Année 1976


ANNEXE A


CHAPITRE I

LE PRINCIPE DE NON-RETROACTIVITE
DE LA REGLE DE DROIT



SECTION I. - Rappel de la position du Médiateur.

Ne serait-ce que pour en faciliter la comparaison avec les conclusions de l'étude du Conseil d'Etat dont l'analyse sera donnée à la section suivante, le plus expédient paraît être de reproduire in-extenso les considérations développées par le Médiateur dans son rapport de 1975 (p. 93 à 97) sous le titre " Les conséquences inéquitables du principe de non-rétroactivité de la règle de droit ". Au surplus, rien, depuis lors, n'est venu modifier l'économie de ces considérations :

" Depuis les débuts de l'Institution, l'examen de nombreuses réclamations a conduit le Médiateur à la conviction que dans certains domaines - et principalement en matière sociale - l'application systématique du principe de non-rétroactivité de la règle de droit (auquel il faut ajouter le principe de non-rétroactivité des décisions de jurisprudence, dont se prévaut également l'administration) devait dans de nombreux cas être considérée comme contraire, non seulement à la simple équité, mais peut-être aussi, soit à l'esprit véritable des dispositions de l'article 2 du code civil, soit à la hiérarchie des " principes généraux du droit " dégagés par la jurisprudence administrative.

" Cette conviction, le Médiateur en a fait part à chaque occasion au département ministériel concerné - sans nourrir aucune illusion sur le résultat concret que pouvaient avoir de telles prises de position. Il l'a publiquement exposée, en l'appuyant d'un commencement de discussion théorique, dans son rapport de 1973 (p. 236 et 237), et rappelée dans le rapport de 1974 (p. 137, 138 : n° I-1173 ; p. 143, 144 : n° 1099 ; p. 240, alinéa 2 ; ibid, alinéas 3 et 4 : n° 964 ; cf. aussi p. 242 : n° 767 et p. 244 : n° I-177 et I-689).

" Certes, " la loi ne dispose que pour l'avenir ", et le principe de non-rétroactivité des actes administratifs a été élevé depuis longtemps par la jurisprudence au rang des principes généraux du droit ayant valeur législative.

" Mais, outre que la règle posée à l'article 2 du code civil, n'étant pas d'ordre constitutionnel, n'interdit pas au législateur de faire, s'il lui paraît bon, des lois rétroactives ; outre que le principe jurisprudentiel correspondant admet de notables exceptions, il semble difficilement contestable que si la règle de non-rétroactivité s'est établie avec tant de force à travers toutes les sources de notre droit, c'était dans le but essentiel d'éviter la détérioration imprévue de situations juridiques, nées du contrat ou de la loi, et que leurs titulaires pouvaient croire stables.

" Or, les cas exposés au Médiateur nous placent dans l'hypothèse exactement inverse : ce que la loi, la jurisprudence ou le règlement nouveau apportent, ce sont des avantages, non des préjudices, et l'on conçoit mal que " l'avantage imprévu " requière, comme le " préjudice imprévu ", l'existence d'un principe de garantie - d'autant plus que personne n'a jamais songé à critiquer dans un autre domaine le principe, non moins bien établi, de la rétroactivité des lois pénales plus douces...

" Ne faut-il pas, dans ces conditions, avoir poussé un peu loin l'" esprit de symétrie ", pour en être venu à considérer comme allant de soi l'application du principe de non-rétroactivité de la règle de droit, en un domaine où sa justification théorique semble bien n'avoir jamais existé ?

" On ne saurait pourtant nier que cette extension, théoriquement abusive, conserve un certain nombre de justifications pratiques :

" Il est vrai, par exemple, qu'émettre des lois ou des règlements rétroactifs en matière sociale obligerait souvent à une révision coûteuse, difficile, dans certains cas impossible, des situations anciennes.

" Il est à peine besoin de remarquer que lorsque le nouveau texte apporte une novation importante dans la situation juridique des sujets de l'ancienne loi - par exemple, en assortissant les nouveaux droits de nouvelles obligations - une discrimination peut paraître s'imposer, et la non-rétroactivité se justifier. Il en est ainsi, notamment, en matière de statut de la fonction publique, où il n'existe pas de droits acquis - encore que, même dans ce domaine, il y aurait matière à discussion.

" Enfin, on ne peut sérieusement écarter l'incidence des choix budgétaires et des choix politiques qui les sous-tendent : il est à l'évidence extrêmement tentant, pour un ministre qui ne dispose que d'une " enveloppe budgétaire "... par définition insuffisante... de distribuer sa manne de façon sélective : les bénéficiaires, " gens de l'avenir ", auront la plus grosse part, sinon le gâteau tout entier ; les exclus, " gens du passé ", recevront " quelque chose " par une autre voie. L'opération revêt ainsi une apparence " progressiste " qui pourrait faire illusion, si l'on perdait de vue que le progrès social ne nécessite pas, ou tout au moins de façon aussi systématique, le sacrifice des plus vieux au profit des plus jeunes.

" Il n'est pas dans les intentions du Médiateur d'engager une lutte systématique contre de tels agissements ; il souhaiterait simplement qu'on n'invoque plus à leur propos la majesté intangible d'un principe abusivement appliqué, et qu'à partir d'une analyse, rendue ainsi beaucoup plus souple, de la situation des ensembles de personnes concernées par une éventuelle amélioration de leur sort, Gouvernement et Parlement s'efforcent d'adopter des solutions moins dogmatiques, plus adaptées, plus conformes à l'équité et même à la justice.

" On considérera, dans cet esprit, les trois principaux cas qui peuvent se présenter :

" - si le nombre des personnes choisies pour être les bénéficiaires de l'avantage nouveau est faible, et doit demeurer faible pendant une longue période, par rapport à celui des exclus, la non-rétroactivité peut s'admettre, sinon se justifier - à la condition toutefois que l'avantage consenti soit assez modéré (au moins au début) pour ne pas créer, dès le début, une distorsion qui serait vivement ressentie par la masse des exclus ;

" - mais dans la situation moyenne, où à une masse importante de " bénéficiaires d'avenir ", S'oppose une masse comparable de titulaires de situations anciennes, l'auteur du texte se trouve soumis à des contraintes peu compatibles entre elles : les crédits dont il dispose sont amples - ce qui, en toute rigueur, devrait le conduire à accorder un avantage égal à tous ; mais leur montant tout de même limité, ferait que cet avantage serait faible : il est alors extrêmement tentant, comme on l'a signalé plus haut, d'opérer une dichotomie entre bénéficiaires et exclus ; les premiers seront substantiellement satisfaits (progressivement, si les crédits disponibles ne permettent pas le passage immédiat à l'opulence pour tous) ; les seconds, livrés désormais au sort des " prestataires non contributifs ", pourront cependant bénéficier d'avantages " de rattrapage ", dont l'évaluation " équitable " ne pourra manquer de donner lieu à d'infinies discussions. Telle est exactement la situation que le Gouvernement doit aujourd'hui affronter, face aux porte-parole des exclus, partiels ou totaux, de la " réforme " de l'assurance vieillesse ;

" - à l'opposé du premier cas, lorsque la masse des bénéficiaires pour l'avenir écrase celle des " anciens ", aucun argument budgétaire ne vient plus s'opposer à la rétroactivité de l'avantage, quelle que soit l'importance de celui-ci ; c'est le cas, notamment, d'un bon nombre de dispositions prises en matière de pensions civiles et militaires, surtout lorsque les avantages octroyés avaient un fondement d'ordre plutôt qualitatif (non pas totaliser tant de trimestres d'assurances, mais, par exemple, avoir élevé un orphelin à son foyer, ou devoir assister un parent infirme ... ). Dans de tels cas, le Médiateur ne devrait pas être seul à considérer que l'application du principe de non-rétroactivité constitue un non-sens.

" Le problème de l'application du principe de non-rétroactivité de la règle de droit semble avoir pris aujourd'hui une particulière acuité, puisque c'est une véritable " émotion parlementaire ", grossissant depuis plusieurs années, que l'on devine résumée et comme exaspérée dans de récentes questions posées au Gouvernement sur ce sujet.

" Les plus significatives de ces questions ont porté sur deux " progrès " récents de notre législation sociale ; les nouvelles modalités de calcul des pensions de vieillesse de la sécurité sociale fixées par la loi du 31 décembre 1971 sur la réforme de l'assurance vieillesse ; l'octroi aux ayants cause des femmes fonctionnaires ou agents de collectivités locales du droit à pension de réversion (art. 12 de la loi de finances rectificative pour 1973, et décret n° 74-844 du 7 octobre 1974). Leurs auteurs s'y élevaient naturellement contre la non-rétroactivité de ces dispositions.

" Notons tout de suite qu'effectivement, c'est la situation de personnes exclues du bénéfice des avantages nouveaux qu'une loi ou un règlement apportent en matière de pensions de vieillesse ou de retraite, qui forme le thème de la quasi-totalité des réclamations à partir desquelles le Médiateur a été conduit à s'interroger sur l'application du principe de non-rétroactivité de la règle de droit.

" Il est bien évident que lorsque l'auteur d'un texte de loi ou de règlement fait dépendre le bénéfice de l'avantage qu'il octroie (l'ouverture d'un droit ou l'amplification d'un droit existant) de la position, par rapport à une date de référence, d'un certain événement ayant marqué la " vie administrative ", ou même la vie tout court, des sujets de droits régis par l'ancienne législation, il divise ipso facto ces sujets en deux catégories antagonistes : celles des bénéficiaires et celle des exclus, des " laissés pour compte ". Mais c'est une pétition de principe que d'invoquer le principe de non-rétroactivité de la règle de droit pour postuler que cette division doive être opérée, systématiquement, dans tous les cas et dans tous les domaines (en matière de pensions de vieillesse comme en matière de constructibilité de terrains ...) comme si le bénéfice de toutes les lois et de tous les règlements devait être nécessairement subordonné à des conditions discriminatoires, devenant même des conditions injustes, lorsqu'elles se fonderaient uniquement sur l'inégalité des âges et la diversité du cours des existences humaines...

" Où cela est-il écrit ? Et où est-il écrit, en particulier, que la distribution d'une masse donnée de crédits, permettant d'améliorer le sort d'une catégorie de personnes, ne puisse s'effectuer également entre toutes ces personnes ? Dans de telles circonstances, le principe de non-rétroactivité ne devrait-il pas, au contraire, s'effacer devant cet autre, de rang assurément plus élevé : celui de l'égalité de tous les citoyens devant les libéralités de la loi - pour ne pas dire devant la loi tout court ?

" Et quant à proclamer, non seulement que le principe de non-rétroactivité des lois serait partout intangible, mais encore que sa stricte et constante observation constituerait la condition nécessaire de tout progrès législatif... c'est d'abord outrer de façon tout à fait illégitime la thèse de ceux qui souhaiteraient simplement une application moins systématique de ce principe ; et c'est aussi donner à croire que ce progrès ne saurait se faire que dans l'inégalité, et sous la dépendance exclusive de choix budgétaires, dont la " rationalité " - en matière sociale précisément - apparaît assez difficile à établir.

" C'est sur ces bases que le Médiateur a demandé au Conseil d'Etat d'étudier le problème, de manière à ce que puissent être dégagées, sinon une doctrine, du moins les directions d'une pratique, qui permettrait d'introduire plus d'équité et de justice, en même temps que plus de cohérence, dans le développement de notre législation, notamment en matière sociale. "

SECTION II. - L'étude du Conseil d'Etat.

L'étude menée sur ce problème, à la demande du Médiateur, par le Conseil d'Etat confirme pleinement les considérations rappelées à la section précédente.

Les principales conclusions du Conseil sont les suivantes :

1° Dans toute matière où la règle de droit nouvelle ne risque pas de porter atteinte à des droits légitimement acquis, l'application du principe de non-rétroactivité ne s'impose pas. La loi peut se donner une portée rétroactive si l'équité le commande, ce qui est souvent le cas.

2° Lorsque l'application rétroactive d'un texte augmente son incidence financière, il appartient au législateur de faire l'arbitrage entre ses préoccupations de justice sociale en faveur des bénéficiaires et les considérations d'ordre économique ou social qui commandent de limiter la charge des prélèvements, fiscaux ou autres, que rendra nécessaires la mesure nouvelle.

3° Cet arbitrage une fois fait, il entraîne nécessairement la définition d'une certaine " enveloppe " financière mise à la charge des contribuables et des cotisants. La répartition de cette enveloppe entre les bénéficiaires possibles est une décision politique, une appréciation par le législateur de la solution qui lui paraît la plus équitable. Il ne faut cependant pas, dans le choix de la solution, ignorer les difficultés éventuelles de mise en œuvre pratique.

Quant au détail de l'étude, qui se présente sous la forme de six conclusions ou propositions diverses, on le trouvera ci-après :

1° Le principe de non-rétroactivité de la loi n'a pas valeur constitutionnelle, à l'exception des lois pénales. Cette exception résulte elle-même de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, aux termes duquel " nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée " : l'adage nulla poena sine lege a, sans aucun doute, valeur constitutionnelle.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel admet d'ailleurs la rétroactivité des lois (cf. C.C. 24-10-1969, p. 32 ; J.C.P. 1969 I 2290 bis ; note Voisset) ; la jurisprudence de la section du contentieux et des sections administratives du Conseil d'Etat est dans le même sens.

Les dispositions de l'article 2 du code civil, selon lesquelles " la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ", constituent seulement le rappel d'un principe général de droit qui est applicable dans le silence de la loi.

En pratique, un grand nombre de dispositions législatives se donnent une portée rétroactive ; certaines n'ont même d'autre objet que d'édicter une rétroactivité qui ne pourrait pas légalement figurer dans des dispositions réglementaires. Tel est le cas notamment des lois de validation.

Bref, le Parlement est parfaitement compétent pour faire rétroagir l'application d'une norme juridique, s'il le juge souhaitable : le principe de la non-rétroactivité des lois ne lie pas le Parlement.

2° Non seulement la loi peut être rétroactive, mais elle peut imposer au Gouvernement de prendre des mesures d'exécution ayant une portée rétroactive.

L'invitation du législateur peut être expresse ou même simplement implicite. La jurisprudence du Conseil d'Etat statuant au contentieux est, sur ce point, aussi constante qu'abondante (cf. par exemple 7 mai 1948, confédération générale du commerce et de l'industrie d'Algérie, p. 202 ; 21 mai 1953, Simonet, p. 240).

Les cas cités par le Médiateur dans l'annexe II de sa communication visent des hypothèses où le législateur avait entendu précisément restreindre le champ d'application de la loi ; l'administration ne pouvait, dans ces conditions, méconnaître l'intention du législateur.

3° La portée du principe de non-rétroactivité inscrit dans l'article 2 du code civil mérite d'ailleurs d'être précisée. Elle n'est pas aussi restrictive que semble le penser le Ministère des Finances.

En particulier, l'application immédiate de la loi dans le temps n'interdit nullement d'appliquer les dispositions nouvelles à des situations préexistantes, s'il est certain que nul n'en pâtira. En d'autres termes, toute législation nouvelle s'applique aux situations établies ou aux rapports juridiques formés avant son entrée en vigueur, quand elle n'a pas pour résultat de léser les droits antérieurement acquis. C'est en ce sens que la Cour de Cassation interprète les dispositions de l'article 2 du code civil :

- C. cass. Chambres réunies, 13-1-32, D. 32-1-18 ;

- C. cass. Civ. 3e, 17-7-68 ; Gaz. Palais 69-1-16.

Par conséquent, une loi accordant certains avantages sociaux s'applique en principe aussi bien à ceux qui remplissent à la date de son entrée en vigueur les conditions fixées par le législateur qu'à ceux qui ne les rempliront qu'après cette date.

Il est vrai qu'en matière de pensions, c'est la date de l'admission à la retraite qui détermine la législation en vertu de laquelle s'ouvrent les droits à pension ; la pension ainsi liquidée ne peut plus être révisée qu'en cas d'erreur ou d'omission.

Mais ces règles trouvent leur fondement dans le droit positif et s'expliquent pour des raisons financières et pratiques. Le législateur peut y déroger et certaines dispositions bien connues n'ont pas manqué de le faire. Ainsi l'article 61 de la loi du 20 septembre 1948 a prévu que les pensions concédées sous le régime de la loi du 14 avril 1924 devraient faire l'objet, avec effet du 1er janvier 1948, d'une nouvelle liquidation effectuée d'après les modalités de calcul de la loi du 20 septembre 1948. De même, le code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit une péréquation automatique des pensions. La transposition de ces règles au régime général de la Sécurité Sociale est parfaitement possible au plan juridique. Mais elles auront naturellement d'importantes conséquences financières.

En définitive, la plupart des cas relevés par le Médiateur visent des hypothèses où le principe de non-rétroactivité n'est pas applicable.

4° Lorsqu'il en est autrement, ce n'est que très exceptionnellement qu'il conviendrait de donner à la loi une portée rétroactive et seulement après avoir examiné toutes les incidences des mesures envisagées.

La justification du principe tient en effet dans la nécessité d'assurer aux relations juridiques la sécurité indispensable. Son respect s'impose dans tous les cas où cette sécurité serait menacée. Chaque citoyen a droit à la stabilité de l'ordre juridique dans le cadre et en fonction duquel il a agi, qu'il s'agisse des actes de sa vie privée, de son activité professionnelle ou de la gestion de son patrimoine. Il n'est pas admissible, en particulier, de modifier rétroactivement des engagements licites au regard de la législation en vigueur lorsqu'ils ont été librement conclus ou de porter atteinte à des droits régulièrement acquis.

Passer outre au principe de non-rétroactivité est donc un acte grave. La loi peut le faire, mais le législateur ne devrait s'y résigner que si de très sérieux motifs d'intérêt national ou d'ordre public le justifient.

La rétroactivité n'apparaît donc admissible, en pratique, que si la mesure nouvelle n'a d'autres conséquences que financières et à venir : les contribuables, de même que les redevables de cotisations obligatoires de toute nature, n'ont pas un droit acquis à la non-aggravation des charges qui leur sont assignées. Dans les cas de ce genre, ce n'est pas le principe de non-rétroactivité, ce sont des préoccupations d'ordre budgétaire et financier, avec leurs implications d'ordre économique ou social, qui expliquent et qui le plus souvent justifient l'attitude de l'administration. Le problème cesse d'être juridique pour devenir un problème d'opportunité politique.

5° Il n'appartient pas au Conseil de se placer sur ce terrain, si ce n'est pour observer que, dans la mesure où des impératifs budgétaires s'opposent à ce que le bénéfice d'une mesure soit accordé à tous ceux qui pourraient normalement y prétendre, d'autres solutions que celles habituellement retenues peuvent être envisagées : par exemple, multiplier les étapes transitoires, d'une générosité prudemment progressive, mais bénéficiant à tous, ou encore privilégier les titulaires des situations les plus anciennes.

6° Le Conseil d'Etat croit devoir souligner, enfin, deux considérations d'ordre pratique qui peuvent jouer en faveur d'une application restrictive des textes :

a) Une liquidation nouvelle des pensions déjà concédées, destinée à procurer à chaque pensionné l'avantage accordé par une législation nouvelle, constituerait très souvent un travail que l'administration en place ne pourrait effectuer sans un gonflement peu opportun, en tout cas onéreux, de ses effectifs. Sans doute l'emploi de l'ordinateur peut-il faciliter cette tâche, mais à la condition que la mesure nouvelle mette en jeu uniquement des paramètres déjà retenus dans le calcul initial de la pension. Si les difficultés d'une nouvelle liquidation sont sérieuses, l'objectif d'équité que l'on vise peut être partiellement atteint par l'application d'améliorations donnant lieu à un calcul forfaitaire aux pensions déjà liquidées.

b) Il convient de ne pas négliger les difficultés touchant à l'administration de la preuve : la nouvelle législation ne pourra en pratique être étendue que si les avantages accordés sont fonction de facteurs objectifs déjà constatés ou pouvant être actuellement constatés. La prise en compte d'événements passés, dont les intéressés devraient fournir des justifications et les fourniraient avec une facilité ou une diligence inégales, serait une source de litiges souvent insolubles et parfois d'iniquités. La prise en compte d'éléments contingents serait en effet souvent de nature à faire naître des contentieux difficiles et souvent insolubles.

SECTION III. - Mesures d'exploitation.

Les considérations qui précèdent montrent que le problème de la rétroactivité possible des lois et règlements, s'il n'est pas précisément résolu - et il est difficile qu'il le soit, s'agissant d'un domaine où la volonté politique, comme on l'a vu, joue un rôle déterminant - apparaît, du moins, parfaitement éclairé.

C'est, pour le Médiateur et peut-être aussi pour d'autres, un résultat déjà substantiel que d'être en possession dans cette matière d'un ensemble de " directions pour l'action ", pour ne pas parler de doctrine, aussi solidement argumenté.

Mais que peut être cette action ? Dans la situation que connaît actuellement notre pays, le Médiateur est parfaitement conscient de ce que conférer une rétroactivité à un texte ou amplifier celle qu'il a déjà, peut, dans certains cas - et notamment en matière sociale - constituer une opération extrêmement coûteuse, et, de ce fait, peu de saison.

Pourtant - mais en s'appuyant sur des propositions depuis longtemps étudiées et chiffrées par la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés - il a pu, dans une proposition de réforme (référence : " SYN n° 5 ") adressée à tous les départements ministériels susceptibles d'intervenir dans la mise en œuvre de cette partie de la législation sociale qui concerne principalement l'assurance vieillesse, rappeler les conclusions ci-dessus reproduites du Conseil d'Etat et suggérer qu'il en soit fait application, dans un premier temps, au règlement de certains problèmes particulièrement pressants. Le Médiateur a l'intention d'amplifier ses contacts avec les différentes administrations concernées en vue de mettre en pratique ces suggestions en accord avec les conclusions de l'étude du Conseil d'Etat.

Ces suggestions sont les suivantes :

1° Durée d'assurance à prendre en compte pour le calcul des pensions de vieillesse du régime général.

On sait qu'en vertu du calendrier établi pour l'application de la réforme de l'assurance vieillesse, seuls les assurés qui ont pris leur retraite à partir du 1er janvier 1975 peuvent faire prendre en compte, pour le calcul de leur pension, la durée maximale d'assurance fixée à trente-sept années et demie, soit 150 trimestres.

Pour ceux qui avaient pris leur retraite au cours des trois années précédentes, les plafonds de prise en compte se réduisent à 36 années (144 trimestres) pour 1974, 34 (136 trimestres) pour 1973, 32 (128 trimestres) pour 1972.

Quant aux personnes retraitées avant le 1er janvier 1972 (date jusqu'à laquelle le maximum se trouvait fixé à trente ans - soit 120 trimestres) elles se sont trouvées totalement exclues de la réforme - si l'on excepte la majoration forfaitaire de 5 p. 100 de leur pension qui leur a été accordée par l'article 3 de la loi n° 75-1279 du 30 décembre 1975, en même temps d'ailleurs qu'aux retraités de l'année 1972.

Un alignement rigoureusement équitable sur la situation des retraités de 1975 et des années postérieures apparaît tout à fait exclu : il conduirait à rouvrir tous les dossiers... pour y constater souvent que certaines lacunes dans le compte de l'assuré, qui n'avaient aucune incidence, à l'époque, sur la détermination de la pension à servir, n'ont pas entraîné les organismes liquidateurs dans une régularisation dépourvue d'intérêt pratique.

D'autre part, le nombre de personnes concernées par l'opération - quelle que soit sa forme - s'élèverait à 1 050 000.

Plus praticable est apparue la solution qui consisterait, sans toucher aux bases de la liquidation, à affecter la pension servie d'un multiplicateur égal au quotient de la durée maximale d'assurance actuelle (150) par la durée maximale en vigueur à la date de mise à la retraite.

Mais tous les assurés n'atteignaient pas forcément cette dernière durée : sous peine de les favoriser indûment, il faudrait donc rechercher leur durée effective d'assurance - donc, encore une fois, rouvrir les dossiers.

Finalement, la solution la plus expédiente - et, relativement la moins coûteuse - serait d'appliquer aux pensions liquidées une majoration " purement " forfaitaire, mais modulée selon la date du départ à la retraite.

Ainsi la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés suggère le tableau de majoration suivant :

- pour les pensions attribuées avant le 1er janvier 1972, sur la base d'au moins 120 trimestres : majoration de 6,5 p. 100 ;

- pour les pensions attribuées en 1972 (sur au moins 128 trimestres) : majoration de 4,7 p. 100 ;

- pour les pensions attribuées en 1973 (sur au moins 136 trimestres) : majoration de 5,3 p. 100 ;

- pour les pensions attribuées en 1974 (sur au moins 144 trimestres) : majoration de 1,2 p. 100.

On notera :

- que ce calcul tient compte de la majoration de 5 p. 100 accordée par l'article 3 de la loi du 30 décembre 1975 précitée ;

- que seuls profitent d'un rajustement les assurés qui justifiaient, au moins, de la durée maximale d'assurance en vigueur à la date de leur retraite : c'était déjà la solution adoptée dans la disposition ci-dessus rappelée, et les mêmes impératifs techniques justifient cette restriction.

Un problème demeure : bon nombre d'assurés, selon les réclamations reçues par le Médiateur, comptent plus d'années de cotisation que la durée maximale à prendre en considération pour le calcul de leur pension.

Même si l'on restreint le cadre de ce problème à l'état de choses existant depuis le 1er janvier 1975 - c'est-à-dire à la limite de 37 ans et demi - il faut bien se dire que les tendances de notre démographie, et même la configuration actuelle de l'emploi, risquent de rendre cette limite insuffisante à plus ou moins brève échéance.

On peut d'ailleurs douter sérieusement de sa légitimité : déjà, des assurés qui sont passés durant leur carrière du régime général à d'autres régimes la franchissent, et ne supportent aucune réduction de leur pension globale de ce fait... On conçoit mal, d'autre part que la condition de durée d'activité (quarante-trois ans), que les travailleurs manuels doivent remplir, selon la loi du 30 décembre 1975 et son décret d'application, pour bénéficier de la retraite anticipée à soixante ans puisse être maintenue, lorsque, pour eux également, la pension n'est calculée que sur la base de 150 trimestres d'assurance.

Il faut dès maintenant songer à un état du droit où la pension serait fonction strictement croissante du temps d'activité de l'intéressé - où la durée d'assurance, rendue égale par les moyens appropriés à la durée effective de cette activité, serait prise en compte dans son intégralité.

2° Prise en compte des dix meilleures années pour le calcul du salaire moyen.

Selon les statistiques de la C. N. A. V. T. S., l'extension, à tous les retraités, du calcul du salaire moyen intervenant dans la détermination de la pension sur la base des " dix meilleures années d'assurance " intéresserait environ 2 700 000 personnes (ce chiffre engloberait - à peu près - le nombre des personnes concernées par la prise en compte d'une nouvelle durée d'assurance, ainsi que celui des mères de famille qui n'ont pas bénéficié de la " majoration d'assurance " dont il sera question ci-après).

Là encore, la seule solution praticable apparaît résider dans l'octroi d’une majoration forfaitaire de la pension, dont la caisse nationale évalue le taux à 10,7 p. 100.

Mais l'on sait que selon le décret du 29 décembre 1972, la recherche des dix meilleures années ne peut se prolonger au-delà du 31 décembre 1947.

Or, il est des cas où les dix meilleures années de salaire se situent avant cette date : c'est notamment celui des femmes qui, actuellement candidates à la retraite, avaient eu le principal de leur activité professionnelle dans leur jeunesse, et, s'étant mariées dans les années 1935-1940, n'ont plus connu ensuite que des activités sporadiques, et beaucoup moins bien rémunérées.

On peut alors se demander s'il ne conviendrait pas de donner une rétroactivité supplémentaire au décret de 1972, en n'imposant plus aucune date limite à la recherche des dix meilleures années.

La mesure serait assurément équitable et ne devrait pas entraîner de grandes dépenses supplémentaires : il est vraisemblable que le nombre (absolu) des femmes qui se sont trouvées dans la situation ci-dessus décrite est faible, et que le nombre (relatif) des hommes dont les dix meilleures années de salaire se situent avant 1947 est très peu important.

3° Majoration de la durée d'assurance en faveur des mères de famille.

Selon la réglementation initiale (ordonnance du 19 octobre 1945) aucune majoration de la durée d'assurance n'était accordée aux mères de famille.

