Année 1976


ANNEXE E


LE MEDIATEUR ET LES OMBUDSMANS



I. - Relations internationales.

1. - VISITES D'OMBUDSMANS ETRANGERS

Pendant l'année 1976, les visiteurs étrangers suivants ont été reçus par le Médiateur, ou par ses collaborateurs :

Janvier 1976 :

- le lieutenant-colonel Manuel da Costa Bras, Médiateur portugais ;

- Mlle Inger Hansen, Enquêteur correctionnel fédéral canadien ;

Août 1976 :

- M. Kenneth Smithers, Ombudsman de la Nouvelle Galles du Sud (Australie) ;

Septembre 1976 :

- Mlle Riitta Leena Heiskanen, collaboratrice du Justitie-ombudsman finlandais ;

Octobre 1976 :

- M. Lynn Myers, principal collaborateur de l'Ombudsman de l'Australie méridionale.

2. - PARTICIPATION A DES RENCONTRES INTERNATIONALES

Le Médiateur s'est rendu au premier congrès mondial de " L'Ombudsmanie ", qui s'est tenu à Edmonton (Canada), en septembre 1976, sur l'invitation du docteur Randall Ivany, Ombudsman de l'Alberta. Ce congrès a permis à plus de trente ombudsmans, de toutes les nationalités, et à de nombreux universitaires américains et canadiens de se rencontrer. Une ample comparaison des systèmes utilisés et une large confrontation des points de vue ont été ainsi rendues possibles.

L'accent a été mis notamment sur le risque que les ombudsmans encoureraient si, par excès de zèle, ils venaient à s'écarter de leur rôle et à empiéter sur les domaines de l'exécutif ou du judiciaire. Ce risque n'est pas théorique étant donné la grande autonomie dont jouissent les responsables de la charge, leur quasi-inamovibilité et les pouvoirs non négligeables dont ils sont dotés. Aussi l'unanimité s'est-elle faite pour conclure que l'efficacité et la pérennité de ces institutions ne seraient assurées que si elles veillaient scrupuleusement à la fois au maintien de leur indépendance et au respect de la séparation des pouvoirs.

Trois décisions ont été prises :

- la création d'un comité directeur ;

- la création d'un institut, rattaché à une université ;

- l'organisation d'un deuxième congrès mondial, dans trois ans.

Le comité directeur, composé de neuf membres, comprend trois représentants de l'Europe (dont le Médiateur), trois de l'Amérique et trois de l'Afrique et du Pacifique. Ce comité tiendra sa première réunion au printemps 1977, à Paris, où il sera reçu par le Médiateur. Il aura à décider notamment du lieu d'implantation de l'institut, de son mode de financement et de ses conditions de fonctionnement, ainsi que du choix du pays devant accueillir le deuxième congrès, la Suède, l'Australie, et Israël ayant fait acte de candidature.

Un représentant du Médiateur a également assisté, en août 1976, à la réunion de la commission de l'Ombudsman tenue à Stockholm dans le cadre de la seizième conférence de l'International Bar Association. La commission dont il s'agit, créée depuis 1972 au sein de cette organisation non gouvernementale, et placée sous la présidence de M. Bernard Frank, avocat américain, a invité les personnalités remplissant dans les différents pays des fonctions d'ombudsmans, ainsi que les universitaires et chercheurs ayant mené des études sur l'institution, à s'associer en permanence à ses travaux. Elle est à l'heure actuelle, en attendant la naissance de l'institut projeté, le seul organisme international centralisateur des informations concernant les institutions existant dans le monde. Le bulletin qu'elle publie chaque année fait notamment le point des derniers progrès de la notion dans les différents systèmes constitutionnels.

II. - Droit comparé.

L'exposé sur l'ombudsman dans le monde inséré dans le rapport de 1975 signalait l'existence, à côté des ombudsmans de droit commun, d'ombudsmans à compétence limitée, les uns locaux, les autres sectoriels.

Les premiers sont le corollaire de l'autonomie du gouvernement local. Les seconds correspondant le plus souvent à l'existence d'un besoin accru de protection juridique ressenti par une population moins bien armée que la généralité des administrés pour défendre ses droits : patients hospitalisés, détenus militaires...

