Année 1980


LES PROPOSITIONS DE REFORME



Depuis que la loi du 24 décembre 1976 lui en a donné le pouvoir, le Médiateur a présenté 188 propositions de réforme (voir la liste de ces propositions en annexe).

Au 31 décembre 1980, 46 de ces propositions avaient été abandonnées pour des raisons diverses et souvent budgétaires, 71 avaient reçu satisfaction. Les 71 autres sont actuellement en cours de négociation. Elles feront l'objet d'arbitrages en 1981 et, pour la plupart, devraient être satisfaites.

Les réformes qui impliquent des modifications législatives ont été reprises dans la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 et dans le projet de loi (n° 1811) déposé par le Gouvernement, au printemps 1980, sur le bureau de l'Assemblée Nationale.

Ce projet doit être complété par les mesures législatives qui résulteront des arbitrages en cours.

LA PHILOSOPHIE DE L'ACTION DU MEDIATEUR



Guérir c'est bien. Prévenir c'est mieux. C'est essentiel.

S'il est utile que le Médiateur puisse faire rendre justice à l'administré victime d'une décision administrative critiquable, il est indispensable qu'il ait le pouvoir d'agir sur les causes de la mésadministration constatée car il est particulièrement bien placé pour les détecter et les analyser.

L'énergie dépensée pour examiner les réclamations et les dossiers présentés serait en grande partie perdue, si l'on ne recherchait pas les causes des difficultés rencontrées par les administrés et si l'on ne s'efforçait pas de les faire disparaître.

Depuis la loi du 24 décembre 1976, le Médiateur est chargé de cette fonction. Il a le pouvoir de proposer des réformes.

Ce pouvoir, il est particulièrement qualifié pour l'exercer. Le poste d'observateur qu'il occupe est, en effet, privilégié. Saisi par les administrés, avec comme seul intermédiaire un Parlementaire, il reçoit chaque année des milliers de réclamations dont la diversité couvre tout l'éventail de l'Administration, et intéresse tous les services non seulement dans leur gestion propre mais dans les interférences de leurs interventions.

Saisissant les situations dans leur globalité, il a ainsi une vue cavalière du traitement des dossiers et de leur passage d'une cellule administrative à l'autre.

En matière d'urbanisme, par exemple, la publication d'un plan d'occupation des sols (POS) entraîne des conséquences considérables dont le Médiateur peut aisément mesurer l'importance et parfois la gravité. Les diverses mesures de réservation que le POS autorise ou implique ne sont pas des actes administratifs neutres. Ils engagent la collectivité bénéficiaire à se rendre acquéreur ou à abandonner ses droits dans un certain délai. Mais c'est à l'administré - au propriétaire - de mettre la collectivité en demeure d'acquérir et souvent il ignore, et ce droit et, la procédure à suivre pour l'exercer.

Dans les relations financières directes entre l'Etat et les entreprises (marchés publics, impôts, notamment) le Médiateur peut suivre l'entreprise d'un service public à l'autre dans ses difficultés croissantes. Les retards de paiements sont trop souvent à l'origine d'un enchaînement inéluctable qui conduit l'entreprise au dépôt de bilan.

Le maître d'oeuvre qui ne respecte pas ses engagements ne réalise pas qu'il n'est pas seul, que la même entreprise peut accumuler les créances impayées sur d'autres services et que le total de ces créances l'oblige à rechercher des concours bancaires très chers et toujours révocables. Mise en difficulté, l'entreprise différera ses versements à l URSSAF, au risque de se retrouver assignée au Tribunal de Commerce. Certes ce risque peut être momentanément écarté par un recours au CODEFI (Comité d'Etude du Financement des Entreprises). Mais si un sursis est accordé, le péril demeure, un péril dont aucun fonctionnaire ne se sent responsable.

La même situation peut être créée par un redressement fiscal sans aucune commune mesure avec les facultés contributives de l'entreprise. Le comptable de l'impôt prendra des mesures qu'il croira seulement conservatoires, mais qui, en fait, pourront ruiner le crédit de l'entreprise et la conduiront inéluctablement au dépôt de bilan. La saisine du Tribunal de Commerce et les pouvoirs sans contrôle dont dispose en fait le syndic (Voir rapport du Médiateur pour 1979. Chapitre Ministère de la Justice, pages 159 à 174) risquent de faire le reste.

Avec le recul qu'il doit au poste d'observation où il est placé, le Médiateur voit ainsi l'entreprise passer de mains en mains, de bureau en bureau et courir à sa perte. Sur la base des dossiers dont il dispose, il lui est relativement aisé de discerner à chaque stade dans les textes, dans les comportements ou les attitudes des agents, l'élément qui a initié ou infléchi la procédure et précipité la chute de l'entreprise. C'est cette expérience unique, cette accumulation d'observations qui lui permettent d'apporter sa contribution à la réflexion collective sur les causes de la mésadministration et sur les mesures à prendre pour prévenir le retour d'errements si préjudiciables à la nation toute entière.

L'expérience montre, en effet, que les règlements tatillons, les contraintes inutiles, les démarches harassantes, inutiles et coûteuses pèsent plus lourdement sur ceux qui sont les plus démunis devant l'appareil bureaucratique, les plus gênés dans leurs démarches administratives, les moins armés pour régler ces problèmes : vieillards démunis de ressources, handicapés de toutes sortes, travailleurs à bas salaires et très dépendants, petites et moyennes entreprises dans lesquelles le patron, accablé de responsabilités et souvent seul, doit consacrer aux exigences mal coordonnées des services un temps d'autant plus excessif qu'il est enlevé aux tâches de gestion.

