Année 1980


CONCLUSION



Tout un réseau juridictionnel, dont l'indépendance est garantie par la Constitution, et que coiffent les plus hautes instances – Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour de Cassation… - assure la liberté des citoyens dans le respect des lois.

De son côté, la Cour des Comptes veille à la stricte observance des règlements en vigueur, à la saine gestion des services publics, des collectivités, et dénonce les abus et excès de pouvoir.

Ainsi, la volonté du Parlement, exécutée parle Gouvernement, - leurs objectifs communs étant l'amélioration des conditions de vie des Français -, devrait-elle se traduire par une application aisée de la législation en vigueur.

Dans ce cas, l'Institution du Médiateur n'aurait plus sa raison d'être.

Mais ce " consensus " idyllique entre ceux qui sont chargés d'appliquer la loi et ceux qui doivent s'y conformer reste du domaine de l'utopie.

L'administré a trop souvent l'impression de " subir " une réglementation imposée, alors qu'elle est le fruit – mais pas toujours le reflet -, de la volonté de ses élus, animés des meilleures intentions dans leur action de législateurs.

Entre l'esprit de la loi votée par le Parlement, et le détail des mesures d'application se glisse, miroir déformant et impitoyable, le réalisme d'une Administration soumise aux contraintes réglementaires et financières.

D'où ce constant malentendu, qui creuse un fossé entre deux catégories de Français :

D'une part, ceux qui brandissent les foudres de la loi plus souvent qu'ils n'en usent comme instrument de solidarité ; d'autre part, ceux qu'anime un sentiment d'infériorité face à l'écrasante Machine administrative, (considérée parfois comme le " troisième pouvoir ") et qui se posent d'emblée en victimes. A moins, - mais c'est une minorité -, qu'ils ne cherchent à tourner les règlements à leur avantage.

Cette incompréhension réciproque a ses causes profondes.

Une fraction de la population se sent frustrée du fait que la politique du Pouvoir en place ne correspond pas à ses propres options.

Par une sorte d'amalgame, elle fait porter à l'Administration une large part de la responsabilité des choix politiques qu'elle réprouve.

Ne voyant d'autres solutions que changement de Société ou révolution, elle a tendance à critiquer avec la même verve les orientations gouvernementales, les lois votées et les modalités de leur application.

A l'autre extrême, les éléments les plus conservateurs admettent difficilement l'adaptation de la législation à l'évolution du mode de vie et des moeurs.

Pour des raisons diamétralement opposées, ils se plaignent avec la même amertume des mesures remettant en cause la moindre parcelle de leur autorité au sein de leur famille ou de leur entreprise.

D'autres, enfin, n'ont de cesse, au nom de l'Ordre et du Droit (un certain Droit ...) de condamner sans nuances la Liberté et la Démocratie, abusivement assimilées au Laxisme et à l'Anarchie.

L'avantage primordial du système démocratique est la liberté d'expression, donc de critique ouverte.

Encore faut-il que cette critique, devenant contestation permanente, ne débouche pas, par des effets pervers, sur la remise en cause de la Démocratie.

Les citoyens, et singulièrement les militants et les responsables des Partis Politiques - qui doivent selon la constitution concourir à l'expression de la volonté populaire - ont le devoir de

canaliser ces critiques, et, au lieu de les jeter en pâture à une fraction de l'opinion friande de controverses, d'émettre des propositions constructives et d'aider à leur réalisation.

Dans ce domaine, le Médiateur ne peut qu'émettre des voeux.

Et, d'abord, celui que tous nos concitoyens prennent conscience de la valeur mais aussi de la fragilité du système démocratique qui nous régit.

Valeur, car il est irremplaçable au niveau de la Liberté qu'il octroie.

Que l'on se garde de la tentation de l'autoritarisme, qui transforme rapidement la remise en ordre en mise au pas !

Fragile, car certains aspects de la violence, du terrorisme, qui se développent, peuvent engendrer une brutale déstabilisation.

Aucune nation, et la France pas plus que les autres, n'est à l'abri d'une telle menace.

L'un des remèdes - et, là, le Médiateur peut apporter son concours - est la prise en compte des vrais sujets de mécontentement, et un constant effort pour combattre l'injustice.

Au niveau de chacune des victimes, certes, mais davantage encore en débusquant le mal à la racine et en l'extirpant par de judicieuses réformes. 

Réformes ! voilà un mot bien galvaudé, et qui recouvre tant de sens divers que chacun peut l'employer selon ses voeux propres.

Une fois n'est pas coutume, la langue française, pourtant si riche, manque ici de synonymes pour éviter les ambiguïtés.