Il n'a pas paru inutile de consacrer la brève étude de droit comparé du présent rapport à une rétrospective de nature à illustrer la notion d'ombudsman spécialisé. On retiendra comme objet de cette étude l'ombudsman militaire.

L'armée est en effet, historiquement, le premier domaine dans lequel la spécialisation de la fonction d'ombudsman ait été expérimentée. Le Riksdagens Militieombudsman suédois à été conçu au début de ce siècle. Postérieurement au second conflit mondial, d'autres créations ont été inspirées par ce précédent, notamment celles de l'Ombudsman for Forsvaret norvégien, du Wehrbeauftragten des Bundestages allemand, du Soldiers' Complaint Commissioner israëlien, du Defence Force Ombudsman australien. Une meilleure connaissance de ces institutions - et d'autres qui leur sont apparentées, telles que l'Inspector General de l'U.S. Army ou le Service de consultation pour le personnel du département militaire fédéral suisse - pourrait peut-être justifier une réflexion sur l'opportunité de pourvoir notre pays d'un médiateur militaire.

1° En Suède, le militieombudsman (MO) fut le fruit d'une initiative du leader libéral Karl Staaf, prise en 1901, au lendemain du vote de la loi substituant au système des milices rurales d'autrefois celui de la conscription généralisée. Staaf déposa une proposition tendant à soumettre les autorités militaires à la surveillance d'un organe civil de contrôle. Deux motifs étaient invoqués : l'instauration du service militaire obligatoire entraînant un gonflement important du budget des armées, il convenait de veiller à ce que les dépenses correspondantes aient bien pour objet " la préparation à la guerre et non le plaisir de la parade ".

Il importait surtout que le passage de tous les citoyens sous les drapeaux n'ouvre pas la voie à la brimade arbitraire.

Adoptée par les députés, la proposition fut rejetée par les sénateurs. Plusieurs tentatives ultérieures connurent le même sort. Il fallut quatorze ans pour venir à bout de la réticence de la droite, inquiète de l'active propagande antimilitariste d'alors et soucieuse de ne point entamer la discipline en autorisant la contestation. L'aggravation de la situation internationale et l'allongement consécutif de la durée du service militaire eurent cependant raison des objections. Le projet, repris par le Gouvernement, fut finalement voté et le premier MO prit ses fonctions le 19 mai 1915.

Le MO avait le même statut et les mêmes pouvoirs que son aîné le justitieombudsman ou JO.

Les armées, au demeurant, n'étaient pas exclues, antérieurement, de la supervision de ce dernier. Mais l'extension progressive des activités de l'Etat l'avait mis dans l'impossibilité d'exercer dans ce domaine une surveillance aussi étroite qu'on le souhaitait. Il se contentait de regarder les jugements des tribunaux militaires et les sanctions disciplinaires privatives de liberté. D'où la nécessité, dans la mesure où l'on entendait renforcer le contrôle du secteur militaire, de le dédoubler.

Comme le JO, le MO devait être un juriste hautement qualifié. Il avait été à un moment envisagé de confier le poste à un homme ayant acquis une grande expérience de la vie des camps et des techniques de défense. Cette conception fut cependant écartée. La nouvelle magistrature n'avait pas pour objet d'interférer dans les problèmes d'ordre purement militaire. L'esprit de l'institution commandait qu'on en confiât la charge à un civil indépendant, dont l'arbitrage impartial pût contribuer à l'établissement d'un climat de confiance entre la nation et son armée.

Ce souci de meilleure insertion de l'armée dans la nation conduisit également à préférer que le nouvel organe externe de contrôle soit rattaché au Parlement, plutôt qu'au Gouvernement. Le MO, comme le JO, devait être élu par le Riksdag, pour une durée de quatre ans, renouvelable. Dans l'exercice de ses fonctions, il ne devait cependant pas plus être soumis aux directives du législatif qu'à celles de l'exécutif. Il remettait simplement un rapport annuel, comme le JO, à la première commission des lois.

