Année 1982


QUELQUES CAS SIGNIFICATIFS



Toute administration doit tracer sa route entre deux écueils : l'excès de rigidité et l'excès de complaisance, la bureaucratie et le laxisme. Le Médiateur, de par sa fonction, et sans qu'il méconnaisse le risque du laxisme, n'a, sauf exception, à se préoccuper que de l'excès de rigidité. Il doit lutter contre celui-ci à l'occasion d'affaires qui mettent en évidence cette forme particulière de dysfonctionnement contraire à la finalité du service public. Mais il doit aussi s'efforcer de comprendre les causes des rigidités puisque cette compréhension est la condition de la recherche d'une meilleure adaptation du service public aux attentes légitimes du corps social.

Comprendre c'est d'abord écarter les explications trop simples. L'excès de rigidité ne résulte que bien rarement d'une volonté de brimade à l'égard de l'administré qui serait considéré non comme un citoyen, mais comme le sujet d'un Etat omnipotent et omniscient, comme un assujetti redevable devant se soumettre par principe aux organes réputés infaillibles de cet Etat. Des cas de rigidité autocratique se présentent parfois, mais ce sont des cas isolés qui ne doivent pas conduire à une conception manichéenne opposant une administration intrinsèquement perverse à un administré constamment pourchassé et dont les réclamations seraient toujours justifiées.

Le peuple français est un des peuples les plus allergiques à l'arbitraire et la France est un des plus anciens Etats de droit du monde. Son histoire comporte une composante essentielle : celle d'une lutte séculaire contre les excès de tout pouvoir, notamment du pouvoir des bureaux. Un système juridictionnel ancien et éprouvé, mis en place par l'Etat lui-même, offre de sérieuses garanties de protection du citoyen contre les abus de l'administration. Enfin la création, il y a maintenant dix ans, de l'institution du Médiateur a procédé de la volonté de renforcer encore ces garanties et de protéger le citoyen non seulement contre l'irrégularité mais, par-delà, contre l'iniquité (La langue française possède l'adjectif inéquitable mais pas le substantif inéquité. Peut-être faudrait-il créer ce néologisme, de telle façon que le couple inéquitable-inéquité existe en regard de couple inique-iniquité. Celui-ci a, en effet, une connotation très péjorative d'arbitraire odieux que n'a pas le premier. Or si les décisions de l'administration sont parfois inéquitables, elles sont très rarement iniques. On devrait donc pouvoir la taxer, suivant le cas, tantôt (parfois) d'inéquité, et tantôt (très rarement) d'iniquité) fut-elle régulière au regard des textes.

En ces dix années, l'action patiente du Médiateur a permis d'amorcer un début de transformation des comportements administratifs en aidant à la prise de conscience du caractère excessif de certaines rigidités. L'administration commence à assouplir certaines de ses procédures et à doser certains de ses procédés. Elle commence à mettre plus de nuance dans son action et plus d'humanité dans son style de relations avec les administrés. Mais cette évolution n'est encore qu'ébauchée et l'on est loin d'une situation idéale que l'on n'atteindra d'ailleurs jamais, car l'administration, institution humaine n'éliminera jamais complètement de ses organes l'erreur, l'oubli, l'insuffisance de précision ou de prévision, l'effet pervers, l'aléatoire et l'impondérable.

Rigidité et pénurie : les lenteurs du cadastre.


Il faut d'abord, en toute justice souligner que toutes les rigidités administratives ne sont pas à mettre au compte des comportements. Voici, à titre d'exemple un cas assurément déplorable mais qu'il faut pourtant se garder de juger sommairement.

M. C... (dossier 82-0465), habitant la région parisienne, vend en 1978 la totalité des propriétés qu'il possède à G... dans le Midi. Or, en 1980, les services fiscaux lui réclament les taxes foncières afférentes à ces propriétés ; malgré ses réclamations, la taxe est à nouveau exigée en 1981 avec toujours le même motif : M. C... est toujours porté propriétaire sur les documents cadastraux.

Le Médiateur intervient auprès de la direction départementale des services fiscaux. L'enquête, reconnaît que M. C... a été imposé à tort sur les propriétés vendues en 1978. Elle révèle même qu'il a été imposé en 1976 pour un appartement qui ne lui a jamais appartenu ! Le dégrèvement est prononcé et une régularisation définitive est opérée, les cotisations étant transférées par voie de mutation de cote au véritable redevable. On comprend la satisfaction de M. C... qui écrivait au Médiateur, le 20 septembre 1982 : " Grâce à vous, j'ai pu connaître la fin de tracasseries fortes déplaisantes. J'ai compris aussi combien votre mission est utile et combien l'on se sent moins seul avec votre présence ".

Au-delà de l'indignation que peut susciter cette affaire, il convient de voir que la cause initiale en est l'insuffisance grave des moyens en personnel et matériel qui affecte les services du cadastre. Dans ce cas, la rigidité observée est une rigidité de pénurie, les moyens de l'administration ne pouvant suivre la montée en complexité des réalités sociales et de la réglementation qui s'efforce de les enserrer.

Les silences de l'hôpital.


Il est tout à fait normal, il est même hautement souhaitable que l'administration défende les deniers publics contre toute demande abusive. Mais il n'est pas normal qu'elle les défende contre toutes demande avec un esprit de pure et simple négation. L'administration n'est pas une entreprise à but lucratif qui devrait placer au-dessus de toute considération son résultat financier. Toute administration, tout service public détient une parcelle de l'autorité étatique et, par conséquent, une parcelle des devoirs qui sont la contrepartie de cette autorité. L'usager d'un service public est plus qu'un simple client commercial et les litiges qui peuvent naître entre l'un et l'autre ne doivent pas tourner automatiquement au duel judiciaire le plus âpre.

Le 11 février 1980, Mme B... (dossier 81-4996) âgée de 57 ans, hospitalisée à la suite d'un accident au centre de rééducation de l'hôpital de L.... était victime, lors d'un déplacement nécessaire (elle se rendait à la salle de déjeuner), de la fermeture brusque de l'ascenseur. Ce nouvel accident entraînait pour Mme B... des séquelles corporelles avec incapacité permanente partielle et une incidence professionnelle (perte de l'emploi).

Dans une affaire de ce genre, il est difficile d'exclure a priori la responsabilité de l'établissement. Un règlement amiable qui était préconisé par le Médiateur aurait constitué sans doute la solution la plus simple et la plus humaine.

L'hôpital, sans s'arrêter à examiner réellement cette possibilité, a préféré transférer le problème à sa compagnie d'assurances. Le directeur n'a estimé devoir répondre ni aux lettres que Mme B... lui a adressées en 1981, ni à celles que le Médiateur lui a adressées en 1982. Les lettres du Médiateur ont été t transmises à la compagnie d'assurances. Celle-ci, société privée, au Médiateur à la place de l'hôpital, service public, s'est bernée à nier, dans l'accident en cause, la responsabilité de celui-ci.

Face à une telle attitude Mme B... s'est vue contrainte d'intenter, le 16 juillet 1982, devant le tribunal administratif, un recours en indemnité contre l'hôpital. Or, le 10 décembre 1982, soit près de cinq mois après le dépôt de ce recours, une vérification a permis de constater que l'avocat de l'hôpital n'avait pas encore remis ses conclusions au tribunal.

Sans préjuger la décision que prendra ce dernier le Médiateur estime que l'hôpital de L... ne paraît pas conscient de ses obligations de service public et que son système d'esquives, de silences, et d'atermoiements, forme voilée de rigidité oppositionnelle, n'est pas compatible avec la dignité de ce service.

Il est difficile de se déjuger.


L'administration n'a pas toujours l'excuse de l'insuffisance des moyens. Il n'est pas niable qu'il existe des cas au sujet desquels on peut difficilement se défendre d'un soupçon : celui que la persévérance dans le refus ou l'inertie obstructionniste, relève moins du zèle à préserver l'intérêt général que de l'opiniâtreté à maintenir la position adoptée initialement. L'administration n'aime guère à se déjuger et serait volontiers tentée de revêtir ses décisions d'une sorte d'autorité de la chose décidée. Les racines de cette attitude sont peut-être dans le sentiment que toutes les fois que l'administration se déjuge, l'autorité et le prestige de l'Etat s'effritent. Mais l'autorité et le prestige de l'Etat s'effritent autant sinon plus lorsqu'un administré est victime d'un entêtement administratif dans l'erreur, l'injustice, l'iniquité ou l'absurdité.

Histoire de deux courts de tennis.



Cet entêtement est peut-être plus troublant lorsqu'il émane d'autorités ou de services publics de niveau purement local. On peut alors se demander si le comportement de ces micros pouvoirs n'est pas inspiré tout autant par le désir de rejeter la tutelle de l'Etat, défenseur des principes généraux du droit, que par celui de refouler les demandes justifiées mais onéreuses, contraignantes ou irritantes des administrés.