La réforme n'est, à mes yeux, ni le " chambardement ", ni le faux-semblant appelé à donner bonne conscience aux " réformateurs ".

Il ne s'agit pas d'ailleurs, de réformer pour le plaisir de réformer.

Ou pour camoufler l'immobilisme.

Il ne s'agit pas de courir après l'opinion, à coup de sondages douteux, pour tenter de capter les voix des électeurs insatisfaits.

Ni de rechercher les " coups " publicitaires susceptibles d'améliorer une image de marque au " hit-parade " de la popularité.

Là encore, le Médiateur, réceptacle de toutes les plaintes - révélatrices le plus souvent de situations douloureuses - est à même de détecter les erreurs, les lenteurs, les abus, qui rendent

insupportable une vie quotidienne déjà difficile.

Donc de proposer les réformes, tantôt ponctuelles, tantôt profondes, susceptibles de transformer heureusement cette vie quotidienne.

Rien de spectaculaire dans cet effort constant en faveur de l'humanisation des conditions d'existence. Rien de moins " publicitaire " que telles discussions sur la réversion des pensions, les forclusions, les documents d'urbanisme, les modalités d'expropriations etc... et pourtant, que de soucis risquent ainsi d'être évités, que d'iniquités supprimées !

L'arsenal législatif est déjà assez complet pour que les propositions du Médiateur visent essentiellement à l'harmonisation, à la simplification.

Car, - je l'ai déjà dit, je tiens à le répéter -, l'Administration, loin d'être responsable de tous les maux, est aussi souvent victime que l'Administré de la complexité de la législation.

C'est pourquoi je n'entreprends pas une croisade pour pourfendre l'Administration, avec un A majuscule, comme Anonyme, mais pour coopérer avec elle, tout en lui rappelant qu'elle est au service du Public. Donc de la Nation.

Ce sont les fonctionnaires, ce sont les agents des services publics, et tout particulièrement ceux qui sont au contact direct des Administrés, qui souffrent le plus des complications paperassières, des circulaires incompréhensibles, des réglementations touffues et contradictoires.

Citoyens à part entière, ces administrateurs sont mieux placés que quiconque pour proposer eux-mêmes les nécessaires aménagements, modifications, simplifications. Ils trouveront toujours chez le Médiateur une oreille attentive.

Moins de six mois après mon entrée en fonctions, je mesure pleinement l'importance de ma mission, et la limite de mes pouvoirs.

Cette limite vient davantage de l'insuffisance des moyens matériels que des barrières placées par le législateur, que je tiens à respecter scrupuleusement.

Car la capacité du Médiateur à influer sur la vie quotidienne des Français peut être grande.

Le prestige de l'Institution lui confère une autorité morale indiscutable. Je m'attacherai personnellement à défendre ce prestige, non par vanité, mais par souci d'efficacité.

Les avis du Médiateur, ses interventions, trouvent une large compréhension auprès des plus hautes instances administratives.

A la base, ils sont perçus avec sympathie et espoir.

Du côté du Gouvernement, l'accueil fait à mes propositions de réforme a, jusqu'à présent, été favorable.

Reste à accélérer leur mise en oeuvre. A traduire en actes cette prise en considération. Les succès acquis restent partiels.

Il faudra d'immenses efforts pour faire bouger la lourde machine, remettre en cause des traditions, des habitudes, vaincre des réticences.

Pour y parvenir, la conjugaison des efforts au sommet et à la base est nécessaire.

Il faudra aussi une volonté gouvernementale, inspirée par le Président de la République, qui rejoigne les aspirations populaires, que j'ai pour tâche quotidienne de traduire.

Cette prise de conscience multiple est l'une des conditions du bon fonctionnement de notre Démocratie.

Le Médiateur est une Institution devenue rapidement indispensable.

Sa totale indépendance est à la fois sa force et sa faiblesse.

Il serait désarmé sans l'appui des Pouvoirs Publics et sans le soutien du Peuple dont il défend les libertés, en étroite collaboration avec les Elus de la Nation.

Mais il sera l'un des rouages les plus efficaces si, de part et d'autre, se réveille l'esprit civique, c'est-à-dire si enfin le sens du devoir lié à l'intérêt général prend le pas sur la défense des intérêts personnels.

Cette solidarité s'avère d'autant plus indispensable que le Monde traverse une grave crise économique et sociale.

Je fais un pari audacieux sur la capacité de redressement des Français.

J'ai toujours misé sur l'Homme.

Parfois j'ai été déçu.

Je ne me décourage jamais.

Dans mes nouvelles fonctions, le lui fais toujours confiance.

Avec l'espoir de réussir - pour le bien de notre Pays - dans cette difficile mission.

Robert FABRE









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