Sa juridiction englobait tous les agents, tant militaires que civils, rétribués sur les crédits de la défense. En 1948, les tribunaux militaires ayant été supprimés pour le temps de paix, sa compétence s'étendit aux magistrats de l'ordre judiciaire statuant sur des litiges concernant des militaires (par exemple, en cas d'appel interjeté contre une mesure disciplinaire prise par le supérieur hiérarchique).

Pendant un demi-siècle, le MO mit au point une jurisprudence et une pratique. Au fil des années, ses interventions furent de moins en moins déclenchées par des réclamations et de plus en plus décidées dans l'exercice de son pouvoir d'action d'office. La centaine de plaintes dont il était saisi en moyenne chaque année représentait, vers 1920, près de la moitié des affaires traitées et, vers 1960, guère plus du dixième. Pendant les deux conflits mondiaux, cependant, la Suède ayant dû, malgré sa neutralité, mobiliser des forces importantes, plus d'un millier de réclamations parvinrent annuellement au MO.

Bien que le volume des réclamations, en temps de paix fût faible, l'examen de celles-ci constituait aux yeux du publie la fonction essentielle du MO, celle sur laquelle reposait son sentiment de sécurité juridique. Le fait est que, même si certaines plaintes se révélaient parfois injustifiées, le moral de la troupe ne pouvait que gagner à l'existence d'une " soupape de sécurité " permettant au mécontentement du 21 classe de s'exprimer librement. En gros, la moitié des plaintes provenait du contingent, un quart des cadres de carrière et le reste de personnes étrangères aux armées, par exemple de parents d'appelés, ou de tiers victimes de dommages causés au cours des exercices.

Peu absorbé par les réclamations, le MO consacrait la majeure partie de son temps à des enquêtes entreprises proprio motu. Celles-ci pouvaient avoir pour origine les observations faites à l'occasion de la vérification sur pièces de rapports périodiques provenant des prisons militaires. Il arrivait aussi, à propos d'incidents relatés dans la presse, qu'il demandât des explications aux responsables concernés. Toutefois, ses inspections sur place constituaient sa source d'informations la plus abondante. Au cours de ses tournées, il s'assurait de la pertinente application des textes pénaux et disciplinaires et du strict respect des règles de procédure et visitait les locaux d'arrêts. Mais son rôle ne se limitait pas à celui de gardien des droits fondamentaux. Il comportait aussi l'obligation d'exercer une surveillance générale de l'administration des unités et de s'assurer du bien-être de la troupe. A ce titre, il était amené à s'intéresser à des problèmes de pure intendance : confort des casernements, qualité des ordinaires, sécurité des armements, tenue des rôles de mobilisation, etc.

Paradoxalement, l'argument même qui avait motivé l'adjonction du MO aux côtés du JO devait servir pour justifier sa suppression.

Au début du siècle, en raison de la surcharge du JO, il était apparu nécessaire de le dédoubler. Cinquante-deux ans plus tard, tandis que les plaintes adressées au JO ne cessaient de croître, celles intéressant le MO devenaient de moins en moins nombreuses. De ce fait en 1967, le Parlement décida un transfert d'attributions entre le JO et le MO et de leur associer un troisième confrère. Le titre de MO disparaissait et celui de JO était conféré aux trois membres du nouveau collège. On sait que depuis 1976 l'effectif de celui-ci a été porté à quatre.

Quant au fond, la réforme a légèrement modifié la situation antérieure.

Celui des trois nouveaux JO qui conserve l'armée dans sa sphère de compétence continue à jouer en ce domaine un rôle proche de celui de l'ancien MO. Toutefois, étant donné qu'il étend sa surveillance à d'autres branches de l'activité publique, sa disponibilité à l'égard du secteur militaire est moindre. Il exerce toujours, dans les mêmes conditions qu'avant 1967, la première des deux attributions essentielles du MO, à savoir : le contrôle du respect des droits fondamentaux du citoyen sous les armes. En revanche, le contrôle de la gestion économique des unités a été beaucoup allégé et n'a plus le caractère systématique et exhaustif qu'il avait avant la réforme.