Voici, en exemple, une affaire remarquable par la constance avec laquelle le maire d'une petite commune s'est opposé, même après avoir été désavoué par des jugements répétés du tribunal administratif, à un projet pourtant fort modeste et n'hypothéquant nullement l'avenir du site : l'aménagement de deux courts de tennis non couverts et non ouverts au public.

Une société civile immobilière (dossier 80-5564) ayant entrepris les travaux le 23 octobre 1979, le maire de la commune de F... prenait, le 27 octobre, un arrêté interruptif de ces travaux. Un recours de la société devant le tribunal administratif entraînait, par jugement du 17 avril 1980, l'annulation de l'arrêté. Les travaux pouvaient donc redémarrer.

Mais le 15 octobre, le maire prenait un nouvel arrêté interruptif. Nouveau recours et nouvelle annulation par le tribunal administratif qui relevait dans les attendus de l'arrêté municipal des erreurs de droit et, de surcroît, des erreurs de fait constatées par huissier.

En dépit de ce second jugement, le maire de F..., les travaux ayant repris, prenait le 24 septembre 1981 un troisième arrêté interruptif. Parallèlement, il introduisait un recours devant le Conseil d'Etat, en appel du deuxième jugement du tribunal administratif qui avait annulé, pour défaut de base légale et erreur matérielle, l'arrêté municipal du 15 octobre 1980.

La situation se compliquait encore du fait que, le 21 décembre 1981, la préfecture (sans doute sur la suggestion du maire) lançait une enquête visant à déclarer d'utilité publique le terrain litigieux en vue de la réalisation d'une réserve foncière.

Fort heureusement, l'administration nommait un commissaire enquêteur chargé de clarifier cette affaire qui n'avait cessé de s'obscurcir en s'alourdissant. Celui-ci concluait son rapport par un avis défavorable à la création de la réserve foncière.

Le 7 septembre 1982, le ministre de l'Urbanisme et du logement faisait savoir au Médiateur qu'il adoptait les conclusions du commissaire enquêteur. Et le préfet, en vertu des pouvoirs hiérarchiques que lui confère l'article L 122.28 du code des communes, rapportait par arrêté préfectoral l'arrêté municipal du 24 septembre 1981. Il en informait le tribunal administratif et mettait ainsi fin à la phase juridictionnelle.

L'affaire se dénouait et une guérilla administrative de trois années s'achevait enfin, bien trop longue (surtout si l'on considère l'objet du litige), mais qui aurait été vraisemblablement encore plus longue si le Médiateur n'avait pas multiplié ses interventions auprès des pouvoirs publics. Les deux courts de tennis de F... seront opérationnels au bout de trois ans. A titre de comparaison, rappelons qu'il n'a fallu que 26 mois pour construire la tour Eiffel.

Refus de réparer un préjudice moral : caisse primaire contre chirurgien-dentiste.


Tout organe administratif et, plus généralement, tout organisme investit d'une mission de service public est investi de ce fait, d'une part de la mission de sauvegarde du droit dans un esprit d'équité qui incombe à l'autorité étatique. Il en résulte qu'il a le devoir de réparer tout préjudice découlant directement de ses fautes de fonctionnement. Cela s'entend aussi bien du préjudice moral que du préjudice matériel.

M. K... (dossier 80-0399), chirurgien-dentiste à B... pratiquait certains soins relevant d'une technique particulière dite inlay et inlay core. Ces soins, en vertu d'un accord passé le 10 novembre 1976 entre la caisse primaire de sécurité sociale et la section départementale de la fédération des chirurgiens-dentistes, pouvaient donner lieu à des dépassements d'honoraires.

Cependant en 1980, sur la base d'informations fournies oralement par le contrôle dentaire, le sous-directeur de la caisse, supposant, par ignorance de l'accord de 1976, que les dépassements d'honoraires pratiqués par M. K... étaient irréguliers, décidait de faire effectuer des enquêtes auprès des patients sur la feuille de soins desquels ces dépassements avaient été constatés.

Ces enquêtes au domicile des patients paraissent avoir été menées avec maladresse et avoir jeté une suspicion illégitime sur le praticien visé. Un de ces patients au moins devait d'ailleurs, à partir de ce moment, cesser de se faire soigner par M. K...

A la suite de la compréhensible protestation du praticien, la caisse reconnaissait par écrit son erreur. M. K... demandait alors qu'en réparation du préjudice moral qu'il avait subi, la caisse adresse une lettre explicative aux assurés ayant reçu la visite des enquêteurs. Le Médiateur avait appuyé cette demande de M. K...

Le président du conseil d'administration de la caisse devait néanmoins opposer un refus d'ailleurs sommairement motivé : " La caisse n'entend pas s'immiscer dans les rapports entre ce praticien et ses clients. Si l'un des assurés concernés par cette enquête a cru devoir interrompre les soins qui lui étaient dispensés par M. K... c'est pour des raisons qui n'ont rien à voir avec notre intervention. Pour ma part je considère cette affaire comme classée. "

Pour sa part, le Médiateur, ne considérant pas cette affaire réglée en équité et constatant le refus intransigeant de la caisse, a écrit au parlementaire intervenant qu'il autorisait M. K... à utiliser, pour rétablir la vérité des faits, la correspondance échangée avec lui, notamment en portant celle-ci à la connaissance des patients concernés.

Refus implicite de régulariser juridiquement une décision techniqueune affaire de circonscription de taxe téléphonique.


Il arrive que l'administration, par une bizarre inertie, entretienne une situation où l'administré n'a d'autre ressource pour faire valoir ses droits que de recourir périodiquement à la justice.

En vertu de l'article D. 289, alinéa 3, du code des postes et télécommunications, les limites de chaque circonscription de taxe téléphonique sont fixées par arrêté ministériel. Toutefois, eu égard à la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les abonnés, le rattachement d'un poste à une circonscription peut également être modifié par accord entre les parties.

Mme J... (dossier 80-0853) demeurant au chef-lieu du département possède à l'extrême Nord de celui-ci une résidence secondaire sur le territoire de la commune de C... Jusqu'à l'été 1972, la ligne téléphonique desservant cette résidence secondaire était raccordée au central de V... dans le même département. Mais en septembre 1972, sans que l'administration puisse se fonder soit sur une décision ministérielle soit sur un accord passé avec l'intéressée, la ligne était rattachée au central de M... situé dans le département voisin.

Il en est résulté que les appels que Mme J... donne de sa résidence principale à sa résidence secondaire (ou vice-versa) sont surtaxés, bien que ces deux résidences soient situées dans le même département. De même les appels donnés de sa résidence secondaire de C... à ses correspondants dont la plupart se trouvent dans le même arrondissement, voire le même canton que C..., mais dans une autre circonscription de taxe.

Mme J..., estimant que le rattachement au central de M... était irrégulier au regard de l'article D. 289 du code des postes et télécommunications, décidait d'intenter un recours.

Le litige ayant été porté devant le tribunal administratif, celui-ci, par jugement du 24 juin 1976, donnait raison à Mme J... et condamnait l'Etat à compenser le préjudice pour la période écoulée entre septembre 1972 et juin 1976.

Le ministre des P.T.T. ayant fait appel devant le Conseil d'Etat, la haute juridiction administrative, par un arrêt du 1er juin 1979, confirmait le jugement.

Mais le préjudice courait toujours. Si bien que le 18 janvier 1980 Mme J... demandait au chef de centre téléphonique de M... le remboursement des surtaxes résultant du rattachement (toujours irrégulier) du poste de sa résidence secondaire à ce centre. Demande rejetée le 21 février 1980, d'où nouveau recours devant le tribunal administratif et nouveau jugement toujours favorable à Mme J... qui se voyait accorder une nouvelle indemnité en réparation du préjudice subi depuis juin 1976.

Ce jugement en date du 25 mai 1982 reprenait dans ses attendus la constatation que l'administration n'était toujours pas en mesure de justifier soit d'une autorisation ministérielle, soit de l'accord de l'intéressée.

Ainsi de 1972 à 1982, l'administration a négligé de prendre - à défaut d'obtenir l'accord de l'intéressée qu'elle n'a d'ailleurs pas sollicité - la mesure administrative juridiquement indispensable autorisant le rattachement au central de M... Cette mesure ne doit d'ailleurs pas être considérée comme une banale formalité car si l'on extrapole à partir du cas de Mme J..., on entrevoit le danger que les limites de circonscription qui ont une incidence financière sur les dépenses des abonnés soient un jour définies, puis modifiées par de simples instructions techniques.

