crédit, l'export - import, etc., sans oublier la planification nationale, les systèmes de protection sociale et, surtout, l'information, indispensable atout de l'homme moderne;

- ces enseignements réserveraient naturellement une large place à l'utilisation des moyens audiovisuels. Ils devraient aussi- et cela paraît essentiel-comporter des " travaux pratiques de la vie de tous les jours " qui mettraient les élèves au contact de tel ou tel aspect de la vie politique, administrative, économique et sociale, leur permettant ainsi de prendre conscience des problèmes qu'ils auront à affronter dans leur vie d'adulte. Il paraît indispensable que les enseignants de leur côté - pour ce qui concerne les non-initiés - reçoivent une formation au moins élémentaire dans cette discipline et les sciences de communication, afin que la relation enseignants- élèves s'instaure sans difficultés;

- l'éducation ainsi conçue ferait d'abord appel, naturellement, aux membres du corps enseignant. Mais la question se pose de savoir si sa spécificité nouvelle n'exigerait pas la création d'un corps spécialisé, composé par exemple des nombreux professeurs de lettres, de psychologie, d'histoire, etc., qui, pour des raisons diverses, se trouveraient disponibles. Ou si, du moins dans un premier temps, ces professeurs, dans le cadre d'une nécessaire coordination, ne pourraient être chargés de cet enseignement complémentaire;

- il est recommandé de développer la formation continue des enseignants pour qu'ils acquièrent la compétence requise et actualisée dans les domaines de l'économie, du social et des finances publiques. Cette formation " continuée " doit se concrétiser par un recyclage permanent. La même action doit s'exercer auprès de la population adulte avec des programmes appropriés de la télévision et de la radio; restant entendu que spectateurs et auditeurs se sentent directement concernés, et aient donc été sensibilisés au préalable;

- le système éducatif dans son ensemble (plus spécialement les ler et 2ème cycles scolaires) doit s'ouvrir au monde socioprofessionnel et économique, ce qui pourrait se matérialiser par le détachement d'économistes, d'ingénieurs, de juristes, de sociologues, de politologues, de chefs d'entreprise et de responsables politiques et syndicaux dans les établissements. Ces acteurs de la vie économique seraient appelés à informer les membres du corps enseignant sur les problèmes d'actualité, afin de les commenter ultérieurement aux élèves. Cette même démarche est à adopter pour les cadres des secteurs public et privé ainsi que pour les responsables syndicaux;

- une structure légère pourrait être instituée au niveau des différents établissements d'enseignement, afin de permettre aux jeunes de rencontrer ces personnes d'expérience et de " vivre ensemble " cette nouvelle forme d'enseignement;

- à titre expérimental, quelques établissements scolaires pourraient être retenus comme " pilotes ", un enseignant spécialisé jouant le rôle d'animateur- coordonnateur avec la participation de représentants de diverses professions et administrations concernées par cette initiation;

- la généralisation dans les établissements scolaires de débats professeurs et élèves serait souhaitable, discussions devant porter sur des sujets d'actualité, d'ordre politique, social, économique, et ce à partir d'une information strictement objective et contradictoire;

- les projets d'établissement sont de nature à créer une plus grande concertation entre parents, enseignants et élèves; c'est là l'occasion d'apprendre aux uns et aux autres à se responsabiliser et à s'assumer, adultes comme jeunes.

Il serait souhaitable que l'ensemble des propositions énoncées dans le présent rapport soit pris en compte dans le projet pédagogique que chaque établissement scolaire est appelé à élaborer. Des expériences pilotes permettraient d'en apprécier la fiabilité et 1 efficacité.

Enfin, l'organisation même de cet enseignement - sa durée, ses programmes, sa sanction - pose des problèmes qu'il serait présomptueux de vouloir résoudre d'emblée. Mais il semble qu'il devrait se développer jusqu'à la majorité légale de l'élève. Quant à sa sanction, elle sera évidemment différente suivant que l'on fera ou non de l'éducation civique une discipline autonome. Dans la négative on pourrait penser, par exemple, à une bonification de points aux examens.

A ces propositions doivent s'ajouter des mesures à caractère ponctuel :

- le recours aux médias représente une source extraordinaire de possibilités; les moyens existent, seule l'imagination créative manque pour mettre ceux-ci à la disposition du plus grand nombre en recherchant - des émissions en mesure de traiter (avec un souci pédagogique sous-jacent) les problèmes répondant aux préoccupations du citoyen. A titre d'exemple, pourquoi ne pas adopter le principe d'une émission hebdomadaire de télévision de trente minutes pour les élèves du niveau des CM 1 et CM 2, suivie d'un débat d'une même durée avec la participation des jeunes d'âge scolaire ? Emission qui serait reprise le lendemain en classe (vidéo), les élèves établissant un compte rendu au professeur qui leur donnerait des explications complémentaires;

- par ailleurs, un développement des moyens audiovisuels en matière d'orientation serait de nature à faciliter chez les jeunes un choix plus réfléchi de carrière;

- de manière à combler le vide consécutif à la mise en veilleuse ou fermeture de nombreuses écoles de village, il serait judicieux d'équiper les localités intéressées de moyens modernes de communication (tels que Minitel, câblages ... ) reliés à des banques de données afin de recréer des pôles culturels si nécessaires à nos populations rurales ;

- pour une meilleure connaissance des rouages de l'Etat et pour son image de marque, les programmes scolaires devraient comporter l'analyse des structures des ministères afin d'illustrer les relations s'établissant entre les départements ministériels, les grands services publics et le citoyen ;

- les métiers, la presse en général, les grandes administrations de l'Etat et le secteur privé doivent participer à cette action de revalorisation des valeurs civiques. Et cela sans complexes ni hypocrisie. A ce sujet, il conviendrait de mettre plus fréquemment l'accent sur la vie et les problèmes de la cité, plutôt que de se complaire dans des exemples d'individualités érigées en idoles.

Enfin, il est évident que doit se développer la lutte contre l'analphabétisme : toutes les administrations sont concernées et doivent y participer en appliquant strictement les mesures prises par le conseil des ministres du 11 janvier 1984 dans ce domaine.

Quelques exemples d'acquisition pratique

Jeux simulés

Les élèves simulent une réunion du conseil municipal, un débat à l'Assemblée nationale, une négociation salariale entre patrons et syndicats, etc. Les questions traitées peuvent être des plus variées : nationalisation, décentralisation, nuisances, nucléaire, etc.

Une revue de presse écrite peut permettre des débats sur les grandes questions d'actualité.

Jeux télévisés

Les démocraties ne savent guère se servir de l'excellent outil de formation que peut être la télévision. Celle-ci sert principalement à la distraction. Un grand effort d'imagination devrait permettre d'allier l'instruction et la distraction.

Multiplication des relais de formation civique

- maires et instructeurs pour la vie municipale ;

- patrons pour la vie des entreprises ;

- parents invités à emmener leurs enfants dans les bureaux de vote ;

- services publics ;

- développement de l'action du Centre d'information civique, de la Ligue des Droits de l'homme, de la Ligue de l'enseignement, etc. ;

- encouragement au scoutisme axé sur le " service " et la responsabilisation.

Création de stimulants

Voyages gratuits à Paris et chefs-lieux de département et de région offerts aux lauréats pour visiter les rouages de l'Etat, d'organisations intergouvernementales.

Approche pluridisciplinaire

Histoire, économie, géographie, français, sciences physiques, documentation et éducation physique devraient concourir étroitement, dans un vaste effort d'imagination, à rendre l'instruction civique vivante et concrète.

Toutes ces méthodes, et d'autres encore, peuvent être mises en oeuvre pour donner à nouveau une âme à l'indispensable initiation civique des Français. Mais elles ne seront pratiquées sur grande échelle, comme il convient, que s'il existe un organisme autonome de recherche, de réflexion du type d'une fondation, pour assurer la rénovation, l'adaptation et la permanence de la formation civique.

Les instructions ministérielles de 1887 ont défini les bases et arrêté les grands principes d'une instruction civique que Jules Ferry voulait voir dispenser par un solide corps d'enseignants, formateurs admirables pour lesquels le civisme n'était pas un vain mot. Ces maîtres d'école ont servi le pays avec une ferveur quasi sacerdotale : les sacrifices consentis par la nation quelques années plus tard en sont l'illustration la plus probante.

Les événements des dernières décennies, l'accélération du monde, la transformation des mentalités avec une remise en cause sous-jacente de certaines valeurs traditionnelles ont contribué inévitablement au divorce entre l'esprit même de l'instruction civique de la III' République et le comportement des gens en cette fin du XXème siècle.

Prôner quelques idées concrètes en vue d'actualiser et d'élargir cette instruction au social, à l'économie et aux institutions n'est pas une démarche " rétro " d'esprits nostalgiques, mais peut représenter une dynamique intéressante destinée à répondre aux préoccupations légitimes : d'une société tourmentée, voire en état de crise. Conforter l'individu dans la connaissance et l'expression de ses droits et le responsabiliser dans ses devoirs afin qu'il participe sans affrontement à la vie quotidienne, où chacun trouve sa place et y joue un rôle ; voilà les objectifs.

Mais ceux-ci ne seront intégralement atteints que dans la mesure où l'initiation à une éducation civique élargie sera poursuivie dans le cadre de la formation professionnelle des adultes et à travers l'information quotidiennement diffusée par les médias.

CHAPITRE II

La formation continue



L'éducation du citoyen n'est pas achevée à l'issue de la formation scolaire ou universitaire. Elle doit nécessairement se poursuivre dès l'entrée dans la vie professionnelle, familiale, et même dans la retraite.

A chaque instant, le citoyen doit lutter contre la tendance au repli sur soi, contre la tentation exagérée de sa défense catégorielle, et en faveur d'une communication et d'une solidarité accrues avec ses concitoyens.

D'où l'opportunité de parachever la contribution déjà apportée par le système éducatif par une formation " continuée " tout au long de la vie professionnelle.

1. Le constat.

Ce constat est sévère. On ne peut que relever (excepté le cas des militants politiques et syndicaux) la quasi absence de doctrine, d'action coordonnée en faveur de la formation civique, tout au long de la vie active, mis à part les périodes électorales, où l'on tombe dans un autre excès, celui de la " propagande ".

A part certaines grandes écoles, les instituts de formation, l'armée, il n'existe aucun programme bien défini qui intègre une part d'éducation civique dans ses objectifs. C'est vrai dans l'enseignement professionnel et technique, dans l'apprentissage par contrat dans les entreprises, dans la formation par alternance, dans une formation continue dans le cadre de l'éducation permanente.

Sans cesse sont revendiqués les " droits ", rarement sont évoquées les obligations qui découlent logiquement des avantages du système démocratique.

La participation à la vie de la cité, dans les groupes et associations qui l'animent, devrait pourtant favoriser la prise de conscience de la responsabilité de chacun.

Mais, trop souvent, à l'apprentissage de cette responsabilité est préféré le recours à " l'assistance ", sous ses diverses formes. Chaque difficulté rencontrée se traduit par un appel à l'aide de l'Etat, de plus en plus sollicité, ou de la collectivité locale, dont les moyens n'accompagnent pas suffisamment les nouveaux pouvoirs dont elle est dotée.

Ce refus de se prendre en charge développe l'égocentrisme, l'indifférence, et peut susciter déception et contestation stérile.

L'individu n'est pas seul en cause. Dans l'état actuel des systèmes qui nous régissent, il n'a pas reçu dans sa scolarité les moyens lui permettant d'entrer dans la " lutte pour la vie " avec le maximum de chances. " L'égalité des chances " reste un mythe. D'où la nécessité d'un rattrapage pour les adultes.

Et si, nos propositions en matière de formation civique scolaire étant retenues, il aborde mieux armé la vie active, il aura besoin pour assurer sa réussite professionnelle, avec les changements d'orientation, de spécialisation qui lui seront imposés, d'une formation " continuée " qui lui apportera le complément de connaissances économiques, sociale, politiques que commande la permanente et rapide évolution de notre société.

La formation professionnelle, la promotion sociale, ne doivent donc pas se limiter à la seule accumulation des connaissances, mais s'orienter vers l'acquisition d'un comportement de responsable.

Il est également regrettable que ne soient pas mieux et plus largement utilisées les ressources offertes par les moyens modernes de communication.

Notons enfin que les services publics, comme certaines grandes entreprises, en raison de la rigidité de leurs structures et de la trop grande spécialisation dans les emplois, ne prévoient pas suffisamment de " passerelles " pour les reconversions souhaitables, et ne favorisent pas toujours l'humanisation des rapports entre les citoyens.

2° Les objectifs.

Que sommes-nous en droit d'attendre de l'adolescent qui aura bénéficié de l'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle, telle que nous l'entendons, pour qu'il devienne un véritable citoyen ?

Qu'il réponde à un certain nombre de critères qui nous semblent définir le citoyen modèle :

- être conscient intellectuellement de l'ensemble des règles de conduite que lui ont apporté la famille, l'école et son expérience personnelle ;

- avoir un comportement fondé essentiellement sur la convivialité, avec la faculté de s'adapter sans agressivité aux circonstances parfois délicates de l'existence;

- connaître et reconnaître autrui, tout en s'assumant par le développement des connaissances et la recherche des responsabilités, à quelque niveau que l'on se situe;

- avoir la capacité de se donner une identité, c'est-à-dire apporter la preuve de sa personnalité dans l'action.

La volonté de se promouvoir étant une constante des peuples et des individus, de tels objectifs ne sont ni ambitieux, ni utopiques. Ces derniers pourraient se réaliser par la pratique d'une " formation continuée " basée sur quelques principes:

- la remise en cause permanente des règles d'une société en rapide évolution nécessite, outre une solide formation de base, une actualisation des connaissances du citoyen pour qu'il reste toujours " dans la course " et accepte mieux la mobilité de l'emploi;

- l'acquis civique doit donc être sans cesse complété, comme l'acquis professionnel, par des informations actualisées sur le droit du travail, le droit quotidien (budget familial, consommation, formalités administratives...), l'initiation à l'économie, à la vie des entreprises, aux charges sociales, à la santé, à la retraite, etc.

Bien entendu, ces diverses mesures ne devraient pas se limiter à ceux qui bénéficient de formation professionnelle ou de reconversion, mais, selon les moyens d'action diversifiés, toucher l'ensemble des actifs, ainsi que les foyers, les associations, les retraités...

3° Les propositions.

La formation " continuée " que nous proposons constitue un recyclage permanent qui diffère de la formation continue dans son application par un " rattrapage " éventuel, en particulier dans le cas de l'analphabétisme des adultes et celui des représentants des communautés étrangères.

L'éducation civique qu'elle dispensera doit être adaptée aux données nouvelles enseignées (applications courantes de l'informatique, évolution de l'économie, des lois sociales, etc.) pour éviter un " rejet " de ces matières. IL convient donc d'adopter des formules attrayantes de présentation telles que films, vidéo, jeux, concours, etc. Ce type d'enseignement complémentaire devrait trouver sa place dans les stages de perfectionnement et les stages de reconversion.

Le contenu de cet enseignement porterait sur des sujets aussi divers que:

- les institutions, les notions de sécurité et de défense, etc.;

- la connaissance des partis politiques, des syndicats, de leurs statuts. Rôle des élus;

- la sécurité sociale: son mécanisme, ses formalités;

- la famille, les associations, les comportements sociaux;

- les pratiques de la vie courante: systèmes bancaires, épargne, fiscalité;

- la propriété, la location, les charges;

- la sécurité routière, le secourisme;

- les problèmes écologiques, l'environnement, l'hygiène;

- l'usage de la mini-informatique.

Les moyens à employer sont très diversifiés. Une base solide existe déjà: la formation professionnelle continue, dont les possibilités viennent d'être élargies par les dispositions de la loi n° 84-130 du 24 février 1984.

En moins de dix ans, 23 millions de personnes salariées ou demandeurs d'emploi ont suivi une action de formation continue représentant environ trois milliards d'heures de stages. L'enveloppe financière correspondante a atteint, pour la période considérée de 1972 à 1980, 100 milliards de francs courants. Par an, la durée maximale des stages par individu est passée de 190 heures à 221 heures (dont 55 heures financées par les entreprises en 1980).

Ces quelques chiffres - limités à la seule formation professionnelle que l'on aurait pu également extrapoler à d'autres secteurs - illustrent l'importance que revêt dans notre société la formation des adultes, qui concerne un peu plus du tiers de la population de notre pays et plus de la moitié de sa population active dans le temps. Or, l'éducation de l'homme - en tant que citoyen - pourrait y trouver tout naturellement sa place.

Dans l'hypothèse où les directives du ministre de l'éducation nationale en matière d'éducation civique seraient correctement appliquées, il paraîtrait souhaitable de les prolonger en les adaptant à l'enseignement dispensé au titre de la formation professionnelle qui s'adresse à un très large public et dispose de moyens financiers non négligeables. Pour ce faire, il conviendrait que les responsables de la formation professionnelle (Etat et entreprises) en soient pleinement conscients et concourent efficacement à l'action envisagée, c'est-à-dire à l'ouverture accrue sur la vie sociale, économique et institutionnelle, à partir d'un programme dont le contenu serait à intégrer à la formation professionnelle proprement dite.

Cette action se situerait dans le cadre des récentes lois sociales sous des formes à définir

- au niveau des instances publiques de la formation continue par le comité interministériel de la formation professionnelle et de la promotion sociale au plan national, par le comité régional de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi au niveau régional et par le comité départemental de la formation permanente, de la promotion sociale et de l'emploi au plan départemental;

- au niveau des organismes paritaires, par les commissions paritaires de l'emploi et du comité national interprofessionnel paritaire pour la formation et le perfectionnement professionnels;

- à la diligence des entreprises;

- dans le cadre de la formation;

par le budget de l'Etat grâce à une contribution spéciale; par les organismes informateurs (O. N. I. S. E. P., I. N. F. O. ou centre pour le développement de l'information sur la formation permanente, A. D. E. P. ou agence nationale pour le développement de l'éducation permanente) et par les organismes informateurs prescripteurs, tels que les centres d'information et d'orientation (C. I. O.), l'Agence nationale pour l'emploi (A. N. P. E.).

Indépendamment des entreprises qui dispensent une formation extrêmement importante, il y a lieu de signaler enfin, sur le marché de la formation, les organismes institutionnels dont l'action en matière d'ouverture à la vie sociale, économique et institutionnelle pourrait être déterminante.

Mais la formation professionnelle continue ne peut toucher l'ensemble de la population. Il existe d'autres moyens efficaces de donner aux citoyens le sens de leurs responsabilités.

La commune, première cellule de base après la famille, a un rôle essentiel à jouer.

C'est à son niveau - parfois au niveau du quartier - que, par une modification des rapports entre les élus locaux et la population, les habitants de la cité peuvent prendre conscience de leur responsabilité dans tous les domaines de la vie courante: protection des sites, des monuments, des jardins; propreté et hygiène; animation commerciale, culturelle; rencontres, débats, festivités... Maire et conseillers municipaux doivent être au contact de leurs administrés, leur donner accès à des commissions mixtes consultatives; créer parfois des conseils municipaux de jeunes; utiliser la radio locale comme moyen d'information et de liaison entre administrés et élus.

Ils doivent encourager la solidarité avec les demandeurs d'emploi, avec les étrangers pour étouffer tout germe de racisme.

Les entreprises doivent participer à cette formation par des journées " portes ouvertes "; par la participation des cadres et techniciens des diverses professions, aux côtés des enseignants et des fonctionnaires, à dès journées d'orientation de carrière, telles qu'en organisent les Rotary Club, les jeunes chambres économiques.

Les organismes à caractère social (foyers, crèches, centres sociaux) doivent s'ouvrir au contact des personnes âgées, des mères de famille, des personnes privées d'emploi, pour devenir des pôles de rencontres, d'information, de développement du sens social.

Les associations locales fondées sur le bénévolat peuvent être un intéressant relais pour la formation civique en développant l'esprit de solidarité (l'association Entraide et Amitié mène en Dordogne une action à citer en exemple).

Le centre d'information civique, qui dispose, avec ses correspondants, d'un maillage à travers l'ensemble du territoire, offre un élément intéressant d'incitation et de coordination de ces diverses initiatives.

L'armée consacre à l'instruction civique environ 3 p. 100 du temps réservé à la formation militaire générale des cadres, des appelés du contingent et des engagés. Cette action, déjà importante, pourrait être renforcée grâce au rôle primordial dévolu à la gendarmerie, dont la présence sur l'ensemble du territoire national constitue un relais irremplaçable.

Enfin, l'un des rôles essentiels appartient aux médias. C'est par la presse, la radio et surtout la télévision que peut s'effectuer l'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle avec sa prolongation tout au long de la vie.

C'est pourquoi la troisième partie de ce rapport est consacrée à la communication et à l'information.

CHAPITRE III

L'information



L'une des règles essentielles de la démocratie est le pluralisme des opinions. Ce qui implique une information à la fois objective et contradictoire: objective dans la présentation des faits, contradictoire dans les débats explicatifs, et éloignée de tout abus du pouvoir qui limiterait ou détournerait le choix du citoyen.

C'est dire l'importance que revêt ce secteur dans le domaine de la formation civique à tous les niveaux, c'est-à-dire scolaire et permanente.

L'évolution de notre société éclatée, réduisant l'influence du milieu familial et amenuisant le rôle des enseignants, privilégie les moyens nouveaux d'information et de formation, d'où la nécessité, pour la sauvegarde de la démocratie, d'une information pluraliste et de qualité. Cette information doit participer à nous éduquer à nous éclairer sur les problèmes qui agitent notre société, à amorcer l'indispensable dialogue entre gouvernants et gouvernés, tout en garantissant le plein exercice de la liberté d'apprendre et de penser.

Dans l'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle qui est notre objectif, la communication, avec ses différentes composantes, joue un rôle primordial. Elle appelle donc de notre part observations et propositions.

1° Le constat.

Dans le rapport annuel du Médiateur pour l'année 1981, une étude a été consacrée à l'information de l'administré. Elle relevait la surabondance des guides, des brochures, des notices en même temps que la difficulté pour le citoyen de se retrouver dans la confusion et la profusion d'indications trop souvent rédigées en termes abstraits ou techniques. Les abréviations, les sigles, les formules de style juridique ne facilitent pas sa vie. L'accueil aux guichets administratifs, malgré d'intéressantes expériences telle " A votre service ", est encore très insuffisant. Les heures d'ouverture restent encore trop souvent inadaptées aux disponibilités des usagers. Ces diverses observations restent largement d'actualité.

De même la presse écrite ne traite-t-elle le plus souvent les questions touchant à la formation du citoyen qu'à travers des faits divers, dont est prioritairement exploité l'aspect anecdotique, scandaleux ou tragique, au détriment de la leçon qui pourrait en être tirée en faveur d'un changement de mentalité ou de comportement ? On ne peut pas demander à tous les journaux des élans moralisateurs qui iraient - croient leurs responsables - à l'encontre du goût malsain d'un certain public pour l'étalage de la violence et de la passion. On ne peut pas leur demander davantage de supprimer toute photographie aguichante ou révoltante, mais de respecter une certaine éthique professionnelle laissant sa place à l'information éducative. Ce qui n'implique pas davantage, pour la presse d'opinion, de renoncer à ses options politiques. Le pluralisme, sur cette matière, est la meilleure garantie de la démocratie.

On mesure, en fonction de la place qu'occupent dans notre vie radio et télévision, combien l'information qui en émane revêt d'importance. Le rôle du journaliste est primordial. Son attitude! le ton qu'il emploie, son agressivité ou son aménité dans un débat peuvent remettre en cause l'objectivité à laquelle il est théoriquement tenu.

Quant à la nature des émissions, elle est souvent déterminée par les goûts du public, estimation faite par des sondages " techniques " des taux d'écoute, qui conditionnent le succès ou l'échec, et par voie de conséquence, les ressources financières. D'où un développement d'émissions de qualité inégale, au détriment d'émissions qui sauraient allier " éducatif " et " formateur " à l'humour et à la fantaisie. La Haute Autorité l'a, à juste titre, relevé dans un récent rapport: la notion de service public qui s'attache au monopole de la télévision interdit de ne considérer que la loi du profit et de la recherche de l'audience à tout prix.

Il convient donc que la télévision et la radio incluent dans leurs programmes des émissions éducatives bien faites et des émissions récréatives qui apportent des éléments d'enrichissement civique individuel et collectif. Les consommateurs ont bien leurs quelques minutes d'émission quotidienne pour les défendre. Pourquoi les administrés, les citoyens n'auraient-ils pas leur tribune, dans laquelle le médiateur trouverait parfois sa place ?

La recherche du " sensationnel " ne doit pas interdire la créativité intelligente en matière de formation du citoyen.

L'intérêt légitime porté aux événements du quotidien ne conduit pas forcément à stériliser les efforts à moyen et à long terme en faveur d'une société respectant mieux les droits et les devoirs nés du système démocratique. Certes, on peut évoquer ici l'action patiente menée par le centre d'information civique, à qui l'accès du petit écran n'est guère ouvert qu'en période préélectorale... Mais l'initiation à une " éducation civique élargie " telle que nous la préconisons exigerait, au niveau de la communication, des structures et des moyens dont ne dispose pas ce centre régi par la loi de 1901.

2° Les objectifs.

Au moment où notre pays, aux prises avec des difficultés, est confronté à un certain nombre de conflits au plan social, économique et politique, le rôle de l'information d'une opinion inquiète, soucieuse de connaître la vérité, revêt une importance capitale.

Plus que jamais l'impartialité doit être de mise, afin que puisse s'établir un dialogue sur des bases saines et une concertation débouchant sur un consensus porteur de paix civique.

Dans sa difficile lutte quotidienne, le citoyen exige d'abord la considération qu'on lui doit et qui exclut, dans l'information, le mensonge, même par omission, la facilité, l'à-peu-près, l'illusionnisme de la prévision hasardeuse.

D'où la nécessité, pour les responsables de l'information, de ne pas sacrifier la solidité du renseignement au désir de << brûler " les confrères; de ne pas présenter comme à la veille d'être mises en vigueur des décisions relevant d'un simple accord de principe en conseil des ministres; de ne pas recourir à tout bout de champ à des sondages d'opinion dont la signification dépend de la rédaction de la question posée—parfois de façon insidieuse-; de provoquer des enquêtes contradictoires; d'analyser davantage les travaux du Parlement et du Conseil économique et social, les propositions de réforme, au lieu de rapporter les seules appréciations- souvent partisanes - des leaders politiques.

Faire de l'information un moyen d'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle doit être une préoccupation des responsables à tous les niveaux, et de l'Etat au premier chef.

Ce qui nécessite:

- d'abord un changement de mentalité chez ceux qui gouvernent et chez ceux qui sont gouvernés;

- ensuite, une meilleure connaissance des problèmes qui préoccupent le citoyen et de sa réaction sur les projets (législatifs, réglementaires) en préparation, afin d'éviter pour l'avenir son indifférence sinon son hostilité;

- enfin, l'observation de l'image de marque de l'Etat auprès du citoyen. Est-elle mal ressentie, ou bien acceptée ?

D'où une triple démarche:

- éducation, formation, information sur les problèmes sociaux, économiques, politiques, institutionnels de l'heure, et les positions prises par le Gouvernement;

- campagnes préalables d'explication, de préparation, de dialogue sur telle ou telle option concernant la Communauté nationale;

- information a priori sur les choix du Gouvernement et les réalisations des pouvoirs publics.

Au-delà du quotidien, l'information doit porter sur les grands projets, telles la promotion des Droits de l'homme, et (pourquoi pas ?) la Déclaration des devoirs de l'homme; sur la construction européenne; sur l'indépendance énergétique, les réussites technologiques, l'aide au tiers monde, l'amélioration de l'environnement, etc.

Ce type d'action touche davantage la jeunesse. IL peut être de nature à mobiliser, et, par ce biais, à l'engager dans la vie sociale, économique et politique; à se situer, à prendre parti au lieu de se cantonner dans l'indifférence.

Dans le cycle scolaire et la formation professionnelle, l'utilisation de l'audiovisuel (télévision, cassettes vidéo) peut permettre l'engagement du dialogue.

Indépendamment des moyens médiatiques classiques, la vie associative permet d'utiliser les relais que constituent les groupes sociaux, professionnels, culturels, pour s'informer et s'exprimer. Dans son cadre familier, le citoyen futur ou adulte se livre davantage, s'exprime plus librement. L'information ne "tombe " plus comme une vérité révélée. Elle s'analyse, se critique, se discute.

3 ° Propositions.

L'information civique constitue une preuve du bon fonctionnement des institutions démocratiques, non seulement en en faisant mieux connaître les rouages, mais encore en fournissant à chacun des bases et des points de repère lui permettant d'exercer sa liberté de choix.

Elle doit donc être véhiculée par l'ensemble des moyens modernes d'information, sans être réduite à une expression temporaire, au moment des grandes confrontations électorales.

Par exemple, un débat sur les différents modes de scrutin permettrait de mieux les connaître, mieux les apprécier, et faciliterait les exposés et les commentaires sur le mode utilisé lors de l'ouverture d'une campagne électorale.