La loi n° 71-1132 du 31 décembre 1971 a prévu que " les femmes ayant élevé au moins deux enfants " (pendant neuf ans au moins avant l'âge de seize ans) " bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance égale à une année supplémentaire par enfant ".

La loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 a modifié ces dispositions, et, depuis le 1er juillet 1974, " les femmes assurées ayant élevé un ou plusieurs enfants (pendant neuf ans au moins avant l'âge de seize ans) bénéficient d'une majoration de leur durée d'assurance égale à deux années supplémentaires par enfant ".

Ces dispositions favorables pour les mères de famille ont néanmoins pour conséquence une profonde injustice suivant la date de liquidation de la pension. En effet, pour prendre l'exemple de trois mères de famille ayant élevé trois enfants pendant neuf ans avant l'âge de seize ans :

- la première a demandé la liquidation de sa pension en 1971 : elle n'a droit à aucune majoration de sa durée d'assurance ;

- la deuxième a demandé la liquidation de sa pension en 1973 : elle a vu sa durée d'assurance majorée de trois ans, soit 12 trimestres ;

- la troisième a demandé la liquidation de sa pension en 1974 : elle a pu bénéficier de 3 x 2 = 6 ans de durée d'assurance supplémentaire, soit 24 trimestres.

Pour un salaire de base égal, le montant de la pension accordée à la troisième de ces mères de famille sera donc nettement plus élevé que celui dont bénéficieront les deux autres.

Dans ces conditions, il apparaît légitime d'étendre à toutes les mères de famille, quelle que soit la date de liquidation de leur pension, les dispositions de la loi du 3 janvier 1975.

Selon les statistiques de la C. N. A. V. T. S., le nombre de mères de famille susceptibles de bénéficier de cette extension s'élèverait à 930 000.

La solution consisterait, là encore, à appliquer à leurs pensions une majoration forfaitaire dont le taux s'élèverait :

- à 18,53 % pour les pensions attribuées avant le 1er janvier 1972 ;

- à 8,52 % pour les pensions attribuées entre cette date et le 1er juillet 1974.

4° Suppression de la condition de " stage " pour l'ouverture du droit à pension de vieillesse.

Avant la simplification apportée aux conditions d'ouverture du droit à pension par la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 (cf. notamment l'article 12), trois cas pouvaient se présenter :

- l'assuré social avait cotisé pendant au moins quinze ans : il avait droit alors à une pension proportionnelle à sa durée effective d'assurance - mais sur la base d'un maximum de trente ans (augmenté, comme on l'a vu, depuis l'entrée en vigueur de la loi Boulin) ;

- l'assuré avait cotisé moins de quinze ans mais plus de cinq ans : il pouvait bénéficier alors, non d'une pension, mais d'une " rente " - d'ailleurs d'un très faible montant ;

- enfin, l'assuré ayant cotisé pendant moins de cinq ans ne pouvait prétendre qu'au remboursement de ses cotisations.

C'est cette situation que le législateur de 1975 a radicalement modifiée, en supprimant la notion de rente, en décidant que les prestations inférieures à un certain montant seraient remplacées par le versement d'un capital forfaitaire unique, et surtout en fixant à un seul trimestre d'assurance le seuil d'ouverture du droit à pension.

La suppression rétroactive de toute condition dite de " stage " pour l'ouverture du droit à pension ne peut à première vue concerner que les personnes se trouvant dans le deuxième cas ci-dessus rappelé : l'opération se réduirait donc à la transformation en pensions proportionnelles des " rentes " attribuées avant le 1er juillet 1974, date d'effet des dispositions précitées de la loi du 3 janvier 1975.

Toujours selon la C. N. A. V. T. S., le nombre de personnes concernées s'élèverait à environ 270 000.

Quant à la majoration forfaitaire qui ferait de leur rente une prestation assimilable à une pension proportionnelle, son taux s'élèverait à 67,5 p. 100.

On peut se demander toutefois si la situation des assurés ayant cotisé pendant moins de cinq ans (et qui ont récupéré leurs cotisations) doit être radicalement écartée du dispositif de réforme ici exposé.

Si l'on se place uniquement dans le cadre du régime général, l'affirmative ne fait pas de doute. Mais il est peu croyable que toutes les personnes qui se sont trouvées dans ce cas aient arrêté toute vie active après moins de cinq ans d'affiliation au régime général : nombre d'entre elles ont dû exercer d'autres professions, c'est-à-dire être affiliées à d'autres régimes, et y acquérir des droits à pension plus étendus.

Pour ces personnes se poserait alors le problème de la prise en compte des années d'affiliation au régime général, et l'on peut penser que si cette prise en compte leur permettait d'acquérir ou de parfaire un droit à pension dans un autre régime, elles n'hésiteraient pas à verser de nouveau les cotisations récupérées sur le régime général.

Le Médiateur ne dispose pas, en ce domaine, des éléments qui lui permettraient d'émettre une suggestion. Mais il ne lui semble pas inutile d'avoir posé le problème (cf. à ce sujet les réflexions qui concluent le paragraphe 6° ci-après).

5° Assurance maladie ; choix de leur régime d'affiliation par les titulaires de plusieurs pensions de vieillesse relevant de régimes différents (cf. rapport du Médiateur pour 1973, p. 97 et 98 ; rapport de 1974, p. 142 et 143 ; rapport de 1975, p. 111 et 112).

Pour les assurés ressortissants du régime général de la Sécurité Sociale, le bénéfice des prestations en nature de l'assurance maladie est accordé aux retraités et à leurs ayants droit dans les mêmes conditions que pour les assurés actifs, et sans paiement de cotisation (le remboursement des frais médicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation, etc., s'effectue sur la base de 70, 75, 80 ou 90 p. 100, selon le cas, et en cas de " maladies longues et coûteuses " au taux de 100 p. 100). A cet effet, ils sont affiliés aux caisses primaires d'assurance maladie dans le ressort desquelles ils ont leur domicile.

Au contraire, pour les assurés ressortissants d'un régime de Sécurité Sociale de travailleurs non salariés, non agricoles, la couverture des dépenses de maladie est assurée par l'affiliation obligatoire à un organisme conventionné, avec paiement d'une cotisation, et sur la base de 50 p. 100 (ou exceptionnellement de 85 p. 100).

Dans le cas de personnes titulaires de plusieurs pensions, la question s'est posée de savoir auprès de quel organisme elles devaient être affiliées pour la couverture du risque maladie, c'est-à-dire soit la caisse primaire du régime général, soit un organisme conventionné d'un régime de non-salariés.

Un décret en date du 26 février 1970 avait prévu que le titulaire de plusieurs pensions de vieillesse devait être rattaché au régime dans lequel la pension avait été calculée sur le plus grand nombre de trimestres.

Ces dispositions pouvaient dans certains cas entraîner des situations difficiles. C'est ainsi que le Médiateur a été saisi - entre beaucoup d'autres - du cas d'un ancien travailleur non-salarié qui, ayant abandonné son commerce, avait occupé un emploi salarié à la fin de sa période d'activité. Atteint d'une maladie grave, il avait bénéficié, de la part du régime général, d'une pension d'invalidité, avec droit aux soins et remboursement à 100 p. 100 de ses dépenses. A l'âge de soixante ans, sa pension a été transformée en pension de vieillesse (art. 322 du code de la Sécurité Sociale), mais il avait cotisé au régime des non-salariés pendant un plus grand nombre de trimestres qu'au régime général. Il a donc bénéficié de deux pensions, mais, pour les soins, il a dû s'affilier à un organisme conventionné, payer une cotisation et n'être plus remboursé de ses dépenses qu'à 50 p. 100.

La loi du 4 juillet 1975 a modifié cette situation ; en application de ce nouveau texte, les " polypensionnés " sont dorénavant affiliés au régime d'assurance maladie auquel ils ont cotisé au cours des trois dernières années de leur activité, à moins qu'ils ne choisissent un autre régime. En résumé, il leur est accordé un droit d'option. Mais ce nouveau texte n'a aucun effet rétroactif.

Le Médiateur estime qu'il n'existe pas de raison valable d'avoir limité l'exercice de ce droit d'option aux seuls bénéficiaires de la loi du 4 juillet 1975 : le droit de choisir leur régime d'assurance maladie doit être étendu à tous les " polypensionnés ", quelle que soit la date de liquidation de leurs diverses pensions.

6° Situation des tributaires du code des pensions civiles et militaires de retraite qui ont quitté le service sans droit à pension (cf. rapport de 1975, p. 109, 110 et 134).

Selon l'interprétation donnée par le Ministère de l'Economie et des Finances, pour les tributaires du code des pensions civiles et militaires de retraite qui ont quitté le service public sans avoir acquis de droit à pension, depuis l'entrée en vigueur du décret n° 50-133 du 20 janvier 1950, les retenues perçues sur leur traitement ou leur solde pendant leur temps de service sont automatiquement reversées par l'Etat au régime général, ce qui entraîne l'affiliation rétroactive des intéressés à ce régime pour la même période.

Mais, là encore, l'argumentation du Conseil d'Etat ci-avant rappelée, invite à considérer qu'il n'existe pas de raison pour que les mêmes fonctionnaires ou militaires, s'ils ont quitté le service avant l'entrée en vigueur dudit décret de 1950, ne puissent eux aussi bénéficier d'une affiliation rétroactive au régime général, soit automatiquement, soit par reversement des retenues pour pensions qu'ils auraient choisi de se faire rembourser sous le régime antérieur du décret du 26 décembre 1931.

Quant à ceux d'entre eux qui auraient quitté le service sans avoir exercé à temps l'option qui leur était offerte par ce dernier décret, ils ne devraient en aucun cas être astreints, pour obtenir le rétablissement de leurs droits, à un rachat de cotisations comportant, outre leur contribution personnelle, celle de l'Etat qui les a employés : une telle façon de procéder est manifestement inique, et devrait être abandonnée.

La question ici traitée débouche d'ailleurs sur un problème beaucoup plus général que la proposition de réforme sur l'harmonisation (référence " SYN n° 4 ") a commencé de soulever : c'est celui des " cotisations perdues ", et aussi des " cotisations inutiles ", dont l'éventualité, aux yeux du Médiateur, devrait être radicalement éliminée de notre législation sociale. Pour lui, les principes devraient être : " à tout travail cotisation " et " à toute cotisation récompense " (par la constitution irréversible d'une fraction de droit à prestation) : il n'est pas sûr que la possibilité donnée par certains textes à certains assurés de se faire rembourser leurs cotisations ait constitué toujours une opération loyale ; elle ne l'est plus, en tout cas, dans l'optique actuelle de généralisation de notre Sécurité Sociale, où, désormais, le moindre droit acquis peut compter.



CHAPITRE II

LES ASPECTS INEGALITAIRES DE LA SITUATION FAITE

A L'ADMINISTRE FACE AU POUVOIR ADMINISTRATIF



SECTION I. - Les problèmes soulevés par les forclusions et prescriptions.

I. - RAPPEL DE LA POSITION DU MEDIATEUR

Depuis son entrée en fonction, le Médiateur a reçu un nombre appréciable de réclamations qui l'ont mis en présence des iniquités, pour ne pas dire des injustices, qu'entraîne trop souvent l'application du régime des forclusions et des prescriptions, tel qu'il résulte de notre droit positif (on verra plus loin (§ III) combien ce régime est " en retard ", du point de vue de la sauvegarde des droits des individus, sur la législation correspondante de la République Fédérale d'Allemagne.).

Le Médiateur avait déjà effleuré le problème dans son premier rapport de 1973 (P. 252 et 260) ; il l'a traité plus amplement dans celui de 1975 (P. 97 à 101), en annonçant qu'il avait demandé au Conseil d'Etat " d'en faire une étude exhaustive " (analysée au paragraphe II ci-après), étude dont les conclusions lui sont aujourd'hui parvenues.

La position du Médiateur en ce domaine s'articule autour de trois idées principales :

1 - La forclusion vient trop souvent sanctionner, non la négligence consciente de l'intéressé, mais l'insuffisance de son information.

De ce point de vue, le problème des forclusions et prescriptions apparaît, dans une très large mesure, comme ayant sa place parmi ceux que pose l'information du public dans son ensemble, et auxquels est consacrée, infra, une étude spéciale (chapitre III).

Mais comme il ne se limite pas, on le verra, à cet aspect informatif, il semble légitime de le traiter isolément et comme un tout.

Dans son rapport de 1975, le Médiateur lançait l'idée d'un certain nombre de mesures propres à améliorer l'information des personnes que peut venir frapper une forclusion ou une prescription ; l'étude du Conseil d'Etat analysée ci-après en suggère d'autres ; et, comme on pourra le constater au paragraphe III, la loi de la République Fédérale d'Allemagne organise, avec une efficacité qui paraît difficile à surpasser, la protection de l'administré contre toute forclusion sur le danger de laquelle il n'aurait pas été exactement informé.

Mais ce sur quoi le Médiateur insiste de nouveau, et de la façon la plus pressante, c'est sur la nécessité de renverser en ce domaine, la charge de l'information.

Il est inadmissible que l'administration et la justice de notre pays ne considèrent pas comme un devoir impérieux, et consubstantiel à la notion même de service public, de veiller par tous les moyens en leur pouvoir à ce qu'aucun administré, aucun justiciable, ne puisse être surpris par la forclusion ou par la prescription de ses droits.

Certes, cela implique un changement dans les mentalités ; cela suppose que l'administration ou la justice ne considèrent plus l'administré ou le justiciable comme quelqu'un dont on admet - à la rigueur - qu'il puisse " réclamer " une première fois, mais à propos duquel tout commande - la surcharge des services bien sûr, mais peut-être aussi un certain mépris des individus... qu'il ne puisse " importuner " une deuxième fois.

2. - Le régime français des prescriptions est, en bien des domaines, scandaleusement inégalitaire.

Il n'est pas admissible, à l'époque où nous vivons, que l'Etat ou les autres collectivités publiques puissent, en une même matière, disposer de délais plus avantageux que ceux dans lesquels on enferme l'individu.

Le rapport de 1975 en a donné des exemples, repris par le Conseil d'Etat dans son étude. On en trouvera d'autres à la section 2 du présent chapitre, consacrée aux délais en matière de Sécurité Sociale.

Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que l'idée de " mettre en symétrie " les droits et obligations des collectivités publiques et des particuliers en ces matières peut, elle aussi, apparaître comme une idée très choquante, et même révolutionnaire.

Il est certes légitime de penser que le principe de la transcendance de l'Etat, qui a fait notre droit, comme celui de nombreux Etats d'Occident, doit être sauvegardé, parce qu'il constitue une forte raison de notre attachement à notre pays, et un élément puissant de ce que l'on peut appeler la conscience occidentale.

Mais en tirer des conséquences si contraires à l'équité, et même à la justice, c'est cela qui n'est pas acceptable. Que l'Etat règne " de droit divin " est encore admissible, mais qu'il " règne inégalement ", qu'il ne se plie pas de lui-même aux exigences les plus inoffensives de la démocratie, c'est ce qui ne l'est plus.

3. - Le régime des forclusions et prescriptions manque d'unité ; en tout cas, le " plus petit commun délai " ouvert aux administrés ou aux justiciables apparaît beaucoup trop bref, eu égard aux exigences de la vie moderne.

L'étude du Conseil d'Etat analysée ci-après insiste à juste titre sur ces points, de même que la proposition de réforme qui constitue le thème de la section 2.

L'unification des délais de forclusion est chose nécessaire à tenter, mais qui dans la pratique devra nécessairement admettre un certain nombre de tempéraments.

En revanche, ne donner dans bien des cas qu'un mois à un administré ou à un justiciable pour faire valoir ses droits apparaît comme une pure et simple manifestation d'inconscience, compte tenu des conditions de la vie moderne : un mois, c'est un délai d'absence tout à fait courant, naturel pour ainsi dire, et qui a priori n'implique nullement un changement de domicile ; c'est pourtant suffisant pour n'être pas atteint par un pli administratif ou une notification d'huissier, et se trouver forclos (sur cet unique point, on verra le Médiateur se séparer de la position allemande, qui, inexplicablement, semble tenir au maintien du délai d'un mois).

Telle est la position du Médiateur sur ces problèmes, et telle elle restera, compte tenu des éléments apportés par l'étude du Conseil d'Etat dont l'analyse va suivre, et la brève étude de la loi d'Allemagne Fédérale que l'on trouvera plus loin.

II - L'ETUDE ET LES PROPOSITIONS DU CONSEIL D'ETAT

L'étude du Conseil d'Etat (commission du rapport et des études) sur " Les problèmes de forclusion et des prescriptions en matière administrative " sera, pour les commodités de l'analyse, divisée en six parties :

A. - La justification de l'existence des forclusions et prescriptions ;

B. - Le problème de l'information des citoyens en la matière ;

C. - Les conséquences qu'il paraît possible de tirer des évolutions récentes de la jurisprudence en cette même matière (jurisprudence générale ; jurisprudence en matière fiscale) ;

D. - La prescription quadriennale ;

E. - Les prescriptions en matière de Sécurité Sociale ;

F. - Revue résumée des propositions du Conseil d'Etat formulées dans l'étude.

Le Conseil d'Etat a fait suivre son étude de trois annexes : l'une relative à la " distinction entre prescription et forclusion " ; l'autre donnant " quelques indications statistiques ", notamment sur le nombre des pourvois rejetés chaque année par le Conseil d’Etat comme tardifs ; la troisième " relative aux dispositions du code général des impôts concernant les délais de réclamation et de prescription s'imposant aux contribuables ".

En dépit de leur incontestable intérêt, il n'a pas paru indispensable - ne serait-ce qu'en raison de leur grande " technicité " - d'ajouter leur commentaire à celui qui est donné ci-après des principales considérations développées dans l'étude.

A. - Justifications de l'existence des forclusions et prescriptions.

Le Conseil d'Etat rappelle que " tout régime juridique implique l'idée qu'un droit dont il n'est pas fait usage se prescrit " - sauf affirmation expresse, exceptionnelle, et généralement solennelle, de son caractère imprescriptible. En effet, " le temps lui-même crée un droit " ; " l'apparence, lorsqu'elle se prolonge, doit être regardée comme la réalité " ; " la remise en cause d'une situation acquise, même pour réparer une injustice, crée nécessairement une nouvelle injustice ". Finalement, c'est le besoin de sécurité dans les relations sociales qui explique et justifie le principe même des forclusions et prescriptions.

Une autre justification générale résulterait de l'idée que celui qui ne fait pas valoir ses droits dans les délais qui lui sont impartis " est négligent et qu'il est normal de sanctionner sa négligence ".

Enfin, " des raisons complémentaires peuvent être trouvées dans la question de la preuve des prétentions, laquelle risque de devenir impossible, lorsque le temps passe, tant pour le demandeur que pour ceux à qui incomberait la mission ou le droit de les contester ". En particulier, il n'est pas possible d'exiger trop longtemps la conservation de documents que l'extraordinaire développement de leur volume oblige périodiquement à détruire.

Le Conseil d'Etat se demande alors si les justifications précédentes, inattaquables lorsqu'il s'agit de litiges entre particuliers, le demeurent lorsque sont en présence, d'une part, la puissance publique, d'autre part, les personnes privées.

Il remarque d'abord, à ce propos, que les décisions de la puissance publique ont très souvent des incidences sur les rapports entre particuliers : dès lors " le problème ne se pose pas seulement sur le plan inégalitaire qui marque trop souvent les rapports entre l'Etat et les citoyens ".

Mais le fait est qu'il s'y pose : notre droit public " est caractérisé par la multiplication des textes qui instituent des délais de forclusion et par la brièveté de la plupart d'entre eux ". Ceci s'explique par la nécessité d'éviter, particulièrement en ce domaine, des incertitudes et des remises en cause, le plus souvent incompatibles avec les impératifs du service public ; mais ceci peut aussi rendre plus fragiles certaines des justifications précédemment présentées.

Ainsi est-il impossible " de parler de la négligence de celui qui laisse s'écouler un délai de quelques semaines dont il n'a jamais eu conscience qu'il avait eu un point de départ ". Plus généralement, il serait dangereux pour l'équilibre de la société de multiplier les cas où, pour des raisons de forme (parfaitement justifiables en principe) " on ne peut pas obtenir ce à quoi on avait droit sur le fond ".

Le Conseil d'Etat est donc convaincu de l'intérêt d'une réflexion sur le " problème spécifique de la forclusion dans le domaine de l'action administrative " - celle-ci étant entendue au sens le plus large, et englobant, par exemple, l'action de la Sécurité Sociale comme celle des services des collectivités publiques.

Cette réflexion doit naturellement conduire d'abord à s'interroger sur les avantages et les inconvénients du régime qui résulte du droit positif actuellement en vigueur :

- s'agissant en premier lieu des actes réglementaires, le Conseil note que " la nécessité de ne pas remettre en cause au-delà d'un délai très bref des dispositions de portée générale, sur la base desquelles seront prises d'innombrables décisions individuelles, est trop évidente pour qu'il soit besoin d'y insister. " D'ailleurs, dans la plupart des systèmes étrangers, les actes réglementaires ne peuvent être contestés que par la voie de l'exception d'illégalité à l'occasion de recours formés contre des décisions individuelles : le droit public français, qui admet aussi bien l'exception d'illégalité - d'ailleurs, sans condition de délai - que le recours direct, apparaît donc, à cet égard, très protecteur des droits des administrés.

- en ce qui concerne les décisions individuelles, l'existence d'un délai de recours contentieux " n'est que la conséquence du pouvoir reconnu aux autorités administratives de prendre des décisions unilatérales qui affectent la situation juridique des individus " : les situations ainsi créées ou modifiées ne pourraient sans inconvénient être indéfiniment remises en cause et " une étude de droit comparé montrerait que les voies de droit ouvertes contre les décisions administratives sont très généralement enfermées dans des délais brefs ".

Sans doute pourrait-on, ajoutent les auteurs de l'étude, distinguer les décisions qui ne portent pas préjudice à des tiers et celles qui, au contraire, " ont une incidence sur d'autres personnes ".

Et, en effet, dans le premier cas, la brièveté du délai peut surprendre, mais, dans l'état actuel de notre droit, elle présente pour les intéressés, à côté de l'inconvénient de se voir opposer une forclusion s'ils n'en demandent pas l'annulation dans les deux mois, " la garantie fondamentale que l'administration, de son côté, ne peut rectifier une erreur ou une illégalité qu'elle aurait commise ". Ainsi l'acte ne pouvant faire l'objet d'un retrait, la sécurité juridique du bénéficiaire de la décision est assurée. Il ne serait donc pas souhaitable de faire disparaître ce principe actuel selon lequel le même délai est reconnu à l'administration et aux particuliers, " et ceci souligne que la modification, voire la suppression des règles de forclusion, poseraient autant de problèmes qu'elles n'en résoudraient ".

Dans le second cas, toute décision qui peut porter préjudice à des tiers doit pouvoir être contestée tant par celui qu'elle concerne directement que par ceux qui en supportent les conséquences, " mais il est clair que plus encore que dans l'hypothèse précédente, la durée pendant laquelle l'incertitude va peser doit être réduite au maximum, notamment pour celui qui bénéficie de la décision ". " La paix publique est à ce prix ".

Mais si, d'une manière générale, le régime actuel des forclusions lui paraît reposer sur des " équilibres " qu'il semblerait " dangereux de remettre en cause ", le Conseil n'en conclut pas pour autant, bien au contraire, qu'il n'y aurait rien à faire en ce domaine :

- tout d'abord, un effort devrait être fait pour " expliquer les raisons des réglementations qui imposent des délais et pour faire comprendre aux usagers qu'ils en sont souvent, non les victimes, mais les bénéficiaires " ;

- en second lieu, il faudrait " tendre à une meilleure connaissance de l'existence et de la consistance des délais ainsi que de la façon de les respecter, telles qu'elles résultent du droit positif ou de la jurisprudence " ; et, à cet égard, il faudrait " notamment faire en sorte que, dans toute la mesure du possible, chacun sache quel est le point de départ des délais qu'il doit respecter " ;

- enfin, " un examen de ce qu'il est possible d'améliorer sur le plan législatif ou réglementaire, soit pour préciser certaines règles, soit pour supprimer des inégalités, soit pour éviter des incohérences ", mérite d'être entrepris.

Ainsi les auteurs de l'étude annoncent-ils les trois points de leur développement ultérieur :

- l'exposé des moyens pour améliorer l'information du public sur les questions de forclusion et des prescriptions (ci-après, B) ;

- la présentation d'un tableau de l'évolution de la jurisprudence, duquel seront tirées " des propositions concrètes de réformes ou d'aménagements " (ci-après, C) ;

- l'examen des problèmes particuliers posés par les textes relatifs à la prescription des droits pécuniaires, tant sur le plan général qu'en matière fiscale ou dans le secteur de la Sécurité Sociale (ci-après, D et E).

A propos du deuxième point ci-dessus, le Conseil avait précisé, à la suite d'une discussion sur la méthode qu'il paraît inutile de reproduire ici, que c'est " la jurisprudence, par ses évolutions, (qui) constitue souvent, mieux encore que des modifications législatives ou réglementaires, la manière la plus souple et la plus efficace de trouver des solutions aux problèmes posés par la pratique " : c'est donc la jurisprudence qui sera la source des propositions concrètes annoncées.

B. - Le problème d'une information générale et réelle des citoyens sur les questions de forclusion et de prescriptions.

" Si nul n'est censé ignorer la loi et s'il n'est pas raisonnable de remettre en cause un tel principe fondamental de notre droit, il faut bien reconnaître qu'il implique que tout soit fait pour que cette loi soit connue de tous. "

Cela peut être réalisé " cas par cas ", et le Conseil y reviendra plus loin en abordant le problème de la forme des notifications de chaque décision ; mais il convient aussi de prévoir une information plus générale, qui pourrait résulter d'une meilleure utilisation des grands moyens de diffusion : télévision, radio, presse, etc... " Des efforts sont entrepris, mais il faudrait mener une action plus systématique et plus pédagogique encore. "

On peut envisager aussi " des actions plus précises, qui relèveraient de ceux des organismes qui ont le plus souvent à vérifier le respect des règles posées par les textes instituant des forclusions ".

Ainsi diverses initiatives ont été prises au cours de ces dernières années par le Conseil d'Etat en vue de mieux informer le public de l'existence des juridictions administratives, des conditions de leur fonctionnement et, notamment, des règles de procédure applicables devant elles : il s'agit, précisément, de l'édition d'un " petit guide pratique " de la justice administrative, et de la création, au Conseil d'Etat, d'un bureau d'accueil et d'information. " Il apparaît aujourd'hui certain ", selon les auteurs de l'étude, " que ces initiatives répondaient à un besoin réel, et qu'elles ont contribué efficacement à faire connaître aux citoyens les moyens de faire valoir leurs droits devant la juridiction administrative ".

Le guide du justiciable s'efforce de formuler, dans un langage accessible aux non-spécialistes, d'une façon nécessairement sommaire, mais précise, les principales règles de procédure : les règles de délai ont fait l'objet d'une attention toute particulière et leur caractère impératif a été souligné avec force. Largement diffusé par les juridictions administratives elles-mêmes, par le Ministère de l'Intérieur (notamment dans toutes les mairies) et par le Ministère de la Justice, ce petit ouvrage de vulgarisation semble avoir été très favorablement accueilli par les usagers de la justice administrative.

Le bureau d'accueil et d'information fonctionne aujourd'hui depuis plus de 18 mois. S'adressant principalement à des personnes qui se trouvent dans une situation " précontentieuse ", il a été conduit à donner des informations relatives à la juridiction administrative en général, et pas seulement au Conseil d'Etat. Compte tenu d'un grand nombre de renseignements élémentaires, le bureau a délivré un millier d'" informations ", oralement ou par écrit ; la moitié environ concernent des questions de procédure, dont une bonne part des questions de délais. " Les consultations font apparaître une ignorance très générale des conditions de délai auxquelles est subordonnée la recevabilité des recours contentieux. "

Cette ignorance serait souvent le fait des praticiens eux-mêmes : ainsi l'on peut affirmer que si dans son ensemble la jurisprudence la plus récente marque une nette tendance à l'assouplissement des règles relatives à la recevabilité des pourvois, cette évolution est encore mal connue. Et s'il paraît peu réaliste d'espérer y intéresser à court terme le " grand public ", du moins le Conseil d'Etat s'estime-t-il en droit de penser qu'un effort d'information auprès des praticiens du droit et de l'administration porterait ses fruits. " A cet égard, la publication par la Documentation française des analyses annuelles de la commission du rapport et des études sur la jurisprudence du Conseil d'Etat constitue un progrès important dans l'information des intéressés. "

Il reste donc, de l'aveu des auteurs de l'étude, beaucoup à faire dans la voie où s'est engagé le Conseil d'Etat :

La création dans les tribunaux administratifs de bureaux analogues à celui qui fonctionne au Conseil d'Etat ne paraît pas indispensable : cette fonction d'information serait en général assurée de façon satisfaisante par les greffes et par les magistrats eux-mêmes.

