Année 1976


RAPPORT DE SYNTHESE




I. - QUELQUES CHIFFRES SIGNIFICATIFS

Du 1er janvier au 31 décembre 1976, le Médiateur a reçu 3197 réclamations nouvelles (contre 3150 en 1975 et 1659 en 1974).

Pendant la même période, il a poursuivi l'instruction de 2 065 réclamations antérieures à 1976.

Son activité a donc porté, en 1976, sur un ensemble de 5 262 dossiers, dont 1846 ont été définitivement réglés tandis que 3416 demeuraient en cours d'instruction.

Les 1846 réclamations définitivement réglées se décomposent ainsi :

- 975 irrecevables (ne sont pas comptées les réclamations adressées directement au Médiateur sans l'intermédiaire d'un parlementaire et qui, de ce fait, sont irrecevables) ;

- 87 abandonnées par leurs auteurs ;

- 784 (dont 648 antérieures à 1976), instruites, qui ont abouti aux résultats suivants :

- 430 injustifiées ;

- 243 satisfaites ;

- 111 partiellement satisfaites.

Sur les 3 416 réclamations encore à l'instruction, 214 ont dû être retournées aux parlementaires pour demande de renseignements complémentaires.

Le Médiateur a, d'autre part, formulé 13 recommandations en exécution de l'article 9 de la loi qui l'institue, et relancé 10 recommandations antérieures. Sur ces 23 recommandations, 10 ont déjà reçu satisfaction totale ou partielle, 9 sont encore en discussion, 1 est restée sans réponse et 3 ont été abandonnées.

Enfin le Médiateur a présenté ou renouvelé 104 propositions de réforme dont 24 ont été satisfaites totalement ou partiellement.

Ces chiffres appellent deux commentaires :

a) La tendance à la stabilisation, d'une année sur l'autre, du nombre des réclamations reçues conduirait à penser que l'Institution a maintenant atteint son rythme de croisière, avec plus de 3 000 saisines nouvelles par an. Ce chiffre est comparable à la moyenne des recours soumis annuellement au Conseil d'Etat ; il est très supérieur à celle des saisines du commissaire parlementaire britannique (1800 environ), alors que la population est d'importance comparable dans les deux pays.

Mais cette situation peut se modifier dans l'avenir sous l'action de facteurs divers, et d'ailleurs antagonistes :

L'intervention du Médiateur auprès des parlementaires afin qu'ils soumettent les réclamations qui leur parviennent à un tri plus sélectif, d'une part ; le fait, d'autre part, que l'Institution s'orientant de plus en plus vers l'adoption de réformes, le nombre des affaires individuelles devrait ipso facto aller en diminuant : ces deux facteurs vont évidemment dans le sens d'un nouveau tassement des entrées.

Mais à l'inverse, l'assouplissement des conditions de saisine du Médiateur, l'extension de sa compétence et l'augmentation de ses pouvoirs, décidés par la récente loi du 24 décembre 1976 modifiant la loi du 3 janvier 1973, ne pourront, quand le nouveau texte aura produit ses effets, qu'augmenter de façon sensible le nombre des appels au Médiateur.

On ne saurait donc raisonnablement, à l'heure actuelle, faire de prévisions sur l'évolution quantitative de l'activité de l'Institution.

b) Le nombre relativement élevé des affaires restant à l'instruction en fin d'année s'explique par l'allongement des délais de cette instruction, résultat d'une politique délibérée d'examen plus approfondi des dossiers. Le Médiateur veut aller " plus loin ".

II. - QUELQUES AFFAIRES TEMOINS

Les principaux problèmes qui se sont posés au Médiateur en 1976, ou dont il a poursuivi la solution, sont mentionnés au chapitre III suivant, et traités plus en détail aux annexes.

Il a paru cependant utile d'exposer dès maintenant un petit nombre d'affaires particulières, intéressant divers secteurs du service public, illustrant différents types d'actions du Médiateur, mais présentant toutes l'un ou l'autre des caractères suivants : 1° Avoir, par les difficultés qu'elles comportaient, mis particulièrement à l'épreuve la volonté du Médiateur d'aboutir à leur règlement équitable et complet ;

2° Avoir donné cours, au contraire, à l'esprit de collaboration, et même à la bienveillance de l'administration ;

3° Avoir montré que le réclamant, non seulement n'a pas toujours raison, mais encore peut faire preuve, à l'occasion, de légèreté ou même de mauvaise foi.

De plus, chacune de ces affaires a sa caractéristique propre, qu'il s'agisse du trait de comportement des parties en présence, ou des circonstances qui ont marqué son instruction : l'enseignement à en tirer sera ramassé dans une brève formule placée en tête de chaque analyse.

1. DES REGLEMENTS DIFFICILES...

(l'affaire n° II-681, qui a coûté beaucoup d'efforts au Médiateur, mériterait de figurer sous cette rubrique. Mais comme elle offre un exemple frappant de l'attitude de l'administration devant les décisions de justice, on a préféré la mentionner plus loin (cf. " l'administration et la justice ", infra, p. 28)).

Affaire n° 771 : " Une faute de l'administration peut en cacher d'autres ".

Un ancien pensionnaire d'un hôpital psychiatrique, évadé peu de temps après son internement, apprend au bout de plusieurs années qu'un arrêté préfectoral a autorisé sa " sortie définitive ", ce qui lui permet de quitter la clandestinité dans laquelle il vivait depuis son évasion.

Il s'adresse au Médiateur pour lui exposer que la caisse d'assurance maladie à laquelle il était affilié lui réclame, pour défaut de feuille de soins correspondante, une somme représentant des indemnités journalières afférentes à une période postérieure à son évasion, et, de ce fait, indûment versées à l'hôpital psychiatrique. Peu après, l'intéressé est contraint de rembourser cette somme à la suite d'une procédure de saisie.

Un premier examen de l'affaire, mené avec le concours du Conseil d'Etat, montre la responsabilité des deux organismes mis en cause : celle de l'hôpital, qui a établi pendant plusieurs années de faux certificats attestant que le malade était sorti " à titre d'essai " alors qu'il était évadé ; celle de la caisse d'assurance maladie, qui, si elle croyait ou feignait de croire en ces certificats, aurait dû s'en satisfaire, puisque l'hôpital y répondait de son malade ; et si elle n'y croyait pas, n'aurait pas dû verser la somme en cause à l'établissement d'internement.

Certes, en toute rigueur, l'intéressé n'était pas en droit de percevoir cette somme. Mais l'équité commandait que la faute commise par les deux organismes soit réparée : c'est ce qui a été fait, après convocation de leurs responsables devant le Médiateur, et envoi à chacun d'eux d'une recommandation, émise en application de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, leur demandant de rembourser au réclamant la moitié de la somme litigieuse.

Mais au cours de l'instruction du dossier, il est apparu que les conditions dans lesquelles il avait été procédé à l'internement du réclamant, comme celles dans lesquelles était intervenu un arrêté préfectoral de sortie (en 1971) alors que l'intéressé était évadé (depuis 1967) méritaient d'être vérifiées.

L'enquête menée sur ces points a montré que l'on ne pouvait conclure de façon certaine au caractère arbitraire de l'internement, mais que les conditions d'intervention de l'arrêté de sortie révélaient des irrégularités graves.

Fort de ces conclusions, le Médiateur a adressé au Ministre de la Santé une proposition de réforme tendant :

a) A ce que tous les documents ayant trait à l'état mental du malade figurent désormais expressément dans la liste des documents que le code de la santé publique prescrit de consigner sur le registre tenu en application de ses articles L. 337 et L. 343.

Dans l'espèce, l'expertise médicale ordonnée par un tribunal sur la suggestion du médecin chef n'avait pas été mentionnée sur ce registre, et, de plus, son résultat n'avait jamais été communiqué audit médecin chef... ;

b) A ce que le code de la santé comporte désormais une disposition prévoyant que si un malade évadé, depuis un temps à fixer, n'a pas porté atteinte à la sécurité des personnes ni troublé l'ordre public, le préfet prononcera l'arrêté de sortie après avis d'une commission qui appréciera l'opportunité de cette mesure compte tenu des antécédents du malade.

Dans l'espèce, en régularisant par un arrêté de sortie, la situation d'un évadé qui n'avait pas fait parler de lui pendant un certain temps, le préfet avait sans doute suivi une pratique assez générale et " commode ", mais qui n'en était pas moins contraire à l'article L. 348 du code de la santé, aux termes duquel le préfet ne peut statuer que lorsque les médecins ont déclaré que la sortie pouvait être ordonnée.

La première de ces suggestions offre un intérêt évident en ce qui concerne la protection de l'individu.

La seconde, après étude, permettrait de pallier, au moins en partie et dans certains cas, l'inconvénient et même le danger bien connu, qu'il y a à rendre la liberté à un malade sans contrôle médical préalable.

On observera d'autre part que dans cette affaire, le Médiateur a usé de tous les moyens mis à sa disposition : convocation des agents publics responsables, appel aux corps de contrôle, recommandation, proposition de réforme de la législation.

Affaire n° II-2696 : " La solidarité entre codébiteurs est, pour le créancier, une garantie et non une facilité : l'administration, elle aussi devrait s'en souvenir ".

Une succession revient à deux cohéritiers. La vente de certains biens permet le règlement d'une partie des droits de succession, mais un reliquat subsiste, dont est débiteur, pour moitié, chacun des héritiers.

L'un - le réclamant - s'acquitte de sa dette ; l'autre ne le fait pas.

Pourtant, l'administration fiscale avait pris contre ce dernier une hypothèque légale sur l'immeuble qui lui avait été attribué lors du partage, et même procédé à une opposition sur les sommes dues à l'intéressé par la Sécurité Sociale, ainsi qu'à une saisie-exécution à son domicile : mais ces deux mesures " s'avèrent inopérantes " ...

L'administration imagine alors de faire jouer les dispositions du code des impôts prévoyant la solidarité entre cohéritiers, et met en demeure le réclamant - qui s'exécute, sous la menace d'une saisie de son mobilier - de régler la dette de son cohéritier. Interrogée sur cette manière de procéder, elle répond qu'il appartient au réclamant de se retourner contre son cohéritier pour obtenir le remboursement des sommes versées à la place de ce dernier.

Et cependant, la procédure de vente sur saisie mobilière, mise en œuvre contre le premier héritier, ne l'a pas été contre le second ; bien plus, l'administration semble avoir oublié l'existence de l'hypothèque dont le Trésor dispose contre ce dernier, et qui garantirait pourtant le recouvrement de sa dette fiscale...

Ainsi, il apparaît qu'entre deux débiteurs, dont l'un s'était acquitté rigoureusement de ses obligations, tandis que l'autre s'occupait, apparemment, à organiser son insolvabilité, l'administration a choisi de frapper le premier.

C'est la voie de la facilité, et non celle de l'application régulière des principes de la solidarité, qui voudraient au contraire que l'administration ne se retourne contre le débiteur solidaire que si elle ne dispose d'aucun moyen de coercition contre le débiteur défaillant. Aussi le Médiateur a-t-il été amené à adresser au ministre compétent une recommandation, formulée en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, et par laquelle l'administration est invitée à rembourser au réclamant l'intégralité des sommes mises à sa charge au lieu et place de son codébiteur défaillant.

La réponse à cette recommandation, qui vient de parvenir, est à l'étude.

Affaires n° II-528 et II-898 ;

N° I-1180, II-1909 et III-236 : " Curieuses manifestations de xénophobie en matière de validation de services ".

a) Deux réclamantes, d'origine espagnole, se voyaient refuser la validation pour la retraite de services accomplis en qualité d'agent non-titulaire - pour la première, d'une collectivité locale, pour la seconde, de l'Etat - à une époque où elles ne possédaient pas encore la nationalité française.

Or, un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 22 novembre 1974, avait disposé que le code des pensions civiles et militaires de retraite, pas plus que le code de la nationalité, ne permettait de refuser la validation de services de cette nature, au motif qu'ils auraient été accomplis par un étranger ; et cette décision, rendue à propos de la situation d'un fonctionnaire de l'Etat, était évidemment applicable aux agents des collectivités locales qui sont soumis à un statut analogue à celui des fonctionnaires de l'Etat.

A la suite de la recommandation émise par le Médiateur dans l'une de ces affaires, le Ministre de l'Economie et des Finances a admis que l'arrêt ci-dessus visé " ferait jurisprudence ", et les deux réclamantes ont obtenu satisfaction.

De plus, la doctrine administrative ainsi renouvelée a été portée par circulaire à la connaissance de toutes les collectivités immatriculées à la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, de manière à permettre à tous les agents qui s'étaient vus jusqu'ici opposer semblable refus, de renouveler leur demande de validation de services.

b) Trois fonctionnaires d'origine polonaise, qui avaient servi pendant la guerre de 1939-1945 dans l'armée polonaise reconstituée en France ou dans des régiments franco-polonais et n'avaient été naturalisés français qu'ultérieurement, se voyaient également refuser la validation pour la retraite des services ainsi accomplis.