Toute émission d'information sur les droits, les devoirs des citoyens, sur leur initiation à la vie active doit, sans sous-estimer la faculté de compréhension des auditeurs, proscrire tout aspect hermétique toute appellation (sigle, abréviation) réservée aux initiés, et user d'idées et d'expressions claires. La présence de citoyens témoins invités à l'émission permettrait de mieux tester son intérêt et son impact. Les réactions de l'ensemble des auditeurs seraient ainsi mieux perçues.

Pour la mise en oeuvre des programmes éducatifs, des émissions récréatives " à message ", des spots informatifs, etc., un certain nombre d'initiatives et de mesures devraient être prises par la Haute Autorité de l'audiovisuel et les ministères concernés;

- mise en place d'une cellule de réflexion et prospective et propositions pour tout ce qui concerne la conception de l'information sur le civisme et les relations avec le public;

- indispensable coordination au niveau des départements ministériels afin d'harmoniser ces initiatives;

- élaboration de programmes d'information civique et réalisation de ceux-ci en liaison avec les médias, en vue de leur diffusion auprès d'établissements et centres formateurs des jeunes et des adultes;

- désignation dans tous ces établissements d'un animateur coordonnateur des actions à entreprendre;

- étude des modes de diffusion de l'information civique afin de la rendre efficace et attractive: séquences courtes, humoristiques ou récréatives; interviews, bandes dessinées, jeux télévisés, etc.;

- insertion dans les programmes radio et télévision de créneaux horaires situés entre deux émissions de grande écoute, avec spots de style " publicitaire ";

- association des collectivités (régions, départements et communes) à cet effort d'information par l'organisation de jeux, de concours avec récompenses

- émissions fonctionnant comme des cours par correspondance, avec correction des réponses envoyées par les auditeurs ou téléspectateurs.

L'élaboration de ces programmes devrait faire l'objet de concertations entre le ministère de l'éducation nationale, le secrétariat à la formation professionnelle, le secrétariat à la communication, le centre d'information civique et tous autres organismes nationaux habilités à promouvoir l'éducation et l'information civique.

Il est suggéré de généraliser les protocoles d'accord interministériels du genre de celui signé en septembre 1982 entre le ministre de la défense et le ministre de l'éducation nationale, qui met l'accent sur l'établissement de relations régulières entre les ministères et les cadres des deux communautés, militaire et scolaire, en vue d'une meilleure information des élèves sur les problèmes de défense et, réciproquement, l'information des militaires du contingent sur leur insertion dans la vie professionnelle.

CONCLUSIONS



Le présent rapport constitue une première approche du problème: comment être citoyen.

Les propositions formulées doivent faire l'objet d'un examen attentif par les pouvoirs publics, les formations politiques, syndicales, professionnelles, les responsables de l'information, en prélude au débat public en profondeur que mérite ce sujet crucial.

Dans la pratique, ce débat devrait alimenter un colloque, où seraient conviés les organismes à vocation civique, les enseignants, les parents, les sociologues, les politologues, les représentants des médias, etc.

Parmi les solutions à étudier en priorité:

La création d'un organisme de conception et de coordination de la tâche à entreprendre dans le domaine de l'éducation civique (ou la modification des statuts et l'accroissement des attributions du Centre d'information civique).

La création d'une fondation dotée des moyens appropriés à prendre en charge cette mission, et pouvant bénéficier des avantages du mécénat.

L'ouverture d'un grand débat sur le civisme à l'échelle européenne, ainsi que je l'ai proposé en octobre 1982 au colloque de Sienne sur la promotion des Droits de l'homme organisé par le Conseil de l'Europe. Débat qui sera repris et élargi lors de la 3e Conférence internationale des Ombudsmans et Médiateurs qui se tiendra à Stockholm en juin 1984.

Durant toute ma vie active, dans l'exercice de mes mandats de maire, de conseiller général, de parlementaire, de responsable d'une formation politique, je n'ai cessé de rappeler l'impérieuse nécessité d'un renouveau des valeurs civiques et morales qui ont fait la force de notre démocratie et assuré sa pérennité.

Depuis 1980, devenu Médiateur de la République, j'ai, dans de multiples articles de presse, à chaque occasion d'intervention radiodiffusée ou télévisée, lancé des appels en faveur d'un renouveau du civisme.

Dans chacun de mes rapports annuels au Président de la République et au Parlement, j'ai dénoncé avec force le matérialisme, l'esprit d'assistance, l'égoïsme, et préconisé le " retour à l'enseignement des valeurs immuables qui permettent la vie en société et que l'on peut nommer tantôt l'instruction civique, tantôt la morale, tantôt, tout simplement, l'éducation " (rapport pour l'année 1983).

Je craignais d'être peu entendu, car " il est toujours désagréable d'être Cassandre ".

Mais j'estimais que mon devoir était, sans me lasser, de lancer encore un nouvel appel, de participer à une " campagne de réflexion, de prise de responsabilité, de solidarité et de fraternité qui, seule, peut éloigner la perspective de l'abandon et nous rendre quelque confiance dans l'avenir ".

Ce message a été reçu. Non seulement par les personnalités qui ont collaboré à l'élaboration de ce rapport, mais par de hauts responsables du monde de la pensée, des religions, et même de la politique.

Je me réjouis de l'écho que trouvent dans l'opinion mes suggestions, reprises et amplifiées par les voix les plus autorisées.

Des initiatives sont prises par diverses associations, organisations et ligues, qui envisagent séminaires, colloques, chartes, etc.

Sans doute une coordination de ces généreux projets est-elle souhaitable, et le médiateur peut y avoir sa part. Mais l'important, c'est que la semence germe enfin et que l'élan soit donné. Nous ne serons jamais trop nombreux pour amorcer et réussir le profond changement de mentalité qu'impliquent ces efforts, pour doter enfin les Françaises et les Français d'un grand dessein, un véritable projet de société qui concilie réalisme et idéalisme.

Le Médiateur de la République,

ROBERT FABRE.

 

REMERCIEMENTS



Ce rapport spécial découle tout naturellement des multiples propositions que j'ai énoncées dans mes successifs rapports annuels sur le thème du nécessaire renouveau de l'éducation civique.

Mais sa réalisation, née d'un échange de vues concordant avec le père Maurice Rieutord, est le fruit d'un travail préparatoire collectif auquel ont pris part, sous des formes diverses, de hautes personnalités particulièrement qualifiées, dont l'expérience a été précieuse.

Les unes ont assumé la responsabilité de groupes de travail, telles Mmes Manodritta et Rey, Maurice Rieutord et Jean Christian Barbé.

D'autres ont participé à des réunions ou fourni des études. D'autres enfin, telle Mme Michèle Cotta, ont été consultées. A toutes et tous va ma gratitude pour le concours qu'ils nous ont apporté.

Liste, par ordre alphabétique, des personnalités participantes ou consultées:

Mme Jacqueline Ancelin, directeur adjoint de la Caisse nationale d'allocations familiales;

M. Bernard Bacou, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature;

M. Jean-Christian Barbé, président du Centre d'information civique;

M. Pierre Brisac, directeur de la Direction générale pour les relations avec le public (Ministère de l'Economie et des Finances);

M. Robert Chelle, secrétaire général de l'Ecole nationale d'administration;

Mme Michèle Cotta, présidente de la Haute Autorité de l'audiovisuel;

M. Jean-Marie Diem, directeur du perfectionnement du Centre national d'études supérieures de la sécurité sociale;

M. Roger Eschenbrenner, directeur des études de l'Institut national du travail;

M. Michel Kuntz, conseiller à l'Institut national de formation du personnel de la police nationale;

M. René Lejeune, directeur de l'Union internationale de protection de l'enfance;

Mme Janine Manodritta, directeur du département Economie et monnaie (Institut de formation de la Banque de France);

Général Claude Pozzo di Borgo, directeur de l'Institut des hautes études de la Défense nationale;

Mme Françoise Rey, directeur de l'Institut supérieur des sciences économiques et commerciales;

Père Maurice Rieutord, secrétaire du Centre international Les Fontaines;

M. Pierre Salvi, président de l'Association des présidents de conseils généraux.

Pour les services du Médiateur, ont particulièrement collaboré à l'élaboration de ce rapport: M. Pierre Bracque, directeur de cabinet; Intendant général Gérard Macri, conseiller technique; Mme Annie Cohadon, conseiller technique; Mme Joèle Chély, secrétaire.

 

Discours d'accueil de M. Gabriel Ventelol

Président du Conseil économique et social



Monsieur le Médiateur de la République, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux d'accueillir, dans l'enceinte du Conseil économique et social, le colloque organisé à l'initiative de M. le Médiateur de la République, et placé sous le haut patronage de M. le Président de la République. Je vous souhaite à tous la bienvenue, et je tiens à féliciter M. le Médiateur, notamment, pour le thème retenu: " Etre citoyen, ou l'initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle ". Nul plus que le Président du Conseil économique et social ne saurait se réjouir d'un tel choix, tant il est vrai que la création de richesses et le progrès social, étroitement liés au service de l'Homme, supposent tout à la fois, comme condition et comme finalité, des citoyens conscients de leurs droits et de leurs devoirs.

L'ouverture au dialogue, la pratique de la concertation, la recherche du compromis, toutes conditions essentielles d'une vie démocratique saine et féconde, requièrent des hommes et des femmes conscients de leur qualité de citoyens.

C'est pourquoi, en ce lieu privilégié de la concertation et du dialogue social qu'est le Conseil économique et social, ce souci de promouvoir un citoyen responsable est constant et inspire notre façon d'aborder les problèmes: nos travaux, en effet, ne sont pas le fruit d'une approche technocratique, mais celui d'un débat libre et franc entre citoyens responsables engagés dans la vie active du pays. C'est ainsi que les représentants d'intérêts divers, parfois antagonistes, parfois même animés de convictions philosophiques ou idéologiques opposées, dialoguent entre eux dans l'estime et le respect mutuel en vue de parvenir à rechercher, dans la bonne foi, les compromis au service de l'intérêt général. Cette méthode de travail a permis au Conseil économique et social de fournir de nombreux avis dont les Pouvoirs publics ont reconnu l'utilité en maintes occasions. J'en profite pour, saisissant l'occasion que me donne la présence de plusieurs ministres dans notre enceinte aujourd'hui, leur dire de se servir encore davantage de notre assemblée qui est prête à travailler autant qu'on le lui demandera pour apporter son concours à la solution des grands problèmes du moment: emploi, inflation, compétitivité, formation, modernisation, Europe, etc. Sachez donc, Messieurs les Ministres, que vous pouvez compter sur nous pour vous aider dans le traitement de vos difficiles dossiers: n'hésitez pas à saisir le Conseil économique et social.

La pratique du dialogue et de la concertation suppose effectivement des citoyens libres et responsables, formés et informés. Je suis convaincu que c'est là l'une des conditions du progrès économique et social et que la démocratie faisant appel à la vertu, comme le disait Montesquieu, c'est-à-dire au meilleur de l'homme, est le cadre de loin le plus approprié à la croissance.

On retrouve donc tout naturellement les mérites de la formation, et d'abord de la formation civique, dont je sais que M. le Ministre de l'Education nationale a l'intention de nous parler aujourd'hui, et je l'en félicite. La formation doit, par son contenu, comme dans ses méthodes, évoluer avec son temps, certes. Mais, en cette matière comme en tant d'autres, il ne faut pas, comme on dit " jeter le bébé avec l'eau du bain ": c'est ainsi que les évolutions des dernières décennies survenues en ce domaine ont fait un peu oublier que la finalité de la formation restait tout de même d'apprendre: apprendre à apprendre, bien sûr, mais, pour y parvenir, comme vous l'avez justement dit récemment, M. le Ministre, quoi de mieux que de commencer par apprendre ?

Toutes ces idées, et bien d'autres, vont être discutées et approfondies dans votre colloque auquel je souhaite de déboucher sur des conclusions opérationnelles et entendues de nos Pouvoirs publics.

Nous sommes à une époque où le grand défi réside probablement dans la nécessité d'adapter les valeurs fondamentales au progrès technologique qui va si vite: assurer la survie de ces valeurs est souvent difficile, tant elles sont bousculées par la science: la vie, la mort, la liberté, l'égalité, la justice, autant de domaines dans lesquels les principes traditionnels semblent en question: " Pour survivre, la tradition a besoin de mouvement ", disait Edouard Herriot.

Etre citoyen, dans la démocratie d'hier; être citoyen dans celle d'aujourd'hui et de demain: cela implique, sans doute, des différences nombreuses, mais au niveau des modalités seulement; pas à celui des principes de base, par delà les transformations souvent spectaculaires auxquelles nous assistons. Les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité n'ont pas vieilli: ce sont même des idées neuves !

Allocution d'ouverture de M. Robert Fabre

Médiateur de la République



Aux participants à ce colloque, et aux observateurs et journalistes qui le suivent, deux questions peuvent d'emblée venir à l'esprit:

Pourquoi ce thème: le civisme ?

Pourquoi l'initiative vient-elle du Médiateur ?

Elles n'appellent qu'une seule réponse: parce qu'au poste d'observation privilégié qu'il occupe, le Médiateur découvre, jour après jour, la détresse humaine et mesure l'indifférence, l'incompréhension, l'égoïsme qui lui sont trop souvent opposés.

Il serait injuste de noircir exagérément le tableau. Le sens de la solidarité, le dévouement, l'altruisme, la foi dans l'avenir existent, et se manifestent. Mais il serait vain de nier une lente et constante dégradation des mentalités et des moeurs que trente années de vie politique m'ont permis de constater, et qui se traduit par une difficulté croissante à vivre ensemble en bonne harmonie.

C'est vrai pour la France, comme pour le monde entier. C'est toute la planète qui est agitée de troubles: les antagonismes de nations, de races, de religions, de clans, alimentés par un commerce d'armes et un surarmement incontrôlés créent partout des foyers de guerres, de guérillas, de terrorisme.

Notre pays n'échappe pas à la vague d'attentats, de délinquance, d'agressivité qui, transposée au niveau politique, creuse le fossé de la division et peut, un jour, menacer la paix civile. L'intolérance resurgit, avec ses relents de racisme. Le corporatisme s'instaure, qui défend les solides bastions des privilèges. Face au cancer du chômage, la solidarité ne se manifeste guère au niveau de la nécessaire répartition du travail.

Une jeunesse, saine dans son immense majorité, s'interroge sur son avenir et son rôle dans une société de plus en plus bloquée. Se croyant incomprise, délaissée, elle est tentée par l'action extrémiste, ou par le mirage des sectes, ou par l'évasion dans la drogue; faute de formation civique initiale, elle se tient à l'écart, comme une large fraction de l'opinion, des " jeux du cirque " que sont à ses yeux les querelles politiciennes.

On ne peut délibérément ignorer ces dangers, à l'heure où un effort particulier est requis pour que notre pays surmonte la crise où l'a entraîné un tourbillon mondial qui n'est pas près de s'apaiser.

Surtout lorsque l'on a accepté la mission - celle de Médiateur - d'humaniser une administration trop enfermée dans ses certitudes bureaucratiques, de rapprocher les citoyens de leur Etat, et, au-delà, de les réconcilier entre eux pour qu'ils parviennent enfin à s'accepter, et à vivre ensemble.

La solidarité peut être spontanée dans les grandes épreuves: elle suscite alors des élans généreux et des sacrifices. Il est plus difficile de l'exercer en permanence, dans la vie de tous les jours.

C'est pourquoi l'effort en vue du redressement demandé à nos concitoyens est accepté avec tant de réticences.

Parce que les Français, si exigeants -et ils ont raison de l'être- sur les Droits de l'Homme, sont moins motivés par leurs Devoirs. En 1795, avait été élaborée une Déclaration des Devoirs de l'Homme. Elle a été oubliée au profit de la seule Déclaration des Droits. Droits et Devoirs sont pourtant inséparables.

C'est surtout dans les périodes de difficultés qu'il doit être fait appel à certaines valeurs immuables, qu'il n'est ni ridicule, ni rétrograde de remémorer: la conscience professionnelle, le sens du devoir accompli, le patriotisme (à ne pas confondre avec le nationalisme exacerbé), la fraternité...

Pour accepter effort et parfois sacrifice dans la nécessaire lutte pour le développement économique, l'adaptation aux technologies modernes, la solidarité envers les plus démunis, c'est à de tels sentiments et à de tels principes qu'il faut avoir recours.

Ma conviction est profonde, et je voudrais la faire partager aux sceptiques, aux blasés: ce n'est que par un élan civique que notre pays se redressera sur tous les plans, et surmontera les crises économiques et sociales qu'il traverse.

Aucune méthode répressive n'y parviendra. Dans le nécessaire et difficile équilibre prévention – dissuasion - répression, c'est sur la prévention qu'il faut mettre l'accent. Ne nous laissons pas entraîner dans l'engrenage d'un certain " ordre moral " dont on sait qu'il mène aux dictatures.

L'objectif est une formation nouvelle de la jeunesse, engagée dès l'école, et poursuivie la vie durant, avec le concours de ceux qui font l'opinion, des responsables politiques aux responsables des médias.

Voilà pourquoi se tient ce colloque. Faisant suite au rapport " Etre citoyen " remis en mai dernier au Président de la République et au Gouvernement, il a pour ambition de concrétiser certaines des propositions qui y sont émises ou qui jailliront de nos débats. Les trois thèmes retenus: Civisme et Education, Civisme et Formation, Civisme et Communication feront l'objet de tables rondes animées par des personnalités prestigieuses et compétentes; les présidences étant assumées par MM. François Goguel, Jean-Jacques Dupeyroux et Jacques Fauvet; les rapports présentés par MM. Claude Nicolet, Michel Lucas et Philippe Viannay.

Ces débats seront précédés des allocutions de MM. les Ministres directement concernés par ces problèmes: MM. Jean-Pierre Chevènement, Michel Delebarre et Georges Fillioud dont les propos alimenteront la discussion. Espérons que, partageant nos convictions, ils s'engageront dans la voie du développement du civisme, et qu'ils s'inspireront des suggestions constructives émanant du rapport ou qui surgiront du débat.

Demain matin se poursuivra la discussion générale dont je tenterai de faire la synthèse avant que M. Fabius, Premier ministre, n'en tire les conclusions.

Déjà, M. le Ministre de l'Education nationale a pris une position favorable, et a fait effectuer des études précises en vue de réalisations prochaines.

Ce colloque est un pari audacieux. Il aura atteint l'un de ses buts s'il incite le Gouvernement à assumer le renouveau de l'esprit civique, appuyé par une opinion très large, sinon unanime, qui sent la nécessité d'une telle action.

Il aura également fait la démonstration que le débat peut se substituer au combat en mettant en présence, toutes tendances et toutes origines confondues, des responsables dont l'essentielle motivation est la recherche de l'intérêt général où le développement de l'individu se confond avec le sens de la vie collective.

Mon voeu personnel est que, dans le respect du nécessaire pluralisme d'opinions qu'exige la démocratie, puisse se faire jour, sur un thème que nui ne peut répudier, l'un de ces consensus autour desquels pourra s'amorcer un large rassemblement des Français. Ceux qui sont attachés à leur pays, aux institutions et aux libertés républicaines. Ceux qui ont foi dans l'homme, dans sa capacité de dépassement de soi. Sans cette foi, leur lutte quotidienne, leur vie même n'auraient pas de sens.

 

Discours prononcé par M. Jean-Pierre Chevènement

Ministre de l'Education nationale.



Monsieur le Médiateur de la République,

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de saisir l'occasion que vous m'avez offerte de m'exprimer publiquement sur un sujet qui me tient à coeur: l'éducation civique.

L'occasion vient d'ailleurs à point nommé puisque le Gouvernement s'apprête à prendre des décisions importantes en cette matière.

Permettez-moi, Monsieur le Médiateur de la République, de saluer votre initiative et de vous en féliciter. J'ai notamment apprécié la qualité du rapport que vous avez remis à Monsieur le Président de la République et vous constaterez, quand j'évoquerai certaines dispositions que j'ai arrêtées, le parti que j'en ai tiré.

Le sujet qui nous réunit est immense. Je ne le traiterai pas dans sa totalité. Je me contenterai de vous en parler du point de vue du Ministère de l'Education nationale, dont la position est, il me semble, centrale. Je vous dirai pourquoi, à mon sens, l'école doit contribuer à former le citoyen et comment elle peut aujourd'hui le faire.

1. L'école, fondatrice de la République.



L'école publique est, en France, traditionnellement associée à la République. IL ne faut pas voir là une particularité nationale. Ou plutôt, ce fait est devenu, avec le temps, le caractère propre de notre histoire républicaine. Mais il découle d'un principe qui est le principe de tout gouvernement républicain.

Nul mieux que Montesquieu n'a établi plus clairement le lien essentiel qui unit la République à l'école.

" C'est dans le gouvernement républicain, écrit-il, que l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation. La crainte des gouvernements despotiques naît d'elle-même parmi les menaces et les châtiments; l'honneur des monarchies est favorisée par les passions, et les favorise à son tour: mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible.

" On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières.

" Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le Gouvernement est confié à chaque citoyen. Or le Gouvernement est comme toutes les choses au monde: pour le conserver, il faut l'aimer.

" On n'a jamais ouï dire que les rois n'aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme.

" Tout dépend donc d'établir dans la République cet amour: et c'est à l'inspirer que l'éducation doit être attentive. "

C'est à partir de ce principe que les premiers républicains s'efforceront, sitôt qu'ils eurent fondé le nouveau régime, d'entreprendre une grande oeuvre scolaire. Mais il reviendra à ceux qui établirent solidement et durablement la République en France, de reprendre à la base, c'est-à-dire en partant de l'école primaire, ce que les prédécesseurs avaient seulement esquissé.

L'école républicaine, parce qu'elle a pour but la connaissance, forme des citoyens éclairés sans lesquels il ne peut y avoir de République. La connaissance est mère de la liberté. Parce que l'école instruit, elle éduque à la liberté. En ce sens la laïcité de l'école fait corps avec une conception de la République exigeante.

Parce que l'école n'instruit que de ce qui est connaissable, dans le respect des consciences, elle fonde à la fois la tolérance et la démocratie qui n'est concevable qu'entre citoyens conscients et responsables.

Quant à l'éducation morale et civique que les républicains placèrent en tête des programmes de l'école élémentaire par la loi de 1882, Jules Ferry, Président du Conseil et Ministre de l'instruction publique, y consacra une admirable et fameuse lettre aux instituteurs où il écrivit: " Le législateur n'hésite pas à inscrire au nombre des vérités premières que nul ne peut ignorer les notions du devoir et du droit.

Il s'agit, dans cette perspective, d'affirmer dans les esprits la supériorité morale de l'Etat républicain, premier garant des libertés et, tout en prenant garde que la République s'arrête au seuil des consciences, de faire connaître ce qui unit tous les Français, ce qui leur est commun, autrement dit, d'éveiller en eux le sens de l'intérêt général, qui est l'âme du patriotisme républicain. Aujourd'hui comme hier, l'éducation civique est une oeuvre de rassemblement.

2. Actualité de l'éducation civique.



L'éducation civique est un devoir de la République parce que la République a besoin de citoyens.

A cette raison de principe, d'autres raisons s'ajoutent, qui rendent aujourd'hui ce devoir plus impérieux encore:

1° Alors que la France est aux prises avec une véritable guerre économique, culturelle et technologique dans laquelle son indépendance risque de sombrer, jamais il n'aura été plus difficile de défendre l'intérêt général du pays dont il semble que, pour beaucoup de nos concitoyens, le souci passe après tous les autres.

Certes, l'opposition des classes sociales, des idéologies, des régions ou des ethnies, bref de tous les intérêts particuliers. n'est pas nouvelle. Mais à certains égards, elle est exacerbée. La perspective d'une société duale, que d'aucuns dénoncent et que d'autres nous présentent comme un avenir inéluctable, est un dangereux symptôme. La vivacité de certaines revendications n'est pas moins inquiétante. La montée des corporatismes qui se frayent un chemin dans nos institutions trouble la perception de l'intérêt général. Et que dire de la défense des privilèges qui, au nom de la liberté, a pris plusieurs fois une allure indécente, ces dernières années ?

A cela s'ajoute une exaltation effrénée de l'individualisme où se perd tout sens des valeurs collectives. Quelque légitime que soit l'attachement de chacun à son épanouissement personnel, on voit bien le danger qu'il devienne exclusif. La collection des destins individuels ne . suffit pas à faire le destin d'une nation, et il n'est malheureusement pas certain que le succès des uns assure le succès des autres. La décomposition du lien social devrait devenir une préoccupation collective. La crise n'est pas seulement économique. Elle est tout autant sociale et culturelle.

2° Nous devons affronter une sévère compétition internationale. Il est heureux que nous ayons pu éloigner durablement la menace d'un conflit armé pour notre pays. Les plus âgés d'entre nous savent le prix de la paix. Cela ne doit pas nous faire oublier que nous sommes engagés, en Europe, dans une guerre technologique et économique planétaire. Dans ce qu'on appelle la crise, qui, à travers une formidable mutation technologique, économique, sociale et culturelle, se traduit par une nouvelle hiérarchie des productions, des savoirs et des puissances, nous savons bien qu'il y aura des gagnants et des perdants. Et dès lors la question se pose à nous: voulons-nous être du côté des gagnants ou du côté des perdants ?

Nous savons que pour affronter cette compétition dans de bonnes conditions, nous devons réaliser un effort sans précédent de formation et de recherche. Le Gouvernement a pris d'importantes mesures pour relancer notre effort scientifique et technologique. Et s'il reste encore beaucoup à faire pour garder à l'avenir notre rang de grande puissance scientifique et technologique, le bon tournant a été pris. Le déclin sensible au cours des années 1970 a été enrayé.

Quant à la formation, je m'y emploie de mon mieux. Je m'applique à ce que chaque Français se voit offrir une solide formation de base et une formation professionnelle de haut niveau. Notre objectif, notre impératif catégorique, c'est le relèvement général du niveau des qualifications de tous les Français.

Mais pour être du côté des gagnants, nous ne pouvons nous contenter de former de bons ouvriers et de bons ingénieurs. Nous devons aussi former de bons citoyens.

Les travailleurs de notre pays, quel que soit le niveau de leur qualification et de leur responsabilité, doivent savoir pour quoi ils travaillent, et que leur seule réussite personnelle ne peut être le terme de leur ambition car, dans les difficultés où nous nous trouvons, il n'y a pas de réussite certaine en dehors de la réussite collective du pays. Pour parler simplement, nous nous en sortirons tous ensemble ou nous ne nous en sortirons pas. Le goût de la réussite existe chez les jeunes. Je m'en réjouis assez pour leur dire: " Soyez meilleurs que les meilleurs ! Pensez que votre réussite personnelle doit servir une grande réussite collective: la cause de la France, c'est aussi la vôtre. "

Les circonstances présentes requièrent d'autant plus le sentiment renforcé de notre identité nationale que d'autres, précisément nos principaux concurrents - les Etats-Unis, le Japon ne le négligent pas. On peut toujours rêver à d'agréables chimères, mais soyons réalistes ! Nous sommes sur terre et non dans la lune. Et sur terre, en 1984, derrière la concurrence commerciale, il y a la concurrence exacerbée des nations. Dans cette compétition, le sentiment national joue puissamment. Parce que le patriotisme français tend naturellement à l'universel - car il fait corps avec les valeurs de la République - il est plus difficile à mobiliser, mais il mérite d'autant plus de l'être.

Enfin, il y a une troisième raison à l'actualité de l'éducation civique qui tient au contenu de notre enseignement.

Cet enseignement fait une place de plus en plus grande à une culture purement scientifique et technique. L'idée républicaine en France est nourrie de culture classique. On ne conçoit pas sa genèse ni sa réalisation dans notre histoire sans référence à la démocratie athénienne et à la République romaine. Il faut savoir que lorsque nous faisons disparaître les humanités de notre enseignement - même quand cela n'est pas évitable - nous coupons la République de ses racines culturelles.

Cela est d'ailleurs si vrai que les promoteurs de l'éducation civique l'avaient réservée aux enseignements primaire et primaire supérieur. Ils jugeaient que la culture classique diffusée dans les lycées armait suffisamment les esprits pour connaître et juger les données de la vie civique et politique.

Telle n'est pas la vertu cardinale de la culture scientifique et technique, qui en a d'autres.

Il importe donc que l'éducation civique remédie à cette carence

3° Ce que sera l'éducation civique

Telle n'est pas la situation aujourd'hui. Comme vous l'avez noté dans votre rapport, Monsieur le Médiateur, "l'éducation civique a été abandonnée ou négligée dans quantité d'établissements scolaires ".

En réalité, si l'éducation civique figure encore formellement dans les programmes officiels de l'école élémentaire, elle ne fait bien souvent l'objet d'aucun enseignement. Il n'est pas rare qu'un enfant entre au collège sans connaître ni la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni l'hymne national.