Il y a donc un risque permanent de " pollution administrative ", un risque inévitable sans cesse renaissant et contre lequel il faut lutter en permanence. Ce risque, c'est ce que l'on appelle la mésadministration ou la maladministration.

La mésadministration peut avoir trois causes principales : les textes, les procédures et les formalités, les comportements.

Les textes (lois, règlements, instructions) se multiplient : on promulgue chaque année 10 fois plus de lois et de décrets qu'en 1920. Ils se superposent : les droits se multiplient ; mais les contraintes aussi. Surtout les textes anciens vieillissent. Il faut sans cesse moderniser, simplifier.

Les formalités et les procédures doivent en permanence être allégées, élaguées, adaptées en fonction des techniques nouvelles. Aucune contrainte nouvelle ne doit être imposée si le besoin qui la justifierait peut-être satisfait par l'utilisation ou l'aménagement d'une procédure existante.

Les comportements doivent être redressés chaque fois qu'il apparaît qu'ils ont causé une injustice ou imposé aux citoyens une contrainte inutile. L'information sur ces comportements défectueux doit être largement diffusée dans tout l'appareil administratif pour y mettre fin. Cette action de prévention est une obligation déontologique pour tous les responsables, à tous les niveaux. C'est un domaine dans lequel ils sont en mesure d'agir. Chacun doit balayer devant sa porte.

Le Médiateur n'a pas dans ce domaine une compétence universelle qu'il ne pourrait assumer ; mais il a le devoir de proposer les réformes possibles chaque fois que l'examen d'un dossier en fait apparaître la nécessité.

Le Médiateur n'invente jamais des réformes ; il les tire de l'examen des dossiers qui lui sont soumis. Son rôle est de lutter contre la mésadministration là où il la constate et sous la forme sous laquelle elle se manifeste.

Cette méthode empirique conduit nécessairement à couvrir tout l'éventail des relations administration-administrés et toutes les modalités de ces relations. Le " tableau de chasse " sera de ce fait très disparate. Si l'on pouvait juxtaposer toutes les mesures prises pour réaliser les réformes proposées par le Médiateur, on aurait un véritable habit d'arlequin. Mais c'est une complexité nécessaire et qu'il faut accepter si l'on veut vraiment écouter les administrés et répondre à leurs doléances en traitant objectivement et à fond la réclamation.

La difficulté de rendre compte de cette action - et plus encore de la vulgariser - est encore accrue par la disparité et la dispersion des textes. Seule apparaît la partie législative (loi du 17 juillet 1978 - projet de loi actuellement soumis au Parlement). Toutes les autres mesures sont disséminées dans des textes de moindre niveau juridique, parfois même dans des changements de rédaction de formulaires pour assurer une meilleure information des administrés sur leurs droits. C'est le cas notamment de tout ce qui touche aux certificats d'urbanisme et permis de construire, aux imprimés utilisés pour les poursuites en recouvrement de l'impôt et aux conditions à remplir pour bénéficier des exonérations fiscales attachées à l'effort de construction. Dans ce domaine, de grands progrès ont été accomplis ou sont en voie de l'être.

LES MODALITES DE L'ACTION REFORMATRICE


Chargé de détecter les réformes possibles et nécessaires, le Médiateur ordonne ses démarches selon quatre modalités différentes : les propositions de réformes ponctuelles, les synergies, la recherche de certaines causes profondes et générales de mésadministration, enfin quelques grands thèmes de réflexion proposés de façon plus informelle dans les rapports annuels d'activité.

1. Les réformes ponctuelles

Elles visent un texte, une formalité, des délais, des comportements, une mauvaise information, etc...

A titre d'exemple, il n'est pas normal :

- que l'exonération de la taxe de télévision soit accordée à certains revenus modestes et pas à d'autres de même niveau.

- que lorsqu'un assuré social cotise à deux régimes successivement et sans interruption, il puisse rester six mois sans protection parce que ces régimes ne sont pas harmonisés.

- que, dans les régimes de retraite dits " spéciaux ", le salarié qui quitte avant quinze ans puisse voir perdues ses années de cotisation pour la retraite complémentaire et parfois même pour la retraite de base.

- qu'une pension d'invalidité puisse être, à l'âge de 60 ans, automatiquement transformée en pension de vieillesse avec interdiction de cumul sans tenir compte des efforts de rééducation de l'intéressé et de son désir d'améliorer sa retraite.

- que, pour les artisans, la pension d'invalidité ne prenne effet que 6 mois après l'évènement qui la justifie ou l'arrêt de travail que la maladie ou l'accident a provoqué.

- que pour les allocations familiales, l'enfant en apprentissage ne soit pas traité comme celui qui poursuit ses études.

- qu'un handicapé grave qui a besoin de l'aide permanente d'une tierce personne et doit la payer sur ses ressources généralement modestes, doive acquitter les cotisations sociales et de plus l'impôt sur les revenus consacrés à payer ce salarié.

- qu'en cas d'expropriation, l'exproprié ait à payer les plus-values résultant de cette cession forcée au bénéfice de la collectivité.

- que l'administré qui accepte de céder à l'amiable un bien foncier à une collectivité soit fiscalement moins bien traité que celui qui oblige cette collectivité à engager et à mener à son terme une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique.

- que des délais de paiements publics illégaux et que rien ne justifie puissent mettre des entreprises en difficulté et leurs salariés en chômage.

- que le bailleur soit solidairement responsable des dettes du locataire en matière de télécommunication ou d'impôts locaux.

- que les délais de conservation des archives par les centres de chèques postaux soient inférieurs à la décennie imposée aux banques.

- que la personne physique qui a donné sa caution ne se voie pas rappeler périodiquement ses engagements par le bénéficiaire de la caution et risque de les oublier, notamment quand elle cesse de participer à la vie de l'entreprise.

