Serveur d'Information Juridique
Réalisé par Alexis BAUMANN
Groupe de Recherches et d'Etudes Politiques
dirigé par Monsieur le Professeur Stéphane PIERRÉ-CAPS
L'ELECTION PRESIDENTIELLE DE 1995
Recueil des textes présentés lors de la journée d'étude du G.R.E.P. organisée le 21 octobre 1995 à la Faculté de Droit de Nancy.
LES AUTEURS
François BORELLA, professeur de droit public et de science politique à l'Université de Nancy II.
Thierry CHOFFAT, maître de conférences en science politique à l'Université de Nancy II.
Etienne CRIQUI, professeur de science politique à l'Université de Nancy II. Doyen de la Faculté de Droit.
Christelle DORGET, étudiante de 3ème cycle de science politique.
Olivier GALLAND, étudiant de 3ème cycle de science politique.
Bob KIRONGOZI, docteur en science politique.
François LAVAL, étudiant de 3ème cycle de science politique.
Léonard MATALA-TALA, doctorant en science politique.
Laura NAKIC, doctorante en science politique.
Dominique PERRIN, professeur d'histoire à l'Université de Nancy II.
Rolande PLACIDI, étudiante de 3ème cycle de science politique.
Olivier PRUGNEAU, maître de conférences associé en science politique à l'Université de Nancy II.
Philippe RIVET, doctorant en science politique. Journaliste à L'Est Républicain.
LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES EN LORRAINE DE 1965 A 1995
Dominique PERRIN
Les deux premières parties de cet article sont consacrées à examiner les résultats des élections présidentielles au niveau de la Lorraine prise comme un ensemble. Existe-t-il une spécificité lorraine, comment se situe la Lorraine par rapport aux résultats nationaux ?
Puis, dans une dernière partie, nous serons conduits à fractionner cet ensemble lorrain supposé pour examiner les particularités départementales et locales.
I) LES RESULTATS A L'ECHELLE REGIONALE : CARACTERES D'ENSEMBLE
L'étude des résultats électoraux à l'échelle régionale fait apparaître un certain nombre d'éléments que nous allons successivement examiner.
1) Une participation électorale forte
On sait que l'élection présidentielle est la consultation qui tend à mobiliser le plus les électeurs. La Lorraine s'inscrit tout à fait dans cette tendance. La participation électorale y est même en général un peu plus élevée que dans le reste du pays. Les mouvements en sens contraire sont rares : c'est le cas du premier tour des élections de 1969 ou du second tour de celles de 1995.
On peut toutefois relever dès à présent quelques nuances entre les différents départements. La participation électorale est régulièrement plus élevée dans la Meuse et dans les Vosges qu'en Moselle et en Meurthe-et-Moselle, ce dernier département étant le moins bien classé.
Les taux d'abstention sont plus élevés dans les départements les plus urbanisés, situation assez classique qui peut s'observer dans d'autres régions du pays. Cette remarque sur la participation électorale nous amène, en élargissant notre propos, à évoquer un deuxième caractère.
2) L'amplification des tendances nationales
Plusieurs remarques peuvent être faites :
-La tendance à une moindre dispersion des voix. Les électeurs lorrains ont tendance à concentrer, dès le premier tour, leurs suffrages sur les deux principaux candidats qui se retrouvent ensuite en compétition au second tour. Le trait est net jusqu'en 1981, mais cela devient beaucoup moins probant aux deux dernières élections.
-Ensuite et surtout, les mouvements qui se manifestent au niveau national sont souvent plus marqués en Lorraine. Le fait se repère très bien en 1965 où le pourcentage de suffrages qui se portent sur le général de GAULLE au 1er et au 2ème tour est nettement supérieur à la moyenne nationale. Le phénomène joue également en faveur de Georges POMPIDOU en 1969 puis de Valéry GISCARD d'ESTAING en 1974, mais dans des proportions moindres.
En 1981 en revanche, cette tendance à l'amplification des courants nationaux ne ne se manifeste guère au 1er tour. Au 2ème tour, la Lorraine se trouve en retrait par rapport au reste du pays en n'accordant qu'une très faible majorité à François MITTERRAND (un peu plus de 50% des voix).
Aux élections de 1988 et 1995, le fait principal est la très forte poussé du Front National dont le candidat obtient des scores nettement supérieurs à la moyenne.
La tendance à l'amplification des tendances nationales se manifeste également au 2ème tour de l'élection de 1988, où cette fois, la Lorraine vote plus fortement pour François MITTERRAND que l'ensemble du pays. En revanche, au 2ème tour de 1995, la majorité en faveur de Jacques CHIRAC est très étroite.
Les faits que nous venons d'évoquer nous conduisent à mettre en évidence un troisième caractère qui est assurément le plus important.
3) La prédominance de la droite
Il s'agit d'un fait majeur qui s'inscrit d'ailleurs dans un mouvement de longue durée, l'ancrage à droite de la Lorraine étant bien antérieur à la Cinquième République. Cette affirmation doit toutefois être nuancée par un examen plus approfondi. Il convient d'abord de préciser sur quelles bases ont été faites les évaluations destinées à mesurer le rapport droite-gauche.
Ont été regroupées les voix obtenues, au premier tour des diverses élections, par les candidats de droite et du centre. Cette méthode peut être jugée discutable car elle a tendance à surévaluer l'importance de la droite, mais elle est le seul moyen de pouvoir effectuer des comparaisons.
Sur cette base là, on peut distinguer, sur les 30 années considérées, trois périodes successives en regroupant deux par deux les six élections concernées.
* La première séquence est formée par les élections de 1965 et 1969 où les candidats de droite et du centre recueillent 72 à 73% des voix au 1er tour, soit dans les deux cas des scores sensiblement supérieurs à ceux obtenus pour l'ensemble du pays.
Le ou les candidats de gauche obtiennent à peine le quart des suffrages. Il est intéressant de noter que la gauche, qu'elle soit unie comme en 1965, ou divisée comme en 1969, obtient des scores identiques en pourcentage.
Si l'on détaille un peu, on peut constater :
-En 1965, la persistance d'une adhésion très marquée en Lorraine à la personne du général de GAULLE qui recueille environ 2/3 des suffrages au 2ème tour (soit 10 points de plus que la moyenne nationale). L'érosion de l'audience de l'ancien chef de a France Libre qui est apparue à l'occasion de ce scrutin est beaucoup moins sensible en Lorraine. C'est un point sur lequel nous reviendrons.
-En 1969, c'est à la fois le candidat gaulliste Georges POMPIDOU et le candidat centriste Alain POHER qui recueillent un pourcentage de voix supérieur à la moyenne nationale, le rapport entre le gaulliste et le centriste étant nettement plus favorable à ce dernier qu'en 1965, sans qu'il y ait ici d'écart par rapport à la situation nationale.
Il apparaît donc que la gauche, qui se présentait en ordre dispersé, n'a pas profité du départ du général de GAULLE de la scène politique.
* La deuxième séquence est formée par les élections de 1974 et 1981 où le rapport droite / gauche apparaît sensiblement plus équilibré.