Le système suédois d'ombudsman militaire a ainsi perdu son originalité et s'est rapproché des systèmes finlandais et danois, dans lesquels l'armée est purement et simplement soumise au droit de regard de l'ombudsman civil. Avant sa disparition, il avait cependant suscité l'apparition, à l'étranger, de plusieurs institutions analogues.

2° En Norvège, un Ombudsman militaire fut créé en 1952. Ce n'était pas, d'ailleurs, une simple copie du MO suédois, mais la pièce maîtresse d'un mécanisme de participation généralisée, au sein de l'armée, dont la mise en place avait commencé quarante ans plus tôt.

Dès 1912, en effet, la troupe avait été autorisée à élire des délégués pour la représenter auprès du commandement. Depuis lors, tout corps comptant plus de trente-cinq hommes comporte un comité " d'hommes de confiance ", composé du chef de corps et de représentants élus des soldats. Ces comités sont des organes consultatifs placés auprès du commandement, lequel conserve la responsabilité des décisions. Ils donnent des avis sur tous sujets concernant les hommes du rang. Ils n'ont toutefois aucun moyen d'amener le commandement à prendre une mesure à laquelle il serait opposé. D'où l'idée d'établir un organe représentatif central, habilité à examiner les questions controversées non résolues à l'échelon des comités de base, et à leur faire donner le cas échéant les suites qui s'imposeraient. Ainsi, l'ombudsman militaire norvégien diffère-t-il de ses homologues suédois et allemand, dans la mesure où il est placé au sommet de l'édifice constitué par l'ensemble des comités de soldats.

En revanche, le souci de fortifier chez les appelés un sentiment de sécurité juridique, souci qui avait poussé à la création du militieombudsman suédois, animait également les tenants de l'ombudsmann for forsvaret norvégien. Les lois et règlements garantissent certes les droits des hommes du rang. Mais la subordination et la discipline indispensables aux armées sont de nature à donner à l'individu une impression de frustration et à lui faire croire, à tort ou à raison, qu'il ne bénéficie pas des mêmes moyens de défense que dans la vie civile. Aussi l'ombudsman apparaît-il comme une sorte de protecteur, auquel l'homme du rang peut demander directement conseil et appui, sans être obligé d'emprunter les canaux hiérarchiques, c'est-à-dire sans avoir à en passer par un supérieur à la fois juge et partie.

A l'instar du MO suédois, l'ombudsman militaire norvégien est élu par le Parlement. A la différence du MO, toutefois, il n'est pas seul. Il fait partie d'un organe collégial. Le Storting élit en effet, pour quatre ans, une commission de sept membres, la " commission de l'Ombudsman ". C'est le président de cette commission, lui-même choisi par l'assemblée, qui porte le titre " d'Ombudsman pour la défense ".

En fait, le président exerce personnellement la plupart des attributions confiées par les textes à l'ensemble de la commission. Il reçoit d'ailleurs un traitement de fonction, tandis que les autres commissaires sont dans la même situation que les membres d'une commission parlementaire ordinaire. L'Ombudsman pour la défense ne soumet aux délibérations de la commission que les questions de principe ou d'intérêt général. Il lui demande aussi d'approuver son rapport annuel. Pour le reste, il statue seul, aidé par un secrétariat réduit, comprenant deux juristes.

L'Ombudsman pour la défense assume quatre fonctions principales. Il intervient en premier lieu dans les affaires que lui transmettent les comités d'hommes de confiance des unités. Afin de suivre de près l'activité de ces derniers, il se fait communiquer les procès-verbaux de leurs délibérations. En second lieu, il est saisi de plaintes adressées à lui directement par les hommes de troupe. Les militaires de carrière peuvent également lui soumettre leurs difficultés, sous certaines conditions : en l'absence de voies de recours ou, après épuisement de ces voies de recours, s'ils s'estiment encore insatisfaits. L'Ombudsman peut en troisième lieu agir de sa propre initiative. Chaque année la commission au complet fait une tournée d'inspection qui dure une vingtaine de jours. L'Ombudsman effectue en outre isolément quelques visites inopinées. Enfin, en dernier lieu, il peut être sollicité par le Parlement, le Gouvernement ou les dirigeants civils et militaires de la défense, de donner son avis sur des questions de sa compétence.