En revanche, l'initiative d'un tribunal administratif mérite d'être signalée : le tribunal de Nantes a entrepris récemment une sorte de campagne d'information par la voie d'articles de vulgarisation publiés dans la presse locale et par la multiplication de contacts entre les magistrats et les services publics ou organisations professionnelles. Cette action semble avoir été bien comprise par les administrations et bien reçue par les " corps intermédiaires ". D'autres tribunaux pourraient être invités à s'inspirer, compte tenu des circonstances locales particulières à chacun d'entre eux, de cet exemple. En particulier, il y aurait sans aucun doute intérêt à coordonner les efforts entrepris de divers côtés en vue d'une meilleure information du public ; certaines municipalités ont, par exemple, créé des services de consultations juridiques : ceux-ci doivent savoir quelles sont les sources d'information disponibles en matière de contentieux administratifs.

Dans un domaine aussi technique, l'avis du Conseil est que les progrès ne peuvent être très rapides : " Pour être efficace, cette action suppose, de la part des différents services publics intéressés, et, en premier lieu, des juridictions administratives elles-mêmes, une attention nouvelle à ces problèmes qui débordent très largement le cadre de leur rôle traditionnel ". Elle implique aussi que soit envisagé, parallèlement, de faire appel aux moyens d'information à grande diffusion, qui pourraient " orchestrer " les plus efficaces de ces initiatives.

C. - Les évolutions récentes de la jurisprudence et les conséquences que le Conseil d'Etat juge possible d'en tirer.

L'étude se divise ici en deux sections : " la jurisprudence générale " et " la jurisprudence en matière fiscale ".

1. - La jurisprudence " générale ".

a) Le Conseil d'Etat examine d'abord les dernières évolutions de cette jurisprudence :

Les règles relatives aux délais de recours contentieux, rappelle-t-il , ont pour objet de garantir la stabilité des situations administratives et d'introduire un minimum de sécurité dans les rapports juridiques : aussi ont-elles un caractère d'ordre public, ce qui conduit le juge à opposer, même d'office, une irrecevabilité aux conclusions présentées hors délais.

Or l'application de ces règles est " quelquefois sévère pour les administrés qui, mal informés, médiocrement conseillés ou peu diligents, ont laissé s'écouler le temps avant de se résoudre à saisir une juridiction ". Aussi, le Conseil d’Etat a-t-il été amené, dans les périodes récentes, à atténuer certains des inconvénients les plus notables de cette sévérité, à tel point que l'on a pu parler du " déclin " des fins de non-recevoir (R. Odent. - Contribution aux mélanges offerts à Marcel Waline, p. 664).

1° Une première limitation résulte de la pratique : dans la plupart des cas, le juge n'oppose pas de fin de non-recevoir résultant de l'expiration des délais à une requête qui ne peut être que rejetée au fond ;

2° Le juge se montre de moins en moins formaliste pour admettre la régularisation, après l'expiration des délais de recours, de requêtes qui ne répondent pas aux conditions de recevabilité posées par les textes. C'est ainsi que, depuis le début du siècle, il est jugé que le défaut de production de la décision attaquée peut être couvert en cours d'instance (29 décembre 1905, Petit ; 11 janvier 1911, Roy ; 11 février 1966, Denis). Il en va de même du défaut de signature de la requête (28 juillet 1952, Jaubert), de la justification des pouvoirs du représentant de personne morale (23 janvier 1959, Commune d'Huez), de la régularisation d'une requête initialement signée par une personne sans qualité (8 mars 1963, association amicale des membres des tribunaux administratifs) ou d'une requête qui aurait dû être présentée par le ministère d'un avocat (19 juillet 1933, Scherer ; 28 février 1973, Rochois). De même, des requêtes collectives peuvent être régularisées à tout moment (30 mars 1973, David). Bien plus, des juridictions saisies ne peuvent opposer aux justiciables une fin de non-recevoir sur ces différents points sans les avoir préalablement invités à régulariser leurs pourvois (Rochois, précité ; David, précité).

3° Cela dit, il faudrait bien reconnaître avec le président Odent qu'il existe des fins de non-recevoir " dont la nature exclut toute possibilité de régularisation ultérieure ", le meilleur exemple étant constitué par les fins de non-recevoir tirées de l'expiration des délais de recours, avant laquelle le justiciable doit non seulement avoir saisi le juge, mais lui avoir exprimé l'essentiel de ce dont il se plaint.

Ainsi, selon la jurisprudence Vasnier du 1er juin 1953, les requêtes doivent, dans les délais de recours, être assorties de moyens au moins sommairement exposés ; en outre, les requérants ne peuvent présenter après l'expiration de ces délais des moyens fondés sur une cause juridique distincte de celle qui fonde leur argumentation initiale (20 février 1953, société intercopie). En ces matières, les irrecevabilités ne peuvent, par définition, être couvertes ultérieurement.

La régularisation n'est en réalité possible que si elle intervient dans le délai du recours contentieux (8 octobre 1975, dame veuve Iddou).

Enfin, les justiciables ne sont pas recevables à contester une décision par laquelle l'administration se borne à confirmer une précédente décision devenue définitive. La jurisprudence la plus récente a eu l'occasion de limiter les conséquences de cette règle, dans le cas des décisions ayant pour objet de constater une situation de fait susceptible d'évoluer, comme par exemple, les décisions relatives à la délimitation du domaine public naturel. Un arrêt de section du 6 février 1976 (secrétariat d'Etat aux transports c/société civile immobilière " Villa Miramar ") a admis que la circonstance que l'administration ait refusé, par une décision non contestée dans les délais de recours, de donner suite à une délimitation du domaine public, ne fait pas obstacle à la recevabilité d'un recours pour excès de pouvoir formé contre le rejet d'une demande ultérieure tendant aux mêmes fins.

4° Mais si les règles relatives aux délais de recours sont strictes, du moins le Conseil d'Etat les applique-t-il avec le souci de faire prévaloir une interprétation bienveillante des requêtes qui lui sont soumises.

- C'est ainsi qu'une requête qui se borne à indiquer de manière sommaire que la décision attaquée " est entachée d'incompétence, de vice de forme, de violation de la loi et plus précisément des décrets du 13 septembre 1961 et du 30 novembre 1961 et de détournement de pouvoir " est recevable, les requérants ayant valablement pu préciser, après l'expiration du délai de recours, les dispositions réglementaires dont ils se prévalaient (22 novembre 1972, Deboise et autres, n° 84.304). Cette décision marque une nette évolution par rapport à une précédente jurisprudence selon laquelle des requêtes qui se bornent à mentionner des dispositions législatives ou réglementaires, sans préciser sur quels points ces dispositions ont été violées, ne peuvent être regardées comme comportant l'exposé sommaire des moyens (5 mai 1961, Ruais).

- De même le Conseil admet qu'un pourvoi a été régulièrement motivé si la requête sommaire, ne contenant aucun exposé des faits et moyens, mais présentée dans les délais, comporte une référence à un recours gracieux (S. 10 décembre 1965, Territoire des Comores) ou à une demande de première instance (Ass. 23 janvier 1970, époux Néel), à la condition toutefois que copie de ces documents soit jointe au pourvoi.

5° Dans le même souci de limiter les forclusions, le juge administratif se montre rigoureux dans l'appréciation des conditions de la notification ou de la publication des décisions administratives susceptibles de faire courir les délais.

C'est ainsi que :

- la charge de la preuve de la notification régulière incombe à l'administration (19 janvier 1973, Ministre de l'Education Nationale ; 15 octobre 1975, Fabre) ;

- la " connaissance acquise " par les administrés de la décision qu'ils contestent ne leur est pas opposable (13 novembre 1970, Moreau) ;

- le juge retient une conception plus réaliste qu'autrefois de la publicité : par exemple, en matière de permis de construire, il a été admis par un récent arrêt d'assemblée (25 juillet 1975, société civile immobilière Les Hortensias) que les délais ne commençaient à courir qu'après que le permis de construire ait fait l'objet de la publicité réglementaire en mairie et sur le chantier.

6° Enfin le Conseil d'Etat applique avec libéralisme les dispositions du décret n° 65-25 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux et notamment sur deux points :

- confirmant une règle traditionnelle depuis l'an VIII, ce décret prévoit que les dispositions relatives à l'exigence d'une décision préalable et aux délais ne s'appliquent pas " en matière de travaux publics ". Le Conseil fait prévaloir une définition assez large de la notion de litige intervenue en matière de travaux publics (contentieux de la responsabilité quasi délictuelle, mais aussi de la responsabilité contractuelle ; occupation temporaire) ;

- le décret prévoit qu'en matière de plein contentieux, le délai de recours ne commence à courir qu'à compter de la notification d'une décision expresse de rejet. Le Conseil estime que l'administration ne prend une telle décision que lorsqu'elle a clairement et nettement fait connaître à un demandeur qu'elle rejetait ses prétentions (7 mai 1971, société Cogifrance ; 27 juin 1973, centre hospitalier de Brest ; 17 novembre 1972, dame veuve Boisgard). Dans cette dernière affaire, notamment, le Conseil a refusé de regarder comme une décision expresse susceptible de faire courir les délais une lettre refusant de réparer un préjudice qui " était rédigé dans des termes tels qu'elle ne permettait pas à la requérante de connaître clairement que l'administration de l'établissement (en cause) déniait toute responsabilité dans l'accident dont il s'agit ".

7° En dépit de l'évolution de la jurisprudence, le Conseil est obligé de reconnaître que, chaque année, un nombre non négligeable de pourvois sont rejetés partiellement ou totalement en raison de leur tardiveté.

Mais, dans la plupart des cas, il s'agit de requérants qui ont laissé s'écouler le délai de deux mois avant de contester une décision notifiée ou publiée ou de se pourvoir en appel contre un jugement du tribunal administratif : à ces cas, " la jurisprudence ne peut apporter aucun remède ".

Il arrive certes que des textes interviennent pour relever les justiciables des forclusions qu'ils encourent, notamment pour la reconnaissance de certains titres accordés aux combattants ou aux victimes de guerre (voir par exemple la loi du 20 octobre 1965 et le décret du 6 août 1975), mais " ces mesures n'apportent au problème posé qu'une solution limitée, et non exempte d'inconvénients, car elles ont pour effet de perpétuer ou de faire revivre des contentieux qui devraient être terminés depuis longtemps, et le plus souvent dans des domaines où il se pose des questions de preuves qu'il devient d'autant plus difficile d'apporter que les faits à établir sont toujours très anciens et parfois clandestins par nature ".

b) L'étude traite ensuite " de quelques problèmes particulièrement délicats et des solutions à leur apporter ".

1° Le point de départ du délai de recours : les décisions implicites.

Encore que l'on ne dispose pas d'informations statistiques précises, il est vraisemblable pour le Conseil qu'un bon nombre des forclusions encourues devant les juridictions administratives sont opposées à des recours dirigés contre des décisions implicites ; la notion même de décision implicite de rejet (qui, sauf texte contraire, résulte du silence gardé pendant quatre mois par l'administration) est mal connue, et les justiciables ignorent sans doute fréquemment qu'une telle décision fait courir les délais de recours contentieux. Afin de diminuer ces inconvénients, deux sortes d'aménagement, selon les auteurs de l'étude, pourraient être envisagés :

- étendre les domaines dans lesquels les délais ne courent qu'à compter d'une décision explicite ;

- éviter les forclusions " par surprise " dans le cas où l'attitude de l'administration a conduit les justiciables à laisser passer les délais.

Sur le premier point, la législation est passée, depuis le début du siècle, par trois phases successives : de 1900 à 1940, les délais ne couraient jamais contre une décision implicite de rejet ; la loi du 18 décembre 1940, reprise par l'ordonnance du 31 juillet 1945, a ensuite institué l'obligation de se pourvoir dans les deux mois suivant l'intervention de toute décision implicite de rejet ; enfin, la loi du 7 juin 1956 et le décret du 11 janvier 1965 ont mis en vigueur le régime actuel : pour tous les recours de plein contentieux, le délai ne court qu'à compter d'une décision expresse de rejet ; en excès de pouvoir, le délai court à compter de l'intervention d'une décision implicite, sauf lorsque la mesure sollicitée est prise par décision, ou sur avis d'un organisme collégial.

Le retour pur et simple au système en vigueur avant 1940 ne serait pas sans présenter de graves inconvénients aux yeux du Conseil puisqu'il permettrait de contester sans délai toutes les décisions administratives contre lesquelles un recours gracieux ou hiérarchique aurait été formé et n'aurait pas fait l'objet d'une décision expresse de rejet. Sans doute fera-t-on valoir qu'il appartiendrait à l'administration de se prémunir contre ce risque en ne laissant pas sans réponse de tels recours, et qu'il n'y aurait que des avantages à imposer cette règle de bonne administration. Mais ce serait ignorer la complexité des effets des actes administratifs et le caractère des règles relatives aux délais, dont l'expiration interdit, notamment, à l'administration de revenir sur une décision créatrice de droit. On sait en particulier qu'une décision prise au profit d'un administré peut être rapportée (si elle est illégale) aussi longtemps que les tiers ont la possibilité de présenter un recours contentieux contre cette décision : cette règle entraîne une grande précarité des situations nées de décisions individuelles non publiées et l'on s'est efforcé de réduire cette précarité en prévoyant des mesures de publicité opposables aux tiers (affichage du permis de construire par exemple). Cet effort serait, dans une large mesure, compromis, si le tiers pouvait se pourvoir sans délai contre les décisions implicites de rejet opposées à des recours administratifs formés contre de telles décisions.

Mais à défaut d'une généralisation de la règle, selon laquelle les délais de recours ne courent qu'à compter d'une décision explicite, ne serait-il pas possible d'en étendre le champ d'application, notamment, à toutes les hypothèses où la décision contestée n'est pas susceptible de préjudicier à des tiers ?

Outre la difficulté de donner de cette notion une définition juridique précise, les auteurs de l'étude observent que, pour l'essentiel, les situations auxquelles elle correspond sont couvertes par le décret du 11 janvier 1965 : relèvent en effet du plein contentieux non seulement toutes les actions mettant en jeu la responsabilité, contractuelle ou quasi délictuelle, des collectivités publiques, mais aussi les litiges dans lesquels le juge administratif, même si son contrôle porte principalement sur des questions de légalité, bénéficie de la plénitude de juridiction : contributions, pensions, dommages de guerre, élections. Par ailleurs, la très grande majorité des décisions relatives à la reconnaissance d'une qualité sont prises par décision ou sur avis d'organismes collégiaux, et entrent également dans le champ d'application du décret du 11 janvier 1965.

Dans ces conditions, " il ne paraît pas opportun de remettre en cause un texte qui réalise un équilibre satisfaisant entre les exigences de la stabilité des situations juridiques et celles de la clarté des règles de procédure, et qui a le mérite d'être connu et appliqué par les juges et par les praticiens ".

Mais il arrive aussi - et c'est le second point - que les justiciables puissent légitimement soutenir qu'ils ont ignoré l'existence même d'une décision implicite. Il n'est pas rare, en effet, que des demandes présentées à l'administration fassent l'objet de réponses d'attente ou de correspondances diverses. En vertu d'une jurisprudence constante, celles-ci ne suspendent pas les délais ; à défaut d'une décision explicite, la demande est donc regardée comme implicitement rejetée à l'expiration d'un délai de 4 mois et cette décision implicite fait courir les délais de recours contentieux. Bien plus, si l'intéressé laisse passer les délais de recours contre la décision implicite, une décision expresse prise ultérieurement aura un caractère confirmatif et ne pourra avoir pour effet de rouvrir les délais.

Le Conseil tient pour certain que ce mécanisme est très généralement ignoré des justiciables : lorsqu'une administration indique à l'auteur d'une demande que celle-ci est à l'instruction, qu'elle fera l'objet d'une décision prochaine, que des renseignements complémentaires lui sont nécessaires, etc., on peut difficilement faire grief à l'intéressé de se fier à ces indications et d'attendre une décision explicite. S'il se trouve ensuite forclos du fait de l'intervention d'une décision implicite non contestée, il éprouvera le sentiment d'avoir été dupé.

Il ne saurait toutefois être question, pour résoudre cette difficulté, " de remettre en cause le principe selon lequel le silence gardé par l'administration sur une demande pendant un certain temps vaut décision implicite de rejet - car ce principe est une garantie essentielle pour les administrés - et il serait hasardeux de vouloir définir dans un texte réglementaire les hypothèses dans lesquelles le comportement de l'administration justifierait une prorogation du délai au terme duquel intervient une décision implicite de rejet ". " En revanche, il pourrait appartenir au juge d'apprécier si, dans certains cas, l'attitude de l'administration n'a pas été telle que l'on ne puisse, sans injustice grave, opposer la forclusion à un pourvoi formé contre une décision implicite. "

Pour que le juge puisse se livrer à une telle appréciation et en tirer, le cas échéant, la conclusion que la forclusion n'est pas encourue, ou que le requérant peut en être relevé, un texte serait nécessaire. Il est fait observer d'ailleurs que des décisions de cette nature ont été rendues par le Conseil d'Etat pour l'application de l'article 3 de la loi du 7 juin 1956, selon lequel pouvaient faire l'objet de nouveaux recours " toutes les décisions implicites de rejet relevant du plein contentieux, lorsque le requérant pourra faire état de motifs graves et légitimes l'ayant empêché d'observer les délais... " ; si de simples lettres d'attente n'ont pas été regardées comme des " motifs graves et légitimes ", l'indication selon laquelle une demande ferait en tout état de cause l'objet d'une décision explicite, ou des lettres déconseillant formellement de former un recours, ont justifié un relèvement de la forclusion (13 juin 1958, dame veuve Polin ; 14 octobre 1959, société Garnier Thiébault ; 6 janvier 1960, Roux).

Le Conseil estime, en conclusion, qu'" une disposition permanente, inspirée du texte de 1956, mais limitée à l'hypothèse où la tardiveté d'un recours formé contre une décision implicite serait imputable au fait de l’administration, pourrait être introduite dans les règles relatives aux délais de recours contentieux ".

2° La mention, lors des notifications de décisions explicites, de l'existence et de la durée du délai ou de son point de départ.

a) Dans les cas où seule la notification d'une décision explicite fait courir les délais de recours contentieux, il paraît souhaitable au Conseil que les administrés soient informés, à l'occasion de la notification, des conditions dans lesquelles ils pourront contester cette décision, et notamment du délai dans lequel ils devront se pourvoir.

Cette mention doit-elle être rendue obligatoire, à peine d'inopposabilité du délai par le juge ? " L'idée peut paraître séduisante, car l'institution d'une telle règle permettrait d'éviter les forclusions " par surprise " qui frappent parfois les justiciables. Mais sa mise en oeuvre se heurterait à de sérieuses difficultés pratiques, et risquerait au demeurant de créer entre les administrés des disparités de régime difficilement explicables. D'une part, de multiples décisions administratives contenues notamment dans des correspondances adressées aux intéressés sont prises chaque jour sans formalisme particulier : il paraît peu réaliste d'espérer que chacune de ces innombrables lettres comportera systématiquement l'indication du délai durant lequel elles pourront être contestées. D'autre part, l'institution de cette règle aurait pour effet de créer une différence de situation difficilement justifiable entre ceux des administrés qui auraient reçu notification d'une décision expresse et qui bénéficieraient de la garantie d'un rigoureux formalisme et ceux qui se seraient vus opposer le silence de l'administration et contre qui des délais courraient en tout état de cause. "

La question de la mention des délais de recours contre les décisions juridictionnelles " se pose dans des termes voisins : d'une part, il est souhaitable (sic) que la notification des jugements comporte l'indication des voies de recours normales (appel ou cassation) et des délais de recours. Mais d'autre part, plus encore peut-être que pour les décisions administratives, il ne paraît guère concevable d'imposer cette formalité à peine d'inopposabilité du délai d'appel ou de cassation : il est évidemment de l'intérêt des justiciables, qu'il s'agisse des parties privées ou des collectivités publiques, que les décisions rendues en première instance acquièrent un caractère définitif à une date précise, et qu'elles ne puissent être remises en cause à tout moment dans le cas où la formalité de la mention n'aurait pas été accomplie à l'égard de l'une des parties. "

Dans ces conditions, la position des auteurs de l'étude est la suivante : s'il est indispensable que les administrés ou les justiciables soient mieux informés de l'existence des délais, l'on ne propose pas d'imposer cette mention à peine d'inopposabilité.

Il faut souligner à cet égard, ajoutent-ils, que certaines administrations font clairement apparaître dans leurs décisions l'existence de voies de recours et des délais dans lesquels les contestations doivent être formées. Cet effort d'information doit être développé, et pourrait s'étendre à toutes les décisions administratives qui s'insèrent dans une procédure organisée et font l'objet d'une présentation standardisée : tous les formulaires administratifs, comme les lettres de notification des décisions juridictionnelles, devraient désormais faire apparaître ces mentions. " Il est souhaitable que des instructions précises en ce sens soient données aux ministres par une circulaire du Premier Ministre publiée au Journal Officiel. "

b) Il est, selon les auteurs de l'étude, une autre difficulté que les administrés peuvent rencontrer en ce domaine pour connaître avec certitude la date à compter de laquelle court le délai de forclusion.

En effet, la jurisprudence a décidé qu'en cas de notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ce qui est de pratique courante, la date à retenir est celle de la présentation de la lettre au domicile du destinataire.

Si celui-ci est présent, il signe pour donner décharge et ne peut ignorer le jour de la notification et il en est nécessairement de même si un mandataire a signé pour lui.

Mais dans la vie moderne, il est de plus en plus difficile pour un préposé des postes de trouver le destinataire d'une lettre, et, dans ce cas, il est prévu qu'est laissé un " avis de passage " invitant l'usager à retirer au bureau de poste la correspondance qui lui est destinée. Or, " il n'est pas possible d'encourager la négligence du destinataire et de décider qu'il n'aura reçu notification que le jour où, peut-être après un deuxième avis, il se sera rendu à la poste ". C'est pourquoi une jurisprudence constante fait partir le délai du jour du dépôt du premier avis de passage.

Or si une date figure bien sur ce document - de couleur violette actuellement - le destinataire le restitue à la poste en échange de la lettre qui lui est remise, et sur l'enveloppe de cette lettre ne figure que le cachet de la poste d'expédition.

Sans doute, une circulaire prescrit-elle au préposé d'inscrire lui-même sur l'enveloppe la date de la présentation au domicile, mais l'expérience montre que ceci n'est presque jamais fait.

C'est pourquoi la direction des postes, alertée sur ce problème, s'est déclarée prête à rappeler l'importance de cette mention à ses agents et à mettre au point un procédé simple qui leur faciliterait le respect de cette prescription.

Dans le même temps, l'effort d'information du public dont il a été parlé ci-dessus devrait porter sur cette question.

3° Le cas de certaines décisions implicites valant autorisation.

Une récente demande d'avis au Conseil d'Etat, ainsi que certaines affaires contentieuses, ont posé un problème propre aux décisions implicites positives.

En principe, le silence gardé par l'administration lorsqu'elle est saisie d'une demande est considéré à l'expiration d'un délai (normalement de 4 mois) comme une décision implicite de rejet.

Mais certains textes spéciaux, les uns déjà anciens - en matière de défrichement par exemple -, les autres récents - et l'on pense au permis de construire ou à la législation hospitalière -, disposent au contraire que le silence équivaut à une décision positive et vaut octroi de l'autorisation sollicitée.

Lorsque dans ces domaines une décision expresse de rejet est intervenue et qu'une nouvelle demande est présentée, une grave ambiguïté risque de se produire.

En effet, une jurisprudence bien établie prévoit en pareil cas qu'une nouvelle décision intervenant alors est confirmative, si elle a le même contenu et porte sur les mêmes questions. Or cette décision peut être implicite. Dès lors, à l'expiration des délais prévus par les textes généraux et spéciaux, en cas de nouvelle demande et si l'administration a gardé le silence, une décision est certainement intervenue, mais le demandeur peut se demander si elle est positive ou négative.

Pour faire cesser cette confusion, le Conseil estime qu'on pourrait envisager de prendre une disposition réglementaire selon laquelle dans les cas, d'ailleurs exceptionnels, de décision implicite positive, tout refus opposé par l'administration qui est par hypothèse formulé d'une manière expresse la première fois, ne peut être confirmé que par une nouvelle décision expresse. Mais cette exception au régime des décisions confirmatives risque d'être une cause de trouble et de confusion, dans un domaine où les solutions sont déjà difficiles à comprendre pour le public.

Au reste, les décisions implicites valant autorisation posent d'autres problèmes, et ce sujet " mérite une étude d'ensemble que le Conseil d'Etat pourrait entreprendre, si elle lui est demandée ". Il se refuse, en attendant, à proposer une solution du problème évoqué.

4° La possibilité de relever de la forclusion.

On a parfois évoqué (cf. rapport du Médiateur pour 1973, note p. 252) la possibilité de créer un " organisme d'appel " qui pourrait, dans certains cas exceptionnels, relever de la forclusion ceux qui en ont été les victimes, non par négligence de leur part, mais par défaut d'information.

De nombreux textes ont prévu des réouvertures ou des prolongations de délais de recours, soit pour l'application de législations particulières (victimes civiles de la guerre, reconstitution de carrière des fonctionnaires après la guerre, etc.), soit pour tenir compte de circonstances exceptionnelles (grève des postes récemment), soit pour assurer la transition d'un régime de délais à un nouveau régime plus favorable (article 3 de la loi du 7 juin 1956 permettant aux personnes pouvant justifier d'un " motif grave et légitime " de former un nouveau recours dans le domaine du plein contentieux). Est-il souhaitable, se demandent les auteurs de l'étude, d'instituer de façon permanente et générale un mécanisme permettant de relever les justiciables de la forclusion qu'ils ont encourue ?

Il convient, d'après eux, en premier lieu, d'observer qu'il appartient à la jurisprudence d'interpréter les règles relatives aux délais de façon à éviter d'opposer la forclusion dans les cas où celle-ci serait particulièrement choquante.

Plusieurs exemples récents ont été cités ci-dessus ; est mentionnée encore, comme caractéristique de la " souplesse dont peut faire preuve le Conseil d'Etat dans l'application des règles de délais ", une décision du 23 mars 1973 (compagnie d'assurances l'Union) : il a été jugé que, lorsqu'un permis de construire, ayant fait l'objet d'un recours contentieux, avait été rapporté en cours d'instance, et avait été remplacé par un nouveau permis ayant le même objet, ce nouveau permis devait être notifié au requérant : à défaut d'une telle notification, non expressément prévue par les textes, mais imposée pour d'évidentes raisons de moralité, les délais n'avaient pas commencé à courir contre le nouveau permis.

En outre, " en dehors de situations juridiques particulières qui appellent des inflexions à la jurisprudence générale sur les délais, il appartient évidemment aux juridictions administratives d'apprécier si des circonstances de fait exceptionnelles ne justifieraient pas une prolongation du délai normalement imparti ". De telles décisions ne peuvent qu'être rares en raison du caractère d'ordre public des règles relatives aux délais, mais l'examen de la jurisprudence montre que le Conseil d'Etat ne refuse pas d'examiner les justifications produites par les requérants qui affirment s'être trouvés, pour des motifs indépendants de leur volonté, dans l'impossibilité de respecter les délais (cf. par exemple, un cas de maladie : 26 janvier 1951 dame veuve Marces ; 18 décembre 1974, n° 88246 ; 9 avril 1975, n° 96440).