Au premier tour de ces élections, les candidats de droite obtiennent certes la majorité absolue des suffrages en Lorraine, mais ne dépassent que faiblement la barre des 50%. La gauche unie (en 1974) ou divisée (en 1981) recueille 43 à 44% des voix.
Au deuxième tour, la victoire de Valéry GISCARD d'ESTAING en 1974 est plus nette en Lorraine qu'au niveau national, et le succès de François MITTERRAND en 1981 plus étroit. Mais on peut dire que le rapport des forces politiques n'est alors plus très différent en Lorraine de ce qu'il est dans le reste du pays. C'est là l'effet de la bipolarisation de la vie politique qui atteint à ce moment son maximum d'intensité.
* La troisième séquence est formée des élections de 1988 et 1995. L'examen des résultats des premiers tours révèle un paysage politique sensiblement transformé. Droite et gauche reculent sensiblement et se trouvent désormais à des niveaux inférieurs à la moyenne nationale.
En 1988, c'est la gauche qui obtient la majorité relative (40%) devançant nettement la droite, situation relativement inédite en Lorraine. Quant au score élevé de François MITTERRAND au 2ème tour, il dépasse à l'évidence l'audience réelle des partis de gauche.
En 1995, c'est la droite qui retrouve la première place, mais sa majorité reste relative. Quant à la gauche, son déclin électoral amorcé en 1988 s'amplifie. Cette évolution résulte de l'extraordinaire montée en puissance du Front National, déjà évoquée. Ce fait déjà très évident en 1988, a été confirmé et même accentué en 1995. Jean-Marie LE PEN recueille 17, puis 21% des suffrages au premier tour en Lorraine contre 14,45 - 15% dans l'ensemble du pays.
Cette évolution du rapport droite / gauche ne donne cependant qu'une vue globale du paysage politique lorrain. Il importe de pousser plus avant l'analyse.
II) LES PRINCIPAUX COURANTS POLITIQUES
L'objectif de cette deuxième partie est l'étude des principaux courants qui composent respectivement la droite et la gauche.
Là encore, nous nous attacherons surtout à l'examen des résultats des premiers tours qui apparaissent comme les plus significatifs, avant que ne se produisent les reports de voix qui caractérisent les seconds tours.
1) La droite
Elle se subdivise essentiellement en deux courants : le gaullisme et ce qu'on peut appeler par commodité la droite libérale.
* Le gaullisme.
L'audience électorale du gaullisme en Lorraine a connu une très sensible évolution. Elle est forte au temps du général de GAULLE lui-même, ainsi qu'on l'a déjà mentionné. Les départements lorrains figurent en bonne place parmi les départements qui accordent le plus de suffrages à Charles de GAULLE dès le premier tour (ils se classent tous dans les vingt premiers et la Moselle se situe même au 2ème rang) et la tendance se confirme au 2ème tour. Le soutien au général de GAULLE ne s'est pas démenti jusqu'à la retraite politique de ce dernier.
Au référendum du 27 avril 1969, trois départements lorrains sur quatre votent "oui" à une forte majorité. Seule la Meurthe-et-Moselle fait exception en votant "non" à plus de 56%. L'attitude de la Meurthe-et-Moselle est liée à des considérations strictement locales. Dans le cadre de l'organisation régionale prévue par le texte de la question référendaire, la ville de Metz s'était vue reconnaître officiellement le rang de capitale de la région lorraine. Il n'en avait pas fallu plus pour faire basculer la région de Nancy.
A l'élection de 1969, c'est encore le candidat gaulliste Georges POMPIDOU qui vient largement en tête dans les départements lorrains, en recueillant près de deux fois plus de voix que son adversaire centriste.
Mais à partir des années 70, l'audience du gaullisme connaît une baisse très marquée, qui s'est révélée tout à fait durable, puisque ses effets se sont faits sentir jusqu'à aujourd'hui.
En 1974, Jacques CHABAN-DELMAS n'obtient qu'un score très médiocre (11% environ soit 4 points de moins que la moyenne nationale). On est très loin des 48% des suffrages recueillis au premier tour en 1969 par Georges POMPIDOU.
Aux trois scrutins suivants, la situation des candidats gaullistes ne s'améliore que faiblement.
En 1981, trois candidats pouvaient se réclamer du gaullisme. Ils totalisent 18,75% des voix soit toujours moins que la moyenne nationale.
A trois reprises, Jacques CHIRAC se porte candidat, mais son score au premier tour ne varie pas de manière substantielle en Lorraine, passant de 15,7% des suffrages en 1981, à 17,8% en 1995, ce qui le place régulièrement en 2ème position parmi les candidats de droite.
* La droite non gaulliste.
La droite libérale connaît une évolution qui est en quelque sorte le négatif de celle du gaullisme.
Lors des deux premières élections de la série étudiée, le score obtenu en Lorraine par les candidats venus du centre, Jean LECANUET en 1965 et Alain POHER en 1969 se situent tout à fait dans la moyenne nationale avec respectivement 15 et 25% des suffrages.
En 1974 comme en 1981, Valéry GISCARD d'ESTAING s'affirme nettement comme le principal candidat de droite et obtient en Lorraine quelques uns de ses meilleurs résultats. Dans les deux cas, le résultat est supérieur à la moyenne, quoique moins nettement en 1981.
En 1988 et 1995, le candidat de la droite libérale reste en tête en Lorraine. Successivement Raymond BARRE et Edouard BALLADUR y devancent Jacques CHIRAC mais l'écart entre les deux candidats de droite est désormais très sensiblement réduit. L'écart est très faible en 1988, il s'accroît en 1995, d'autant qu'il faut tenir compte des quelques 4% des suffrages qui se sont portés sur Philippe de VILLIERS. 1
Il s'est donc produit une sorte de rééquilibrage entre les deux principaux courants de la droite parlementaire, lié notamment au phénomène déjà évoqué de la montée du Front National.
Au total l'évolution constatée vient rappeler que l'implantation du gaullisme en Lorraine n'a pas empêché la droite modérée, traditionnellement forte dans cette région, de conserver de solides positions, ce que confirmerait l'étude des scrutins législatifs et des élections locales.
2) La gauche
L'étude des forces de gauche à partir des résultats des élections présidentielles est plus délicate. Les points de comparaison manquent puisqu'à deux reprises, en 1965 et 1974, les principaux partis de gauche optent pour l'unité de candidature dès le premier tour. Néanmoins, il est possible de dégager les grandes lignes de l'évolution. Le tableau est, à vrai dire, sans grande surprise.
Au début de la Cinquième République, la gauche est très minoritaire en Lorraine, et elle le reste pendant toute la période gaullienne, comme le montrent les deux premières élections présidentielles au suffrage universel.
A cette relative faiblesse, il faut ajouter l'existence d'un déséquilibre entre les forces de gauche, au profit du parti communiste.
Cette situation se manifeste bien sûr à l'élection atypique de 1969 où le candidat communiste Jacques DUCLOS obtient plus du double des suffrages des deux candidats représentant la gauche socialiste.