- que la première revalorisation d'une rente d'accident du travail soit subordonnée à une demande de la victime.

Tous ces problèmes - et beaucoup d'autres qu'il serait fastidieux d'énumérer - sont réglés ou en voie de l'être à la demande du Médiateur avec la coopération des services concernés.

Leur solution se traduit par autant de textes législatifs ou réglementaires, souvent dispersés pour des raisons techniques et dont il est difficile de donner une vue d'ensemble.

Cette démarche au coup par coup est absolument nécessaire comme on l'a vu ; mais elle n'est pas suffisante. Certains problèmes concernent un grand nombre d'administrations ou d'organismes. Leur solution appelle une convergence d'action. Elles portent pour cette raison le nom de " synergies ".

2. Les synergies

Ce second groupe de réformes est consacré à des problèmes dont la solution relève de la coopération d'un très grand nombre d'administrations et d'organismes semi-publics plus ou moins décentralisés.

Le Médiateur a évoqué à ce titre sept grands problèmes.

SYNERGIE 1 : L'expropriation pour cause d'utilité publique.

L'examen de nombreux dossiers avait montré combien la situation inégalitaire inhérente à cette procédure était inutilement aggravée pour des raisons diverses : d'une part, des expropriants peu familiarisés avec une procédure qu'ils appliquent mal ; d'autre part, des expropriés mal informés sur leurs droits (notamment à faire valoir leurs observations et à contester le montant de l'indemnité), aux prises avec des délais inutilement brefs et soumis à l'impôt sur les plus-values dans des conditions inéquitables.

Si l'examen du problème fiscal a été différé, (il est repris dans les propositions FIN 80-64 et FIN 80-65), tous les problèmes juridiques soulevés ont été réglés par des modifications législatives ou réglementaires. Quant à l'information sur les procédures, les droits et les obligations, elle sera assurée par la préparation (par une commission interministérielle sous la présidence du Médiateur) et la publication de trois guides destinés respectivement à l'expropriant, au Commissaire enquêteur et à l'exproprié. Le " Guide de l'Expropriant " est sous presse. Les deux autres sont en préparation.

SYNERGIE 2 : L'accès à la retraite et ses difficultés.

Malgré les efforts déjà déployés par les organismes gestionnaires de l'assurance vieillesse, le candidat à la retraite - particulièrement lorsqu'il a été affilié à plusieurs régimes durant sa vie professionnelle - se trouve soumis à l'effet convergent de plusieurs sources de difficultés : choc psychologique du changement ; nécessité d'accomplir des démarches en vue de faire valoir ses droits - calculés d'après des formules complexes - alors qu'il est en général très mal renseigné sur ceux-ci comme sur celles-là.

Il faut donc avant tout lui apporter, au moment le plus opportun, une information aussi complète que possible : tel est le principal objet de cette proposition de réforme.

Elle traite aussi, notamment, des moyens d'accélérer la liquidation des pensions, de l'assouplissement très souhaitable des conditions de versement de l'acompte sur pension, et de la nécessaire concertation en ce domaine des principaux régimes de retraites.

Cette concertation n'est pas moins nécessaire dans l'étude de la proposition en question, qui, jusqu'ici, n'a soulevé aucune critique. Elle sera prochainement organisée par le Médiateur.

SYNERGIE 3 : Régime de Sécurité Sociale et régime fiscal des gérants majoritaires de Société à responsabilité limitée.

En matière sociale, les gérants majoritaires de SARL sont exclus de l'affiliation au régime général de la Sécurité Sociale alors que cette affiliation est obligatoire pour les gérants minoritaires, ainsi que pour les présidents directeurs et les directeurs généraux des sociétés anonymes.

En matière fiscale, alors que les gérants minoritaires de SARL jouissent du régime applicable aux bénéficiaires de traitements ou de salaires, la rémunération des gérants majoritaires est imposée, entre leurs mains, au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, mais est considérée comme un élément de leur part dans les bénéfices sociaux, et placée en conséquence sous le régime applicable aux bénéfices industriels et commerciaux.

La distinction ainsi faite entre gérants majoritaires et gérants minoritaires d'entreprises de même statut a été lourde de conséquences économiques : transformations de majorités de fait en minorités de droit, et, surtout, de très nombreuses SARL en sociétés anonymes " de façade ".

Aussi le Médiateur avait-il proposé que les gérants majoritaires de SARL soient soumis au même régime fiscal que les dirigeants de sociétés anonymes, et au même régime social que les gérants minoritaires.

Toutefois, le problème avait été également mis à l'étude par le Gouvernement et le rapport du groupe de travail interministériel qui a effectué cette étude conclut, non pas à un alignement des statuts fiscal et social de gérants majoritaires de SARL sur le statut actuel des dirigeants de société de capitaux, mais " à la convergence de l'un et de l'autre en un corps de règles harmonisées, répondant au souci premier de rétablir une certaine indifférence finale de la forme de l'entreprise au regard du " bilan " fiscal et social qui en résulte pour l'exploitant, lorsque celui-ci entend demeurer, en toute hypothèse, maître de l'affaire ".

Ces conclusions renouvellent évidemment le problème, et le Médiateur sera amené à en tenir compte.

SYNERGIE 4 : Mise en oeuvre de l'harmonisation des régimes de Sécurité Sociale.

Une loi du 14 décembre 1974 disposait qu'un système de protection sociale commun à tous les Français serait institué, au plus tard le 1er janvier 1978, notamment par l'harmonisation progressive des " régimes de base obligatoires légaux ".