Au collège, depuis la réforme de 1975 et les instructions de 1977, l'éducation civique est diluée dans les sciences sociales. A force d'extension, elle a perdu toute spécificité. Elle ne fait plus l'objet d'un programme ni d'un enseignement spécifiques.

Il y a à cela des raisons profondes: crise sociale, crise idéologique, contestation irrationnelle des valeurs collectives, rejet de l'Etat républicain, désaffection vis-à-vis de la nation, célébration des particularismes, de la différence, tout cela, qui vient de loin dans notre histoire-il faudrait sans doute remonter à l'effondrement de la République en 1940 et à Vichy- s'est épanoui tout au long des années 70, façonnant une véritable " idéologie de crise ".

Ainsi s'explique que l'éducation civique ait été transformée jusqu'à disparaître, en une sorte d'initiation à quelques thèmes individualistes et utilitaristes où s'imposent le consommateur et le producteur, " bénéficiaires de services publics ". Les règles de la vie en société sont assimilées à celle de la convivialité que les élèves sont invités à redécouvrir par une sorte d'auto-enseignement.

Le citoyen n'a pas sa place ici.

On ne retrouve pas davantage le sens de l'intérêt général quand on prend trop facilement acte du fait que 1'étoffe nationale a craqué devant la découverte de la différence sociale, ethnique, sexuelle et générat1onnelle.

On le voit, la crise du sens civique a trouvé sa traduction dans l'école: l'une et l'autre ont abouti au milieu des années 70 à la disparition de fait de l'éducation civique.

Son rétablissement doit s'opérer sur des bases nouvelles. La France est certes comparable à d'autres pays développés. Comme d'autres, elle a été modelée par le christianisme, la Renaissance et les Lumières. Comme d'autres, elle est une démocratie pluraliste, dotée d'un régime représentatif. Comme d'autres, elle est un Etat de droit. Mais plus que d'autres, son histoire l'a conduite à organiser juridiquement et logiquement ses institutions politiques et civiles.

Parce que nous sommes le pays des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'éducation civique ne saurait se passer de la pensée juridique. La loi est le fondement de la liberté. Il s'agit donc d'abord de former le citoyen en lui apprenant les fondements du droit.

Au demeurant, on ne peut tout demander à l'éducation civique. IL faut choisir, et choisir l'essentiel.

Dans ces conditions, le contenu de l'éducation civique devrait, à mon sens, comprendre quatre domaines fondamentaux:

- le domaine de la vie sociale et civile, qui correspond, sommairement, à celui du droit privé. IL implique d'abord, à un niveau élémentaire, l'apprentissage des règles fondamentales de la sociabilité; mais aussi les notions de loi, de contrat, de personne, de propriété -à ma connaissance aucun parti politique ne prône l'auto-appropriation des biens - jusqu'à une initiation aux règles et aux institutions du droit privé français;

- le domaine de la vie politique et administrative: les institutions, la Constitution, l'appareil de l'Etat, les collectivités décentralisées, l'organisation administrative, les questions fiscales et militaires, la police, bref, le domaine du droit public;

- la place de la France dans le monde ou encore les rapports entre la nation et l'humanité: ici trouveront leur place l'exposé des Déclarations des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'analyse des relations et des institutions internationales et une introduction aux grands problèmes démographiques, économiques et financiers du monde;

- enfin, le domaine de science politique: sociologie politique et électorale, analyse des forces politiques ( les partis) et sociales (les associations, les mutuelles, les syndicats et les organisations professionnelles), étude des phénomènes d'opinion (sondages, moyens de communication de masse)

Cette esquisse de programme, qui n'est, à l'instant, qu'une suggestion, s'appliquerait aisément aux quatre années de l'enseignement des collèges. Les questions ainsi évoquées pourraient être approfondies au lycée et devraient, à l'école élémentaire, faire l'objet d'une première présentation, sélective, illustrée, aussi vivante que possible.

Pour assurer le rétablissement de l'éducation civique dans nos établissements scolaires, j'ai pris ou je prendrai très prochainement les dispositions pratiques suivantes:

A.- L'éducation civique aura ses programmes propres et ses horaires réservés. J'arrêterai les uns et les autres au mois de janvier prochain.

A cette fin, j'adresserai dès la semaine prochaine à l'inspection générale de l'Education nationale une directive pour l'élaboration des programmes et instructions pédagogiques correspondantes, aux trois niveaux de l'enseignement scolaire. Pour ce faire, je m'appuierai naturellement sur le rapport que doit rédiger M. Claude Nicolet, au nom de la Commission que préside M. François Goguel dans le cadre de votre colloque. Je tirerai aussi parti des avis et des travaux effectués par le ministère de l'Education nationale, en particulier par la commission d'histoire et de géographie présidée par M. Le Goff.

B.- L'éducation civique sera assurée par les instituteurs à l'école élémentaire; par les professeurs d'histoire et de géographie et les professeurs de français qui sont motivés pour cela dans les collèges et dans les lycées d'enseignement professionnel. La formation des maîtres nécessaire à l'accomplissement de leur nouvelle tâche sera annexée au plan de formation des instituteurs et des professeurs d'histoire et de géographie actuellement mis en oeuvre en accompagnement des nouveaux programmes d'histoire et de géographie.

C.-A l'école élémentaire, l'éducation civique sera dispensée à raison d'une heure hebdomadaire, dès la rentrée de 1985.

D.- Au collège, l'éducation civique disposera également d'une heure hebdomadaire, à la faveur de la modernisation des contenus de l'enseignement, sans qu'il soit nécessaire ni d'augmenter le volume total des horaires d'enseignement ni d'empiéter sur l'enseignement de l'histoire.

L'éducation civique sera progressivement introduite en classe de sixième, à la rentrée de 1986, et en cinquième, à la rentrée de 1987; en 1988 et 1989, elle gagnera simultanément les quatrièmes de collèges, les classes de C. A. J. et les quatrièmes préparatoires de L. E. P., puis les troisièmes des collèges et classes correspondantes des L. E. P.

E.- Au lycée enfin, et dans les lycées techniques notamment, les programmes sont trop chargés pour envisager d'y ajouter une heure supplémentaire pour l'éducation civique. En revanche, des instructions seront données aux professeurs de français et de philosophie pour assurer l'étude de quelques textes et questions essentiels à la formation de l'esprit civique.

Voilà, Monsieur le Médiateur, Mesdames, Messieurs, les dispositions que je prendrai et dont j'ai voulu vous donner la primeur.

Ce faisant, j'ai la conviction de répondre à un besoin des enfants et des jeunes, à une attente des parents et à l'intérêt bien compris du pays tout entier.

Vous comprendrez qu'en conclusion je m'adresse, par-delà votre assemblée, aux enseignants. Une fois de plus, ils vont être mis à contribution. Je sais que nous pouvons compter sur eux et qu'ils comprendront l'importance de ce qui est ici en jeu. Leur tâche ne sera pas seulement difficile - elle l'est également dans d'autres matières. Elle sera particulièrement délicate. Le risque existe, et quelquefois la tentation, de passer sans y prêter garde de l'éducation civique au militantisme politique et, pire, à l'endoctrinement, et cela avec les meilleures intentions du monde. Je suis sûr qu'ils sauront y résister et borner leur action éducative au seuil des consciences. Je signerai personnellement leurs instructions pédagogiques pour suivre les programmes de l'éducation civique en me rappelant le mot de Jean Macé: " L'instituteur ne fait pas des élections, il fait des électeurs. " Et je rappellerai à tous les maîtres celui de mon illustre prédécesseur: " Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience d'un enfant. "

Discours prononcé par M. Michel Delabarre

Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle



Monsieur le Médiateur,

Mesdames, Messieurs,

Les travaux que vous avez conduits, Monsieur le Médiateur, et l'initiative de ce colloque ont valeur de signal. C'est ainsi que vous l'avez voulu, inquiet d'une évolution de la société, pas seulement en France, mais souvent dans bien des pays développés, inquiet d'une évolution de la société qui, associant des ruptures technologiques et des pratiques de plus en plus individualistes, risque de mettre en cause à terme la notion même de société au sens de vie collective dont vous avez à plusieurs reprises souligné les acquis et les valeurs.

Il est dans l'histoire des périodes où les notions de " nation ", de " citoyenneté " et donc de civisme s'imposent à notre connaissance historique parce que fondées sur des pratiques et des témoignages: Rome et la notion de cité, la Révolution française et ses débats sur la liberté et la vertu, Jules Ferry et la mobilisation des instituteurs au service de la construction de la République et, plus près de nous, l'héroïsme de ces combattants de l'ombre se battant jusqu'au sacrifice pour leur pays.

Faut-il dès lors concevoir, Monsieur le Médiateur, qu'entre ces périodes favorables sur le plan du civisme s'instaureraient des phases d'évolution sociale où résignation et déracinement seraient la dominante au risque de voir disparaître progressivement tout esprit civique ?

Votre initiative, Monsieur le Médiateur, s'inscrit dans une perspective de ressaisissement pour laquelle vous interpellez tous les responsables de ce pays - à quelque univers qu'ils appartiennent - et c'est dans ce cadre que s'inscrira mon intervention en tant que Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle afin de témoigner de la contribution qui, dans le cadre de l'action de mon département ministériel, peut être apportée à cet objectif que vous avez assigné, à juste titre, à la formation professionnelle: assurer " la formation de vrais citoyens, conscients de leurs devoirs tout autant que de leurs droits ".

Je voudrais tout d'abord vous préciser, Mesdames, Messieurs, que je souscris volontiers à l'analyse présentée par Monsieur le Médiateur dans son rapport spécial au Président de la République pour ce qui est de la formation continue.

Certes, le constat est sévère s'il retient pour critère l'absence de la place réservée à l'éducation civique dans l'apprentissage par contrat dans les entreprises, dans la formation par alternance, dans la formation continue dans le cadre de l'éducation permanente.

L'assistance l'emporte souvent sur l'apprentissage de la prise de responsabilités et il est évident que toute proposition tendant à développer la formation civique dès la formation initiale aura des répercussions à moyen terme et fortement positives sur la manière dont les jeunes abordent la vie active et professionnelle avec ses contraintes de mobilité, d'adaptation, de formation continue.

Même s'il peut paraître actuellement comme appartenant à un univers idéal, le schéma que vous décrivez, Monsieur le Médiateur, ne peut qu'entraîner notre adhésion dans la mesure où vous fixez comme objectif:

La reconnaissance pour chacun de sa propre identité, mais aussi celle d'autrui et de son rôle;

L'actualisation permanente des connaissances du citoyen comme élément de réponse à l'exigence de mobilité professionnelle ou géographique;

Le développement des connaissances tant dans le domaine du droit du travail que dans celui de l'environnement, qu'il s'agisse de l'entreprise ou de l'économie en général.

Partageant en grande partie le constat et souscrivant aux objectifs, je ne reviendrai pas, Monsieur le Médiateur, sur les propositions que vous présentez dans la mesure où il appartiendra aux groupes de travail réunis dans le cadre de ce colloque d'en évaluer la faisabilité et l'impact éventuel.

Je souhaiterais simplement faire part de mes préoccupations essentielles et tenter d'analyser quelques éléments de réponse dont je tiens à dire tout de suite qu'ils doivent pouvoir trouver dans les réflexions conduites lors de ces rencontres beaucoup d'apports susceptibles de les perfectionner, de les adapter ou de les enrichir.

Si, en conduisant un effort déterminé dont M. le Ministre de l'Education nationale vient de tracer les grandes lignes, les choses peuvent s'améliorer de manière significative à moyen terme, je tiens à attirer l'attention sur la situation présente et sur trois préoccupations majeures à mes yeux:

Les exigences considérables de mutation, le nombre important de demandeurs d'emploi qui, pour moitié, sont des jeunes de moins de vingt-cinq ans, et, troisième caractéristique, la diffusion souvent très lente des nouveaux droits susceptibles de bénéficier dès à présent aux millions de personnes qui ont aujourd'hui un travail.

Par rapport à ces trois préoccupations les éléments de réponse susceptibles d'être apportés dans le cadre des responsabilités ministérielles qui sont celles du Ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle peuvent être examinés sous trois aspects:

- celui de l'insertion sociale;

- celui de la formation professionnelle tant en ce qui concerne l'organisation que le contenu de celle-ci;

- celui de l'entreprise comme milieu indispensable au développement du civisme.

L'insertion sociale me paraît être le premier domaine qui mérite de retenir notre attention parce que -et c'est une évidence - il n'y a d'éducation civique que d'une cité à laquelle on appartient. On ne peut être exigeant à l'égard de chaque citoyen au sens d'être exigeant sur le plan de ses devoirs envers la collectivité que pour autant que cette même collectivité sache l'accueillir, aider à son insertion sociale et professionnelle et ne lui donne pas l'impression - réelle ou ressentie, peu importe - de la marginalisation, de l'exclusion.

Reconnaissons qu'actuellement et pour un très grand nombre de personnes cette possibilité d'insertion apparaît faible et je voudrais prendre deux exemples qui nous interpellent en tant que collectivité nationale et dont je souhaite qu'ils soient au premier plan de nos préoccupations.

Le premier exemple, c'est le chômage.

Chacun en connaît l'importance, aussi est-ce sur certaines de ses caractéristiques que je voudrais insister: il n'y a pas un chômage mais des chômages, ce qui explique que certaines catégories de demandeurs d'emploi se trouvent en situation de chômage aggravé: aggravé par la durée, par l'incapacité à retrouver ou à pouvoir bénéficier d'un emploi ou d'une formation, aggravée par l'impossibilité de s'insérer dans une structure sociale adaptée.

Certains jeunes, les femmes isolées mères de famille, les personnes atteintes d'invalidité ou celles qui ont plus de cinquante cinq ans payent un lourd tribut à ces catégories. Ainsi, plus de 10 p. 100 des demandeurs d'emploi sont à la recherche d'un travail depuis deux ans ou plus, et c'est naturellement parmi ces catégories que l'on trouve le plus de demandeurs d'emploi non indemnisés.

Devant cette situation il convient sans doute d'envisager la manière dont la période d'inscription comme demandeur d'emploi peut devenir une période d'amélioration des connaissances civiques, surtout de celles dont la maîtrise est susceptible de mieux contribuer à l'insertion sociale, condition souvent nécessaire à l'insertion professionnelle. J'indiquerai dans quelques instants les efforts accomplis en ce sens et il est vraisemblable que des politiques nouvelles ou une adaptation de certains contenus sont à envisager.

Mais une telle orientation ne trouve sa justification que comme élément d'un objectif plus large et plus prioritaire qui est la recherche permanente d'une offre d'activité.

Après le chômage, la seconde illustration de cette difficulté d'insertion sociale sur laquelle je souhaite attirer votre attention est celle qui résulte de l'illettrisme.

Mme Georgina Dufoix, Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, a installé le 2 octobre dernier le groupe de travail chargé d'établir des propositions sur ce problème difficile.

Si j'évoque cette question, c'est pour qu'avant même d'envisager des actions de formation il importe de savoir combien de personnes auront réellement la possibilité d'y accéder et ce qu'il convient de faire pour celles qui ne pourront pas y accéder. Il y a actuellement des centaines de milliers de personnes pour lesquelles l'action de formation la plus simple apparaît d'emblée comme décourageante et difficile.

C'est en redonnant aux personnes placées dans cette situation la maîtrise du chiffre et de l'alphabet - ce que j'appellerai les fondations de toute politique sociale et professionnelle - qu'on leur donnera en même temps la conviction que la formation continue et la formation professionnelle ne sont pas réservées aux autres.

Croyez l'expérience acquise par les responsables d'organismes comme l'Association pour la formation professionnelle des adultes (A.F.P.A.) qui ont pu mesurer la joie des salariés de certaines entreprises dont ils ont eu à s'occuper dans le cadre d'opérations de reconversion industrielle. Pour les travailleurs concernés, soyez assurés qu'ils rendront en pratique civique cet enthousiasme, ce passeport pour l'avenir que leur a donné la collectivité nationale par l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul.

Je n'ignore pas, Monsieur le Médiateur, que vous avez dans votre rapport constaté l'affadissement du sel civique à mesure de l'accroissement du bien-être des Français. Il était de mon devoir de rappeler aussi que le civisme passe par la nécessité où se trouve chaque homme d'être inséré dans la société où il vit, c'est-à-dire d'y travailler et d'avoir les moyens de s'y former.

C'est pour ces raisons, dans le cas des exemples que je viens de donner et de nombreux autres, qu'il ne faut jamais oublier que l'un des premiers objets de la formation professionnelle et continue doit être de donner des facultés d'insertion; la formation doit être apprentissage d'une appartenance à une collectivité.

Plusieurs dispositions existent d'ores et déjà :

- s'agissant des demandeurs d'emploi et au-delà des dispositions relatives à la promotion de l'emploi (par exemple pour les chômeurs créateurs entreprise dont je rappellerai qu'ils sont plus de 40 000 par an à bénéficier des mesures), je dois préciser que bon nombre de stages de mises à niveau conduits par le biais de 1'A. N. P. E., en liaison avec 1'A. F. P. A. et de nombreux organismes de formation, contribuent à la réinsertion sociale et professionnelle.

Je dois également attirer votre attention sur les expériences remarquables faites par un certain nombre de déléguées régionales à la condition féminine, à l'initiative de Mme Roudy, qui tendent toutes à donner un acquis social et professionnel aux femmes isolées et mères de famille.

- s'agissant de l'illettrisme, et en particulier de celui qui peut être décelé chez des chômeurs de moins de vingt et un ans, je souhaite que, sans attendre les conclusions du groupe de travail que j'ai évoqué tout à l'heure, le dispositif des travaux d'utilité collective que le Gouvernement a décidé de mettre en oeuvre serve de cadre pour offrir à ces jeunes des possibilités à la fois d'insertion sociale par l'activité entreprise et de reconstitution des bases indispensables par l'intermédiaire de quelques heures de formation pendant l'année.

Au-delà de cette préoccupation première qu'est l'insertion sociale, je voudrais examiner certains points relatifs à l'organisation et au contenu de la formation professionnelle dans leur aspect de liaison avec la vie sociale.

Le rappel de quelques faits me permettra d'être concret et de signaler quelques orientations pour l'action.

Si l'un des moyens le plus souvent mis en oeuvre pour ouvrir un monde étranger comme l'entreprise ou telle ou telle administration au public est la formule des " journées portes ouvertes ", c'est bien la constatation que le reste du temps, ces portes sont fermées !

Or la maîtrise de ces " éléments de connaissance de l'économie " que vous évoquez, Monsieur le Médiateur, passe bien par une meilleure connaissance de l'entreprise et de l'administration.

Comment reprochez à quelqu'un son ignorance d'une évolution technologique qu'il n'aura jamais approchée ou d'une procédure administrative qui n'aura pour seul visage qu'une file d'attente ?

C'est la raison pour laquelle, sur le plan de l'entreprise, je crois à la valeur d'une formation générale qui, par le biais des " jumelages établissements scolaires - entreprises", brise les cloisonnements, et d'une formation professionnelle qui fait toute sa place à la formation en alternance.

Au plan des administrations et sans rien retirer de l'effort fait par bon nombre de fonctionnaires, il faut donner par la transparence et l'accessibilité un vrai visage à l'Etat et aux collectivités locales. Le civisme est l'adhésion à des valeurs communément partagées et on n'adhère pas à un formulaire ou à un guichet.

D'autres illustrations pourraient être prises qui s'inspireraient toutes de la même logique: le développement de l'esprit civique ne pourra progresser que si, dans chacun de ses rouages, à chacun des niveaux de responsabilité, la collectivité a la volonté de permettre aux citoyens d'être informés, de comprendre et de participer.

La formation professionnelle continue n'échappe pas à ces exigences et dans ce domaine j'ai l'intention de tout faire pour simplifier, informer, déconcentrer.

1. Simplifier



Depuis les lois du 16 juillet 1971 (la loi Delors) et de février 1984, chacun ou presque s'est pénétré de l'importance de la formation continue. Dans une période comme la nôtre, elle est un élément primordial de la lutte pour l'emploi, et elle figure à ce titre au premier rang des priorités affirmées par M. le Premier Ministre.

Or, nous courons le risque, au moment où la formation professionnelle peut être une chance pour les chômeurs, un devoir pour les chefs d'entreprise et une satisfaction pour tous les salariés, nous courons le risque de devoir constater que le système français de formation professionnelle n'est plus assimilé et vraiment maîtrisé que par quelques centaines de spécialistes, d'administrations, d'organismes, d'associations syndicales ou patronales.

Si la formation des jeunes est un impératif aujourd'hui - et les dispositions arrêtées par le Gouvernement en juin 1984 et surtout en septembre dernier devraient pouvoir bénéficier à près de 900 000 jeunes - il est hors de doute que le maintien de la complexité du système risquerait d'être un frein à son développement.

Comment ne pas imaginer la bonne volonté découragée du chef d'entreprise et, à bien plus forte raison, le désarroi du jeune concerné devant des procédures trop complexes ? L'Etat n'est pas en ce domaine le seul responsable. Il est du rôle de l'Etat de préparer des projets faits de simplicité, et non de complexité; il revient au législateur de veiller constamment à ce que la loi soit bien la propriété de tous les citoyens, et non celle des seuls spécialistes; il revient aux administrations de réfréner cette volonté qu'elles ont toujours de tout prévoir et de tout définir par avance; il revient enfin à chaque citoyen, non seulement d'exiger d'être compris et entendu, mais aussi, et d'abord, de pouvoir comprendre.

Dès que j'ai pris mes fonctions j'ai demandé aux services d'aller dans ce sens. La simplicité est une vertu cardinale de l'administration d'un pays: c'est une façon de le faire apprécier. C'est une forme d'éducation civique.

2. Informer



Simplifier, mais aussi informer. La variété des réglementat1ons est inévitable. En ce domaine, chaque collectivité ou partenaire responsable a un devoir d'information. A quoi servirait un dispositif de formation pour les jeunes et les adultes, fournissant à chacun ce qu'il est en droit d'attendre, si ce système restait ignoré ?

3. Déconcentrer



Il faut enfin déconcentrer, afin d'accompagner par une nouvelle organisation de l'appareil d'Etat, le mouvement de décentralisation entrepris depuis trois ans.

Comme je l'ai indiqué, la formation professionnelle de notre pays associe largement les partenaires sociaux à la puissance publique. Syndicats, chambres consulaires ou regroupements d'employeurs siègent dans des instances qui ne sont pas seulement consultatives mais également souvent gestionnaires.

Et on n'enlève rien au caractère représentatif de chacune des organisations intéressées, ni au rôle important joué par les consultations de toute nature, lorsqu'on affirme qu'il faut cependant rapprocher l'administration du citoyen. Dans l'histoire de notre pays, Monsieur le Médiateur, on pourrait sans doute parvenir à démontrer ce paradoxe qui fait que le citoyen a ressenti l'éloignement de la puissance publique précisément au moment où celle-ci multipliait les contacts avec ses représentants. J'en tire l'obligation où nous sommes, après avoir, dans les conditions que l'on sait, largement décentralisé, de déconcentrer l'administration dont j'ai la responsabilité. Cette notion s'applique en tout premier lieu à la formation professionnelle.

Vous avez évoqué, Monsieur le Médiateur, la possibilité d'une formation propre à donner les éléments essentiels d'information. Je crois aussi qu'il appartient à l'auteur d'un texte ou, plus généralement, d'une mesure administrative, d'en faire connaître le contenu. C'est une obligation particulière dans le domaine du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle: là l'Etat s'adresse à la majorité des Français, et dans leur vie la plus quotidienne.

Un effort réel a été fait, notamment dans le domaine de la formation des jeunes. Depuis 1976 existe un centre pour le développement de l'information sur la formation (centre INFFO), dont le conseil d'administration est paritaire. Depuis 1982, à la suite des travaux du professeur Schwartz, ont été installées en France à l'intention des jeunes, d'une part, des " permanences d'accueil, d'information et d'orientation „ (il en existe environ un millier), d'autre part, des missions locales (il y en a une centaine). Elles sont à même d'apporter des renseignements, mais aussi d'assurer une certaine prise en charge des jeunes. Enfin, le réseau des agences de l'A. N. P. E. est, dans le domaine de la formation, une structure essentielle d'information. D'autres organismes ont été cités dans le rapport.

IL faut sans doute aller plus loin encore, notamment sous forme de renseignements téléphoniques, d'accès facile, susceptibles d'être l'occasion d'un premier lien, d'un premier contact entre le citoyen et l'administration, un peu à l'exemple de ce que sont les C. I. R. A. en matière d'information rapide sur les services administratifs. Plus les liens sont nombreux, meilleure est l'information. Une bonne mesure du civisme me paraît être précisément l'épaisseur et la quantité des liens entre le gouvernant et le gouverné, entre l'administration et l'usager, entre la cité et le citoyen.

Là aussi n'impliquons pas seulement l'Etat. La formation professionnelle est le domaine par excellence où interviennent des acteurs multiples: chefs d'entreprise, représentants des salariés, collectivités locales - et en particulier les régions depuis la décentralisation-, organismes spécialisés, Etat. Il convient que chacun apporte à sa mesure, et en harmonie avec les autres, l'information nécessaire aux candidats à la formation. Pour ce faire, chaque organisme doit savoir abandonner le jargon des initiés. On aura beaucoup fait pour l'éducation civique de ce pays lorsque les administrations de toute nature de ce pays abandonneront leurs connivences, je veux dire les sigles, les abréviations, le vocabulaire, les références qui les rendent étrangers à ceux qui les écoutent. Chaque mot non compris par le citoyen est bien sûr une information en moins; c'est aussi un des liens que j'évoquais il y a un instant qui se défait; bref, c'est un peu moins de citoyenneté.

En la matière, pour des raisons naturellement louables, toutes les actions de l'Etat ont été étroitement codifiées, enserrées dans des circulaires. Aujourd'hui, lorsqu'un stage n'atteint pas la population prescrite, il n'est pas possible de l'ouvrir, quelle qu'en soit par ailleurs la nécessité. Lorsqu'il n'est pas prévu une répartition de telle nature entre le temps en entreprise et le temps en stage, ce dernier ne peut être financé, etc. Dans le même temps, le rôle du fonctionnaire de responsabilité, au niveau local, se borne à vérifier que les normes sont bien exécutées.

Voilà le type de situation que le citoyen ne peut comprendre: des besoins sont inventoriés; des priorités affichées; des moyens dégagés. Au dernier moment, l'action de l'Etat risque de s'évanouir dans la brume épaisse des normes réglementaires à appliquer.

C'est pourquoi, en matière de formation professionnelle des jeunes, le Gouvernement étudie les moyens d'accroître la souplesse, d'augmenter le rôle des acteurs administratifs locaux. Cela de manière très significative. Je souhaite en effet - et je l'ai affirmé publiquement - que dans un an chacun des jeunes demandeurs de formation puisse être suivi personnellement au niveau local. Les moyens nécessaires seront pris. Ce faisant, le civisme aura progressé.

Après avoir évoqué les problèmes relatifs à l'organisation de la formation professionnelle, je voudrais aborder la question du contenu de celle-ci.

Vous avez relevé, Monsieur le Médiateur, " la quasi-absence de doctrine, d'action coordonnée en faveur de la formation civique, tout au long de la vie active ". A première vue, il est exact qu'il n'y a pas aujourd'hui de réflexion sur la formation civique des adultes, en tant que telle. Je me demande tout de même si nous ne faisons pas de la formation civique sans le savoir.

Il n'y a pas de doctrine sur la formation civique des adultes si l'on entend par là qu'un instrument de l'Etat, quel qu'il soit, devrait apporter à l'ensemble des adultes la formation souhaitée, c'est-à-dire les connaissances que tout citoyen doit avoir de sa commune, de la protection sociale, du droit électoral, des économies d'énergie... C'est-à-dire de tout ce qui l'unit à la vie collective, en d'autres termes. ses droits et ses devoirs.

La difficulté majeure provient de ce que c'est l'usager qui est souvent bénéficiaire de l'information émanant de certains services publics. Non le citoyen. Or on est toujours citoyen; on n'est pas toujours usager. C'est ainsi que se dessinent des catégories laissées pour compte: je ne reviens pas sur les phénomènes que j'ai décrits en commençant.

Il reste que des améliorations peuvent être apportées dans le sens d'une ouverture de la formation professionnelle aux préoccupations qu'exprime le colloque qui se tient aujourd'hui.

La formation doit promouvoir les personnes et promouvoir le respect des personnes.

Elle doit promouvoir les personnes. A l'origine, la formation continue a été conçue comme une possibilité donnée aux salariés d acquérir des connaissances supplémentaires pour améliorer leur existence professionnelle, culturelle ou de loisirs. Telle était l'intention des plus modestes cours du soir que des pionniers ont inaugurés au siècle dernier; telle était l'ambition de la loi du 16 juillet 1971 que j'ai déjà mentionnée. Elle se résume en deux mots: la promotion sociale.

Il me semble qu'il y a là une dimension importante du civisme. Il s'agit d'assurer l'égalité, c'est-à-dire la possibilité offerte à chacun de pouvoir bénéficier de solutions aux inégalités sociales du moment. Cette dimension de la formation professionnelle ne doit pas être perdue de vue, en particulier pour les salariés adultes.