Celle-ci se présente divisée. On peut noter que le candidat du PSU Michel ROCARD y devance légèrement celui de la SFIO Gaston DEFERRE, situation qui ne se produit que dans quelques départements situés dans des régions où le courant socialiste n'avait jamais été solidement implanté. On peut rapprocher à cet égard la Lorraine de l'Ouest du pays.
Les années 70 se caractérisent par une très nette progression des voix de gauche que traduisent dès 1974 les résultats obtenus par François MITTERRAND. Cette progression se double d'une évolution interne à la gauche - à savoir que le courant socialiste parvient à inverser en sa faveur le rapport des forces, mettant fin à un quart de siècle de prédominance communiste.
Perceptible dès les élections législatives de 1973, cette évolution est masquée un temps par l'unité de candidature de 1974. Mais elle se confirme ensuite, lors des élections présidentielles où le parti communiste présente son propre candidat. Au cours des années 80, les scores électoraux des candidats communistes sont en Lorraine régulièrement inférieurs à la moyenne nationale (c'était déjà vrai de Jacques DUCLOS en 1969), mais le déclin général qui affecte l'audience du parti communiste ne se produit pas dans cette région au même rythme. La diminution de l'électorat communiste en Lorraine, moins marquée que sur le plan national en 1981, s'accélère ensuite. L'audience du parti communiste se stabilise en 1995. Par rapport à 1988, le niveau atteint ne varie guère si l'on tient compte de la candidature de Pierre JUQUIN en 1988, qui a sans doute contribué à diviser l'électorat communiste.
Le fait le plus original en 1995 est le score de Lutte Ouvrière qui, en Lorraine, rejoint presque celui du Secrétaire National du parti communiste.
Le déclin du parti communiste s'est effectué, pour une part au moins, au profit de la gauche socialiste qui continue à progresser sensiblement au cours des années 80. Aux deux élections de 1981 et 1988, François MITTERRAND obtient en Lorraine, au 1er tour, des scores qui se situent dans la moyenne nationale 26,5% en 1981, 34% en 1988, soit à cette date, autant que les deux candidats de droite. D'un département à l'autre, les résultats sont sur ce point assez uniformes. Au 2ème tour, les suffrages communistes semblent s'être reportés très largement sur le candidat socialiste.
Les années 90 apparaissent beaucoup moins fastes pour la gauche socialiste. Après la débâcle des élections législatives de 1993 qui voient les candidats socialistes ramenés à 18% au 1er tour sur l'ensemble de la Lorraine, la candidature de Lionel JOSPIN aux élections de 1995 pourrait amorcer un redressement. Le candidat socialiste vient en tête en Lorraine au 1er tour avec 21,2%, devançant de peu le candidat du Front National. Au 2ème tour, il fait pratiquement jeu égal avec Jacques CHIRAC.
Au total, les élections présidentielles traduisent une évolution très contrastée de l'audience des partis de gauche en Lorraine. La situation au milieu des années 90 reste incertaine. Faut-il parler d'un nouvel étiage de la gauche ? S'agit-il ou non d'une tendance durable ?
Les résultats de l'élection de 1995 laissent la question ouverte.
III) LES PARTICULARITES DEPARTEMENTALES ET LOCALES
Nous avons jusqu'à présent étudié les résultats des élections présidentielles en considérant la Lorraine comme un tout. La réalité est en fait plus complexe. Il existe à l'intérieur de cet ensemble lorrain des différences qu'il convient de présenter.
Cette diversité interne de la Lorraine peut être étudiée à deux niveaux.
1) Le niveau départemental
Les quatre départements lorrains présentent entre eux de sérieux contrastes. Nous noterons d'abord que les écarts de résultats entre les départements sont d'une importance inégale suivant les élections. Ils atteignent leur maximum d'amplitude aux élections de 1965. On peut y relever des écarts de 15 points en pourcentage. Aux autres élections les écarts interdépartementaux sont plus limités et ne dépassent pas 5 à 6 points en pourcentage. La tendance générale est plutôt à une atténuation de ces différences.
* La Meurthe-et-Moselle
Sur les quatre départements lorrains, il en est un qui se distingue très nettement des autres, à savoir la Meurthe-et-Moselle sensiblement moins orientée à droite que les autres départements.
Cela apparaît dès 1965. Bien que venant très largement en tête avec 48% des suffrages au premier tour, le général de GAULLE y obtient un score nettement inférieur à ceux réalisés dans les autres départements, même s'il reste supérieur à la moyenne nationale. En revanche, François MITTERRAND y obtient ses meilleurs résultats de toute la Lorraine (30%).
Les résultats du candidat de gauche s'expliquent alors surtout par la forte implantation du parti communiste, ce que confirment les élections de 1969, avec le score obtenu par Jacques DUCLOS (21%) devançant très largement les candidats de la gauche socialiste. L'influence communiste se traduit aussi au 2ème tour par le niveau élevé de l'abstention (34%) à laquelle le parti communiste avait appelé.
L'orientation plus à gauche de la Meurthe-et-Moselle se manifeste clairement aux scrutins suivants en 1974 et en 1981 où l'on retrouve encore l'audience du parti communiste qui reste forte en Meurthe-et-Moselle avec un score supérieur à la moyenne nationale en 1981.
En 1974, François MITTERRAND fait pratiquement jeu égal avec les candidats de droite au premier tour, et l'emporte d'une courte tête au 2ème tour, situation sans équivalent dans le reste de la Lorraine.
En 1981, François MITTERRAND obtient au premier tour un pourcentage de voix sensiblement égal dans les quatre départements lorrains. Mais le désistement du candidat communiste contribue à le placer largement en tête au 2ème tour dans une Meurthe-et-Moselle qui retrouve ainsi que son originalité.
La situation se répète pratiquement en 1988, à cette différence près que cette fois François MITTERRAND vient largement en tête dans les quatre départements lorrains dès le premier tour. Au second tour, le candidat socialiste obtient à nouveau son meilleur score lorrain dans une Meurthe-et-Moselle où les candidats de la mouvance communiste ont conservé au 1er tour une certaine audience (9% des voix soit près de deux fois plus que la moyenne lorraine) malgré l'ampleur de l'érosion survenue dans les années 80. Mais le report des voix communistes ne permet pas d'expliquer à lui seul (pas plus d'ailleurs qu'en 1981) le résultat du second tour.
Enfin, en 1995, la Meurthe-et-Moselle conserve sa singularité en plaçant Lionel JOSPIN en tête aux deux tours de scrutin. Elle est le seul département lorrain à lui donner la majorité absolue au 2ème tour.
L'étude des résultats des candidats de droite en Meurthe-et-Moselle ne retiendra pas très longtemps notre attention dans la mesure où leur situation y reflète assez largement les tendances déjà mises en évidence pour l'ensemble de la Lorraine, avec la prédominance successive du gaullisme, puis de la droite libérale. Les suffrages obtenus par les candidats gaullistes y sont régulièrement inférieurs à la moyenne lorraine, il n'en va pas de même en général pour les candidats de la droite libérale. Toutefois en 1995, Jacques CHIRAC fait pratiquement jeu égal avec Edouard BALLADUR.