Mais la loi n'a pas " planifié " cette harmonisation. Par ailleurs, les limites assignées à celle-ci - elle ne pourrait porter atteinte ni aux avantages acquis par certains régimes, ni aux structures de protection sociale existantes - laissaient clairement percevoir que le législateur avait entendu proscrire tout bouleversement en la matière.

En présence d'une telle situation, le Médiateur n'a pu que se borner, dans sa proposition, à s'attaquer aux " dysharmonies " les plus criantes qu'il lui était donné de constater, et que des mesures peu coûteuses pouvaient à son avis faire rapidement disparaître.

Mais le manque de disponibilités budgétaires a fait que l'Administration n'a pu tenir le calendrier fixé par la loi, et que même les mesures proposées par le Médiateur sont apparues trop coûteuses pour que leur mise en oeuvre puisse intervenir dans un avenir prévisible.

Aussi le Médiateur a-t-il été contraint de laisser cette proposition en suspens, tout en souhaitant que cette nécessaire harmonisation soit mise en oeuvre dans un avenir proche. Il en a cependant extrait une proposition de réforme " ponctuelle ", qui tend à assurer l'harmonisation entre les régimes en matière d'invalidité et de décès. L'absence de cette harmonisation entraîne en effet des situations iniques, en matière d'invalidité, lorsqu'un assuré passe d'un régime à un autre.

SYNERGIE 5 : Application du principe de non -rétroactivité de la règle de droit en matière de législation sociale.

Il s'agissait de mettre en oeuvre, dans un domaine limité, les vues du Médiateur sur le problème général mentionné ci-après.

Les mesures de rétroactivité suggérées portaient sur les matières suivantes :

- durée d'assurance à prendre en compte pour le calcul des pensions de vieillesse du régime général ;

- prise en compte des dix meilleures années d'activité pour le calcul du salaire moyen intervenant dans la détermination de la pension ;

- majoration de la durée d'assurance en faveur des mères de familles ;

- suppression de la condition de " stage" pour l'ouverture du droit à pension de vieillesse ;

- choix de leur régime d'attribution pour l'assurance maladie par les titulaires de pensions de vieillesse relevant de régimes différents.

- situation des ressortissants du code des pensions civiles et militaires de retraites qui ont quitté le service sans droit à pension.

La première des mesures proposées a été en grande partie satisfaite par le législateur. La dernière a donné lieu à une proposition de réforme " ponctuelle " qui a fait l'objet d'un article du projet de loi déposé par le Gouvernement devant le Parlement.

Toutes les autres se sont heurtées, comme dans le cas de la synergie 4, au manque de disponibilités budgétaires.

SYNERGIE 6 : Proratisation des pensions de retraite et des pensions complémentaires dans les régimes spéciaux.

Lorsqu'un assuré a été soumis, dans le cours de sa vie professionnelle, à plusieurs régimes de protection sociale, la " proratisation " consiste en la prise en charge, par chacun de ces régimes, de la part de la pension de vieillesse globale correspondant aux cotisations versées par cet assuré lors de son passage sous ce régime, et calculé au prorata de sa durée d'affiliation, quelle qu'ait été cette durée.

La proratisation est déjà assurée lorsque le futur pensionné n'a été affilié qu'à des " régimes de base obligatoires légaux ". Elle cesse de l'être, en règle générale, lorsque, parmi ces régimes, s'est trouvé un " régime spécial ".

En effet, la plupart des régimes spéciaux exigent une durée de services élevée (le plus souvent 15 ans) pour que s'ouvre le droit à une pension de vieillesse " normale ". Ils ne prévoient rien, ou peu de chose, pour ceux de leurs affiliés qui n'ont pas accompli ce temps. Il y a donc, pour ces derniers, perte des cotisations correspondantes, et " neutralisation " possible de près de 15 années d'activité et de versements.

Le Médiateur a proposé qu'il soit mis fin à de telles situations, préférablement en appliquant le système dit de la " proratisation interne ", qui consiste en la prise en charge par le régime spécial, au prorata du temps passé sous ce régime, d'une pension globale correspondant à la cotisation globale versée par l'assujetti. Dans le système dit de la " proratisation externe ", l'intéressé perçoit la pension de base du régime général, et l'on demande à un organisme de retraites complémentaire de lui servir un complément de pension dont le montant tiendra compte de l'importance de la cotisation globale versée lors du passage sous le régime spécial : c'est moins simple, et moins avantageux pour les assurés.

La discussion de cette proposition a déjà permis d'aboutir à des résultats substantiels. En particulier, la " proratisation interne " a été admise, ou se trouve sur le point de l'être, dans le cas de plusieurs régimes spéciaux parmi les plus importants ; le Médiateur espère que le succès de la formule ira croissant.

Il faut noter qu'à l'issue d'une longue enquête, la presque totalité des gestionnaires de régimes spéciaux (et ceux-ci sont très nombreux) ont été appelés à donner des précisions sur la situation existante dans leur régime du point de vue de la proratisation, et à exprimer éventuellement leur souhait de voir cette situation modifiée, dans les directions ouvertes par la proposition analysée.

SYNERGIE 7 : Exploitation des conclusions de l'étude du Conseil d'Etat relative aux problèmes soulevés par les forclusions et les prescriptions.

Ces problèmes sont exposés plus complètement ci-après.

On se bornera à mentionner ici que la proposition suggérait un ensemble important de mesures tendant :

- à mieux garantir l'administré et le justiciable contre le " risque " de forclusion ou de prescription ou à diminuer la fréquence de la réalisation de ce risque ;

- à améliorer le régime des forclusions et des prescriptions, notamment par la " mise en symétrie " des droits et obligations de l'Administration et des administrés en cette matière ;

- à aménager les délais de forclusion ou de prescription en vigueur, par la généralisation du délai de deux mois - considéré comme " de droit commun " -, et par la suppression, chaque fois que possible, des délais inférieurs à un mois - un mois représentant, dans l'état actuel de notre société, le " minimum légal d'absence " de tout Français (les congés annuels).

