Année 1980


VIE DE L'INSTITUTION




L'année 1980 a été marquée par trois évènements concernant l'Institution du Médiateur sur trois plans différents.

Chronologiquement, le premier fut le déroulement du colloque organisé le 13 mars. Cette "première" devait permettre, dans le cadre de la salle de conférences de l'Assemblée Nationale, à des participants parfaitement représentatifs des milieux s'intéressant au rôle du Médiateur, aux problèmes dont il est saisi, et aux résultats de ses actions, d'établir une sorte de bilan de la connaissance que les Français avertis peuvent en avoir.

Le deuxième de ces événements s'est situé hors de nos frontières. Il aurait pu ne revêtir qu'un intérêt juridique puisque son objet était de réunir à Jérusalem les "ombudsman" répartis à travers le monde, pour qu'ils échangent des vues sur les Institutions dont ils ont la charge. En fait, au delà de ces exercices de "droit comparé", au demeurant aussi utiles qu'intéressants, les congressistes recherchèrent et trouvèrent aisément les fondements philosophiques communs de leurs missions, considérées comme indispensables même au sein des sociétés démocratiques qu'ils représentaient.

Ces deux manifestations mériteront quelques commentaires.

La fin du mandat de M. Aimé Paquet et la désignation de son successeur constituèrent le troisième fait saillant de l'année.

Il devait rendre un plus grand public attentif à une Institution encore mal connue des Français.

L'intérêt qu'il suscita exprimait davantage que la simple curiosité provoquée par tout changement de titulaire de hautes responsabilités.

Il devait se concrétiser, en effet, par un afflux des dossiers prouvant que la mission du Médiateur était, pour l'essentiel, parfaitement comprise par ceux qui ne disposent que d'informations parcellaires sur nos institutions.

Ces trois évènements ne sauraient faire oublier que, jour après jour, le Médiateur élabore sa doctrine, affine les méthodes d'instruction des dossiers, multiplie les contacts avec les ministres, les parlementaires et les administrés et promeut des idées d'amélioration des textes, des procédures ou des comportements.

Cette action continue ne peut-être féconde qu'à condition de disposer de structures spécifiques d'études, suffisantes en qualité et en effectifs, de pouvoir recevoir un accueil a priori favorable des services publics concernés par les réclamations et de trouver auprès des ministres et des autres autorités publiques l'adhésion immédiate au principe, posé par la loi, de la libre communication par leurs collaborateurs de toutes les informations nécessaires à l'examen des affaires.

Or, si au cours des sept années écoulées depuis l'installation du Premier Médiateur, la collaboration des services publics et de leurs responsables a été obtenue, les services mis en place, en fonction des moyens financiers et matériels, n'ont pu maîtriser parfaitement le très rapide accroissement du nombre des dossiers. L'informatique a considérablement amélioré leur efficacité mais il ne suffira pas de perfectionner -comme cela est d'ores et déjà prévu- les conditions de recours à l'ordinateur pour faire face à une progression à laquelle il importe cependant de s'adapter puisqu'elle répond à une poussée des besoins réels ou ressentis.

La mise en place de correspondants départementaux employés à temps très partiel (en moyenne une demi-journée par semaine) a, pour sa part, contribué à réduire le nombre des saisines incomplètes et, par conséquent, soumises dès le début de l'instruction à un retard de traitement.

Il est particulièrement encourageant de constater que les parlementaires prennent l'habitude de ne transmettre une réclamation au Médiateur qu'après s'être assurés auprès de ses collaborateurs "déconcentrés" que le dossier est susceptible d'une étude immédiate.

Ainsi certaines affaires peuvent même faire l'objet d'un règlement satisfaisant parce qu'elles ont été présentées avant de relever de l'intervention du Médiateur, aux correspondants qui ont procédé à un échange de vues avec le service concerné.

Nombre de correspondants jouent d'ores et déjà dans la vie locale un rôle fort utile qui déborde d'ailleurs du cadre initialement imaginé. Le tiers à peu près des questions dont on vient les entretenir ne correspond pas à la notion de " différend " mais témoigne de l'insuffisance d'informations communiquées aux usagers des services publics.

Ainsi donc, les services du Médiateur concourent-ils, par diverses voies (instruction de réclamations, orientation des administrés, contacts avec les services en relations directes avec le public... aussi bien que proposition de réformes fondamentales), à ce que l'Administration répond de mieux à l'attente des Français.