Il est clair également, selon les auteurs, que " l'objectif à atteindre en priorité est d'améliorer l'information des administrés sur l'existence et la durée des délais de recours contentieux, et de simplifier les règles applicables ". Les mesures envisagées par ailleurs (extension du régime dans lequel seule une décision explicite fait courir le délai ; forclusion non encourue contre des décisions implicites lorsque l'attitude de l'administration a pu induire le requérant en erreur ; généralisation de la mention du délai lors des notifications des décisions administratives) devraient réduire de façon importante la fréquence des tardivetés opposées à des justiciables qui n'ont aucune négligence à se reprocher.

Il resterait que, quelles que soient les améliorations apportées à la réglementation ou aux pratiques administratives, il pourra toujours se produire des cas de forclusions inéquitables.

Pour apprécier l'opportunité d'un texte permettant de relever, dans des cas exceptionnels, les intéressés de la forclusion, il faut, selon le Conseil d'Etat, mettre en balance :

- d'une part, l'avantage de pouvoir remédier à des situations évidemment choquantes ;

- d'autre part, " l'inconvénient d'introduire dans le régime des délais, qui repose sur la constatation de données de fait objectives, un élément d'appréciation subjective et un risque d'arbitraire de la part de l'autorité habilitée à relever de la forclusion. Il y a tout lieu de craindre que les justiciables dont les demandes de relèvement de la forclusion seront rejetées n'éprouvent un sentiment d'injustice accru ".

Dans ces conditions, il apparaît au Conseil peu vraisemblable que l'Institution, par la voie législative, d'une procédure permettant, dans des cas exceptionnels, de relever les requérants de la forclusion, apporte un progrès réel. " S'il appartient sans aucun doute au législateur d'intervenir pour régler les problèmes précis, il semble y avoir plus d'inconvénients que d'avantages à figer dans le texte des principes dont la formulation n'est pas aisée et qui exigent une grande souplesse d'interprétation. Ce qui a été dit par ailleurs de l'évolution de la jurisprudence en matière de fins de non-recevoir montre que le juge administratif a la volonté de faciliter l'accès des justiciables au prétoire. On peut raisonnablement escompter que, dans le domaine des délais, le respect indispensable de la règle de droit ne conduira pas à des décisions qui heurtent l'équité ".

5° Les délais inférieurs à deux mois.

Le délai de droit commun étant de deux mois, on peut espérer, selon les auteurs de l'étude, que les mesures préconisées pour une meilleure information des justiciables et de leurs conseils permettront de faire connaître cette règle.

" Mais il existe des délais plus longs ou plus courts. "

Pour les premiers, ils accroissent les garanties et le Conseil n'a pas cru devoir les examiner.

Pour les seconds, il estime qu'il conviendrait d'abord d'en faire la recension précise, et que seule chaque administration peut mener à bien cette tâche.

" Il conviendra ensuite de rechercher, cas par cas, si ces délais inférieurs à deux mois sont ou demeurent justifiés. "

A titre d'exemple, le Conseil juge souhaitable de maintenir en matière électorale des délais exceptionnellement brefs. De même, " il semble qu'il faut conserver le délai de 15 jours pour faire appel des décisions concernant le sursis à l'exécution ".

A l'inverse, l'article 4 du code rural prévoit qu'en matière de remembrement, " les décisions prises par la commission communale... peuvent être portées devant une commission départementale de réorganisation foncière et de remembrement. Le recours doit être formé dans un délai de quinze jours à dater de la notification ou, au plus tard, et à défaut de notification, dans un délai d'un mois à dater de la publication ".

De telles dispositions apparaissent au Conseil très contestables. " Elles rendent les seules mesures de publicité sérieuses tributaires du bon vouloir de l'administration, libre de procéder ou non à des notifications individuelles. Elles sont inéquitables à l'égard des propriétaires non résidents sur le territoire de la commune remembrée, lesquels risquent d'ignorer ou d'apprendre tardivement la mesure concernant leur propriété.

En conséquence il est proposé de rétablir ici le délai de droit commun.

Selon les auteurs de l'étude, les exemples donnés ci-dessus conduiraient à demander à chaque administration d'inventorier tous les délais inférieurs à deux mois qui existent dans les législations ou réglementations qu'elles ont pour mission d'appliquer et de faire parvenir à la commission du rapport et des études du Conseil d'Etat cet inventaire, avec, pour chaque cas, la proposition, soit de maintenir le délai en justifiant ce maintien par des considérations particulières, soit de revenir au droit commun du délai de deux mois.

En tout état de cause, " on doit admettre qu'il subsistera des délais de forclusions inférieurs à deux mois. Comment en informer les administrés ? ".

En ce qui concerne les délais de recours contre les décisions administratives, le décret du 11 janvier 1965 prévoit que les délais inférieurs à deux mois ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés dans la notification de la décision ; à défaut d'une telle mention, c'est le délai de droit commun de deux mois qui s'applique.

Cette règle, " tout à fait satisfaisante ", n'a pas son équivalent pour les délais de recours contre les décisions juridictionnelles. Cette distinction paraît dépourvue de justification, alors surtout que, comme il a été proposé ci-dessus, les notifications de décisions juridictionnelles comporteront systématiquement la mention de la durée des délais de recours. Une notification réglementaire devrait donc être envisagée pour étendre aux recours contre les décisions juridictionnelles la règle du décret du 11 janvier 1965.

2. - La jurisprudence en matière fiscale.

La jurisprudence précédemment analysée, ainsi que les aménagements proposés ci-dessus s'appliquent, en principe, au domaine fiscal.

Mais en cette matière cependant, il existe des règles spécifiques de procédure et de délais qui méritent des développements particuliers.

En outre, le problème se pose de façon différente dans le domaine fiscal proprement dit, et dans ce qu'on pourrait appeler le domaine " périfiscal ", c'est-à-dire dans les hypothèses diverses où le juge administratif est compétent pour connaître le recours de particuliers contre des prélèvements obligatoires divers qui leur sont imposés unilatéralement par l'Etat, les collectivités locales, les établissements publics ou des organismes bénéficiant de taxes parafiscales.

a) En matière fiscale proprement dite, c'est essentiellement à l'occasion du " contentieux de l'assiette " que le juge administratif a eu l'occasion de se saisir, par divers biais, du problème des forclusions. En effet, le " contentieux du recouvrement ", qui devant le juge administratif ne peut prendre que la forme de l'opposition à contrainte, c'est-à-dire d'une contestation portant sur l'existence de l'obligation, sa quotité ou son exigibilité, et non viser la validité en la forme de l'acte de poursuites, est, pour des raisons pratiques évidentes (caractère automatique du sursis de paiement si le contribuable qui conteste le bien-fondé de l'impôt par une réclamation contentieuse le demande en constituant des garanties), beaucoup moins développé que le contentieux de l'assiette.

La jurisprudence récente révèle à la fois que, par des biais divers, des assouplissements ont en fait été apportés aux règles de délais fixées par le code général des impôts, qui, depuis la loi du 27 décembre 1963, sont communes aux impôts directs et aux taxes sur le chiffre d'affaires, mais que certaines difficultés permanentes semblent devoir subsister pour les contribuables.

1° Les évolutions de la jurisprudence.

" La jurisprudence récente a facilité le déclenchement de la procédure contentieuse ". On sait que le code des impôts (art. 1931 et 1933) exige une réclamation individuelle du redevable portant la signature manuscrite de son auteur, faute de quoi il faut justifier d'un mandat régulier (art. 1934).

Or un arrêt d'assemblée du 17 mars 1972 a admis que la femme mariée vivant sous le même toit que son mari avait qualité pour réclamer sans mandat en matière d'impôt sur le revenu. Un arrêt de section du 12 janvier 1973 a admis qu'en matière de contribution foncière, l'un des propriétaires indivis pouvait sans mandat présenter une réclamation au nom des autres copropriétaires. Un arrêt de section du 9 mai 1973 a admis qu'en matière d'impôt sur les sociétés, un administrateur judiciaire pouvait, en l'absence d'opposition des dirigeants sociaux, présenter seul une réclamation.

" La jurisprudence a voulu faciliter au maximum le débat entre le contribuable et l'administration pendant le premier stade de l'instance contentieuse ", celui de la réclamation au directeur, au motif que le législateur avait voulu accorder aux redevables le droit de réclamer " utilement " contre les impositions auxquelles ils sont assujettis jusqu'à l'expiration du délai imparti par l'article 1932-1 du code, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre de l'année suivante celle de la mise en recouvrement du rôle ou de la notification de l'avis de mise en recouvrement du versement de l'impôt contesté.

D'où le principe, posé par une décision de section du 12 juillet 1974, qu'aucune irrecevabilité tirée de ce qu'une réclamation antérieure dirigée contre la même imposition aurait été déjà rejetée par le directeur, ne peut être déposée, ni à une nouvelle réclamation formée dans le délai prévu à l'article 1932-1, ni au recours formé contre la décision qui a rejeté cette dernière réclamation et qui ne peut être regardée comme confirmative du rejet d'une réclamation précédente.

En ce qui concerne les effets de la méconnaissance du délai de réclamation prévu par l'article 1932-1 du code, certes la jurisprudence constante reste que la tardiveté de la réclamation est d'ordre public. La jurisprudence récente (25 mai 1970) est même revenue sur une solution antérieure, et considère que la circonstance que le contribuable n'ait été avisé de la mise en recouvrement du rôle que l'année suivant celle de la mise en recouvrement n'a pas pour effet de prolonger d'un an le délai de réclamation. Mais il ne faut pas oublier, d'une part, que le délai normal de l'article 1932-1 du code est en lui-même fort long (le délai en effet n'est pas de deux mois comme en droit commun. Il prend fin le 31 décembre de l'année suivant celle de l'émission du rôle) et, d'autre part, que, dans la pratique, ce délai normal peut se trouver " doublé " par des délais de réclamation supplémentaires prévus par le législateur à l'article 1932. C'est ainsi qu'il a été admis que la signification faite à la veuve, par voie de commandement, d'avoir à payer les impositions établies au nom de son mari était un " événement " au sens de l'article 1932-1 (24 novembre 1971) valant point de départ d'un nouveau délai de réclamation expirant au 31 décembre de l'année suivante.

Sur un plan plus général, les auteurs de la loi du 27 décembre 1963 ont prévu que, dans le cas où le contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de redressement de la part de l'administration, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations. La jurisprudence (section, 5 octobre 1973) a précisé que ce délai nouveau de réclamation du contribuable était celui dont disposait l'administration là :compter de la notification de redressement pour établir l'impôt, c'est-à-dire du délai de répétition tel que prévu par la législation en vigueur au cours de l'année où est intervenue la notification de redressement.

La jurisprudence récente a fait jouer largement la notion de " régularisation " au stade de la demande au tribunal administratif. Il est depuis longtemps admis qu'une demande au tribunal administratif " anticipée " en ce qu'elle est antérieure au rejet de la réclamation par le directeur est " régularisée " si le rejet de cette réclamation intervient avant le jugement (5 décembre 1960, n° 47607). Il a été plus récemment admis qu'il en allait de même en cas de rejet implicite de la réclamation résultant du silence gardé par le directeur pendant plus de six mois, si ce rejet implicite était postérieur à la saisine du tribunal administratif (18 juillet 1973, n° 90307). Un arrêt de section du 4 janvier 1974, franchissant un pas de plus, a admis en outre la " régularisation " d'une réclamation antérieure à la mise en recouvrement du rôle par la production ultérieure au directeur de l'avertissement correspondant.

La jurisprudence récente a fait un effort pour ne pas " figer " excessivement le débat contentieux, tel qu'il se présente dans la demande introductive d'instance au tribunal administratif, et permettre au contribuable, éclairé le cas échéant par les informations fournies par l'administration en défense, de faire évoluer, dans certaines limites, son argumentation. C'est ainsi qu'il a été jugé que le " principe " et le " quantum " de l'impôt relevaient d'une même cause juridique : le " bien-fondé " de l'impôt (section, 14 juin 1974, société immobilière et mobilière de Basse-Bretagne). Il en résulte, notamment pour un contribuable qui conteste l'impôt sur le revenu mis à sa charge, que tout moyen relatif au bien-fondé de l'impôt dû à raison de telle ou telle catégorie de ses revenus est recevable à tout moment (section, 8 novembre 1974).

Enfin, l'assemblée du contentieux vient d'adopter une solution favorable aux contribuables en ce qui concerne les intérêts moratoires (assemblée, 31 octobre 1975) puisque ceux-ci seront dus du seul fait que le directeur a, sur réclamation préalable, prononcé un dégrèvement sans qu'il soit nécessaire au contribuable de saisir le tribunal administratif.

2° Propositions pour tenter de résoudre des difficultés résultant des règles propres à la matière fiscale.

La règle de l'annualité de l'impôt :

Un certain nombre de contribuables méconnaissent totalement cette règle en raison du fait que le problème de fond qu'ils soumettent au juge de l'impôt peut rester identique pendant des années. Or, en cas de contestations, chaque année d'imposition constitue le fondement d'un litige distinct pour lequel il faut respecter la procédure avec ses délais. Si donc, parce que la raison de réclamer est la même au fond, le contribuable croit pouvoir ne pas renouveler sa réclamation après l'émission de chaque rôle, il se verra opposer une forclusion.

" Seule une meilleure information des usagers paraît de nature à apporter une réponse à ce problème qui se pose avant tout pour les impôts locaux. "

Le contenu des avertissements.

Il peut lui-même être la source de difficultés dans la mesure - notamment pour les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties - où les biens faisant l'objet de l'imposition ne sont pas toujours assez complètement identifiables par le contribuable à partir des mentions figurant sur l'avertissement ".

Plus généralement, dans tous les cas où l'impôt est établi sur des bases indiciaires par l'administration elle-même, sans que le contribuable ait produit de déclaration, il faut que l'avertissement soit le plus explicite possible sur les éléments constitutifs de l'impôt afin que la lecture de ce document permette au contribuable de détecter les erreurs éventuelles. Il est trop fréquent, par exemple, de constater qu'une imposition est réclamée pour un immeuble dont on n'est plus propriétaire, un retard intervenant notamment pour prononcer la mutation de cotes consécutives à des transactions sur les immeubles.

A cet égard, il serait également souhaitable " de faire toujours figurer au dos de l'avertissement une mention rappelant au contribuable qu'il lui est possible de vérifier au cadastre les parcelles à raison desquelles il est imposé dans la commune, afin de lui permettre de rectifier les erreurs du cadastre, qui ne sont pas rares ".

Il est enfin souhaitable que " les avertissements et les avis de mise en recouvrement adressés aux contribuables rappellent non seulement, selon la règle énoncée plus haut, le délai de réclamation au directeur (ce qu'ils font en pratique) mais le principe, dérogatoire au droit commun, selon lequel, en matière fiscale, le juge administratif ne peut être saisi qu'après réclamation préalable au directeur, formalité dont l'omission entraîne l'irrecevabilité de l'action en justice ".

b) Dans le domaine " périfiscal ", la situation en matière de forclusion sur le plan contentieux n'est pas très claire en raison de la multiplicité des textes régissant les divers " prélèvements obligatoires ", autres que les impôts proprement dits. En outre, les renvois fréquents faits par le législateur ou par l'autorité réglementaire à la matière des contributions directes en ce qui concerne les " réclamations " sont parfois ambigus. Ce renvoi a-t-il pour conséquence d'obliger à distinguer clairement le contentieux de l'assiette et le contentieux du recouvrement comme en matière fiscale et à passer obligatoirement par le stade de la réclamation au directeur, même lorsque le produit litigieux n'est pas assis et liquidé par les services fiscaux de l'Etat, qui risquent, dès lors d'ignorer largement les questions de droit et de fait qui se posent ? A l'opposé, un tel renvoi n'a-t-il pas simplement pour objet d'affirmer que, comme en matière fiscale, le ministère d'avocat n'est pas obligatoire ? "

1° Pour le Conseil d'Etat, cette insécurité juridique est fâcheuse : ainsi, il n'est pas normal que, pour contester le bien-fondé d'une participation aux dépenses d'installation d'un égout, exigée en vertu de l'article L. 35-4 du code de la santé publique qui résulte d'une ordonnance de 1958, un constructeur se soit cru obligé, quinze ans après, par précaution et pour éviter toute irrecevabilité, de saisir le tribunal administratif par trois voies différentes, obéissant chacune à des conditions de délais et de procédure différentes : opposition à contrainte avec recours préalable au trésorier payeur général ; recours contre une décision de rejet d'une réclamation adressée au directeur des services fiscaux ; recours direct contre l'ordre de recettes établi par le maire...

Or " ceci est d'autant plus grave que les prélèvements obligatoires tendent à se multiplier (taxes syndicales, taxes parafiscales, redevances diverses introduites depuis quinze ans dans la législation relative à l'aménagement du territoire et à l'urbanisme, redevances domaniales, etc.) ".

2° Certes, " la jurisprudence administrative a essayé d'introduire un peu de bon sens et un peu de libéralisme en la matière ", en faisant prévaloir l'idée que si, malgré l'appellation donnée par le texte institutif... il ne s'agissait pas d'un impôt mais d'une " redevance ", ou d'une " participation " perçue sur des usagers, il fallait, sauf dans la mesure où les dispositions législatives ou réglementaires applicables y faisaient très directement obstacle, essayer au maximum de revenir au droit commun - c'est-à-dire, d'une part abandonner la distinction entre le contentieux de l'assiette et le contentieux du recouvrement, distinction issue d'une tradition administrative propre aux impôts directs ; d'autre part, éviter les recours préalables qui alourdissent la procédure contentieuse, puisque par définition même, le titre exécutoire est déjà une décision faisant grief qui peut être déférée au juge administratif ; enfin, appliquer le délai de recours contentieux de droit commun, qui est de deux mois (section, 12 janvier 1973, ville du Cannet c/sieur Pantacchini ; plénière fiscale, 27 juin 1973, ville de Marseille).

3° Cependant " le problème paraît dépasser la compétence du seul juge administratif et appelle des mesures administratives et des modifications de textes réglementaires ".

L'indication claire et précise sur les possibilités et les délais de recours devrait figurer, selon ce qui a été indiqué plus haut, sur les imprimés utilisés à l'occasion du recouvrement des taxes parafiscales, taxes syndicales et redevances diverses.

Il convient d'entreprendre le recensement et l'harmonisation des textes régissant les prélèvements périfiscaux à caractère obligatoire. Cet effort devrait porter notamment, tant sur le délai de prescription que sur les modalités et les délais de recours contentieux. Un texte général paraît souhaitable en ce domaine.

Le décret du 24 août 1961 modifié relatif aux taxes parafiscales appelle une modification, tant sur le régime de la prescription, dont il sera fait mention ci-après, que quant à la distinction qui y est faite entre les taxes dont l'assiette est commune avec un impôt et les autres, distinction qui est difficilement compréhensible pour les particuliers et qui entraîne pour eux des obligations différentes pour faire valoir leurs droits.

" Mais le problème de fond posé par cette parafiscalité étant déjà confié à un groupe de travail, l'attention de ses membres a été attirée sur les questions ci-dessus évoquées afin qu'une réponse y soit donnée à l'occasion d'une refonte d'ensemble de la réglementation en vigueur ".

D. - La prescription quadriennale.

Le Conseil d'Etat va d'abord porter une appréciation sur le régime actuel de cette prescription, puis rechercher si " l'amélioration des rapports entre l'administration et les administrés ne devrait pas être obtenue, non par la suppression du privilège légal d'extinction des créances sur la puissance publique qui résulte de cette prescription particulière, mais par l'institution d'un mécanisme juridique symétrique qui permettrait aux particuliers d'éteindre leurs dettes à l'égard des collectivités publiques ".

1. - Le régime actuel de la prescription quadriennale.

Ce privilège légal, institué par la loi du 29 janvier 1831 sous le nom de " déchéance ", joue au profit de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics pourvus d'un comptable public.

Il a fait l'objet d'un aménagement relativement récent, apporté par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. " Ce texte répond, au moins partiellement, aux préoccupations (d’équité) exprimées par le Médiateur, en restreignant sensiblement la portée de la prescription opposable par les collectivités publiques ". En effet, le régime antérieur se trouve modifié dans un sens favorable aux administrés sur quatre points :

1° Le délai d'extinction de la dette court désormais, non du 1er janvier de l'année au cours de laquelle est née la créance, mais du 1er janvier de l’année suivante. Ainsi, le délai effectif est porté au minimum à quatre ans et peut atteindre cinq ans ;

2° Les causes d'interruption de la prescription sont plus nombreuses et ont été précisées.

L'interruption résulte maintenant de toute réclamation écrite ou de tout recours juridictionnel relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, même si la réclamation est présentée à une administration autre que la débitrice, ou si le recours est porté devant une juridiction incompétente, et ce quel que soit l'auteur du recours.

En cas de recours, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée.

En outre, le délai est également interrompu par toute communication écrite de l'administration relative au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, même si cette communication n'est pas adressée au véritable créancier.

Enfin, toute émission de règlement, même si ce dernier ne couvre qu'une partie de la créance, ou si le créancier n'a pas été exactement désigné, interrompt également la prescription.

3° La prescription ne court pas à l'encontre du créancier qui a un motif valable d'ignorer l'existence de sa créance (art. 3).

4° L'administration ne peut désormais se prévaloir de la prescription que si elle l'invoque avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ; elle ne peut donc plus invoquer utilement la prescription pour la première fois en appel, ni a fortiori après une décision juridictionnelle définitive sur le fond.

Cette loi est applicable aux créances qui n'étaient pas atteintes par la déchéance au 1er janvier 1969, et la juridiction administrative a déjà eu l'occasion d'en faire ressortir les effets (Conseil d'Etat, Ministre de l'Intérieur c/sieur Panis, 22 octobre 1969 ; sieur Garrigou, 9 janvier 1976).

Par contre, elle n'a pas d'effet rétroactif et " ne peut permettre de régler les problèmes évoqués par le Médiateur concernant les droits pécuniaires d'assistantes sociales dont l'intégration a été illégalement retardée " (cf. rapport de 1975, p. 99, 100).

Ainsi le législateur a, par avance, " pris raisonnablement en considération les critiques formulées par le Médiateur à l'encontre de la prescription quadriennale ". En conséquence, " il serait prématuré de recommander au Gouvernement de saisir le législateur d'une nouvelle modification de la prescription quadriennale ".

2. - L'institution d'une prescription quadriennale " symétrique ".

1° Justification.

Pour le Conseil, il convient de se demander si l'amélioration des rapports entre collectivités publiques et administrés au lieu d'être recherchée par un nouvel assouplissement, sinon par la suppression du régime de prescription quadriennale, ne devrait pas résulter de l'institution d'une prescription " symétrique " à l'encontre des créances détenues par les administrations sur les administrés.

Le Conseil tient pour certain qu'au XIXe siècle, l'institution de la prescription quadriennale répondait à la volonté d'aménager des relations inégalitaires entre administrations et administrés, dans le but, notamment, de limiter les dépenses budgétaires des collectivités publiques.

De telles considérations auraient, à notre époque, beaucoup perdu de leur portée. En réalité " la véritable justification moderne de la prescription quadriennale répond à un souci de bonne gestion, d'une part, en épargnant aux administrations la nécessité de suivre, pendant un délai excessif, certaines affaires et d'en conserver les archives et, d'autre part, en incitant les administrés, sous réserve de garanties qui ont été renforcées par la loi du 31 décembre 1968, à être suffisamment diligents pour s'assurer le recouvrement de leurs créances ". Mais " ce souci de bonne administration est aussi justifié quand l'administration est créancière ". Autrement dit, le Conseil d'Etat n'aperçoit aucune raison de principe de ne pas dispenser les administrés d'acquitter leurs dettes envers les collectivités publiques lorsque, par inaction pendant un certain délai, les services n'ont pas poursuivi le recouvrement de leurs créances.

Ces considérations conduisent donc à envisager un régime juridique symétrique de celui résultant en dernier lieu de la loi du 31 décembre 1968 " et qui prévoirait, en principe, la prescription, au profit de personnes physiques ou morales de droit privé, de toutes créances détenues sur elles par l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics pourvus d’un comptable public, qui n'ont pas été payées à l'expiration d'un délai d'une durée égale à celle prévue par la loi du 31 décembre 1968 ".

2° Champ d'application.

En supposant admis le principe d'une prescription quadriennale " symétrique ", il convient naturellement d'analyser les types de créances qui pourraient en être l'objet.

La législation actuelle prévoit en faveur des administrés, lorsqu'ils sont débiteurs, des délais de prescription plus courts ou très voisins de ceux qui résultent de la loi du 31 décembre 1968 ". Ces délais devraient être exclus de la réforme, car leur remplacement par ceux de la prescription quadriennale ne modifierait pas sensiblement les rapports entre administrations et administrés, tout en apportant, sans utilité, des complications administratives ".

Plus précisément, la prescription quadriennale symétrique ne serait justifiée que dans les cas où les créances sont prescrites par un délai supérieur à cinq ans. Ces délais concernent des matières étrangères à l'impôt et aux domaines, à savoir : les amendes civiles, les réparations, les restitutions - par exemple les sommes dues au titre de la régularisation des marchés publics ou de pénalités de retard prévues par lesdits marchés - ; les dommages-intérêts, les frais de justice et de poursuites ; les sommes indûment versées par l'administration.

Dans ces matières, en effet, la prescription trentenaire s'applique, dans les conditions prévues aux articles 2262 du code civil et 767 du code de procédure pénale.

Bien entendu, " les cas d'interruption de la prescription symétrique, comme les conditions dans lesquelles cette dernière pourrait être invoquée, devraient faire l'objet d'une étude détaillée, car il est évident que les dispositions correspondantes de la loi du 31 décembre 1968 ne sont pas alors transposables ".

On peut certes redouter, ajoutent les auteurs de l'étude, que le raccourcissement des délais n'entraîne des conséquences défavorables pour les finances publiques. Mais " cette crainte est très théorique et cet inconvénient ne doit pas être surestimé ". Il pourrait d'ailleurs " être pallié par une meilleure attention apportée au recouvrement des créances publiques ". D'ailleurs, " l'institution d'un délai plus court incitera, par lui-même, les administrations à ne pas laisser s'accumuler les dossiers en instance de règlement ".

Interrogée sur ce problème par le Conseil d'Etat, la direction de la comptabilité publique a toutefois fait observer qu'un éventuel raccourcissement des délais de prescriptions ne devrait pas porter un préjudice injustifié aux comptables publics, qui sont personnellement responsables du recouvrement, et qu'il convient d'éviter de créer des difficultés aux comptables dans les cas où la prescription ne pourrait être interrompue que par des diligences de l'ordonnateur.

Des mesures tenant compte de cet aspect des choses devraient donc être introduites dans le décret sur la comptabilité publique - alors que le principe même d'une prescription quadriennale symétrique relève du domaine législatif - puisque cette prescription concerne le régime des obligations civiles et commerciales.

3° Prescriptions particulières.

Ainsi qu'il a été dit, les prescriptions au plus égales à cinq ans ne devraient pas être affectées par une éventuelle prescription quadriennale " symétrique ".

De telles prescriptions particulières, qui établissent le plus souvent un régime plus favorable aux administrés que la prescription quadriennale, sont édictées dans les domaines suivants :

a) Créances d’impôts directs.

Il ne s'agit pas ici du délai de répétition concernant l'assiette, fixé par l'article 1966 du code général des impôts, mais du délai concernant le recouvrement et les poursuites, édicté par l'article 1850 du code général des impôts et qui est de quatre ans, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle.

b) Taxes parafiscales dont l'assiette est commune avec des impôts perçus au profit d'une collectivité publique : quatre ans, à partir de la date d'émission du titre de perception (article 7 du décret du 24 août 1961).

c) Redevances de radio et télévision : trois ans, à compter de la date d'exigibilité.

d) Recouvrement des trop-perçus sur pensions civiles et militaires : année de la constatation du trop-perçu et trois années antérieures (article 4 de la loi du 30 décembre 1965).

e) Pensions alimentaires faisant l'objet du recouvrement public institué par la loi du 11 juillet 1975 : prescription à l'expiration d'un délai de cinq ans, par application de l'article 2277 du code civil.

f) Autres prescriptions particulières de cinq ans prévues par l'article 2277 du code civil, dans la mesure où l'Etat peut détenir de telles créances : loyers, intérêts de sommes prêtées (prêts du F. D. E. S.) ...

g) Amendes pénales ou confiscations présentant un caractère pénal : délai de cinq ans (peines correctionnelles) ou de deux ans (peines de police), à compter du jour où la condamnation est définitive.