Mais ici, l'obstacle provenait d'une lacune de la législation. En effet, l'assimilation des anciens combattants d'une armée alliée, postérieurement naturalisés français, aux anciens combattants français de 1939-1945, n'avait été instituée par une loi du 7 août 1957 qu'en ce qui concerne les majorations d'ancienneté valables pour l'avancement des fonctionnaires : elle ne s'étendait donc pas aux services validables pour la retraite - alors que par ailleurs, une convention franco-polonaise de 1947 avait reconnu aux ressortissants polonais ayant servi en France dans les mêmes conditions que les réclamants, les mêmes droits en matière de pension militaire d'invalidité qu'aux anciens combattants ou résistants français...

Il apparaissait donc au plus haut point justifié de combler cette lacune qui, très vraisemblablement - c'était l'avis du Conseil d'Etat, et l'examen des travaux préparatoires de la loi de 1957 le confirme - n'avait été que le résultat d'une inadvertance du Parlement.

Aussi le Médiateur a-t-il adressé le 15 octobre 1976 au Ministre de l'Economie et des Finances et au Ministre de la Défense une proposition de réforme tendant à compléter la législation en vigueur, afin que les services effectués dans les armées alliées ou associées, pendant les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945, par des étrangers ayant acquis par la suite la nationalité française, soient considérés comme services militaires " à tous points de vue ", et par conséquent validables pour la retraite.

Affaire n° I-636 : " La réclamation était devenue sans objet depuis deux ans ; il faut au Médiateur un an de démarches pour l'apprendre ".

La mère du réclamant, hébergée dans un hospice, avait été admise en 1969 au bénéfice de l'aide sociale.

Mais le même réclamant exposait au Médiateur en 1974 qu'il restait en litige avec la direction compétente de l'action sanitaire et sociale, à propos d'un arriéré de frais d'hospitalisation exposés antérieurement à cette admission et qu'il affirmait ne pouvoir payer.

Son affaire se présentait assez mal, car il n'avait pas fait appel d'une décision de rejet de l'aide sociale remontant à 1968, et avait omis plus tard d'engager une procédure judiciaire en atténuation ou suppression de sa dette - seule voie qui lui restait ouverte. Il s'était même finalement trouvé, en 1974, menacé de saisie au profit du Trésor public.

Or, après maints échanges de lettres, le Médiateur apprenait dans le courant de 1975, que les frais litigieux avaient fait l'objet d'une " admission en non-valeur " par l'établissement d'hébergement à la fin de 1972 - c'est-à-dire que dès cette date, l'hospice avait renoncé à poursuivre l'intéressé...

Il avait donc fallu trois ans à l'administration pour transmettre un renseignement qui, en fait, rendait sans objet la réclamation dont le Médiateur avait été saisi...

Affaire n° III-87 : " Un oubli regrettable dans le tableau des maladies professionnelles ".

La réclamante est veuve d'un assuré social décédé des suites d'une amibiase aiguë, contractée lors d'un séjour professionnel en Polynésie française.

Elle n'a pu obtenir la rente de conjoint survivant prévue par la réglementation sur les maladies professionnelles au motif que, dans l'état de cette réglementation, seul est reconnu et couvert le risque d'amibiase contractée à l'occasion de travaux effectués dans les laboratoires de bactériologie ou de parasitologie.

Mais si cette restriction se justifie parfaitement dans nos pays occidentaux, à climat tempéré, il est apparu évident au Médiateur qu'il fallait tenir compte du fait que des employés d'entreprises françaises peuvent être appelés à travailler dans des régions du globe où l'amibiase existe à l'état endémique, et à y courir de ce fait des risques certains dans l'exercice même de leur profession.

La proposition de réforme qu'il a adressé au Ministre du Travail, et qui tend à assouplir dans ce sens la réglementation actuelle, a reçu de ce Ministre un accueil encourageant : la commission compétente en la matière (commission de l'hygiène industrielle), va se pencher à nouveau sur la question de l'imputabilité au travail des affections amibiennes.

D'autre part, le dossier de la réclamante a été repris ; il se pourrait qu'elle obtienne une indemnisation si son mari avait été victime, au temps et au lieu de son travail, de malaises dus à l'amibiase : il y aurait alors, selon la jurisprudence, présomption d'accident du travail. Une enquête est en cours à ce sujet.

Affaire n° II-710 : " Un concours de circonstances exceptionnelles peut justifier le règlement en équité d'une affaire de pension. "

L'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraites ouvre droit à une majoration de pension aux retraités qui ont élevé trois enfants pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être " à charge ", au sens du code de la Sécurité Sociale.

Mais il est parfois difficile de concrétiser le point de départ de cette période de neuf ans, surtout lorsqu'il s'agit d'enfants issus d'un premier mariage du conjoint du titulaire.

La loi étant muette à ce sujet, l'administration considérait que ce point de départ ne pouvait être antérieur à la date du mariage du titulaire de la pension avec la mère ou le père des enfants du chef desquels la majoration était demandée.

Mais un arrêt du Conseil d'Etat a décidé, en 1971, que la période de neuf ans devait être décomptée dès le moment où le pensionné avait eu la charge effective des enfants, quelle qu'ait été la date du mariage.

Dans l'espèce, le réclamant avait formé une demande de majoration - rejetée en 1970 - pour trois enfants dont l'un avait cessé d'être à sa charge le 30 août 1966, alors que son mariage avec la mère remontait au 3 septembre 1957 : il s'en fallait donc de trois jours seulement, selon l'ancienne doctrine administrative, pour que le droit à majoration soit ouvert.

Mais, d'autre part, le réclamant avait vécu maritalement avec la mère de l'enfant en cause avant de l'épouser : il était donc hors de doute qu'il aurait pu bénéficier de la nouvelle doctrine issue de l'arrêté de 1971, s'il avait attaqué la décision de refus, de peu antérieure à cet arrêt.

C'est la conjonction de ces deux circonstances exceptionnelles qui a conduit le Médiateur à recommander au Ministre de l'Economie et des Finances de revenir, en équité, sur sa décision primitive, et d'accorder au réclamant la majoration demandée : son appel a été entendu.

Affaire n° I-1121 : " Dans le même sens que l'affaire précédente, mais en pire : pour un jour, un fonctionnaire perdait le bénéfice de la pension correspondant à son dernier grade. "

Selon l'article L. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les émoluments à prendre en compte pour le calcul de la pension sont ceux " afférents à l'indice correspondant à l'emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire au moment de la cessation des services ".

Un fonctionnaire des postes et télécommunications est admis à la retraite sur sa demande à compter du 30 juin 1972 ; le même jour, lui est notifié un arrêté le nommant à un grade supérieur, avec effet rétroactif au 1er janvier 1972 : il aurait donc suffi qu'il prenne sa retraite un jour plus tard (c'est ce qu'il a fait effectivement, mais non pas " juridiquement ", en travaillant pendant la journée du 30 juin) pour obtenir une pension calculée sur l'indice affecté au grade supérieur.

L'intéressé conteste en vain l'arrêté de mise à la retraite devant le Ministre des Finances, puis, au contentieux, devant le Tribunal Administratif.

Saisi de l'affaire, le Médiateur admet toute la valeur des arguments juridiques avancés à l'appui du refus de la demande. Mais il remarque que l'intéressé n'a eu connaissance de sa promotion que le jour même (30 juin 1972) où il était radié des cadres, et que la décision lui attribuant cette promotion n'a été prise que le 24 juin précédent, soit quatre mois après qu'il ait demandé à prendre sa retraite (le 27 février de la même année) ce qui est d'autant plus surprenant qu'il s'agissait d'un avancement automatique.

Il apparaît donc à l'évidence que l'intéressé a été mal informé de sa situation et de l'avancement dont il allait faire l'objet, et les circonstances de l'affaire paraissent au Médiateur de nature à justifier la prise d'une mesure gracieuse en faveur de ce réclamant : modification de l'arrêté de promotion faisant rétroagir celle-ci au 31 décembre 1971 ou modification de l'arrêté de mise à la retraite, en considérant que la date du 30 juin 1972 résulte d'une " erreur matérielle ", d'autant que le réclamant a travaillé pendant cette journée.

Telles sont les bases de la recommandation que le Médiateur a adressé sur cette affaire au Ministre de l'Economie et des Finances le 12 juillet 1976. Cette recommandation a été satisfaite.

Affaire n° II-1956 : " Les apparences étaient du côté de l'administration, mais non le bon sens ni la justice : la ténacité du Médiateur permet à la victime d'un accident vieux de près de trente ans de faire enfin valoir ses droits à ce titre. "

En 1947, un officier de police est victime d'un grave accident de la circulation alors qu'il était en service commandé. Transporté à l'hôpital, il y est soigné pour des blessures à la tête - sans qu'aucune radiographie du crâne soit pratiquée. Il reprend son service au bout d'un mois.

Mais, en 1951, des troubles importants apparaissent, que plusieurs encéphalogrammes permettent d'attribuer à l'existence d'une lésion.

L'intéressé est alors contraint de s'arrêter de travailler : il obtient plusieurs congés de maladie, puis est placé dans la position de " congé pour maladie de longue durée " prévue par le statut général des fonctionnaires.

Cependant, sa santé ne s'améliorant toujours pas, il s'avise de faire état de son accident auprès de son médecin traitant, lequel fait procéder en 1958 à un examen radiologique - le premier depuis l'accident... Les clichés montrent l'existence d'une séquelle de fracture ancienne, se traduisant, notamment, par un enfoncement crânien. Peu après, un spécialiste de neurochirurgie confirme la vraisemblance d'un rapport de cause à effet entre le traumatisme subi en 1947 et les troubles constatés.

De son côté, l'administration avait régulièrement renouvelé le congé de l'intéressé, jusqu'à ce qu'elle l'admit, en 1960, à faire valoir ses droits à la retraite, après épuisement de ses droits à congé de longue durée.

Il faut noter à ce propos que selon le statut des fonctionnaires, la durée maximale de ce congé est plus longue lorsque le malade peut prouver que l'affection dont il est atteint est imputable au service. Or, bien qu'elle ait été en possession des certificats médicaux tendant à prouver cette imputabilité, l'administration, sur l'avis du " comité médical supérieur " compétent en la matière, n'avait accordé au fonctionnaire en cause que le bénéfice de la durée maximale plus courte prévue pour les affections non contractées en service.

Cette décision n'empêcha pas l'intéressé de chercher à faire reconnaître que son état de santé était imputable à l'accident : à cet effet, il entama des procédures devant diverses juridictions, mais celles-ci se déclarèrent incompétentes.

C'est dans ces conditions que l'intéressé saisit le Médiateur en 1975, en faisant valoir notamment que l'administration lui avait refusé le bénéfice d'une pension d'invalidité, au motif que le comité médical ci-dessus visé n'avait pas reconnu l'imputabilité au service des troubles dont il souffrait.

Or là gisait précisément la faute commise par l'administration, car la procédure spécifique prévue par les règlements annexes au statut général des fonctionnaires en matière de maladie est étrangère à celle qui est instituée par le code des pensions civiles et militaires de retraite en matière de pensions d'invalidité ; et si cette dernière procédure avait, comme il se devait, été suivie, l'imputabilité au service de l'invalidité présentée par l'intéressé ainsi que son taux auraient été appréciés, non par le comité compétent en matière de congés de maladie, mais par la commission de réforme visée à l'article L. 31 du code des pensions, et cela dans les conditions prévues aux articles R. 41 et R. 45 du même code (caractère contradictoire de la procédure et nécessité pour la commission de motiver ses conclusions).

Il apparaissait donc, en droit, que rien ne s'opposait à un nouvel examen du dossier du réclamant, et à son passage devant la commission de réforme compétente appelée à statuer sur ses droits à pension d'invalidité.

Tel était l'avis du Conseil d'Etat, que le Médiateur avait consulté sur cette affaire, et tel fut le fond de la recommandation que ce dernier a adressé le 18 avril 1976 au Ministre de l'Intérieur, en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973.

Cette recommandation a reçu un accord de principe, et bien que, par la suite, le Médiateur ait dû apporter des précisions complémentaires sur le schéma exact de la nouvelle procédure à suivre, il est permis d'espérer que cette délicate affaire sera enfin réglée dans un proche avenir.

2. MAIS L'ADMINISTRATION APPORTE FREQUEMMENT UN CONCOURS TRES POSITIF A L'ACTION DU MEDIATEUR, ET FAIT PREUVE, SOUVENT, DE BIENVEILLANCE POUR L'ADMINISTRE...