On notera enfin que la poussée du Front National pour importante qu'elle soit, lors des deux dernières élections, est en Meurthe-et-Moselle, un peu moins forte que dans les autres départements lorrains.
Les trois autres départements s'écartent moins que la Meurthe-et-Moselle des évolutions repérées à l'échelle de la Lorraine. Entre eux, les différences ne sont pas très marquées. Il s'agit plutôt de nuances.
Nous allons les étudier successivement et plus brièvement.
* La Moselle
La Moselle apparaît dans un premier temps comme le département le plus gaulliste de la Lorraine. C'est là que le général de GAULLE obtient, et de très loin, ses meilleurs résultats de toute la région en 1965.
L'avantage est beaucoup moins marqué pour Georges POMPIDOU en 1969, puis la situation s'inverse en faveur de la droite libérale. C'est en Moselle que Valéry GISCARD d'ESTAING obtient ses meilleurs scores lorrains aux deux élections où il est candidat.
L'écart se réduit ensuite à presque rien entre les deux candidats de droite de l'élection de 1988, avant de se creuser de nouveau en 1995 où Edouard BALLADUR devance assez nettement Jacques CHIRAC.
Quant à la gauche, elle est en Moselle, en position de faiblesse. C'est dans ce département que le ou les candidats de gauche obtiennent le plus souvent leurs plus médiocres résultats de toute la Lorraine, à une ou deux exceptions près (dont celle de 1974) au premier tour des diverses élections, même si les différences, à cet égard, avec les autres départements ont tendance à se réduire après 1965.
Par ailleurs le recul de l'audience du parti communiste y est tellement forte qu'à partir de 1988, son candidat s'y trouve relégué en sixième position, distancé par Antoine WAECHTER en 1988 et par Arlette LAGUILLER en 1995.
Enfin, nous remarquerons pour terminer que c'est en Moselle que la poussée du Front National atteint son maximum d'intensité de toute la région. Dès 1988, Jean-Marie LE PEN devance au premier tour les deux candidats de la droite parlementaire et se place en tête du scrutin en 1995. Tout donne à penser qu'au second tour, les voix du Front National se dispersent et se reportent inégalement vers les deux candidats qui restent en compétition. On peut aussi noter une progression sensible des votes blancs et nuls au second tour, plus marquée en Moselle que dans les autres départements, et qui est surtout perceptible dans les cantons où le FN a réalisé ses meilleurs scores.
* La Meuse
La Meuse ensuite ne présente pas de grandes particularités. La droite y détient la suprématie comme dans une grande partie de la Lorraine. C'est en Meuse que le candidat de droite recueille souvent le pourcentage le plus élevé de suffrages au second tour. Depuis 1981, cette situation se produit régulièrement.
Mais le plus notable est le fait que les scores obtenus par les candidats de la droite non gaulliste y sont en général plus élevés que dans les autres départements de la région. Dans les années 60, c'est en Meuse que Jean LECANUET et Alain POHER obtiennent leurs meilleurs résultats au premier tour des élections présidentielles de cette décennie.
A partir de 1974, le candidat de la droite libérale y devance régulièrement le candidat gaulliste, plus ou moins fortement suivant les scrutins. Valéry GISCARD d'ESTAING y surclasse très largement ses adversaires gaullistes. En 1988 l'écart entre les deux candidats de droite devient symbolique, mais en 1995 il se creuse à nouveau en faveur d'Edouard BALLADUR qui obtient en Meuse son meilleur résultat en Lorraine et l'un de ses meilleurs résultats à l'échelle nationale (6ème rang).
On notera également que la Meuse est le seul département lorrain où un des candidats de la droite parlementaire réussit à devancer celui du Front National.
* Les Vosges
Restent les Vosges dont la principale particularité est de s'être affirmée progressivement comme le département le plus gaulliste de Lorraine. Paradoxalement ce n'est pas le cas du temps du général de GAULLE et de son successeur immédiat Georges POMPIDOU qui y recueillent des pourcentages de suffrages moins élevés qu'en Moselle et en Meuse.
C'est à partir de 1974 que les candidats gaullistes successifs obtiennent leurs meilleurs résultats lorrains dans les Vosges, et surtout à partir de 1988. C'est le candidat gaulliste, Jacques CHIRAC, qui obtient le meilleur score des candidats de droite. Cette évolution doit sans doute beaucoup à l'action de parlementaires influents. On pense bien sûr à l'actuel président de l'Assemblée Nationale Philippe SEGUIN.
Il faut toutefois avancer qu'en 1995, le candidat gaulliste est légèrement devancé par Jean-Marie LE PEN.
La gauche est, quant à elle, le plus souvent minoritaire dans ce département.
Si dans les années 60 ce sont les Vosges qui viennent en deuxième position pour l'importance des voix de gauche après la Meurthe-et-Moselle, ce n'est plus vrai ensuite. Comme en Moselle et en Meuse, le décalage est très marqué entre la gauche socialiste et le parti communiste qui y a beaucoup reculé. C'est dans les Vosges que le parti communiste obtient depuis 15 ans ses résultats les plus bas de toute la Lorraine.
Le cadre départemental nous a permis de mettre en évidence certaines particularités, mais il ne suffit pas à rendre compte tout à fait des réalités politiques lorraines.
2) Le niveau local
Aucun des départements lorrains ne constitue véritablement un espace politique homogène. Des différences, plus ou moins importantes, existent à l'intérieur de chacun d'eux.
L'exemple le plus caractéristique est une fois encore celui de la Meurthe-et-Moselle.
Ce département apparaît véritablement comme la juxtaposition de deux terroirs politiques.
L'un d'entre eux est constitué par l'arrondissement de Briey, communément appelé le "Pays-Haut", où la gauche n'a jamais cessé d'être majoritaire. François MITTERRAND y devance le général de GAULLE en 1965 aux deux tours de scrutin. Jacques DUCLOS y arrive en tête au premier tour de 1969 et le phénomène se répète à chaque élection présidentielle. Le Pays-Haut se caractérise surtout par une forte implantation du parti communiste. En 1981 Georges MARCHAIS y devance François MITTERRAND et aux élections de 1988 et 1995, la plupart des cantons du Nord du département placent le candidat communiste en 2ème position (derrière le socialiste) avec des scores qui se situent entre 15 et 25% des suffrages.
L'autre terroir politique est formé par la partie Sud du département qui se situe majoritairement à droite avec des nuances toutefois. En effet la prédominance de la droite n'exclut pas le fait que, dans certains secteurs, la gauche dispose de positions solides. C'est ici plutôt la gauche socialiste qui s'est implantée et son audience s'est accrue dans le Sud de la Meurthe-et-Moselle au cours des années 1970-80.
C'est dans le Toulois que la prédominance de la droite est la plus marquée (à l'exception de l'élection de 1988 où même la ville de Toul donne la majorité à François MITTERRAND).