A l'inverse, il existe des prescriptions particulières, sensiblement plus longues, dont on doit examiner ce qui pourrait les justifier si le droit commun en la matière était, comme il est proposé, la prescription quadriennale.

Le premier cas concerne les créances d'impôts ou de droits qui sont recouvrées par les comptables de la direction générale des impôts (essentiellement les taxes sur le chiffre d'affaires et les impôts indirects). Cette prescription est décennale, aux termes des articles 1974 et 1975 du code général des impôts.

Il semble au Conseil d'Etat que cette prescription anormalement longue ne soit pas justifiée par des considérations particulières ; par suite, " il paraît souhaitable de faire disparaître cette incohérence en instituant ici la même prescription de quatre ans que pour les créanciers d'impôts directs ".

La seconde exception est relative au régime applicable aux droits de douanes. Ce dernier résulte des articles 352 et suivants du code des douanes ; il prévoit expressément le même délai de trois ans contre les redevables et contre l'administration, prescription qui devient trentenaire si, dans le délai de trois ans, le particulier a formé une demande ou si l'administration a ignoré l'existence de son droit du fait de la fraude.

Ce système qui pose, à la base, que le délai est de trois ans " paraît devoir être maintenu, la prescription trentenaire n'étant qu'un régime subsidiaire ".

Pour le Conseil, il reste encore un régime peu satisfaisant : c'est celui des taxes parafiscales dont l'assiette n'est pas commune avec des impôts ou taxes perçus au profit de l'Etat ou d’une collectivité publique, et dont une jurisprudence toute récente vient de constater qu'il impliquait une prescription trentenaire (centre technique des conserves de produits agricoles contre S. A. Etablissement Grégori, Conseil d'Etat, assemblée, 28 mai 1976).

On doit considérer que le texte général ci-dessus envisagé instituerait ici la prescription quadriennale. On peut aussi souhaiter que dans la réforme qui a été préconisée plus haut du régime des taxes parafiscales et à l'occasion de la refonte du décret du 24 août 1961, une prescription spéciale de trois ou de quatre ans soit prévue par une disposition formelle, ce qui conduirait à une solution plus claire pour les intéressés.

Le Conseil note aussi que la rédaction des dispositions concernant, d'une part, certaines prescriptions et, d'autre part, les délais accordés au contribuable pour contester l'assiette de l'impôt ainsi que la procédure en matière de recouvrement de l'impôt sont d'une interprétation difficile. Une nouvelle rédaction de ces articles, qui ne modifierait pas le fond, pourrait-elle apporter ici de très sensibles progrès pour les usagers ? Le problème - de caractère technique - est exposé plus en détail dans une annexe à l'étude analysée.

Enfin, " il va de soi que la modification ci-dessus proposée n'affecterait pas le régime de la garantie décennale qui ne constitue pas une prescription administrative et dont le champ d'application est beaucoup plus large ".

E. - Les prescriptions en matière de Sécurité Sociale.

Sans reprendre le problème dans son ensemble, le Conseil se propose, ici aussi, d'établir un parallèle entre les prescriptions qui peuvent être opposées aux bénéficiaires de la Sécurité Sociale et les péremptions atteignant les créances que les caisses détiennent envers ceux-ci.

Cela conduit " à proposer quelques aménagements ", mais, " on va le voir, la symétrie n’est pas toujours possible à établir ".

a) En ce qui concerne les cotisations.

1° Cotisations en retard.

Dans le cas où l'organisme créancier décide de poursuivre l'employeur ou le travailleur indépendant retardataire dans les conditions prévues à l'article L. 151 du code de la Sécurité Sociale, il doit préalablement lui adresser une mise en demeure ; si la poursuite est déclenchée par le Ministère Public, elle doit être précédée d'un avertissement (article L. 152).

L'avertissement ou la mise en demeure ne peut concerner que les périodes d'emploi comprises dans les cinq dernières années qui précèdent la date de son envoi (article L. 153).

Dans le cas où il a été choisi de recourir à une action civile, celle-ci se prescrit par cinq ans à l'expiration du délai imparti par la mise en demeure ou l'avertissement.

Une procédure de contrainte décrite aux articles L. 165 et L. 166 peut également être utilisée ; elle se prescrit en cinq ans, elle aussi.

2° Cotisations indûment versées.

Il résulte de l'article L. 141 du code qu'elles peuvent être réclamées par l'intéressé pendant un délai de deux ans seulement, à compter du versement indirectement opéré.

" Rapprochée du délai de cinq ans, cette brièveté peut paraître à première vue désavantageuse pour l'assuré. Elle semble pourtant justifiée en fait, car le redressement opéré entraîne le cas échéant le reversement des prestations servies sur la base des cotisations indûment versées (article L. 141, 2e alinéa) ".

Il peut en résulter une charge très importante, de sorte que l'assuré a tout à gagner en échappant rapidement à cette possibilité. On note au surplus que, dans cette hypothèse de prestations indues consécutives à des cotisations indues, le droit de récupération de la caisse et celui de l'assuré se prescrivent dans le même temps.

" C'est pourquoi il n'est pas proposé de modifier cette situation. "

b) En ce qui concerne les prestations.

1° Prestations familiales.

L'article L. 550 du code dispose que l'action de l'allocataire pour le paiement des prestations et l'action des caisses en répétition de l'indu se prescrivent l'une et l'autre par deux ans.

2° Retraites et fonds national de solidarité.

Il ne peut y avoir répétition de l'indu que dans le cas de mauvaise foi du bénéficiaire. Même dans ce cas exceptionnel, l'action se prescrit par trois ans (article L. 67 et L. 691). Il en résulte un régime favorable aux prestataires.

3° Assurance maladie.

L'action de l'assuré pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans (article L. 395). Il n'y a aucune disposition spéciale pour l'action des caisses en répétition de l'indu, de sorte que la prescription est trentenaire.

4° Accidents du travail et maladies professionnelles.

Les droits de la victime et de ses ayants droit se prescrivent par deux ans (article L. 465 du code). Pour la répétition de l'indu, la prescription est trentenaire.

Ainsi, tant pour les assurances maladies que pour les accidents du travail, il y a absence de symétrie. Aucune justification n'est apportée à ces deux anomalies qu'il convient dès lors de supprimer.

Il suffirait, pour réaliser cette réforme, de compléter tant l'article L. 395 que l'article L. 465 par un alinéa copié sur l'alinéa 2 de l'article L. 550 :

" Cette prescription est également applicable à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration. "

L'administration, consultée par le Conseil d'Etat, n'a pas fait d'objection à ces aménagements.

c) Les régimes spéciaux.

Seule " l'administration peut faire le point de la situation pour la mutualité sociale agricole et pour les régimes spéciaux ". Il est très vraisemblable qu'ils sont alignés sur le régime général " mais une étude est nécessaire ".

D'ores et déjà, le Conseil d'Etat formule le double souhait :

- qu'en cas de modification du régime général conformément aux propositions faites, il soit institué pour chacun de ces autres régimes une solution identique ;

- que si l'étude qui est demandée faisait apparaître des cas particuliers, toute différence avec le régime général sur ce plan fasse l'objet de justifications précises.

F. - Revue résumée des propositions formulées dans l'étude.

Le Conseil d'Etat propose :

1. - Sur le plan d'une meilleure information générale.

1° De mettre au point un programme d'information du public sur les raisons d'être des forclusions et des prescriptions et sur les principaux délais en vigueur, de poursuivre la diffusion du guide pratique de la justice administrative et d'encourager les tribunaux administratifs à faire localement un effort d'information ;

2° De mieux faire connaître parmi les praticiens, notamment par la diffusion du rapport annuel du Conseil d'Etat sur ses activités contentieuses, les solutions nouvelles dégagées par la jurisprudence ainsi que les règles particulières à certains domaines.

2. - Pour limiter le nombre des forclusions :

3° De recommander par voie d'instructions à toutes les administrations et aux greffes des juridictions administratives de mentionner, dans la notification des décisions qui ne donnent pas totale satisfaction au demandeur, le délai avant l'expiration duquel il faut se pourvoir en cas de contestation et, le cas échéant, la procédure particulière à suivre ;

4° De demander à l'administration des postes que la date de première présentation d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception (qui constitue le point de départ du délai de recours chaque fois qu'une notification est exigée) figure clairement sur l'enveloppe dans tous les cas où un avis de passage est laissé parce que le destinataire n'était pas là (cf. à ce sujet l'affaire n° I-845, analysée au chapitre III (information) de la présente annexe) ;

5° De prescrire aux administrations de faire l'inventaire des délais inférieurs à deux mois et d'en faire parvenir le résultat à la commission du rapport et des études du Conseil d'Etat, avec une proposition motivée de maintenir ou de supprimer les dispositions qui instituent ces exceptions.

6° D'élaborer une disposition réglementaire selon laquelle, lorsque les délais de recours contre les décisions des juridictions administratives sont inférieurs à deux mois, ils ne seront opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés dans la notification ;

7° D'élaborer une disposition réglementaire permettant au juge administratif de décider que le délai de recours n'a pas couru lorsque l'intervention d'une décision implicite de rejet n'a pu être décelée du fait de l'administration ;

8° De procéder au recensement des textes relatifs à divers prélèvements obligatoires (taxes diverses, redevances, etc...), pour lesquels le renvoi au régime des contributions directes est formulé, et de prendre une mesure de caractère général fixant, dans ces hypothèses, les règles de procédure et de délai à suivre par les redevables qui veulent former un recours ;

9° De réviser dans le même sens le décret du 21 août 1961 relatif aux taxes parafiscales, à l'occasion de l'examen actuellement en cours de cette forme particulière de fiscalité.

3. - Pour améliorer le régime des prescriptions.

10° De prendre une disposition législative établissant au profit des débiteurs des personnes publiques une prescription quadriennale comparable à celle qui résulte de la loi du 31 décembre 1968, dans tous les cas où il n'existe pas une prescription particulière instituée par un texte ;

11° D'envisager par une disposition législative la réduction à 4 ans du délai de prescription des titres de perception établis par les comptables de la direction générale des impôts, notamment en matière de T. V. A. et de droits indirects ;

12° De reprendre, conformément à la suggestion précédemment formulée par le Conseil d'Etat (cf. son rapport 1966-1967, p. 54), à l'occasion de la révision en cours du code général des impôts, la rédaction des textes relatifs aux délais de réclamation et de prescription ;

13° D'instituer, par la modification des articles L. 395 et L. 465 du code de la Sécurité Sociale, une prescription de deux ans à l'encontre des caisses de Sécurité Sociale, en matière de prestations d'assurance maladie ou d'accidents du travail et de maladies professionnelles, conformément à ce que ces mêmes articles imposent déjà aux ayants droit, et d'étendre cette règle à tous les régimes de Sécurité Sociale autres que le régime général.

III. - LES ACTIONS A ENTREPRENDRE

1. - Exploitation de l'étude du Conseil d'Etat.

On aura remarqué que les treize propositions du Conseil d'Etat ci-avant analysées se divisent en deux catégories :

- les unes (propositions n° 1, 2 et 5) sont du ressort du seul Conseil d'Etat, et il lui appartient d'en assurer lui-même la mise en œuvre pratique ;

- toutes les autres, en revanche, supposent, soit une simple intervention auprès de certaines administrations (n° 4 et 12), soit l'émission d'instructions interministérielles (n°3 et, de nouveau, 5), soit la prise de dispositions réglementaires ou législatives (n° 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13).

Pour la mise en œuvre de cette seconde catégorie de propositions, le Médiateur se prépare, naturellement, à une collaboration étroite avec le Conseil d'Etat ainsi qu'avec les administrations concernées, dont plusieurs, il faut le rappeler, ont donné un accord au moins officieux aux suggestions qui leur étaient présentées.

Encore une fois, répétons que le Médiateur n'a pas l'initiative des lois ni des règlements. Mais il faudra bien que sa participation soit assurée à l'élaboration de cette importante réforme du droit positif, à l'origine de laquelle, d'ailleurs, il se trouve à peu près seul.

Il va donc prendre, incessamment, tous les contacts nécessaires.

2. - Vers des perspectives plus amples : la loi fédérale allemande sur la procédure devant les juridictions administratives, et ce qu'elle nous assigne.

Aux termes de la loi de la République Fédérale d'Allemagne (loi fédérale n° 600 de 1960), la procédure devant les juridictions administratives est ainsi organisée (§§ 68 à 76) :

a) En ce qui concerne l'information sur les moyens de recours.

Le recours n’est ouvert qu’à partir du moment où l’intéressé en a été informé par écrit, et que lui a été précisé l'autorité administrative ou le tribunal compétent.

Si cette information est omise ou erronée, le pourvoi est recevable dans le délai d'un an à partir de la notification, de la publication ou de la promulgation de l'acte administratif contesté (sauf si le pourvoi n'est pas possible en cas de force majeure, ou s'il est précisé formellement qu'un recours n'est pas possible).

D'autre part, tout acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours doit être accompagné, dans la notification qui en est faite à l'administré, des précisions sur les voies de recours possibles, l'autorité auprès de laquelle celui-ci est adressé, et les délais à respecter.

b) En ce qui concerne la levée de la forclusion.

La levée de la forclusion doit être accordée à l'intéressé lorsqu'il ne peut être tenu pour responsable du non-respect des délais prescrits.

La demande doit être déposée dans un délai de deux semaines après la disparition de l'empêchement et doit être justifiée au moment de son dépôt ou au cours de la procédure. Dans ce délai, le recours contre l'acte incriminé doit être actionné, la levée de forclusion pouvant alors être accordée d'office.

Cette demande n'est plus recevable à l'issue de l'année qui suit la fin de ce délai, sauf si, pour des cas de force majeure, elle était rendue impossible.

Le tribunal compétent pour juger du pourvoi statue également sur la demande de levée de forclusion. La décision accordant la levée de forclusion est inattaquable.

c) En ce qui concerne la procédure des recours contentieux.

Procédure préalable.

Préalablement à toute action contentieuse, un contrôle de la légalité et de l'opportunité de l'acte administratif doit être effectué, sauf si la loi en dispose autrement.

Délais de recours.

Le recours contre un acte administratif doit être formé dans un délai d'un mois courant à partir de sa notification à l'intéressé.

Le recours doit être écrit et peut être rédigé sous forme de procès-verbal, à la demande de l'intéressé, par l'autorité qui est à l'origine de l'acte.

Le délai susvisé joue également lorsque le pourvoi est adressé à l'autorité compétente pour statuer sur le pourvoi.

Décision sur la recevabilité du pourvoi.

La décision doit être motivée et accompagnée des précisions sur les recours qui peuvent être exercés. Elle doit indiquer celui qui supportera les frais de procédure.

Dispense de la procédure préalable.

Le recours est recevable, sans procédure préalable, lorsque l'administration ne s'est pas prononcée sur l'affaire dans un délai minimum de trois mois, sans pouvoir en apporter une justification suffisante.

Ainsi, ce que le Médiateur réclame depuis 1973 - que les administrés soient assurés d'une protection efficace contre les risques de forclusion, avec le " renversement de la charge de l'information " que cette protection implique, etc. ; ce vers quoi tend l'imposante étude du Conseil d'Etat dont on vient de lire l'analyse... tout cela, les citoyens de la République Fédérale d'Allemagne en jouissent depuis 1960.

Qu'en conclure, sinon que les Français font, parfois, " beaucoup de bruit pour rien "...

Qu'il est triste de se donner tant de mal pour des " innovations " qui, ailleurs, sont depuis longtemps devenues des " données immédiates " du droit public...

Qu'en tout cas, l'exemple de la République Fédérale d'Allemagne nous montre que le but recherché, aussi ambitieux puisse-t-il paraître (mais on peut maintenant se demander pourquoi ...), est accessible, et ainsi le désigne à notre action future : le Médiateur ne faillira pas à chercher, par tous les moyens, à l'atteindre.

IV. - ANALYSE DE QUELQUES AFFAIRES RECENTES SOULEVANT LE PROBLEME DES FORCLUSIONS ET PRESCRIPTIONS

1. - Le défaut d'information.

Affaire n° II-968 : le réclamant, qui contestait des opérations de remembrement, se plaignait de ce que la décision de la " commission départementale de réorganisation foncière " lui ait été notifiée par huissier, mais sans aucune indication du délai de deux mois ouvert pour contester cette décision.

Il n'a pas été possible de donner, au fond, satisfaction à l'intéressé. Mais l'affaire fournissait une nouvelle illustration de la nécessité d'informer les administrés des délais de recours qui s'imposent à eux.

Affaire n° III-881: le réclamant se plaignait de ne pouvoir obtenir de la caisse interprofessionnelle artisanale de l'assurance vieillesse le bénéfice d'un avantage vieillesse pour son épouse au titre de l'activité de modiste qu'elle avait exercée de 1929 à 1949.

Dans une correspondance en date du 2 juillet 1975, la caisse avait indiqué à l'intéressé que son épouse aurait dû être affiliée du 1er janvier 1949 au 30 septembre 1949, et que la demande d'attribution d'un avantage vieillesse ne pourrait être examinée que si les cotisations dues étaient réglées.

L'intéressée n'ayant effectué aucun versement à la suite de cette lettre, et ayant attendu janvier 1976 avant de réinterroger la caisse, celle-ci lui a opposé la forclusion, au motif que la régularisation des cotisations dues pour la période antérieure au 1er janvier 1973 aurait dû intervenir avant le 31 décembre 1975, ainsi que l'exige la " loi d'amnistie " du 16 juillet 1974.

Le Médiateur avait demandé qu'une solution humaine et équitable soit apportée à cette affaire, étant donné que l'intéressée était excusable de n'avoir pas effectué cette régularisation, la caisse de base ayant omis dans la lettre à elle adressée de mentionner la date limite de versement rétroactif des cotisations dues.

Mais, malgré cette intervention, la caisse autonome nationale a confirmé que les dispositions de la loi d'amnistie du 16 juillet 1974 étaient impératives, et qu'il n'était pas possible d'y déroger.

La C. A. N. C. A. V. A. souligne en effet que la caisse artisanale en cause a informé l'intéressée que l'examen de sa demande était subordonné au règlement des cotisations dues : dès lors, cette dernière devait se manifester sans attendre, puisqu'en fait, il lui appartenait de mettre fin à une carence qui était uniquement de son fait.

2. - Forclusion en matière de sécurité sociale.

Affaire n° II-1470 : déjà titulaire d'une pension liquidée " en coordination " avec le régime agricole et le régime des non salariés, le réclamant estimait pouvoir également prétendre au bénéfice d'une retraite au titre des activités salariées qu'il avait exercées en qualité d'agent d'assurances du 11, janvier 1965 au 31 décembre 1971 puisque, déclarait-il, il avait, au cours de cette période, régulièrement versé ses cotisations auprès de l'organisme compétent (en l'espèce, la caisse d'allocation vieillesse des agents généraux et des mandataires non salariés de l'assurance).

L'enquête effectuée sur cette affaire a montré qu'en fait, c'était la caisse d'allocation vieillesse qui avait décelé, en 1968, l'activité de l'intéressé, alors que celui-ci l'exerçait à titre libéral depuis 1947, sans avoir jamais fait la moindre déclaration. La caisse avait alors invité le réclamant à acquitter les cotisations dont il était redevable, mais n'avait pu le faire que pour la période non prescrite, conformément à l'article L. 153 du code de la Sécurité Sociale qui dispose que l'" avertissement ou la mise en demeure ne peuvent concerner que les cotisations exigibles dans les cinq années qui précèdent leur envoi ". Ce n'était qu'après une longue procédure et un arrêt de la Cour d'Appel que le plaignant avait consenti à s'exécuter...

Il a été précisé au réclamant que, même s'il offrait de régler l'intégralité des cotisations qui étaient légalement mises à sa charge, il ne saurait pour autant prétendre à l'allocation vieillesse des professions libérales. En effet, l'article 7 du décret n° 49-456 du 30 mars 1949 modifié précise que " la demande d'allocation déposée par l'assujetti en même temps que l'offre de versement des cotisations arriérées n'est pas recevable lorsque cette offre de régularisation porte sur plus de cinq années antérieures ".

Dans ces conditions, la Caisse d'allocation vieillesse des agents généraux et des mandataires non salariés de l'assurance et de capitalisation n'a pu que procéder au rejet de la demande d'allocation présentée par l'intéressé.

Celui-ci n'ayant pas fait usage des voies de recours qui lui étaient offertes par la loi, la décision dont il s'agit est devenue définitive.

Il ne pouvait non plus être envisagé de rembourser les cotisations versées, la réglementation ne prévoyant pas cette possibilité dans des cas tels que celui de l'espèce.

3. - Quand le Médiateur obtient la levée d'une forclusion encourue.

Affaire n° II-210 : remboursement de frais d'hospitalisation.

Les réclamants, dont le fils avait été placé en hôpital psychiatrique pendant plusieurs mois (du 12 mai au 4 décembre 1972), ne comprenaient pas pourquoi l'établissement hospitalier exigeait d'eux qu'ils règlent les frais de séjour afférents à la période du 18 octobre au 4 décembre, alors que, pour la période précédente (du 12 mai au 18 octobre), tous les frais avaient été pris en charge par l'administration pénitentiaire. Ils faisaient valoir que, n'ayant pas été avertis à temps de cette obligation, ils étaient maintenant forclos pour constituer un dossier d'aide sociale.

Le fils des intéressés, inculpé de vol à main armée, avait été admis en service de psychiatrie à la suite de la décision du médecin spécialiste. Les frais d'hospitalisation incombaient de ce fait à l'administration pénitentiaire, en application de l'article D. 380 du code de procédure pénale ; mais le délinquant avait bénéficié d'une levée d'écrou le 18 octobre 1972, et, à partir de cette date, l'administration en cause n'en était plus responsable.

Ni l'administration pénitentiaire, ni l'établissement hospitalier concerné, n'avaient pensé à avertir les réclamants qu'il leur fallait faire une demande d'aide sociale pour les frais devant résulter d'une hospitalisation qui se prolongerait au-delà du 18 octobre. C'est pourquoi le préfet, saisi de l'affaire par le Médiateur, a accepté de les relever de la forclusion. Ainsi, invités à déposer une demande d'aide sociale devant la commission d'admission, les intéressés ont obtenu satisfaction.

SECTION II. - Le problème des délais en matière de Sécurité Sociale.

L'essentiel du sujet est contenu dans la proposition de réforme (STR. 76-19) adressée au Ministre du Travail par le Médiateur le 14 juin 1976.

Bien entendu, cette proposition recoupe sur bien des points les considérations développées et les suggestions exprimées, à propos des " prescriptions en matière de Sécurité Sociale ", dans l'étude ci-avant analysée du Conseil d'Etat.

Mais ces points communs sont examinés de façon peut-être plus approfondie, et d'autres s'y ajoutent, dont l'étude précitée ne pouvait sans doute traiter sans excéder des dimensions déjà imposantes.

I. - Les observations du Médiateur.

La législation ou la réglementation relatives à la Sécurité Sociale prévoient des délais de forclusion ou de prescription dans les matières suivantes : le recouvrement des cotisations ; le paiement des cotisations ; le contentieux (général et technique) de la Sécurité Sociale.

Or l'organisation actuelle de ces délais soulève trois critiques principales : leur extrême diversité ; l'excessive brièveté de certains d'entre eux ; leur dissymétrie trop fréquente, suivant qu'ils bénéficient aux organismes de Sécurité Sociale ou aux " assujettis ".

C'est ce que l'on va constater en examinant successivement la matière des cotisations, celle des prestations, et celle du contentieux.

A. - En matière de cotisations.

1° Cotisations de Sécurité Sociale.

La prescription est de :

- cinq ans au bénéfice des caisses pour le recouvrement, délai ramené à deux ans pour la perception des majorations (art. L. 153 du code de la Sécurité Sociale) ;

- deux ans seulement au bénéfice des assujettis, à compter de la date du versement (art. 141 du code).

On notera que l'article L.153 du code est applicable aux régimes des non-salariés.

2° Cotisations d'assurance contre les accidents du travail.

L'employeur dispose seulement de :

- deux mois (en cas de tarification individuelle ou mixte) pour contester le " compte employeur " qui lui est communiqué ;

- un mois après notification du " taux accidents du travail " par la caisse régionale d'assurance maladie, pour saisir la commission de recours gracieux ;

- un mois après cette notification pour saisir directement la commission nationale technique (le recours préalable gracieux n'étant pas obligatoire).

3° Mesures de contrainte (application de l'art. L. 167 du code).

Passé le délai d'exécution de l'avertissement ou de la mise en demeure (15 jours), la direction de l'organisme délivre une " contrainte " que le président de la commission de première instance rend exécutoire dans un délai de cinq jours.

L'assujetti dispose d'un délai de quinze jours à compter de la notification pour faire opposition.

On notera que cette procédure a été rendue applicable aux régimes de non-salariés par l'article 4 du décret n° 59-139 du 7 janvier 1959.

B. - En matière de prestations.

1° Remboursement de soins.

Les délais de prescription sont ici :

- de deux ans contre l'assuré (art. L. 395 du code de la Sécurité Sociale, étendu aux non-salariés par la loi du 22 juillet 1966, art. 29) ;

- de trente ans contre les organismes.

2° Droit aux prestations de l'assurance maladie et de l'assurance invalidité.

Le droit aux prestations de l'assurance maladie se perd à l'expiration d'un délai d'un mois, courant de la date à laquelle l'assuré cesse de remplir les conditions requises pour être assujetti à titre obligatoire (art. L. 253 du code de la Sécurité Sociale et art. 48 du décret du 19 mars 1968 pour les régimes de non-salariés).

L'acquisition de nouveaux droits est soumise à une période :

- relativement courte, dans le régime général, pour les salariés (le décret du 30 avril 1968 modifié par celui du 11 avril 1969 prévoit que pour l'ouverture des droits aux prestations en nature l'assuré doit justifier :

- soit de deux cents heures au cours du trimestre civil (ou de trois mois de date à date) précédant la date des soins ;

- soit de cent vingt heures au cours du mois civil (ou de la période de un mois de date à date) précédant la date des soins) ;

- plus longue, par contre, en ce qui concerne les non-salariés pour lesquels le délai est de trois mois à compter de la date d'affiliation comportant obligation de cotiser (décret du 19 mars 1968, art. 47).

- En conséquence :

Le salarié qui perd son emploi doit se faire inscrire auprès de l'agence nationale pour l'emploi comme demandeur d'emploi dans le délai d'un mois pour conserver ses droits.

Le travailleur non salarié qui cesse son activité (et éventuellement le travailleur salarié qui ne s'est pas fait inscrire dans le délai d'un mois ou qui s'est installé comme travailleur non salarié) doit, pour conserver ses droits, souscrire une assurance volontaire.

Enfin, le titulaire d'une pension d’invalidité du régime général qui reprend une activité de travailleur non salarié, perd, en application de l'article L. 253 du code de la Sécurité Sociale, la qualité d'assuré, et, de ce fait, les arrérages de sa pension d'invalidité sont supprimés à l'expiration du trimestre d'arrérages au cours duquel le bénéficiaire a exercé une activité professionnelle non salariée. En outre, il n'a aucun droit à une pension d'invalidité dans le régime des non-salariés.

3° Rachat facultatif des rentes d'accident du travail.

Aux termes de l'article 462 du code de la Sécurité Sociale, ce rachat :

- est possible seulement à l'expiration d'un délai de cinq ans, à compter du point de départ des arrérages de la rente ;

- doit être demandé à la caisse primaire dans les trois mois qui suivent l'expiration de ce délai de cinq ans.

Le délai de cinq ans pour pouvoir demander le rachat facultatif d’une rente d'accident du travail paraît trop long, certaines victimes désirant utiliser le capital résultant du rachat pour ouvrir une entreprise artisanale ou commerciale, dès la consolidation de leur état.

Par contre, le délai de trois mois qui suit l'expiration du délai de cinq ans paraît trop bref : les titulaires de rentes d'accident du travail, étant souvent mal informés et ignorant cette possibilité de rachat, laissent involontairement s'écouler ce délai et sont ensuite forclos.