Affaire n° II-1698 : " En matière de pensions, le droit est en général très strict ; mais l'administration sait tenir compte de situations qui appellent l'équité. "

Ancien instituteur retraité pour ancienneté de services, le réclamant demandait que la pension dont il était titulaire depuis le 1er janvier 1965 soit remplacée par une pension civile d'invalidité. Il faisait valoir en effet qu'au moment où il avait formulé sa demande d'admission à la retraite, il avait omis de signaler son mauvais état de santé, alors qu'il venait d'obtenir plusieurs congés de longue durée par périodes successives de 6 mois.

La décision d'admission à la retraite n'avait pas été contestée dans le délai réglementaire du recours contentieux : elle était donc, sur le plan juridique, devenue définitive. Mais il n'était pas douteux que l'intéressé aurait pu, à l'époque, obtenir une pension d'invalidité ; son état de santé avait d'ailleurs probablement motivé la cessation de son activité et il avait été atteint de cécité très peu de temps après. C'est pourquoi le Médiateur a demandé aux services concernés (Ministère de l'Education et Ministère de l'Economie et des Finances) de revoir la situation du réclamant.

Dans la mesure où les faits allégués par ce dernier ont été confirmés sur le plan médical par des documents attestant qu'il était en effet, à la date de sa radiation des cadres, incapable de continuer ses fonctions, ces services ont accepté, à titre tout à fait exceptionnel, de donner satisfaction à l'intéressé.

Affaire n° I-815 : " Toujours en matière de pensions : une vieille erreur de l'administration, corrigée également en équité ".

Le réclamant était sous-officier de carrière lorsque, en 1947, il demanda à être dégagé des cadres en application de la loi n° 46-607 du 5 avril 1946. Mais, alors qu'il avait formulé sa demande après avoir reçu la promesse qu'il pourrait bénéficier d'une pension proportionnelle, il apparut que, contrairement à ce qu'avait d'abord cru l'administration militaire, il ne comptait pas un nombre d'annuités suffisant pour obtenir une telle pension - il ne lui manquait en fait que quelques jours pour totaliser les onze années requises. Ses services ne furent alors rémunérés que par une solde de réforme, versée pendant un temps égal à la durée de ses services militaires effectifs.

Lorsqu'il connut le refus du service de la liquidation des pensions de lui accorder une pension proportionnelle, l'intéressé demanda le retrait de la décision incriminée, ainsi que sa réintégration dans l'armée active et la réparation du préjudice résultant pour lui de l'erreur commise par l'administration en cause dans le calcul de son temps d'activité, erreur qui l'avait incité à demander son dégagement des cadres. N'ayant pu obtenir satisfaction, il proposa alors de reverser le montant de la solde de réforme effectivement perçue, afin que ses services militaires soient retenus pour le calcul de la pension civile de retraite qu'il se constituait depuis qu'il était employé au service d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita). Mais aucune disposition légale ou réglementaire ne permettait d'étendre au cas de l'intéressé la faculté de reverser la solde de réforme qu'il avait perçu.

L'étude du dossier, menée avec le concours du Conseil d'Etat, montra que le réclamant ne pouvait finalement prétendre, en droit, ni à l'attribution d'une pension militaire proportionnelle, ni à la prise en compte de ses services militaires dans le calcul de sa pension civile, ni même, probablement, à la réparation du préjudice que lui avait causé l'erreur commise en 1947 dans le calcul de la durée de ses services militaires, car sa demande d'indemnité se trouvait frappée par la déchéance quadriennale.

Le Médiateur estima cependant que, compte tenu de l'erreur initiale de l'administration - erreur qui n'était d'ailleurs pas contestée -, la position du département concerné était sévère. Aussi demanda-t-il au Ministre de la Défense de remédier en équité aux conséquences dommageables pour l'intéressé de cette erreur initiale de l'autorité militaire, en accordant au réclamant une indemnité raisonnablement calculée.

Après nouvel examen du dossier, le Ministre de la Défense a décidé d'accorder à l'intéressé, à titre gracieux, une somme de 34285 F, calculée en tenant compte de la différence entre le montant de la pension proportionnelle qui aurait été perçue si les 11 années requises d'activité avaient été totalisées, et celui de la solde de réforme qui avait été effectivement perçue.

Affaire n° III-912 : " Une contribuable avait péché par ignorance : l'administration fiscale en tient compte, et lui fait remise de toutes ses pénalités de retard ".

Une propriétaire mentionnait régulièrement dans la déclaration de ses revenus fonciers le montant des loyers qu'elle retirait de la location de deux immeubles. Mais, par ignorance, elle n'avait jamais souscrit la déclaration spéciale requise, par application de l'article 691 du code général des impôts, en vue de la perception du " droit de bail " et de la " taxe additionnelle ".

Ayant appris l'existence, pour la première fois en 1975, de cette obligation supplémentaire, elle se présenta spontanément au service local des impôts pour régulariser sa situation. Là, lui fut notifié un rappel sur huit années s'élevant à 2 374,50 F, assorti d'une pénalité de retard de 1 114,80 F - que le service accepta d'ailleurs de réduire à 553 F.

Dès qu'elle eut connaissance du montant relativement élevé de sa dette, l'intéressée sollicita d'une part la remise entière de la pénalité encourue, d'autre part un délai de paiement pour se libérer du principal : cela lui fut refusé.

Peu de temps après, elle s'acquittait intégralement des sommes mises à sa charge, mais saisissait le Médiateur en faisant valoir que le défaut de déclaration qui était à l'origine du litige devait être imputé, selon elle, à une mauvaise coordination des services fiscaux, ce qui aurait dû conduire l'administration à satisfaire complètement sa demande, tant en ce qui concernait les délais de paiement que la remise de toute pénalité.

L'instruction de l'affaire a montré que la position des services fiscaux était inattaquable en droit, puisque, notamment, l'article 1702 du code général des impôts dispose qu'en matière de droits d'enregistrement - catégorie dans laquelle entrent le droit au bail et la taxe additionnelle - aucune autorité publique ne peut suspendre ou faire suspendre le recouvrement de ces droits.

Mais, à la suite de l'intervention du Médiateur, le Ministre de l'Economie et des Finances a immédiatement accepté, compte tenu des circonstances de l'affaire, d'accorder à la réclamante la remise entière des pénalités encourues.

Affaire n° II-1966 : " La bienveillance de la même administration fiscale aide à la réinsertion sociale d'une ancienne prostituée ".

Contrairement aux renseignements en possession du Ministère des Finances, le Médiateur apporte la preuve que la réclamante occupe régulièrement depuis 1973 des emplois de secrétaire intérimaire : il semble donc que sa " réinsertion sociale " soit en bonne voie.

Mais elle restait redevable envers le Trésor d'une somme importante, représentant les impositions établies, pénalités comprises, pour des années antérieures, à raison des revenus qu'elle tirait de la prostitution : il était indéniable que sa situation nouvelle ne lui permettrait pas de se libérer de cette dette avant de longues années, et que la persistance d'une telle charge risquait de compromettre sa réinsertion.

Sur l'insistance du Médiateur, l'administration des finances a finalement accepté - compte tenu de dégrèvements acquis antérieurement à la saisine de l'Institution - de ramener la dette fiscale de l'intéressée à une valeur compatible avec ses nouveaux revenus.

3. QUANT A L'ADMINISTRE, IL N'EST PAS TOUJOURS INNOCENT... ET IL SERAIT NAÏF DE LE CROIRE SUR PAROLE... :

Affaire n° III-732 : " Une négligence qui se termine bien ".

Un assuré contestait le montant des cotisations d'assurance maladie qui lui étaient réclamées.

L'enquête prescrite par le Médiateur a fait apparaître que si l'intéressé avait été taxé d'office, c'est parce qu'il n'avait pas donné suite aux demandes réitérées de la caisse mutuelle régionale d'indiquer le montant de ses revenus pour l'année 1973 (ceux de 1974 avaient été déclarés).

Dès que la caisse en a eu connaissance, elle a pu procéder à la modification des cotisations pour la période du 1er octobre 1974 au 31 mars 1975 ainsi que de celles dues du 1er avril au 30 septembre 1975. Les cotisations qui avaient été d'office fixées en " classe maximum " ont pu, de ce fait, être calculées sur une base forfaitaire, évidemment moins coûteuse.

Affaire n° I-1377 : " Un entêtement difficile à défendre...".

La réclamante, qui craignait de faire l'objet d'une expulsion en raison des opérations de rénovation du quartier qu'elle habitait, sollicitait son maintien dans les lieux.

En effet, l'immeuble dans lequel l'intéressée occupait un appartement avait été acquis par la ville de Paris en 1960, et loué en 1973 à sa " Régie immobilière " (R.I.V.P.) en vue d'une opération de restauration.

Pour des raisons de sécurité, tous les occupants de l'immeuble en cause avaient été évacués et relogés par la R.I.V.P. Ce relogement constituait une mesure provisoire, nécessaire seulement pendant la durée des travaux, soit environ une année, au terme de laquelle les intéressés pouvaient, s'ils le souhaitaient, réintégrer leur appartement.

Mais la plaignante refusait toute discussion. Plusieurs propositions de logement lui avaient été faites, qu'elle avait chaque fois repoussées ; un dernier logement lui ayant été offert, le Médiateur a invité l'intéressée à se manifester le plus rapidement possible auprès de la R.I.V.P. : en effet, devant la nécessité d'entreprendre les travaux, ce service avait averti la réclamante que cette proposition constituait une dernière possibilité et que, dans le cas où elle ne serait pas acceptée, le juge de l'expropriation serait saisi pour juger libératoire l'offre faite par l'administration.

Devant la mauvaise volonté évidente de la plaignante et les efforts faits par l'administration pour la satisfaire malgré tout, il ne pouvait être question pour le Médiateur de mettre en cause l'action menée par la régie immobilière dans ce litige.

Affaire n° II-291 : " Une mauvaise foi à toute épreuve ".

Ayant perdu son emploi dans un C.E.S. une maîtresse auxiliaire avait bénéficié, à compter du 16 septembre 1974, des allocations pour perte d'emploi, et s'étonnait de la suspension de leur versement le 30 avril 1975.

Mais c'est que - comme l'enquête du Médiateur l'a montré - l'intéressée, en dépit des attestations sur l'honneur de " non-emploi rétribué " qu'elle fournissait sans aucune gêne, exerçait régulièrement depuis août 1974, des activités rémunérées dans une société privée...

Et que, recrutée également par le C.N.R.S. le 4 septembre de la même année, elle se trouvait ainsi cumuler son salaire d'employée dans la société privée, l'allocation pour perte d'emploi, et son traitement au C. N. R. S...

On comprend qu'ayant quitté ce dernier organisme en demandant une seconde allocation pour perte d'emploi... l'établissement payeur de ces prestations se soit empressé de rayer l'intéressée de ses contrôles.

III. - LE DOUBLE ASPECT DE L'ACTION DU MEDIATEUR. AMELIORATION DU COMPORTEMENT DE L'ADMINISTRATION. AMELIORATION DE LA REGLE DE DROIT

Derrière toute réclamation soumise au Médiateur et reconnue justifiée, il y a, soit un mauvais fonctionnement du service public, manifestant, de façon plus ou moins caractéristique, tel ou tel trait du comportement administratif, telle ou telle forme de " mésadministration " soit un défaut (rigidité excessive, inadaptation, incohérence ... de la législation ou de la réglementation appliquée en l'espèce. Dans le premier cas, le Médiateur tentera donc de corriger des comportements ; dans le second, d'améliorer des règles.

Mais si les deux grands objectifs qui s'imposent ainsi, et depuis l'origine de l'Institution, à l'action du Médiateur apparaissent, par nature, bien distincts, il n'en va pas tout à fait de même quand on considère les moyens de les atteindre. Fréquemment, en effet, il ne sera possible de corriger un comportement défectueux qu'en s'attaquant à la règle même que l'administration peut invoquer pour le justifier, et cela par une interprétation qui n'est pas toujours, nécessairement, tendancieuse : en d'autres termes, la loi comme le règlement peuvent, eux aussi, inciter l'administration à adopter des comportements critiquables, et même l'y forcer.

A. - L'amélioration du comportement de l'Administration

Fonctionnant à la jointure du droit et de la vie, chargée d'appliquer à l'individu des règles nécessairement conçues pour des groupes, il est évident que l'administration n'a pas la tâche facile.

Et le Médiateur en est d'autant plus conscient que la situation même qu'il occupe, au débouché de l'action administrative, fait de lui le premier écho des difficultés que peut rencontrer cette action.

Mais ces difficultés, pour ainsi dire naturelles, ne sauraient expliquer à elles seules toutes les défectuosités constatées dans le fonctionnement de nos services publics.