L'arrondissement de Lunéville est lui aussi orienté essentiellement à droite, mais quelques cantons donnent la majorité à gauche à partir des années 70 (Bayon, Lunéville Sud).
L'arrondissement de Nancy est quant à lui plus diversifié. La ville de Nancy donne régulièrement la majorité à la droite (même en 1988) mais la gauche est bien implantée dans les zones anciennement industrialisées (Pont-à-Mousson, Neuves-Maisons, Saint-Nicolas) ou dans les banlieues de développement récent (Vandoeuvre). D'une façon générale, le Nord de l'arrondissement est plus à gauche que le Sud.
A l'élection de 1995, le Sud de la Meurthe-et-Moselle connaît une forte poussée du Front National qui vient en tête dans de nombreux cantons (Toul, Lunéville, Pont-à-Mousson). L'agglomération de Nancy résiste mieux dans l'ensemble ainsi que le Pays-Haut.
Autre département qui présente des contrastes assez marquées, la Moselle.
La partie occidentale de ce département apparaît comme une sorte de prolongement du Pays-Haut de Meurthe-et-Moselle précédemment décrit. Il s'agit en fait d'un même ensemble économique longtemps dominé par l'industrie sidérurgique. Les cantons occidentaux de la Moselle ont la même orientation très à gauche, le même enracinement du parti communiste que dans le Pays-Haut. L'audience du PCF y est toutefois moins considérable et les scores des candidats communistes aux deux dernières élections, bien que très supérieurs à la moyenne départementale y sont moins élevés que dans le Nord de la Meurthe-et-Moselle.
En s'éloignant progressivement vers l'Est du département, on passe à des secteurs de plus en plus fortement ancrés à droite. Dans la vallée de la Moselle, les rapports de forces politiques restent encore relativement équilibrés. Si la droite y est majoritaire, notamment dans les agglomérations de Metz et Thionville, la gauche socialiste reste assez fortement représentée.
En revanche le bassin charbonnier et les cantons orientaux du département donnent aux candidats de droite des majorités très amples. La gauche y est presque constamment en position de faiblesse. Au début de la période envisagée en 1965, François MITTERRAND est devancé au 1er tour par le centriste Jean LECANUET dans la partie orientale du département. En 1974, Valéry GISCARD d'ESTAING vient en tête dans l'Est mosellan également dès le premier tour. Et en 1988, quand le candidat socialiste est majoritaire au 2ème tour sur l'ensemble du département, l'arrondissement de Sarrebourg donne la majorité à Jacques CHIRAC.
C'est aussi dans la moitié orientale de la Moselle que Jean-Marie LE PEN obtient ses meilleurs scores. Mais la poussée du Front National n'épargne à vrai dire aucune partie du département, pas même le bassin sidérurgique.
C'est dans la vallée de la Moselle, sur l'axe Thionville-Metz, que la progression de l'extrême droite est la moins marquée.
Les deux autres départements lorrains présentent moins de contrastes locaux, même s'ils ne constituent pas un espace politique complètement homogène.
La Meuse est le département dont l'ancrage à droite est le plus uniformément répandu, ce qui n'exclut pas quelques exceptions.
La plus importante est celle du canton de Spincourt, dans le Nord-est du département, qui est une sorte de prolongement meusien du Pays-Haut de Meurthe-et-Moselle. La gauche y est en tête à toutes les élections et le parti communiste occupe la première place jusqu'en 1981.
Dans le reste du département, l'orientation à droite est marquée. En 1965, Jean LECANUET devance François MITTERRAND dans de nombreux cantons au 1er tour de l'élection. C'est à partir de 1974 que se dessine un mouvement de progression de la gauche socialiste principalement dans le Sud-ouest du département, dans une partie de l'arrondissement de Bar-le-Duc. Dans le Nord de la Meuse, les positions socialistes sont beaucoup plus faibles (Verdun, Stenay).
Après l'intermède de 1988 où cinq cantons seulement donnent la majorité à Jacques CHIRAC, la situation antérieure se rétablit en 1995.
Enfin, la percée récente du Front National se manifeste le plus fortement dans les cantons traditionnellement orientés à droite, mais n'épargne pas ceux où la gauche est devenue importante.
Pour ce qui est enfin des Vosges, la majorité de ce département est orientée à droite.
C'est très net lors des premières élections étudiées. En 1965, presque tous les cantons vosgiens donnent la majorité absolue au général de GAULLE dès le 1er tour, et encore en 1974, rares sont ceux où François MITTERRAND l'emporte au 2ème tour de scrutin (4 sur 30).
Toutefois la gauche, socialiste essentiellement, n'est pas absente et dispose dans certains cantons de positions qui se consolident à partir de 1981.
L'orientation à droite a tendance à s'effriter en allant de l'Ouest à l'Est du département. La droite est fortement majoritaire à l'Ouest, dans l'arrondissement de Neufchâteau (à l'exception du chef-lieu). La partie centrale du département correspondant à l'arrondissement d'Epinal est plus partagée. La bordure méridionale du département est très orientée à droite. Plusieurs cantons y donnent la majorité à Jacques CHIRAC au 2ème tour de 1988. En revanche la gauche obtient de réels succès dans les cantons de la vallée de la Moselle.
Pourtant c'est au Nord-est du département, dans l'arrondissement de Saint-Dié que la gauche dispose de son implantation la plus forte. Esquissée dès 1974, cette orientation se généralise à partir de 1981 et s'est maintenue jusqu'en 1995.
Quant au Front National, son implantation est, comme dans la Meuse, assez diversifiée. Aucune partie du département n'y échappe, y compris là où la gauche est elle-même en bonne place.
Cette étude menée à un niveau très local permet de dessiner un tableau plus précis de l'orientation politique de la Lorraine. Par delà le cadre départemental qui n'est pas toujours très significatif, apparaît un paysage politique plus éclaté, une sorte de mosaïque de "pays" aux caractères parfois très marquées.
Au terme de cette présentation des résultats des élections présidentielles en Lorraine depuis 1965, certains points majeurs se dégagent.
Orientée majoritairement à droite depuis des décennies, la Lorraine est une des régions françaises qui a connu une évolution importante avec une montée de l'influence de la gauche socialiste à partir des années 70.
Cette évolution, qui n'est d'ailleurs pas irréversible, est toutefois restée inégale.
Cette étude montre clairement que la Lorraine n'est pas un espace politiquement homogène et qu'il existe des contrastes départementaux et locaux non négligeables.
Faut-il penser, comme Pierre BARRAL dans la conclusion de son ouvrage sur L'Esprit Lorrain que, le débat politique se situant désormais essentiellement à l'échelle nationale, les contrastes électoraux entre régions s'atténuent ?
Autrement dit une région comme la Lorraine ne ferait-elle désormais que suivre les tendances qui se manifestent dans l'électorat au niveau national ?
Pour pertinente qu'elle soit, cette analyse risque de sous-estimer la persistance de particularités régionales, comme viennent, me semble-t-il, de nous le rappeler les élections de 1995.