Il semble que la demande de rachat pourrait être déposée, sans limite de temps, après un " stage " minimal (dont la durée reste à déterminer mais qui, en tout état de cause, devrait être inférieure à cinq ans) suivant le point de départ des arrérages de la rente.

C. - En matière de contentieux.

Les différends avec les organismes complémentaires, qui généralement ont été créés par des conventions collectives, échappent au contentieux de la Sécurité Sociale et sont de la compétence soit des Conseils de Prud'hommes, soit des Tribunaux d'Instance ou de Grande Instance, soit exceptionnellement des Tribunaux de Commerce. Seuls seront examinés ici les problèmes soulevés dans le cadre du régime général.

1° Le contentieux général (Articles L. 190, L. 191 et L. 192 du code de la Sécurité Sociale).

Il a pour objet principal de régler les litiges concernant :

- l'assujettissement aux divers régimes ;

- les prestations de toute nature ;

- le calcul et le recouvrement des cotisations ;

- le remboursement des prestations servies à un assuré auprès d'un employeur défaillant en application des articles L. 160, L. 161 et L. 504 du code de la Sécurité Sociale.

a) La procédure gracieuse préalable (Décret n° 50-1291 du 22 décembre 1958, articles 1 à 6).

L'employeur ou l'assuré qui conteste une décision prise par les services administratifs d'un organisme de Sécurité Sociale peut saisir le Conseil d'Administration de cet organisme ou la Commission de Recours Gracieux désignée par celui-ci.

Le délai est de deux mois à compter de la date de la décision incriminée.

La décision doit intervenir dans le délai d'un mois. Passé ce délai, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant la Commission de Première Instance.

b) La " Commission de Première Instance " (Article L. 91 du code de la Sécurité Sociale décret du 22 décembre 1958, articles 7 à 23).

La Commission de Première Instance ne peut être saisie qu'après accomplissement de la procédure gracieuse préalable.

Le délai de saisine est de deux mois à compter, soit de la date de la notification de la décision du Conseil d'Administration ou de la Commission de Recours Gracieux, soit de l'expiration d'un délai d'un mois après saisine de la Commission de Recours Gracieux.

La Commission de Première Instance statue en dernier ressort jusqu'à concurrence du taux de compétence en dernier ressort fixé par les Tribunaux d'Instance.

Pour les oppositions à contrainte en cas de recouvrement des cotisations, voir ci-dessus, A, 3

c) La Cour d'Appel (Article L. 191 du code de la Sécurité Sociale ; ordonnance n° 58-1275 du 22 décembre 1958 ; décret n° 58-1291 du 22 décembre 1958, articles 24 à 28).

Toutes les décisions des Commissions de Première Instance, sauf celles rendues en dernier ressort, sont susceptibles d'être portées devant la Cour d'Appel, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision attaquée.

d) Le Pourvoi en Cassation (Article L. 197 du code de la Sécurité Sociale ; décret n° 58-1291 du 22 décembre 1958, articles 53 à 56).

Les décisions rendues en dernier ressort par les Commissions de Première Instance, les arrêts des Cours d'Appel et les décisions de la Commission Nationale Technique peuvent être attaquées par la voie de Recours en Cassation.

Le Pourvoi est formé par Ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision qui fait l'objet du pourvoi.

2° La procédure d'expertise médicale (Décret n° 59-160 du 7 janvier 1959).

Les contestations d'ordre médical relatives à l'état d'un malade ou à l'état de la victime d'un accident, notamment en ce qui concerne la date de reprise du travail, ou de maladie professionnelle, donnent lieu à une procédure d'expertise médicale.

En cas d'assurance maladie, la demande d'expertise est formulée par l'assuré dans le délai d'un mois à compter de la décision contestée.

En cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, l'expertise peut être demandée soit par la victime, soit par la caisse. Cette possibilité est ouverte jusqu'à prescription du droit à réparation.

3° Le contentieux technique (Articles L. 193 à L. 197 du code de la Sécurité Sociale ; décrets n° 65-390 du 20 mai 1965 et 58-1291 du 22 décembre 1958).

Le contentieux technique règle les contestations relatives :

1. A l'état et au degré d'invalidité, en cas de lésions ne résultant pas d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, et à l'état d'inaptitude au travail ;

2. A l'état d'incapacité permanente de travail, et notamment au taux de cette incapacité, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;

3. Aux décisions des caisses régionales d'assurance maladie concernant, en matière d'accidents du travail, la fixation du taux de cotisation, l'octroi des ristournes, l'imposition de cotisations supplémentaires et la détermination de la contribution spéciale destinée à alimenter le fonds commun des accidents du travail.

Les contestations visées ci-dessus au 1 et 2 sont portées en première instance devant les Commissions Régionales instituées dans le ressort de chaque Direction Régionale de la Sécurité Sociale. Celles qui sont visées au 3 ci-dessus sont soumises en premier et dernier ressort à la Commission Nationale Technique.

La réclamation contre la décision de la caisse doit être présentée dans le délai d'un mois soit devant la Commission Régionale compétente, soit devant la Commission Nationale, à compter de la date de notification de cette décision.

Les parties peuvent interjeter appel de la décision de la Commission Régionale devant la Commission Nationale Technique, dans le délai d'un mois à compter de la date de la notification de la décision prise par la Commission régionale.

Un pourvoi peut être formé devant la Cour de Cassation dans le délai de deux mois (voir ci-avant " contentieux général ").

II - Les suggestions du Médiateur.

S'il est normal que, dans certains cas particuliers - tels que la " procédure de contrainte ", engagée pour obtenir rapidement paiement de cotisation, ou la " procédure d'expertise médicale " nécessaire pour juger l'état d'un malade à une date précise - les délais soient brefs, on comprend mal, en général, la diversité des règles, la brièveté des délais et leur dissymétrie.

C'est pourquoi le Médiateur suggère :

1° De coordonner les délais d'acquisition ou de perte des droits dans les différents régimes, afin qu'une personne cessant d'appartenir à un régime pour passer à un autre, sans interruption, ne reste pas sans couverture sociale pendant une période qui peut atteindre trois mois ;

2° De fixer des délais identiques aux particuliers et aux organismes pour des objets identiques : par exemple, il n'est pas acceptable qu'une union de recouvrement dispose d'un délai de cinq ans pour récupérer des cotisations non payées, alors que l'entreprise ou l'assuré ne peut disposer que d'un délai de deux ans pour demander le remboursement de cotisations payées par erreur ;

3° D'uniformiser les délais en matière contentieuse, de façon à éviter les confusions et les forclusions ;

4° De fixer des délais suffisamment longs, qui tiennent compte de la " mobilité " des personnes dans la société moderne : on éviterait ainsi que l'absence du domicile soit, en fait, cause de forclusion.

Un délai de trois mois paraît raisonnable pour toute contestation gracieuse ou contentieuse d'une décision ou d'un jugement ; il s'appliquerait à toutes les formes du contentieux - à l'exception de la procédure sommaire et de la procédure d’expertise ;

5° De revoir les délais fixés pour le rachat facultatif d'une rente d'accident du travail et d'étudier la possibilité de la limite de temps (trois mois) imposée pour demander ce rachat ;

6° De réviser les modalités de saisine de la Commission de Première Instance du contentieux de la Sécurité Sociale (du moins pour le régime général). Il n'y a aucune sécurité pour l'assuré social dans un système qui fait partir le délai de recours de l'expiration d'un délai, lui-même décompté à partir d'une date non " certaine ", dans le cas du silence de l'administration ;

- d'une manière générale, les organismes de Sécurité Sociale devraient appliquer la règle des services fiscaux, selon laquelle toute réclamation doit faire l'objet d'un accusé de réception (Le Conseil d'Administration de l'organisme et la Commission de recours gracieux peuvent en effet être saisis de façon très informelle : déclaration au guichet ou simple lettre. La seule procédure qui donnerait certitude à la date de la saisine est la lettre recommandée avec accusé de réception. Elle est rarement employée).

- de plus, et surtout si l'on considère que la Commission de Recours gracieux est un organe quasi juridictionnel, la règle de la " décision tacite ", ne saurait, en équité, être admise qu'au bénéfice de l'administré - par application de l'adage " qui ne dit mot consent ". Une réclamation ne devrait plus pouvoir être " réputée rejetée " ; le rejet devrait être ratifié par écrit, les voies de recours étant rappelées de façon particulièrement lisible dans l'acte de notification ; et c'est la date de réception de ce rejet qui ferait courir les délais d'appel.

Remarque : Les observations et suggestions ci-dessus rappelées ont été volontairement limitées au régime général de la Sécurité Sociale. Elles ne prétendent d'ailleurs pas avoir épuisé ce seul sujet.

Elles tendent simplement à montrer l'ampleur du problème et la nécessité d'en faire une étude exhaustive et coordonnée " entre tous les régimes ".

La normalisation interrégimes des délais - leur " modulation - apparaîtra de toute évidence comme souhaitable si l'on veut bien considérer qu'un même assuré successivement - et dans un ménage les deux époux simultanément - peut relever de régimes différents. Enfin, l'allongement des délais est une nécessité inhérente, non pas à tel ou tel régime, mais aux conditions de la vie moderne, notamment dans les grandes villes.

SECTION III. - Problèmes soulevés par les paiements incombant aux collectivités publiques ; retards excessifs, sanctions insuffisantes.

Le Médiateur a rencontré ces problèmes en deux occasions : l'acquisition d'immeubles par les

collectivités publiques ; les " commandes sans marchés " passées par elle.

I. - Acquisitions d'immeubles par les collectivités publiques.

Dans son rapport de 1975 (pp. 77, 78) le Médiateur exposait qu'à l'occasion d'une affaire (N° I-422) dans laquelle un délai de trente-huit mois s'était écoulé entre la promesse de vente recueillie par une collectivité publique et le paiement du prix, il avait adressé au Ministre chargé de l'Economie et des Finances une proposition de réforme tendant à ce qu'il soit prévu, en matière d'acquisition à l'amiable d'un immeuble par une collectivité publique, le versement d'intérêts moratoires au vendeur, " par analogie avec ce qui existe en matière d'expropriation ".

Cette proposition n'avait été que partiellement satisfaite, le Ministère des Finances acceptant bien que des intérêts moratoires soient désormais prévus " lorsque la promesse de vente aurait été recueillie dans le cadre d'une opération d'utilité publique " - ce qui alignait la situation des cédants à l'amiable sur celle des expropriés à la suite d'une décision de justice - mais refusant d'étendre la même solution hors de ce cadre.

Le ministre soutenait à ce propos que lorsque les promesses de vente recueillies par l'Etat portent sur des immeubles " librement " mis en vente par leurs propriétaires avant toute déclaration d'utilité publique, c'est le droit commun qui doit s'appliquer : l'obligation du paiement d'intérêts par l'acheteur est réglée par l'article 1652 du code civil, et il appartient au cédant d'en faire une condition de la vente, ou, à défaut, de mettre en demeure le débiteur du prix de lui verser des intérêts par une sommation de payer.

Il concluait que les garanties ainsi données paraissaient de nature à sauvegarder suffisamment les droits des vendeurs - ce que le Médiateur contestait en souhaitant que la réforme annoncée " soit complétée sur ce point ".

Il apparaît bien, en effet, que la distinction faite par le ministre entre la phase antérieure à l'opération d'utilité publique et celle pendant laquelle se déroule cette opération, présente un caractère fortement artificiel. Si l'on peut admettre que la personne qui cède son bien à une collectivité publique dans cette première phase ignore que celle-ci prélude à une opération d'utilité publique - encore qu'il lui soit difficile de concevoir que son bien puisse lui être demandé pour cause... d'inutilité publique - l'administration, elle, sait bien ce qui va se passer ultérieurement, et n'a donc pas, semble-t-il, de raison décisive d'obliger ce " précurseur " à plus de formalités que les personnes qui, plus tard, céderont leur bien dans le cadre de l'opération projetée.

II. - Conditions de règlement des " commandes sans marché "

(cf. sur ce sujet, Paul Ripoche, " Une institution nouvelle : la Médiation ", et notamment les pages 21 à 24. (Extrait du Bulletin de liaison et d'information de l'administration centrale de l'économie et des finances, n° 75, de juillet-septembre 1976)).

Une affaire récente (n° I-834) qui se situe dans le cadre juridique, différent du précédent, des " commandes sans marché " passées par une collectivité publique, est venue élargir le problème, et fournir au Médiateur des arguments plus amples, et peut-être plus décisifs.

Le fournisseur en cause dans cette affaire, qui avait attendu quatre ans le règlement de ses factures, s'était en effet cru fondé à demander le paiement d'intérêts moratoires " au taux légal ". Or, si la direction départementale avec laquelle il avait traité s'était déclarée d'accord sur le versement de ces intérêts, le trésorier payeur général du département s'y était en revanche opposé, au motif que de tels intérêts ne sont dus qu'en ce qui concerne les (véritables) marchés passés par les collectivités publiques et les établissements publics.

Légalement, cette position apparaît inattaquable : s'il n'y a pas marché public, le fournisseur ne peut bénéficier ni de règlements d'avances, ni d'intérêts moratoires, et le litige qu'il peut avoir avec son client relève de la seule compétence des tribunaux judiciaires.

Mais le nombre de ces commandes sans marché s'est accru très fortement au cours des cinq dernières années, à la suite des relèvements successifs du seuil au-dessous duquel la signature d'un marché n'est pas obligatoire.

De nouvelles catégories de fournisseurs, de plus en plus nombreux, se voient donc proposer de telles commandes, et cela sans être en mesure, faute d'une information suffisante, d'apprécier les novations que cette manière de traiter implique, notamment dans leurs rapports avec les services administratifs.

Il apparaît donc au plus haut point nécessaire de donner à ce problème une solution rapide, faute de quoi la simplification que représente le relèvement des plafonds en matière de marchés deviendra source de difficultés, et de mécontentements justifiés de la part d'un grand nombre d'entreprises petites et moyennes.

La solution pourrait consister, selon le Médiateur, dans la rédaction d'un document qui informerait clairement et complètement les futurs fournisseurs " sans marché " en s'inspirant, dans toute la mesure du possible, des pratiques en usage dans le commerce.

Mais à ces suggestions, le Ministre de l'Economie et des Finances a opposé un net refus, fondé pour l'essentiel sur le caractère purement privé des achats sur factures : en n'imposant pas aux fournisseurs les clauses exorbitantes du droit commun, qui seraient exigées d'eux en cas de marché public, il paraît naturel au Ministre qu'en contrepartie, lesdits fournisseurs ne bénéficient pas des avantages accordés aux co-contractants des marchés publics, et notamment du versement d'intérêts moratoires.

Le Médiateur n'a même pas pu, dans l'espèce, obtenir le règlement en équité qu'il avait demandé à titre subsidiaire.

Mais, là encore, la distinction paraît bien artificielle. Et d'ailleurs, même en matière de marchés publics, des difficultés se rencontrent : ainsi le droit aux intérêts de retard court jusqu'à la date du mandatement de la somme due, alors que ce qui importe pour l'entreprise, c'est évidemment la date du paiement effectif.

III. - Position finale du Médiateur sur ces problèmes.

D'une manière générale, le Médiateur n'entend pas poursuivre plus avant en ces matières une discussion qui, malheureusement, a été jusqu'à ce jour presque totalement stérile.

Il faut, prenant le problème de plus haut, considérer que tout retard de paiement imputable à une collectivité publique - qu'il s'agisse d'une acquisition foncière, d'une commande sans marché, ou d'un marché public - est en réalité un crédit imposé au fournisseur : or, dans la pratique du commerce, tout crédit est négocié, et généralement assorti de conditions.

Il faut, à proprement parler, estimer indécent que les créanciers des collectivités publiques puissent être astreints à quelque formalité que ce soit pour obtenir des intérêts de retard, alors que c'est sans formalité aucune que les mêmes collectivités réclament à leurs débiteurs " intérêt et capital ".

Si donc, en dépit des mesures prises, tant dans le domaine des acquisitions foncières (application du décret n° 67-568 du 12 juillet 1967, notamment) qu'en matière de marchés (cf. la réponse du Ministre des Finances à la question écrite n° 17052 en date du 16 juin 1975 (J.0., Débats parlementaires, Sénat, 1975. p.2479)), pour en diminuer la fréquence et la durée, des retards de paiement continuent à être imputables aux collectivités publiques, il faut, à tout le moins, que ces retards entraînent, dans tous les cas et de façon automatique, la mise à la charge de la collectivité débitrice d'intérêts moratoires, courant jusqu'à la date du paiement effectif.

Telle est la position que le Médiateur va soutenir dans une nouvelle proposition de réforme adressée à l'ensemble des départements ministériels. Si besoin est, il portera le problème devant l'opinion, ne serait-ce qu'en raison de l'importance de ses implications économiques.



CHAPITRE III

LES PROBLEMES DE L'INFORMATION DES ADMINISTRES



SECTION I. - Vues d'ensemble ; position et propositions du Médiateur.

I. - Le défaut d'information

Depuis les débuts de l'institution, le Médiateur rencontre quotidiennement le problème posé par l'insuffisante information des personnes qui s'adressent à lui.

Ce défaut porte sur le fondement législatif ou réglementaire - sur les motifs, en général - de l'action administrative critiquée par le réclamant. Il peut aller de la simple incompréhension, de l'interprétation erronée, à l'ignorance totale. Il est en toute hypothèse très fréquent, et cette fréquence ne semble pas avoir sensiblement diminué au cours des années.

Par ailleurs, le Médiateur a constaté que certaines opérations administratives d'envergure - comme par exemple celles qui sont menées en matière d'aménagement du territoire - n'étaient généralement pas, du moins jusqu'à une époque très récente, précédées ou accompagnées du vaste effort de préinformation ou d'information que leur importance impliquait : aussi le Médiateur a-t-il eu affaire en ces domaines également, à beaucoup de réclamants ignorants des principes les plus élémentaires des procédures qui leur étaient appliquées.

L'honnêteté commandait, cependant, que tout réclamant retire de son appel au Médiateur, quel qu'en ait été le succès, l'impression, au moins, d'avoir " compris son affaire ". C'est pourquoi le Médiateur a pris dès le début pour règle de faire à tout parlementaire ayant transmis la réclamation d'un administré, et plus particulièrement lorsque cette réclamation devait être rejetée, une réponse qui ne laisse dans l'ombre aucun des éléments du problème.

Mais, si le Médiateur ne s'est jamais dérobé à ce rôle d'informateur, il n'en a pour autant perdu de vue qu'il le jouait pour le compte d'autrui.

Que penser, en effet, d'une administration qui dédaigne, dans de très nombreux cas, d'expliquer son action à celui qui va en supporter les conséquences ? Qui considère que son devoir s'arrête à l'application au cas particulier des " lois et règlements en vigueur " ? Qui trop souvent voit dans l'administré un adversaire capable de porter son affaire au contentieux, et qu'il serait par conséquent maladroit de renseigner ? Qui contribue à la prise d'un règlement, ou même d'un texte de loi, sans s'être préalablement assuré que ce règlement, cette loi, seraient compris, sinon admis ? Qui, pour ainsi dire, ne tend presque jamais la main à l'" autre ", au citoyen, à l'administré ?

Nous avons affaire, avec elle, à un organisme replié sur lui-même, fermé, égocentrique, anachronique dans une civilisation qui se veut de plus en plus fondée sur la libre communication entre les hommes et les groupes ; à un organisme qu'il apparaît urgent et nécessaire d'" ouvrir au monde " : tâche immense et de loin sans doute la plus urgente que puisse se proposer le Médiateur, tel que la loi française l'a conçu.

Il fallait donc déclarer avec force qu'à tout service public incombait un devoir jusqu'alors dédaigné, mais essentiel : le devoir d'information des administrés.

Il fallait insister sur le fait que ce devoir n'était pas chose accessoire, élément ajouté aux impératifs ordinaires de la fonction administrative, mais qu'il participait de la nature même du service public.

Et comme l'initiative de diffuser l'information revenait pleinement à l'administration elle-même, il s'ensuivait que l'information sous sa forme " portable " - où le service public va au-devant de ses administrés - devait le plus souvent possible prendre le pas sur l'information du type " quérable " - où l'on se borne à indiquer à l'administré en quel endroit et après quelles démarches il trouvera les renseignements dont il a besoin.

Certes, les efforts entrepris un peu partout dans nos services publics pour créer des institutions spécialisées dans l'information du public n'étaient nullement négligeables et devaient être encouragés.

Mais la solution radicale du problème de l'information administrative devait, manifestement, être recherchée ailleurs : elle serait obtenue le jour où, le devoir d'information et le primat de l'information portable ayant été intégrés à la conscience administrative, chaque agent public, quels que soient son rang et sa fonction, serait devenu un " informant ", parce que, dans sa propre conscience, l'administré serait toujours présent.

Enfin, cette solution impliquant un bouleversement des mentalités, une action pédagogique devait être entreprise au plus tôt, afin que tous nos agents publics soient formés à la perception et à l'exercice de ces devoirs nouveaux pour eux.

Telle a été la position prise par le médiateur dans son premier rapport de 1973 (pages 249 à 254, et notamment les deux dernières) - donc après moins d'un an d'exercice effectif de sa fonction : c'est dire avec quelle force et quelle précocité le problème s'est imposé à lui.

II. – Généralisations : le problème de l'information administrative dans son ensemble

Deux ans plus tard, d'autres questions étaient apparues, et il était devenu manifeste que le défaut d'information ne constituait qu'une partie du problème de l'information administrative dans son ensemble.

Aussi le Médiateur s'essayait-il, dans son rapport de 1975 (cf. p. 86), à donner une vue générale et cohérente de ce problème, en procédant par distinctions successives :

- une première distinction opposait l'information diffusée de l'administration vers le public (information sortante ou descendante) à l'information du public vers l'administration (information entrante ou ascendante) ;

- la deuxième permettait de séparer la communication de documents matériels de la communication d'informations proprement dites ;

- enfin, à l'intérieur du défaut d'information, la non-communication des motifs de décisions administratives constituait un problème à part, dominé par les questions d'opportunité ou de licéité de la communication.

Il paraît inutile de reprendre ici les considérations développées dans le rapport en question à propos du défaut d'information (pages 87, 88), de la non-communication de documents (pages 89, 90), de la non-motivation des décisions administratives (page 90. A noter l'erratum qui s'est glissé dans le texte de cette page : les alinéas 3 et 4, relatifs à la non-communication des décisions administratives doivent naturellement venir à la fin du paragraphe consacré à cette question, soit après l'alinéa 7), de l'information " entrante " et " ascendante " (pages 90, 91) : on retrouvera la plupart de ces problèmes plus loin.

Tout au plus, conviendrait-il, pour obtenir une vue d'ensemble absolument complète, de leur ajouter un problème mentionné dans le rapport de 1973, mais non repris en 1975 : c'est celui de l'amélioration du " message informatif ", par une action tendant à en accroître la communicabilité - autrement dit le problème du langage de la communication administrative (rapport de 1973, p. 253).

Enfin, il faut rappeler, comme le rapport de 1975 et le présent rapport l'ont déjà laissé entendre :

- que le problème de l'information administrative n'est lui-même qu'une partie - quoique essentielle - de celui que pose la communication administrative au sens large du terme (l'accueil fait à l'administré dans les services, le contenu et la rapidité plus ou moins grande des correspondances administratives, bref le domaine des " relations publiques " de l'administration, sont ici les éléments supplémentaires à considérer) ;

- que derrière ces deux problèmes se profile celui de la participation des citoyens aux décisions administratives, mentionné ci-avant au " rapport de synthèse " (voir supra, p. 30).

III. - La position du Médiateur à travers ses différentes suggestions

Après cette revue des problèmes, il convient de rappeler in extenso la série de suggestions sur laquelle débouchait l'étude du Médiateur dans son rapport de 1975 (p. 92) :

" Dans la ligne indiquée par la commission de coordination de la documentation administrative ", il était proposé que des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire viennent, le plus tôt possible :

" 1. Reconnaître, comme un principe général, le droit de tout administré à l'information ;

" 2. Organiser, de la façon la plus libérale possible, le régime de communication des documents administratifs ;

" 3. Poser en principe l'obligation de motiver toute décision administrative, sauf exceptions nettement délimitées ;

" 4. Prescrire l'introduction, dans tous les programmes de formation des agents publics, de la notion de " devoir d'information " et, plus généralement, de l'étude psychologique de la " relation à l'administré ".

Auparavant, le Médiateur avait estimé que " dès maintenant, obligation pourrait être faite à l'ensemble des administrations, par la voie réglementaire, d'avoir à prendre, chacune

pour ce qui la concerne, les mesures propres à satisfaire à ces trois (dernières) exigences ".

Si l'on rappelle qu'en ce qui concerne les modalités d'émission de l'information administrative, l'extension de l'information du type " portable " aux dépens de l'information simplement " quérable " demeure le premier souci du Médiateur, on aura un tableau complet des thèmes d'action qu'en 1973, puis en 1975, celui-ci proposait aux pouvoirs publics dans le domaine étudié - et qu'il leur propose encore au terme d'une nouvelle année pendant laquelle, comme on va le voir, seul un début d'action partielle a pu être enregistré.

SECTION II. - Les actions en cours.

I. - Actions des pouvoirs publics

1. - En matière de liberté d'accès aux documents administratifs.

Sous le numéro 2455, MM. Jean-Pierre Cot, Chandernagor, Forni et les membres du groupe du parti socialiste et des radicaux de gauche et apparentés avaient déposé à l'Assemblée Nationale, pendant la session de 1975-1976, une proposition de loi " établissant la liberté d'accès des citoyens aux documents et informations détenus par l'administration ".

Dans leur exposé des motifs, les auteurs de cette proposition soulignaient que " notre système juridique repose toujours, dans le domaine de l'information administrative, sur la notion de secret administratif ".

De cet état de choses, ils rendaient particulièrement responsables les dispositions du statut général des fonctionnaires (art. 10) qui interdisent formellement au fonctionnaire " tout détournement, toute communication contraire au règlement de pièces ou de documents de service à des tiers " - sauf avec l'autorisation spéciale du ministre concerné, ou dans les cas " prévus par la réglementation en vigueur ". Or, en l'absence de réglementation instituant le droit des citoyens à la communication des documents et informations détenus par l'administration, l'application de ces dispositions avait conduit " à interdire en ce domaine tout ce qui n'était pas expressément autorisé ".

Sans vouloir remettre en cause l'obligation de discrétion imposée aux fonctionnaires, les auteurs se proposaient, en conséquence, de renverser ce principe, en stipulant qu'en la matière " tout ce qui n'est pas expressément interdit est autorisé ". Tel était l'objet essentiel de leur proposition.

Le texte de celle-ci prévoyait que les services de l'Etat, des départements et des communes, ainsi que les organismes et établissements chargés de gérer un service public, seraient tenus de communiquer aux citoyens qui en feraient la demande les documents figurant sur une liste " qui serait publiée régulièrement ".

Il s'agirait :

- " des décisions et circulaires internes ayant un effet à l'égard des tiers " ;

- " des rapports d'information, d'enquête, d'expertise, d'inspection ou de contrôle " ;

- en général, de " toutes les informations et pièces d'archives identifiables " détenues par les services concernés.

Une autre disposition écartait du champ d'application de la loi :

- " les documents et informations devant être gardés secrets dans l'intérêt de la défense nationale et de la politique extérieure " ;

- " les fichiers personnels et médicaux " détenus par les services visés dans la loi, ainsi que " les informations pouvant constituer une atteinte à la vie privée ". Toutefois, les citoyens auraient droit " à la communication des fichiers et informations les concernant personnellement " ;

- " les notes de service internes préparatoires à des décisions, ainsi que les documents portant uniquement sur le fonctionnement interne des administrations, organismes et établissements concernés " ;

- " les documents et informations constituant des secrets commerciaux et financiers ". Toutefois, le " secret des affaires " ne pourrait être invoqué " pour refuser la communication de décisions d'aide financière aux entreprises privées " ;

- " les documents et informations relatifs à des procédures engagées devant des tribunaux ".

Enfin, une disposition spéciale confirmait que le Médiateur pourrait recevoir les réclamations des citoyens qui se seraient heurtés à un refus de communication.