A la base, il y a cette constatation - paradoxale - qu'à mesure que notre appareil administratif étend son emprise sur la vie du citoyen comme sur l'ensemble des activités nationales, paraît s'affirmer en lui la tendance - déjà fort anciennement relevée - à l'isolement et au repli sur soi.

Isolement par rapport à ce qui l'environne, c'est-à-dire en premier lieu son public : il semble que l'administrant éprouve toujours les plus grandes peines à " se mettre dans la peau " de l'administré.

Isolement aussi par rapport aux techniques modernes de gestion et d'organisation : il est indéniable que, dans son ensemble, notre administration a peu assimilé le " choc du futur ", et que la teinte de désuétude qui demeure attachée à son image est pour beaucoup dans l'indifférence ou le scepticisme où tombent même ses plus réels efforts de transformation, ses initiatives les plus " modernes ".

A la vérité, et s'il était permis d'assimiler l'administration à une personne, il est plus que probable qu'un " médecin des institutions " porterait sur elle les diagnostics, voisins, de l'égocentrisme et de l'introversion.

C'est là, sans doute, qu'il faut chercher les racines de ce vaste ensemble de comportements symptomatiques, que l'on peut désigner du terme de " mésadministration " - sans oublier, comme on l'a fait observer ci-avant, que la loi ou le règlement eux-mêmes peuvent être source de mésadministration.

1. - L'administration et le droit

a) L'administration et les principes.

Comme on l'a vu au rapport de 1975, l'administration peut faire une application trop systématique, voire erronée, de certains principes généraux du droit, ou de principes de portée plus restreinte régissant les législations qu'elle met en oeuvre.

Principe de non-rétroactivité de la règle de droit (cf. rapport de 1975, p. 26 et 93 à 97 ; et infra, chapitre I).

Le Médiateur a reçu du Conseil d'Etat, en réponse à la demande d'étude qu'il avait présentée, des conclusions qui confirment en tous points les vues développées sur le sujet dans son précédent rapport.

Aussi a-t-il pu, dans une proposition de réforme adressée à tous les départements ministériels susceptibles d'intervenir dans la mise en oeuvre de cette partie de la législation sociale qui concerne principalement l'assurance vieillesse, rappeler lesdites conclusions, et proposer qu'il en soit fait application, dans un premier temps, au règlement de certains problèmes particulièrement pressants.

Ainsi le principe de non-rétroactivité devrait être écarté, ou ses conséquences sensiblement atténuées, en ce qui concerne :

- la durée d'assurance à prendre en compte pour le calcul des pensions de vieillesse du régime général ;

- la prise en compte des dix meilleures années pour le calcul du salaire moyen ;

- la majoration de la durée d'assurance prévue en faveur des mères de famille ;

- la suppression de la condition de " stage " pour l'ouverture du droit à pension de vieillesse ;

- le choix de leur régime d'affiliation, pour l'assurance maladie, par les titulaires de plusieurs pensions de vieillesse relevant de régimes différents ;

- l'affiliation rétroactive à la Sécurité Sociale de certains tributaires du code des pensions civiles et militaires de retraite qui ont quitté le service sans droit à pension.

Principe de l'intangibilité des pensions une fois liquidées.

a) En matière de Sécurité Sociale (rapport de 1975, p. 27-28) :

Dans sa proposition de réforme relative à l'" accès à la retraite et ses difficultés " (cf. infra. chap. III, p. 31), le Médiateur propose que le rappel de ce principe fasse partie de l'information de base qui serait adressée aux futurs retraités à des dates choisies.

Ainsi pourrait être diminué, à l'avenir, le nombre de ces situations pénibles où l'assuré social, de bonne foi, cherche à " reprendre " sa décision de retraite, et se heurte à l'irrévocabilité que postule le principe en question.

Mais le Médiateur continue d'estimer que ce principe ne paraît nullement inattaquable, tant du point de vue de la logique que de celui du droit, et trouve toujours bien insuffisantes toutes les mesures prises jusqu'à ce jour pour en atténuer la rigueur.

b) En matière de pensions civiles ou militaires de retraite :

En ce domaine, le législateur a apporté depuis longtemps au principe étudié des atténuations de portée générale, en envisageant la possibilité d'une révision des pensions attribuées, soit pour " erreur matérielle ", soit, plus récemment, pour " erreur de droit ".

La législation a d'ailleurs connu sur ce point une évolution significative : alors que, de 1924 à 1948, la révision pour erreur matérielle était seule admise, de 1948 à 1964 la révision pour erreur de droit devenait possible, et sans aucun délai. Mais, depuis le nouveau code des pensions adopté en 1964 (article L 55), la pension ne peut plus être révisée pour erreur de droit, que ce soit à l'initiative de l'administration ou sur demande du pensionné, que dans un délai de six mois courant de la décision de concession initiale - la révision pour erreur matérielle demeurant possible à tout moment.

Or, plusieurs affaires soumises au Médiateur - dont deux étaient à l'origine d'une recommandation formulée en 1974 - ont montré que ce délai pouvait, par sa brièveté, placer certains pensionnés qui n'avaient pu, pour des raisons valables, demander la révision de leur pension en temps utile, dans une situation d'iniquité intolérable, puisque ces pensionnés se verront refuser jusqu'à la fin de leurs jours le service de la pension exacte à laquelle ils avaient légalement droit. Même, une étude approfondie du problème, menée avec le concours du Conseil d'Etat, conduit à la conclusion que l'existence de ce délai n'est justifiée par aucun argument déterminant...

Sans aller jusque-là, le Médiateur a suggéré, dans une récente proposition de réforme, que le délai en question soit porté à deux ans.

Principe de l'annualité de l'impôt (Rapport de 1975, p. 27 et 103 à 106, et rapport de 1976, annexe B, p. 182 et 183)

a)La possibilité d'atténuer la rigueur de ce principe a fait l'objet, en 1975 et en 1976 de deux propositions de réforme :

- l'une suggérait d'accorder aux salariés licenciés la possibilité d'étaler sur plusieurs années fiscales leurs salaires de congédiement.

La réponse du Ministre de l'Economie et des Finances a été négative, mais le Médiateur est décidé à poursuivre la solution de ce problème.

- l'autre fait observer que lorsqu'une collectivité publique acquiert un bien immobilier en cours d'année, il est parfaitement immoral qu'elle continue, après l'acquisition, à percevoir la contribution foncière sur un bien dont elle est devenue propriétaire.

Le Médiateur propose - tout au moins pour les acquisitions faites dans le cadre d'une opération d'utilité publique - que la fraction de cette contribution correspondant au temps courant de la date d'acquisition à la fin de l'année soit reversée au contribuable sous forme d'une indemnité annexe au prix de cession, s'il y a eu cession amiable, ou à l'indemnité d'expropriation, s'il y a eu procédure judiciaire d'expropriation.

Le principe de l'annualité de l'impôt - ou plutôt sa méconnaissance par le public - peut d'ailleurs avoir des conséquences fâcheuses en matière de contentieux fiscal. En effet, certains contribuables soumettent au juge de l'impôt un problème de fond qui peut couvrir plusieurs exercices fiscaux. Or, en vertu du principe dont il est ici question, chaque imposition annuelle constitue le fondement d'un litige distinct, pour lequel il faut respecter la procédure et les délais. Si donc, se fiant à l'idée que leur motif de réclamation n'a pas changé d'une année à l'autre, ces contribuables ne renouvellent pas leur réclamation après l'émission de chaque rôle annuel, ils se verront à chaque fois opposer la forclusion.

Le Conseil d'Etat a mentionné ce problème dans son étude sur les forclusions (cf. ci-après). Le Médiateur estime avec lui qu'une meilleure information des contribuables s'impose en ce domaine.

b) Les aspects inégalitaires de la situation faite à l'administré devant l'administration, ou à certaines catégories d'administrés par rapport à d'autres.

D'une façon générale, il est regrettable de constater que notre administration se comporte, trop souvent, comme si elle était " au-dessus du droit ".

Certes, notre droit public est d'essence inégalitaire. Mais certaines dissymétries constatées entre les droits et obligations du citoyen et ceux de l'administration, certaines inégalités de traitement, introduites ou maintenues à l'intérieur d'un même ensemble d'administrés, toutes les manifestations, en somme, d'une infériorité excessive du citoyen face au " pouvoir administratif ", ne peuvent qu'apparaître difficilement justifiables, et même anachroniques, si l'on considère que le mouvement qui emporte un pays comme le nôtre vers davantage de démocratie, ne saurait laisser à l'écart l'institution administrative.

On retrouvera naturellement, sous cette rubrique, bon nombre des problèmes " de principes " ou même " de procédures " mentionnés au rapport de 1975.

Problèmes soulevés par les forclusions et prescriptions (Rapport de 1975, p. 26 et 97 à 101 et infra, chapitre II, p. 64 et suivantes).

Le Médiateur se préoccupe depuis longtemps (Rapport de 1973, p. 252) des imperfections du régime français des forclusions et des prescriptions.

Il estime d'abord qu'un grave problème est posé par l'insuffisance de l'information des citoyens en ce domaine ; ensuite, qu'on peut parler de véritables injustices de la forclusion, notamment lorsque l'on compare les situations respectives de l'administration et de l'administré à cet égard ; enfin, que les délais de forclusion et de prescription sont trop divers et, dans l'ensemble, beaucoup trop brefs, compte tenu des conditions de la vie moderne.

Ces vues sont largement confirmées par les conclusions de l'étude que le Conseil d'Etat a mené sur ce problème à la demande du Médiateur, et dont on trouvera l'analyse détaillée en annexe.

Le principal intérêt de cette étude réside dans le fait qu'elle débouche sur un ensemble de propositions précises (treize au total) - dont le plus grand nombre tend à la modification d'un texte législatif ou réglementaire - et que, dans bien des cas, le Conseil d'Etat a pu obtenir, sur ce qu'il suggérait, l'accord de principe des services concernés.

Après avoir noté que l'étude a été menée suivant trois directions principales : l'amélioration de l'information du public, la limitation du nombre des forclusions et l'amélioration du régime des prescriptions, on se bornera ici à citer les plus importantes des solutions envisagées. Ainsi, le Conseil d'Etat propose :

- " de mettre au point un programme d'information du public sur les raisons d'être des forclusions et des prescriptions et sur les principaux délais en vigueur, de poursuivre la diffusion du guide pratique de la justice administrative (édité par le Conseil d'Etat) et d'encourager les tribunaux administratifs à faire localement un effort d'information " (proposition n° 1).

- " de recommander par voie d'instructions à toutes les administrations et aux greffes des juridictions administratives de mentionner dans la notification des décisions qui ne donnent pas totale satisfaction au demandeur, le délai avant l'expiration duquel il faut se pourvoir en cas de contestation et, le cas échéant, la procédure particulière à suivre " (proposition n° 3) (on notera, à cet égard, qu'en République Fédérale d'Allemagne, la loi a depuis longtemps organisé, et de façon minutieuse, la protection de l'administré contre les forclusions).

C'était là un des souhaits les plus vivement exprimés par le Médiateur ; et si le Conseil d'Etat, comme il est compréhensible, n'a visé que les juridictions administratives, il n'existe pas de raison d'écarter du champ de cette proposition les juridictions judiciaires.

- " de prescrire aux administrations de faire l'inventaire des délais inférieurs à deux mois et d'en faire parvenir le résultat à la commission du rapport et des études du Conseil d'Etat avec une proposition motivée de maintenir ou de supprimer les dispositions qui instituent ces exceptions " (proposition n° 5).

En dehors de cas très particuliers, un délai inférieur à deux mois - un mois par exemple, ou quinze jours - apparaît en effet difficilement conciliable avec les exigences de la vie moderne.

- " d'élaborer une disposition réglementaire permettant au juge administratif de décider que le délai de recours n'a pas couru lorsque l'intervention d'une décision implicite de rejet n'a pu être décelée du fait de l'administration " (proposition n° 7).

Il devenait en effet de moins en moins admissible que l'on puisse opposer à un justiciable un délai de forclusion dont il ignorait totalement qu'il puisse courir, et à partir de quand.

- " de prendre une disposition législative établissant au profit des débiteurs des personnes publiques une prescription quadriennale comparable à celle qui résulte de la loi du 31 décembre 1968, dans tous les cas où il n'existe pas une prescription particulière instituée par un texte " (proposition n° 10).

Ce serait là la première " mise en symétrie " des droits et obligations respectifs de l'administration et de l'administré - et l'on sait combien le Médiateur est attaché à ce que cette symétrie s'instaure dans le plus grand nombre de cas possible.