STRATEGIE ET PROGRAMME DES CANDIDATS
François BORELLA
Je reprends ici la méthode d'analyse que j'avais proposée et utilisée lors de notre journée du 28 mai 1988 pour comprendre les thèmes de campagne.
Il s'agit de comparer la stratégie et le programme des candidats, à qui et dans quel but ils s'adressent d'une part et pour dire quoi d'autre part.
En 1995 cette méthode montre le paradoxe de l'élection présidentielle : elle est perdue par celui qui devait gagner grâce à une stratégie et un programme cohérents et bien articulés ; elle est gagnée par celui qui, au premier tour, se trompe de stratégie et de programme, et doit affronter au second tour un candidat imprévu.
I) AU PREMIER TOUR, LE CORPS ELECTORAL REJETTE LES STRATEGIES DES CANDIDATS
Sur les neuf candidats du premier tour, trois revendiquent une appartenance partisane : HUE, LAGUILLER et VOYNET (pour celle-ci, il s'agit même de quatre partis : les Verts, Ecologie Autrement, Convention pour une Alternative Progressiste, Alternative Rouge Et Verte, ce qui ne compense pas la faiblesse de chacun). Mais seul HUE parle du PC dans ses textes. En réalité quatre autres candidats portent les espoirs d'un parti : CHIRAC, LE PEN, de VILLIERS et, à moindre degré, JOSPIN. Seuls CHEMINADE et BALLADUR n'incarnent pas un parti, encore qu'il faille nuancer pour ce dernier.
L'affirmation, mille fois répétée, que l'élection présidentielle est un dialogue singulier entre un homme et le peuple et non l'affaire des partis est reprise par tous les candidats qui utilisent toujours le "je" dans leurs textes et discours.
Elle est pourtant fausse comme le prouvent les résultats, sauf pour LAGUILLER.
Du coup les positionnements stratégique et programmatique des candidats se trouvent en porte à faux.
Au début de la campagne, que l'on fixe cette date à la déclaration de CHIRAC ou à celle de BALLADUR ou au départ de la campagne officielle, il semble clair qu'un seul candidat se positionne comme le futur président. Il s'agit bien sûr de BALLADUR qui vise l'électorat de 1993 et dont le programme est cohérent : le bilan est bon, pas de promesse illusoire, continuons calmement et résolument.
Or il sera victime de ce bon positionnement, qui était celui de MITTERRAND en 1988, car il apparaîtra comme le président sortant responsable de tous les problèmes et difficultés.
Face à lui tous les autres se positionnent comme des candidats du changement et donc de la protestation des victimes des malheurs des temps.
Certains sont des habitués de ce positionnement qui autorise la légèreté programmatique et les envolées imaginatives. C'est le cas de CHEMINADE, HUE, LAGUILLER, LE PEN, de VILLIERS et VOYNET.
Ceux-là ne sont pas candidats à la présidence de la République ("je ne serai certes pas élue", écrit LAGUILLER) mais veulent marquer leur territoire, peser sur le second tour, infléchir les décisions du futur président ou tout simplement régler des comptes avec leurs amis proches et d'autant plus honnis. Ils réussiront inégalement ; très bien pour LAGUILLER et LE PEN, très mal pour de VILLIERS et VOYNET, moyennement pour HUE ; quant à CHEMINADE les patronages invoqués de JAURES et de GAULLE n'auront pas ému beaucoup d'électeurs.
Pour CHIRAC et JOSPIN le positionnement protestataire qu'ils adoptent n'est pas tenable tel quel. Tous deux sont face à une gageure : se démarquer d'une politique qu'ils ont soutenue et même appliquée, partager les craintes et les aspirations des victimes et proposer des mesures réalistes, crédibles et efficaces pour y remédier.
CHIRAC, dans un premier temps, s'en tire en se mettant à l'écoute du peuple, donc en se taisant ; dans un second temps il posera le diagnostic (la fracture sociale) et la thérapeutique (le pacte républicain). Il en résultera un programme très complet, le plus riche de tous les candidats, très complexe et parfois à la limite de la contradiction interne. Ce programme vise, stratégiquement, l'électorat socialiste, et plus largement de gauche. Le présupposé est que la gauche est sans candidat et qu'il est nécessaire de ne pas abandonner ses électeurs au bord de la route.
Pour JOSPIN, il n'est pas question de reprendre la "ligne du congrès de Liévin", c'est-à-dire "à gauche toute" et "vive MITTERRAND quand même". Il va donc développer une longue analyse de la société et de l'économie actuelles dont il tire une série de propositions de réformes d'où le socialisme a disparu et qui manifestement ne visent pas à un changement de société. La timidité de sa campagne, le fait que les polémiques électorales se déroulent exclusivement entre CHIRAC et BALLADUR, qui ne l'attaquent jamais, n'empêcheront pas le corps électoral de le porter en tête au premier tour.
CHIRAC devance BALLADUR, LE PEN fait son meilleur score depuis toujours, LAGUILLER dépasse les 5%, peu importe, la stupeur est considérable.
II) AU SECOND TOUR LA STRUCTURATION DROITE-GAUCHE JOUE PLEINEMENT ET SE RENOVE
Les enseignements du second tour sont doubles.
D'une part la structuration droite-gauche reste prédominante dans le comportement électoral. Philippe SEGUIN s'est trompé ; CHIRAC ne doit pas son résultat au "peuple de gauche" mais à la fidélité et à la pugnacité de l'électorat et des militants du RPR. Même remarque, mutatis mutandis, pour JOSPIN, porte-parole des militants socialistes qui, pour la première fois en France, l'ont porté à la candidature dans un vote disputé interne à un parti.
D'autre part le clivage droite-gauche n'est plus l'opposition de deux conceptions de la société, voire de l'homme et du monde. Il n'y a pas deux camps ennemis, pas même adversaires, il y a deux compétiteurs. Les spectateurs du débat CHIRAC-JOSPIN l'ont découvert avec étonnement ou satisfaction. Que ceux pour qui le débat politique est un spectacle, comme le catch ou la corrida, au choix, trouvent cela ennuyeux ne peut remettre en cause la considérable novation de la vie politique qui s'est produite durant ce second tour.
CHIRAC, sans rien changer à son programme de premier tour, en atténue les aspérités anti-balladuriennes. Il conserve son slogan (La France pour tous) mais y ajoute un appel au rassemblement (Bâtissons-la ensemble). Le refus de LE PEN de se prononcer lui permet de maintenir le pacte républicain au dessus de tout soupçon et de fédérer les droites conservatrices et libérales-sociales, sans se couper des centres gauches. Seule nuance, mais de taille, il invite désormais à rompre avec le socialisme et à tourner la page de deux septennats socialistes.
JOSPIN, lui non plus, ne change rien à son programme. Sa stratégie reste de même celle du rassemblement des gauches ; mais elle est désormais plus crédible. Il change donc de slogan. Ce n'est plus "un vote clair pour une France plus juste", mais "le Président du vrai changement" ; il est donc enfin candidat à la présidence et pas seulement au sauvetage en mer du Parti Socialiste.