On n'ose croire que dans ce genre de problèmes, l'administration mise délibérément sur la résignation passive des abonnés et qu'elle enregistre celle-ci comme l'équivalent de l'accord formel exigé, à défaut de décision ministérielle, par le code des postes et télécommunications. Cette rigidité par inertie est non seulement regrettable sur le plan des principes mais coûteuse pour la collectivité puisqu'elle mène à encombrer inutilement les rôles des juridictions.

Dans le cas de Mme J..., le Médiateur a obtenu du ministre des P.T.T., le 14 octobre 1982, l'assurance que cette affaire ferait l'objet d'un examen très attentif

Les dangers de l'hyper-réglementation : une affaire de transport en ambulance


S'il y a en France un problème d'évasion fiscale, le contribuable récalcitrant s'abritant derrière des dissimulations, il y a aussi un problème d'évasion administrative l'administration qui veut fuir ses responsabilités s'abritant derrière des textes et des interprétations de textes.

A la fin de l'été 1980, Mme B... (dossier 82-1828) demande à sa caisse le remboursement de frais de transport en ambulance exposés dans les conditions suivantes : Mme B..., séjournant hors de son département de résidence, était enceinte et sa grossesse se présentait comme très difficile (l'accouchement aura lieu à six mois et demi). Alitée dès le deuxième mois sur prescription médicale très stricte, elle ne pouvait se déplacer qu'en position couchée. Or son état exigeait des examens (caryotype, amniocentèse) qui ne peuvent se pratiquer que dans des centres spécialement équipés. Les centres les plus proches étaient, pour le premier examen à une trentaine, pour le second à une centaine de kilomètres.

Le 18 septembre 1980, la demande de remboursement des frais d'ambulance faisait pourtant l'objet d'un rejet administratif de la part de la caisse. La commission de recours gracieux confirmait le rejet le 28 avril 1981 (décision notifiée le 26 juin 1981).

Mais le jugement de la commission de première instance en date du 2 février 1982 était en revanche favorable à la requérante. La caisse régionale de sécurité sociale a alors décidé de faire appel du jugement.

Le problème posé par le cas de Mme B... n'est pas nouveau. Son origine remonte à près de trente ans par suite d'une contradiction de textes passés en malformation chronique.

En effet :

- L'article L 283 du code de la sécurité sociale dispose que " l'assurance maladie comporte la couverture des frais de médecine générale et spéciale... des frais de soins... et des frais de transport ".

- Un arrêté ministériel postérieur, daté du 2 septembre 1955, énumère les cas (ou des cas ?) ouvrant droit au remboursement des frais de transport (éventuellement en automobile) exposés par les assurés sociaux.

Ce dernier texte peut être interprété comme précisant certains cas ouvrant, en tout état de cause, le droit au remboursement. Cet arrêté est alors complémentaire de l'article L 283. Ou bien il peut être interprété comme énumérant les seuls cas ouvrant droit au remboursement. Il est alors limitatif, restreignant la portée de l'article L 283. Seulement cette deuxième interprétation n'est pas acceptable juridiquement car un arrêté n'a pas le pouvoir de limiter la portée d'une loi.

Ajoutons, sur le simple plan pratique, qu'on pourrait s'étonner que cet arrêté, interprété strictement, puisse exclure un cas médical d'une gravité aussi manifeste que le cas Mme B...

Il est évident que le ministère de tutelle a nourri en 1955 des craintes sérieuses, quant à l'abus que les assurés pourraient faire de l'article L 283. Mais il est conforme aux principes juridiques les mieux établis, d'une part qu'un droit ne s'étend pas au-delà de son usage raisonnable, d'autre part, en corollaire, qu'il ne doit pas être arbitrairement dénié pour le seul motif que son exercice serait susceptible de donner lieu à des abus.

La Cour de Cassation, dans des affaires similaires, a estimé que l'arrêté du 2 septembre 1955 ne faisait pas obstacle au remboursement des frais de transport sanitaire dès lors qu'ils sont indispensables et médicalement justifiés. Avec l'énoncé de cette double condition, la Cour ne restreint pas la portée de la loi. Elle rappelle seulement l'esprit de celle-ci (qui est l'esprit de toutes les lois) et, ce faisant, elle détruit l'objection selon laquelle son application ouvrirait la porte à tous les abus. Par ailleurs, le Conseil d'Etat, dans un avis daté du 23 octobre 1969, a, lui aussi, mis en cause la légalité de l'arrêté du 2 septembre 1955.

Seul le législateur, s'il l'estime souhaitable, peut par une nouvelle loi modifiant l'article L 283, limiter les cas de remboursement des frais de transport. Mais cette limitation ne peut être opérée par un arrêté en vertu du principe de la hiérarchie des actes administratifs.

Dans ces conditions il est assez surprenant qu'en réponse à l'intervention du Médiateur, le ministère ait, à l'occasion de l'affaire de Mme B..., reconnu le caractère constant en la matière de la jurisprudence de la Cour de Cassation, mais qu'il ait pu, en même temps, estimer que " la Cour de Cassation se fondant sur l'article L 283 du code de la sécurité sociale adopte une position très souple sans dégager des critères précis et objectifs du remboursement des frais de déplacement. C'est pourquoi l'administration ne saurait s'en trouver liée ".

Or, encore une fois, ce n'est pas à la Cour de Cassation à préciser ces critères. C'est au législateur et à lui seul si, par précision des critères, on entend restriction du champ d'application.

En outre, l'exemple de Mme B... prouve qu'il faut se méfier de toute forme d'hyper-réglementation. En effet, l'arrêté du 2 septembre 1955, jugé maintes fois illégal, a été, au surplus, manifestement incapable de prévoir, par une énumération exhaustive, tous les cas indispensables et médicalement justifiés. Dans une matière aussi complexe, seul le contrôle médical jugeant cas par cas peut réellement discriminer. L'hyper-réglementation qui a pour ambition de supprimer l'arbitraire des jugements humains finit par lui substituer un autre arbitraire : celui qui naît du hasard des énumérations incomplètes.

Enfin, l'affaire de Mme B... est l'occasion de rappeler que l'ensemble des dispositions légales doit être cohérent et qu'il n'est pas normal qu'une contradiction de textes ait pu se perpétuer pendant près de trente ans sans qu'il y soit remédié. Il y a là une de ces fissures par lesquelles se perd un peu chaque jour de l'autorité des lois et de la vigueur des libertés publiques.

Autre exemple d'hyper-réglementation :
un parent isolé peut-il n'être ni une personne isolée ni une personne devenue isolée ?


Mme G... (dossier 81-4907), de santé très fragile, vivait depuis longtemps avec son fils (enfant naturel non reconnu) sous le toit de son frère. Celui-ci, artisan électricien, assurait leur existence. Malheureusement il décédait en 1981, laissant sa soeur et son neveu dans le plus grand dénuement.

L'assistante sociale du service social de l'Enfance demandait alors pour Mme G... le bénéfice de l'allocation de parent isolé prévue à l'article L 543-10 du code de la sécurité sociale (article issu de la loi no 76-617 du 9 juillet 1976).

Cet article L 543-10 dispose dans son paragraphe premier que " toute personne isolée résidant en France, exerçant ou non une activité professionnelle et assumant seule la charge d'un ou de plusieurs enfants, bénéficie d'un revenu familial dont le montant... etc... Il lui est attribué, à cet effet, une allocation dite allocation de parent isolé égale à... etc ".

L'article L 543-11 précise : " Sont considérées comme personnes isolées, pour l'application de l'article L 543-10 du présent code, les personnes veuves, divorcées, séparées, abandonnées ou célibataires qui assument seules la charge effective et permanente d'un ou plusieurs enfants résidant en France, ainsi que les femmes seules en état de grossesse ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux prévus par la loi ".

Il n'était pas niable que, selon la loi, Mme G... était en droit de bénéficier de cette allocation.

Pourtant, dans une première phase, la caisse d'allocations familiales devait rejeter sa demande en se fondant sur le décret d'application (décret no 76-893 du 28 septembre 1976) qui dit dans son article 4 : " Le droit à l'allocation de parent isolé est ouvert :

- soit à la date à laquelle une personne isolée commence à assumer la charge effective et permanente d'un enfant ou, pour les femmes enceintes à la date de la déclaration de grossesse prévue à l'article L 516 du code de la sécurité sociale.

- soit à la date à laquelle une personne ayant un ou plusieurs enfants doit, du fait qu'elle devient isolée, en assumer désormais la charge effective et permanente. Cette date est, selon le cas, celle du décès du conjoint ou du concubin, celle de l'acte judiciaire autorisant la séparation ou celle à partir de laquelle les époux ou concubins se sont séparés ".