La proposition de loi n° 2463, " relative à l'accès des citoyens aux documents administratifs ", et qui fut déposée peu après par M. Bolo et les membres du groupe d'union des démocrates pour la République et apparentés, reprenait notamment, dans son exposé des motifs, les considérations développées par le Médiateur sur le sujet dans son rapport de 1975 (p. 85).

Dans son économie, elle présentait à la fois des convergences inévitables, mais aussi des différences sensibles avec la proposition précédemment analysée.

C'est ainsi, d'abord, que selon l'article 1er, " le droit des citoyens à l'information, reconnu par les lois de la République, est précisé et garanti par la présente loi en ce qui concerne la liberté d'accès aux documents officiels et administratifs, sur la base des articles 2, alinéa 4, et 34, alinéa 2, de la Constitution et des articles 11 et 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ".

C'était là reconnaître, et de la façon la plus solennelle, le droit du citoyen à l'information sous sa forme la plus générale, tout en marquant que l'objet de la loi proposée était délibérément limité à l'un des aspects de ce droit, à l'une des modalités de son exercice.

Le Médiateur ne peut que juger extrêmement regrettable qu'une telle disposition, coiffant pour ainsi dire à l'avance toutes les mesures qui pourront être prises en matière d'information administrative, n'ait pu être adoptée, ni même discutée par le Parlement.

Par ailleurs, la proposition étudiée donnait une définition précise, et remarquablement claire, de la notion de " document ", puis de celle de " document officiel ou administratif ". Elle faisait immédiatement échapper à toute communication possible les dossiers individuels des agents publics, et laissait régir par les dispositions spéciales de la procédure civile, pénale ou disciplinaire, la communication de pièces appartenant à la documentation contentieuse des services de justice et de police.

Les autres motifs légaux du refus de communication étaient fondés : sur le respect du secret des délibérations du pouvoir exécutif, sur les " nécessités de la défense nationale, de la diplomatie, de la justice, de la sécurité publique, de l'indépendance énergétique de la Nation " ; sur le respect du " secret commercial et des droits de propriété industrielle ".

Le refus de communication devait être motivé par écrit. Les communications mettant en cause la vie privée des personnes seraient, soit refusées dans les mêmes termes, soit effectuées avec suppression de tout signe d'identification personnelle.

Dans une seconde partie, la proposition 2463 faisait un sort distinct à deux catégories de documents :

- les organigrammes détaillés des services, avec désignation nominative des fonctionnaires responsables, ainsi qu'une collection complète des circulaires " ministérielles et administratives " en vigueur, devaient être tenus à la disposition du public dans chaque service concerné ;

- l'accès aux autres documents était par contre soumis à des conditions plus restrictives : direct pour les " citoyens titulaires d'un mandat électif, les associations reconnues d'utilité publique et les syndicats représentatifs ", il nécessitait le ministère d'un avocat ou d'un officier public pour toutes les autres personnes physiques ou morales ".

Une disposition réglait les modalités pratiques de l'accès aux documents et informations ; une autre fixait les sanctions applicables aux agents publics qui auraient fait obstacle à l'application de la loi.

Enfin, le rôle du Médiateur dans cette application devait être particulièrement important. Ainsi, sa saisine en cas de refus de communication, emportait obligation pour le service de lui transmettre copie des documents en litige : il lui était donné d'apprécier le caractère justifié ou abusif du refus ; dans ce dernier cas, il pouvait délivrer lui-même la copie du document réclamé ; il devait enfin adresser au Président de la République un rapport annuel sur l'application de la loi proposée.

Mais d'après ses déclarations à la presse (Voir Le Monde des 7 et 8 octobre 1976), le Gouvernement a préféré la procédure du décret à celle d'une loi " qui n'aurait pu que poser des principes généraux ", dont les modalités pratiques auraient dû ensuite être réglées par décret.

Le projet de décret en cours d'élaboration s'inspirerait à la fois des conclusions de la " commission de coordination de la documentation administrative ", des propositions de loi ci-devant analysées, et des suggestions faites par le Médiateur.

Ce texte n'ayant pas été publié au 31 décembre 1976, il n'est évidemment pas question d'en traiter plus avant dans le présent rapport.

On se contentera de faire observer que son objet est limité à l'un des aspects du problème de l'information administrative (cf. ci-dessus, à propos de l'article 11, de la proposition 2463) - même si, selon l'article de presse cité, ses dispositions doivent s'harmoniser avec celles d'un projet de loi " sur l'information et l'utilisation des fichiers ", également en cours d'élaboration.

Remarque. - La masse des travaux consacrés à ce problème de l'accès des citoyens aux documents administratifs commence à devenir importante. Outre les rapports de la commission de coordination de la documentation administrative, et l'ouvrage de C. Braibant, N. Questiaux et C. Wiener sur " le contrôle de l'administration et la protection des citoyens " - déjà cités au rapport de 1975 -, on consultera avec profit l'article de P. Dibout intitulé : " Pour un droit à la communication des documents administratifs ", et publié dans le numéro 173 de la revue administrative : cet article comporte lui-même une bibliographie assez abondante.

2. - En matière d'information des administrés, notamment dans les locaux occupés par les services publics.

On a déjà signalé au rapport de synthèse (Voir supra, p. 20) que dans une lettre adressée le 10 avril 1976 aux membres du Gouvernement le Premier ministre avait prescrit la mise en œuvre d'un certain nombre de mesures destinées à améliorer l'information du public :

- obligation de mentionner dans toute correspondance administrative le nom du signataire, l'identité du service, et le numéro de téléphone du bureau compétent ;

- apposition obligatoire, dans les bureaux ouverts au publie, d'un panneau portant l'organigramme du service, et sur la porte des bureaux - sauf exceptions - du nom des agents publics qui les occupent ;

- installation, dans les services de guichet, de " présentoirs " où seront classés de façon claire et maniable les imprimés et formulaires à utiliser ;

- mise à la disposition des usagers, dans tous les services publics, d'un registre des réclamations.

II - ACTIONS DU MEDIATEUR

1. - Information des assurés sociaux sur l'accès à la retraite.

L'approche du départ à la retraite ouvre pour le travailleur une période difficile.

Outre le choc psychologique du changement, un certain nombre de contraintes vont peser sur lui : il va devoir accomplir des démarches pour " faire valoir " des droits que souvent il connaît mal dans un monde administratif ignoré de lui jusque-là - à partir de formules complexes... ; et il faudra de longs mois avant qu'il ne soit " consolidé " dans sa situation de retraité.

D'abord le candidat à la retraite apparaît généralement sous informé :

De nombreuses réclamations soumises au Médiateur montrent que bien des ressortissants du régime général de sécurité sociale (pour ne prendre que le régime de base) ignorent par exemple que pour obtenir la liquidation de leur pension, ils doivent souscrire une demande expresse à cet effet ; que c'est à eux qu'il appartient de déterminer le point de départ de leur retraite ; que l'âge de soixante-cinq ans ne signifie pas qu'ils doivent prendre leur retraite aussitôt, ni l'âge de soixante ans qu'ils doivent la prendre tout de suite après (CI. sur ce sujet, la proposition de loi récemment déposée à l'Assemblée nationale sous le numéro 2113, selon laquelle il serait permis aux assurés du régime général qui ont demandé à bénéficier d'une pension avant soixante-cinq ans de faire procéder à une nouvelle liquidation de leurs droits) ; que lorsqu'ils ont changé de secteur d'activité au cours de leur carrière, ils relèvent d'autant d'institutions de retraite différentes, et doivent faire valoir leurs droits auprès de chacune d'elles, séparément, etc.

Certes, les principaux organismes gestionnaires de l'assurance vieillesse ont accompli et développent encore un effort d'information important : diffusion de brochures et de dépliants - d'ailleurs généralement bien conçus ; mise en place de services d'accueil et de renseignements, etc. Mais la caractéristique de cet effort est de n'offrir aux assurés qu'une information du type " quérable ", c'est-à-dire de les obliger à se déplacer - même si on a pris soin d'établir à leur intention une carte des endroits où ils seront renseignés...

Or, comme le Médiateur l'a maintes fois souligné, la meilleure information est l'information du type " portable ", celle qui atteint le destinataire à coup sûr, et au moment où il est prêt à la recevoir, celle qui force son attention et provoque la demande au moment opportun. De plus, outre qu'il est évidemment du devoir de tout service publie d'organiser l'information au profit de ses administrés, c'est aussi de son intérêt : le dossier d'un administré qui a été informé personnellement, opportunément et aussi complètement que possible, s'instruit avec le minimum de démarches, de correspondances, de travail administratif.

Les appels au Médiateur montrent aussi que les délais de liquidation et de paiement des pensions sont encore trop souvent excessifs - en dépit des simplifications apportées par la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975, des envois périodiques d'informations qu'elle prévoit, et de la généralisation en cours des liquidations provisoires.

Dans bien des cas, ces délais, essentiellement imputables à la complexité des liquidations et à la surcharge des services, placent le futur retraité dans une situation financière difficile, alors qu'il ne dispose souvent d'aucun revenu pour vivre dans l'attente du premier versement. Cela pose le problème de l'acompte sur pension, dont bien des assurés ignorent qu'ils doivent en faire la demande expresse - à supposer même qu'ils sachent qu'ils peuvent en bénéficier.

Enfin, si la personne retraitée vient à décéder, son conjoint survivant a droit, sous certaines conditions et dans certaines limites, à une pension de réversion. Mais cette pension, trop souvent, se fait attendre pendant de longs mois, jusqu'à un an et davantage : c'est que l'opération, simple apparemment puisqu'elle consiste à appliquer à la pension initiale un pourcentage de réduction, est en effet retardée par la nécessité de prendre en compte les ressources du survivant et ses droits à majoration dans le cadre de la réglementation sur les cumuls, telle qu'elle résulte en dernier lieu de la loi précitée du 3 janvier 1975 et du décret n° 75-109 du 24 février suivant.

Mais là encore, la cause primitive du retard peut être l'ignorance du survivant, qui ignore ses droits et ne sait pas à qui s'adresser.

En dépit des difficultés incontestables qu'entraîne la complexité sans cesse croissante de notre législation sociale, l'administration et les institutions de retraites ne peuvent rester insensibles à de telles situations. Elles ne peuvent se contenter d'une attitude de simple " liquidateur ". A l'administré en difficulté, elles doivent faciliter les démarches ; à son bénéfice, elles doivent s'efforcer d'éliminer les causes de retard. Anticipant sur la date de la retraite... ou sur le décès du retraité, elles doivent se donner les moyens d'un calcul rapide des droits. Surtout, elles doivent fournir aux intéressés, en temps utile, l'information nécessaire - sous sa forme " portable ", il faut le répéter.

Comme on l'a dit, un certain nombre de caisses ou d'institutions œuvrent déjà dans le sens souhaité. Mais l'expérience du Médiateur en ce domaine, appuyée sur l'examen de cas extrêmement nombreux, et souvent douloureux, met en évidence ce fait qu'une amélioration radicale de la situation actuelle exige un effort convergent de tous les organismes gestionnaires de l'assurance vieillesse, la mise en œuvre simultanée des techniques d'information, de préliquidation et de paiement les plus performantes, à partir, notamment, des expériences faites par les organismes les plus avancés dans cette recherche.

C'est en ces termes que le Médiateur a présenté, dans une proposition de réforme (Référence : " SYN 2 ") intitulée " L'accès à la retraite et ses difficultés ", et adressée le 18 mai 1976 aux ministres chargés du travail, de l'agriculture, du commerce et de l'artisanat, de l'industrie et de la recherche, ainsi qu'au secrétaire d'Etat aux transports et au ministre de l'économie et des finances, un important ensemble de suggestions, dont on trouvera ci-après une analyse qui ne peut malheureusement qu'être longue, étant donnée l'ampleur et la complexité des sujets étudiés.

1. Sur l'information des assurés sociaux avant le départ à la retraite.

a) Abordant pour commencer le contenu de cette information, la proposition précise que les points suivants devraient être très clairement mis en lumière :

Le candidat à la retraite doit savoir que :

- aucune pension de vieillesse ne peut être liquidée sans demande expresse préalable de son futur titulaire ;

- cette demande est faite sur un imprimé du modèle réglementaire ;

- il est indispensable que l'intéressé : signe la demande de pension et réponde à toutes les questions qui lui sont posées dans l'imprimé.

Le même candidat doit également se pénétrer des évidences suivantes - trop souvent méconnues dans la pratique :

- il existe un âge minimal d'admission à la retraite ; il n'existe pas d'âge limite ;

- en conséquence, l'intéressé peut fixer le point de départ de sa retraite à n'importe quel moment de son choix, à partir de la date à laquelle il atteindra l'âge d'admission ;

- ce point de départ, naturellement postérieur à la date de la demande, sera obligatoirement fixé au premier jour d'un mois; toutefois, la demande ne devra pas avoir été déposée plus de trois mois à l'avance. Si aucun point de départ n'a été fixé, la pension partira du premier jour du mois qui suivra le dépôt de la demande ;

- le taux de calcul de la pension s'accroît régulièrement (jusqu'à une date limite variable selon le régime) (1,25 p. 100 par trimestre, 5 p. 100 par an) en fonction de l'écart entre l'âge minimal d'admission et le point de départ choisi ;

- une fois la pension liquidée, ce taux ne peut plus être modifié.

Le candidat à la retraite doit recevoir aussi une information plus générale comportant :

- le rappel des trois paramètres en jeu dans le calcul de la retraite : salaire de base, durée d'assurance, point de départ ;

- des renseignements concis, mais précis, sur la détermination du salaire de base (éclaircir, en particulier, la notion des " dix meilleures années ") et sur celle de la durée d'assurance.

Il doit également savoir que :

- sauf les exceptions mentionnées ci-après, aucune liquidation de pension ne peut être reprise une fois qu'elle a été demandée par l'assuré dans les formes ci-dessus rappelées (C'est le principe de l'intangibilité des pensions une fois liquidées) ;

- ces exceptions sont les suivantes :

- erreurs matérielles constatées ;

- preuve apportée par l'assuré du versement de cotisations non prises en compte ;

- cas, prévu à l'arrêté du 31 décembre 1975, de la régularisation de cotisations arriérées non versées par l'employeur ;

- mais elles sont les seules. En particulier, le fait pour l'intéressé de reprendre ultérieurement une activité professionnelle ne lui ouvrirait aucun nouveau droit à pension.

Toutefois, s'il relève d'un ou plusieurs autres régimes que celui dans lequel il a demandé et obtenu la liquidation d'une pension, il peut (les réclamations parvenues au Médiateur montrent que cette possibilité n'est pas évidente pour tous les assurés) continuer à acquérir des droits à pension dans ce ou ces autres régimes, s'il continue là travailler après cette première liquidation.

Dans le cas des demandeurs de pension relevant de plusieurs régimes, l'information doit porter sur les points suivants :

- rappel du fait que la loi du 3 janvier 1975 a supprimé la " coordination" antérieurement organisée entre le régime général et certains autres ; ce rappel est nécessaire, car certains assurés croient que cette coordination existe encore ;

- il est donc plus que jamais opportun de signaler que, lorsqu'un assuré a été, dans le cours de sa vie active, simultanément ou successivement affilié à plusieurs régimes d'assurance vieillesse, il doit nécessairement présenter une demande de pension distincte à chacun des organismes gestionnaires de ses droits dans ces régimes ;

- chacune de ces demandes est, naturellement, soumise aux mêmes conditions de forme, et porte les mêmes conséquences que la demande dont il a été question ci-dessus.

En particulier, il n'est nullement obligatoire que le point de départ des pensions partielles demandées soit te même pour toutes, comme certains se l'imaginent ; le Médiateur a d'ailleurs eu connaissance du cas d'un artisan qui protestait contre la liquidation simultanée des fractions de sa pension globale.

Mais si l'intéressé opte pour un point de départ unique, il y a évidemment intérêt à ce qu'il souscrive et adresse ses différentes demandes de pension, sinon le même jour, du moins à l'intérieur d'un intervalle de temps suffisamment restreint.

Le candidat à la retraite doit enfin savoir qu'il peut, dans la grande généralité des cas, obtenir une retraite complémentaire :

En effet, depuis la loi n° 72-1223 du 23 décembre 1972 (art. 11", alinéa 1), les catégories de salariés assujettis à l'assurance-vieillesse du régime général ou des assurances sociales agricoles, qui ne relèvent pas déjà d'un régime complémentaire de retraite gérée par une institution autorisée (en vertu de l'article L. 4 du code de la sécurité sociale ou de l'article 1050 du code rural), sont affiliés obligatoirement à une de ces institutions.

Il importe donc que les organismes gestionnaires des régimes obligatoires informent tous les candidats à la retraite de l'existence de ces dispositions, et invitent chacun d'eux à constituer un dossier auprès du ou des régimes complémentaires dont il relève, en s'adressant selon le cas :

- soit aux centres d'information et de coordination de l'action sociale " (C. I. C. A. S.) installés par l'A. R. R. C. 0. dans chaque département, au niveau des différents régimes ou de leurs sections régionales ;

- soit au siège de l'Association générale des institutions de retraites des cadres (A. G. I. R. C.).

Les mêmes informations devraient faire l'objet d'une mention portée sur l'imprimé de demande de pension.

b) En ce qui concerne la rédaction du message, la proposition souligne que les éléments d'information ci-dessus énumérés devront être transcrits dans un langage immédiatement intelligible pour l'assuré.

Seront proscrits, notamment, tous vocables et tours " techniques ", et plus spécialement l'expression " avantage de vieillesse " qui donne lieu à de regrettables confusions, et qui, depuis la suppression de la " rente " par la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975, n'a plus aucune raison d'être employée - du moins à l'intérieur du concept de pension (Si son emploi devait être maintenu, du moins faudrait-il le restreindre au domaine des prestations " non contributives "). Même l'expression " les dix meilleures années " a pu être mal interprétée : il faudra donc l'expliciter.

On évitera aussi l'emploi des sigles, sauf lorsqu'ils auront été, au moins une fois, antérieurement développés dans le texte. En outre, la rédaction sera personnalisée au maximum (suppression des tours impersonnels, etc.).

c) Passant enfin aux modalités d'émission (choix du moment et choix du support) de l'information précédemment décrite, la proposition développe les considérations suivantes :

- il apparaît que le moment le plus favorable (du moins une première fois) pour émettre l'information dont il est question, devrait se situer dans l'année précédant celle au cours de laquelle l'assuré atteindra l'âge minimal d'admission à la retraite (soit, en général, dans l'année de son cinquante-neuvième anniversaire).

Mais il arrivera fréquemment que l'assuré décide de ne pas prendre sa retraite à l'âge minimal, mais plus tard. Dans cette perspective, il sera bon de le réinformer le moment venu.

Pour se limiter toujours au cas des ressortissants du régime général et de la mutualité sociale agricole, cette seconde information aurait bien sa place dans l'année précédant le soixante-cinquième anniversaire de l'assuré, cet anniversaire, sans représenter une limite d'âge, constituant quand même une étape importante dans la vie de l'assuré.

- par ailleurs, il paraît expédient de joindre aux renseignements généraux sur le droit à la retraite un des relevés de compte que les organismes gestionnaires de l'assurance-vieillesse sont tenus, depuis la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 (art. 20) d'adresser périodiquement à leurs assurés.

Cet envoi simultané mettrait en effet sous les yeux du destinataire tous les problèmes que pose à celui-ci le passage à l'état de pensionné, en lui indiquant clairement les moyens de les résoudre.

Effectué au moment opportun (cf. ci-avant), il lui laisserait un temps suffisant pour apporter les éléments nécessaires à la rectification éventuelle de son compte.

Mais on peut également songer à prendre pour support de cette information générale l'envoi à l'assuré du résultat de la " préliquidation " ou du " précalcul " de sa retraite.

En définitive, les suggestions suivantes sont avancées :

Dans tous les cas où la préliquidation est actuellement réalisable, l'information générale sur la retraite est jointe à l'envoi du résultat du calcul, et du relevé de compte qui l'accompagne.

Cet envoi est effectué dans l'année du cinquante-neuvième anniversaire (cas général) de l'assuré.

Dans les autres cas, l'information en question est jointe à l'envoi d'un relevé de compte de l'assuré, envoi effectué à la même époque.

Quant à la seconde émission de l'information générale, elle a nécessairement pour support l'envoi d'un relevé de compte effectué dans la soixante-quatrième année (cas général) de l'assuré, puisque la préliquidation, quand elle est réalisable, est faite une fois pour toutes à cinquante-neuf ans.

2. Sur l'accélération de la liquidation des pensions de vieillesse.

La proposition rappelle à ce sujet qu'outre les simplifications apportées par la loi du 3 janvier 1975 et les décrets subséquents, trois principaux moyens de hâter la liquidation des pensions apparaissent aujourd'hui à la disposition ou à la portée des organismes gestionnaires de l'assurance vieillesse :

- l'envoi périodique d'informations prévu à l'article 20 de la loi précitée ;

- la généralisation du système de la préliquidation des pensions ;

- l'organisation, suggérée précédemment et sur laquelle on ne reviendra plus, d'une information générale préalable au départ à la retraite : un candidat à la retraite pleinement informé de ses droits, opérant ses choix en toute connaissance de cause, évitera les erreurs et les démarches inutiles, ce qui ne peut qu'aider au règlement rapide de sa situation.

En ce qui concerne les informations périodiques prévues par la loi du 3 janvier 1975, le Médiateur estime qu'il faut assurer à leur émission une périodicité suffisamment élevée : dans l'avenir, l'intervalle entre deux envois successifs devrait être au plus égal à cinq ans.

En ce qui concerne la préliquidation des pensions, la proposition relève un certain nombre de différences entre les procédures mises en œuvre par la caisse nationale d'assurance-vieillesse des travailleurs salariés, d'une part, et l'institution de la mutualité sociale agricole, d'autre part.

Elle ajoute qu'il y aurait intérêt à ce que les procédures en usage dans les deux régimes soient, dans la mesure du possible, unifiées, notamment en ce qui concerne l'articulation des opérations " information " et " envoi des résultats de la préliquidation ", car un même salarié peut relever successivement de deux régimes, et la dualité des informations peut l'induire en erreur.

Mais, qu'il s'agisse de l'envoi des informations prévues par la loi du 3 janvier 1975 ou des opérations de préliquidation, tout dépend du degré d'équipement informatique des organismes gestionnaires, et aussi des performances du système utilisé.

Là encore, on pourrait s'étonner de ce qu'il n'y ait pas d'unité dans les calendriers établis, ni peut-être dans les techniques employées par les organismes ci-dessus visés ; mais l'autonomie des régimes n'est pas de nature à favoriser une concertation sur ce point entre leurs gestionnaires. A tout le moins, chacun de ces régimes devrait être invité à développer un effort important, en vue de parvenir à une mise en place plus rapide des équipements en cours d'installation.

3. Sur les conditions de payement de l'acompte sur pension.

Selon les dispositions réglementaires en vigueur, le versement d'un acompte sur la pension est subordonné à une demande expresse de l'assuré en instance de liquidation de pension.

Mais des réclamations soumises au Médiateur ont permis de constater à plusieurs reprises :

- soit que les assurés ignoraient cette possibilité de demander un acompte ;

- soit que, l'ayant demandé, ils devaient dans certains cas en attendre le versement pendant plusieurs mois, ce qui ne paraît pas tolérable.

Le Médiateur fait ici observer que l'accélération générale de la liquidation des pensions, par l'emploi des moyens énumérés plus haut, permet d'ores et déjà d'envisager un état de fait qui rendrait possible, en droit, le versement automatique d'un acompte sur toute pension, dans des conditions et limites à définir.

Mais tant que devront être maintenues les dispositions qui subordonnent l'octroi d'un acompte à une demande expresse de l'assuré, celui-ci devra, à tout le moins, être informé de leur existence.

Cela pourrait se faire :

- en ajoutant à l'information d'ensemble décrite ci-avant la mention de ces dispositions ;

- en joignant ou en intégrant à l'imprimé de demande de pension une formule, annexée ou détachable, de demande d'acompte sur pension, imprimée en caractères suffisamment apparents.

4. Sur le cas particulier des pensions de réversion : information du survivant éventuel, conditions de liquidation et de payement.

La proposition rappelle que les conditions de jouissance et d'exercice du droit à pension de réversion, telles qu'elles ont été fixées en dernier lieu par la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 (art. 1, 2 et 5) et par le décret n° 75-109 du 24 février 1975 (art. 3 à 7), rendent nécessairement complexe la liquidation des pensions de ce genre. Surtout, cette liquidation est affectée d'un certain caractère aléatoire, puisqu'elle dépend d'une initiative du survivant, lequel peut ne pas être informé de l'existence - pour ne pas parler de la consistance exacte - de son droit.

Il y a donc d'abord, en cette matière, un effort d'information à entreprendre et développer, effort d'autant plus délicat qu'il s'agit d'atteindre l'éventuel survivant par l'intermédiaire d'un titulaire bien en vie... mais d'autant plus nécessaire que, sans lui, l'espèce de punition infligée au conjoint survivant qui n'a pas demandé sa pension de réversion dans l'un des délais fixés à l'article 5 du décret précité du 24 février 1975 - dans ce cas, la pension ne peut partir que du premier jour du mois suivant la réception de la demande - continuerait à apparaître comme dépourvue de toute justification imaginable.

La proposition envisage à cet égard :

1° Que la notification d'attribution d'une pension de vieillesse comme le titre de retraite destiné à être conservé par le pensionné portent une mention indiquant :

a) Qu'en cas de décès du titulaire, le conjoint survivant peut obtenir, dans certaines conditions et limites, une pension de réversion ;

b) Que lorsque le titulaire a disparu de son domicile, et que plus d'un an s'est écoulé sans qu'il ait réclamé les arrérages de sa pension, le même conjoint survivant peut obtenir la liquidation provisoire de ses droits à pension de réversion ;

c) Que si l'une ou l'autre de ces éventualités se produisait, le conjoint devrait se mettre en rapport avec l'organisme qui servait la retraite, en indiquant le numéro figurant sur la notification ou sur le titre de retraite, ou en joignant le coupon du dernier mandat reçu, et en précisant le cas échéant le ou les régimes de retraites dont il bénéficie à titre personnel ; d'autre part, qu'il aurait intérêt à faire cette démarche soit dans l'année suivant le décès, soit dans le délai d'un an suivant la période de douze mois écoulée depuis la disparition.

2° Que des indications analogues, quoique plus brèves, soient portées sur l'avis des sommes versées au pensionné et déclarées à l'administration fiscale, établi chaque année par l'organisme payeur de la retraite.

3° Que l'information préalable au départ à la retraite, mentionnée précédemment, comporte également une partie consacrée à la réversion éventuelle de la pension.

4° Que les caisses primaires de sécurité sociale, qui sont généralement informées du décès d'un assuré (pensionné ou non) et dont elles connaissent l'adresse, soient invitées à informer le conjoint du pensionné décédé de ses droits éventuels à une pension de réversion, en lui donnant toutes indications utiles.

Une fois le contact établi avec le conjoint survivant, et la demande de pension déposée, apparaissent les difficultés signalées plus haut, et qui tiennent à la complexité des règles applicables en matière de pension de réversion.

Mais, quelles que puissent être ces difficultés, il est déplorable, comme le Médiateur a eu plusieurs occasions de le constater, qu'un veuf ou une veuve puisse attendre un an et plus l'attribution de sa pension de réversion. S'il n'est malheureusement pas possible, en ce domaine, d'envisager le payement d'acomptes sur la pension, à tout le moins faut-il souhaiter que dans le processus général d'accélération de la liquidation des pensions, une place particulière soit faite aux pensions de réversion, par exemple par la mise en œuvre de procédures d'urgence spéciales à la matière.

5° Sur la nécessité, d'une information relative aux bases de la liquidation.

Le retraité a le droit de connaître et les bases retenues pour la liquidation et les modalités du calcul. S'il est un domaine dans lequel le droit de l'administré à l'information ne peut être discuté, c'est bien celui-ci. A une époque où les services fiscaux donnent aux contribuables des informations détaillées sur le calcul de son impôt sur le revenu annuel, il n'est pas concevable que le retraité ne soit pas en mesure de vérifier l'exactitude des calculs dont vont dépendre les revenus de toute sa vieillesse.

La communication de ces informations ne devrait pas soulever de difficulté majeure ni provoquer de dépense excessive puisqu'elle pourrait être assurée par simple photocopie de la feuille de calcul qui figure au dossier de liquidation.