Un certain nombre de ces mesures ont déjà été mises en oeuvre ou sont sur le point de l'être ; les autres demeurent en discussion.

3. Une réflexion sur la relation Administration-administré

Poursuivant son analyse, le Médiateur s'est efforcé de rechercher les causes profondes de l'irritation des administrés et de la dégradation de leurs rapports avec les services publics. La " position dominante " qu'occupe l'Administration est dans de nombreux cas nécessaire. Si elle est gratifiante pour l'administrant, elle est, inversement, ressentie par le citoyen comme une situation de totale dépendance dans le détail des relations quotidiennes. Ce constat conduit inéluctablement à s'interroger sur les fondements juridiques de cet état des choses.

Le Droit administratif est traditionnellement enseigné comme inégalitaire. Ce principe indiscutable pour tout ce qui concerne les responsabilités de caractère régalien perd de plus en plus sa justification avec l'extension du champ d'action des collectivités publiques au domaine des services (postes et télécommunications, services publics industriels et commerciaux, offices d'H. L. M., Sécurité Sociale, etc) et des divers démembrements juridiques de la puissance publique. Certaines de ces activités relèvent, cependant, du droit administratif et des tribunaux de l'ordre administratif.

Psychologiquement, le caractère inégalitaire du droit administratif imprègne si profondément les esprits dans la fonction publique qu'il marque ses comportements quotidiens et les conduit à de véritables abus de position dominante, comme l'ont fait observer des juristes lors du colloque du Médiateur (mars 1980).

La multiplicité des cas de mésadministration de ce genre conduit le Médiateur à demander que soient plus strictement définies les limites d'application du principe inégalitaire. En clair, il lui apparaît que si le Droit administratif est inégalitaire, ce n'est pas par essence mais par nécessité et que l'inégalité n'est justifiée que si - et dans la mesure où - sont en cause l'exercice de prérogatives de puissance publique et le maintien de l'ordre public.

En toute hypothèse, ce caractère inégalitaire ne justifie pas tous les comportements. Il ne s'applique pas - ou fort peu - lorsque l'Administration fournit des services ou s'engage par des contrats.

Cette observation a conduit le Médiateur à demander que dans toute la mesure du possible, les droits et obligations respectifs de l'Administration et de l'administré soient rendus symétriques.

Ceci vaut d'abord dans le domaine des prescriptions qui a été évoqué précédemment. Il est caractéristique d'un certain état d'esprit que les textes d'application des lois instituent très souvent dans ce domaine des inégalités que le législateur n'a pas voulues. Chaque fois qu'il en constate l'existence, le Médiateur en demande la suppression. Sur sa proposition, tous les délais de prescription ont été rendus symétriques en matière de Sécurité Sociale par la loi du 17 juillet 1978.

Mais il ne suffit pas d'harmoniser ces délais. Il faut encore qu'ils soient adaptés à nos moeurs. Nous sommes à une époque où le délai légal d'absence des Français de leur domicile est de 4 semaines (les congés payés). Il n'est donc plus acceptable que les délais de recours contre une décision soient égaux ou inférieurs à un mois. Le Médiateur demande qu'ils soient portés à 2 mois, sauf impossibilité à démontrer.

De même, il constate que, dans de nombreux cas, l'administré se voit imposer, pour faire valoir ses droits, des démarches parfois multiples qui relèvent de la responsabilité de l'Administration ou qu'elle a le devoir de simplifier.

Dans le même esprit, il arrive que soit faite soit par les textes soit dans les comportements une application abusive de la solidarité entre débiteurs. Le Médiateur a été amené à rappeler que la solidarité était une sécurité pour le Trésor Public et non une facilité pour le comptable et bien qu'elle ne permette ni division ni discussion, elle ne devrait être mise en oeuvre qu'après épuisement des procédures contre le débiteur défaillant.

De même, les administrés ne peuvent pas comprendre qu'ils puissent être, par un service, sanctionnés ou privés d'un droit, par une décision, une lenteur ou une erreur d'un autre service. Pour le Médiateur, l'Administration est " une ". Tout acte d'un service public engage les autres sauf à résoudre entre bureaux, directement, le litige qui pourrait résulter d'un conflit de textes ou de divergences d'interprétation. Les administrateurs, eux-mêmes, souhaitent que soit supprimé le cloisonnement, souvent étanche, existant entre les diverses administrations.

4. Les Propositions informelles

Pour ces premiers groupes de réformes, le Médiateur a fait et continuera de faire des propositions formelles.

Mais il a aussi apporté - et contribuera à apporter, notamment par ses rapports annuels - sa contribution active à une réflexion collective à laquelle ont participé, avec le Parlement et le Gouvernement, les plus hautes juridictions. Cette réflexion a conduit à la promulgation de textes si importants que leur ensemble a pu être qualifié de " troisième génération des droits de l'homme ".

Parmi ces textes fondamentaux, on citera notamment :

- la loi du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables ;

- la loi du 17 juillet 1978 (titre I) sur la liberté d'accès aux documents administratifs ;

- la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs ;

- la loi du 16 juillet 1980 sur les astreintes et l'exécution des jugements par les services publics, etc...

Depuis son institution, le Médiateur a été conduit, en effet, à réfléchir sur un grand nombre d'aspects de l'activité administrative. Dans ses rapports, il en a désigné certains à l'attention des pouvoirs publics, et, explicitement ou non, à leur volonté réformatrice.

Ce sont ceux que posent les plus caractéristiques des attitudes de l'Administration face, respectivement à ses publics, au Droit, et à la Justice, ainsi que certains problèmes dont l'actualité pressante impose l'examen.