L'Ombudsmann for forsvaret ne peut adresser aucune injonction aux autorités concernées. Contrairement au MO et au JO suédois, il n'a pas le pouvoir de déclencher des poursuites contre les responsables. Il ne peut que faire des recommandations et, s'il n'obtient pas satisfaction, faire état du différend dans son rapport annuel ou adresser un rapport spécial au Storting, faisant ainsi appel au verdict de l'opinion publique.

3° En Allemagne, la création, en 1957, du Wehrbeauftragte des Bundestages a correspondu au désir d'assortir le réarmement de la République fédérale de garanties démocratiques telles que la Bundeswehr nouvelle ne puisse jamais redevenir " l'Etat dans l'Etat " qu'avait pu être, par son esprit de caste, l'ancienne Reichswehr.

Le modèle suédois contribua largement à faire naître l'idée d'instituer un semblable " œil du Parlement " dans l'armée. Dès 1952, à l'occasion de la discussion relative au réarmement, un député, M. Ernst Paul suggéra de s'inspirer de cet exemple. Cette proposition fut favorablement accueillie et aboutit à l'adoption, le 19 mars 1956, d'un amendement à la constitution ainsi rédigée : " Afin de protéger les droits fondamentaux et comme auxiliaire du Bundestag dans l'exercice du contrôle parlementaire, il est nommé un délégué parlementaire à la défense. Une loi fédérale règlera les modalités d'application ". Cette loi, du 26 juin 1957, vint préciser les conditions dans lesquelles le délégué aurait à travailler. Le premier délégué prit ses fonctions le 3 avril 1959.

Le Wehrbeauftragte est un organe auxiliaire du Bundestag. Il est élu par l'assemblée, en séance plénière, au scrutin secret, sans débat, à la majorité absolue de ses membres, sur proposition de la commission de la défense ou d'un groupe parlementaire. Les conditions d'éligibilité sont réduites. Le candidat doit avoir accompli au moins un an de service militaire. Il n'est pas exigé, comme en Suède, la possession de titres juridiques éminents. Le premier délégué, M. Helmuth von Grolman, était un général en retraite et le second, M. Helmuth Guido Heye, un vice-amiral en retraite. En revanche, le troisième, M. Matthias Hoogen, était un juriste, ancien président de la commission des lois du Bundestag. L'actuel délégué, M. Karl Wilhelm, Berkhan, a été parlementaire et secrétaire d'Etat à la défense. Le mandat, d'une durée de cinq ans, ne coïncide pas avec la législature, qui dure quatre ans. Le délégué est rééligible, mais il peut aussi être révoqué, dans les conditions qu'impose le parallélisme des formes. Statutairement, il est placé sous le contrôle du président du Bundestag, qui, d'ailleurs, formellement, le nomme, mais il n'est pas pour autant soumis au pouvoir d'instruction de ce dernier. Il a rang de ministre. Il est assisté par un important service comptant plus de soixante collaborateurs, dont plus de dix docteurs en droit.

Trois chefs de compétence lui ont été conférés. Il est en premier lieu chargé, au sein du département de la défense, de la protection des droits fondamentaux. En second lieu, il intervient en qualité d'auxiliaire du Bundestag dans l'exercice du contrôle parlementaire. Ces deux missions lui ont été confiées par la Constitution. La loi d'application lui a attribué une troisième tâche : il doit veiller au respect par les cadres militaires des principes de " L'Innere Führung ". Cette notion nouvelle et imprécise à dessein recouvre l'obligation pour les supérieurs d'observer des principes de commandement et d'éducation morale et psychologique destinés à garantir aux subordonnés un traitement conforme à la dignité humaine et à l'esprit de la démocratie.