La formation doit promouvoir aussi le respect des hommes. Cela s'impose également. Que serait l'apprentissage d'un métier, si les règles de sécurité n'y étaient pas en même temps dispensées ? Si la qualité du produit n'était pas mise en avant, pour éviter une utilisation dangereuse par le client ? Si les règles du droit du travail n'étaient pas inculquées ? Au-delà encore, il faut ouvrir les formations professionnelles à l'environnement social, éthique et institutionnel qu'elles supposent. IL faut, en d'autres termes, réconcilier vie de travail et vie personnelle et, partant, existence individuelle et bonheur collectif.

L'Etat doit jouer naturellement son rôle, selon les règles que j'ai mentionnées tout à l'heure: simplicité et proximité notamment. Votre rapport, Monsieur le Médiateur, a parfaitement souligné le rôle d'institutions spécialisées, tout comme le Ministre de l'Education nationale vient de rappeler celui de son administration.

Dans le domaine de la formation professionnelle continue, je n'insisterai pas sur le rôle essentiel de la communication et des médias, si ce n'est pour souligner l'intérêt et l'attention que nous devons porter à l'importance qu'ont les émissions liées à la formation dans les télévisions de certains pays voisins.

Par contre, il me faut souligner le rôle des associations qui, en particulier pour la formation professionnelle des jeunes, savent très bien associer formation, insertion sociale, soutien au reclassement professionnel et suivi des jeunes ensuite.

Il convient de les encourager dans ce sens. Je crois beaucoup aussi, sur le plan de l'information, aux maisons de quartier, aux centres sociaux ou aux établissements de cette nature, dont les membres peuvent toujours bénéficier d'un grand nombre d'informations " civiques " locales. Peut-être convient-il d'aller plus loin et d'imaginer, par exemple, toujours dans un cadre local, ce que pourraient être des associations ou des cercles de formation qui, dépositaires par voie de conventions d'informations officielles, pourraient diffuser et discuter ces informations.

Il reste que je crois à l'existence de la formation civique, y compris dans le domaine qui est le mien. L'agence nationale pour l'emploi, par exemple, organise à l'intention des chômeurs des stages de recherche d'emploi, dans lesquels sont expliquées les procédures, données les adresses, décrites les manières de faire. C'est ce type de stages dont j'ai demandé qu'ils soient développés, en particulier pour les stagiaires des travaux d'utilité collective.

Il m'apparaît donc en définitive qu'en dépit d'un certain nombre de comportements, l'information et la formation collectives ont progressé. En matière de vie municipale, d'action sur l'environnement, de participation aux associations, beaucoup a été fait. En matière de formation professionnelle, les résultats ne sont pas minces: 3,3 millions de personnes ont participé l'an dernier à une action de formation, à raison de 138 heures en moyenne par stagiaire. La part de la formation civique au sens strict a sans doute été réduite; la part de la vie collective y a été considérable. Certes, il n'est pas possible de dire combien de personnes ont pu trouver un épanouissement personnel; ni combien ont pu retrouver un emploi; ni la part de ceux qui ont évité la marginalisation. Je reste persuadé que les résultats sont importants en ce domaine: tous les formateurs vous le diront. De ce point de vue, je crois que c'est autant de personnes qui auront la chance de pouvoir accéder, comme vous le notez dans le rapport " Un comportement de responsables ", à un plus grand degré d'autonomie.

Un ensemble H.L.M., une petite commune, pourrait être le lieu de leur implantation. C'est au plus près de la vie quotidienne des Français que doit souvent être résolu le problème d'information.

Monsieur le Médiateur, Mesdames, Messieurs,



Comme cela avait été souhaité par les organisateurs de ces rencontres, j'ai plus longuement présenté ce qui, dans l'action de mon ministère, touchait à la formation professionnelle et peut, par l'intermédiaire de celle-ci, contribuer à accroître le civisme dans notre pays.

Mais je m'en voudrais, Mesdames, Messieurs, de ne pas évoquer devant vous et livrer à vos réflexions ce champ extraordinaire de développement du civisme et de la vie collective que pourrait être, que doit être la vie du citoyen au travail.

Citoyen dans sa vie, le salarié perdait et perd encore trop souvent cette qualité en entrant dans l'entreprise. En favorisant, en incitant, en persuadant de l'importance de l'application du droit du travail dans un nombre sans cesse croissant d'entreprises, les services du Ministère du travail contribuent fortement au développement d'un élément concourant à l'esprit civique.

Si cela est vrai depuis des années, les lois sur les droits nouveaux des travailleurs, adoptées en 1982 par le Parlement, apportent en ce domaine une dimension qualitative supplémentaire qui contribue à faire des travailleurs des citoyens à part entière dans les entreprises.

Il convient de rappeler que ceci signifie: droit au travail, droit de grève, droit de se syndiquer et aussi droit à la santé et à la sécurité dans l'entreprise.

Mais les nouvelles lois sont allées plus loin, assurant réellement la capacité du développement du civisme à l'intérieur des entreprises.

- Avant les ordonnances sur le travail temporaire, le contrat à durée déterminée et le travail à temps partiel, il y avait deux catégories de salariés dans l'entreprise: ceux qui, titulaires d'un contrat à durée indéterminée bénéficiaient d'un statut protecteur tant au niveau de leur rémunération, de leurs droits en cas de maladie ou licenciement que dans leurs conditions de travail; les autres étaient traités différemment alors qu'ils occupaient le même poste de travail et disposaient d'un emploi précaire. Les ordonnances ont fait en sorte que tous les salariés puissent bénéficier des mêmes droits lorsqu'ils travaillent au même poste de travail: il n'y a donc pas deux catégories de salariés, chacun dispose d'un même poids.

- De même, le droit disciplinaire du chef d'entreprise, s'il être reconnu et affirmé, ne doit pas porter atteinte aux libertés fondamentales individuelles et collectives. Ainsi le règlement intérieur doit afficher les règles du jeu de l'entreprise sans porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens dans un pays développé; les sanctions doivent être précédées d'une phase d'information et les travailleurs doivent avoir la possibilité de défense et de recours en cas d'arbitraire. C'est conformément à cette orientation que sont aujourd'hui réécrits les règlements intérieurs de l'ensemble des entreprises.

- Mais, être citoyen dans l'entreprise, c'est avoir droit également à l'information sur le plan tant individuel que collectif.

- De nombreuses mesures ont été prises pour que les salariés individuellement connaissent mieux leur entreprise, leurs droits, notamment les conventions et accords qui leur sont applicables.

- Collectivement, ils doivent par le biais de leurs représentants être mieux informés que par le passé sur la situation économique, financière et sur l'évolution technologique de leur entreprise.

C'est ainsi que le comité d'entreprise a vu ses moyens d'information se renforcer, notamment en cas de difficultés économiques ou en cas de mutations technologiques. Dans le même esprit ont été institués des comités de groupe au niveau des maisons mères ou des holdings, afin que les salariés puissent être informés des stratégies des groupes là où celles-ci sont décidées.

- Comme je l'ai souligné tout à l'heure, le droit à la formation est inséparable du droit à l'information: sans insister ici sur la politique de formation professionnelle destinée aux salariés des entreprises, il convient de rappeler le droit à la formation qu'ont dorénavant les membres des comités d'entreprise et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

- Enfin, être citoyen dans l'entreprise, c'est aussi pouvoir être responsable, c'est-à-dire que chacun puisse, dans le domaine qui lui est propre, s'exprimer, prendre position, voire décider.

- Le droit d'expression des salariés sur leurs conditions de travail permet à ceux-ci de s'exprimer dans le cadre de leur unité élémentaire de travail sur les problèmes qu'ils ont en commun: hygiène, sécurité, contenu et organisation du travail, et de faire part de leurs propositions d'amélioration. D'ores et déjà des centaines de milliers de salariés pratiquent le droit d'expression et ont obtenu des améliorations notoires dans leurs conditions de travail.

- Le droit à la négociation donné aux organisations syndicales une fois par an dans l'entreprise est aussi un moyen d'accroître la citoyenneté: les organisations syndicales représentant les salariés doivent opérer des choix parmi les revendications et les aspirations de ceux-ci, faire preuve de responsabilité par rapport aux propositions de la direction et dans le cadre de la situation économique de l'entreprise. La pratique actuelle montre que ces prises de responsabilités sont allées de pair avec l'évolution de la négociation.

Toute l'action de mon Ministère en matière de droit nouveau des travailleurs tendra à informer, à recommander, à persuader l'ensemble des entreprises que la mise en oeuvre de ceux-ci servent à la fois la promotion du travailleur en tant qu'individu mais également les progrès d'ensemble de l'entreprise.

Telles sont, Monsieur le Médiateur, Mesdames, Messieurs, les quelques réflexions que je souhaitais vous présenter sur le thème de la formation professionnelle ou continue et du civisme.

Si j'ai parfaitement conscience des limites qui s'imposent encore à nous, je suis néanmoins forcé de constater que des dispositions existent qui s'adressent au plus grand nombre de salariés dans les entreprises, de demandeurs d'emploi ou de jeunes qui souhaitent, à l'issue d'une formation, trouver du travail.

Certes tout est loin d'être parfait et bien des efforts sont sans doute encore indispensables pour améliorer les modalités du dispositif existant afin de le rendre clair, lisible, compréhensible et en cela utilisable réellement par le plus grand nombre.

Des efforts sont également indispensables pour inclure dans le contenu même des formations des éléments relatifs à l'environnement de la profession et de la qualification recherchée, à l'environnement de l'activité et de l'établissement où on l'exerce qui permettront à l'homme de ne pas s'enfoncer un peu plus dans l'isolement, dans l'individualisme, mais de se savoir participant d'une collectivité.

Développer la citoyenneté, c'est-à-dire développer la capacité d'autonomie pour permettre à chacun d'être responsable et de participer plus et mieux à la vie collective, tel est l'apparent paradoxe avec lequel nous devons apprendre à vivre parce qu'il détient sans doute l'une des clefs de ce pari que vous relevez dans vos observations, Monsieur le Médiateur: atteindre notre objectif de développement économique et scientifique sans abandonner notre exigence d'épanouissement de l'individu au sein d'une société solidaire.

Discours prononcé par M. Georges Fillioud

Secrétaire d'Etat aux Techniques de la communication



Monsieur le Médiateur,

Mesdames, Messieurs,

On connaît l'histoire du fidèle laconique à qui l'on demandait de résumer le prêche qu'il venait d'entendre, et qui le faisait ainsi:

" Eh bien, le prédicateur a parlé du Bon Dieu. "

" Mais encore, le pressait-on, qu'en a-t-il dit ? "

" Eh bien, il est pour. "

Il en va de même aujourd'hui: lorsque le Médiateur de la République interroge un Ministre de la République sur sa position à l'égard de la citoyenneté, il est clair que l'un comme l'autre ne peuvent qu'être pour, tant il est vrai que, dans notre pays, la notion de citoyenneté est devenu, depuis deux siècles, indissociable de celle d'Etat républicain.

Hérité de l'Antiquité gréco-romaine, cette notion a considérablement évolué au fil des siècles: désignant, à l'origine, l'état d'appartenance à une cité, c'est-à-dire à un établissement humain organisé et policé, de taille relativement faible, elle s'appliquait en fait à l'aristocratie restreinte de ceux qui avaient voix au chapitre dans l'administration de la cité; réservée à la caste des descendants des pères fondateurs, la qualité de citoyen n'était accordée que parcimonieusement à qui ne pouvait faire état de la légitimité du sang, et toujours en récompense de services éminents.

Ainsi, la cité grecque - et plus encore la cité romaine au fil de sa prodigieuse expansion territoriale - parvenait-elle à concilier la préservation de son identité et les conséquences de son impérialisme.

Dans la France du Moyen Age et de la Royauté, les agglomérations soumises à la noblesse d'épée ou de robe, puis au Roi, perdaient pour plus d'un millénaire la notion de cité, supplantée par celle de village établi à l'emplacement des anciennes demeures du colonisateur romain, et par celle de bourg, venue du Nord sous l'influence des cultures celtiques. A l'exception des habitants de quelques villes clairsemées, devenues prospères et fortes sous l'effet de leur activité commerciale, les paysans, les villageois et les bourgeois n étaient plus que des sujets dont l'autonomie relevait strictement du bon vouloir du Prince, de l'Evêque ou du Roi.

Et c'est, bien évidemment, la Révolution de 1789 qui restaurait, à partir de quelques valeurs retrouvées parmi les plus hautes léguées par l'Antiquité, une citoyenneté moderne appuyée sur le concept républicain d'Etat-Nation.

Avant de poursuivre, je voudrais indiquer, en quelques mots la raison de ce long retour dans l'Histoire, auquel je me livre, au risque de lasser votre attention. C'est que, à l'instar de Monsieur le Médiateur, je crois nécessaire, indispensable même, avant de construire une action aussi ambitieuse et aussi essentielle que celle qu'il nous propose, de nous poser avec lucidité la question du a pourquoi ". Car c'est dans une large mesure de la manière dont on répondra au " pourquoi " que dépendra la réponse au " quoi " et au " comment ".

Or, je dois dire à mon ami Robert Fabre que si j'adhère spontanément à l'intuition qu'il a eu de la nécessité et de l'opportunité d'une action orientée vers la citoyenneté et le civisme, j'adhère moins à l'analyse dont il l'étaye et qui me paraît trop exclusivement fondée sur une prétendue sclérose des valeurs républicaines, sans faire suffisamment la part des conditions individuelles et collectives dans lesquelles s'exerce la citoyenneté contemporaine.

La Révolution a permis à la citoyenneté de s'exprimer dans un ensemble de pratiques démocratiques exigeant un haut degré d'abnégation individuelle, parce que les circonstances historiques y concouraient: on acceptait de partager le pire par réaction à l'" encore pire " qui avait précédé. Ne plus subir le pouvoir absolu du seul héritier d'une légitimité héréditaire; détenir chacun pour soi et ses enfants, ne fût-ce qu'une infime, mais inaliénable, parcelle de pouvoir démocratique, valait bien les plus grands sacrifices individuels. En eût-on douté dans l'épreuve que l'hostilité de l'Europe entière, liguée pour y mettre fin, aurait suffi à en attester.

Habilement exploitée au cours de l'épisode impérial, bafouée par la Monarchie parlementaire, la conscience civique, désormais solidement enracinée en France, donnait naissance, dans le chaos, à la IIIème République. L'évidence s'imposait que le temps était révolu de la démocratie " réactive ", et que l'exercice actif de la démocratie passait par l'élévation du niveau de conscience des citoyens, donc par l'accroissement des connaissances individuelles. Naissait alors l'instruction publique de Jules Ferry, et la mise à la disposition de tous les citoyens des outils intellectuels de base, nécessaires à la connaissance élémentaire des institutions et de leurs mécanismes les plus simples.

Cet immense effort national, relayé par la montée en puissance de la presse imprimée dont la période la plus florissante s'est située précisément à la charnière du XIXème et du XXème. siècle, a suffit à nourrir la "citoyenneté " de la IIIème République avec une efficacité dont beaucoup gardent encore aujourd'hui la nostalgie.

La Ière et, à un moindre degré, la IVème République ont pu miser à plein sur la démocratie et le patriotisme. " Aux armes citoyens ", chantaient les soldats de l'An II en parcourant l'Europe, à pied et souvent sans solde, tandis que, moins glorieusement sans doute, mais aussi courageusement, la France de la IVème assurait sa propre reconstruction en préparant la construction de l'Europe.

Qu'en est-il sous la Vème République ? Vingt-cinq ans après sa proclamation, alors qu'après une longue période de paix intérieure est ressentie l'extinction d'une phase historique favorable aux consensus charismatiques, alors que domine la crise économique, que menacent les obscurantismes fascisants, resurgit une réflexion sur la citoyenneté et le civisme.

Sous quel angle peut-on l'aborder avec quelque chance d'efficience ?

Suffit-il d'évoquer le trouble du monde et de dénoncer l'apathie individuelle de citoyens dont l'impuissance est manifeste devant les épisodes menaçants dont l'origine se trouve, d'une part, dans la politique des blocs, et d'autre part, dans le ralentissement d'une croissance économique susceptible de laisser entrevoir aux plus défavorisés la perspective d'une amélioration prochaine de leur sort ?

Faut-il invoquer la morale et dénoncer une supposée " crise des valeurs " alors que chaque jour notre pays donne des exemples de solidarité agissante, à tous les niveaux de l'Etat et de la nation, au service des Droits de l'homme et de la sauvegarde des communautés et des personnes en péril ?

La clé, me semble-t-il, est ailleurs, et deux faits de sociétés peuvent nous y mener.

Le premier, c'est que la " compétence " civique a notablement crû en un siècle, qu'elle joue culturellement en faveur de l'autonomie individuelle et que la relative naïveté, obéissante et disciplinée, du citoyen des débuts de la IIIème République a fait place à une sorte d'exigence expérimentale, correspondant d'ailleurs bien à notre image de rationalisme critique, et du fait de laquelle certaines des structures ou des modalités fondamentales de la société sont non pas rejetées, mais mises en question, notamment depuis 1968.

Le second, c'est que l'écart entre cette compétence individuelle et la complexité de la " cité " France s'est considérablement accru, à la fois par l'évolution rapide des institutions intérieures et extérieures, des mécanismes économiques, de l'interdépendance croissante des individus, des nations et des continents, et du progrès scientifique et technique.

Un biologiste disait récemment à la télévision " On a coutume de définir le progrès comme la somme des réponses données à des problèmes posés. Je préférerais, quant à moi, qu'on le définisse comme la somme des problèmes nouveaux suscités par les réponses apportées à des problèmes anciens. "

Ce scientifique nous propose ainsi une attitude que je crois lucide et moderne. Mais, à coup sûr, ce n'est pas une attitude confortable. Appliquée à une question telle que celle dont nous débattons, elle conduit à poser des questions graves et difficiles.

Je vous invite, par exemple, à rapprocher de cette façon de voir le contenu d'un rapport sur l'illettrisme remis au Premier ministre en janvier 1984. Ce rapport officiel contient des affirmations telles que: "le taux des analphabètes complets est certainement très faible. En revanche, on peut affirmer que le nombre de personnes qui ne maîtrisent pas la lecture ou l'écriture, ou sont gravement gênées pour utiliser celles-ci, doit se compter par millions plutôt que par centaines de mille.

" La vie quotidienne des illettrés se complique de multiples façons. Ce n'est pas seulement une question d'éducation mais de culture et de vie sociale. La vie professionnelle est rendue plus précaire: certains perdent leur emploi faute de pouvoir s'adapter à des mutations technologiques. Pour un demandeur d'emploi, ne pas maîtriser l'écrit est un facteur d'aggravation du chômage... Déchiffrer ou lire sont des actes très différents et on ne passe pas naturellement de l'un à l'autre. Ceux qui ne font que déchiffrer demeurent des exclus. On ne peut apprendre à lire hors d'un contexte social, etc. ".

IL suffit, après cela, de songer aux nombreux langages spécialisés usités dans la vie professionnelle, sociale et administrative, et d'étendre un tant soit peu la notion d'illettrisme au-delà du langage usuel le plus élémentaire, pour que se pose avec une insistance inquiétante la question de savoir combien, parmi nos concitoyens, ne sont pas, peu ou prou, dans tel domaine ou dans tel autre, illettrés.

Et la question ne se pose pas seulement en termes de communication écrite. Elle englobe également le vocabulaire et la syntaxe de la communication audiovisuelle. A ce compte, et de proche en proche, il ne reste guère plus d'un pas à franchir avant de s'interroger sur l'utilité réelle de cette abondance de messages dont pourtant on s'accorde généralement à considérer qu'elle constitue un des traits les plus bénéfiques de notre temps.

A ce propos, le rapport spécial du Médiateur de la République exprime à l'égard des médias des critiques mesurées, certes, mais fermes. Je lui répondrai, qu'il veuille bien m'en excuser, que ces critiques ne me paraissent ni justifiées, ni fondées.

Je suis attentivement, bien entendu, l'activité des médias français, qu'ils soient de presse ou audiovisuels. Il m'apparaît, à moi, qu'elle témoigne d'une abondance et d'une diversité remarquables d'informations et d'analyses couvrant tous les compartiments de la vie civique.

J'ai observé dans cette perspective avec une particulière attention une journée entière de télévision, celle du samedi 17 novembre. J'y ai vu et entendu traiter de distribution des eaux, de protection de l'environnement, de travaux d'utilité collective, d'économie et de bourse, d'informatique, de solidarité avec les chômeurs et, durant une nuit complète, de Droits de l'Homme. Encore ne pouvais-je suivre qu'une seule chaîne à un instant donné.

S'agirait-il d'une journée exceptionnelle que la critique ne me paraîtrait cependant pas fondée. Permettez-moi d'expliquer pourquoi.

Sous prétexte que les sociologues, suivis en cela, quoique à distance, par les juristes, se sont pris à considérer l'information comme un 4e pouvoir, le sens commun s'est pris à voir dans ce 4e pouvoir une nouvelle incarnation de la figure du Père, comme le diraient les psychanalystes. Posté à la place suprême dans son domaine de compétence, à côté du pouvoir qui fait la loi, du pouvoir qui maintient l'ordre et gère la cité, et du pouvoir qui applique le Droit, il est trop souvent et abusivement perçu comme le pouvoir qui devrait faire tout le reste... Alors que sa fonction est avant tout, et surtout, de rendre compte, de tendre, comme on dit, un miroir à la société.

On aurait beau m'opposer l'affaire Dreyfus, ou le Watergate, je persisterai à dire que ce n'est qu'occasionnellement que, en découvrant et en révélant une vérité falsifiée par l'une ou l'autre des véritables incarnations du pouvoir, l'information paraît s'élever à leur hauteur et détenir une puissance égale. En réalité, cela n'est vrai que lorsque l'un des pouvoirs s'abaisse.

Les journalistes, les écrivains, les artistes ne sont, essentiellement, ni des éducateurs ni des formateurs. Ce sont en revanche des révélateurs jouissant de la faculté précieuse de percevoir et de faire percevoir les traits caractéristiques du moment. A ce titre, c'est aux médias que j'emprunterai un témoignage de ce que j'avançais précédemment à propos de l'affirmation croissante de la subjectivité individuelle, dont témoignent des titres d'émissions tels que " Moi, je... " ou " Psy- Show " ou des pages réservées dans la presse à l'expression personnelle des lecteurs.

Dans le poste que j'occupe, j'ai pu connaître, mieux encore que dans mes activités antérieures, que le " haro " sur les médias était devenu un réflexe trop spontané et trop fréquent pour n'être pas le signe d'un malaise profond, remarquablement mis en évidence par les travaux de René Girard, dans toutes les cultures mécontentes d'elles-mêmes et préférant trouver un bouc émissaire plutôt que de se donner les moyens de faire mieux et autrement.

Nos sociétés modernes ont à leur disposition un clavier de moyens dont la puissance renvoie dans un passé révolu la naïveté des comportements symboliques des sociétés archaïques. Pourquoi ne nous dirions-nous pas, tout simplement et très sereinement que le défi de la citoyenneté moderne nous place devant une tâche nouvelle, et qu'à cette tâche nouvelle doivent correspondre des moyens nouveaux.

Chacun admet que notre société, comme toutes les sociétés industrialisées, est en mutation. " Un monde meurt, un autre naît " proclamait le rapport introductif à la première loi sur le 9e Plan. " Plusieurs fois, dans son histoire, l'humanité a vécu de brèves, mais brutales mutations. Celle d'aujourd'hui apporte, comme celles d'hier, violences et libertés, misères et progrès.

" Le 9ème Plan porte sur les années 1984-1988. Cinq années dans la vie d'un peuple constituent une période brève. Mais ces cinq années peuvent être décisives. Il dépend de nous qu'elles soient faites de liberté et de progrès. " Cela dépend de nous. C'est-à-dire de notre intelligence, de notre volonté, de notre travail. Rien ne serait plus grave pour la France que l'indifférence des Français à l'avenir. Car si nous ne le construisons pas, nous ne serons pas même en mesure de conserver les acquis du présent...

" Parmi les bouleversements technologiques à prévoir, l'essor des nouvelles techniques d'information et de communication est peut-être le plus important, parce qu'il est porteur de modifications profondes, à la fois dans l'organisation de l'activité économique, dans les relations sociales, dans la vie culturelle et politique. Selon la manière dont il sera utilisé, il peut engendrer un supplément de démocratie comme donner des armes à l'autoritarisme; c'est pourquoi il est important d'en prévoir et d'en organiser le développement. "

Ce cadre me paraît être le plus approprié pour y inscrire une réflexion constructive, dans la mesure où il est concret, global et assorti d'enveloppes budgétaires prédéterminées.

Je rappelle, avant d'en indiquer deux autres, les deux critères qui me paraissent constituer des préalables nécessaires à l'élaboration d'un projet efficace :

1° Reconnaître le caractère de plus en plus individualisé de la demande. Accepter l'idée qu'il faudra pouvoir à terme servir chaque citoyen à la carte, selon ses besoins d'information. Considérer pragmatiquement le citoyen français comme la combinaison dans une seule et même personne reproduite à 55 millions d'exemplaires d'usagers multiples (d'institutions, de services administratifs, juridiques, professionnels, financiers, familiaux, de santé, de sécurité, de consommation...) combinés de manière aléatoire.

L'idée de civisme évoque évidemment la prééminence de l'" usager institutionnel ", mais il n'est plus possible désormais de le disjoindre des autres sinon pour les besoins de l'analyse.

2° Admettre la complexité croissante de la cité ", en ne cherchant à la limiter qu'à partir du point où elle tend à s'autojustifier et à engendrer des lourdeurs absurdes et paralysantes.

Je donnerai une simple illustration de ce que j'entends par complexité, en me référant au souvenir de la fameuse liste des départements qui était si familière aux écoliers de la IIIème. République.

Je gage qu'à l'heure actuelle existent des centaines de découpages territoriaux de la carte de France correspondant chacun à une activité fonctionnelle, qu'elle soit de nature agricole, industrielle, commerciale ou de service (pour ma part, j'en connais trois à l'intérieur du seul service public de la Communication audiovisuelle et je ne suis pas sûr de les connaître tous). La plupart ne coïncident que partiellement avec le découpage du Ministère de l'intérieur et il n'existe vraisemblablement nulle part une liasse complète et à jour de toutes ces cartes.

Que l'on me comprenne bien. Je ne mets pas en doute la fonctionnalité de chacune de ces cartes, dont aucune n'a dû être élaborée simplement pour faire original. Je n'en critique pas le foisonnement, que je crois inévitable. Je ne prétends pas non plus qu'il soit indispensable que chaque Français, pour être un bon citoyen, doive disposer de l'intégralité de cette information. Je constate seulement que l'Etat serait aujourd'hui dans l'incapacité de mettre une telle base de données à la disposition des citoyens.

Ce qui m'amène à mon troisième point:

3° Cette base globale de données, indispensable à l'instauration de la citoyenneté de demain, qui ne pourra être qu'une citoyenneté assistée par ordinateur, il faut la définir.

Que doit-elle receler: la Constitution, les Déclarations des Droits de l'Homme, l'ensemble des lois et décrets, tout ce qu'élaborent le Parlement, l'Administration, le Service d'information du Premier Ministre, le Centre d'information civique, la Documentation française, les agents économiques, culturels et sociaux ? De l'histoire, de la géographie, de la science, de la technique ? De l'information nationale seulement, ou aussi de l'européenne et de l'internationale ?... Plus encore, ou seulement une partie ?

Le choix est immense, la sélection difficile, la mise en forme laborieuse.

Les réseaux télématiques, la bureautique municipale ne sont pas encore en place. Le délai nécessaire couvrira la durée de plusieurs plans quinquennaux. Ce répit qu'accorde la mise en oeuvre du matériel sera bien utile à l'élaboration des logiciels. Le Centre mondial de l'informatique travaille d'ores et déjà sur deux systèmes experts dédiés à la santé et à l'agriculture. S'il devait en prendre en charge un troisième qui serait dédié à la citoyenneté, il faudrait lui en donner les moyens.

Enfin, je reviendrai un instant au rapport sur l'illettrisme que j'ai déjà cité, à propos d'un point ultime qui me paraît capital: l'adhésion des citoyens eux-mêmes à l'entreprise qui se prépare à leur intention.

" Des historiens, dit ce rapport, ont montré comment, de la Réforme à la IIIème République, la Société civile a pris en charge elle-même son alphabétisation. Alors qu'on a tendance à voir dans le schéma " scolarisation d'abord, alphabétisation ensuite ", les raisons de la mutation culturelle qui s'est opérée en France, ces auteurs apportent la preuve d'une séquence inverse: celle d'une alphabétisation enracinée dans les pratiques sociales et qui se transforme en besoin d'école. C'est ce qu'ils expriment par ces termes: " Le système scolaire, loin d'être dans notre histoire une institution imposée d'en haut, du pouvoir vers la société, est au contraire le produit d'une demande sociale d'éducation qui monte avec la généralisation progressive d'un modèle culturel.