Ils ne peuvent cependant faire face dans des délais satisfaisants aux besoins croissants qui s'expriment. Pour être efficace, le Médiateur doit agir vite mais il ne peut pour autant sacrifier la qualité de l'instruction à la rapidité de l'intervention.

C'est pourquoi la modernisation des méthodes de travail, notamment par la systématisation progressive de l'aide à l'instruction par le recours à la documentation informatisée, constitue le pivot de la restructuration des services actuellement engagée.

Ceux-ci s'organisent autour du Médiateur entouré, d'une part, d'un cabinet, d'autre part, de deux délégués, M. Paul Ripoche, pour les réformes, et M. Pierre Poutout, responsable du traitement des dossiers et de la direction des services, assisté de M. Guy Decouty, secrétaire général.

Dix-huit assistants se consacrent à l'instruction des dossiers et à la préparation des propositions de réforme. Sept conseillers techniques font bénéficier le Médiateur de leur expérience éprouvée, quelques heures chaque semaine.

Le secrétariat comporte douze agents, notamment ceux qui ont la charge de l'installation informatique.

La gestion, enfin, est assurée par deux personnes.

Pour faire face aux dépenses résultant du fonctionnement des services centraux et déconcentrés, les crédits se sont élevés, en 1980, à 4 651 140 F seulement. Leur montant, porté à 5.251.000 F au titre de 1981, fait apparaître un accroissement qui ne correspond, en fait, qu'à la simple prise en compte des augmentations de rémunération.

Les précisions concernant l'activité de l'Institution telles qu'elles figurent dans ce rapport comporteront :

- un certain nombre de problèmes significatifs ayant donné lieu à des discussions avec divers départements ministériels ; l'énumération des cas présentés ne saurait être considérée comme exhaustive ;

- les propositions de réformes que le Médiateur souhaite promouvoir ;

- une réflexion pour l'avenir ;

- et une annexe comprenant la reproduction des lois sur le Médiateur, des indications chiffrées particulièrement suggestives et l'énumération des réformes proposées.

Colloque du 13 mars 1980


" Les rapports entre l'Administration et l'administré ".

Ce colloque, organisé par M. Aimé Paquet au terme de son mandat, avait pour objectif, grâce à une réflexion sur ce qu'avait été son action au cours des six années passées, de cerner ce que peut et doit être le rôle du Médiateur, de déterminer comment il peut et doit s'insérer dans l'ensemble des institutions.

Pour que cette réflexion puisse être menée de la manière la plus objective possible, le Médiateur avait demandé à des personnalités extérieures de poser les problèmes et de suggérer des solutions, d'animer les débats des tables rondes et d'en dégager les conclusions.

" Les rapports entre l'Administration et l'administré " auxquels les participants étaient invités à s'intéresser, étaient vus à partir de six thèmes précis de réflexion. Trois de ces thèmes étaient approfondis au cours des conférences du matin ; les trois autres débattus au sein des tables rondes qui se déroulèrent l'après-midi, à partir de dossiers significatifs déjà étudiés par le Médiateur.

M. Guy Braibant, Conseiller d'Etat, Directeur général de l'Institut international des Sciences administratives, a animé la première conférence autour du thème " l'équité, complément indispensable du droit ".

Il a développé l'idée qu'il faut, en réalité, récuser cette opposition traditionnelle entre l'équité et le droit, tout système devant tendre à la confusion maximale entre les deux notions. Sans doute, des correctifs sont-ils nécessaires, mais ces correctifs, apportés soit par des dérogations soit par des aménagements à la règle, doivent être maniés avec prudence.

M. Chandernagor, Député, Président de conseil régional et de conseil général, dans son exposé sur " Le Médiateur, inspirateur de la réforme ", a montré comment la compétence réformatrice du Médiateur s'était peu à peu imposée dans les faits, avant d'être rendue plus aisée grâce à des moyens accrus (notamment les procédures d'arbitrage imaginées par le Premier Ministre au cours de l'année 1977).

Pour M. Chandernagor, le rôle du Médiateur en ce domaine est irremplaçable, parce que spécifique. Placé entre l'administré et le parlementaire, d'une part, les administrations, d'autre part, il dispose d'éléments d'information de première main pour infléchir les réformes avec réalisme.

M. André de Peretti, directeur du Département de psychologie à l'Institut National de la Recherche pédagogique, s'interrogeait au cours de la troisième conférence sur le rôle du Médiateur en tant : " qu'instrument de connaissance du marché de l'Administration ".