- " d'instituer, par la modification des articles L. 395 et L. 465 du C.S.S., une prescription de deux ans à l'encontre des caisses de Sécurité Sociale, en matière de prestations d'assurance maladie ou d'accidents du travail et de maladies professionnelles, conformément à ce que ces mêmes articles imposent déjà aux ayants droit, et d'étendre cette règle à tous les régimes de Sécurité Sociale autres que le régime général " (proposition n° 13).

Autre atteinte, donc, à l'inégalité entre l'administré et l'administration, et non moins vivement souhaitée par le Médiateur.

On se permettra d'insister sur le fait que le Médiateur a été le premier à soulever cet important problème de la forclusion et à provoquer une étude conduite dans des conditions telles que le terrain est déjà tout préparé pour les propositions de réforme, notamment en matière législative et réglementaire, qui vont devoir être présentées afin d'en concrétiser les conclusions.

Cela prouve combien la collaboration du Conseil d'Etat peut être précieuse pour le Médiateur ; cela prouve aussi que si ce dernier n'a pas, naturellement, l'initiative des lois ni des règlements, l'expérience et les conclusions qu'il tire de l'examen des dossiers qui lui sont soumis peuvent le placer seul à l'origine d'un important remaniement du droit positif.

Problèmes de délais en matière de Sécurité Sociale (cf. chapitre II, p. 101 à 108).

La même étude du Conseil d'Etat ne néglige pas, comme on a pu le voir, le domaine de la Sécurité Sociale. Mais ce domaine présente, en matière de délais, un tel nombre de singularités difficilement justifiables que le Médiateur a estimé légitime de consacrer à celles-ci une proposition de réforme spéciale, qui a été transmise en juin 1976 au Ministère du Travail.

La législation ou la réglementation relatives à la Sécurité Sociale prévoient des délais de forclusion ou de prescription dans les matières suivantes : le recouvrement des cotisations, le paiement des prestations, et le contentieux. Or, l'organisation actuelle de ces délais soulève trois critiques principales : leur extrême diversité ; l'excessive brièveté de certains d'entre eux ; leur dissymétrie trop fréquente, suivant qu'ils bénéficient aux organismes de Sécurité Sociale ou aux " assujettis ".

Naturellement, la proposition de réforme dont il est question ne pouvait manquer de rencontrer des thèmes déjà traités dans l'étude précitée du Conseil d'Etat ; mais elle en touche bien d'autres, comme on le constatera à l'énoncé des suggestions par lesquelles elle se termine.

Ainsi le Médiateur propose, notamment :

- de coordonner les délais d'acquisition ou de perte des droits dans les différents régimes afin qu'une personne cessant d'appartenir à un régime pour passer à un autre régime, sans interruption, ne reste pas sans couverture sociale pendant une période qui peut atteindre trois mois ;

- de fixer des délais identiques aux particuliers et aux organismes pour des objets identiques : par exemple il n'est pas acceptable qu'une union de recouvrement dispose d'un délai de cinq ans pour récupérer des cotisations non payées, alors que l'entreprise ou l'assuré ne peut disposer que d'un délai de deux ans pour demander le remboursement de cotisations payées par erreur ;

- d'uniformiser les délais en matière contentieuse, de façon à éviter les confusions et les forclusions ;

- de fixer des délais suffisamment longs, qui tiennent compte de la " mobilité " des personnes dans la société moderne : on éviterait ainsi que l'absence du domicile soit, en fait, cause de forclusion ;

- de réviser les modalités de saisine de la commission de première instance du contentieux de la Sécurité Sociale : il n'y a aucune sécurité pour l'assuré social dans un système qui fait partir le délai de recours de l'expiration d'un délai lui-même décompté à partir d'une date non " certaine ", dans le cas du silence de l'administration ;

- en ce qui concerne les commissions de recours gracieux, de faire jouer la règle de la " décision tacite " au bénéfice de l'administré, et non plus à son détriment.

Problèmes soulevés par les paiements incombant aux collectivités publiques : retards excessifs, sanctions insuffisantes (développement au chapitre II, p. 108 à 110).

Le Médiateur a d'abord rencontré ces problèmes dans le domaine des acquisitions d'immeubles faites par les collectivités publiques : on a vu au rapport de 1975 (p. 77 et 78) qu'une affaire l'avait amené à adresser au Ministre de l'Economie et des Finances une proposition de réforme tendant à prévoir, en cas d'acquisition à l'amiable, le versement au vendeur d'intérêts moratoires, par analogie avec ce qui existe déjà en cas d'expropriation après jugement.

Cette proposition n'avait été que partiellement satisfaite, le département des finances acceptant bien que des intérêts moratoires soient désormais prévus lorsque la promesse de vente aurait été recueillie " dans le cadre d'une opération d'utilité publique ", mais refusant d'étendre cette solution aux acquisitions antérieures à toute procédure d'utilité publique.

Le Médiateur n'en estimait pas moins, et estime toujours, cette extension légitime.

Une affaire plus récente (analysée au chapitre II, p. 109 et 110) a montré que les mêmes problèmes pouvaient se poser dans le domaine des " commandes sans marché " passées par une collectivité publique. Là encore, le Médiateur jugeait légitime que la situation des bénéficiaires de ces commandes soit alignée sur celle des cocontractants à un marché public, qui, eux, peuvent recevoir des intérêts moratoires en cas de paiement tardif.

Il s'est heurté à un net refus, longuement argumenté, du Ministère de l'Economie et des Finances : il n'a même pas pu obtenir le règlement, en équité, du cas d'espèce qu'il avait soumis.

D'une manière générale, le Médiateur n'entend pas poursuivre plus avant une discussion qui, malheureusement, a été jusqu'à ce jour en partie stérile : il faut, prenant le problème de plus haut, considérer que tout retard de paiement imputable à une collectivité publique - qu'il s'agisse d'une acquisition foncière, d'une commande sans marché ou d'un marché public - est en réalité un crédit imposé au fournisseur ; or, dans la pratique du commerce, tout crédit est négocié, et généralement assorti de conditions...

Il faut, à proprement parler, estimer indécent que les créanciers des collectivités publiques puissent être astreints à quelque formalité que ce soit pour obtenir des intérêts de retard, alors que c'est sans formalité aucune que les mêmes collectivités réclament à leurs débiteurs " intérêt et capital "...

Si donc, en dépit des mesures prises, tant dans le domaine des acquisitions foncières (application du décret n° 67-568 du 12 juillet 1967, notamment) qu'en matière de marchés (cf. la réponse du Ministre des Finances à la question écrite n° 17052 en date du 16 juin 1975, Journal Officiel, Débats parlementaires Sénat, 1975, p. 2479), pour en diminuer la fréquence et la durée, des retards de paiement continuent à être imputables aux collectivités publiques, il faut, à tout le moins, que ces retards entraînent, dans tous les cas et automatiquement, la mise à la charge de la collectivité débitrice d'intérêts moratoires, courant jusqu'à la date du paiement effectif.

Telle est la position que le Médiateur va soutenir dans une nouvelle proposition de réforme adressée à l'ensemble des départements ministériels. Si besoin est, il portera le problème devant l'opinion, ne serait-ce qu'en raison de l'importance de ses implications économiques.

Problème posé par les mesures d'" instruction administrative " (Rapport de 1975, p. 30 et 121 à 123).

Dans son rapport de 1975, le Médiateur avait dénoncé le caractère non contradictoire des enquêtes, expertises, etc. ordonnées, et plus tard exploitées, par l'administration à l'occasion de litiges avec des particuliers. Il demandait qu'une procédure plus équitable soit suivie dans l'exécution de ces mesures " d'instruction administrative ".

Ce n'est peut-être qu'un cas isolé, mais en poursuivant l'instruction d'une affaire citée au même rapport (p. 15) et relative à la responsabilité de l'Etat en matière de dommages provoqués par un " bang " supersonique, le Médiateur a reçu du Ministère de la Défense l'assurance que les mesures d'instruction nécessaires au règlement des plaintes dont ce département est saisi sont toujours, en exécution de directives déjà anciennes, effectuées en présence des plaignants, à l'examen desquels est en outre soumis pour signature, avant toute décision, un procès-verbal de constat contradictoire.

Problème de l'harmonisation progressive des divers régimes de Sécurité Sociale (Rapport de 1975, p. 28 et 103 à 115).

Nous avons là le type même des problèmes soulevés par les inégalités de situation entre groupes d'administrés appartenant à un même ensemble.

Sous le titre " Mise en oeuvre de l'harmonisation des régimes de Sécurité Sociale ", le Médiateur a adressé à tous les départements ministériels concernés par la gestion d'un régime de Sécurité Sociale, une proposition de réforme où les vues exposées au rapport de 1975 sont reprises, mais à l'intérieur d'un cadre beaucoup plus large et cohérent.

Il y est suggéré de mettre fin à trois catégories de disparités :

- celles qui se rencontrent entre " régimes de base obligatoires légaux " ;

- celles que l'on peut appeler " de répercussion ", et qui naissent de la non-extension aux ressortissants des régimes spéciaux de certains avantages consentis aux ressortissants des régimes de base (cf. rapport de 1975, p. 110 notamment) ;

- les disparités constatées en matière de droits au bénéfice d'un régime complémentaire de retraite (ib. p. 112 et 113).

D'une manière générale, il faut noter que l'" harmonisation " ne consiste pas à étendre la Sécurité Sociale à de nouvelles catégories socioprofessionnelles, mais à donner des avantages équivalents aux catégories déjà assujetties.

Parmi les mesures suggérées dans la proposition de réforme ci-dessus mentionnée, un certain nombre, ne relevant que du décret ou de l'arrêté, pourraient être prises immédiatement, et n'entraîneraient pas de grosses dépenses. Mais le Médiateur a appris récemment que celles qui nécessiteraient une modification législative - ce sont les plus importantes et les plus coûteuses - ne pourraient intervenir que dans le courant de l'année 1978, et selon un calendrier qui n'est pas encore fixé.

Pourtant, d'après la loi n° 74-1094 du 24 décembre 1974, c'est au 1er janvier 1978, au plus tard, que l'harmonisation devait être réalisée...

c) L'administration " au-dessus de la loi ".

C'est un problème classique que celui du retard constaté dans la prise de textes réglementaires, notamment lorsque ces textes conditionnent la mise en application pratique d'une loi.

Dans ses précédents rapports (1973, p. 260 et 261, 1974, p. 129), le Médiateur avait cité des exemples de ces agissements, qui peuvent s'analyser en une véritable inexécution de la loi.

L'année 1976 lui a donné moins de cas nouveaux à connaître. Sans doute faut-il voir là les effets de la procédure de contrôle systématique de l'application des lois instaurée au Sénat, comme des instructions données par le Premier Ministre au début de 1975, et qui fixent à six mois le délai maximal dans lequel doivent intervenir les règlements d'application d'une loi.

Mais, comme le constate le Sénat, et comme le Gouvernement l'a reconnu (cf. J.0., Débats parlementaires, Sénat, séance du 8 avril 1975, p. 326 et 327), des retards anormaux subsistent et subsisteront sans doute encore dans l'avenir. Un exemple particulièrement frappant est celui du retard apporté à la prise du décret prévu pour l'application de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, et qui permettrait de résoudre le problème - pourtant à l'étude depuis plusieurs années, dans le cadre de la réforme hospitalière prévue par la loi du 31 décembre 1970 - des conditions de prise en charge des dépenses d'ordre médical exposées pour les personnes hébergées dans un hospice. Cette question fait l'objet d'un développement à l'annexe B (voir annexe B, p. 150 et 151).

Le Médiateur a déclaré, lors de son audition par la " Commission spéciale des libertés " de l'Assemblée Nationale, le 2 juin 1976, qu'à son avis c'est le Parlement lui-même qui devrait se saisir du problème dans son entier.

Ainsi pourrait être dégagée une solution plus systématique, et par là plus satisfaisante, que les mesures - toutes empiriques - rappelées ci-dessus. Par exemple, il pourrait être décidé que, lorsque les règlements permettant l'application d'une loi n'auraient pas été pris dans l'année de la promulgation de cette loi, le Gouvernement serait appelé devant le Parlement pour donner sur ce retard les éclaircissements nécessaires. S'il s'avérait alors que la loi portait en elle-même les motifs de son inapplicabilité, une procédure d'urgence serait engagée pour la modifier ; dans le cas contraire, des sanctions - sous forme d'astreintes notamment - pourraient venir frapper l'administration responsable.

2. - L'administration et la justice

L'administration peut aussi apparaître comme se plaçant " au-dessus de la justice " lorsqu'elle se refuse - attitude classiquement dénoncée mais toujours vivace - à exécuter certaines décisions juridictionnelles, s'isolant ainsi d'une justice pourtant créée au sein même de l'" ordre administratif ".