" Voici qui d'emblée fournit quelques réflexions majeures pour le présent rapport: on n'a pas alphabétisé la France par décret ". Et j'ajouterai: voilà qui, du même coup, fournit quelques réflexions majeures pour votre colloque.

De son poste d'observation particulier, le Médiateur a acquis la conviction que l'information civique était attendue par le citoyen.

A partir d'une intuition voisine, j'ai moi-même proposé au Gouvernement la création d'une Régie des espaces dont l'un des principaux objectifs est de faciliter l'instauration d'une communication institutionnelle, associative et économique, actuellement privée de vecteur.

Il demeure néanmoins qu'une conviction plus une intuition ne font pas une démonstration et qu'il conviendrait de vérifier soigneusement l'état de la sensibilité nationale en la matière, et le cas échéant, de la solliciter selon une progression concertée.

Dans un livre récent, un grand sociologue français, M. Alain Touraine, pronostique " le retour de l'acteur ". C'est son titre. L'auteur avoue l'avoir écrit " en pleine conscience de se trouver coincé entre, d'une part, un nouvel individualisme désabusé, et, d'autre part, les formes dégénérées et bureaucratisées des représentations anciennes de la vie sociale ".

Aussi " coincé " que le sociologue, le politique a pourtant décidé d'agir vers et pour ces " nouveaux acteurs sociaux ". Il me paraît essentiel qu'il agisse également avec eux.

Voici quelques jours, le Chef de l'Etat répondait à un journaliste qui le priait de définir " son " socialisme: " Mon socialisme, c'est tout simplement la recherche d'une vraie démocratie politique, économique et sociale. Ce qui signifie: plus de liberté, de responsabilité et de savoir pour chacun et pour tous. "

Il me paraît qu'il n'y a pas de meilleur exergue à inscrire au fronton de votre colloque.

Je vous remercie de votre attention.

 

Groupe " Civisme et Education "

RAPPORT INTRODUCTIF

Ecole et éducation civique: la République et son Ecole



Que l'école (au sens large de " système éducatif ") doive dispenser une " éducation civique ", c'est désormais une idée reçue, en partie d'ailleurs passée dans les faits. Elle correspond d'une part à une aspiration très générale de l'opinion, d'autant plus grande peut-être que beaucoup sont inquiets ou déçus de la façon dont elle est ou n'est pas pratiquée. Elle est d'autre part inscrite depuis plus d'un siècle, sous le vocable même " éducation civique " - dans les objectifs officiels et les textes qui les expriment. A des titres divers selon les époques, mais de manière remarquablement continue, elle a toujours figuré dans certains programmes pour certains ordres d'enseignement- (mais non pour tous, et cela seul est intéressant). Elle est toujours inscrite à l'ordre du jour de la réflexion pédagogique au sens large, comme le prouvent des travaux récents, menés par diverses instances, auxquels l'auteur de la présente note tient liminairement à rendre hommage.

Cependant l'apparente unanimité des veux ou des regrets cache mal quelques désaccords ou malentendus profonds. " L'éducation civique " à l'école est en crise. Non seulement parce qu'elle se trouve, à l'heure présente (pour des raisons qu'on verra plus loin), réduite presque à rien. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu'on n'a guère mieux su s'accorder sur les principes et les finalités qu'on peut lui assigner que sur la pratique et les moyens qu'on doit lui accorder. Cette " crise " correspond trop évidemment à une crise de société, comme à une crise d'identité politique et culturelle, pour pouvoir être dissimulée ou évacuée. A cela s'a joute une évidente crise de l'école, qui doit repenser sa place dans la société et dans l'Etat. Mais il faut surmonter ces crises diverses, sous peine de les voir atteindre un point critique. Pour cela, s'entendre sur les mots, analyser les notions et les réalités, se mettre impérativement d'accord sur quelques préceptes et quelques réalisations positives est une démarche indispensable. C'est le devoir de l'Etat républicain, comme on le montrera ci-dessous, dans la mesure où il se charge légitimement d'organiser l'école et de former des citoyens.

I.- L'EFFORT DE ECOLE PUBLIQUE



Le constat de carence ou les cris d'alarme actuels ne doivent pas occulter une longue tradition d'effort.

a) Les principes, les méthodes, les difficultés et leurs solutions ont été fort lucidement vus, de Ferry à Ferdinand Buisson, et ont abouti à l'enseignement d'un civisme laïc et républicain, principalement dans l'enseignement primaire, qui avait sa cohérence et sa grandeur;

b) De 1900 à 1940, 1'instruction civique s'est enrichie en incluant une initiation poussée au droit privé et public et à l'économie politique. Mais ces programmes étaient alors strictement réservés à l'enseignement primaire supérieur, professionnel et aux Ecoles Normales. Le secondaire en était exclu;

c) Cette exclusion a cessé en 1945-1947. Un programme spécifique relativement modeste mais cohérent " De la cité (sic) au monde en passant par la région et la nation " développé sur deux cycles, l'un plus pratique, l'autre dit " d'approfondissement ", donnait les notions essentielles. Il disposait d'horaires distincts, sinon de professeurs (c'était, le plus souvent, à ceux d'histoire et de géographie qu'il était confié).

II. - LA REMISE EN CAUSE ACTUELLE



Tout a été remis en cause par les regrettables " réformes " des programmes d'H.G. depuis 1974-1977. Noyée, ainsi que bien d'autres choses, dans une prétentieuse bouillie baptisée " Sciences humaines ", l'éducation civique a disparu, en tant que telle, même si des efforts louables ont été faits, ici ou là, pour en préserver des secteurs.

Cet effacement conceptuel explique deux choses

1° Les demandes contradictoires adressées confusément par la société globale à l'école en ce domaine:

- pour les uns, il faut à toute force " socialiser " pour ne pas dire " discipliner " les jeunes générations, bref, enseigner une morale qui soit une sorte d'ordre moral, supposé menacé;

- pour les autres, au contraire, l'école doit être engagée dans une action de type politique et, pour certains, révolutionnaire (attitude qui est en partie une réponse aux attaques développées contre la notion même d'école);

2° Les orientations contradictoires, ou les présupposés implicites des actions sporadiques menées actuellement;

- l'école serait une micro- société; elle devrait surtout " préparer à des comportements ", d'où l'idée que l'école s'adresse certes au a citoyen ", mais aussi au " futur consommateur, producteur, usager des services collectifs ", etc. (étant bien entendu que ces a missions " éminemment ambiguës se prêtent aisément aux doubles déviations, répressives ou revendicatives, signalées plus haut). Hédonisme, convivialité, individualisme se profilent plus ou moins discrètement.

Nation, Etat, République - et bien entendu laicité - ont disparu de ces perspectives: l'accent est mis sur les " spécificités ", les " différences ", les " autres ", à l'intérieur d'une nation supposée déjà éclatée, d'un " tissu social " segmentarisé, d'un monde volontairement décentré.

III. - PROPOSITIONS POUR L'EDUCATION NATIONALE



A.- Recentrer l'éducation civique sur le civisme, c'est-à-dire l'apprentissage indispensable et légitime de la vie du citoyen. Ne pas avoir peur d'affirmer que c'est là, dans notre tradition, l'une des tâches légitimes de l'Etat, garant des libertés. IL s'agit non d'une politisation, mais d'une initiation commune et raisonnée à la politique, au sens large (c'est-à-dire étymologique). Cette initiation au civisme s'adresse à tous: aussi bien aux " générations de jeunes barbares " (tout enfant...), qu'aux a citoyens " français dont le sport national est la fraude fiscale.

B.- La tâche légitime de l'Etat étant ainsi définie et précisée, rappeler que l'éducation passe d'abord par l'instruction, c'est-à-dire par l'enseignement de certains faits et la compréhension des notions et des mécanismes qu'ils supposent. Enseigner, d'abord; enseigner ce qui doit être commun, ensuite.

Nous supposerons donc :

1° Qu'il y a un objet défini, identifiable et rationnellement connaissable;

2° Qu'on l'enseigne sans l'imposer ni le prêcher, en tant qu'il est commun et nécessaire à tous.

Cela implique une double méthode: privilégier systématiquement deux angles d'approche, le point de vue juridique et le point de vue historique.

Le premier tend à la fois à formuler en un langage cohérent et non contradictoire (ce qui correspond de fait à la tendance réelle de nos institutions républicaines) les principes à la base de notre " vouloir vivre ensemble ", et à exposer de façon ordonnée, progressive et pratique des institutions et même des réalités sociales. Le langage du droit est celui, de toutes les sciences humaines, qui a la plus juste prétention au caractère scientifique.

Le second, revanche du concret et du vécu, consiste à montrer ces réalités en devenir, donc dans leur être relatif et perfectible. IL compense le grain d'abstraction ou de dogmatisme qui pourrait se rencontrer dans l'autre.

C.- Le contenu. En procédant du général au particulier, on peut organiser cet enseignement en quatre étapes, adaptables à tous les cycles d'enseignement:

1. Le secteur de la vie sociale et civile, qu'on pourrait, en gros, assimiler au droit privé. IL est clair qu'il implique d'abord, à un niveau élémentaire, l'apprentissage des règles fondamentales de la sociabilité; mais aussi la notion de droit idéal, de droit positif, de loi, de personne, de contrat. Mais, d'une manière progressive, il faudrait conduire l'élève vers une initiation poussée aux règles et aux institutions du droit privé français. L'ignorance de presque tous en ce domaine est remarquable et déplorable.

2. Le secteur de la vie politique et administrative: les institutions, les constitutions présentées aussi bien dans leur typologie générale et historique (régimes de droit divin, représentatifs, autoritaires, etc.) que sous leur espèce française et républicaine. L'appareil de l'Etat et ses " services ". L'organisation administrative. Les questions fiscales et militaires; la police; bref, de manière vivante et aussi historique que l'on voudra, le droit public. Les ignorances sont dans ce domaine presque aussi graves que pour le droit privé.

3. Plus largement le domaine qui est, en gros, celui que s'assigne, en France, la Science politique: sociologie politique, appliquée en particulier à nos systèmes électoraux; forces politiques (partis, etc.), présentées dans leur structure et leur devenir; science de l'opinion ": les médias, les sondages.

4. Enfin, la France dans le monde - ce qu'on pourrait appeler aussi Nation et Humanité. Ici trouveront place à la fois l'exposé des Déclarations des droits, dans leur élargissement historique, pour aboutir à la Déclaration Universelle; l'exposé et l'analyse des relations internationales (sous leur forme factuelle et juridique); enfin les Institutions internationales et les grands problèmes (démographiques, économiques, financiers) que nous connaissons.

IV. - LES MODALITÉS D'APPLICATION



A. - Définition et rédaction de programmes spécifiques détaillés, sur lesquels on pourrait commencer à discuter lors de notre colloque.

B.- Prévoir un contrôle effectif et une éventuelle sanction (examens ?) de ces programmes.

C.- Des horaires spécifiques.

D.- Problèmes du corps enseignant et de la " formation des maîtres " (initiale et permanente).

On est pris, dans ce domaine, entre deux exigences contradictoires:

-professionnaliser sensiblement l'éducation civique, si l'on veut lui donner -au moins au lycée- l'allure nécessaire d'une propédeutique au droit privé et à la science politique. On invoque souvent à ce sujet l'exemple allemand (sa portée réelle et ses limites);

- faire participer, inversement, l'ensemble du corps enseignant à l'effort pour l'éducation civique, qui doit être la chose de tous.

On peut envisager des solutions à moyen ou long terme (concours de recrutement de " science politique "), appel à des concours extérieurs.

Mais dans l'immédiat, et par réalisme, il faut sans doute:

-accepter l'idée de confier l'essentiel de l'éducation civique aux professeurs d'histoire et géographie, à condition que leur formation soit fortement améliorée;

-mais aussi, faire participer activement d'autres disciplines (Lettres et Philosophie d'abord), sous la forme minimale d'explication de textes. (Des propositions concrètes devraient être faites à l'occasion du présent colloque.)

V. - L'ECOLE ET LA SOCIETE



Rien ne pourra se faire sans l'Ecole. Mais l'Ecole à son tour et surtout l'Ecole Publique, qui est un des " services publics " les plus importants- ne peut pas grand-chose si elle n'obtient pas l'adhésion et la collaboration d'autres secteurs de la vie sociale.

Sans doute la " formation civique " doit être un des buts permanents que s'assigne une société politique démocratique: " démocratie, c'est démopédie , (Proudhon). Et même si, dans notre tradition républicaine, le suffrage universel est interprété, en fin de compte, comme un " droit subjectif ", son fonctionnement harmonieux le rapproche d'une " fonction " qui devrait impliquer un seuil minimum de qualification. L'instruction obligatoire, incluant une " éducation civique ", en assure une partie. Mais le citoyen adulte doit, en outre, pouvoir disposer d'une masse d'informations très diverses qui devront nourrir le contenu de ses opinions, de ses choix, donc de sa volonté souveraine (même en régime " représentatif "). Trois grands secteurs d'activité viennent ainsi compléter l'oeuvre de formation de l'Ecole par une oeuvre d'information:

- l'Etat lui-même, en tant qu'appareil;

- les associations de toutes sortes (associations, partis, syndicats, Eglises, etc.);

- les médias.

L'Ecole est en droit de demander un dialogue ouvert, et dans les deux sens, avec ces " organisations ". S'il est légitime de lui demander de s'ouvrir à elles, d'une certaine manière, elle peut en retour leur demander de n'être ni concurrencée, ni agressée par elles. C'est un des points que le présent colloque devrait aborder.

RAPPORT DE SYNTHESE



Les débats d'hier ont été bien évidemment beaucoup trop courts, pour des raisons dont personne n'est véritablement responsable. Un grand nombre d'interventions, toutes denses et importantes, ont eu lieu, mais naturellement il a été impossible de donner la parole à tous ceux qui l'ont demandée. Et, bien entendu, nous nous en excusons.

On a essayé de donner prioritairement la parole, comme il était je pense naturel, à ceux qui représentaient des organisations, des associations ou des commissions nui, travaillant depuis un certain temps, à longuement, en l'Education nationale ou ailleurs, s'étaient occupés longuement , tout ou en partie, de l'éducation civique. Mais d'autres personnes, parlant en leur nom propre ou au nom d'autres organisations, ont eu l'attention de me remettre des remarques écrites. Je les en remercie, et j'en ai tenu compte dans la rédaction du présent rapport de synthèse.

Les interventions, je dois le dire, ont été plutôt critiques. Sans doute peut-on noter la satisfaction unanime de voir la question posée publiquement dans notre colloque. Et chacun en manifeste sa reconnaissance au Médiateur. Mais il faut dire que, plus souvent, ce sont des questions, des inquiétudes et des réserves qui se sont manifestées.

Et d'abord une crainte: celle de voir abandonner les objectifs qui, jusqu'ici, officiellement et dans les pratiques mêmes de l'Education nationale, sont assignées à ce qu'on appelle l'éducation civique. IL s'agit, je le rappelle, selon la lettre même des textes, de l'initiation à la vie du futur consommateur, du futur producteur, du futur prestataire des services publics. Bref, d'une sorte d'initiation globale à la vie économique et sociale. On a craint l'abandon de ces objectifs, parce que effectivement mon rapport et peut-être même les propos de s'occuper plus précisément, du Ministre montraient une volonté sous le nom d'" éducation civique ", d'un noyau dur de connaissances et de méthodes concernant les fondements de la sociabilité ainsi que la vie politique (disons le mot), à travers l'étude des institutions, de toute sorte, de droit privé, de droit public ou international.

On peut cependant répondre brièvement sur ce point. L'initiation à des comportements est une bonne chose, et même indispensable, si l'on prend certaines précautions. Car il est évident - comme l'a souligné une intervention - qu'une pédagogie du comportement peut parfois dégénérer en " pédagogie de profil ", voire en " psychiatrisation". Pour être efficace- et républicaine - elle doit s'appuyer sur l'exercice de la raison. Réduire l'éducation civique à l'obtention d'un " bon profil ", à l'enseigne ment " de la différence ", de la " convivialité ", même à des pratiques altruistes, serait en somme commettre la même erreur qui consisterait à confondre la tolérance et la laïcité. La laïcité a un contenu plus précis que la tolérance: mais, bien sûr, elle suppose aussi la tolérance. Il n'est donc pas question d'abandonner tout l'aspect comportemental ou pédagogique de l'éducation civique actuellement pratiqué: il faut simplement le rendre cohérent et le compléter.

Deuxième regret, exprimé à la fois par les syndicats et les parents d'élèves: on a craint l'abandon de la notion d'éducation, au profit de la seule instruction; on a regretté qu'il n'ait pas été fait assez allusion au rôle de l'établissement scolaire lui-même, de la vie scolaire elle-même (dans sa pratique élargie, avec participation des parents d'élèves, entre autres). Bref, on a regretté qu'il n'ait pas été plus question de pédagogie, et naturellement de cette pédagogie active que l'on développe à l'heure actuelle.

Les plus grandes réserves ont été peut-être exprimées par Les représentants des professeurs d'histoire et de géographie, qui sont évidemment les plus intéressés par le projet, puisque c'est à eux principalement (cependant, permettez-moi d'y insister, pas exclusivement) que reviendra la charge d'enseigner l'éducation civique. Leurs représentants se sont donc montrés très inquiets des propositions concernant le " contenu juridique " qu'on suggère de lui donner ou de lui redonner. Signalons d'abord sur ce point un malentendu linguistique: juridique ne signifie pas " législatif " ou " judiciaire ": il n'est pas question de vouloir faire apprendre par coeur des codes ou des lois !

Deux inquiétudes se sont exprimées. D'abord, celle de voir confier à des personnels extérieurs aux cadres de l'Enseignement primaire et secondaire (Professeurs de droit des universités, professions libérales... !) des responsabilités exclusives. L'hypothèse pouvait certes figurer dans le rapport préliminaire du Médiateur: elle n'a été reprise ni dans mon rapport, ni dans le propos du Ministre. Non que l'idée de faire enseigner du droit public ou privé dans le secondaire soit absurde ou irréalisable, pas plus certainement que ne pouvait le paraître, voici vingt-cinq ans, celle d'y enseigner l'économie qui y a maintenant conquis, à juste titre, son droit de cité, non seulement pour certains sections, mais à titre général en Seconde. Je ne serais pas, quant à moi, à titre personnel, défavorable à cette idée: mais il s'agit là d'une question entièrement distincte de celle qui nous occupe aujourd'hui, et qui mériterait bien évidemment, si jamais on y venait, études et discussions. On peut donc sur ce point lever le malentendu: il ne s'agit absolument pas de préconiser la création d'une nouvelle matière, d'une nouvelle filière. C'est aux instituteurs, c'est aux professeurs d'Histoire et de Géographie principalement (et aux professeurs d'autres disciplines existantes) qu'il reviendra d'enseigner l'éducation civique. Et il s'agit d'éducation civique, non de droit.

Il est sûr, en revanche, que le rapport proposait très clairement et très délibérément de recentrer cette éducation civique sur des connaissances présentées à la fois d'un point de vue juridique et d'un point de vue historique. Il faut bien préciser qu'il s'agit, pour ces deux approches, d'aborder des notions fondamentales sur la nature et l'évaluation ;des institutions de tout type dont il faut traiter, et non des détails techniques.

Malgré ces précisions, les professeurs d'histoire et de géographie ont exprimé, de divers côtés, la crainte de voir ainsi revenir à une conception de l'histoire trop juridique, trop institutionnelle, trop étroite et pour tout dire dépassée.

Sur ce point encore beaucoup de malentendus peuvent être levés. D'abord, il s'agit de l'éducation civique, non de l'histoire: les deux choses sont de nouveau distinguées, même si elles doivent être profondément liées. A l'école et au collège, il y aura des programmes et des horaires spécifiques. Au lycée, un programme distinct, qui pourrait être une partie du programme d'Histoire et de Géographie, s'y intégrant sans le surcharger (je ne dis pas que c'est facile). Le contenu de l'enseignement de l'histoire restera donc ce qu'il doit être (et on y réfléchit beaucoup en ce moment, comme on sait), c'est-à-dire faisant leur part légitime et très large à l'économique et au social. Une intervention d'ailleurs (celle d'un professeur de sciences économiques) a opportunément rappelé, comme je l'ai noté, que celles-ci sont d'ores et déjà enseignées. Pourquoi l'éducation civique doublerait-elle ce qui existe déjà ?

La définition qu'on a essayé d'en donner, le contenu qu'on en a esquissé, n'a paru étroit que parce qu'on a cru qu'on voulait remplacer quelque chose en supprimant ce qui existe. Il ne s'agit ni de supprimer, ni de remplacer, mais de compléter. Il est certain, en revanche, que mon rapport faisait une suggestion: puisque ce sont les professeurs d'histoire et de géographie qui seront chargés d'enseigner - à côté de leurs cours normaux au collège, dans leur programme au lycée- une éducation civique à contenu un peu plus juridique et institutionnel que jadis (pour combler une lacune déplorée presque unanimement), il faudra bien que désormais leur formation initiale ou continue leur permette de le faire. Cela valant également pour la formation des instituteurs.

D'autres interventions, d'un niveau très élevé, ont porté sur le contenu philosophique qu'il est indispensable de donner à une éducation civique conçue essentiellement comme fondée sur les Droits de l'Homme et du Citoyen. Je note avec beaucoup de satisfaction la conclusion des travaux d'une commission de 1'I. N. R. P., qui marque un regain d'intérêt pour la philosophie des Lumières, en particulier la morale kantienne.

Je voudrais, pour terminer, exprimer à mon tour un regret. Mon rapport insistait pourtant fortement sur une chose importante: l'éducation civique doit être l'affaire de tous, de tous les élèves et de tous les enseignants. n n'y a pratiquement pas de discipline, au collège et au lycée, qui ne doive être sollicitée dans sa spécificité, pour participer à une oeuvre commune. Les propos du Ministre mentionnaient formellement les professeurs de Français et de Philosophie, et les explications qu'on leur demanderait de faire. Il y avait là un sujet de discussion précis et intéressant. Je regrette, que faute de temps sans doute, on n'ait pu l'aborder.

Groupe " Civisme et formation ".

RAPPORT INTRODUCTIF



En conclusion de l'ouvrage qu'il a consacré aux " Français ", Théodore Zeldin conclut que " tout Français est héritier et créateur d'un mélange tant soit peu différent ".

Former au civisme, c'est donner la connaissance de l'héritage des autres, promouvoir le respect de la création qu'ils se sont donnée ou à laquelle ils ont adhéré. Mais c'est aussi- pour reprendre l'expression de Michel Delebarre dans son allocution- acquérir " l'apprentissage d'une appartenance " et c'est encore préserver le sentiment que cette appartenance vaut la peine d'être défendue contre toute agression mettant en cause son indépendance.

Au cours de l'enquête que le Centre d'information civique a réalisée en 1973, 60 p. 100 des personnes interrogées ont considéré qu'il était souhaitable de poursuivre 1'" instruction civique " dans le cadre de la formation permanente. Nombre d'intervenants dans des structures de la formation continue soulignent la fréquence de questions sur nos institutions, sur la portée de grandes réformes telles que la décentralisation, par exemple.

S'appuyant sur le Rapport spécial de Robert Fabre, Médiateur de la République, il convient de réfléchir sur les moyens concrets d'atteindre les objectifs qu'il dégage, après avoir apprécié la portée de l'analyse qui les inspire.

1. Si le constat est sévère, de nombreuses expériences ouvrent la voie à un plus large consensus.



Le constat du Médiateur souligne l'absence de doctrine, d'action coordonnée en faveur de la formation civique durant la vie active. Les observations qui le fondent sont-elles partagées et les expériences contraires, si elles sont admises, n'ont-elles qu'un caractère marginal ?

1l. Les éléments du constat

La formation professionnelle initiale ne donne-t-elle pas, relativement, une part trop importante à son contenu technique, négligeant la nécessité- soulignée par Michel Delebarre - où se trouve chaque homme d'être inséré dans la société où il vit, et d'abord dans une communauté professionnelle faite de relations souvent difficiles, parfois conflictuelles ?

Les jeunes hommes et les jeunes femmes formés à une responsabilité d'encadrement ont-ils acquis suffisamment la connaissance de " l'héritage des autres " leur permettant de mieux comprendre leurs comportements: ingénieurs ou cadres par rapport aux syndicalistes, agents de services publics ou travailleurs sociaux par rapport à nos concitoyens originaires d'outre-mer, etc. ?

Dans telle école réputée pour la qualité de sa formation d'ingénieurs, le droit social- y compris les obligations prévues par la loi du 6 décembre 1976 concernant la sécurité du travail- occupe quatorze heures sur une scolarité de trois années.

Certaines catégories professionnelles sont-elles suffisamment ouvertes à d'autres compétences pour former leurs jeunes actifs à la vie sociale, tels les médecins, les agriculteurs... et peut-être les enseignants ?

L'Armée, maîtrisant la transition entre la formation initiale et la vie professionnelle, utilise-t-elle suffisamment le " mélange " exemplaire qui lui est confié pour l'amener à mieux se connaître, se comprendre, s'admettre et donc à adhérer sans réserve à la nécessité de se défendre ?

L'accès à l'Administration- par ses textes, par la relation qui s'établit entre le guichetier et l'usager- n'est- il pas, dans son état actuel, de nature à renforcer l'exigence d'" assistance " plutôt que l'adhésion à une communauté de relations sociales dont chacun est autant responsable que " créancier " ?

12. La connaissance d'expériences :

Si les éléments du constat sont admis dans sa sévérité, force est de reconnaître que son orientation n'a pas changé depuis près de deux décennies. Doit-on se borner à l'" améliorer " en l'actualisant, en multipliant les illustrations ? Cette attitude ne pourrait que conduire au pessimisme. Au contraire, en recherchant ensemble

des expériences, sans doute ponctuelles, en incitant les pouvoirs publics ou les instances professionnelles à les faire mieux connaître, à nourrir leurs propres programmes de formation par l'extension de ces expériences, on préparerait le succès de propositions plus élaborées.

Quelques exemples:

-tables rondes " pluriprofessionnelles " ou " interacteurs " au cours de formation de cadres;

-intervention à la demande de stagiaire en formation de telle

ou telle compétence (magistrat, sous-préfet, syndicaliste, économiste, etc.).

-en milieu scolaire: appel aux parents pour participer à des actions interculturelles. Ils s'admettent mieux eux-mêmes en aidant leurs enfants à connaître leurs cultures d'origine.

Trop souvent l'opinion ne connaît que les incidents de la vie sociale, que ces expériences, en se multipliant, s'efforcent de prévenir.

2. Une approche concrète des propositions peut en garantir le succès.



Convient-il d'avoir des programmes de formation civique à inclure dans les cycles organisés de la formation continue ? Quels en sont les animateurs possibles ou souhaitables ?

21. Toute occasion de formation peut-elle être utilisée de la même façon ?

Ne doit-on pas faire une distinction entre des occasions où la formation doit être donnée et d'autres où elle ne constituerait qu'une réponse préparée ?

IL semble que la période du service national et différentes actions << Jeunes ", ainsi actuellement dans le cadre des " Travaux d'utilité collective ", doivent être utilisées pour donner le minimum de connaissances sur nos institutions politiques, administratives et sociales, en tenant compte, bien entendu, du cadre utilisé. Pour cela un programme est nécessaire.

Par contre, ne convient-il pas dans les autres types de formation, compte tenu de la variété de leur contenu et de leurs promoteurs (services publics, mais aussi entreprises, associations, etc.), de préparer plutôt un ensemble de matériaux (fiches, cassettes, etc.), et d'inciter les promoteurs à constituer un réseau d'intervenants potentiels pour répondre à une attente exprimée par les personnels en formation.

L'expérience entreprise par l'Institut de recherches intersyndical économique et social (1) que dirige M. Andreani est, à cet égard, riche de promesses.

22. Les acteurs de cette animation peuvent être recherchés à plusieurs niveaux:

-déjà, bien sûr, dans les structures de formation elles-mêmes, en évitant le cloisonnement des modules; associatifs;

-au niveau des élus, soit parce qu'ils ont une responsabilité quant à l'orientation de la formation professionnelle (élus régionaux), soit parce qu'ils sont au contact direct des besoins sociaux que la décentralisation leur permet désormais de prendre en charge;

- au niveau des responsables administratifs, économiques,

-en faisant appel aux promoteurs d'expériences, au savoir faire de préretraités ou même de retraités;

-en incitant les gestionnaires d'organismes sociaux à faire connaître le cadre de leur activité, en faire comprendre les contraintes, en valoriser les améliorations, notamment dans leurs contacts avec les usagers.

Mais c'est nécessairement l'interaction de ces intervenants possibles et la participation des citoyens en formation eux-mêmes, qui ancrera de la façon la plus sûre le besoin de formation civique qui doit être voulu et non subi.