Selon lui, il est manifeste qu'un effort doit être fait pour mieux connaître les besoins et les possibilités des citoyens, ceux-ci étant " définis dans un milieu délimité d'interactions et d'échange ". Les systèmes sociaux doivent s'affiner, se découvrir : l'Institution du Médiateur doit les y aider.

Chacune des trois tables rondes de l'après-midi avait pour thème de réflexion l'un des plus importants problèmes auxquels se heurtent les administrés face à l'Administration.

" Conflits entre intérêt général et intérêts particuliers " : cette première table ronde était présidée par M. Jean Pierre Fourcade, sénateur et ancien ministre.

Du fait de la mutation rapide de notre société, ces conflits sont de plus en plus complexes. Il y a les intérêts particuliers, les intérêts collectifs (fractions de l'intérêt général), les intérêts " représentés " par les administrations...

Face à ces conflits, toujours aigus et difficiles à trancher, le rôle du Médiateur est double. Il consiste d'abord à s'assurer, en cas de lésion des intérêts particuliers, que l'ensemble des textes législatifs et réglementaires ont été correctement appliqués. Si aucune " bavure " n'est décelée à ce stade, le Médiateur doit cependant s'appliquer à trouver une solution au conflit dès lors que l'intérêt général ne lui paraît pas devoir inéluctablement primer l'intérêt particulier. Cette orientation de l'action du Médiateur tend à se généraliser.

" Administration et inégalité " : constituait le thème de la seconde table ronde, animée par M. Roland Drago, professeur des Facultés de droit et des sciences économiques.

Un certain nombre d'exemples ayant mis en lumière l'inégalité fondamentale de l'administré face à l'Administration, les excès résultant de cet état de droit et de fait furent relevés.

Ces inégalités sont en effet, aussi bien instituées par les textes (délais, prescriptions... ont très généralement été conçus à l'avantage de l'administration) qu'induites par les comportements des services ou, même, confortées par la pratique des juridictions.

Pourtant s'il est normal et nécessaire que l'Administration détienne certains pouvoirs exorbitants pour mener son action en vue de l'intérêt général, il n'est pas admissible qu'elle puisse abuser d'une " position dominante ".

Le thème de la troisième table ronde, présidée par M. Pierre Drai, premier vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, s'intitulait " Administration et procédures ".

Le problème ainsi posé était sous-tendu par un autre plus précis, celui des limites de toute nature qui encadrent l'action administrative : délais de forclusion, prescriptions, plafonds et planchers de ressources, règles de compétence...

Il est apparu que le principal défaut du système résidait dans sa rigidité alors que certaines modulations paraissaient nécessaires et possibles. La responsabilité de mettre en œuvre ces systèmes souples devrait être laissée aux fonctionnaires de haut niveau et, surtout, aux tribunaux.

Cette journée, à laquelle ont participé des personnalités de divers horizons (parlementaires, magistrats, fonctionnaires, animateurs d'associations, journalistes ...) a montré que le Médiateur est finalement la seule Institution qui puisse organiser un sondage permanent sur les besoins et les aspirations de l'administré et offrir à celui-ci l'occasion de défendre " sa thèse ", sans intermédiaire et sans formalisme excessif, jusqu'au plus haut niveau.

Il n'est pas exagéré de dire qu'à plusieurs reprises, au cours des débats, le Médiateur a été perçu comme une " chance " pour l'Administration et la réclamation considérée comme une " chose normale qui permet au monde administratif de s'ouvrir ".

Il a cependant été souligné également qu'une utilisation moins discrète des moyens d'action qui lui sont conférés devrait déboucher sur des résultats plus souvent positifs.

M. Raymond Barre, à la clôture de cette manifestation, a rappelé l'importance de l'Institution, tant pour les citoyens que pour les pouvoirs publics, importance dont le nombre et la qualité des interventions avaient déjà fait la preuve (un dossier peut, le cas échéant, être adressé aux lecteurs qui souhaiteraient avoir connaissance de l'analyse détaillée des conclusions du colloque).

Conférence internationale du Médiateur (Ombudsman)


Jérusalem - Octobre 1980

La deuxième conférence internationale des "Ombudsman" a réuni en Israël, du 26 au 30 octobre 1980, les Médiateurs d'une quarantaine de pays représentant les nations démocratiques des quatre continents.

Cette conférence - qui a lieu tous les quatre ans - était organisée, dans d'excellentes conditions, par le Dr I.E. Nebenzahl, contrôleur d'Etat et " Commissioner for complaints " d'Israël.