6° Il ne paraît pas utile de reprendre ici les développements consacrés au problème très technique que pose la survivance du système de la " coordination " entre régimes, au regard de la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 (§ VI de la proposition étudiée).

7° Sur la nécessité d'une concertation entre les principaux régimes de retraite.

Dans la mesure où le candidat à la retraite ou à la pension de réversion peut être appelé à faire valoir ses droits à l'égard de plusieurs régimes différents, il est indispensable que les informations qu'il en recevra soient cohérentes entre elles, et, si possible, lui parviennent selon le même calendrier.

D'autre part, le fait que de réels progrès aient été faits récemment par différents régimes ou soient en cours à leur initiative, donne naturellement à penser qu'il serait extrêmement souhaitable que soient confrontées, expériences, techniques et modalités d'information.

Pour ces deux raisons, et dans la mesure où les propositions ci-dessus seraient acceptées, le Médiateur estime qu'il serait utile qu'une rencontre soit organisée au plus haut niveau possible entre les dirigeants des principaux régimes de retraite (régimes de base et régimes complémentaires). Les services du Médiateur seraient prêts à participer à cette rencontre.

La proposition de réforme ci-dessus analysée a reçu dans l'ensemble un accueil très encourageant, et les premières rencontres entre responsables, à la diligence du Médiateur, pourraient avoir lieu dans un avenir proche.

Aussi le Médiateur fonde-t-il de grands espoirs sur la réussite de cette très importante action d'information.

2. - Information des ressortissants du code des pensions civiles et militaires de retraite en ce qui concerne la majoration de pension pour enfants à laquelle ils peuvent avoir droit.

Dans une proposition de réforme (Référence " FIN 76-15 ") adressée au Premier ministre ainsi qu'aux ministres chargés de l'intérieur, de l'économie et des finances, et du travail, le Médiateur faisait observer que selon la législation en vigueur, la majoration de pension pour enfant(s) ne peut en aucun cas être attribuée à la diligence de l'administration, mais seulement sur la demande expresse du pensionné : or les intéressés sont souvent mal informés de cet état de choses.

Il lui paraissait donc souhaitable, ou bien de faire en sorte que les pensionnés soient dorénavant pleinement informés des obligations qui leur incombent sur ce point, ou bien, ce qui semblait infiniment préférable, de rendre automatique l'attribution de la majoration en question.

La situation familiale du pensionné étant parfaitement connue de l'administration, puisqu'il est tenu de l'indiquer sur sa demande de pension, l'attribution automatique de la majoration de pension ne devait entraîner aucune difficulté excessive pour les services liquidateurs.

D'une manière générale, le Médiateur rappelait que c'est un devoir pour l'administration, consubstantiel même à la notion de " service public ", que d'informer d'elle-même, et par tous les moyens possibles, chaque administré de ses droits.

Il ajoutait que subordonner l'attribution d'une majoration de pension à la présentation d'une demande conduit à compliquer la procédure d'une formalité inutile, dont l'oubli pourra, cependant, être sévèrement sanctionné pendant toute la durée de la retraite. Au reste, formuler une telle exigence serait affirmer implicitement que le désir du retraité de bénéficier des majorations pour enfant(s) ne peut être présumé.

Il suggérait, en conséquence :

- de rendre automatique l'attribution de la majoration pour enfant(s) dans les cas prévus à l'article L. 18 du C.P.C.M.R. et au décret n° 66-809 du 9 octobre 1966 ;

- de généraliser cette mesure à tous les cas semblables, et notamment à ceux couverts par les dispositions analogues du code de la sécurité sociale.

La réponse du ministère des finances à cette proposition a été négative. Mais le Médiateur n'entend pas, dans cette affaire, rester sur un échec : en admettant même que certains arguments d'ordre technique puissent être opposés à l'automaticité suggérée, il faudra lui prouver que l'information de ces pensionnés, telle qu'elle est actuellement organisée, ne soulève aucune critique.

3. - Amélioration de l'information des demandeurs de permis de construire.

Dans une proposition de réforme adressée au ministre de l'équipement, le Médiateur développe les considérations suivantes :

L'article R. 421-12 du code de l'urbanisme dispose que les demandes de permis de construire font l'objet d'un accusé de réception informant le pétitionnaire que, faute pour lui d'avoir reçu notification de la décision dans le délai qui lui est indiqué, le permis sera considéré comme lui ayant été octroyé tacitement. Le formulaire imprimé porte en caractère gras : " Si aucune décision ne vous a été adressée avant cette date, la présente lettre vaudra permis de construire et les travaux pourront être entrepris conformément au projet déposé. "

Mais l'application de ce texte ayant soulevé de nombreuses difficultés, l'administration, se fondant sur la jurisprudence élaborée en la matière par le Conseil d'Etat (arrêt Roulin, du 1er juin 1973), fut amenée à diffuser une circulaire ministérielle selon laquelle :

- un permis de construire tacite peut être retiré comme un permis de construire explicite s'il est entaché d'illégalité, et dans le délai de recours contentieux ;

- un refus de permis de construire signifié tardivement doit être regardé comme un retrait du permis de construire tacite, que l'arrêté ait été pris avant ou après la date limite du délai d'instruction du dossier.

Dans une affaire soumise au Médiateur, l'intéressé avait demandé l'autorisation de construire un chalet préfabriqué. Aucune décision ne lui étant parvenue le 7 avril 1975, date mentionnée dans la lettre du 6 mars lui accusant réception de sa demande, il s'était cru fondé à entreprendre sa construction, mais, le 10 avril, lui était notifié un arrêté de refus. Le chalet était alors terminé et le réclamant se voyait dans l'obligation de le démolir.

Certes, le nombre de permis tacites est infime, comparativement à celui des dossiers instruits ; et par ailleurs, dans la plupart des cas, il y a peu de risques que les travaux soient avancés lorsque intervient la notification tardive d'un refus ou la décision de retrait. Il arrive toutefois, comme dans cette espèce, que les travaux concernant les constructions légères préfabriquées, qui peuvent être réalisées en quelques jours, soient déjà menés à leur terme. Le constructeur se trouve alors en infraction avec la législation sur le permis de construire, donc passible de poursuites, et il ne lui reste plus qu'un seul recours, celui d'attaquer l'Etat en responsabilité en invoquant le préjudice subi.

Pour résoudre le cas particulier, le Médiateur a demandé au préfet compétent d'examiner la possibilité d'accorder une dérogation en faveur du réclamant.

Mais sur un plan général, il est apparu indispensable que les bénéficiaires d'un permis tacite soient mis en garde, par une meilleure information, contre le risque ainsi encouru.

A la suite de cette proposition, le ministre de l'équipement s'est montré d'accord pour remanier dans le sens souhaité l'ensemble des imprimés relatifs au permis de construire.

4. - Amélioration de l'information des administrés en matière d'expropriation.

Le Médiateur a adressé le 11 juin 1976 aux ministres de l'intérieur, de la justice, de l'équipement et de l'économie et des finances une proposition de réforme (Référence " SYN 1) intitulée " L'administré devant l'expropriation pour cause d'utilité publique ; quatre problèmes liés ".

Or, deux de ces problèmes sont des problèmes d'information :

1. L'un a trait à l'insuffisance de l'information de l'administré dans la phase judiciaire de l'expropriation.

Il est arrivé que le montant d'une indemnité d'expropriation soit fixé par le juge au chiffre proposé par l'expropriant, faute par l'exproprié d'avoir déposé des conclusions en son nom - chose qu'il ignorait pouvoir faire.

Pour éviter le retour de pareilles situations, le Médiateur avait proposé au ministre de la justice que les pouvoirs du juge de l'expropriation soient accrus : il s'est heurté à un refus, fondé sur le principe de l'immutabilité des litiges.

Dans la proposition de réforme en question, le Médiateur prend acte de ce refus, mais estime qu'à tout le moins, des mesures devraient être prises pour qu'il soit assuré que, dans toute procédure juridictionnelle d'expropriation, l'exproprié a été clairement informé :

1° De ce qu'à défaut d'un contre-mémoire de sa part, le juge se prononcera sur l'estimation de l'expropriant ;

2° Que son contre-mémoire n'est soumis à aucune règle de forme ;

3° Qu'il peut prendre part en personne aux débats oraux devant le tribunal ;

4° Que l'intervention d'un " homme de loi " ne lui est pas nécessaire.

Il serait indispensable, ajoute-t-il, que le " message " contenant cet ensemble d'informations soit émis à destination de l'administré au moment où celui-ci sera le mieux à même de s'y intéresser pour en faire son profit.

Ce moment pourrait être celui de la notification au futur exproprié de l'estimation établie par l'administration des domaines.

La réponse du ministre de l'équipement à ces suggestions a été la suivante :

Une codification des textes - reconnus fort complexes - relatifs à l'expropriation, est en cours.

A l'occasion de la sortie de ce code, le ministre se propose de donner des Instructions aux préfets pour assurer dans les meilleures conditions l'information des expropriés quant à la procédure de fixation ides indemnités par la juridiction d'expropriation.

Il sera en outre recommandé aux préfets de ne pas manquer, en adressant leurs arrêtés de cessibilité aux expropriés, de demander à ceux-ci de joindre à leurs offres d'indemnités aux expropriés une notice - ayant pour but, d'une part, de les renseigner de façon claire et précise sur les diverses opérations qui seront accomplies, sur leurs droits et obligations et sur les conséquences de leur abstention, d'autre part, de leur indiquer le nom de l'agent auprès duquel ils peuvent... obtenir des précisions complémentaires.

Quant au ministre de la justice, il fait lui aussi référence dans sa réponse à la codification en cours, mais ajoute qu'il serait concevable que soient diffusées dans le public ou mises à sa disposition des brochures comportant l'énoncé des principales règles de la procédure d'expropriation. Certains organismes ont déjà réalisé des publications intéressantes à cet égard, et l'on peut espérer, comme le souhaite la Cour des Comptes, qu'une telle pratique va se généraliser.

Par ailleurs, le garde des sceaux a mis à l'étude - bien que la question lui paraisse délicate - la possibilité de rappeler les règles essentielles de la procédure dans le mémoire notifié par l'expropriant.

2. Le second problème est né de l'insuffisante information des administrés sur le régime fiscal de l'indemnité d'expropriation.

Le Médiateur suggérait ici de prendre toutes dispositions utiles afin que les personnes expropriées soient pleinement informées des modalités de calcul et d'imposition des plus-values qui pourraient être réalisées.

De nombreux dossiers montrent en effet que l'administré exproprié est très surpris de découvrir après coup que son éviction le rend imposable pour les plues-values. Les uns pensent que la nécessité de remplacer l'indemnité écarte toute amputation de cette indemnité ; les autres croient que n'indemnité a été calculée nette de tout impôt.

Le Médiateur estimait donc indispensable qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur le régime fiscal de l'indemnité - ou du prix de cession.

L'information correspondante devrait être jointe à la notification de l'estimation des domaines - ou à l'offre du prix définitif.

La réponse à ces suggestions n'est pas encore parvenue.

III. - ACTIONS DES ADMINISTRATIONS ET ORGANISMES DIVERS

Le Médiateur n'est évidemment pas en mesure de rendre compte de toutes les actions qui sont menées, en France, dans le but d'améliorer l'information des administrés.

Aussi devra-t-il se contenter de citer celles dont il a eu connaissance, et qui lui ont paru les plus marquantes.

1. - Actions des institutions de sécurité sociale.

On se contentera de les mentionner ici pour mémoire, tant il en a été parlé auparavant, ainsi que dans le rapport de synthèse qui précède et dans le rapport du Médiateur pour l'année 1975.

Toutefois, deux affaires particulières méritent d'être citées, car elles montrent que certaines de ces institutions avaient ou ont encore un gras effort à faire pour que leurs ressortissants soient informés de façon satisfaisante :

- Dans le cas n° II-262, la réclamante était morte sans avoir pu obtenir d'une caisse interprofessionnelle de retraite le versement des arrérages de la pension qui lui aurait été due dès 1960 si elle avait demandé sa retraite à temps : elle n'avait en effet formulé sa demande qu'en 1974 (à l'âge de soixante-dix-neuf ans) alors qu'elle aurait pu le faire dès l'âge de soixante-cinq ans.

Le refus de l'organisme en cause était justifié par les dispositions du règlement général de la " fédération nationale des institutions de retraites par répartition ", qui prévoient que les retraites ne peuvent prendre effet que du jour du dépôt de la demande.

Toutefois, l'enquête menée à propos de cette affaire, sur la demande du Médiateur, par l'inspection générale des affaires sociales, a révélé qu'un bon nombre de ressortissants possibles de l'organisme en cause perdaient leurs droits à une retraite complémentaire parce qu'ils ignoraient l'existence de ces droits.

Pour éviter de pareilles situations, l'organisme a entrepris un important effort d'information, notamment avec l'aide des " centres d'information et d'action sociale ". Il a également systématisé dans sa région la tenue de permanences jumelées avec celles des organismes de sécurité sociale, et entrepris une campagne d'information par voie d'affiches et de communiqués dans la presse locale ou à la radio.

- Dans la seconde affaire (n° II-158), tout à fait analogue, le réclamant n'avait pu obtenir les arrérages d'une pension de vieillesse agricole à laquelle il aurait pu prétendre depuis plusieurs années s'il avait formulé sa demande à temps.

Mais ici, l'organisme en cause était une caisse de mutualité sociale agricole, et il est pour le moins curieux de lire, sous la plume du ministre de l'agriculture, que les caisses dépendant de la mutualité sociale agricole - institution qui se pique, pourtant, d'avoir atteint une sorte de perfection en matière d'information - ne sont pas en mesure " d'informer individuellement les assurés du fait qu'ils atteignent l'âge normal d'ouverture du droit à la retraite ".

Or c'est précisément ce que leur demande de faire (entre autres) comme à tous les organismes gestionnaires d'un régime d'assurance-vieillesse - la proposition de réforme sur " l'accès à la retraite et ses difficultés " analysée plus haut.

Il est vrai qu'en l'espèce, le réclamant était maire de sa commune, ce qui permet, au cas particulier, de passer condamnation. Mais la question sera suivie, on s'en doute, sur le plan général.

2. - Actions du secrétariat d'Etat à la santé en matière d'information, des personnes âgées.

Le secrétaire d'Etat à la santé n'était pas directement concerné par la proposition de réforme ci-avant analysée, sur " l'accès à la retraite et ses difficultés ". Mais, il en a eu communication, et à cette occasion a bien voulu faire part au Médiateur de ce qui est réalisé pour l'information des personnes âgées.

Il existe, depuis 1969, des " comités départementaux d'information des personnes âgées ". Ce sont des lieux de rencontre ouverts à tous ceux qui s'intéressent à ces personnes ; leur action s'est orientée dans trois directions :

- recherche des besoins en information, afin d'aider les informateurs des personnes âgées, et les personnes âgées elles-mêmes qui attendent des renseignements pratiques en diverses matières ;

- coordination des efforts tendant à l'élaboration de l'information nécessaire sur le plan local, par la réalisation d'opuscules, d'affiches, de guides et la création de permanences ;

- participation à la diffusion de cette information.

A l'échelon local, ces comités poursuivent la mise en place d'informateurs proches de la population, qui sont particulièrement chargés d'aider et de guider les personnes âgées en leur assurant une information personnalisée, comportant notamment des adresses et des renseignements d'ordre local.

Un " comité national ", présidé par le secrétaire d'Etat, regroupe les différents organismes compétents ainsi que les associations nationales de personnes âgées.

Sa première mission a été de publier une brochure intitulée : " Pour mieux informer les personnes âgées " et diffusée à l'échelon national, ainsi qu'un bulletin de liaison des comités départementaux d'information des personnes âgées.

Cette action d'information va s'amplifier avec l'entrée en application du VIIe Plan.

Celui-ci prévoit notamment la possibilité de créer, dans des " secteurs d'action gérontologique ", des services locaux d'information des personnes âgées, et qui seront animés, de préférence, par les personnes âgées elles-mêmes, avec l'assistance de spécialistes ; le lieu d'implantation de ces services sera choisi de telle sorte que les personnes âgées puissent s'y rendre facilement. Leur action sera coordonnée avec celle des organismes d'information déjà existants.

Enfin, des actions de " préparation à la retraite " seront lancées également dans le cadre du VIIe Plan, lequel vise de façon générale à préserver et à développer la participation des personnes âgées à la vie sociale.

Les actions ci-dessus décrites ou annoncées sont tout à fait remarquables, mais on ne peut s'empêcher de noter qu'aucune place n'y semble faite à l'information du type " portable ". Mais sans doute les déplacements, aussi réduits soient-ils, imposés aux personnes âgées, constituent-ils un élément de cette participation à la vie sociale qu'on entend leur assurer.

3. - Amélioration des formulaires utilisés pour l'exonération de la taxe d'apprentissage en cas de versements effectués en faveur de l'enseignement technique ou professionnel.

De nombreux chefs d'entreprise se sont plaints au Médiateur d'avoir été imposés à la taxe d'apprentissage nonobstant l'existence, incontestable, des versements qu'ils avaient effectués au profit de divers organismes.

L'examen du problème a montré que ces difficultés disparaîtraient en grande partie moyennant quelques améliorations apportées aux divers formulaires utilisés en l'espèce par les ministères des finances et de l'éducation.

Tel a été l'objet principal de la proposition de réforme (Références FIN 76-17) adressée le 17 août 1976 à ces départements.

4. - Amélioration de l'information des personnes engagées dans une procédure judiciaire.

Dans l'affaire n° I-895, instruite par le Médiateur, bien qu'échappant en principe à sa compétence en vertu de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973, la réclamante, condamnée en première instance à la suite d'un accident de la route, se plaignait de n'avoir pu défendre ses droits, notamment en appel, faute d'avoir disposé d'une information précise sur les différentes étapes de la procédure engagée contre elle.

Or, il est apparu que les actes de cette procédure, et en particulier le jugement de première instance, lui avaient été régulièrement signifiés par huissier à son domicile, dont elle était absente.

En outre, à chacun de ses passages, l'huissier avait laissé l'avis réglementaire recommandant à l'intéressé d'aller retirer en mairie le double des significations faites.

On a pu constater à ce propos - assez paradoxalement d'ailleurs - l'intérêt des dispositions nouvelles qui ont substitué à l'ancienne lettre recommandée, qui doublait la signification lorsque celle-ci n'était pas faite " à la personne ", une lettre simple, au motif que celle-ci avait plus de chances d'atteindre son destinataire : s'il s'était agi de plis recommandés, on peut penser qu'en l'espèce, l'intéressée ne se serait pas davantage dérangée pour eux qu'elle ne l'a fait pour les lettres simples qui l'attendaient.

En définitive, la réclamation ne pouvait qu'être rejetée. Mais cette affaire a montré combien il apparaissait utile d'adresser au destinataire une copie supplémentaire de l'acte d'huissier dans la lettre qui double cet acte : ainsi, le destinataire pourrait savoir, dès avant le retrait du pli en mairie, qu'un délai court contre lui, à l'expiration duquel il ne pourra plus exercer de recours contre la décision signifiée.

Cette idée a été retenue par la commission chargée de la réforme du code de procédure civile, et se trouve aujourd'hui consacrée à l'article 658 du nouveau code.

5. - Amélioration de l'information des usagers de l'électricité.

A l'occasion de plusieurs réclamations, le ministre chargé de l'industrie a fait connaître au Médiateur qu'Electricité de France avait édité une brochure d'information " permettant aux usagers de trouver les réponses aux principales questions qu'ils sont amenés à se poser ".

Cette brochure est actuellement en cours de diffusion à tous les abonnés et candidats à un abonnement. Elle leur apporte un grand nombre de conseils pratiques qui doivent leur permettre, notamment en cas d'installation nouvelle ou de rénovation d'installation, d'éviter des erreurs importantes dans les choix qui leur sont offerts.

En particulier, les paragraphes intitulés " Comment s'effectuent le relevé et le paiement " de votre consommation, " Comment lire une facture ", " Qu'est-ce qu'une facture estimative ", ainsi que l'encart donnant les tarifs en vigueur, devraient permettre à ceux qui les liront d'être parfaitement informés des modalités de facturation et de contrôler leurs factures.

Il est de fait que cette brochure vient à point, comme en témoigne le cas de ce réclamant (affaire n° II-2532) qui avait pris l'habitude d'acquitter ses factures par mensualités.

La courant lui fut naturellement coupé. Mais, à la suite de l'intervention du Médiateur, E. D. F. accepta de l'exonérer des frais de coupure de courant et des frais supplémentaires occasionnés par le non-paiement des factures régulièrement établies à son nom.

SECTION III. - Les problèmes non résolus.

A lire ce qui précède, on pourrait penser que le problème de l'information administrative est en passe de recevoir une solution prochaine dans notre pays.

Et il est vrai que des progrès substantiels ont été faits, que les initiatives foisonnent.

Mais on aura remarqué aussi que ces initiatives consistent la plupart du temps dans la création ou le développement d'institutions spécialisées dans l'information.

Or, si de telles institutions ont leurs avantages - entre autres celui de rapprocher l'administration des administrés, et même, comme on l'a vu dans le cas des actions envisagées en faveur des personnes âgées, de les faire collaborer au sein d'organismes communs -, on ne peut nier non plus qu'elles soient coûteuses, de " rendement " incertain, et présentent une tendance naturelle à la prolifération. En tout cas, si leur création n'est pas a priori incompatible avec l'existence de cette information " portable " à laquelle le Médiateur est tellement attaché, il est de fait qu'elle en détourne l'attention, et risque d'en faire avorter le développement.

Par ailleurs, on aura noté également que deux problèmes semblent jusqu'ici parfaitement à l'abri du mouvement général de développement de l'information administrative : ce sont ceux que posent, d'une part, la non-motivation des décisions administratives et, d'autre part, la carence du système d'éducation de nos fonctionnaires en ce qui concerne le " devoir d'information " et l'importance de la relation administrant-administré.

C'est sur ces deux problèmes que, pour clore le présent chapitre, le Médiateur va tenter une fois de plus d'attirer l'attention, en montrant la nécessité et l'urgence de leur donner une solution.

I. - LE PROBLEME POSE PAR LA NON-MOTIVATION DES DECISIONS DE L'ADMINISTRATION

Dans son rapport de 1975 (p. 90), le Médiateur soulignait que la non-motivation des décisions qu'on leur oppose était en général très mal ressentie par les administrés.

Rappelant que ce problème, voisin de celui que pose la non-communication des documents administratifs, était tout aussi actuel, et tout aussi débattu - du moins par la doctrine -, il ajoutait que, sans méconnaître les difficultés auxquelles se heurterait une communicabilité généralisée des motifs, il lui apparaissait souhaitable qu'au moins les décisions de refus soient motivées, de manière que la contestation de la décision puisse porter sur les motifs qui l'ont inspirée.

C'est, rappelait-il, la solution adoptée dans certains des pays étrangers qui ont posé en règle générale de droit l'obligation de motiver. Mais on sait, précisait-il, que notre pays n'est pas dans ce cas, et qu'abstraction faite des textes qui imposent cette obligation dans des domaines spéciaux, c'est la jurisprudence qui s'efforce de la généraliser.

Il soulignait cependant que l'obligation de motiver ne saurait être absolue : dans tous les systèmes juridiques qui la posent en principe, il est exclu qu'elle puisse porter atteinte à des intérêts publics ou privés. De plus, lorsque la décision est favorable à l'intéressé, cette obligation ne s'impose pas avec la même force.

Sous ces réserves, il concluait que comme le " droit de la communication ", un " droit de la motivation " devrait être organisé, " également par une loi ", et " dans le cadre de la reconnaissance du " droit à l'information en général ".

Comme on va le voir, l'analyse des nouvelles réclamations sur ce thème, traitées en 1976, ne saurait modifier en rien les considérations qui précèdent, ni amoindrir la volonté du Médiateur de voir ce problème sortir enfin de l'ornière réserve faite, toutefois, du niveau des textes par lesquels sa solution pourrait être apportée (Comme on l'a vu, le problème voisin de la communication des documents détenus par l'administration est en voie de règlement par décrets).

Les plus notables de ces réclamations sont les suivantes :

- N° II-3105 : deux éducateurs scolaires contractuels dans un service médico-pédagogique se plaignaient de ne pouvoir obtenir, à la suite de leur licenciement sans motif par le directeur de cet hôpital, les allocations pour perte d'emploi qu'ils réclamaient.

Licenciés pour faute grave - refus d'appliquer le projet pédagogique défini par l'équipe responsable - et en raison de leur incapacité professionnelle, ces deux agents ne remplissaient en fait pas les conditions voulues pour pouvoir bénéficier de ces allocations, mais ils ignoraient le motif de leur licenciement.

Le Médiateur ne pouvait contester le caractère de gravité de la faute reprochée aux réclamants. Sensible toutefois au problème de la non-motivation des actes administratifs, il a déploré que le directeur de l'établissement n'ait pas jugé bon d'informer les intéressés des véritables raisons de leur licenciement - raisons qui faisaient obstacle au paiement de l'allocation pour perte d'emploi.

- N° I - 1497 : le réclamant se plaignait de l'attitude du secrétaire d'Etat chargé de la coopération, qui avait résilié son contrat au Gabon sans lui en fournir les raisons.

En réalité son contrat n'avait pas été résilié, mais avait pris fin normalement à la date prévue. Un projet de nouveau contrat a bien été soumis à l'intéressé, mais il n'a pu y être donné suite en raison des appréciations portées sur l'intéressé par les autorités représentant la France au Gabon.

- N° II - 1142 : à la suite d'une enquête sur place, l'inspection générale des affaires sociales a considéré que c'est à juste titre qu'avait été refusée aux réclamants l'autorisation d'ouvrir un établissement pour handicapés adultes mentaux : renseignements mauvais sur la moralité (escroquerie antérieure), buts uniquement commerciaux.

Dans ces deux dernières affaires également, l'administration n'avait pas pris la peine de motiver sa décision ; était-ce pour ne pas en faire aux personnes frappées ?

L'argument tiré de l'inopportunité de la motivation doit, semble-t-il, être manié avec précaution. De toute façon, un " coupable " devrait pouvoir supporter la lecture de la faute qui lui est reprochée.

II. - LA FORMATION DES AGENTS PUBLICS AUX CONCEPTS ET AUX IMPERATIFS DE LA COMMUNICATION ADMINISTRATIVE

Il apparaît que cette formation devrait être centrée sur l'étude psychologique - plus ou moins poussée selon le niveau des élèves - de la relation administrant-administré, étude d'où émergerait avec force la notion de " devoir d'information ".

Le Médiateur n'est naturellement pas en situation de formuler des propositions très précises à cet égard.

Il lui semble toutefois que dès maintenant, un établissement comme l'école nationale d'administration pourrait prendre la tête du mouvement : il lui est en effet particulièrement facile de recruter, d'une part, les spécialistes de l'Université, d'autre part, les fonctionnaires qui animeraient le " cours de communication administrative ".

Le programme établi à cette occasion pourrait, par allégements successifs, être étendu aux autres établissements de formation ou de recyclage, de niveaux moins élevés.

En toute hypothèse, le Médiateur insiste pour que, le plus tôt possible, les pouvoirs publics consacrent solennellement - fût-ce seulement par la voie réglementaire - la nécessité et la finalité de ces formations et déterminent le cadre de leur organisation.

SECTION IV. - Conclusions.

Au terme de cette longue étude, le Médiateur ne peut que se féliciter des résultats déjà acquis, ou en passe de l'être, dans l'important domaine de l'information administrative.

Il considère comme essentiel le fait que la plupart de nos services publics aient pris conscience de l'urgente nécessité d'organiser l'information en question : cette organisation est aujourd'hui en marche, et le mouvement paraît irréversible.

Mais il doit insister auprès des pouvoirs publics, et de la plus instante façon, pour que le problème soit appréhendé dans sa globalité, et pour que, sans exception aucune, tous les axes d'action que, peut-être, seule la position particulière du Médiateur lui a permis de tracer, soient explorés sans retard et à fond.

Si le Gouvernement estime inopportun de faire déterminer par la loi les actions à mener, qu'à tout le moins les directives réglementaires prochaines viennent définir ces actions, mais, encore une fois, en situant chacune d'elles dans le cadre qui les englobe toutes.

 



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