RAPPORT DE SYNTHESE



- je vais tenter d'être le reflet fidèle des travaux qui se sont déroulés hier dans le groupe de travail formation, étant noté qu'un certain nombre de préoccupations ont été communes à la commission éducation et à la commission formation. Au terme de sa formation initiale, le jeune citoyen est supposé avoir acquis une initiation à la vie sociale, économique et institutionnelle, sur la base de programmes dont le ministre de l'éducation nationale a tracé hier de façon précise, même si elles peuvent encore faire l'objet de discussions, les orientations. Dans la réalité, on sait bien, quelles que soient les chances que porteront les propositions qui seront arrêtées par notre colloque, que ce message aura été diversement reçu, non pas tellement à cause des différences d'aptitude individuelle à recevoir tout enseignement que parce que longtemps encore les mutations profondes, connues de notre société, provoqueront un partage immédiat entre ceux qui rencontreront aisément une capacité d'insertion dans la vie professionnelle, et ceux qui devront vivre une transition difficile d'attente et d'angoisse durant laquelle les éléments positifs d'un enrichissement de leur formation ne l'emporteront pas toujours sur les conséquences négatives et dangereuses d'un sentiment de rejet.

Cette situation s'est traduite dès le début de nos travaux hier par une interrogation de fond. Le jeune qui est formé aux connaissances de base ou plus élaborées en vue d'une activité professionnelle est motivé par la valeur travail.

Il sait bien que son adhésion à cette valeur conditionne ses chances d'une vie sociale autonome, mais quelle motivation l'inciterait à connaître les mécanismes de la vie politique et sociale de notre communauté alors que souvent il s'en méfie ? Mécanismes à l'égard desquels il apprend plus tôt que nous n'avons pu le faire, le scepticisme dans une société où il sent même parfois l'hostilité, parce qu'on lui en dit souvent les violences plus que les actes de solidarité. Certes, le militantisme politique, syndical, associatif, au service d'hommes ou de femmes en difficulté, sous-tend une motivation pour mieux connaître notre vie sociale; mais le militantisme est déjà une première solution, une première réponse à un problème qui n'est qu'en partie résolu et il n'est vécu que par une minorité.

Il est donc indispensable, après la période de vie scolaire, que d'autres relais forment au civisme: les structures intermédiaires de préformation ou de préparation à la vie professionnelle, le service national et les structures de formation professionnelle ou de formation continue pour ceux qui sont entrés dans la vie active. Déjà en 1973-mais, nous prenions à peine connaissance de l'existence d'une crise sans encore en percevoir la nature et surtout la durée-, déjà donc à cette époque, le Centre d'information civique révélait que 60 p. 100 des personnes interrogées au cours de l'enquête qu'il avait entreprise avaient considéré qu'il était souhaitable de poursuivre l'instruction civique dans le cadre de la formation continue.

Il convient alors, compte tenu de nos travaux d'hier, de tenter de répondre à trois questions. Le civisme, pour quoi faire ? Une formation, sur quelle motivation ? Et comment la réussir ?

Le civisme, pour quoi faire ?

Plus encore que le patriotisme qui n'en est sans doute qu'une composante, le civisme rencontre de nombreuses définitions parce que ses objectifs sont variés: de la connaissance de nos institutions à la vertu du comportement social, elle est faite de cercles concentriques ou de sous-ensembles. Se trouver dans l'un d'entre eux en ignorant les autres ne garantit pas nécessairement le sens civique.

Le dévouement à un groupe dont les intérêts victorieux compromettraient l'intérêt général, et par répercussion les intérêts professionnels ou économiques défendus, traduit une insuffisance de formation civique.

Schématiquement sans doute, on peut retenir deux sous-ensembles principaux. Celui des connaissances et celui des comportements. Et là, notre commission a retraduit des débats qui ont eu lieu dans la commission Education. Le sous-ensemble des connaissances permet de compléter ou de reprendre la formation initiale, de l'actualiser, de permettre à celui qui se trouve déjà en situation sociale, même si son insertion est encore aléatoire, d'en comprendre peut être les raisons, d'acquérir ou de perfectionner les moyens d'une responsabilité sociale si minime soit-elle. Le sous-ensemble des comportements est peut-être plus délicat à explorer, car apprendre le respect des autres implique déjà que l'on respecte ceux à qui le message est destiné, en évitant de donner des leçons ou de fixer une ligne de conduite.

Mais si l'on retient l'affirmation de Théodore Zeldin dans son ouvrage Les Français selon laquelle tout Français est héritier et créateur d'un mélange tant soit peu différent, on peut considérer que l'apprentissage du comportement civique passe par la connaissance de l'héritage des autres, la formation au respect de la création qu'ils se sont donnée ou à laquelle ils ont adhéré, l'acquisition du sentiment que le mélange qui façonne notre pays vaut la peine d'être défendu contre toute agression mettant en cause son indépendance.

Une formation, sur quelle motivation ?

A quoi bon entreprendre l'une ou l'autre des formations ainsi évoquée si le besoin n'en est pas ressenti ?

La formation dans l'esprit du législateur de 1971-qu'elle concerne les salariés ou les travailleurs indépendants d'ailleurs- implique un désir, un acte de volonté ou pour le moins une adhésion. Le scepticisme de certains n'est pas partagé. En effet, la motivation à la formation civique peut être articulée sur des nécessités professionnelles ou un besoin exprimé par des personnels en situation. Postiers sur les problèmes de sécurité ou sur celui de leurs obligations professionnelles à l'égard de la défense; policiers, travailleurs sociaux qui ne connaissent pas toujours les caractéristiques des professions ou des catégories dont ils doivent s'efforcer, sinon de résoudre les problèmes, tout du moins d'être pour eux une écoute suffisante. Or, cette motivation est parfois très profonde.

Il est significatif que les armées et la police soient très fortement représentées dans nos travaux. Il semble en effet que depuis plusieurs années-et je me souviens notamment d'un article du général commandant de l'école Coëtquidan (Saint- Cyr) que Le Monde avait publié il y a quelques années, développant une conception audacieuse de l'officier citoyen-les armées aient compris que l'adhésion à la défense ne pouvait pas se faire si elles-mêmes ne s'imprégnaient pas de l'ensemble des nécessités de notre vie sociale.

La police, quant à elle, a également ressenti de plus en plus la revendication de ses personnels en matière de formation; elle a senti que ses missions ne pouvaient pas être convenablement assurées s'il n'y avait pas une adhésion à de grands nombres d'éléments de notre vie sociale.

Donc, d'une part, la motivation peut se trouver adaptée à des besoins professionnels ou aux besoins exprimés par une institution ou un corps de métier. D'autre part, il faut la provoquer. Souvent, ` l'actualité en offre l'occasion. Que ce soit l'actualité nationale, que ce soit l'actualité locale ou que ce soit la structure, structure professionnelle, quartiers, associations, dans laquelle on se trouve.

Comment réussir cette formation ?

A cet égard, comment apporter des premières réponses aux souhaits exprimés par Monsieur le Médiateur d'avancer un certain nombre de solutions concrètes ?

Tout d'abord, semble-t-il, il convient de ne pas privilégier tel ou tel niveau d'intervention. Toute cellule sociale est concernée, qu'elle soit permanente ou qu'elle ait un caractère aléatoire: la famille, le quartier, la structure professionnelle. Qu'elle soit productive, gestionnaire ou de défense: un corps de troupes, un foyer de jeunes travailleurs, telle ou telle association.

Chacune de ces cellules peut pour autant exprimer une demande.

L'association peut exprimer un besoin d'information sur les problèmes qui correspondent à son but social, donc chacune de ces cellules peut s'exprimer, être incitée à le faire. Par exemple, les formations militaires accueillant un certain nombre d'originaires d'Outre-Mer ont été invitées il y a quelques mois à faciliter une connaissance interculturelle entre nos compatriotes ultra marins et les métropolitains. La réponse a été très rapide et fructueuse: des établissements scolaires qui se préoccupent d'échanges inter culturels entre les communautés et qui acquièrent la maîtrise des situations conflictuelles avec l'apprentissage de la tolérance.

Ensuite, appel à tout intervenant en fonction de la relation qui peut s'établir entre son vécu et celui des personnes se trouvant en formation.

Enfin, être simple dans les matériaux utilisés.

Le message, à condition qu'il ne soit pas slogan, est préférable à la dissertation. Tout un système de fiches, de cassettes, de films ou cours, à condition que ces matériaux constituent un support à l'échange et à la discussion et donc à la réponse à ce que peuvent attendre les personnes se trouvant en formation est bien préférable à des programmes par trop élaborés et détaillés.

Deux idées pour terminer:

Celui qui ne croit pas à la formation civique ne peut faire passer le message, si simple soit-il. On ne désigne pas telle ou telle catégorie professionnelle, tel ou tel corps de métier pour répartir cette formation. IL appartient davantage aux individus de se manifester. IL appartient aux promoteurs de la formation civique de susciter la vocation de chacun plutôt que de considérer que telle ou telle catégorie serait plus apte dans son ensemble à assurer cette formation.

Deuxième idée ou plutôt une question. Et demain ?

Ce colloque n'est qu'un point de passage. Plusieurs intervenants, après la réunion de la commission hier soir, m'ont fait part de leurs souhaits de voir une suite apportée à ces travaux. Des relations se sont nouées. IL faut maintenant les élargir pour aboutir à une véritable collaboration.

Groupe " Civisme et Communication "

RAPPORT INTRODUCTIF



Quel rôle la communication peut-elle jouer dans l'amélioration de la connaissance, de la conscience et de la pratique civiques ? L'adjectif civique étant pris ici dans sa plus grande généralité et désignant tout ce qui concerne l'homme en tant que citoyen, membre d'une collectivité territoriale; ayant vis-à-vis d'elle des devoirs et pouvant aussi lui opposer des droits; participant à sa vie politique, dépendant de ses lois, de son organisation et de son administration, baigné de ses traditions; pouvant y baser son existence familiale et affective et y développer des activités économiques et culturelles; bénéficiant en bref d'une liberté qui, comme le prévoyait Jean-Jacques Rousseau dans Le Contrat social, doit pour être sauvée dans son essence accepter les contraintes d'une société de plus en plus interdépendante.

La question est actuelle et fondamentale. Les Français, pour des raisons historiques et culturelles, qu'il importerait d'ailleurs d'élucider au fond, n'ont qu'un assez faible sens civique, très inférieur à leur sens national qui, lui, correspond plutôt à une perception d'appartenance.

Il est certain que la part de l'ignorance dans cette carence est considérable et qu'une politique systématique de communication pourrait contribuer à la réduire. Mais il importe auparavant de bien définir les rôles des acteurs possibles et de ne pas leur attribuer des responsabilités qui ne sont pas de leurs natures d'exercer. D'une part, le mot communication recouvre plusieurs fonctions et métiers fort distincts: information, relations, publicité, et d'autre part, communiquer n'est pas inspirer, éduquer ou réformer, mais simplement informer, c'est-à-dire relater, raconter, analyser, faire voir, faire comprendre, pour ce qui est de la presse; susciter un courant d'échanges d'informations entre une entreprise ou une administration ou une collectivité et son environnement, pour ce qui est des relations publiques; séduire, convaincre, faire acheter un objet ou un service, pour ce qui est de la publicité.

Le malentendu est particulièrement flagrant pour la presse qui suscite les sentiments les plus contradictoires. Elle est souvent jugée exécrable alors qu'elle est voulue parfaite, redressant les torts, servant la morale, récompensant les bons. Elle est accusée de causer l instabilité politique et sociale et d'être un facteur d'aggravation de la drogue ou du crime alors que le plus souvent elle se borne à tendre le miroir. Beaucoup voudraient plus ou moins inconsciemment qu'elle puisse exercer ses fonctions hors de toute contrainte économique et marchande, ne dépendant plus étroitement, au contraire des autres industries, de son marché et de ses lecteurs, alors que par ailleurs le service public de l'information n'apparaît pas non plus comme la panacée universelle. Elle est considérée comme toute-puissante, faisant et défaisant les réputations politiques, artistiques et littéraires alors que, reflet de l'opinion ou trop souvent de la mode, son influence est éphémère et tout à fait exagérée. Tous la veulent responsable, l'assimilant à un quatrième pouvoir, situé aux côtés des pouvoirs législatif, judiciaire, exécutif, alors qu'elle n'est qu'un contre-pouvoir sans légitimité institutionnelle. Son devoir n'est pas (sauf cas extrêmes, concernant en particulier la sécurité et la vie privée) de mesurer les conséquences de ses dires, mais d'en vérifier scrupuleusement l'exactitude. Fondée sur la certitude que l'homme informé vaut mieux que l'homme ignorant, que les hommes agissent moins mal quand ils sont regardés que lorsqu'ils peuvent se cacher, et que le secret empoisonne la vie publique, la presse ne peut se considérer comme étant responsable de la société, mais seulement comme étant une des conditions de l'exercice de la démocratie.

Les rôles étant ainsi sommairement rappelés et quelles que soient, en deçà des principes, les scories innombrables qui altèrent les divers métiers de la communication confrontés au pouvoir, à la gloire, à l'argent, il faut reprendre la question initiale: que peut faire la communication pour améliorer le sens civique et plus précisément que peut-elle faire pour combattre l'ignorance des Français en ce domaine ?

Cette ignorance est assez générale et recouvre beaucoup de domaines: le fonctionnement de la justice et, plus généralement, le fonctionnement des institutions politiques et sociales, l'organisation de la solidarité, les voies d'accès à l'action administrative, les limites et les droits de celle-ci. Deux mondes coexistent-les assujettis et les détenteurs d'un pouvoir officiel -et se connaissent mal, situation doublement néfaste: les citoyens tiennent souvent la fonction publique en suspicion, n'agissent guère pour en faire améliorer la pratique et se voient privés souvent, surtout les plus déshérités, des prestations matérielles ou morales auxquelles ils pourraient prétendre. Les fonctionnaires constituent fréquemment des sociétés closes, privilégiant des règles internes et se protégeant par le silence au détriment du service du citoyen.

Il ne s'agit pas ici de considérations vagues et sans fondements. Il suffit pour se convaincre de la profondeur du mal d'analyser les réponses faites par les candidats aux diverses grandes écoles au cours des épreuves d'admission. Les interrogations, souvent élémentaires, sur la marche pratique de la chose publique provoquent des perplexités insondables et des réponses inadmissibles, même chez les candidats titulaires de diplômes de droit, d'histoire ou de sciences politiques. Seuls sont connus grands principes et théories, alors même que la réforme judiciaire ou la mise en place de la décentralisation sont au premier plan de l'actualité et ne peuvent être jugées que sur les faits et sur les dispositions concrètes d'application.

Il convient de souligner qu'à cette ignorance que l'on pourrait qualifier de " bourgeoise " des institutions, il faut ajouter celle, infiniment plus grave, de ceux qui vivent dans un véritable analphabétisme social, immigrés et leurs familles, certains chômeurs provenant de métiers primaires désormais en recul, inadaptés de toutes sortes. Le mal est véritable et profond et il faut se persuader que seule une action forte et continue peut le réduire. En ce qui concerne la communication, en distinguant soigneusement presse, relations publiques et publicité, une stratégie est possible, directement inspirée de la brève analyse précédente, en supposant bien entendu que les autres parties prenantes, l'école et la formation continue remplissent leur rôle, celui de l'école pouvant apparaître le premier.

Que peut faire la presse ? La réponse est simple à énoncer, difficile à mettre en pratique: son métier.

La vie publique, les relations des citoyens avec les administrations, la vie judiciaire, la vie communale deviennent des sujets porteurs. IL n'est que de voir le succès des chroniques de Guy Thomas et la progression des ventes de Liaisons sociales pour s'en convaincre. L'information- service, l'analyse des lois, la défense des consommateurs font vendre. Il n'est donc plus possible de dire que les sujets concernant le citoyen ennuient tout le monde.

Mais pour traiter convenablement de tels sujets, il faut une culture que peu de Français, et donc peu de journalistes, possèdent. Et pourrait-on ajouter trop peu de directeurs de journaux. Il existe de bons spécialistes, les chroniques locales sont souvent bonnes, certaines publications touchant à la chose publique sont excellentes. Mais il n'est pas possible de dire que globalement les journalistes dominent le domaine civique et savent en tirer des sujets intéressant le public. Il est trop d'insuffisances, mal masquées par de vertueuses dénonciations ou incantations. Des efforts importants sont accomplis pour remonter le courant mais il faudrait pouvoir faire plus. Sans prétendre être exhaustifs, quelques idées peuvent être avancées:

- la formation des jeunes journalistes: certaines écoles consacrent beaucoup de temps à la préparation civique des élèves. Le Centre de formation des journalistes par exemple organise de longues sessions au Palais de justice, dans les administrations de la Solidarité nationale, Sécurité sociale et Santé, et multiplie les contacts avec les collectivités locales, la police et l'armée. Des enquêtes approfondies sont réalisées sur l'Education nationale et les grands services publics. IL convient de noter que de telles sessions connaissent un grand succès auprès des élèves pour qui le terrain civique est une terre vierge;

- le perfectionnement des journalistes en exercice. Ici, nous rejoignons l'action par la formation continue. IL faudrait que les responsables de la presse mesurent mieux l'intérêt de formations spécifiques dans le domaine civique et de leurs retombées pour le public: l'édition, dans la collection des Guides du centre de perfectionnement des journalistes d'un ou plusieurs ouvrages rappelant les bases des droits et devoirs du citoyen pourrait aussi être envisagée;

- la multiplication des actions que réalisent déjà les associations de journalistes et les clubs de la presse dont certains sont très vivants. Un effort considérable a déjà été fait en ce domaine. Grâce à eux, des contacts nombreux ont lieu entre les journalistes et les milieux les plus significatifs de la fonction publique: presse et éducation, presse et police, presse et justice. Un courant réel se développe, comme il s'était développé hier autour des communes et des associations d'élus locaux. Les échanges entre la presse et les grandes centrales associatives sont également à noter;

- une offensive concertée pour obtenir plus et mieux des émetteurs d'information: Gouvernement, administrations, services. Comment faire progresser la connaissance et la conscience quand, comme journaliste, on se voit opposer constamment le devoir de réserve ! Si pour l'administration informer est un délit, que peut alors faire la presse pour l'esprit civique qui, lui, doit se nourrir de faits et pas seulement de déclarations de principe. La chose publique intéressera si elle est l'objet de débats, de discussions, d'enjeux.

Que peuvent faire les autres professionnels de la communications, relations publiques et publicité ?

Sans doute, à l'inverse de la presse, ils ne disposent d'aucun support propre. Deux actions sont cependant possibles:

- les personnes chargées des relations, anciens journalistes ou non, peuvent avoir un rôle considérable dans le développement de la connaissance de la chose publique en se persuadant et en persuadant leurs employeurs que l'ouverture à l'information, que la clarté des rédactions, des documents et des communiqués, que la réponse loyale aux interrogations sont un facteur décisif de l'amélioration du sens civique tant souhaitée. Comment aimer et respecter ceux qui vous opposent morgue, silence ou indifférence ?

Là aussi, la formation continue et l'appel pour cela à des organismes spécialisés compétents peuvent beaucoup. Il ne s'agit pas de militantisme, mais de la conviction qu'il y a rigoureuse convergence entre l'intérêt bien compris de la fonction publique et son ouverture à l'extérieur que précisément les personnes chargées des relations extérieures ont pour fonction de réaliser.

- les publicistes ne peuvent agir sans ordre d'un client, sauf à recommencer " Garap " ou " Einstein ". Mais ils peuvent s'interroger sur le comment réaliser des campagnes efficaces pour développer l'esprit civique. Des concours pourraient y aider. Le très grand talent de certains, la compétence de beaucoup ne sont encore que fort peu utilisés. Des actions bien conçues et bien coordonnées peuvent avoir des résultats très sensibles. Comment rendre l'esprit civique désirable autrement que par des prêches ou des affirmations ? Jean Monnet disait un jour que pour lancer l'Europe il lui avait manqué un grand mythe comme celui de l'incarnation. L'esprit civique peut inspirer les poètes du présent que sont les créateurs publicitaires.

Telles sont, en une première approche, les quelques idées que le rapporteur propose aux réflexions du groupe de travail: comment combattre l'ignorance par la presse et les relations publiques, en s'appuyant sur l'intérêt profond des citoyens, des médias et de la fonction publique, comment vendre l'esprit civique en sachant séduire ?

Une idée vient ici, reprise du rapport du Médiateur: la création d'une fondation capable de susciter, de faire concevoir, de faire Promouvoir.

Il ne s'agirait en aucune manière de créer un organisme de plus, aux ressources incertaines, consommateur de frais fixes et se battant les flancs pour imaginer des actions. IL s'agirait de créer un pôle d'incitation. Il n'est pas possible de simplement déléguer aux professionnels de la communication, en comptant sur un militantisme diffus, une mission d'intérêt national ou de se contenter de compter sur les éducateurs pour transmettre un code de bonne conduite. Une réflexion et une action en profondeur sont nécessaires, auxquelles s'est essayé déjà pendant des années mais avec peu de moyens le Centre d'information civique. IL faut pouvoir aller beaucoup plus loin et définir une stratégie à laquelle seraient associés les divers acteurs possibles.

Hier, ont été créés le Fonds d'aide et de coopération (F. A. C.) qui a été le coeur de l'action vis-à-vis du tiers monde; le Fonds d'intervention et d'aménagement du territoire (F.I.A. T.) qui a accéléré l'aménagement du territoire; le Fonds d'intervention culturelle (F. I. C.), trop modeste sans doute et dont les ressources n'atteignent pas 2 % de celles du comité d'entreprise d'E. D. F., mais qui avait représenté un des grands espoirs du 6e Plan. Aujourd'hui pourrait être créée la Fondation pour le développement de l'esprit civique (F. D. E. C.) qui pourrait être placée sous l'égide de la Fondation de France.

Une telle fondation agirait par l'intermédiaire des canaux existants: grandes écoles, centres de formation permanente, associations. Elle étudierait leurs programmes et contribuerait aux actions de son choix; elle établirait des contacts directs avec les directeurs des lycées, collèges et écoles de premier cycle et écouterait leurs suggestions; elle provoquerait des campagnes nationales en suscitant des concours parmi les grandes agences de publicité, à l'occasion d'un fait ou d'un problème essentiel, campagnes qui devraient engendrer de nouveaux moyens.

Plusieurs sources pourraient alimenter la F. D. E. C.: tirage du loto ou part du produit de la taxe sur les alcools. Les sommes à rassembler ne sont pas considérables car il suffirait pour l'essentiel de simplement amplifier des initiatives existantes. Une ressource annuelle de 50 millions y suffirait largement. Encore faut-il le vouloir: l'esprit civique, ne serait-ce que par les économies qu'il permet, vaut bien un tel effort.

Une telle fondation permettrait de soutenir et de relier les efforts de ceux qui luttent déjà pour permettre à notre pays, littéralement rongé de l'intérieur par les microcollectivismes égoïstes, de retrouver un respect des valeurs collectives sans lequel il n'a pas d'avenir.

RAPPORT DE SYNTHESE



Le groupe " Civisme et communication " s'est efforcé, dans les deux petites heures qui lui étaient consenties, de dégager des idées claires et de proposer des lignes d'action.

Après un bref rappel du contenu du rapport introductif (ci-joint), tous ceux qui ont souhaité s'exprimer ont pu le faire. Le rapport introductif n'a pas été contesté dans son ensemble, mais beaucoup de points en ont été précisés et plusieurs propositions nouvelles sont venues l'enrichir. Une vingtaine d'interventions ont été enregistrées. Toutes ont montré combien le sujet était actuel et combien il était urgent d'agir.

Les interventions ont tourné autour de plusieurs thèmes: les uns contenus ou suggérés par le rapport, les autres donnant une dimension nouvelle. En voici la synthèse.

1° La communication ne doit pas se substituer à ce dont elle est le serviteur et elle ne saurait devenir le laboratoire où se définirait le civisme et les valeurs qui le sous-tendent. IL est apparu que cette élaboration était bien le problème principal, très au delà des voies pratiques de la communication. Avant de savoir comment communiquer, il faut pouvoir savoir quoi communiquer. Plusieurs affirmations ont été posées:

- le civisme, c'est ce qui unit. Si la démocratie permet et doit faciliter l'expression des différences, le civisme, comme le patriotisme, se nourrit de ce qui rassemble. La vie municipale est souvent sur ce point exemplaire Gilbert Bonnemaison, vice-président du Conseil national de prévention de la délinquance);

- le civisme ne se cantonne pas à l'expression qui en a étant donnée par les Républiques conquérantes: les grands anciens doivent comprendre que la jeunesse, souvent très généreuse, doit pouvoir inventer un civisme avec des mots qui l'expriment (Francine de la Gorce, A. T. D. Quart Monde);

- la compréhension de l'économie fait partie du civisme. Quelle vision de la société économique et donc sociale veut-on promouvoir ? La vie sociale n'est pas que juridique ou politique. L'économie fonde aussi la liberté (Jacques Méraud, membre du Conseil économique et social);

- la défense est une des composantes du civisme. Qu'est-ce qui mérite d'être défendu, au prix de la mort parfois ? L'obligation doit être mieux que comprise, elle est l'expression même d'un consensus. L'esprit civique inclut l'esprit de défense (Colonel Pennacchioni, chef de la division Conception du Service d'Information et de Relations publiques des Armées);

- si une fondation voit le jour, ne serait - ce pas précisément un de ses rôles de déterminer les composantes du civisme pour mieux faciliter ainsi son développement ? Où est la source ? (Boyer, Ministère de la Culture).

2° Les voies de l'apprentissage du civisme sont très nombreuses. Le rapporteur a pu mesurer ici sa propre ignorance sur tout ce qui se fait en ce domaine. Un recensement s'imposerait si l'on est vraiment soucieux de découvrir les canaux de l'action existante et potentielle :

- apprentissage du civisme à des enfants dans les clubs " Histoire " en marge de l'école (Nathalie Balsan, Les Clubs Histoire);

- association d'enseignants voulant développer le sens civique par la compréhension de l'économie (Robert Jammes, Centre national de Documentation pédagogique);

- les multiples concours bénévoles que suscite le Centre d'Information civique (Gilbert Delcros, Centre d'Information civique);

- les actions de l'Institut pédagogique (Robert Jammes);

- les études faites sur le degré de connaissance des problèmes économiques et sur l'image que le public en a (Ahmed Silem, Laboratoire du Centre national de la Recherche scientifique -I.R.P.E.A.C.S.);

- les tentatives de briser le mur d'ignorance existant entre une bourgeoisie détentrice des responsabilités et qui, même ignorante du fonctionnement de la société, en sait assez pour très bien vivre, et les problèmes vécus par ceux qui ne parviennent pas à s'insérer dans un système social complexe (Francine de la Gorce, A. T. D. Quart Monde).

3° Une série d'observations sont ensuite venues préciser ou compléter le rapport.

Le rôle spécifique de l'audiovisuel a été souligné. Le mot " presse " employé par le rapport, peut tromper. IL s'agit bien ici de tous les vecteurs de la communication (J.-P. Dumont, Centre national d'Etudes supérieures de la Sécurité sociale). La télévision notamment représente de fait une véritable école parallèle: plusieurs, dont le président Jacques Fauvet, se sont scandalisés de ce qu'une chaîne publique puisse bafouer par le dessin l'image des dirigeants, de quelque parti que ce soit. L'humour libère, mais il y a peut-être des bornes à ne pas franchir.

Quoi qu'il en soit, il a été également souligné que des heures valables devraient, comme en Grande-Bretagne ou au Canada et d'autres pays, être réservées à des émissions didactiques (Robert Jammes, Centre national de Documentation pédagogique). A la condition qu'elles soient utilisées avec talent, une écoute est certaine. D'ailleurs, 1 p. 100 d'écoute, considéré avec mépris par les augures de l'audiovisuel, c'est quand même 200 000 personnes. En terme de formation, c'est déjà énorme et ce chiffre ne doit pas être comparé à celui du succès d'une fantaisie ou d'une dramatique qui sont des divertissements.

Il a été confirmé que la chose civique, bien présentée, pouvait passionner le public. L'exemple de Guy Thomas a été plusieurs fois avancé. L'exemple du drame social à Lille (Francine de la Gorce, A. T. D. Quart Monde) considéré comme inintéressant par les médias sinon sur le plan du scandale, puis faisant l'objet d'une information portée par une association et soulevant un intérêt passionné, a également été cité. Mais il a été fortement marqué que la presse manquait, à son détriment même, de pédagogie, ne tenait pas compte du temps, de la durée nécessaire à l'appropriation du message (Gilbert Billon, Comité économique et social, et Jacques Fauvet, président de la commission), qu'elle sous-estimait la capacité du public à souhaiter des informations dépassant le simple sensationnalisme; les angles choisis par la presse ont été souvent contestés: agressivité, déformation.

Il a été contesté que la presse doive se borner à être un miroir. Le fait brut, la déclaration officielle peuvent masquer la vérité et il appartient au journaliste de la découvrir et de la restituer; en ce sens, il est acteur (J.-P. Dumont, déjà cité). De même, il a été dit que la presse doit permettre de comprendre ce qui se dit et s'entend (Mme Manodritta, service Formation, Banque de France). Explication et précision.