Elle s'est tenue à l'hôtel Hilton de Jérusalem, sous la présidence du Dr R. Ivany, Ombudsman d'Alberta (Canada), assisté du Dr Nebenzahl et des représentants du Comité Directeur :

Pour l'Europe :

Mme L. Berger (R.F.A.) et M. Nordskov Nielsen (Danemark)

Pour l'Amérique :

M. Flavin (U.S.A.) et Dr. H. Smith (Canada)

Pour les autres régions :

M. K. Smithers (Australie) et Sir Moti Tikaram (Fidji)

La séance solennelle d'ouverture du Congrès a été présidée par M. Menahem Beghin, Premier Ministre d'Israël, qui a tenu à exprimer l'intérêt que porte son pays à l'Institution de l'Ombudsman. Le corps diplomatique était largement représenté à cette séance.

Diverses réceptions et manifestations devaient se dérouler parallèlement à la conférence :

- Inauguration officielle de " l'International Ombudsman Institute " dont le siège administratif est à Edmonton, Alberta, Canada ;

- Réception à la Résidence Présidentielle par M. Y. Berman, speaker de la Knesset,

- Réception par la Municipalité de Jérusalem au Musée d'Israël,

- Dîner officiel à la Knesset, sous la présence du vice-Premier Ministre M. Y. Yadin.

Les travaux du Congrès portaient sur trois thèmes principaux :

- L'Ombudsman : un médiateur, un réformateur et un " combattant " ?

- Rôle de l'Ombudsman dans la liberté de l'information.

- L'efficacité de l'Ombudsman.

Des groupes de travail se réunissaient, hors des séances plénières, pour débattre de divers sujets :

- L'Ombudsman face aux autorités locales.

- L'Ombudsman et les changements de mentalités.

- L'Ombudsman dans les Pays industrialisés.

- L'Ombudsman face aux Pouvoirs de l'Etat.

- Evolution du rôle du Médiateur : comparaisons et perspectives.

Etc....

Les représentants de la Délégation Française étaient conduits à intervenir, tant en séance plénière qu'en commission, en exposant la conception française du Médiateur, à la fois défenseur des administrés et réformateur, et sur le rôle " politique " - dans le sens noble du mot - qu'il était amené à jouer pour " réconcilier citoyen et Etat ".

Cette délégation était composée de :

M. Robert Fabre, Médiateur,

M. Pierre Bracque, Directeur de Cabinet,

M. Jean Ravail, Délégué Général.

Ce dernier devait participer en outre, les 1er et 2 novembre, à un Séminaire organisé à Herzliya sur le thème du fonctionnement technique des organismes de Médiation.

Les débats firent apparaître, au-delà des conceptions, spécifiques à chaque Pays, du rôle du Médiateur, des objectifs communs et des difficultés communes.

L'objectif de l'ombudsman est, partout, la recherche d'une simplification des formalités administratives, de l'établissement de relations plus compréhensives entre Administrations et administrés, du redressement des injustices, même si elles sont parfois commises au nom du droit.

S'il est vrai que les moyens - matériels et financiers - mis à la disposition des Médiateurs sont très variables suivant les nations, (les différences vont de un à dix, et, malheureusement la France en ce domaine est en queue du peloton), ils sont toujours considérés comme insuffisants en regard des besoins en constant accroissement. Le sentiment d'iniquité est largement répandu, et aussi la réalité des errements administratifs. Une satisfaction pour notre pays : l'administration de certains autres pays démocratiques est plus pesante, plus tatillonne et plus sujette à erreurs que la nôtre...

A l'issue de la Conférence, un nouveau Bureau fut élu, chargé d'organiser le prochain congrès (probablement en Suède en 1984).

Le Président en est Sir Moti Tikaram, ombudsman des Iles Fidji.

Le Médiateur français a été élu membre du Comité Directeur, chargé, dans le cadre de l'Europe, des relations entre la Grande-Bretagne, le Portugal, la France, et l'Espagne qui doit prochainement désigner un Médiateur.

Le Médiateur français et ses collaborateurs ont apprécié la qualité de l'organisation de la Conférence et la chaleur de l'accueil réservé aux congressistes par le Dr. Nebenzahl, son équipe et les autorités Israéliennes.

Cette rencontre a permis aux " Ombudsman " des diverses nations de confronter leurs expériences respectives, contribuant ainsi à une heureuse évolution d'une Institution encore très récente.



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