Le refus de la caisse se fondait sur une argumentation que l'on peut reconstituer ainsi :

1. Le droit à l'allocation est ouvert soit aux personnes isolées soit aux personnes qui deviennent isolées.

2. Mme G... n'était pas une personne isolée (elle vivait sous le toit de son frère) mais elle est une personne devenue isolée (du fait du décès de son frère).

3. Or pour une personne devenue isolée la date d'ouverture du droit à allocation est celle soit du décès du conjoint ou du concubin, soit de la séparation judiciaire ou de fait d'avec l'un ou l'autre.

4. Mais un frère, même hébergeant sa soeur et subvenant à ses besoins, n'est ni un conjoint ni un concubin.

5. Donc Mme G..., si elle est bien une personne devenue isolée, ne l'est pas au sens de l'article 4 du décret du 28 septembre 1976. Elle n'est donc pas susceptible de bénéficier de l'allocation de parent isolé.

Cette argumentation n'est pas soutenable. D'abord parce qu'elle repose sur une disposition hyper-réglementaire du décret qui n'avait pas le pouvoir de restreindre le champ d'un droit ouvert par une loi. Ensuite parce que les auteurs du décret n'ont sûrement pas voulu établir deux sous-catégories d'ayants droit : les personnes isolées et les personnes devenues isolées, mais seulement fixer, selon le cas, la date d'ouverture du droit à l'allocation. N'ayant pas fait un recensement complet des cas possibles, ils en ont fourni une énumération limitée que la caisse a considérée comme limitative. Le cas est intéressant car il montre bien le mécanisme de prolifération de l'hyper-réglementation.

Le Médiateur étant intervenu dans cette affaire, l'administration a opéré une retraite précautionneuse dont voici les étapes :

- La caisse d'allocations familiales a d'abord envisagé de soumettre le cas à la commission de recours gracieux.

- Puis, renonçant à cette procédure elle a accordé l'allocation.

- Le directeur régional des affaires sanitaires et sociales à fait alors opposition et consulté son administration centrale.

- L'administration centrale, après réflexion, a renoncé à maintenir l'opposition et a accordé l'allocation mais en la présentant comme une mesure octroyée, inspirée par l'indulgence. En effet selon la lettre adressée au Médiateur le 22 juillet 1982, par le directeur régional, le ministère " dans ce cas d'espèce... n'a pas cru devoir s'opposer à la décision prise par la caisse d'allocations familiales. "

L'administration n'a donc pas voulu que son acceptation ait le caractère d'une reconnaissance du bien-fondé juridique de la requête.

Ainsi, dans cette affaire, se sont trouvées réunies plusieurs des principales causes de dysfonctionnement administratif : mauvaise rédaction d'un texte qui, par volonté de perfectionnisme énumératif, entraîne une double imperfection : une, technique, résultant du caractère incomplet de l'énumération ; une, juridique, résultant de l'hyper-réglementation. Ajoutons l'entêtement de l'administration à maintenir son interprétation hyper-réglementaire des textes et sa mauvaise grâce à reconnaître le principe de la supériorité de la loi sur les textes réglementaires, principe essentiel de notre droit public.

Les difficultés d'obtention d'une prime : qu'est-ce qu'un premier salarié ?


Voici une affaire ayant des points de similitude avec celle qui vient d'être exposée. Il s'agit des conditions d'attribution d'une prime (dossier 81-3962).

La loi n° 79-575 du 10 juillet 1979 dispose dans son article 7 que " ... les entreprises artisanales qui n'emploient pas de salariés bénéficieront d'une prime d'incitation à la création d'un premier emploi dans des conditions définies par décret ".

Le décret d'application (décret n° 79-581) dispose dans son article premier que " la prime d'incitation à l'embauche d'un premier salarié créée par l'article 7 de la loi... vise, dans la limite des crédits disponibles, les employeurs immatriculés au répertoire des métiers. La prime ne peut être accordée si ce premier recrutement concerne un ascendant, un descendant ou le conjoint de l'employeur... ".

Et il dispose, dans son article 4, que " pour bénéficier de la prime, l'employeur devra n'avoir employé aucun salarié au cours des douze mois qui précèdent la date d'embauche ".

En octobre 1980, M. G... artisan menuisier charpentier demande à bénéficier de la prime à la suite de l'embauche, le 17 septembre, d'un ouvrier salarié. La prime lui est accordée en novembre. Mais en mars 1981 M. G... reçoit un ordre de reversement. L'administration a, en effet, constaté que M. G... avait, en janvier 1980, embauché son propre fils comme salarié. Elle estime que, de ce fait, l'ouvrier embauché le 17 septembre 1980 n'était pas un premier salarié.

On peut s'interroger sur la régularité de l'exclusion systématique et a priori des ascendants, descendants et conjoints de la catégorie des salariés ouvrant droit à la prime. La loi n'ayant nullement prononcé cette exclusion, il se pourrait qu'on se trouve là, une nouvelle fois, devant un cas d'hyper-réglementation.

Mais, si même on ne met pas en cause la régularité du décret, dès lors que l'on a refusé de prendre en compte le descendant, premier embauché, on l'a exclu de la catégorie des salariés décomptables au regard du décret et tout aussi bien dans le sens défavorable que dans le sens favorable à l'employeur.

Alors, le paragraphe 2 de l'article premier du décret qui dit que " la prime ne peut être accordée si ce premier recrutement concerne un ascendant, un descendant ou le conjoint de l'employeur " signifie : " Ne sera pas pris en compte pour l'application du présent décret le recrutement concernant Un ascendant, un descendant ou le conjoint de l'employeur ".

Autrement dit, il ne peut apparaître comme équitable que l'ascendant, le descendant ou le conjoint soit à la fois non qualifié pour donner droit à la prime de premier emploi et qualifié, pour, en ce qui concerne cette prime, occuper le rang de premier salarié recruté.

Si le pouvoir réglementaire avait voulu formellement cette anomalie, il l'aurait exprimé sans aucune ambiguïté. Comme il ne l'a pas fait, il y a présomption qu'il ne l'a pas voulu. Ce n'est là, dira-t-on, qu'une présomption.

Mais cette présomption est devenue certitude le 8 mai 1981 avec la circulaire interprétative du ministère du Travail et de la participation qui précise clairement que " la prime pourra être octroyée à l'employeur qui embauche un deuxième salarié dès lors que le premier salarié recruté a été un membre proche de la famille (ascendant, descendant ou conjoint de l'employeur) n'ouvrant pas droit à la prime. "

Cette interprétation est non seulement équitable mais conforme au bon sens et à l'intention de la loi. Il serait, en effet, illogique, par exemple, que le recrutement d'un non-proche, opéré à un jour d'intervalle du recrutement d'un proche, donne lieu ou non au bénéfice de la prime selon l'ordre des opérations. Enfin, l'intention générale de la loi était bien d'instituer, comme son intitulé l'indique " diverses mesures en faveur de l'emploi ", notamment en incitant au recrutement d'un salarié dans les très petites entreprises artisanales. L'octroi de la prime dans le cas exposé ci-dessus est certainement plus conforme à l'esprit de la loi que ne l'aurait été un refus.

L'affaire de M. G... pour laquelle le Médiateur était intervenue s'est réglée heureusement quoique avec un an de retard.

Difficulté de s'arrêter sur la pente contentieuse.


Une tendance de l'administration assez souvent observée est de s'ancrer dans sa position initiale avec le raisonnement plus ou moins implicite qu'on peut résumer ainsi : " J'ai étudié votre affaire, je vous ai notifié ma décision, il n'y a, à mes yeux, aucune raison juridique ou logique pour que, même après le réexamen que vous me demandez, je revienne sur celle-ci ; si vous persistez à la contester, je ne peux que vous inviter à intenter un recours devant les tribunaux dont une des tâches consiste justement à trancher ce genre de litiges ".

Il va de soi que l'administration a le devoir de réexaminer lorsque la demande lui en est faite. Il va de soi aussi qu'elle a souvent raison, en droit comme en équité, de confirmer sa position initiale. Souvent, mais non toujours. Il faudrait en particulier que le réexamen soit réel et ne consiste pas en un survol du dossier sans recherche critique de ce qui aurait pu échapper au premier examen. Cette recherche critique qui demande un effort de changement d'angle de vue est d'ailleurs plus facile lorsque, comme il arrive trop rarement (sauf dans le contentieux fiscal), c'est un autre fonctionnaire, indépendant de celui qui a pris la décision, qui est chargé du réexamen.

Mais il arrive que l'administration ait recours au raisonnement exposé plus haut non après un réexamen scrupuleux mais par pure obstination, l'incitation au recours contentieux pouvant même être contraire à l'intérêt des deux parties. Une des fonctions du Médiateur est d'intervenir dans une telle conjoncture pour proposer, au nom du bon sens, l'arrêt de l'escalade contentieuse. En voici un exemple.