Le résultat, logique et sans surprise, porte CHIRAC à l'Elysée et JOSPIN à la tête de l'opposition. La majorité de 1993 a reconquis la présidence après avoir joué avec le feu. Non pas parce qu'elle s'est divisée sur son candidat à la présidence, il n'y a rien que de très normal. Mais parce qu'elle a cru pouvoir limiter le débat politique et l'enjeu de l'élection présidentielle au duel BALLADUR-CHIRAC. Ce qui aboutissait à passer par pertes et profits plus de 40% des Français. Le corps électoral a été, en cette affaire, plus sage que ses élites politiques.
PROFESSION DE FOI - ELECTION PRESIDENTIELLE - 1er tour 23 avril 1995.
Candidat Page 1 Pages 2 et 3 Page 4
J. CHEMINADE Photo identité Long programme, compact + biographie
1/4 page.
Citations Jaurès,
de Gaulle.
E. BALLADUR Photo pleine page, Appel manuscrit en 2 ; "JE"
demi-sourire, regard Thèmes en 3-4 : bilan positif ; pas de promesses
vers le bas. illusoires, lutte contre le chômage, égalité des chances.
CROIRE EN LA FRANCE
J. CHIRAC Photo pleine page, Programme aéré. "JE". Appel manuscrit
sourire, regard vers le ‚a va mal, une équipe nouvelle.
haut et loin. LA FRANCE Mobilisation contre le chômage
POUR TOUS. Valeurs républicaines.
Réussir l'Europe.
R. HUE Petite photo identité Programme très détaillé en 2,3 et 4
CETTE FOIS, ON VA Pas de "JE"
ENTENDRE VOTRE
REFUS DE L'INJUSTICE
ET VOTRE ESPOIR DE
CHOIX NOUVEAUX
L. JOSPIN Photo 1/2 page. identité En 2, 3 et 4 longue lettre peu aérée, très vague.
UN VOTE CLAIR POUR Analyse très intellectuelle, appel manuscrit in fine.
UNE FRANCE PLUS Toujours "JE".
JUSTE
A. LAGUILLER Photo pleine page. En 2, 3 et 4, long programme assez aéré. "JE".
Pas de sourire.
Regard direct.
Pas de slogan.
J.M LE PEN Photo pleine page. Programme en 10 Appel aux Sourire. Regard direct. commandements Français.
FRANCAIS et 5 qualités. "JE"
PASSIONNEMENT
LE PEN PRESIDENT
P. de VILLIERS Photo pleine page En 2, 3, 4 programme long et peu précis. "JE".
Sourire timide.
JE VOUS PROPOSE
UN CONTRAT POUR
LA GRANDEUR DE
LA FRANCE, UN
CONTRAT POUR
LA PROSPERITE
DES FRANCAIS.
D. VOYNET Photo 1/4 page. Grand Programme bref, imprécis. 5 engagements
sourire, oeil en coin. Biographie. Comité de soutien. "JE".
VOTER DOMINIQUE
VOYNET CA CHANGE
TOUT. Pour l'écologie
aujourd'hui, pour
transformer notre société
PROFESSION DE FOI - ELECTION PRESIDENTIELLE - 1er tour 23 avril 1995.
Candidat Page 1 Page 2 et 3 Page 4
J. CHIRAC Même photo Sur toute la largeur : 6 points
mais 1/2 page appel très général. programmatiques
LA FRANCE POUR "Il faut rompre
TOUS, BATISSONS avec deux
LA ENSEMBLE. septennats
socialistes".
L. JOSPIN. Photo différente. Texte d'analyse. Appel manuscrit.
Pleine page. peu programmatique.
Regard au loin. "JE"
LE PRESIDENT DU
VRAI CHANGEMENT.
LA COMMUNICATION POLITIQUE LORS DE L'ELECTION PRESIDENTIELLE DE 1995
Laura NAKIC
Le candidat à l'élection présidentielle de 1995 devait intégrer dans sa stratégie globale de campagne plusieurs réalités incontournables. Il s'agissait essentiellement de contraintes factuelles.
La plupart des formations politiques devaient, en premier lieu, surmonter une crise interne. En effet, avant de vouloir engager un débat à l'extérieur, il fallait dépasser les difficultés structurelles pour gagner en crédibilité comme en efficacité.
Par ailleurs, les candidats, sans distinction, devaient renouer le dialogue avec la population afin de susciter chez les électeurs potentiels, un intérêt, les amenant, plus tard, à débattre.
Enfin, et surtout, partis et candidats devaient intégrer les contraintes qu'imposaient le législateur à leur stratégie de communication. Afin d'endiguer les dépenses, la loi fixait, dès 1988, un plafond des dépenses électorales. En 1990, par la loi du 15 janvier, le législateur fixait non seulement un plafond des dépenses (revu à la baisse en 1995) mais, en plus, limitait les possibilités de recours aux moyens de propagande politique les plus coûteux.
En 1995, après s'être appliquée aux élections locales (régionales de 1992 et cantonales de 1992 et 1994), aux élections législatives (1993) et européennes (1994), la loi allait pour la première fois, s'appliquer à des élections présidentielles.
La spécificité des acteurs, celle de l'élection et surtout les particularités propres à la fonction présidentielle ont entraîné une application tout à fait originale de la loi.
Il convient de rappeler brièvement certains aspects de la loi du 15 janvier 1990. Celle-ci limite de plusieurs manières la communication politique des candidats.
-Au niveau de l'affichage d'abord.
L'affichage commercial (situé en dehors des panneaux officiels, c'est-à-dire les panneaux de 4m X 3m) se trouve prohibé, de façon effective, pendant les trois mois qui précèdent le 1er du mois d'une élection.
-Au niveau de la propagande politique dans la presse et les moyens de communication audio-visuels ensuite.
La loi de 1986 relative à la liberté de communication interdisait déjà de façon permanente "les émissions publicitaires à caractère politique". La loi visait ici l'ensemble des émissions de radio et de télévision.
Cette interdiction a été reprise par la loi de 1990.
A cette interdiction permanente, s'ajoute désormais, trois mois avant l'élection, l'interdiction de "l'utilisation à des fins de propagande électorale de tous procédés de publicité commerciale par voie de presse ou par tout autre moyen de communication audio-visuelle".
Par cette disposition, la loi vise ici, non seulement la radio et la télévision mais aussi la presse.
La seule publicité autorisée dans la presse par la loi du 19 janvier 1995 est celle utilisée pour solliciter les dons des personnes physiques. Cette publicité ne doit cependant en aucun cas être destinée à faire connaître le candidat.
-Enfin, est également réglementée la publicité par téléphone ou par télématique.
Il est en effet interdit de mettre à la disposition du public des numéros d'appel téléphoniques ou télématiques gratuits.
Trois craintes principales ont été exprimées à propos de cette législation.
On a craint, tout d'abord, que la "politique ne se cache" en interdisant aux candidats de s'afficher.
Certains commentateurs ont ensuite pensé que l'application rigoureuse de la législation porterait une atteinte grave au droit d'expression politique, avantageant les "sortants".