Le délégué ne jouit pas dans le cadre de chacune de ces trois compétences du même degré d'autonomie. D'un côté, en tant qu'auxiliaire du Parlement, il obéit aux directives du Bundestag ou de la commission de la défense. De l'autre, en tant que protecteur des droits individuels, il intervient discrétionnairement. A ce titre, il peut être saisi de plaintes que lui transmettent les membres du Parlement ou que lui adressent directement les soldats. Il peut aussi faire usage de son pouvoir d'action d'office, à la suite de ses inspections des corps de troupe, en vue de contrôler des faits divulgués par la presse ou pour tout autre motif.

Bénéficiant de moyens d'information privilégiés, il peut s'adresser au ministre de la défense, ainsi qu'à ses subordonnés, c'est-à-dire à n'importe quel membre des forces armées, pour leur demander tous renseignements oraux ou écrits et se faire communiquer tous dossiers. Seules des raisons impérieuses de secret peuvent s'opposer à ce qu'il soit donné suite à une de ses demandes. Le refus de communication ne peut émaner que du ministre lui-même. Il peut visiter à tout moment, de manière inopinée et indépendamment de toute motivation spéciale, tous corps de troupe, tous états-majors et tous services, à condition d'agir personnellement. Il peut de la sorte interroger lui-même les commandants d'unités et s'entretenir avec les hommes du rang, en dehors de la présence de leurs supérieurs. Son droit de visite est ainsi son meilleur atout pour être en prise directe sur la réalité de la vie militaire.

Par ailleurs, le ministre de la défense lui envoie régulièrement des rapports sur les conditions d'exercice du pouvoir disciplinaire dans l'armée. Le ministre de la justice fédéral et ceux des Länder lui rendent compte pareillement de l'administration de la justice pénale en ce qui concerne les militaires. Il peut en outre assister aux audiences des tribunaux, même si le huis clos a été ordonné, et, lorsque des procédures disciplinaires ont été ouvertes, s'en faire communiquer les dossiers.

En revanche, il n'a pas le pouvoir de déclencher des poursuites pénales ou disciplinaires. Il ne peut que mettre l'autorité compétente en mesure de régler l'affaire qu'il signale et, s'il estime que ses recommandations n'ont pas été suffisamment prises en considération, la porter à la connaissance du ministre ou la soumettre au Parlement. Les rapports spéciaux qu'il adresse à ce dernier sont généralement écrits, mais ils peuvent aussi être présentés oralement. Lorsqu'il a été chargé d'une enquête par le Bundestag, il est alors tenu de lui faire un rapport.

Enfin, il fait périodiquement la synthèse de son activité et expose ses conclusions d'ensemble dans son rapport annuel. Ce rapport constitue pour le Parlement un moyen privilégié d'information pour faciliter l'exercice du contrôle parlementaire en matière de défense.

L'essentiel de son travail provient des pétitions dont il est saisi directement par les militaires. Environ 10 p. 100 des plaintes concernent des atteintes aux droits fondamentaux et 20 p. 100 des violations des principes de l'" innere Führung ". Pour le reste, il s'agit de griefs variés. Trois cinquièmes des réclamations proviennent des hommes du rang et deux cinquièmes des cadres. Les pétitions collectives et les requêtes anonymes sont irrecevables. Mais, en aucun cas, une plainte individuelle valablement formulée ne saurait entraîner la punition de son auteur ni lui nuire de quelque manière que ce soit.

En 1974, le Wehrbeauftragte a reçu 6 748 pétitions.

4° En Israël, le recours devant Un ombudsman militaire existe également. Le Commissaire aux plaintes des soldats n'est cependant pas une simple copie des originaux suédois, norvégien et allemand. En effet, dans la recherche de la délicate conciliation que l'institution tente de réaliser entre la sauvegarde des droits individuels et la prise en considération de l'efficacité et de la discipline des armées, les concessions faites à ce dernier point de vue ont été plus importantes.

Ce fait apparut clairement dès la discussion à la Knesset. L'examen des doléances des soldats ne parut pas pouvoir être confié au Commissaire aux plaintes de la publique, personnalité civile, peu familiarisée avec les choses militaires et extérieures à l'appareil de défense. Il fut jugé préférable, au contraire, de placer le titulaire de la charge à l'intérieur de cet appareil. On admit cependant que celui-ci ne devrait pas être intégré dans la hiérarchie militaire et devrait être parfaitement indépendant du commandement. Sans être situé en dehors de l'armée, le nouvel organe devrait bénéficier au sein de celle-ci d'une complète autonomie.