L'Administration et ses publics

(Rapports de 1973 (pp. 249 à 254) ; 1974 (pp. 127 - 128) ; et 1975 (pp. 23 – 24 et 86 à 92) ; 1976 (pp. 111 à 139) ; 1977 (pp. 52 à 54) ; 1978 (pp. 69 à 72) ; 1979 (pp. 49 à 5 1))

L'une des dominantes des dossiers dont le Médiateur a été saisi a été le fait que de nombreux litiges trouvent leur source dans l'ignorance des administrés.

A une époque où l'accumulation et l'enchevêtrement des textes sont devenus tels que " nul ne peut plus être censé connaître la loi, " I'Administration a de toute évidence un devoir d'information. Réciproquement, tout administré doit se voir reconnaître un droit à l'information.

Ce devoir d'information, il faut l'intégrer dans la conscience administrative. Pour que chaque fonctionnaire devienne un " informant ", il apparaît nécessaire d'introduire, dans tous les programmes de formation - et surtout de recyclage - des agents publics, à tous les niveaux, une initiation à la psychosociologie de la relation administrant -administré.

Généralement, l'information est considérée comme " quérable ". Dans de nombreux cas elle est " portable ", et il appartient à l'Administration de prendre l'initiative d'informer l'administré, le moment venu. L'argument " Nul n'est censé ignorer la loi " est incontestablement dépassé.

La diversité des " publics " de l'Administration doit la conduire à accorder une attention particulière à la qualité de ses messages, à leur lisibilité, à leur adaptation au niveau culturel et au langage des " cibles " visées. Les messages informatiques notamment doivent être systématiquement révisés : les informaticiens ne sont pas des spécialistes de la communication.

Ce problème de l'information descendante ne peut être disjoint du cadre plus général des relations publiques (accueil et assistance). Il ne doit pas non plus occulter les soins qu'appelle " l'information ascendante " c'est-à-dire l'écoute des administrés ainsi que le traitement et l'exploitation de leurs réclamations.

Cette réflexion conduit tout naturellement à reconnaître à l'administré un droit à la communication des documents administratifs - notamment de ceux qui la concernent directement - et le droit de connaître les motifs des décisions administratives qui l'affectent personnellement.

Enfin, l'expérience montre que, bien souvent, la consultation - voire la participation des administrés - permettent de tester les procédures et de faciliter leur mise en oeuvre (voir rapport de 1979 pp. 29 à 44).

Certains de ces voeux ont été satisfaits par la promulgation de deux textes déjà cités :

- le titre 1er, intitulé " De la liberté d'accès aux documents administratifs", de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 "portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'Administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, fiscal, et social", modifiée par la loi du 11 juillet 1979 ci-après ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 " relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'Administration et le public " qui a, entre autres, rendu obligatoire la communication à toute personne des documents de caractère nominatif qui la concernent (comme le demandait le Médiateur dans son rapport pour 1975) alors que le texte de 1978 ne prévoyait la communication que de documents non nominatifs.

A ces textes, qui marquent une étape dans l’évolution de notre droit public, s'ajoutent toutes les mesures prises dans de nombreux services pour améliorer concrètement et préventivement l'information des administrés. Si beaucoup reste encore à faire, il n'en reste pas moins qu'une orientation nouvelle est donnée et que ce problème de la communication est aujourd'hui perçu dans toute sa complexité.

L'administration et le Droit.

Avant d'apprécier un dossier en équité, le Médiateur doit s'assurer que les principes généraux du droit ont bien été observés. Or, il constate - et il l'a signalé dans ses rapports - qu'il n'en est pas toujours ainsi.

La tentation est forte en effet - d'autant plus qu'elle est inconsciente - d'exciper de l'autonomie du droit administratif ou de certains droits particuliers (droit fiscal notamment) pour s'affranchir de règles universelles destinées à assurer la protection des citoyens et l'égalité de tous devant la loi.

Le Médiateur a eu l'occasion d'évoquer dans ses rapports successifs ces problèmes dont on citera ici quelques exemples.

1° En matière pénale, l'aveu d'un inculpé n'est pas considéré comme une preuve. En matière administrative, il arrive qu'il soit admis comme preuve même s'il a été rétracté devant le juge et qu'il soit même retenu comme fondement de poursuites et de sanctions contre des tiers, malgré leurs dénégations.

2° L'indemnisation du préjudice subi du fait de l'Administration n'est pas assurée. Dès 1873, l'arrêt Blanco a écarté toute application de l'article 1382 du Code Civil aux actes de l'Administration. Certes la Haute Assemblée a corrigé la rigueur de ce principe par la prise en considération d'abord des " fautes graves et répétées " et, à partir de 1962, de la " faute lourde ".

La législation a ouvert la possibilité d'indemnisation des administrés victimes d'erreurs judiciaires ou de bavures policières. Mais de nombreux autres actes de l'Administration peuvent causer injustement la ruine d'un administré ou d'une entreprise (et dans ce cas le licenciement du personnel) sans qu'aucune réparation ne puisse être espérée. C'est le cas notamment des retards de paiement dans les marchés publics (Voir rapport 1978 pp. 117 à 132) ou de redressements fiscaux si disproportionnés aux capacités contributives du contribuable que les seules mesures conservatoires prises réglementairement par les comptables créent une situation irréversible.

De nombreux autres cas pourraient être cités dans lesquels la responsabilité de l'Administration justifie une indemnisation dont le principe n'est prévu par aucun texte.