Le rôle spécifique de l'audiovisuel a été souligné. Le mot " presse " employé par le rapport, peut tromper. Il s'agit bien ici de tous les vecteurs de la communication (J.-P. Dumont, Centre national d'Etudes supérieures de la Sécurité sociale). La télévision notamment représente de fait une véritable école parallèle: plusieurs, dont le président Jacques Fauvet, se sont scandalisés de ce qu'une chaîne publique puisse bafouer par le dessin l'image des dirigeants, de quelque parti que ce soit. L'humour libère, mais il y a peut-être des bornes à ne pas franchir.

Quoi qu'il en soit, il a été également souligné que des heures valables devraient, comme en Grande-Bretagne ou au Canada et d'autres pays, être réservées à des émissions didactiques (Robert Jammes, Centre national de Documentation pédagogique). A la condition qu'elles soient utilisées avec talent, une écoute est certaine. D'ailleurs, 1 p. 100 d'écoute, considéré avec mépris par les augures de l'audiovisuel, c'est quand même 200 000 personnes. En terme de formation, c'est déjà énorme et ce chiffre ne doit pas être comparé à celui du succès d'une fantaisie ou d'une dramatique qui sont des divertissements.

Il a été confirmé que la chose civique, bien présentée, pouvait passionner le public. L'exemple de Guy Thomas a été plusieurs fois avancé. L'exemple du drame social à Lille (Francine de la Gorce, A. T. D. Quart Monde) considéré comme inintéressant par les médias sinon sur le plan du scandale, puis faisant l'objet d'une information portée par une association et soulevant un intérêt passionné, a également été cité. Mais il a été fortement marqué que la presse manquait, à son détriment même, de pédagogie, ne tenait pas compte du temps, de la durée nécessaire à l'appropriation du message (Gilbert Billon, Comité économique et social, et Jacques Fauvet, président de la commission), qu'elle sous-estimait la capacité du public à souhaiter des informations dépassant le simple sensationnalisme; les angles choisis par la presse ont été souvent contestés: agressivité, déformation.

Il a été contesté que la presse doive se borner à être un miroir. Le fait brut, la déclaration officielle peuvent masquer la vérité et il appartient au journaliste de la découvrir et de la restituer; en ce sens, il est acteur (J.-P. Dumont, déjà cité). De même, il a été dit que la presse doit permettre de comprendre ce qui se dit et s'entend (Mme Manodritta, service Formation, Banque de France). Explication et précision.

Le vocabulaire a fait l'objet de nombreuses interventions. Chacun est marginal, enfermé et protégé par son langage. Le public est en pleine méprise. Ainsi a-t-on cité l'exemple de l'autofinancement considéré par une majorité de Français comme un moyen de financer l'automobile (Jacques Méraud, Comité économique et social). La langue de bois de l'Administration.

L'importance des canaux parallèles a été soulignée: communications téléphoniques du Centre d'Information civique, importance des bulletins municipaux. IL a été suggéré d'utiliser la littérature bancaire, abondante, mais tournée vers la présentation de nouveaux produits. Ne pourrait-elle être le véhicule dans l'information économique ? Nous assistons à une dérégulation de l'information. Tout le monde communique et, de ce foisonnement bien utilisé, peut surgir une conscience accrue.

Enfin, des représentants de la communication de grands services ou de l'Administration ont insisté sur l'importance de l'information (Lucien Meadel, Relations avec le public, ministère de l'Economie et des Finances). Chargés de faire comprendre l'action publique, ils estiment que le fait divers, les protestations, les conflits, peuvent être d'excellents moyens de pédagogie active.

En conclusion, le rapporteur rappelle ce qu'il avait déjà indiqué dans le rapport introductif, concernant la création d'une fondation pour le développement de l'esprit civique. Il se déclare très frappé par la multiplication des actions spontanées et pense que, plutôt que de prévoir une lourde machine administrative de plus, il faut simplement susciter les initiatives individuelles et, encore mieux, soutenir celles qui se sont déjà manifestées souvent sans moyens.

L'esprit civique est un souci pour beaucoup; son développement ne passe pas nécessairement par des voies obligatoires.

Comptes rendus des interventions

M. François Goguel, Président de la Commission Education



J'interviens à titre personnel et non en qualité de Président de la Commission Education, pour essayer de dire comment je vois, dans l'histoire, l'évolution de l'instruction et de l'éducation civiques: Jules Ferry, les " Hussards noirs de la République ", dont a parlé Charles Péguy, c'est une époque où la République, selon l'expression de Gambetta, n'est pas encore " élargie aux dimensions du pays ". Les Hussards noirs de la République ont eu parmi leurs fonctions de faire accepter cette forme de gouvernement par un certain nombre de Français qui, à l'époque, ne l'acceptaient pas encore. Et pour des raisons sur lesquelles il est inutile de s'étendre, ces Français étaient en règle générale plus ou moins influencés par l'Eglise catholique romaine.

Voilà la situation initiale. Jules Ferry demande aux instituteurs de ne jamais toucher à la conscience de l'enfant et, dans cette période, cette consigne de Jules Ferry est parfaitement suivie par ceux à qui il l'a adressée. Je n'en prends qu'un exemple: telle région catholique se rallie à la République sans que la pratique religieuse y diminue. L'examen de la carte électorale de la France démontre combien les consignes de Jules Ferry ont été bien appliquées: bien des électeurs sont devenus républicains sans abandonner pour autant leur pratique catholique antérieure. Voilà ce qui s'est passé à la fin du XIX. siècle et au début du XXe siècle.

Mais nous sommes aujourd'hui dans une situation complètement différente, car le voeu que Gambetta exprimait comme Président de la Chambre des Députés est réalisé. La République est élargie aux dimensions du pays: il n'y a pratiquement plus de forces politiques en France qui contestent le principe fondamental de la République, tel qu'il a été exprimé dans la loi du 3 juin 1958 donnant délégation au Gouvernement du général de Gaulle pour présenter une constitution à la ratification populaire. Ce principe fondamental c'est: " Tout pouvoir doit trouver sa source dans le suffrage universel "; dans l'Etat naturellement, mais aussi dans la région, dans la commune et dans le département. Ce principe étant admis de façon générale, et à partir du moment où il n'y a plus aucune espèce de contestation d'ordre, je ne dirai pas religieux, mais ecclésiastique, à l'égard de ce principe, on pourrait penser que l'instruction civique est beaucoup plus facile à donner dans l'accord de tous.

Seulement, il se trouve qu'aujourd'hui - et c'est leur droit le plus strict- un certain nombre d'enseignants pensent qu'il est du domaine de la connaissance scientifique de considérer que toute l'histoire des sociétés est déterminée par le processus de production et d'échanges et par la place qu'occupent dans ce processus les classes sociales et les individus. Si tous les Français ne partagent pas cette conception, un certain nombre de Français sont convaincus qu'elle est scientifiquement vraie. Dans ces conditions, comme on ne peut évidemment pas demander à ceux des enseignants qui partagent cette conception, qui croient qu'elle a une valeur scientifique, de renoncer dans leur enseignement à exprimer ce qu'ils croient être la vérité, le problème de l'instruction et de l'éducation civiques devient beaucoup plus compliqué. C'est ce que disait Mme Grawitz à l'instant. On ne peut pas demander aux enseignants une neutralité complète.

Dans ces conditions, comment peut-on résoudre le problème de l'instruction civique ? Je crois que Claude Nicolet a tout à fait raison de penser qu'il faut dissocier dans une certaine mesure - mais je trahis peut-être un peu sa pensée - ce qui est éducation de ce qui est instruction. Ce qui est éducation, fondamentalement, on le donne par l'exemple; l'éducation dans la famille est donnée par l'exemple et non pas par des discours faits aux enfants. De même, l'éducation civique est donnée dans l'école par un certain comportement des maîtres entre eux, des maîtres avec les enfants, des enfants entre eux. C'est de cette façon-là, à mon avis, que l'éducation civique peut " socialiser " les enfants et les habituer à vivre dans un climat de tolérance et de solidarité. Quant à l'instruction civique proprement dite, elle doit se garder d'entrer dans le domaine de certaines contestations; mais je crois qu'il est tout à fait souhaitable que soit donné aux enfants, dans le second cycle des lycées, un certain nombre d'informations objectives sur ce qu'est le droit dans leur pays et également sur ce qu'est l'histoire de leur pays. Jean-Pierre Chevènement nous disait hier que l'un des buts de l'enseignement doit être de donner aux enfants la conscience de leur identité nationale. Je sais bien que quand on dit cela on se voit parfois accuser de nationalisme, ce qui me paraît absurde car le nationalisme, ce n'est pas le patriotisme. C'est en passant par la conscience de l'identité nationale qu'un Français peut accéder à la conscience de son identité européenne; le passage par la conscience de l'appartenance à une cité, à une région et à la nation est un des éléments qui permet d'aboutir à une conception universelle. Je crois par conséquent que l'instruction civique doit comporter cette initiation à l'histoire qui permet de prendre conscience de son identité nationale. Je terminerai sur cette remarque: il est arrivé un jour au général de Gaulle de dire: " Ce n'est pas la France, la gauche, ce n'est pas la France, la droite. " Je crois que ces deux affirmations sont de celles qui peuvent éclairer la façon dont l'histoire peut être enseignée dans l'éducation civique Seulement, il faut bien voir que cette affirmation comporte une conséquence: " La gauche ce n'est pas la France, la droite ce n'est pas la France ", cela veut dire aussi que la France, c'est à la fois la droite et la gauche. Une France dans laquelle il n'y aurait pas de droite comme une France dans laquelle il n'y aurait pas de gauche aurait perdu son identité propre. Sur un terrain comme celui-là, il me semble qu'on devrait pouvoir arriver, parmi les enseignants, à un certain accord pour essayer de donner à la fois éducation et instruction civiques.

M. Jean-Christian Barbé, Président du Centre d'lnformation civique



Je vais être extrêmement bref et essentiellement constructif. Je voudrais dire que le Centre d'Information civique propose de prendre à sa charge l'étude qui permettra la création de la Fondation pour le développement de l'esprit civique et je souhaite que cette suggestion figure dans la synthèse des travaux.

M. Delcros, Administrateur, Centre d'information civique



Les associations constituent ce que l'on pourrait appeler la quatrième voix de la communication. Elles forment un réseau extrêmement important susceptible de relayer auprès de l'opinion, donc des citoyens, un certain nombre d'éléments concernant la vie civique sous toutes ses formes "

Leur rôle est essentiel dans la vie communale.

" Un des points qui n'a pas peut-être été assez souligné, encore que la suggestion de la Fondation réponde en grande partie à cela, est celui de la cohérence de l'action et notamment d'une sorte de concertation à établir entre toutes les associations se préoccupant de près ou de loin de la vie civique. "

Nous sommes tout prêts à en assurer le recensement.

" Notre réflexion se porte de plus en plus vers les moyens nouveaux - en particulier l'informatique - sans négliger les moyens d'éducation civique traditionnelle. "

Au-delà de la Fondation dont l'action représente une part extrêmement pragmatique, faudrait-il aller vers la création d'un organisme nouveau ?

" Une sorte de Haute Autorité du civisme qui pourrait être une autorité morale incontestable et montrant tout l'intérêt que l'on prend maintenant dans notre civilisation pour ce fait. "

M. Bonnemaison, Député, Vice-Président de la Commission de prévention contre la délinquance



La reprise de l'éducation civique à l'école est très attendue par nos concitoyens. J'ai eu l'occasion, ayant à parler de prévention de la délinquance, d'évoquer la nécessité d'une réflexion civique. Je puis vous dire que l'organisation du colloque que vous avez voulu, monsieur le Médiateur, et ses conclusions, seront suivis avec passion par un nombre considérable de nos concitoyens. Beaucoup plus qu'on ne l'imagine à l'heure actuelle.

Je suis entièrement d'accord avec M. Philippe Viannay et j'admire beaucoup le travail qu'il a fait.

A l'école, l'enfant reçoit 40 % de son éducation. C'est-à-dire que 60 % de cette éducation vient d'ailleurs: de la famille, de ce qu'il reçoit par les médias, de ce qu'il reçoit par ses petits camarades, de ce qu'il reçoit dans l'association dont il est membre. Cela signifie que nous devons interpeller très fortement nos concitoyens sur le fait que l'éducation civique à l'école doit être accompagnée par une réflexion civique sur l'ensemble de la cité.

J'avais, animant les conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance, déjà demandé à MM. les Préfets, présidents de ces comités départementaux, de bien vouloir commencer à animer une réflexion sur ce thème. J'ai l'intention de suggérer à notre Président, monsieur le Premier ministre, de renforcer encore cette demande. Ce colloque peut être l'occasion d'appeler très fortement nos concitoyens à cette réflexion; réflexion qui doit être opérationnelle dans le mois de septembre 1985, si l'on ne veux pas que ce qui sera prodigué à nos enfants tombe dans le vide.

M. Ceweiker



Attire l'attention sur la dimension mondiale de l'éducation civique. Il importe de rendre intelligible le temps présent. Le devenir des sociétés contemporaines s'inscrit dans un espace élargi aux dimensions de la planète. L'éducation doit prendre en compte à la fois " l'ici et l'ailleurs ". " IL appartient à l'éducation civique de faire en sorte que le citoyen ait le désir et la capacité de prendre une part active, là où il est, à l'édification d'un avenir fait pour l'homme. Cette disponibilité à l'avenir me semble être l'objectif premier de l'éducation civique. "

Par ailleurs, " il convient de mener une réflexion plus approfondie sur les raisons de l'échec ou de l'état de carence de cet enseignement ".

Il faut capitaliser les recherches et travaux effectués dans ce domaine et les utiliser.

Il est nécessaire de recourir à des méthodes variées d'enseignement requérant l'implication des élèves pour favoriser l'éveil de l'esprit critique, en s'appuyant largement sur les techniques modernes de communication.

M. Champion, Vice-Président du Syndicat national des lycées et collèges



Aborde en premier le problème complexe des relations entre professeurs, parents et enfants:

" Dans un certain nombre d'établissements, des problèmes relationnels existent.

" On touche là à la définition et au contenu même de l'instruction scolaire.

" Lorsque, dans un collège en rénovation ou non, ni les professeurs, ni les élèves ne savent pourquoi ils sont dans l'établissement, des crises relationnelles sont absolument inévitables. Enfin, les relations professeurs - parents sont souvent les plus délicates, notamment dans l'enseignement secondaire. Je crois qu'il faudrait mettre en avant un principe simple. Chaque partenaire doit respecter le domaine de compétence de l'autre dans le cadre de rapports plus confiants fondés sur une information mutuelle, sans ingérence. "

Deuxième point: " Je suis très favorable aux moyens audiovisuels et aux techniques d'informatique. Mais là pédagogie doit rester pluraliste dans ses méthodes. Sinon, on retombe dans la pédagogie gadget. "

Troisième point: " La rénovation de l'instruction civique n'est qu'une partie de la rénovation du système d'enseignement public. Il faudra du temps, du courage, du réalisme et du bon sens. "

Le Général Chavanat du Secrétariat général de la Défense



Met l'accent sur la notion de défense commune aux trois vecteurs: Education, Formation et Communication. Il regrette qu'elle n'ait été que très peu citée dans les travaux préliminaires des rapporteurs.

Il fonde essentiellement son argumentation sur le fait que toute " vie sociale, économique et institutionnelle " implique de facto la survie dans un monde déchiré par de violents conflits et où les droits de l'Homme ne sont pas toujours respectés, voire fréquemment menacés.

Or, " les droits de l'Homme, ça se défend ".

Dans ces conditions, la Défense est à considérer comme partie intégrante des devoirs du citoyen et doit occuper une place primordiale dans sa formation en tant que telle: << Rien que sa place, mais toute sa place ! "

M. Delmas, Corps de l' lnspection des Finances



Contrairement à un préjugé répandu, je pense profondément que l'homme est naturellement civique. L'homme français lui-même me paraît être naturellement porté au civisme. Simplement dans cette voie, il se heurte à des obstacles. Ces obstacles sont artificiels: si on les élimine, on aura le civisme. Je tirerai deux conclusions pratiques en me référant au rapport introductif de M. Philippe Viannay.

IL a évoqué la création d'une Fondation pour le développement de l'esprit civique qui pourrait être placée sous l'égide de la Fondation de France, bravo ! D'une part, il y a de l'argent et d'autre part, il y a la neutralité. Il en faut, on n'en aura jamais trop. Mais il ne serait pas incompatible avec cette proposition de lui en ajouter une autre. Pourquoi ne pas créer, comme l'avait fait Louis Armand en 1960 pour les obstacles à l'expansion économique, pourquoi ne pas très vite créer une mission d'enquête sur les obstacles à l'esprit civique ? Quant à la fondation proposée par M. Viannay, je propose qu'elle s'appelle " Fondation pour le développement de l'esprit civique ", ou, mieux " Fondation pour la libération de l'esprit civique ".

Mon propos pourrait inquiéter ceux qui ont parlé de l'éducation I civique. Je les rassure. Car, si j'estime que le civisme est solidement chevillé au coeur de l'homme et, je le répète encore une fois, au coeur de l'homme français, je souhaite que ces bonnes dispositions soient développées.

M.J.-P. Dumont, Centre national d'études supérieures de la Sécurité sociale



" Différents sondages menés par les Caisses d'assurance vieillesse et d'allocations familiales, des enquêtes récentes effectuées par la revue Sélection ont montré que de nombreux Français ignorent comment est calculée la retraite, comment sont remboursés les frais de maladie et comment est financée la Sécurité sociale. 80 p. 100 des jeunes de quinze à vingt-quatre ans qui viennent de sortir de l'école ne connaissent pas le montant des cotisations versées au régime de Sécurité sociale. "

. L'information donnée par la presse et par les médias est insuffisante

" Mais le journaliste n'est pas le seul à devoir faire cette information. Je pense que nous sommes tous des informateurs et qu'à la télévision les organismes gestionnaires, l'Administration, le Gouvernement - surtout dans une télévision qui se dit de service public- devraient accorder au-delà du journal télévisé des magazines d'information. Ce qui est le cas, par exemple, au Québec.

Depuis quelque temps en France, des expériences intéressantes sont amorcées. La Mutualité agricole, la Mutualité française, la Mutualité des travailleurs font des émissions à la télévision mais à des heures qui ne sont pas de bonne écoute. Des radios locales prêtent leurs micros aux Caisses d'allocations familiales qui, régulièrement, pendant une demi-heure, peuvent s'exprimer auprès des assurés. Cela se pratique également avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse dans sept départements de la couronne parisienne. Il y aurait, en l'occurrence, de grandes possibilités pour la diffusion de l'instruction civique. " Ces expériences sont à multiplier.

Mme Ferrandon, présidente de l'Association des professeurs de sciences économiques et sociales



Je me suis étonnée, tout au long de ce colloque et dans le: différents rapports qu'il n'ait pas été suffisamment explicité le fait qu'il existait déjà, particulièrement dans les lycées, des enseignements d'histoire et de géographie, d'une part et, d'autre part, de sciences économiques et sociales qui déjà donnent aux élèves un~ initiation à la vie économique, sociale et institutionnelle telle que vous l'appelez de vos voeux dans votre rapport, monsieur le Médiateur.

C'est une expérience dont on peut partir lorsque l'on se penche sur le problème de l'instruction civique rénovée dans l'enseignement. Il existe dans toutes les classes de seconde, malheureusement pas dans les classes qui suivent l'option de technologie lourde industrielle, une initiation de deux heures à la vie économique et sociale; d'autre part, il existe une section qui est la section B qui donne environ aujourd'hui 20 % des bacheliers. Il existe aussi des options pour les élèves entrant dans les sections A F et D. Malheureusement, les moyens ne permettent pas à l'heure actuelle d'ouvrir partout ces options. Il convient donc de prendre en considération des expériences qui ont maintenant une vingtaine d'années, avec des programmes où figurent déjà des points tel, que Etat, Nation, libertés publiques, fonctionnement de la Sécurité sociale, institutions politiques de la France, etc.

Je rappelle aussi qu'une éducation civique doit être abordée dans un cadre pluraliste avec le souci de développer un certain esprit critique, une démarche scientifique lorsque l'on aborde un certain nombre de questions. Questions qui doivent particulièrement être abordées au niveau du lycée parce que c'est à ce stade que les élèves sont le plus aptes à comprendre. C'est peut-être au lycée que l'éducation civique est la plus nécessaire.

M. Georges, Président du Comité de coordination des oeuvres mutualistes et coopératives de l'Education nationale



Avance diverses propositions, à partir d'un certain nombre de constats.

Tout d'abord, l'école subit beaucoup plus qu'elle ne les oriente les évolutions de la société; il y a lieu d'éviter, entre autres, l'erreur grave qui consisterait à " recréer " systématiquement le passé dans les programmes d'enseignement.

Ensuite, il convient de se montrer très perspicace à l'égard de la jeunesse qui a tendance à réagir, à s'exprimer à partir de mots clés et dont les comportements se traduisent fréquemment par du scepticisme, un repliement sur soi-même, le rejet de tout ce qui est institutionnel -tel que nous l'entendons -alors que cette même jeunesse tente, par un louable effort, de s'insérer dans un monde semé d'embûches.

Egalement, il paraît difficile d'exiger des médias le respect d'une stricte neutralité, car l'information dans son exercice même n'est pas toujours objective, d'où pour tout journaliste, l'écueil du bon choix de cette information.

Enfin, il serait judicieux en matière d'éducation de mieux définir et répartir les droits et devoirs du citoyen en mettant l'accent sur ces derniers. Cette coexistence des droits et devoirs implique une démarche commune à associer aux comportements quotidiens de l'individu.

Mme Grawitz, Professeur d'Université



Pense que le rôle du Gouvernement est de définir des objectifs et une politique; mais il doit aussi tenir compte des besoins qui sont exprimés.

" Je voudrais être le porte-parole des intéressés, c'est-à-dire des élèves. Pour conserver un lien entre l'école et la vie, il est essentiel de conserver dans l'instruction civique un élément d'actualité. Car l'actualité, pour les élèves, c'est être informé, se renseigner, mais pouvoir s'exprimer. "

Il faut laisser une place à l'instruction civique dans les lycées et les lycées techniques. IL faut " établir une pondération entre l'enseignement parcours et l'enseignement par participation des élèves et discussions ".

Ce qui soulève le problème de la formation des maîtres. " On ne peut demander à des professeurs qui ont la passion de leur métier d'être neutres. " Peuvent-ils même être objectifs ? Toutes les enquêtes témoignent de l'homogénéité dans les réactions des enseignants: ils estiment devoir informer plutôt que transmettre des valeurs. Nous n'avons pas à transmettre des valeurs, disent les professeurs, nous informons. Certains souhaitent cependant donner à leurs élèves " l'amour de la vie " ou " l'amour du travail bien fait ". Ils veulent tous former des esprits critiques, enseigner la tolérance. " Même si l'école se doit d'éviter de heurter les enfants dont l'hétérogénéité reflète notre société pluraliste, elle n'a pas pour rôle de justifier les préjugés des familles. "

Mme Grawitz cite en conclusion la phrase de Jaurès: " Lorsque les maîtres socialistes permettent de faire des enfants qu'on leur confie des socialistes, ils cessent d'être socialistes ! "

M. d'Halloy, Croix-Rouge française



Regrette qu'il ne soit pas fait mention dans le rapport de la notion d'humanité qui fait partie intégrante des droits de l'Homme. IL souhaiterait à cet égard que l'on veille au comportement humanitaire des gens.

De même, il manifeste le souhait que le rôle de la Croix-Rouge soit mieux connu dans le cadre des conventions de Genève, c'est-à-dire l'application du droit international humanitaire. En effet, l'article 6 du statut international de la Croix-Rouge prévoit explicitement que cette dernière peut offrir ses bons offices pour toute action humanitaire. Ceci a son importance et mérite d'être connu.

M. Hundelker

Qui intervient au nom du groupe Education aux Droits de l'Homme de l'I.N.R.P., pose trois questions:

Quel civisme devons-nous développer, dans l'apparente contradiction entre une politique de puissance et une politique de droits ? Le premier pouvoir est celui de la parole: " Pouvoir du discours politique ou culturel, auquel s'adjoint une politique du pouvoir sous d'autres formes, y compris celle qui permet la défense militaire des Droits de l'Homme ".

Pour " être des gagnants ", une politique de droits est inséparable de la recherche de la puissance de la faire appliquer.

Ce qui doit gagner ? C'est le discours de l'universel; non seulement de l'égalité, mais de l'identité humaine. D'où le thème de la différence. Ce qui est universel, c'est la différence entre les hommes. La différence, c'est l'autonomie de chacun.

Troisième question: certains Etats prétendent défendre une conception universelle de l'Homme. Il faut prendre garde à une telle dérive. Est-ce qu'au nom de l'universel, lié à l'existence de certains Etats particuliers, on ne risque pas de faire la guerre ? " Nous ne devons pas nous croire les Etats de l'universel, mais croire à l'universalité humaine. "

C'est une dimension indispensable à donner à l'instruction civique.

Mme Catherine Kintzler, Professeur de Philosophie, responsable de séminaire au Collège international de philosophie



Précise entre autres: " Le seul garant ultime des libertés et du droit dans une République n'est autre que l'exercice de la raison. Certes, il faut recourir à des exemples vivants, mais ce n'est pas avec une pédagogie du comportement (qui a vite fait de dégénérer en pédagogie de " profil " ou en psychiatrisation) que l'on aura des citoyens. Un citoyen, ce n'est pas quelqu'un qui a un " bon profil ", c'est un homme, une femme, qui sait pourquoi il jouit de droits, pourquoi il doit honorer des devoirs, et qui sait résister à l'oppression. La résistance à l'oppression n'est pas un réflexe ni un bon sentiment; c'est la conclusion d'une réflexion raisonnée et libre. "

Le Capitaine de vaisseau François de Larminat, Adjoint au Général de corps d'armée Lang, Directeur de l'Enseignement militaire supérieur



Met l'accent sur la nécessité d'une " formation civique continuée ".

Il estime à cet égard opportun de rappeler:

- que la notion de défense constitue le " noyau dur " dans la formation de l'esprit civique. " Le citoyen (civis) n'est-il pas membre de la cité (civitas) ? " Et ce, à partir de la famille jusqu'à l'ensemble de la nation;

- les apports les plus marquants de l'Institution militaire à la formation du citoyen sont illustrés par les protocoles d'accord passés entre le Ministère de la Défense et d'autres ministères: Education nationale, Culture, Jeunesse et Sports, Santé, Travail, Emploi et Formation professionnelle;

- la prise en compte de la dimension " Défense " dans l'action attendue de l'ensemble des responsables de la formation continuée :

ainsi pour les armées, à partir d'une ouverture aux aspects non militaires de la vie du citoyen et, pour les organismes non militaires, par des actions conduisant les citoyens à prendre conscience de leurs responsabilités de défense.

Une telle sensibilisation globale à tous les aspects concernant la défense du pays, avec des moyens de communication adaptés, doit se poursuivre à toutes les étapes de la " formation continuée " et être de nature à atteindre le but poursuivi: former des " citoyens complets ".

M. Muhlthaler, Ecole Instrument de Paix.



Je représente une association qui a le statut consultatif auprès des Nations unies, de l'Unesco et du Conseil de l'Europe.

C'est tout un programme: " L'Ecole Instrument de Paix "

Notre rôle principal est d'essayer de rénover sur le plan national et sur le plan planétaire l'enseignement civique. Car c'est du civisme et de la démocratie que naîtra un monde nouveau et un monde de paix. L'école est au service de l'humanité. L'école n'est plus enfermée dans ses structures sociales. Elle est au service de tous les hommes sans aucune discrimination. L'école enseigne la compréhension mutuelle. Et là était le piège. Qu'est la compréhension mutuelle ? C'est l'enseignement:

- du respect mutuel que nous nous devons tous ;

- de l'esprit de tolérance;

- du sens de nos responsabilités.

Nous ne sommes plus des sujets, nous sommes des citoyens avec des racines et aussi des citoyens du monde. Nous avons le moyen de construire ce monde dans un esprit de fraternité par ce que nous offre la démocratie. Sachons donc porter à nos enfants l'idéal de la démocratie pour permettre autour de cet idéal de forger ce monde de paix que nous leur devons.

Le R. P. Rieutord, Secrétaire général du Centre international Les Fontaines



Voudrait attirer l'attention sur le terme employé dans le rapport de M. le Médiateur et dans le discours de M. le Ministre de l'Education nationale, celui d'" éducation civique " et non l'" instruction civique "; dans cette perspective, il faut veiller à ce que le pro

gramme soit créé en concordance avec le vocabulaire utilisé. Il s'agit en l'occurrence de la transmission d'une culture, des valeurs d'une civilisation, d'un véritable humanisme.

L'instruction pouvait se limiter à l'apprentissage des règles écrites et des lois.

L'éducation doit aller au-delà: elle implique la transmission de valeurs d'éthique, c'est-à-dire de règles de comportement de l'homme social.