Avant l'indépendance du Maroc, les personnels de l'office chérifien des phosphates étaient régis par un statut particulier qui prévoyait que l'avancement de grade avait lieu au choix. Après 1956, ces agents revenus en France furent, avant leur reclassement, pris en charge par le ministère des Affaires étrangères.

Comme il aurait été peu équitable qu'ils soient privés d'avancement dans la période de prise en charge, le décret no 65-164 du 1er mars 1965 avait prévu un système forfaitaire d'avancement sur la base de l'ancienneté.

Un ancien agent de l'office, Mme D... (dossier 78-0395), s'était pourtant vue refuser par le ministère du Budget un avancement de grade, l'administration invoquant les dispositions du statut et une note de service de l'office datée du 26 juin 1954, laquelle assortissait la nomination au choix de l'épreuve d'un concours.

Mme D... portait l'affaire devant le tribunal administratif de Paris qui, par jugement du 21 octobre 1977, lui donnait raison, estimant que l'institution par note de service d'un concours interne ne faisait que moduler les dispositions du statut et que, par conséquent, le concours n'était, facultativement, qu'un des modes de la promotion au choix. Mme D... obtenait donc satisfaction.

Or, six autres anciens agents de l'office se trouvaient dans la situation de Mme D... et avaient intenté un recours devant six tribunaux administratifs de province. Le président de l'association des anciens personnels de l'office prit donc l'initiative d'une démarche auprès du ministère de l'Economie et des finances (service des pensions) pour demander que celui-ci mette fin à la procédure contentieuse et accorde sans plus tarder satisfaction aux six requérants.

Assurément, si les décisions des juridictions donnent naissance à des constances d'interprétation, elles n'instaurent pas des règles de droit. Cependant le jugement du tribunal administratif de Paris dans le cas de Mme D... était si parfaitement clair et les cas des six requérants si parfaitement analogues que la poursuite de la procédure ne pouvait logiquement qu'entraîner un retard irritant pour les intéressés et une perte de temps inutile pour les juges. Si, par extraordinaire, les jugements des six tribunaux administratifs ne devaient pas être concordants, l'affaire se compliquait fâcheusement. Pourtant la réponse de l'administration au président de l'association des anciens personnels de l'office n'était rien moins que rassurante puisqu'elle se bornait à affirmer qu'elle considérait le jugement du tribunal administratif de Paris comme " une décision d'espèce applicable à la situation de la seule requérante ".

Fort heureusement, l'intervention du Médiateur saisi de cette affaire a provoqué un réexamen par le service des pensions et le renoncement de l'administration à persister dans la voie contentieuse. Les six requérants ont donc obtenu, eux aussi, satisfaction, la solution de leur cas étant calquée sur celle du cas de Mme D...

Le téléphone et ses compteurs.


Le problème des factures téléphoniques contestées est toujours actuel. L'administration a tout de même abandonné le dogme de l'infaillibilité de ses compteurs et consent à réexaminer réellement les cas litigieux.

M. D... (dossier 81-4597), constatant en mars 1981 une soudaine et inexplicable augmentation de sa facture téléphonique (le montant avait triplé) adresse une réclamation d'abord verbale puis écrite à l'agence commerciale des télécommunications dont il dépend.

Celle-ci lui répond le 20 mai par une lettre qui mérite d'être citée. Il ne faut pas être très soupçonneux pour supposer qu'elle est une réponse stéréotypée, dont le modèle a été conçu non pour résoudre le problème mais pour l'évacuer :

Monsieur,

Par votre réclamation du 30 mars dernier, vous avez à nouveau appelé mon attention sur le montant de la facture qui vous a été adressée pour le bimestre B2/81.

J'ai l'honneur de vous faire connaître que les vérifications comptables n'ont permis de déceler aucune anomalie dans l'établissement de ce relevé.

Par ailleurs, si pour la période contestée, une gêne certaine a été enregistrée par les services des essais et mesures à la numérotation de vos appels, anomalie due essentiellement à la vétusté du commutateur de rattachement de votre installation, je vous précise que l'imputation des taxes à votre compteur n'a pu s'en trouver influencée.

En outre, le 27 janvier, date à laquelle vous avez signalé des incidents de fonctionnement, votre ligne a été reliée sur un nouveau commutateur dont la fiabilité ne saurait être mise en doute. La consommation enregistrée entre cette date et le 9 mars s'élève à 1811 taxes de base et indique bien une hausse de trafic.

Il est vraisemblable que la destination, la fréquence et la durée de vos communications, éléments nécessaires à une évaluation précise de votre consommation n'ont pas été pris en compte de façon méthodique.

Il ne m'est donc pas possible d'envisager un dégrèvement en votre faveur.

Regrettant de ne pouvoir donner une suite favorable à votre requête, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.

Le chef de l'Agence commerciale,

Signé X...

Le Médiateur saisi de cette affaire demande le 14 septembre 1981 au ministre des P.T.T. de faire procéder à un nouvel examen qui permette de donner à l'intéressé une explication plus circonstanciée et plus convaincante.

Le 27 janvier 1982 le ministère répond : " ... de l'enquête effectuée au sujet de cette affaire, il ressort que la facture contestée (période comptable comprise entre le 16 janvier 1981 et le 15 mars 1981) coïncide avec un changement de central de rattachement effectué le 27 janvier 1981. Cette modification étant susceptible d'avoir une incidence sur le relevé intermédiaire des compteurs, j'ai décidé d'accorder à M. D... un dégrèvement de... ".

L'affaire s'est donc terminée heureusement. Mais elle aurait pu se terminer sept ou huit mois plus tôt si les services départementaux des télécommunications avaient réellement et dans un esprit d'impartialité instruit la requête de l'intéressé. Ils auraient alors reconnu que le changement de central effectué le 27 janvier était " susceptible d'avoir une incidence sur le relevé intermédiaire des compteurs " et ils en auraient tiré les conséquences. Il est affligeant que la réaction première de ces services ait été d'ignorer tranquillement cette contingence et d'affirmer, au contraire, que la fiabilité du nouveau commutateur " ne saurait être mise en doute ".

Il serait souhaitable que des progrès techniques permettent d'instaurer un système de relevés d'une fiabilité telle qu'elle ne saurait être mise en doute non seulement par les services techniques mais par les usagers eux-mêmes. Le Médiateur, frappé par la fréquence des réclamations relevant de ce problème, est intervenu à plusieurs reprises auprès du ministre des P.T.T. et a trouvé en lui un auditeur attentif. Le système des facturations détaillées qui va être mis en place progressivement laisse espérer que ce genre de litiges disparaîtra peu à peu (Voir, dans le présent rapport, la partie " Réformes " 3•-Propositions en voie d'être satisfaites).

Un branchement difficile : le chalet avait-il droit à l'électricité ?


Les litiges en matière d'équipement sont particulièrement délicats du fait l'affaire en cause est généralement évolutive et que l'administration (comme d'ailleurs le requérant) tend à la considérer au moment qui est le plus favorable à son argumentation.


M. S... (dossier 80-4422) reçoit en décembre 1963 l'autorisation de construire un " abri démontable de vacances " sur un terrain situé en bordure de la Loire. L'autorisation délivrée par le directeur départemental de la construction n'implique aucune restriction quant au droit de raccordement aux réseaux eau et électricité. Bien mieux, M. S... est fondé à croire que ces raccordements sont prévus par l'administration puisque le directeur départemental a demandé, avant de délivrer l'autorisation de construire, que lui soit fourni un plan coté faisant apparaître les emplacements des réseaux eau et électricité basse tension.

Le chalet est donc édifié pendant l'été 1964, mais sa situation à 800 mètres du village le plus proche rendait très onéreux le raccordement au réseau électricité. M. S... renonça donc à cette opération.

En 1975, E.D.F. construisait sur l'autre rive du fleuve une centrale nucléaire et, en 1979, pour les besoins de celle-ci, une ligne basse tension qui se trouvait passer à 130 mètres du chalet. Le branchement électrique devenait beaucoup moins onéreux et M. S... entreprenait alors les démarches nécessaires. L'affaire paraissait en bonne voie puisque E.D.F. percevait une avance correspondant à la moitié du coût de l'opération.

Mais, en 1980, sur opposition du directeur départemental de l'équipement E.D.F. annulait le projet et restituait l'avance. Le motif invoqué était que la construction se situait, en vertu d'un décret du 18 décembre 1969, en zone inondable " A " dite de grand débit et que, de ce fait, elle était en situation irrégulière au regard du droit de construire.