Le Gouvernement a, de son côté, mis ce problème à l'étude et décidé, à titre d'expérience, la création dans quelques départements d'un " comité consultatif de règlement des dommages engageant la responsabilité de l'Etat et des Etablissements publics de l'Etat qui n'ont pas un caractère industriel et commercial " (Décret 80.974 du 4 décembre 1980).

3° La solidarité est pour le Trésor Public une sécurité nécessaire. Elle n'autorise ni division, ni discussion. Mais on constate que ce moyen est exercé parfois avec rigueur, l'Administration se retournant contre la partie de bonne foi avant d'exploiter le moyen dont elle disposait (hypothèque légale couvrant largement la créance) contre le débiteur défaillant.

Le Médiateur a constaté que la solidarité avait été, par la loi, étendue à des domaines qui ne la justifiaient pas ou maintenue depuis le XIXe siècle malgré son inadéquation à l'état de la société à la fin du XXe.

4° Le principe de la non-rétroactivité des lois civiles est une nécessité indiscutable. En matière sociale et lorsque la rétroactivité ne risque pas d'affecter les droits des tiers, il semble que son application serait susceptible d'accommodements, notamment lorsque la loi vise à corriger les effets pervers - et non voulus par le législateur - d'une loi antérieure ou de ses textes d'application.

Il ne saurait s'agir d'une rétroactivité totale, mais, dans certains cas où elle se justifie particulièrement, d'une rétroactivité partielle, permettant soit de corriger pour l'avenir des situations réglées sous l'empire de la législation antérieure, soit de l'appliquer - à la date de la loi - aux affaires antérieures non encore réglées.

5° Le principe de l'intangibilité des pensions liquidées s'accommode d'une exception pour les " erreurs matérielles ". Par contre les " erreurs de droit " ne pouvaient justifier la révision que si celle-ci était demandée dans un délai de 6 mois. A la demande du Médiateur, ce délai a été porté à un an.

Ce délai est, en toute hypothèse, trop court. On constate qu'il n'a pas existé de 1948 à 1964. Son principe même paraît discutable. S'il a été fait une application erronée du droit, la révision devrait être imprescriptible étant bien entendu, que l'Administration pourrait aussi s'en prévaloir.

6° Cette inégalité de situation est encore moins admissible en matière de forclusions et de prescriptions. Comme on l'a vu à propos de la synergie 7, un des principes sur lesquels s'appuie cette proposition est de " mettre en symétrie " les droits et obligations respectifs de l'Administration et des administrés en la matière.

Face à ces situations d'inégalité, la position du Médiateur est la suivante :

Toutes les fois que les " prérogatives de la puissance publique " ne risquent pas d'être mises en cause, il est conforme à l'équité, et non contraire au droit, que l'administré et l'Administration, dans les mêmes circonstances, disposent des mêmes droits et soient soumis aux mêmes obligations.

Il est conforme à l'équité et au droit que disparaissent les inégalités de traitement entre groupes d'administrés appartenant à un même ensemble, alors que leurs situations apparaissent fondamentalement les mêmes.

On peut parler à ce propos d'un véritable " principe d'équité ", que le Médiateur s'efforce de faire triompher, chaque fois que l'occasion lui en est donnée.

L'Administration et la justice.

1° Dans son rapport pour 1978 le Médiateur constatait l'inégalité de l'Administration et de l'administré dans le recours aux procédures juridictionnelles. Il n'est pas rare de voir l'Administration obliger l'administré à un recours pour se faire reconnaître un droit ou même parfois pour faire dire le droit. Et, si elle est déboutée en première instance, poursuivre le requérant en appel, puis, dans l'ordre judiciaire, en cassation. Pour elle, l'accumulation des procédures n'a pas de coût chiffré. Mais l'administré est obligé de " suivre " et d'assumer des frais de plaidoirie parfois considérables et souvent disproportionnés à ses ressources.

D'autre part, le Médiateur a été saisi à plusieurs reprises de cas d'inexécution par l'Administration de décisions de justice, passées en force de chose jugée. Il en a cité dans chacun de ses rapports.

Il est évident que de tels comportements ne sont pas acceptables. Pour mettre fin à ces conflits dans lesquels l'administré se trouve désarmé, devant le refus d'obtempérer de l'Administration, la loi du 24 décembre 1976 a donné au Médiateur un pouvoir d'injonction dont il a eu l'occasion de se servir.

La loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public devrait avoir en la matière un effet décisif. Elle s'applique aussi bien aux collectivités locales qu'à l'Etat. Elle fixe un délai de quatre mois pour l'ordonnancement des sommes allouées, oblige le comptable à pallier les défaillances de l'ordonnateur et autorise le Conseil d'Etat à prononcer des astreintes.

Des problèmes d'actualité.

L'accumulation de réclamations concernant un cas de mésadministration peut faire émerger la règle ou la procédure en cause et conduire le Médiateur à en demander l'examen dans son rapport annuel.

On citera ici quelques exemples de cette démarche dans l'ordre chronologique :

- à partir de 1975, (Rapports : 1975 (pp. 29,30 et 117 à 120) ; 1976 (pp. 212 et 213) ; 1977 (pp. 129 à 133) ; 1978 (p. 59)) ce sont les lenteurs et les risques de blocage des procédures de remembrement qui le conduisent à demander une surveillance accrue de ces opérations par le préfet et l'instauration d'une procédure d'urgence devant la juridiction administrative chargée de statuer en appel sur les décisions des commissions départementales.

– en 1977 puis en 1979, ce sont les problèmes graves des pouvoirs et des responsabilités des agents assermentés (Rapports : 1977 (pp.83 à 86) ; 1979 (pp. 151,152)). L'autorité reconnue à leurs allégations devant les tribunaux et aux procès-verbaux qu'ils établissent leur fait une obligation déontologique fondamentale d'une totale objectivité. Cette déontologie n'est, hélas, pas toujours respectée comme le Médiateur a pu le constater à plusieurs reprises dans des circonstances très graves dont certaines ont entraîné la ruine des administrés.