Que le problème demeure, c'est ce dont témoignent, par exemple (Affaire n° II-681), les déboires de ces propriétaires d'un étang de pêche, sur lequel une collectivité publique avait décidé de construire, et a construit un pont, en dépit de l'annulation successive de trois ordonnances d'expropriation par la Cour de Cassation, et de la décision d'une Cour d'Appel ordonnant la démolition de l'ouvrage et l'évacuation des lieux dans le délai d'un an, sous astreinte. L'ouvrage n'a pas été démoli ; les astreintes n'ont pas été payées... Finalement, l'action persévérante du Médiateur a conduit l'administration à accepter de verser une indemnité - dont le montant n'est pas encore définitivement fixé.

Dans une autre affaire, l'intervention du Médiateur a permis, plus directement, de mettre fin à l'inexécution d'un jugement remontant à 1971, et qui annulait pour illégalité des mesures prises à l'encontre d'un secrétaire de mairie ; dans une troisième, de confirmer à la réclamante qu'une sentence de tribunal administratif - annulant le refus, par la direction d'un hôpital, d'accepter une prolongation de son activité, pourtant exceptionnellement prévue par les textes, au-delà de la limite d'âge réglementaire - avait été correctement exécutée à son endroit.

Mais la question va être sensiblement renouvelée du fait du vote de la loi du 24 décembre 1976 modifiant la loi du 3 janvier 1973 (voir texte de la loi modifiée infra, annexe D, p. 263.), puisque l'article 11 de la loi comportera désormais un alinéa nouveau ainsi rédigé :

" (Le Médiateur) peut en outre, en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme concerné de s'y conformer dans un délai qu'il fixe. Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice fait l'objet d'un rapport spécial présenté dans les conditions prévues à l'article 14 et publié au Journal Officiel ".

Ce n'est pas une tâche facile que le Parlement confie ainsi au Médiateur.

D'abord, l'exécution d'une décision de justice par le service condamné se heurte parfois à une impossibilité pratique, comme par exemple, en matière de travaux publics : le Médiateur se trouvera sans doute conduit, dans certains cas, à aller au-delà d'un juridisme étroit en proposant aux parties une solution plus pragmatique de leur litige.

Ensuite, l'inexécution des décisions de justice constitue déjà l'un des thèmes principaux de travail de la commission du rapport et des études du Conseil d'Etat : il faudra donc organiser une liaison étroite avec cet organisme.

Mais si le nouveau pouvoir qui vient d'être conféré au Médiateur doit être exercé avec mesure, on peut assurer qu'il le sera aussi avec toute l'autorité nécessaire.

Il est aussi un autre aspect de l'attitude de l'administration devant la justice qui mérite qu'on s'y attache : c'est que, fréquemment, la première se retranche derrière la seconde pour ne pas accorder ce qu'elle doit au réclamant, même quand elle a admis qu'elle le devait, et préfère ainsi renvoyer ce réclamant devant le juge (voir affaire citée à l'annexe B, p. 231).

De telles pratiques sont évidemment condamnables, et des instructions devraient être données par le Gouvernement pour qu'elles cessent au plus tôt : le Médiateur saisira le Premier Ministre de cette question, qui concerne plus particulièrement les préfets.

3. - L'administration et le public

a) Les problèmes généraux de l'information administrative (développement à l’annexe A, p. 111 et suivantes).

Dans son rapport de 1975 (pages 23, 24 et 86 à 92), le Médiateur avait tenté une analyse aussi complète que possible des problèmes posés par la circulation de l'information entre l'administration et son public.

Cette analyse débouchait sur le souhait que des dispositions législatives ou réglementaires viennent le plus tôt possible :

1° Reconnaître, comme un principe général, le droit de tout administré à l'information ;

2° Organiser, de la façon la plus libérale possible, le régime de communication des documents administratifs ;

3° Poser en principe l'obligation de motiver toute décision administrative, sauf exceptions nettement délimitées ;

4° Prescrire l'introduction, dans tous les programmes de formation des agents publics, de la notion de " devoir d'information " et, plus généralement, de l'étude psychologique de la relation administrant-administré.

Aussi, le Médiateur a-t-il été particulièrement satisfait d'apprendre, d'abord le dépôt à l'Assemblée Nationale des propositions de loi n° 2455 et 2463 relatives à l'accès des citoyens aux documents administratifs, puis la préparation du décret élaboré sur le même thème par le Gouvernement.

L'intérêt des suggestions faites par le Médiateur en ce domaine a d'ailleurs été souligné tant dans l'exposé des motifs de la proposition n° 2463, que par le Premier Ministre dans l'un de ses premiers discours à l'Assemblée Nationale.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que derrière ce problème de l'information des administrés se profile celui de leur participation à l'élaboration des décisions administratives : problème encore plus délicat que le premier - ne serait-ce qu'en raison de ses implications politiques - et qui ne semble pas encore avoir été appréhendé dans son entier.

Le Médiateur a eu cependant plusieurs occasions de le rencontrer : à chaque fois, il a naturellement oeuvré, dans la mesure de ses moyens, pour que la participation des citoyens à l'élaboration des décisions administratives soit rendue plus facile et plus large.

Il en a été ainsi, notamment, en matière d'expropriation et, en général, à propos de toutes opérations publiques qui peuvent porter atteinte aux conditions d'habitation ou d'exploitation de la terre, c'est-à-dire à l'élément essentiel du milieu de vie de nos concitoyens.

C'est là en effet un domaine où apparaissent de façon particulièrement nette, et l'insuffisance actuelle de l'information des administrés, et la nécessité de les faire participer dans de meilleures conditions à des décisions aussi lourdes de conséquences pour eux.

Comme exemples de l'action du Médiateur en ce domaine, on mentionnera :

- qu'il a émis plusieurs propositions de réforme tendant, notamment, à l'amélioration des conditions de déroulement des enquêtes publiques et de la participation des citoyens à ces enquêtes - le décret du 14 mai 1976 relatif aux procédures d'enquêtes publiques a largement tenu compte des suggestions ainsi faites ;

- qu'en de nombreuses occasions, il a pu se féliciter d'avoir favorisé la concertation des parties en présence, notamment en matière d'équipements publics.

Et cela a été fait souvent grâce à sa participation personnelle à des enquêtes locales.

b) Les actions particulières du Médiateur en matière d'information des administrés (développement à l'annexe A, p. 118 et suivantes).

Sous le titre " L'accès à la retraite et ses difficultés ", le Médiateur a adressé à tous les départements ministériels concernés par la gestion d'un régime de retraites, une proposition de réforme où il est suggéré que tout futur retraité soit mis en possession d'une information d'ensemble, substantielle mais directement intelligible, sur les conditions d'exercice et la consistance même du droit à la retraite, et comportant tous les renseignements susceptibles de l'aider à faire valoir ses propres droits auprès de tous les organismes envers lesquels il les a acquis.

Cette information serait donc " portable " (cf. rapport de 1973, p. 253) et globale, et non plus " quérable " (cf. rapport de 1973, p. 253) et fragmentaire comme il est de règle actuellement - si l'on excepte les actions très bien entendues menées en ce domaine par des institutions comme la mutualité sociale agricole, et dont il a déjà été question au rapport de 1975 (p. 88).

Elle serait émise par les organismes gestionnaires des divers régimes d'assurance vieillesse de façon à atteindre chaque intéressé en temps opportun, c'est-à-dire en des moments où il serait " motivé " à " recevoir ", et " exploiter ", le cas échéant, sans tarder, les renseignements qu'on lui donne : ce serait, dans le cas général, l'année de son 59e, puis celle de son 64e anniversaire.

Enfin, l'émission de cette information pourrait profiter du " support " constitué par l'envoi de l'un des relevés de compte périodiques prévus par la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975, ou, quand cela serait possible, du résultat de la " préliquidation " de la retraite.

La même proposition traite également de l'accélération de la liquidation des pensions de retraite ; de l'assouplissement possible des conditions de paiement de l'acompte sur pension, mais avant tout de la nécessité d'informer les futurs retraités de leur droit à cet acompte et des moyens de le faire valoir ; des mesures à prendre, en matière de pensions de réversion, pour l'information du survivant éventuel ; de la nécessité, enfin, de donner au retraité les moyens de vérifier l'exactitude du calcul de sa pension.

Cette proposition de réforme a reçu jusqu'ici un accueil très encourageant des départements ministériels destinataires. Mais sa mise en oeuvre, en raison de son ampleur, nécessitera une concertation entre les responsables des principaux régimes de retraites, concertation à laquelle le Médiateur est naturellement prêt à participer.

Dans une autre proposition de réforme, relative à l'information des personnes soumises au code des pensions civiles et militaires de retraite, en ce qui concerne les majorations de pension " pour enfant (s) " auxquelles elles peuvent prétendre, il a été suggéré d'améliorer cette information, et même de rendre automatique l'attribution de la majoration en question.

Le Ministère de l'Economie et des Finances s'est déclaré hostile à cette dernière mesure, et avec de bons arguments. Mais la discussion reste ouverte sur la qualité de l'information aujourd'hui donnée aux intéressés.

D'autres exemples sont cités en annexe A.

c) Les autres formes de la communication administrative.

La communication de l'administration avec son public n'est pas seulement un problème d'information, c'est aussi un problème de contacts : contacts directs, oraux, lorsque l'administré se rend " dans les bureaux " ; contacts indirects, lorsqu'il entre en correspondance avec eux, ou tente d'y entrer.

Sous cette rubrique viennent donc naturellement se placer ces défauts bien connus - et toujours vivaces - de l'administration que sont, d'une part, l'accueil peu aimable fait au public, d'autre part, le retard mis à répondre, ou le silence gardé sur une ou plusieurs demandes de l'administré.

En raison de la relative difficulté de sa saisine, le Médiateur n'a jamais eu connaissance de beaucoup de cas de mauvais accueil fait à un réclamant. Ces cas devraient encore se raréfier par l'effet des mesures annoncées par le Premier Ministre, le 10 avril 1976, dans une lettre aux membres du Gouvernement l'obligation de mentionner dans les correspondances administratives le nom du signataire, l'identité du service et le numéro de téléphone du bureau ; apposition d'un panneau portant l'organigramme du service dans les bureaux ouverts au public, et, sauf exceptions, du nom des agents publics sur les bureaux ; installation de " présentoirs " où seraient classés imprimés et formulaires dans les services de guichet ; mise à la disposition des usagers de registres de réclamations.

En revanche, et comme pour les années précédentes, il pourrait multiplier les exemples de réponses tardives ou de silences inexcusables de l'administration. On trouvera à l'annexe B quelques cas particulièrement significatifs.

d) Les autres causes de malaise dans les relations entre l'administration et le public.

Quand l'administration oublie qu'elle est " une " pour les administrés.

L'administration, qui est " une " aux yeux du public, et qui devrait toujours se présenter et se comporter comme telle, lui offre parfois, au contraire, l'image d'une diversité déconcertante - tel service paraissant n'engager que lui-même par ses décisions, alors que celles-ci devraient engager l'ensemble des services susceptibles d'être concernés par la même affaire.

Il en a été ainsi, notamment, dans un cas où les services fiscaux n'avaient pas tenu compte des obstacles à la construction résultant des règlements d'urbanisme, ce qui avait eu pour effet de priver le propriétaire d'un terrain des avantages fiscaux auxquels il aurait pu prétendre s'il avait pu faire construire dans le délai de quatre ans requis à l'article 691 du code général des impôts.

A la suite de l'intervention du Médiateur auprès du Ministre de l'Economie et des Finances, le réclamant a obtenu gain de cause. Une proposition de réforme prolonge cette action en s'appuyant, notamment, sur la notion de l'unité nécessaire des décisions de l'administration dans une même affaire - notion que le Médiateur n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler en d'autres occasions.

Ainsi, dans une affaire de dommages de guerre (voir annexe B, p. 203 et 204), une réclamante s'est trouvée en présence de deux positions contradictoires de l'administration, les services de l'équipement considérant que les vestiges de son immeuble bombardé pouvaient être réutilisés, alors que la municipalité estimait ne pas être directement concernée par l'indemnisation de ces vestiges, et s'opposait à leur réutilisation.

Administration et solidarité.

On a vu au chapitre II précédent, avec quel laxisme l'administration pouvait interpréter la notion de solidarité entre codébiteurs (affaire n° II-2696).

Un autre cas (voir à l'annexe B, p. 178.), où une femme abandonnée par son mari, et actuellement sans ressources, avait fait l'objet d'une saisie mobilière pour permettre le règlement des dettes fiscales de l'absent, confirme que l'administration a trop tendance à considérer la solidarité comme une facilité, alors qu'elle ne représente qu'une garantie pour le créancier - fût-il l'Etat lui-même.

Sa tendance à la facilité.