Le projet, déposé le 4 juillet 1972, fut adopté à l'unanimité en moins de trois semaines et entra en vigueur le 1er novembre 1972. Mais, dès le 13 août 1972, le général Haïm Laskov, ancien chef d'état-major des armées, avait été nommé.

Le Commissaire est désigné par le ministre de la défense afin que le choix porte sur une personnalité très au fait des usages militaires et ayant fait l'expérience personnelle du commandement. Cette précaution permet de conférer au titulaire de l'emploi le crédit nécessaire pour lui permettre de bénéficier de la confiance de la hiérarchie. Comme on le voit, ces principes sont à l'opposé de ceux appliqués en Suède. Toutefois, avant de nommer le commissaire et pour tenir compte de son rôle de protecteur des droits de l'homme, le ministre de la défense doit consulter le ministre de la justice. Pour sauvegarder le principe du contrôle parlementaire, il doit également solliciter l'approbation de la commission des affaires étrangères et de la défense de la knesset. En outre, dans l'exercice de son mandat - dont la durée est de cinq ans renouvelables - le commissaire remet des rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux non seulement au ministre de la défense mais aussi au Parlement.

Moins indépendant que ses homologues européens par son statut, l'Ombudsman militaire israélien est également, en raison des limitations apportées à sa compétence, moins libre dans son action.

Il se borne en effet à instruire les réclamations individuelles dont il est saisi directement par les intéressés, veillant à ce que le soldat soit traité avec justice comme doit l'être un citoyen à part entière dans une armée démocratique. Mais, afin de ne pas risquer d'empiéter sur le domaine du commandement, il ne dispose d'aucun pouvoir d'action d'office. Corrélativement, il est tenu d'examiner les requêtes recevables qu'il reçoit. Il ne peut refuser de prêter attention même à des récriminations insignifiantes.

La requête doit viser un fait intervenu pendant le service actif et doit émaner d'un appelé du contingent, d'un réserviste en période d'activité ou d'un ayant droit de ceux-ci. Le recours devant le commissaire n'est donc pas ouvert aux militaires de carrière.

Il s'agit, en outre, d'un recours subsidiaire. La réclamation n'est recevable qu'après épuisement des recours hiérarchiques légalement institués. Elle n'est également recevable qu'à condition de critiquer des agissements survenus depuis moins d'un an ou d'être formulée moins de cent quatre-vingt jours après la libération de son auteur. Le commissaire peut toutefois discrétionnairement décider de ne pas tenir compte de ces dernières causes d'irrecevabilité s'il le juge opportun. En revanche, s'il se trouve en présence d'actes à caractère délictuel passibles de peines prévues par le code de justice militaire, il est tenu de renvoyer l'affaire au procureur général militaire.

Ses pouvoirs d'investigation sont larges. Il peut citer des témoins et se faire communiquer tous documents. En général, il commence par consulter l'état-major concerné. Si cette première démarche ne suffit pas, il envoie la plainte au militaire visé et à son supérieur en demandant leurs explications. Les choses en restent là le plus souvent. Au pire (3 p. 100 des cas) il charge un de ses collaborateurs de mener une enquête approfondie. Un officier supérieur de l'état-major est spécialement chargé, en permanence, de contrôler les suites données à ses recommandations et de lui rendre compte dans un délai de deux mois des mesures prises. Les règlements de l'armée prévoient que la rectification de tout défaut signalé par le commissaire est obligatoire. Seul le chef d'état-major en personne peut décider de passer outre à ses recommandations. Dans ce cas, il doit justifier son point de vue devant le ministre de la défense de la Knesset.