Quelque temps après, l'administration devait d'ailleurs invoquer un deuxième argument. L'autorisation de construire délivrée en 1963 ne visait qu'un abri de vacances, construction qui, selon elle, " n'impliquait pas une alimentation en électricité ". Et dans le contexte, l'expression " n'impliquait pas " était manifestement employée, par un abus de sens, comme équivalente de " excluait ".

Le Médiateur, saisi de cette affaire, a souligné la faiblesse de ces deux arguments.

Le décret du 18 décembre 1969 définissant des zones inondables non constructibles n'entraînait pas obligation de détruire les constructions déjà existantes. Celles-ci restaient alors des constructions de plein droit auxquelles le branchement sur le réseau électricité ne pouvait être refusé sur la seule base du décret.

Le second argument fait apparaître, une fois de plus, la tendance de l'administration à hyper-réglementer au-delà des textes.

Il existait bien en 1963 deux sortes de constructions régulières au regard de la réglementation : les constructions avec fondations ayant obtenu un permis de construire et les constructions légères non ancrées au sol (tels les abris démontables) ayant obtenu, au vu d'un dossier allégé, une autorisation de construire.

Cette distinction a disparu avec la loi du 16 juillet 1971 depuis laquelle le permis de construire est exigé pour toute construction. Mais il est évident que les constructions légères édifiées avant cette loi sur la base d'une autorisation de construire demeurent des constructions régulières puisqu'elles ont été élevées en conformité avec la réglementation de l'époque.

Le code de l'urbanisme, dans son article L. 111-6 (issu de la loi 76-1285 du 31 décembre 1976), dispose sans doute que les bâtiments, locaux ou installations " ne peuvent, nonobstant toutes clauses contraires des cahiers des charges de concession, d'affermage ou de régie intéressée, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée ".

Mais il est évident que le chalet de M. S..., édifié en 1963 sur la base d'une autorisation de construire, a été régulièrement autorisé au regard de la réglementation alors en vigueur et que l'administration ne saurait arguer d'une réglementation ultérieure plus exigeante pour dénier la régularité de la construction. A ce compte-là, l'Elysée, construit sans permis de construire en 1718, n'aurait droit, en vertu de l'article L. 111-6, à aucun branchement.

L'administration n'en a pas moins élaboré un système de défense hyper-réglementaire, selon lequel l'abri de vacances autorisé en 1963 était " une construction n'impliquant pas une alimentation en électricité ".

La direction départementale de l'Equipement devait même écrire le 9 juin 1980 au chef de centre E.D.F. une lettre dans laquelle on peut relever un raisonnement qu'il est difficile de ne pas qualifier de spécieux :

" ... le 26 août 1963 il a été demandé à M. S... de produire un plan situant le réseau électrique ; le plan qu'a dû produire alors M. S... n'a pu que démontrer que le terrain n'était pas desservi en électricité. L'autorisation d'installer un abri de week-end démontable (et non un permis de construire) a cependant été accordée à M. S... ce qui démontrait bien que l'Administration ne considérait pas qu'un tel abri devait être alimenté en électricité. Cette position n'a pas changé ".

Ainsi, selon ce raisonnement, une habitation régulièrement édifiée sur un terrain non desservi en électricité pourrait être condamnée à perpétuité à s'éclairer à la chandelle. Et, en outre, l'Administration décrétait, de son propre chef, que les constructions légères antérieures à la loi de 1976, quand bien même elles auraient été édifiées en accord avec la réglementation de l'époque, étaient désormais réputées irrégulières et vouées, en vertu de l'article L. 111-6, au lumignon, à l'eau de pluie et au feu de bois.

Et pourtant M. S... qui, était devenu septuagénaire et qui avait choisi - c'était son droit le plus strict - de s'établir à demeure dans son chalet anciennement de week-end, persistait à vouloir bénéficier des commodités du progrès.

Il intentait un recours devant le tribunal administratif. Malheureusement ce recours ne réglait pas le problème pour la seule raison que ce tribunal déclarait son incompétence. Le recours, en effet, avait été dirigé contre la décision de refus d'EDF ; or les relations entre EDF et un usager sont des relations de droit privé et les litiges qui naissent de ces relations sont de la compétence des tribunaux judiciaires.

Tout n'était pas perdu, car le Médiateur obtenait en août 1982 du ministre de l'Urbanisme et du logement une décision reconnaissant enfin au chalet de M. S... le caractère de construction régulièrement autorisée et, en conséquence, le droit de raccordement au réseau électricité. Les services de l'Equipement qui s'étaient longtemps figés sur le front du refus se repliaient sur un espace juridique plus aéré. M. S.... âgé maintenant de 76 ans, pourra désormais, après trois ans de démarches diverses, s'éclairer à l'électricité.

Les difficultés d'une entreprise viticole


La plupart des affaires exposées ci-dessus sont des cas difficiles sélectionnés pour leur complexité. Il ne faudrait pas en tirer la conclusion que l'administration se montre toujours aussi opiniâtrement négative. Beaucoup d'affaires se règlent favorablement sans difficultés excessives. Le rôle du Médiateur est souvent d'aider à la découverte d'une solution plus équitable sans être moins juridique. Il lui faut pour cela, quand c'est possible, convaincre l'administration que l'affaire peut être examinée dans une optique différente de celle dans laquelle s'est enfermé le décideur primaire. Lorsque l'administration aperçoit sous ce nouvel angle qu'une solution plus humaine peut être dégagée sans heurter la légalité, c'est généralement de bonne grâce qu'elle s'y prête.

Voici une affaire (dossier 81-5596) dans laquelle on peut voir l'administration tentée de s'en tenir à la position la plus rigide, puis passer, sans se mettre en contradiction avec la réglementation, à une position plus souple et plus conforme à l'équité.

Elle concerne une entreprise viticole de moyenne importance (8 hectares, 12 salariés) constituée en groupement agricole d'exploitation en commun (G.A.E.C.). C'est, en fait, une entreprise familiale dont les 4 associés ont des liens étroits de parenté.

En mai 1980, le G.A.E.C. embauche temporairement deux ouvriers de nationalité étrangère pour l'exécution de travaux urgents (plantation de greffes). La société est endettée auprès du Crédit Agricole et, de plus, le chef de famille qui est, en fait, le chef de l'entreprise est gravement malade (il sera amputé d'une jambe peu après).

La situation se complique du fait qu'un contrôle de gendarmerie constate que les ouvriers recrutés ne possédant pas de carte de travail sont en situation irrégulière et qu'en outre l'entreprise ne les a ni inscrits sur le registre spécial des étrangers ni déclarés à la mairie comme elle en avait l'obligation.

En octobre 1980, les associés sont condamnés à 200 F d'amende par le tribunal de police. L'affaire ne s'arrête pas là, car le directeur départemental du Travail et de la protection sociale agricole saisit l'Office national d'immigration. Celui-ci décide alors, très régulièrement, que le G.A.E.C. est redevable de la contribution spéciale prévue pour toute entreprise employant de la main-d'oeuvre étrangère en situation irrégulière.

Cette contribution spéciale dont le montant est fixé par les textes en vigueur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti est due pour chaque étranger employé irrégulièrement. Une mise en recouvrement de 4 185 x 2 = 8 370 F est donc opérée à l'encontre du G.A.E.C. Celui-ci en règle les quatre dixièmes, mais, ayant au même moment à supporter des frais de clinique très lourds pour le chef de famille, néglige de régler le complément, ce qui entraîne une saisie-arrêt.

Le Médiateur intervient alors auprès de l'office. Celui-ci souligne qu'il n'a pas l'appréciation des éléments de l'infraction et qu'une fois établie la matérialité des faits, il était tenu de lancer la procédure de mise en recouvrement. Celle-ci est en cours et ne peut être arrêtée.

Toutefois, le directeur de l'office, conscient que la procédure se déroule pendant le séjour en clinique du principal associé et qu'elle pèse sur une entreprise en difficulté, indique, de lui-même, la seule issue possible : le recours à l'article 165 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique. En vertu de ce texte, les créances d'un établissement public (tel l'Office national d'immigration) peuvent faire l'objet d'une remise gracieuse en cas de gêne des débiteurs.

Encore fallait-il que cet état de gêne soit établi. Une enquête est effectuée par l'agent comptable des services fiscaux. Elle fait ressortir que cet état est indiscutable et qu'en outre - circonstance non négligeable - la comptabilité de l'entreprise, tenue par le centre de gestion de l'économie rurale rattaché à la Maison de l'agriculture, est irréprochable.

Le directeur de l'office accorde en conséquence une remise gracieuse de 40 % de la contribution spéciale. Cette mesure exceptionnelle concilie le droit qui veut que les infractions soient sanctionnées, l'équité qui veut que les sanctions soient modulées en fonction des circonstances de l'infraction et l'intérêt général qui veut qu'une entreprise continue malgré les difficultés de toute nature à jouer son rôle bénéfique sur le plan de la production comme sur celui de l'emploi.