Cette tendance à la facilité se retrouve, même en l'absence de solidarité entre débiteurs du Trésor. Ainsi, dans une affaire (cf. annexe B, p. 177 et 178) où le réclamant avait demandé que le règlement de ses impôts soit effectué par voie d'opposition sur son salaire, et où l'employeur, saisi d'un " avis à tiers détenteur ", avait gardé par devers lui les retenues opérées... pour être, peu de temps après, déclaré en faillite, l'administration fiscale n'avait rien trouvé de plus expédient que de se retourner, en le menaçant de saisie, contre un contribuable qui, manifestement, était dans l'impossibilité de recouvrer des sommes détournées par son employeur.

Et pourtant, il arrive à l'administration

de " faire difficilement des choses faciles "...



En témoignent ces deux affaires (cf. annexe B, p. 225 et 217) où l'on voit deux problèmes simples (régularisation de factures de gaz trop élevées ; paiement de la pension d'invalidité militaire de son mari à la femme d'un grand mutilé de guerre hospitalisé) nécessiter de très nombreuses démarches avant que la solution de bon sens qui s'imposait ne soit appliquée, sur l'intervention du Médiateur.

Toutes ces attitudes de l'administration ne sont évidemment pas sans lien avec les " troubles de base " que l'on a cru pouvoir diagnostiquer au début du présent chapitre ; mais elles frappent par leur spécialité et par le caractère concret de l'expression qui peut en être donnée.

B. - L'amélioration de la règle de droit

L'action de l'administration, quoique correcte, peut reposer sur une réglementation ou une législation défectueuse avec les conséquences que cela comporte, non seulement pour le ou les administrés qui auront les premiers dénoncé au Médiateur ces défectuosités (dans la plupart des cas, on ne pourra malheureusement rien pour eux), mais surtout pour tous ceux qui, dans l'avenir, risqueraient d'en subir les effets, s'il n'y était pas porté remède.

La légitimité et le caractère original de l'action réformatrice du Médiateur en ce domaine ont été suffisamment soulignés dans les précédents rapports (cf. notamment les conclusions du " rapport de synthèse " de 1975 (p. 35 et 36)) pour qu'il soit inutile d'y revenir ici. Au surplus, la modification récente par le Parlement de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 (voir à l'annexe D, p. 262, le nouveau texte de cet article) donne désormais une sanction légale à cette action.

Il faut toutefois marquer avec force que l'aide ainsi apportée par le Médiateur à l'amélioration de la loi ou du règlement, et qui permet, au moins partiellement, cette " régulation de l'action législative à partir de ses effets " dont la nécessité est, de nos jours, vivement ressentie et souvent proclamée, tend de plus en plus à représenter l'essentiel de son rôle.

D'ailleurs, des contacts récents (pris à l'occasion du premier congrès mondial des ombudsmans qui s'est tenu à Edmonton (Canada) ; cf. à ce sujet " Le Monde " du 20 octobre 1976 et infra, annexe E, p. 265 et 266) montrent que la plupart des ombudsmans étrangers commencent, eux aussi, à concevoir ainsi leur rôle et orienter leur action.

Cette action, on le sait aussi, se traduit concrètement par l'envoi aux autorités publiques intéressées de " propositions de réforme ".

Mais les propositions de réforme émises en 1976 présentent certains caractères nouveaux.

Etablies désormais sous une forme " normalisée ", elles peuvent être aujourd'hui de deux types :

Il peut s'agir de propositions " ponctuelles ", portant sur tel secteur de la réglementation ou de la législation, ou sur tel comportement bien défini d'un service.

Mais il peut s'agir aussi de propositions d'objet plus ample, où sont traitées et critiquées toutes les dispositions législatives ou réglementaires - à quelque partie du droit positif qu'elles appartiennent, ainsi que tous les comportements administratifs - à quelque service qu'il faille les imputer, dont l'administré peut subir les effets convergents dans une situation donnée.

Ainsi de " L'administré devant l'expropriation " ; de " L'accès à la retraite et ses difficultés " (déjà mentionnée), etc.

Les propositions de ce type ont pu être appelées " synergies ", en raison du caractère coordonné de l'action qu'elles suggèrent à tous les services intéressés, en vue de résoudre l'ensemble des problèmes posés - action évidemment plus efficace et cohérente que celle qui consisterait à résoudre ces problèmes isolément.

On a déjà fait mention, ci-avant, de certaines de ces propositions de réformes (" ponctuelles " ou " synergiques ") ; on en trouvera le bilan au chapitre IV ci-après, et la plupart seront analysées à l'annexe B, sous la rubrique du département ministériel qu'elles concernent.

Mais c'est ici qu'il convient de citer, ou de rappeler, celles qui font le mieux apparaître les différents objectifs qui s'offrent à l'action réformatrice du Médiateur.

On constate à cet égard qu'elles peuvent se grouper en un certain nombre de " familles ".

Le premier groupe de propositions énumérées ci-dessous présente la caractéristique suivante :

Le Médiateur y demande qu'il soit mis fin - au moyen d'une extension de la législation, d'une modification de celle-ci, voire par la prise d'un texte nouveau - aux situations d'inégalité dans lesquelles peuvent se trouver certains membres d'un même ensemble de sujets de droit par rapport aux autres, ou certains ressortissants d'une législation par rapport aux ressortissants d'une autre, mais placés dans des conditions identiques. Bref, on peut dire que le Médiateur s'y attaque à " l'iniquité relative " qui, pour être relative, n'en est pas moins vivement ressentie par ses victimes. Ainsi de :

- STR 76-23 (STR = Santé-Travail (affaires sociales)), relative à la majoration de la pension de retraite au titre des enfants issus du ménage ou élevés par le titulaire, et qui tend à rendre plus facile l'octroi de cette majoration, notamment pour les enfants non issus du ménage ;

- STR 76-21, relative à l'attribution des prestations familiales aux travailleurs non salariés non agricoles ayant une activité professionnelle insuffisante ;

- STR 76-26, tendant à permettre la validation pour la retraite des périodes d'inactivité, au profit des pensionnés militaires qui ont dû cesser leur activité en raison d'une infirmité ou d'une maladie contractée au cours des services militaires ;

- STR 76-25, relative à la situation, du point de vue des droits à la retraite, des anciens militaires qui ne justifient pas de six mois de captivité ;

- STR 76-18, tendant à libéraliser les conditions de prise en charge du risque d'amibiase professionnelle ;

- FIN 76-16 (FIN = Finances (affaires économiques et financières) (à rapprocher de STR 76-23), qui suggère de faciliter l'octroi de la majoration de pension prévue à l'article L 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite aux titulaires ayant élevé au moins trois enfants ;

- FIN 75-13, tendant à permettre l'attribution de majorations pour enfants aux titulaires de pensions militaires proportionnelles, quelle qu'ait été leur activité après la cessation de leurs services militaires ;

- DEF 76-5, relative aux services effectués dans les armées alliées par des militaires naturalisés français ultérieurement (déjà citée au chapitre II ci-avant) ;

- DEF 74-3 (DEF = Défense), tendant à faire exempter du service national les fils ou frères de militaires décédés au cours de ce service, même si le décès n'est pas consécutif à un accident survenu au cours de manoeuvres ou d'exercices préparant au combat.

Quant à l'iniquité " isolée ", et d'autant plus criante, elle est l'objet, notamment :

- de FIN 76-19, relative à l'exclusion des marchés publics de certaines entreprises à raison des condamnations pour fraude fiscale encourues par certains de leurs dirigeants ou associés ; le Médiateur y constate l'existence - inconnue ailleurs dans notre droit - d'une peine totale, irrévocable et définitive, comme conséquence d'une sanction en matière de fraude fiscale, et propose qu'elle soit remplacée par une peine accessoire, soumise à l'appréciation du juge ;

- et de STR 73-7, où il est demandé que les retraités du régime de la Sécurité Sociale dans les mines, ou leurs ayants droit, cessent d'être astreints, lorsqu'ils ont repris une activité salariée, à payer deux cotisations d'assurance maladie l'administration n'ayant jusqu'ici opposé au rétablissement de l'équité en cette matière que des arguments d'ordre financier, ou touchant l'organisation des services...

Aux iniquités provenant d'inégalités introduites dans un même groupe d'administrés, répondent celles qui résultent de l'infériorité, trop souvent excessive, du citoyen devant l'administration (cf. supra, chapitre III, p. 22 et suiv. [rapp. synth.]).

C'est ici le lieu de rappeler deux propositions déjà rencontrées : STR 76-19, relative aux délais en matière de Sécurité Sociale, et FIN 76-22, relative à la charge des impôts locaux en cas d'acquisition en cours d'année d'un immeuble par une collectivité publique.

C'est toujours l'équité qui est poursuivie par certaines propositions tendant à un simple assouplissement de la législation ;

ainsi de :

- FIN 75-14, déjà rencontrée, et qui propose l'étalement sur plusieurs exercices fiscaux des salaires de congédiement ;

- et de FIN 76-24, déjà citée aussi, où est suggéré l'allongement du délai fixé à l'article L 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite, pendant lequel une pension peut être révisée pour " erreur de droit ".

Quant à l'unité de l'administration aux yeux du public (cf. supra, chapitre III, p. 33 (rapp. synth.), sa nécessité est démontrée dans la proposition FIN 76-21, ri relative aux conditions d'exonération des droits d'enregistrement dus à raison de l'acquisition de terrains à bâtir. Il y est suggéré que lorsque le défaut de construction dans les quatre ans prévus à l'article 691 du code général des impôts résulte d'une décision (ou d'une absence de décision) de l'administration, indépendante de la volonté ou du comportement de l'intéressé, le délai soit suspendu jusqu'à ce que soit levé l'obstacle administratif, et que, dans le cas où l'empêchement de construire serait d'une durée tellement imprévisible que l'acquéreur se voie finalement obligé de revendre son terrain, le bénéfice de l'exonération puisse être maintenu en cas de vente.

D'une façon générale, l'administration fiscale y est invitée à adopter une interprétation plus large de la notion de " force majeure ", qui seule, à ses yeux, peut permettre la prorogation des délais fixés en la matière.

Par certaines propositions, le Médiateur recherche la suppression des iniquités résultant d'une incohérence de la législation. Peuvent être citées à ce propos :

- AGR 76-4 (AGR = Agriculture), relative aux conditions d'attribution de la " prime spéciale agricole " ;

- STR 75-17, tendant à l'amélioration de l'aide publique en cas de chômage partiel pour les salariés ayant plusieurs employeurs ;

- STR 73-4, relative aux conditions actuelles de remboursement des actes de la " médecine préventive " (vaccinations notamment).

Enfin, par-delà les cas individuels qui les ont motivés, les propositions du Médiateur peuvent tendre à une simplification de la législation, à une meilleure coordination des services, à une meilleure information de l'administré, etc.

C'est le cas pour :

- JUS 76-5, suggérant de simplifier la procédure, suivie en Alsace-Lorraine, pour la vente des véhicules accidentés abandonnés dans les garages ;

- FIN 76-18, visant à améliorer les conditions d'établissement des forfaits en matière de taxes sur le chiffre d'affaires ou de T.V.A. d'une part, de bénéfices industriels ou commerciaux d'autre part ;

- FIN 76-17, qui tend à faciliter la tâche des employeurs en situation d'être exonérés de la taxe d'apprentissage, à raison de versements effectués en faveur de l'enseignement technique ou professionnel ;

- FIN 76-15 (déjà rencontrée ci-avant) relative à l'information des pensionnés en matière de majoration pour enfants.

Quant à l'ensemble formé par les cinq (la synergie n° 3 relative aux régimes social et fiscal des gérants majoritaires de S.A.R.L., soulevant certaines difficultés, n’a pas encore fait jusqu'ici l'objet d'un envoi officiel) synergies émises en 1976 :

- N° 1. - " L'administré devant l'expropriation " ;

- N° 2. - " L'accès à la retraite et ses difficultés " (déjà citée plus haut) ;

- N° 4. - " Mise en oeuvre de l'harmonisation des divers régimes de Sécurité Sociale " (idem) ;

- N° 5. - " Application du principe de non-rétroactivité de la règle de droit en matière de législation sociale " (idem) ;

- N° 6. - " Proratisation " en matière de pensions de vieillesse et de pensions complémentaires dans les régimes spéciaux ",

on y retrouve tous les objectifs de la politique réformatrice du Médiateur rencontrés ci-avant, et à peu près toutes les manières de les atteindre.

Le Médiateur est conscient, on l'a dit, de la grande importance de son rôle en matière de réformes de la loi ou du règlement. Mais il ne se dissimule par les difficultés qui l'attendent, dans bien des cas, entre la présentation d'une proposition et sa consécration par un texte.