Du 11 novembre 1972 au 31 mars 1974, soit en un an et demi, près de dix mille plaintes ont été enregistrées. Parmi celles qui ont été reçues entre le 1er avril 1973 et le 31 mars 1974, environ 32 p. 100 ont été rejetées, 12 p. 100 mal orientées ont été renvoyées aux instances appropriées, et les 56 p. 100 restant ont été effectivement instruites. Parmi ces dernières, 61 p. 100 étaient justifiées. Cet important pourcentage de réclamations satisfaites prouve l'utilité de l'institution. En Israël, Etat sur le pied de guerre, l'activité du Commissaire aux plaintes des soldats est considéré comme un facteur non négligeable du moral des troupes.

5° En Australie, au niveau fédéral, la mise en place de l'Ombudsman militaire a précédé celle de l'Ombudsman civil. On sait que les premiers essais du système de l'Ombudsman ont été faits dans les différents Etats. Or la défense est par excellence la matière qui, dès l'établissement du lien fédéral, est abandonné par les Etats à la compétence exclusive de la fédération. Aussi était-il logique que l'expérimentation de l'Ombudsman fédéral commençât dans ce domaine.

Le 2 janvier 1975, M. Hay était provisoirement désigné pour remplir les fonctions de Defence Force Ombudsman (D.F.O.), en attendant l'adoption formelle par les chambres du Bill instituant la charge. Le projet de loi, qui s'applique d'ores et déjà de facto, avant de l'être de jure, comporte peu de traits saillants distinguant le dernier-né des ombudsmans militaires de ses aînés.

Le D.F.O. est nommé par le gouverneur général et, sauf démission, empêchement ou révocation, il conserve son emploi jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans. Il peut être révoqué avant d'avoir atteint cette limite d'âge par une décision prise par l'autorité qui l'a nommé, sur une adresse votée au cours de la même session par les deux chambres du Parlement. Ce sont là les conditions statutaires qui prévalent ordinairement dans les pays de tradition britannique.

Le cercle des personnes habilitées à le saisir n'est pas limité comme en Israël. Sa juridiction s'étend à quiconque appartient, fût-ce à temps partiel, ou a appartenu aux forces armées, ainsi qu'à ses ayants droit. Tous les militaires sont donc concernés, quel que soit leur grade, qu'ils soient d'active ou de réserve, en activité ou en retraite.

La procédure de saisine comporte cependant une particularité. Avant de s'adresser au D.F.O., tout requérant doit au préalable présenter ses griefs par écrit à son chef de corps. Ce n'est que s'il n'est pas satisfait de la réponse, en cas de silence, au bout de vingt-huit jours qu'il peut porter l'affaire devant l'Ombudsman. Le délai de vingt-huit jours permet aux autorités d'alerter tous les échelons hiérarchiques concernés et d'opérer le cas échéant les redressements qui s'imposent. En cas d'urgence ou de circonstances graves, le requérant peut être délié de l'obligation de démarche préalable, à condition de faire état d'arguments convaincants, que le D.F.O. apprécie discrétionnairement.

En un an, du 2 janvier au 24 décembre 1975, le D.F.O. a reçu 259 réclamations, dont 161 recevables. Celles-ci soulevaient principalement des problèmes d'intendance (soldes, conditions de logement). Quant à leur origine, les requêtes se répartissaient comme suit : officiers, 64 ; sous-officiers, 55 ; hommes du rang, 83 ; retraités, réservistes, ayants cause, etc., 57.

On peut en conclusion retenir quelques traits essentiels de l'Ombudsman militaire type :

- le caractère civil de l'organe, d'abord, qui garantit son indépendance par rapport à l'armée et qui peut comporter des modalités de rattachement au Parlement ;

- la saisine directe, ensuite, aisément aménageable dans un secteur limité tel que la défense, et son corollaire, indispensable en milieu militaire, la garantie de l'auteur d'une réclamation contre toutes représailles de la part de ses chefs ;

- le pouvoir d'action d'office, enfin, qui permet au médiateur militaire d'être, en matière de droits de l'homme, un inspecteur général en même temps qu'un arbitre des doléances.

La question se pose de savoir si la création d'un Médiateur militaire en France présenterait plus d'avantages que d'inconvénients. Compte tenu des ses incidences politiques, seul le Parlement est qualifié pour y répondre.

 

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