L'hôpital retenait les cartes d'identité.


L'intervention du Médiateur peut, dans certains cas, avoir le sens d'une intervention pour la protection des libertés publiques.

L'hôpital de M... (dossier 81-4196) voyait sa situation financière s'aggraver du fait qu'un nombre croissant de personnes non bénéficiaires d'une prise en charge à 100 % par une collectivité " négligeaient " de régler les frais d'une consultation externe. Le taux de ces " négligences " était passé de 36 % en 1978 à 40 % en 1979 et tendait en 1980 vers les 50 %.

L'hôpital de M... avait donc instauré le système suivant : le patient devait déposer à l'entrée sa carte nationale d'identité. Celle-ci ne lui était restituée à la sortie que sur preuve du règlement des frais de consultation.

Il est bien évident que la " fuite des recettes " pose un problème financier grave pour les établissements hospitaliers. Mais il est non moins évident que la rétention de la carte d'identité comme garantie de règlement, outre qu'elle ne peut constituer qu'un palliatif (un nombre non négligeable de cartes déposées étaient fausses ou périmées !) est illégale. L'intervention du Médiateur a amené l'hôpital de M... à renoncer à cette pratique.

Une décision trop vaguement motivée est suspecte d'être mal fondée ;
elle demande réexamen.


Il est compréhensible que l'administration soit encline à motiver le plus vaguement et le plus brièvement possible ses décisions. Plus la rédaction est laconique, moins elle donne à l'administré des armes pour le recours contentieux. Et il est rare qu'un administré qui demande des éclaircissements puisse les obtenir.

Le Médiateur auquel la loi du 3 janvier 1973, notamment dans ses articles 12 et 13, a donné un véritable pouvoir d'investigation, peut se montrer beaucoup plus curieux. Il peut ainsi provoquer le redressement de décisions inéquitables parce que légères et hâtives.

M. P... (dossier 81-3148) avait sollicité une prime à l'installation d'une entreprise artisanale de maçonnerie dans la commune rurale de T... Cette demande avait été rejetée par la commission départementale et la notification du rejet mentionnait ce seul motif, remarquable par sa concision : " L'intérêt économique du projet n'a pas été retenu ".

Le Médiateur a demandé au préfet sur quelles considérations précises se fondait ce motif. Le préfet a alors provoqué une étude. Celle-ci, courte mais étayée de données statistiques, a fait apparaître que la densité des entreprises du bâtiment, ainsi que celle des artisans de ce secteur était, pour le canton auquel appartient la commune de T..., inférieure tant à la moyenne de l'arrondissement qu'à la moyenne départementale.

Le comité départemental a alors été saisi de nouveau et a accordé la prime.

Accord de prise en charge erroné :
la caisse reconnaît sa faute et accepte de réparer le préjudice.



En 1977, M. B... (dossier 81-4825) avait été victime d'un accident qui avait nécessité une opération de chirurgie réparatrice. En 1980, les suites de cet accident nécessitaient une nouvelle intervention. En février 1980, M. B... demandait donc à sa caisse de sécurité sociale un accord de prise en charge et joignait à cette demande le devis établi par le chirurgien qu'il avait choisi pour pratiquer l'intervention.

La lettre de M. B... précisait bien : " Pouvez-vous me donner votre accord pour la prise en charge de ces frais ? Dans le cas d'une réponse négative, veuillez m'indiquer pour quel établissement et pour quel chirurgien je peux obtenir votre accord ".

En mai 1980, la caisse donnait son accord sans aucune réserve. L'opération avait lieu au début do décembre et le dossier de frais était transmis à la caisse.

Or, fin décembre, M. B... se voyait rembourser les frais non pas à 100 % comme il estimait avoir droit mais à environ 67 %. A sa réclamation, la caisse répondait que non seulement elle ne devait rien ajouter à ce montant de remboursement mais qu'elle devait même retrancher. En effet, le réexamen de l'affaire avait révélé une erreur de décompte : les honoraires du chirurgien avaient été calculés sur la base du tarif conventionnel alors que ce praticien n'avait pas adhéré à la convention fixant ce tarif.

La caisse ajoutait : " Un accord vous avait été donné en date du 6 mai 1980 pour cette intervention mais les remboursements n'interviennent toujours que dans la limite de notre tarif de responsabilité ". M. B... se voyait donc prié de rembourser le trop-perçu.

Le Médiateur, saisi, reconnaissait que la caisse était tenue de se conformer à la réglementation en vigueur en matière de remboursement et qu'elle n'était pas redevable à ce titre d'un complément de prestations à M. B...

Mais il faisait valoir qu'en donnant son accord sans réserve à la demande de prise en charge présentée par M. B.... demande qui comportait comme pièce jointe un devis, la caisse avait commis une faute en s'engageant au-delà de la réglementation. Cette faute s'analysait en un renseignement inexact de nature à induire en erreur l'assuré et à lui porter préjudice en l'engageant à une dépense imprévisible. Il n'était pas conforme à l'équité que la conséquence financière de la faute commise retombe sur l'assuré. La solution était que le préjudice dont le montant était égal à la différence entre le coût établi par le devis implicitement approuvé et le coût résultant du tarif de responsabilité soit supporté par la caisse au titre non de prestation mais de réparation.

La caisse a fort élégamment reconnu sa faute, acceptée ce raisonnement et couvert M. B... de la totalité des frais chirurgicaux.

Règlement intérieur de l'hôpital non respecté : l'établissement reconnaît sa faute
et accepte de renoncer à recouvrer le surcroît de frais d'hospitalisation
imputable à cette faute.


M. M... (dossier 81-4604), âgé de 79 ans, était hospitalisé au début de 1981 à l'hôpital de X... Ayant fait valoir un état d'allergie à la fumée de tabac (allergie attestée par un certificat médical le classant comme " insuffisant respiratoire sévère "), il est placé en chambre individuelle. Il échappe ainsi pendant les trois semaines de son séjour à l'atmosphère enfumée des chambres collectives où, au mépris du règlement intérieur et des panneaux d'interdiction, les hospitalisés et même le personnel soignent leurs bronches à la nicotine.

Seulement, après sa sortie, M. M... reçoit un avis de payer la somme de 1 333 francs correspondant à un supplément pour chambre individuelle. Cette exigence, lourde par rapport à ses ressources (il est retraité agricole), M. M... en conteste le bien-fondé. Il fait valoir la carence de l'hôpital à faire respecter le règlement d'hygiène et le fait que son état de santé exigeait la protection prévue par ce même règlement à l'égard du tabagisme. Il demande, en conséquence, à être dispensé du paiement. Toutefois, par prudence, il verse la somme exigée.

Le Médiateur, adoptant entièrement l'argumentation de M. M... est intervenu et a obtenu le remboursement de cette somme à l'intéressé.

On peut remarquer que, comme dans l'affaire de l'hôpital de M... (citée plus haut) qui retenait les cartes d'identité, la carence des pouvoirs publics à faire respecter une réglementation établie dans l'intérêt général, entraîne un traitement inéquitable des citoyens. En effet ceux qui ne respectent pas la réglementation sont mieux partagés que ceux qui la respectent et en supportent seuls les contraintes. Il y a là quelque chose de paradoxal, de malsain et de contraire à l'équité.

Le permis de construire n'aurait pas dû être délivré.L'administration reconnaît sa faute et accepte de réparer le préjudice.



Mme T... (dossier 81-1045) obtient en octobre 1975 un permis de construire pour les travaux en surélévation de sa maison. Les travaux sont exécutés en 1976 mais la maison ainsi surélevée d'un étage ne respecte pas une servitude de prospect, servitude de droit public dont le voisin peut se prévaloir en vertu de l'article R-111-18 du Code de l'urbanisme. Celui-ci intente un recours devant la juridiction administrative qui, le 5 janvier 1979, annule le permis de construire. Puis il intente une action devant le tribunal de grande instance qui, par jugement du 29 janvier 1980, ordonne la démolition avant le 16 mai 1981 des travaux réalisés.

Le préjudice subi par Mme T.... du fait de la décision erronée de l'administration qui n'aurait pas dû délivrer le permis de construire, s'élève en additionnant les travaux de construction, les travaux de démolition, les frais de procédure, la taxe d'équipement, etc... à environ 90 000 F.

Mme T... est au bord de la dépression lorsqu'elle s'adresse au Médiateur. Celui-ci intervient et souligne la faute de l'administration. Celle-ci convient de sa responsabilité et accepte d'indemniser à l'amiable Mme T...

Aucun principe n'interdit en effet aux administrations de régler par un accord amiable les réparations civiles dont l'Etat peut être, par leur faute, débiteur. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que cette responsabilité n'est pas une facilité et qu'elle ne peut s'exercer que dans des conditions strictement définies, tant en ce qui concerne l'imputabilité du dommage à l'Etat que de l'évaluation du préjudice.