Le Médiateur a demandé que ces manquements inexcusables soient sévèrement sanctionnés et que, dans les programmes de formation, l'accent soit mis sur ces exigences d'impartialité.

- En 1977 également, les modalités d'attribution de l'aide spéciale compensatrice aux artisans et commerçants âgés désireux de prendre leur retraite ont été évoquées (Rapport 1977 (pp. 139 à 143)). Le Médiateur a demandé un réexamen des procédures, un accroissement du rôle des commissions spécialisées et la suppression du système brutal du plafond de ressources qui joue comme un véritable couperet.

- En 1978, l'accent a été mis sur les marchés publics (Rapport 1978 (pp. 117 à 133)). L'examen des incidents de procédure les plus fréquents a montré les insuffisances de formation et de déontologie de certains acheteurs publics, les abus flagrants de position dominante, la dépendance totale dans laquelle se trouve le fournisseur... et la nécessité de mettre fin à ces pratiques par un effort soutenu d'information et de recyclage.

Seuls les délais de mandatement des sommes dues ont été fixés par des textes (le délai de base est de 45 jours). Mais le délai de paiement - le seul qui compte pour l'entreprise - n'est pas fixé... et les retards anormaux entre mandatement et paiement ne sont pas sanctionnés même s'ils ont pour cause l'absence de crédits, c'est-à-dire l'émission d'un " mandat sans provision ".

Le Médiateur signale que, dans la mesure où ils impliquent de la part des fournisseurs des démarches qu'ils ne sont pas en position de faire, les décrets des 29 août 1977 et 23 novembre 1979 ne seront pas appliqués, ce que prouvent les statistiques disponibles.

Il demande que toute la procédure fasse l'objet d'une mise à plat et d'un examen systématique et qu'en toute hypothèse, la trésorerie des hôpitaux soit constituée et entretenue à un niveau raisonnable.

Dans la conjoncture actuelle, il n'est ni acceptable ni excusable que des faillites d'entreprise - et cela se produit trop fréquemment - aient pour cause le laxisme avec lequel ces problèmes sont actuellement traités.

Ce problème a fait de plus l'objet d'une proposition de réforme FIN 79.56.

- En 1978 également, le Médiateur a attiré l'attention sur la situation des handicapés profonds dont l'état nécessite l'aide permanente d'une tierce personne (Rapport 1978 (pp. 206 à 215)).

Dans ce cas extrême, les différences de traitement selon les régimes de sécurité sociale ne sont pas acceptables. Il paraît, en toute hypothèse, profondément injuste que les handicapés qui ne bénéficient pas de la majoration spéciale aient de plus à payer les charges sociales sur les salaires versés à ce qui est leur " auxiliaire de vie " et ne soient pas autorisés à déduire ces salaires de leurs revenus imposables.

Ces observations ont été complétées par trois propositions de réforme formulées respectivement en 1976, 1977 et 1979 et qui n'ont pas encore trouvé de solution.

- En 1979, devant l'accroissement des dossiers mettant en cause les procédures collectives et le comportement de certains syndics, le Médiateur a été amené à présenter une étude exhaustive de ce très grave problème (Rapport 1979 (pp. 160 à 173)).

Il a demandé que soit étudiée une réforme complète de la procédure du règlement judiciaire dans le cadre d'une concertation engagée entre le ministère de la Justice et les représentants des syndics.

Aux yeux du Médiateur il reste indispensable qu'avant la liquidation judiciaire, toutes les possibilités de sauver ou de faire reprendre l'entreprise, en préservant l'emploi, aient été épuisées.

La loi du 24 décembre 1976 donne au Médiateur, lorsque l’examen d’une réclamation fait apparaître que l'application des règles aboutit à une iniquité, le pouvoir de " proposer à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à y remédier et de suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires ".

Le bref rappel de cette activité réformatrice, qui vient d'être présenté, montre la diversité des sujets traités pour atteindre les causes de la mésadministration et des mécontentements là où ils se manifestent.

La multiplicité des modalités d'intervention retenues et des niveaux juridiques des textes visés explique la difficulté que l'on éprouve à donner de cette activité multiforme une vue synthétique.

Ces caractéristiques illustrent par contre le rôle de détecteur de réforme que le Médiateur a joué dans le passé et qu'il entend développer dans l'avenir.

Il est inévitable que beaucoup de choses soient à faire, beaucoup d'actions à développer pour ajuster et simplifier une réglementation héritée parfois des siècles passés par un phénomène bien naturel de sédimentation et pour adapter à notre temps et à nos modes de vie les modalités des interventions administratives.

Dans la poursuite de cette action, le Médiateur doit pouvoir s'appuyer sur le concours actif de tous les services publics. Il lui paraît indispensable que ses propositions soient accueillies comme une contribution à une recherche commune et qu'elles soient l'occasion d'une réflexion sur tous les problèmes connexes dont il a pu ne pas avoir connaissance.

Si chaque décideur administratif accepte de balayer devant sa porte, la rue administrative sera vite nettoyée de tout ce qui aujourd'hui l'encombre et contribue à dégrader l'environnement que l'Administration secrète et dont dépend la vie de la nation.

La création d'un Ministère des Réformes administratives devrait d'ailleurs permettre, après coordination, une prise en charge plus rapide par le Gouvernement des propositions de réforme émanant du Médiateur.

C'est à ce travail d'équipe que le Médiateur convie tous ceux qui sont persuadés que le service public, c'est le service de l'Etat et de la collectivité, mais c'est aussi le service du public.

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