L'ensemble de ces règles écrites ou non écrites concernent à la fois les droits et les devoirs. L'accent doit être mis sur les devoirs (qui sont aussi les droits des autres).

Parmi les devoirs, l'un des plus essentiels est celui de défendre la Communauté nationale (mais aussi européenne, internationale, etc.) contre toute agression menaçant son indépendance, son droit à la vie, et concernant la construction de la paix. Cela doit être dit explicitement, le général Chavanat, du Secrétariat général de la Défense nationale, vient de le rappeler; et hier, dans le groupe de travail n° 1, M. Barbé, Président du Centre d'information civique, l'a rappelé avec insistance. En conséquence de quoi nous demandons à M. Nicolet de modifier ses propositions pour l'Education nationale (cf. le paragraphe III) comme suit:

- à l'alinéa 2: supprimer le terme " militaires ";

- entre l'alinéa 3 et l'alinéa 4: rédiger un paragraphe spécialement consacré à la Défense, l'alinéa 3 " Enfin la France dans le monde " devenant l'alinéa 5.

En plein accord avec ce qu'a développé Mme Grawitz, je voudrais attirer l'attention de notre Assemblée, mais surtout celle de M. Nicolet, le rapporteur du texte, et, par voie de conséquence, celle du Ministre de l'Education nationale sur un certain rapport de l'Unesco d'il y a quelques années, issu d'un groupe multinational présidé par M. Edgar Faure ayant fait l'objet d'un livre: " Apprendre à être ".

C'est là l'essentiel du souffle qui devrait inspirer l'orientation nouvelle de l'éducation civique et apparaître dans le fondement de ses instructions futures sous peine d'échec auprès de la jeunesse, la raison de notre colloque.

M. Vergnolles, Syndicat général de l'Education nationale



Le débat est sur quelques questions de fond.

La première c'est: " Quelle ambition pour une citoyenneté aujourd'hui ? " Nous ne pouvons pas la restreindre à une négation de ce qui est individuel de la part de l'individu. Cette ambition, pour les années qui viennent, serait, à travers l'Education nationale, de réconcilier l'individuel et le collectif.

Deuxième point: l'éducation ne me paraît pas fondée sur l'idée exprimée par M. le Ministre de l'Education nationale qu'il faut être gagnant ou perdant. Pour les jeunes aujourd'hui, ce n'est pas en ces termes que cela doit se poser.

Il y a une dimension internationale du Tiers Monde qui doit être prise en compte. Et un terme qui devrait être un élément fort dans nos propositions pour une éducation civique: la solidarité.

Troisième point: faire des citoyens adultes ne consiste pas simplement qu'à les instruire, cela consiste aussi à un apprentissage à la responsabilité et c'est important pour les jeunes. L'éducation civique qui ne partirait pas du vécu des jeunes serait une erreur. La pire des choses serait de faire de l'éducation civique une discipline comme les autres avec un cadrage dans le temps, avec des horaires. Je crois que cela serait très mal perçu et passerait très mal auprès des jeunes. Il y a une véritable mobilisation à créer au sein des établissements pour prendre en charge cette réalité de l'éducation civique. Cette mobilisation doit passer par l'établissement tout entier, par l'ensemble des disciplines, par l'ensemble des professeurs, par l'ensemble des acteurs qui concourent à l'action éducative dans les établissements. Pourquoi ne pas avoir, au niveau de l'établissement, une mission qui consisterait à faire le point régulièrement, une fois par trimestre, pour voir comment dans l'ensemble de l'établissement nous avons progressé sur cette question de l'éducation civique ?

Plusieurs personnes n'ont pu s'exprimer au cours de ce colloque dont le temps avait sans doute été trop mesuré.

Nous leur demandons de bien vouloir nous en excuser.

Certaines nous ont fait parvenir des messages ou des notes qui ont contribué à enrichir notre réflexion.

En particulier:

Mmes Claire Jourdan (Conseil de l'Ordre des avocats);

Catherine Kintzler (Collège international de philosophie);

MM. F. Audigier (Institut national de recherche pédagogique);

R. Barlier (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples);

L. Hamon;

G. Jacquet (Centre de formation des inspecteurs départementaux de l'Education nationale);

J. Mialet (Groupes Rencontres);

T J-M. Schleret (Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public [P.E.E.P.]);

le Général Schmidt (Centre d'études et de rapports sur la Défense).

Nous les remercions de cette collaboration.

Discours de synthèse de M. Robert Fabre, Médiateur de la République



Monsieur le Premier Ministre,

En saluant M. le Directeur de Cabinet représentant M. le Président de la République, je voudrais vous dire toute ma satisfaction et ma joie de votre présence, s'ajoutant à la participation, hier, de trois ministres de votre Gouvernement qui nous ont apporté des précisions, des mesures concrètes comme nous l'espérions. Je vous dis aussi, monsieur le Premier Ministre, ma gratitude pour l'accueil que vous m'avez réservé lorsque je suis venu vous rendre visite, en vous exposant l'idée que nous avions, d'abord dans les services du Médiateur, ensuite dans un petit groupe de travail, traduite par un rapport remis au mois de mai dernier au Président de la République. Cette idée de la relance de l'esprit civique, de la nécessité d'un retour à un certain nombre de valeurs immuables auxquelles nous sommes attachés, mais qui ont été un peu délaissées, vous l'avez aussitôt acceptée, vous l'avez faite vôtre. Dans diverses circonstances, officiellement et publiquement et même à la tribune de l'Assemblée nationale ou sur les médias, vous avez dit l'importance que vous y attachez. Alors, ce Colloque aujourd'hui, c'est pour nous une immense satisfaction, car c'est la traduction d'un espoir un peu fou, d'un pari que nous avions fait de faire revivre dans ce pays et, tout ce qui a été dit au cours de ces débats le prouve, l'opinion l'attend, l'attend profondément-, de faire revivre dans ce pays un espoir, un idéal.

Je devrais en ces instants tenter de faire une sorte de synthèse de ces travaux. Cela me semble un travail dépassant mes capacités, étant donné que les derniers intervenants viennent de s'exprimer à l'instant et qu'il y a un foisonnement d'idées, de propositions, de suggestions nouvelles qu'il est difficile de maîtriser. Seuls les actes du Colloque, qui figureront dans le rapport annuel du Médiateur au début de l'année prochaine, pourront nous permettre de relancer, de proposer, de transmettre également aux Pouvoirs publics ces multiples propositions, en vue de leur prise en considération.

Aujourd'hui. il faudrait plutôt tirer d'une manière plus générale, quelques enseignements de ce Colloque. Je commencerai par une sorte d'autocritique. Dans l'ignorance où j'étais moi-même des conditions d'organisation d'un Colloque et avec, sans doute, un peu trop de présomption, nous avons brûlé les étapes.

C'est encore une fois vers M. le Président du Conseil économique et social que je me tourne pour lui dire que sur le plan de l'organisation matérielle, de l'accueil, des moyens mis à notre disposition, c'est une grande facilité qui nous a été accordée.

Je crois que nous sentions -et cela a été exprimé par de nombreux intervenants – que l'heure était venue, qu'il y a dans l'opinion une grande aspiration à ce que l'on revienne à ces valeurs civiques que nous avons si largement évoquées. Mais nous avons été aussi victimes de notre propre succès, ayant sous-estimé l'importance de ce courant d'opinion. Les invitations que nous avons lancées n'ont pas eu le sort qu'elles ont souvent, à savoir d'être mises de côté ou même oubliées. On m'avait prédit qu'il fallait inviter cinquante personnes pour en avoir une. En réalité, ce sont à peu près deux sur trois qui sont venues. Nous avons donc eu un problème de places d'accueil, qu'heureusement ces locaux ont permis de résoudre. Mais hier, cent personnes à la séance de la Commission de l'Education, c'était, monsieur le Président Goguel et monsieur Nicolet, Rapporteur, difficile à maîtriser, et tout le monde n'a pas pu s'exprimer, comme nous l'aurions souhaité. Peut-être aurait-il fallu étaler ces débats sur deux ou trois jours pour que chacun puisse intervenir, mais je pense cependant que l'essentiel aura pu être dit.

Les tables rondes qui se sont tenues sur le thème du civisme avec un prisme différent selon qu'il s'est agi de communication d'éducation ou de formation ont, je crois, eu la résonance méritée et les suites escomptées. Des engagements ont été pris par le Gouvernement. L'exemple le plus frappant de cette réussite est la mesure annoncée à cette tribune par le Ministre de l'Education Nationale de l'insertion dans les programmes scolaires de l'instruction civique, dès la prochaine rentrée scolaire. Mais d'autres décisions, orientations ont été annoncées dans le domaine de la formation professionnelle, dans le domaine de l'audiovisuel, dont certaines sont déjà mises en oeuvre, comme les protocoles passés avec l'armée comme la régie de l'espace qu'a évoqué hier M. Fillioud. D'autres sont en cours de préparation. Je ne reviendrai pas dans le détail sur ces importantes déclarations ministérielles, dont les textes sont entre vos mains et ont été diffusés par la presse. Elles méritent d'être relues et elles feront sans nul doute l'objet de nouveaux débats entre les ministères concernés, les administrations, les syndicats, les associations au sujet des modalités d'application. Déjà, dans les commissions, ces décisions ont été largement commentées, mais ce n'est pas notre rôle d'ouvrir ici un tel débat en discutant des horaires de l'instruction civique ou de la qualification des professeurs qui seront chargés de cet enseignement. Cela est affaire de mesures d'application prises par le Gouvernement.

Ce que je note et qui mérite d'être souligné, c'est la large adhésion des participants à cette ligne de force qui est, au-delà du nécessaire point de départ qu'est l'instruction civique, la renaissance volontariste de l'esprit civique. Même si, comme le disait tout à l'heure M. Delmas, dans chaque Français, un citoyen sommeille, il faut l'éveiller, l'inciter à se révéler. Les craintes justifiées que nous pouvons avoir sur le comportement de trop de Français prouvent bien que ce réveil est indispensable.

Il faudra mettre en jeu des moyens très diversifiés. Non seulement les pouvoirs publics doivent s'y intéresser mais l'ensemble des organisations civiques et aussi les syndicats, et aussi les partis politiques dont la Constitution a précisé qu'ils devaient concourir à la formation des citoyens. Il faut aussi impliquer les élus locaux, les chefs d'entreprises, les enseignants, les parents.

Etre citoyen, assumer la responsabilité du citoyen, tel était bien l'objectif, l'ambition de cette rencontre. J'ai noté cette juste intervention d'un participant: c'est que si tout le monde est peu ou prou un consommateur, chacun, à coup sûr, est toujours, et toute sa vie, un citoyen.

Bien sûr, cette adhésion qui reflète l'aspiration populaire à un climat de paix civile assorti du respect des droits et des devoirs n'est pas toujours sans réserve et sans inquiétude. L'enthousiasme des uns est parfois freiné par le scepticisme de quelques autres et certains, malgré leur propre esprit civique, supputent les conséquences à leur niveau personnel des décisions prises, des engagements à prendre. Avec quelques craintes - c'est bien humain- de voir l'effort de responsabilité, de solidarité demandé à tous, retomber essentiellement sur quelques-uns.

C'est le plus petit nombre.

L'immense majorité des Français comme la grande majorité des participants à ce colloque attend au contraire qu'on les responsabilise, qu'on leur donne un but, qu'on donne à notre pays, à notre jeunesse, un idéal. Elle attend aussi que lui soit donné, à tous les échelons, certes, mais aussi au plus haut niveau, l'exemple de ce civisme que nous voulons promouvoir. Elle l'attend et nous l'attendons. Elle l'attend des enseignants, elle l'attend des parents, des administrations, des syndicats comme des chefs d'entreprises, mais elle l'attend essentiellement des responsables politiques. On ne peut pas dire qu'ils montrent toujours la voie de la courtoisie, du dialogue, de la concertation. On a parfois la fâcheuse impression, alors qu'ils oeuvrent, n'en doutons pas, et je veux en porter témoignage, ils oeuvrent tous en vue de l'intérêt supérieur du pays, qu'ils se laissent entraîner par l'intérêt partisan. La paix civique, la réconciliation des Français dans le nécessaire pluralisme démocratique des idées est largement entre leurs mains.

Résumons quelques-unes des idées lancées ici. Si je reprends les notes que j'ai prises à la volée ce matin lorsque l'on a parlé de l'éducation où les débats ont été extrêmement animés, c'est le problème des professeurs d'histoire qui auront principalement en charge cette éducation civique: c'est l'introduction du droit dans l'instruction civique; c'est le contenu de cette éducation civique. Car on a fait observer que l'esprit civique était l'affaire de tous et que l'on ne pouvait dissocier enseignement et comportement et cela dès le milieu scolaire. IL faut que les enfants se sentent participer eux-mêmes à la vie de l'école.

Ensuite, on a souligné la nécessité d'un lien entre l'école et la vie, axé sur l'actualité qui a besoin d'être connue et expliquée. On a souligné le rôle de la défense et le rôle de l'armée dans la nation. Je pense que le nécessaire retour à une notion de patriotisme bien compris est indispensable. Je pense, cela a été souligné tout à l'heure, en particulier par le Général Chavanat, que les relations entre l'armée, le monde du travail, l'Education nationale et l'ensemble de nos concitoyens doivent se développer pour que l'on connaisse mieux le rôle de la défense et que les Français comprennent mieux le rôle de l'armée dans la vie du pays.

Réconcilier l'individuel et le collectif, se mobiliser en faveur de l'éducation civique et ne pas oublier les interdépendances non seulement au niveau national, mais au niveau international On a rappelé la mondialité des problèmes et la nécessité d'avoir cette dimension internationale, voire planétaire. La nécessité de l'instruction civique n'est pas limitée à l'Hexagone.

Au niveau de la formation, d'après le rapport de M. Lucas, on a parlé des motivations du monde du travail. M. Delebarre s'est largement étendu sur ce thème et je n'ai pas à y revenir, les aspirations s'étant manifestées (car cette motivation n'existe pas dans tous les domaines), en priorité dans l'armée, dans la police. IL faut provoquer ces motivations dans d'autres secteurs, et on a proposé toute une série de solutions concrètes. On a rappelé que toutes les cellules sont concernées par la formation non seulement de l'enfant mais, tout au long de la vie de l'individu, du citoyen: la famille, l'école, mais aussi la commune, les élus locaux, départementaux, régionaux, mais également les métiers, les entreprises.

Il faut que l'école et que la formation s'ouvrent sur la vie. On a rappelé aussi qu'il fallait utiliser des matériaux simples et des langages compréhensibles, en particulier dans l'audiovisuel J'ai eu plaisir à entendre les condamnations qu'on a faites une fois de plus des sigles, des abréviations et des expressions trop techniques que seuls comprennent les spécialistes, et qui creusent de plus en plus un fossé entre le citoyen mal formé et mal informé et ceux qui détiennent le savoir. Parfois même un savoir restreint, limité à un certain nombre de connaissances tout à fait spécifiques.

Il faut croire à la formation civique. C'est une vocation, c'est une conviction. Cela ne s'impose pas, on l'a dit aussi avec force, en soulignant le rôle important des médias, de la presse. Ce rôle est évident, avec les moyens audiovisuels: cassettes, télévision, qui ne sont peut-être pas assez employés à l'école, mais également tout au long de la vie et même au niveau des adultes dans la formation et dans la reconversion professionnelle.

Enfin, au niveau de la communication, j'ai noté qu'il fallait faire régresser l'ignorance en matière de connaissances des institutions et du civisme. Je ne vais pas reprendre ici les différents exemples qui ont été donnés à la suite de sondages faits au hasard dans la rue où l'on s'aperçoit que nul ne sait faire pratiquement la différence entre un sénateur, un conseiller général, un député, voire un préfet. Il y a donc à combattre cette ignorance, et la presse a un rôle important à assumer. On a précisé qu'elle n'est pas un quatrième pouvoir mais qu'elle serait plutôt une sorte de contre-pouvoir. Cela veut dire que son devoir essentiel est d'informer et de ne pas cacher les choses, même si elles ne sont pas plaisantes, et de les porter à la connaissance du public.

Le problème de l'objectivité, si souvent débattu, ne peut pas être mis en cause. Il y a une éthique de l'informateur, du journaliste à laquelle nous nous garderons de toucher, et je serai le premier à respecter sa liberté. Mais souvent la mauvaise information vient d'une sous - information ou d'une insuffisance d'information.

Voulez-vous que j'en prenne un exemple ? Les médias se sont fait largement l'écho d'un certain nombre de mesures qui ont été prises et annoncées hier. Je n'ai pas écouté toutes les chaînes de télévision, toutes les radios mais d'après ce qui m'a été dit, s'il a bien été précisé qu'un certain nombre de mesures au niveau de l'éducation vont être prises, on n'a pas entendu parler des autres mesures proposées au niveau du travail et de l'emploi. Pas davantage la présence des ministres du travail et de la communication. Il me semble pourtant que cela - en particulier la communication - intéresse les moyens audiovisuels. De même, je n'ai pas entendu dire que ce colloque, que l'on a à peine cité à la télévision, se soit tenu dans ces lieux pourtant prestigieux du Conseil économique et social. Vous me permettrez d'ajouter - c'est une observation personnelle - que la télévision n'a pas cité le Médiateur comme organisateur de ce colloque.

Poursuivons sur l'information: former les journalistes à la connaissance des institutions par le système de l'immersion, dans les hôpitaux, au palais de justice et autres, c'est une excellente chose; informer des choses qui unissent et pas seulement de celles qui divisent; faire des programmes qui allient la formation civique au distractif puisqu'il ne faut pas que cela soit un repoussoir et que cela donne envie de tourner le bouton; utiliser l'actualité pour faire passer le message civique. Et puis, il y a eu un foisonnement de propositions: créer une fondation, créer peut-être une mission pour essayer de détecter les obstacles qui s'opposent au développement du civisme.

Tout cela est pris en compte. De même que le rôle de la vie associative, le rôle du Centre d'information civique. Tout doit être ici étudié, repris pour chercher à ces acquis du colloque des suites, les suites qu'il mérite parce que le retentissement dans l'opinion est grand et dans les semaines, les mois à venir, il faudra que le soufflé ne retombe pas. On a évoqué des expériences précédentes qui, pétries de bonnes intentions, s'étaient finalement heurtées à une assez grande indifférence de l'opinion et des pouvoirs publics.

Je pense que le climat dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui appelle qu'il y ait des suites, qu'il y ait des décisions. Monsieur le Premier ministre, votre présence prouve ainsi que les propositions qu'ont faites les différents ministres hier, que le Gouvernement va s'attacher à cette promotion du civisme dont il sait parfaitement qu'elle est à la base, c'est une idée que j'ai souvent exprimée, de tout redressement national qu'il soit économique, financier, social ou politique. C'est la clé de notre redressement national. Alors les propositions vont rester, non pas en suspens, non pas " à l'étude ", non pas renvoyées à des commissions; mais assurées de suites concrètes. Pour ma part, je m'y attacherai et je pense que le Gouvernement va s'y attacher aussi.

Il faut que l'opinion, que nous avons alertée, ne se contente pas d'une attention passagère et que les médias qui, par essence, sont tournés vers l'actualité, vers l'événement quotidien, manifestent un intérêt soutenu pour ce qui est un élément essentiel du redressement national. Je crois qu'il y a déjà des acquis irréversibles. Il y avait des tabous. A la levée de certains tabous en matière de moeurs, devrait correspondre la levée de certains interdits, frappant par je ne sais quel dérisoire respect humain certaines valeurs immuables pourtant de notre civilisation.

A partir d'aujourd'hui, dans le langage courant, les journalistes, les hommes politiques, les enseignants et les parents pourront, sans faire sourire, prononcer à nouveau des mots tels que civisme, morale, tolérance, devoir, responsabilité, patriotisme, humanisme et fraternité, dont le contenu aura été défini par nos travaux et la valeur reconnue.

La formule inscrite au frontispice de nos édifices nationaux "liberté, égalité, fraternité ", on n'osait plus l'évoquer. Elle va retrouver toute sa valeur. Demain, chaque citoyen va devenir comptable de ses actes, non seulement envers les autres, mais envers lui-même. L'autodiscipline, basée sur l'altruisme et la foi dans les destinées de notre Pays, devant nous éviter tous systèmes excessivement répressifs, ce qui ne signifie pas remplacer la fermeté du pouvoir par un angélisme aveugle. Demain, chacun acceptera d'assumer ses responsabilités. Même, j'espère qu'il les revendiquera. Au désintérêt, au désenchantement actuel, doit se substituer le volontarisme politique. Ah ! j'ai lâché le mot " politique ". Oui, il ne faut pas hésiter à employer ce mot dans l'acception noble du terme. La politique n'est pas le domaine réservé de quelques professionnels, c'est l'affaire de chaque citoyen. On ne vote pas une fois tous les cinq ans ou tous les six ans en se désintéressant ensuite et en attendant la prochaine échéance électorale. On est citoyen toute sa vie. Aristote le disait déjà: " Tout est politique, il n'est de pire politique que le refus de la politique. " Engageons nous donc, chacun dans sa sphère d'action, chacun avec ses moyens, avec son influence, dans la vie de la nation qui a besoin à la fois de l'effort individuel et de l'effort collectif.

C'est notre devoir autant que notre droit, car faut-il le rappeler avec Auguste Comte: " Nul ne possède d'autre droit que celui de, toujours faire son devoir. "

Discours de clôture de M. Laurent Fabius, Premier Ministre



Mesdames, Messieurs,

Au moment de clore ce colloque, je veux d'abord vous féliciter du travail accompli. Ce colloque était une bonne idée. Que M. Robert Fabre en soit le premier remercié, lui qui dans sa tâche de Médiateur rencontre, plus que d'autres, les obstacles dressés sur la voie d'une nécessaire bonne entente entre l'Etat et les citoyens. Et c'était une excellente idée de le tenir ici, tant le Conseil économique et social est par sa composition et son action le creuset, le lieu des forces qui peuvent concourir activement au civisme.

Ce colloque me semble utile, parce qu'il est concret. Vous avez cherché à définir des moyens d'action efficaces. Vous avez choisi d'aider les Français à " être citoyen " et pour cela vous avez pris le problème à ses racines, en proposant de créer une instruction civique, de former des adultes qui le souhaiteront à mieux participer à la vie collective, de tirer le meilleur parti des nouvelles techniques de communication afin de faire progresser notre démocratie. Le Gouvernement tirera les leçons pratiques de vos travaux.

Sans revenir sur beaucoup de choses importantes qui ont été dites, communication/travail et emploi, je souhaite présenter à votre réflexion deux courtes observations.

Mesdames et Messieurs,

Nous devons développer le civisme pour renforcer notre démocratie.

Si nous laissions perdre la mémoire de notre histoire, si nous laissions perdre la mémoire des actions par lesquelles nos institutions sont devenues démocratiques, c'est notre liberté que d'une certaine façon nous menacerions.

Les générations qui arriveront à l'âge d'homme d'ici à l'an 2000 n'auront participé – heureusement -, à la différence de nos pères, à aucun combat armé contre le fascisme, contre le nazisme ou contre le racisme. Or sans la mémoire de ce qui fait l'âme de la France, comment s'opposeront-elles aux forces - l'intolérance ou même de l'oppression ? La France doit don' défendre sa mémoire si elle veut étendre ses libertés. D'où la. nécessité absolue d'un bon enseignement de l'histoire, et les mesures prises en ce sens me paraissent judicieuses.

Mais cela n'est pas suffisant. Vous avez évoqué l'instruction civique. Ce ne sont plus des propositions, ce sont désormais des décisions. En relation avec le Ministre de l'Education nationale, j'ai décidé de développer l'instruction civique dans l'enseignement. Dès la prochaine rentrée, après les concertations nécessaires, notamment avec le corps enseignant, tous les élèves de l'école élémentaire recevront une heure d'instruction civique. L'année suivante, cet enseignement sera établi dans les classes de 6e. D'année en année, il ira en progressant. En 1989 tous les niveaux d'enseignement, de l'école élémentaire aux classes de 3e des collèges et des L.E.P., devront bénéficier d'une heure d'enseignement. Dans les lycées, les enseignements de philosophie et de français comprendront, dans leur contenu, des thèmes contribuant à la formation de l'esprit civique.

Cette décision devrait concourir à développer notre démocratie. Car il nous faut une démocratie vivante, à la recherche des espaces nouveaux de la liberté. Une démocratie qui protège les minorités, qui reconnaisse les différences, qui s'étende au monde du travail, qui renforce l'initiative, qui encourage le mouvement associatif, qui donne à l'information sa transparence... bref, une démocratie qui continue de se perfectionner. Pour cela les citoyens doivent savoir ce que sont les fondements de la société. On ne peut vouloir plus de démocratie et perdre le mode d'emploi de la démocratie.

Moderniser l'Etat.

Ma seconde réflexion touche à la modernisation de l'Etat. Nous devons adapter l'Etat aux changements de la vie économique et sociale.

Le Gouvernement a pris des initiatives nombreuses pour que les citoyens bénéficient mieux de leurs droits. La décentralisation, la démocratisation du secteur public, les élections directes aux organismes de Sécurité sociale, tout cela trouvera sa plénitude à mesure que les citoyens en auront plus d'expérience. Un champ nouveau nous est ouvert: l'efficacité accrue de l'administration grâce aux technologies nouvelles, notamment la télématique. Cela va bouleverser les relations entre le service public et ses usagers. D'ores et déjà, le citoyen peut mieux utiliser l'administration grâce à l'informatique qui doit l'aider dans la réglementation et dans la connaissance de ses droits. En même temps, grâce à l'action de la Commission nationale Informatique et Libertés, il est protégé des effets pervers que pourrait avoir un usage malveillant des moyens modernes d'information. Ces efforts seront poursuivis.

La modernisation de l'administration, c'est aussi très concrètement la simplification des formalités, comme on doit la conduire de plus en plus, par exemple à la Sécurité sociale, ou la plus grande disponibilité des fonctionnaires, comme on le verra avec l'informatisation des commissariats de police. Car la modernité ne doit pas s'arrêter aux portes de l'administration.

Cette mutation vers un Etat vraiment moderne est en fait très délicate. Il ne saurait être question d'aller vers elle en rompant les amarres avec l'histoire de nos institutions. Pas question donc d'affaiblir la France en démantelant l'Etat, sous prétexte que c'est à la mode et qu'il y a d'autres pays où des fonctions de service public relèvent d'initiatives privées. L'Etat en France est une construction des siècles, qui se situe au-delà des clivages partisans. Aussi quand je vois se développer les débats, empruntés à l'étranger, par exemple sur le libéralisme sauvage, je me dis parfois qu'on veut nous enfermer dans de fausses contradictions qui n'appartiennent ni à notre histoire, ni à notre identité. Ce que nous devons faire, ce n'est donc pas démanteler ni la protection sociale, ni l'Etat, ce n'est pas restaurer les inégalités, ce n'est pas renoncer à planifier notre développement, c'est simplifier et améliorer l'Etat. Je ne suis pas de ceux qui veulent de l'Etat partout. Ni de ceux, plus à la mode, qui ne veulent de l'Etat nulle part. Je souhaite un Etat moderne, c'est-à-dire l'Etat sans la bureaucratie. La tâche de simplification administrative est donc une des plus importantes de mon Gouvernement, parce qu'elle touche le citoyen au quotidien.

Mesdames et Messieurs,

" Etre citoyen ", tel est le thème que vous avez choisi. C'est une notion qui, à tort, pourrait apparaître à certains comme vieillotte, alors qu'elle est au coeur même de la modernité parce qu'elle permet d'établir le lien et l'équilibre entre les valeurs individuelles et les valeurs collectives, entre les convictions qui sont légitimes et l'ouverture, la tolérance qui sont des nécessités absolues. J'y ajouterai, puisque nous parlons de civisme, deux autres notions essentielles.

La République d'abord, qui n'est la propriété de personne et dont il ne faut pas tronquer la devise: la Liberté, oui; et aussi l'Egalité; et aussi la Fraternité.

Et puis, la Patrie. Oui, je le reconnais, j'aime ce mot et ce qu'il contient, non par réflexe nationaliste, non comme une invocation pour discours dominicaux, mais parce que je ressens comme vous un amour profond pour elle, parce que la France est un pays magnifique, généreux, courageux, un des quelques pays du monde dont le message va bien au-delà de lui-même et non un ectoplasme fatigué dont certains semblent savourer les difficultés.

Mesdames et messieurs, nous vivons bien plus qu'une crise, nous vivons une mutation du monde. Cette mutation a des aspects moraux importants. La France n'y échappe pas. Mais, dans cette mutation qui exige un langage de vérité, les Français, créateurs, compétiteurs, s'ils sont bien formés, bien éduqués, ouverts à cet impératif qu'est l'Europe, portant partout les droits de l'homme, les Français disposent de réels atouts. A condition, bien sûr, que nous croyions d'abord en nous-mêmes et dans notre pays. C'est cela, à mon sens, d'abord, " être citoyen ".

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