Affaires inclassables.


Certaines affaires menées à bien par le Médiateur sont absolument inclassables. Elles se rapportent à des situations tellement particulières, tellement hors norme, qu'on voit mal comment elles auraient pu aboutir à une solution équitable si elles avaient été traitées par les procédures ordinaires administratives ou juridictionnelles. En voici deux exemples :

L'Etat héritier se devait de donner une sépulture décente.


Le 15 octobre 1981 (dossier no 82-1503) meurt à N..., Mme G... née en Italie en 1892 et veuve d'un citoyen français. Elle est décédée sans héritiers et sans avoir rédigé de testament. La succession est donc déclarée vacante par jugement du 3 mars 1982, le directeur départemental des services fiscaux étant nommé curateur des biens. Ceux-ci consistent en une maison sur le territoire de la commune de P... et un dépôt bancaire de 53 000 F.

La dépouille de Mme G... a été inhumée dans la fosse commune du cimetière de P...

Un ami de la défunte M. R... qui avait réglé les formalités d'obsèques saisit le Médiateur d'une requête tendant à ce que soit prélevée sur la succession la somme nécessaire pour assurer à Mme G... une sépulture plus décente. Une démarche en ce sens auprès du directeur des services fiscaux n'a pas abouti. En effet, bien que sensible à l'aspect moral du problème, ce fonctionnaire oppose les textes qui limitent ses pouvoirs de curateur.

En droit strict, cette position est correcte. Cependant le Médiateur fait valoir que si la demande avait été formulée au moment du décès, l'autorisation de prélèvement aurait sans doute été accordée. Il exprime le souhait que cette affaire soit réexaminée dans un esprit d'équité, étant entendu que les frais devraient se tenir dans des limites raisonnables.

Le 20 septembre 1982, le directeur départemental des services fiscaux ayant obtenu l'aval de son administration centrale, l'autorisation était accordée.

Au début d'octobre 1982, le Médiateur avait la satisfaction de recevoir du sénateur-maire de N..., parlementaire intervenant en cette affaire, une lettre transmettant le témoignage de la reconnaissance de M. R... La lettre du sénateur-maire s'exprimait ainsi : " Ayant obtenu une suite favorable à la requête le concernant que je vous avais transmise, il m'est agréable de vous faire part de ses très sincères remerciements auxquels je m'associe, et qui marquent l'intérêt et l'importance de votre fonction s'il était besoin de le démontrer ".

Y a-t-il unité de la puissance publique ? Une affaire de TVA.


La société T... (dossier 81-4912) est spécialisée dans la fabrication et la pose de sièges d'amphithéâtres et de salles de conférence. Son chiffre d'affaires est constitué pour plus de 95 % par des marchés passés avec l'Etat et les collectivités locales.

En vertu de l'article 280-2-f du code général des impôts, les travaux immobiliers concourant à la construction des bâtiments de l'Etat, des collectivités locales, ainsi que de leurs établissements publics, sont passibles du taux intermédiaire de T.V.A.

Les sièges d'amphithéâtres étant fixés au sol et incorporés à titre définitif à l'immeuble, le raisonnement en vertu duquel leur installation relève de la catégorie des travaux immobiliers n'est pas a priori insoutenable. Et, en effet, jusqu'en 1972, le taux de T.V.A. appliqué aux marchés publics passés par la société T... a bien été le taux intermédiaire.

Bien mieux, ce taux était celui que stipulaient dans les cahiers des charges et les lettres de commande les maîtres d'ouvrages. Par exemple, l'université de P... écrivait, le 11 juillet 1972, à la société T... : " ...je vous passe commande de sièges d'amphithéâtre... l'ensemble pour la somme hors taxe de ... francs, sur laquelle vous m'appliquerez le taux de T.V.A. de 15 % (incidence 17,6 %)... "

Mais, en 1974, la société T... fait l'objet d'un contrôle fiscal. Rien ne peut être reproché à sa comptabilité ; seulement le contrôleur estime que le taux de T.V.A. applicable n'est pas le taux intermédiaire (17,6 %) mais le taux normal de droit commun (à l'époque 23 %). La société se voit donc taxer à ce dernier taux avec rétroactivité sur les quatre années antérieures.

Après de longues négociations infructueuses avec les services fiscaux et le rejet de sa réclamation contentieuse, la société décide de porter l'affaire devant le tribunal administratif, lequel, par un jugement en date du 4 juillet 1978, lui donne raison. Le tribunal estime que les marchés portent bien sur des travaux immobiliers passibles du taux intermédiaire.

Le ministère du Budget fait alors appel devant le Conseil d'Etat, qui est d'un avis contraire et, par un arrêt en date du 13 juin 1980, annule le jugement du tribunal administratif.

La haute juridiction administrative estime en effet que l'article 280-2-f vise les équipements généraux accompagnant l'édification de tout bâtiment ; mais qu'il n'inclut pas les installations particulières répondant à une utilisation spéciale du bâtiment édifié.

Ce point de droit étant définitivement tranché par cet arrêt, la société T... s'est donc trouvée redevable des sommes de 95 916 F et 21 044 F correspondant aux droits en principal et aux indemnités de retard en matière de T.V.A. pour les années litigieuses non couvertes par la prescription quadriennale.

La société s'est alors retournée vers les administrations avec lesquelles elle avait passé des marchés en leur demandant de lui verser la différence entre le taux normal de 23 % et le taux intermédiaire appliqué de façon erronée (17,6 %). Ces administrations ont répondu soit que leur dette, à supposer qu'elle existât, était éteinte par la prescription quadriennale, soit qu'ayant reçu de l'Etat un crédit incluant une T.V.A. de 17,6 % pour une opération ponctuelle et ce crédit étant épuisé, il leur était impossible de trouver de nouveaux crédits pour l'opération terminée.

C'est alors que la société s'est tournée vers le Médiateur. Celui-ci devait en premier lieu tenir compte de l'autorité de la chose jugée qui ne permettait pas de remettre en cause le point de vue des services fiscaux confirmé par le Conseil d'Etat. Mais le Médiateur ne pouvait pas non plus rester insensible au caractère peu équitable - pour ne pas dire inique - d'un mécanisme mettant à la charge d'une entreprise de bonne foi un supplément de fiscalité qui aurait dû être supporté initialement par les administrations avec lesquelles elle avait passé des marchés. Et ceci avec cette circonstance aggravante que le taux erroné de T.V.A., du fait qu'il était stipulé par les cahiers des charges, était en réalité imposé à l'entreprise par ces mêmes administrations. Ce mécanisme kafkaïen n'était ni couvert ni même excusé par une décision - d'ailleurs régalienne et hyper-réglementaire - de la commission centrale des marchés qui a sereinement énoncé en 1977 : " Le titulaire d'un marché porte seul l'entière responsabilité du taux de T.V.A. qu'il applique au marché. Au cas où il commettrait, même de bonne foi, une erreur d'interprétation des textes fiscaux qui serait reprise par la suite en redressement fiscal, l'acheteur public n'aurait pas à en subir les conséquences ".

Le Médiateur s'est donc engagé sur la seule voie qui lui paraissait praticable : une intervention auprès de chacune des quinze administrations ou collectivités locales ayant passé les marchés en cause.

Cette méthode s'est révélée plus efficace qu'on n'aurait pu l'espérer puisque, fin 1982, c'est environ les trois quarts du montant de sa " perte fiscale " que la société T... avait recouvré ou était sur le point de recouvrer. Le Médiateur tient du reste à rendre hommage au sens de l'équité dont ont fait preuve dans cette affaire la plupart des administrations " créancières ".

Par ailleurs, le Médiateur est intervenu auprès de la direction générale des impôts pour que soit prononcée la remise des indemnités de retard mises à la charge de la société. Cette décision dérogatoire et exceptionnelle est acquise, compte tenu des circonstances tout à fait particulières de cette affaire. Sur ce point aussi le Médiateur exprime sa satisfaction qu'une grande administration ait été sensible à des considérations d'équité.

Il demeure tout de même que cette affaire a posé une fois de plus le problème de l'unité de la puissance publique. Est-il concevable que les différentes branches de celle-ci puissent agir sans être tenues pour solidairement responsables à l'égard de l'administré ? Est-il concevable qu'une entreprise puisse être tenue pour responsable - et seule responsable - devant un " ministère financier ", d'une clause de marché public qui lui a été en fait dictée par un " ministère dépensier ". Le poids des charges qui pèsent, tant sur les administrés que sur les entreprises, est lourd. Il ne faudrait pas y ajouter une surcharge d'incohérence.

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