En effet, un bon nombre de ces propositions - et en premier lieu les synergies - heurtent des idées reçues, lancent des idées nouvelles, et touchent à un vaste ensemble de dispositions législatives ou réglementaires : sur elles, il faudra évidemment obtenir l'accord de toutes les administrations ou organismes concernés ; cela signifie des discussions, multiples et à plusieurs niveaux de la hiérarchie, bref une concertation qui peut demander du temps pour aboutir.

Mais toute réforme est une œuvre de longue haleine, et l'on sait que le Médiateur a toujours posé en principe que l'administration ne saurait être réformée contre son gré et sans sa participation : cela s'applique aussi bien à la réforme des textes qui régissent son action, qu'à la réforme de ses comportements.

IV. - BILAN DE L'ACTION DU MEDIATEUR

1. - L'action quotidienne

Les conditions dans lesquelles se déroule l'action quotidienne du Médiateur, les difficultés qu'elle doit résoudre et les résultats qu'elle obtient ont été, en 1976, sensiblement les mêmes qu'au cours de l'année précédente (cf. rapport de 1975, p. 13,14 et 16).

Comme en 1975, les interventions du Médiateur peuvent avoir abouti, principalement :

- au déblocage d'un dossier en souffrance ;

- au redressement d'une erreur de l'administration ;

- à un assouplissement de son attitude ;

- à l'amélioration du fonctionnement d'un service.

On trouvera à l'annexe B de nombreux exemples de ces diverses catégories d'interventions.

En outre, et particulièrement en ce qui concerne les réclamations reconnues injustifiées après intervention de sa part, le Médiateur a continué à ne pas manquer, dans ses réponses aux parlementaires intervenants, d'expliquer aussi clairement et complètement que possible les éléments du problème, et en particulier les fondements légaux ou réglementaires de l'action administrative critiquée - toutes informations dont les réclamants sont encore nombreux à n'avoir jamais eu connaissance avant de s'adresser au Médiateur.

Il a donc continué à jouer, au lieu et place d'une administration trop souvent dédaigneuse d'expliquer son action, ce rôle d'informateur dont les précédents rapports soulignaient déjà l'importance (cf. notamment rapport de 1974, p. 18).

2. - Les recommandations et propositions

Pendant l'année 1976, le Médiateur a formulé ou renouvelé, en exécution de l'article 9 de la loi qui l'institue, 23 recommandations tendant au redressement d'une situation individuelle ou propositions tendant à l'amélioration du fonctionnement d'un organisme public.

Sur ce total :

- 5 ont été satisfaites ;

- 5 ont recueilli un accord de principe ;

- 3 ont été abandonnées par le Médiateur, qui s'est finalement rangé aux arguments de l'administration ;

- 1 n'a pas encore reçu de réponse ;

- 9 sont encore en discussion, la réponse de l'administration à ces recommandations n'ayant pas été jugée satisfaisante.

On se bornera ici à citer ou rappeler les recommandations ou propositions satisfaites ou ayant reçu l'accord de principe de l'administration concernée. Elles étaient relatives :

- à la validation pour la retraite de services civils et militaires accomplis avant l'acquisition de la nationalité française (cf. ci-avant, chapitre II, affaires n° II-528 et III-236) ;

- à un litige concernant l'attribution d'une pension proportionnelle ; la réponse du département de l'économie et des finances est positive, mais le ministre y précise qu'il s'agit pour lui d'une mesure exceptionnelle ;

- aux fautes commises par les responsables d'une caisse de Sécurité Sociale et d'un hôpital psychiatrique (cf. l'affaire n° 771, analysée au chapitre II ci-avant) ;

- à un litige concernant les bases de la liquidation d'une pension militaire d'invalidité ;

- à une affaire mettant en cause la responsabilité de l'administration dans les difficultés d'une entreprise créée en vue de la reconversion d'un complexe minier ;

- aux conséquences, pour un fonctionnaire, du choix de sa date de départ à la retraite (cf. l'affaire n° I-1121, analysée au chapitre II ci-avant) ;

- au problème posé par la péréquation des pensions des attachés de préfecture ;

- à un litige portant sur l'octroi d'une pension d'invalidité imputable au service ;

- à l'attribution à un réclamant de la majoration de pension dont bénéficient les fonctionnaires ayant élevé trois enfants (cf. l'affaire n° II-710, analysée au chapitre II ci-avant).

Il est signalé que la plupart des recommandations et propositions dont il est ici question se trouvent, quel qu'en ait été le sort, analysées à l'annexe B, sous la rubrique du département ministériel qu'elles concernent.

3. - Les propositions de réforme

1. Propositions présentées depuis l'origine.

De son institution au 31 décembre 1976, le Médiateur a présenté ou renouvelé 99 propositions de réforme " ponctuelles " et 5 " synergies " (cf. ci-avant, chapitre III) (pages 34 et suivantes).

La répartition des propositions ponctuelles selon le service concerné est la suivante :

- 38 pour les affaires sociales ;

- 23 pour les affaires économiques et financières ;

- 7 pour l'équipement ;

- 4 pour l'agriculture ;

- 4 pour les anciens combattants et victimes de guerre ;

- 4 pour la défense ;

- 4 pour l'éducation et les universités ;

- 2 pour l'industrie, le commerce et l'artisanat ;

- 1 pour l'intérieur ;

- 9 pour la justice ;

- 2 pour les transports ;

- 1 pour la qualité de la vie ;

Sur ce total de 99 propositions ponctuelles, 18 constituaient des rappels de propositions déjà présentées, pour lesquelles la réponse de l'administration n'avait pas été jugée satisfaisante.

Au 31 décembre 1976, les résultats étaient les suivants :

- 29 propositions ont été abandonnées par le Médiateur, soit à la suite d'explications fournies par l'administration et jugées satisfaisantes, soit pour des raisons d'opportunité ;

- 23 ont été satisfaites ;

- 1 peut être considérée comme partiellement satisfaite.

Les 46 autres font actuellement l'objet de discussions avec les ministères concernés.

2. Propositions présentées ou renouvelées en 1976.

La novation introduite en 1976 dans la forme et dans la conception des propositions de réforme (cf. ci-avant, chapitre III, p. 35) justifie que l'on présente, pour cette année, un tableau spécial de l'activité du Médiateur en la matière.

C'est ainsi qu'en 1976 :

. ont été présentées 27 propositions de réforme ponctuelles dont :

- 13 pour les affaires sociales ;

- 9 pour les affaires économiques et financières ;

- 1 pour l'agriculture ;

- 1 pour les anciens combattants et victimes de guerre ;

- 1 pour la justice ;

- 1 pour la défense nationale ;

- 1 pour la qualité de la vie.

. ont eu lieu les 18 relances de propositions précédemment mentionnées, et ont été définitivement arrêtées les 29 décisions d'abandon ;

. ont été présentées les 5 synergies, lesquelles, par nature, échappent aux catégories précédemment définies, tant en ce qui concerne les départements ministériels destinataires, que les résultats auxquels elles pourront aboutir.

Il faut ajouter qu'au 31 décembre 1976, 4 propositions ponctuelles étaient en instance d'envoi, dont 3 concernent les affaires économiques et financières et 1 l'équipement.

V. - CONCLUSIONS

Le présent rapport, comme les précédents, confirme que depuis l'origine de l'Institution l'activité du Médiateur se développe dans les mêmes directions.

On peut le regretter, on doit le constater, le Médiateur français n'est pas ce que certains auraient voulu qu'il soit : le censeur de l'administration, le défenseur exclusif du citoyen, en d'autres termes une image, d'ailleurs fortement idéalisée, de l'ombudsman nordique.

Pouvoir dressé face au pouvoir administratif, le Médiateur ne peut ni ne veut l'être. Et s'il en est ainsi, ce n'est pas parce que beaucoup de son travail se fait dans l'administration : l'argument irait à l'encontre de sa volonté d'indépendance.

Mais c'est parce que, il faut le répéter, aucune amélioration profonde et durable n'est à attendre de l'administration sans la participation de ses membres : l'administration se réformera d'elle-même ou ne se réformera pas.

Quant à son rôle dans la défense des libertés, le Médiateur s'en est expliqué devant la commission spéciale de l'Assemblée Nationale. Théoriquement, rien ne s'y oppose. Pratiquement, tout y fait obstacle, et en premier lieu l'esprit dans lequel a été conçue la loi du 3 janvier 1973. Les travaux préparatoires de ce texte montrent en effet, à l'évidence, qu'entre deux conceptions du rôle du Médiateur, celui de défenseur des libertés individuelles et celui d'intercesseur privilégié entre l'administration et l'administré, c'est la seconde qui a prévalu, la première ayant été expressément rejetée. Quant à la rédaction de la loi, sa technicité et son juridisme n'étaient guère propres, il faut l'avouer, à faire comprendre aux hommes et aux femmes de notre pays qu'un " défenseur ", au sens le plus large du terme, leur était né.

Et il est de fait que depuis l'origine de l'Institution le nombre des appels fondés sur une atteinte aux libertés demeure insignifiant. Cela ne veut pas dire que nos concitoyens soient à l'abri de telles atteintes dans une aussi large mesure, mais cela laisse supposer, au moins, que notre pays n'est pas de ceux où les libertés individuelles sont le plus menacées.

En revanche, de plus en plus nombreux sont les administrés qui prennent conscience du véritable rôle du Médiateur et de son utilité : en témoignent, non seulement le nombre des réclamations qui lui sont soumises, mais encore les échos recueillis dans tous les déplacements qu'il effectue pour " expliquer " l'Institution aux Français.

Qu'est donc, en fin de compte, le Médiateur ? Autant, pour répondre à cette question, rappeler ce qu'il fait :

Son action continue à être axée sur les difficultés quotidiennes que les administrés rencontrent dans leurs rapports avec les services publics.

Et comme ce ne sont pas des privilégiés de l'existence qui lui soumettent ces difficultés, on peut dire que le Médiateur est, avant tout, l'avocat des humbles, face au pouvoir administratif sous ses formes les plus contraignantes.

Et à partir de ce qu'il constate, il propose des réformes, pour aller plus loin que le cas particulier, pour améliorer la règle, pour, en quelque sorte, " généraliser l'équité ".

Que cette action soit utile, bien peu aujourd'hui pourraient le contester de bonne foi - même parmi ceux qui n'ont rien perdu de leur scepticisme, parfois agressif, à l'égard d'une institution qui persiste à différer de l'idée qu'ils s'en faisaient. Elle ne peut d'ailleurs que devenir encore plus utile et plus efficace à la suite de la promulgation de la loi du 24 décembre 1976 modifiant la loi du 3 janvier 1973.

En étendant aux représentants des personnes morales, sous certaines conditions, le droit de saisir le Médiateur ; en donnant aux parlementaires la possibilité de le saisir directement de certaines questions ; en consacrant plusieurs de ses initiatives prétoriennes, notamment en ce qui concerne sa compétence à l'égard des agents publics ayant quitté le service, et le rôle qu'il peut exercer, même quand une affaire fait l'objet ou a fait l'objet d'une procédure juridictionnelle ; en donnant une sanction légale à son action en matière de réforme de la règle de droit ; en étendant le champ de son pouvoir de recommandation et en lui accordant, dans certains cas, ce nouveau pouvoir qu'est le pouvoir d'injonction, il ne fait pas de doute que le nouveau texte ouvre à l'activité du Médiateur des perspectives plus larges et donne à la fonction qu'il exerce une importance, un poids sensiblement accrus.

En définitive, le Médiateur français doit être considéré comme une institution à part - sui generis, diraient les juristes - sans équivalent exact dans le monde actuel.

Cela, tous les contacts que le titulaire actuel de cette fonction a avec l'étranger le confirment, en même temps qu'ils font apparaître une considération grandissante pour la solution française, avec ses caractères originaux.

En France même, il reste encore beaucoup à faire pour que le Médiateur soit connu de tous tel qu'il est. Mais on doit constater que son action est de mieux en mieux reçue et que son insertion dans le tissu institutionnel apparaît maintenant bien acquise : l'administration, les tribunaux administratifs, le Conseil d'Etat sont de plus en plus attentifs à ce que représentent, dans notre droit public, la procédure devant le Médiateur et les pouvoirs qu'il exerce au nom de l'équité.

Avec le Parlement, support de son action, le Médiateur continue d'entretenir une collaboration de plus en plus étroite. Le double degré de saisine institué dans la loi commande évidemment cette collaboration ; mais le fait qu'à la différence de certains ombudsmans étrangers, le Médiateur ne soit ni l'émanation d'un Parlement unanime, ni celle d'une majorité parlementaire, permet en outre à ces rapports de se développer sous le double signe d'une totale indépendance et d'une rigoureuse neutralité politique.

La voie choisie par le Médiateur, et dans laquelle il entend poursuivre et développer son action, autorise donc à conclure sur une note de raisonnable optimisme.



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