Enfin, on a pensé que la politique allait s'en remettre aux médias, laissant à ceux-ci une marge de manoeuvre toujours plus grande.
Ces craintes, qui se confirment lorsque l'élection s'inscrit dans le local, sont-elles légitimes compte tenu de la spécificité de l'élection présidentielle ?
Nous ne le pensons pas. En effet, les candidats n'ont pas innové en créant de nouveaux moyens de communication. Ils se sont adaptés aux contraintes de la nouvelle législation en remodelant les moyens traditionnellement à leur disposition.
Finalement, l'adaptation des candidats à la loi permet de dire que les effets attendus n'ont pas été confirmés.
L'adaptation des stratégies de communication à la loi s'est faite de deux manières : en développant une stratégie monolithique de communication et en développant à outrance la campagne de terrain.
I) LE DEVELOPPEMENT D'UNE STRATEGIE MONOLITHIQUE DE COMMUNICATION
Avant l'interdiction du recours à l'affichage, les candidats avaient l'habitude de développer une stratégie de communication par paliers. Une première image était définie par une première série d'affiches, puis une seconde et éventuellement une troisième, en fonction du positionnement des autres acteurs politiques ou des attentes du corps électoral.
Désormais interdits d'affichage, les acteurs politiques ont dû renoncer à cette stratégie évolutive et adopter une stratégie monolithique de communication : une seule image pour toute la durée de la campagne et une image adaptable à chaque support utilisé mais toujours cohérente. Cette image devait pouvoir servir aussi bien pour une émission de télévision que pour un meeting ou pour les nombreux gadgets fournis à profusion (du chapeau au stylo en passant par le briquet).
La plupart des candidats ont bien intégré cette nouvelle contrainte et ont mené la campagne d'un bout à l'autre avec une seule image. Jacques CHIRAC en est le meilleur exemple. Edouard BALLADUR en est le meilleur contre-exemple.
Premier Ministre, pas encore candidat, Edouard BALLADUR bénéficiait d'une grande popularité et d'une dimension présidentielle incontestable. Devenu candidat le 19 janvier 1995, il avait donc à sa disposition deux images, celle de sortant - qu'il a d'ailleurs utilisée ponctuellement pour intervenir dans certains départements quelques mois avant sa candidature - et celle de candidat favori.
Nous constaterons d'abord qu'Edouard BALLADUR n'a pas su concilier ces deux images à tel point que celles-ci se sont contredites. Par ailleurs, devenu candidat, il aurait dû se faire acteur de sa campagne. Il n'en a été que spectateur, laissant les choses s'organiser autour de lui sans véritablement y prendre part. Pris isolément, il n'a jamais quitté l'image du Premier Ministre et par conséquent, il n'est jamais devenu candidat. Ses documents électoraux montrent l'image du Premier Ministre, tel que nous l'avons connu, deux années durant et font le bilan des "premiers résultats des réformes". C'est cette même image qu'il véhiculera à la radio ou à la télévision pendant toute la campagne électorale.
L'équipe de campagne d'Edouard BALLADUR et ses soutiens, nationaux comme locaux, ont senti la difficulté : il fallait prendre en charge le Premier Ministre et le transformer en candidat. C'est ainsi qu''Edouard BALLADUR s'est vu imposer une campagne qui, non seulement ne lui correspondait pas mais qui, en plus, faisait perdre au Premier Ministre de sa crédibilité et donc de ses acquis. Ainsi, si les journalistes parlent du "Premier Ministre - candidat", ceux qui le soutiennent tentent désespérément de rendre le Premier Ministre plus populaire, utilisant des formules de plus en plus familières pour le désigner. Si au début de la campagne, il fallait se rassembler "autour d'Edouard BALLADUR", il fallait par la suite soutenir "Doudou".
Voulant rendre sa campagne vivante, les soutiens d'Edouard BALLADUR parlaient pour lui et se faisant, accentuaient l'image déjà statique du candidat.
Cette attitude devait faire perdre aux meetings, temps forts de la campagne, leur fonction : au lieu d'aller à la rencontre du candidat exposant son programme politique, on nous invitait à un spectacle avec des slogans qui se voulaient accrocheurs : "buvettes / dégustations / jeux / orchestres / animations / retenez les places dès maintenant" (tract distribué en vue du meeting du Bourget). Et effectivement, les meetings d'Edouard BALLADUR faisaient beaucoup de bruit sur fond "bleu, blanc, rouge".
Des animateurs demandaient au public de faire la "Ola", tandis qu'un orchestre de jazz faisait patienter les élus installés sur la scène et les sympathisants remplissant la salle.
Enfin, comme dans tous les meetings de cette élection, on prenait soin d'installer les jeunes, garants de l'ambiance, aux premiers rangs.
Bien sûr, le discours du candidat ne pouvait guère s'harmoniser à l'ambiance qui plus qu'à un meeting politique faisait penser à "Intervilles" !
Tout le contraire s'est passé en 1988 pour François MITTERRAND. Utilisant avec succès l'affichage et son impact psychologique, il avait axé, dans un premier temps sa communication sur l'image que lui prodiguait sa fonction. Restant longtemps positionné dans son rôle de Président, il a su s'en sortir, quand ce fut nécessaire pour devenir un "Président-candidat".
Les autres candidats, moins prisonniers d'une fonction, ont su davantage s'adapter aux exigences nouvelles de la législation en utilisant de façon prépondérante la communication de terrain.
íI) L'UTILISATION PREPONDERANTE DE LA COMMUNICATION DE TERRAIN
Par "communication de terrain", nous entendons ici les meetings et les rencontres directes avec la population.
Devenu la grand messe de la communication politique des candidats, le meeting a été l'occasion de développer une image forte et ciblée.
La campagne de Lionel JOSPIN était incontestablement plus artistique que partisane. Les couleurs (vert pastel), le choix de la musique (Jean-Jacques GOLDMANN choisi par le candidat lui-même), la présence stratégique des jeunes militants dans les premiers rangs, puis sur scène près du candidat, donnaient aux meetings une dimension humaine et une image dynamique.
Quant aux petits et moyens candidats (selon la typologie dégagée par le CSA), ils ont donné à leurs meetings une dimension spectaculaire, mais toujours à la mesure de leur importance politique.
Ainsi, Philippe de VILLIERS, arrivant dans la salle, serrant les mains au passage, posant pour les journalistes, avant d'aller à la tribune seul et sans note - ce qu'il prendra soin de souligner - pour convaincre. Ou Jean-Marie LE PEN allant et venant d'un bout à l'autre de la scène illuminée deux heures durant. Ou enfin Robert HUE, chargé de donner aux militants une image rénovée du parti.
Seuls Dominique VOYNET, Arlette LAGUILLER ou Jacques CHEMINADE ont mené des campagnes assez ternes.
Enfin, en ce qui concerne Jacques CHIRAC.
Trois fois candidat à l'élection présidentielle, il se présentait à celle de 1995 comme l'outsider. Engagé dans la campagne électorale depuis plusieurs années (qui ne l'a pas entendu dire qu'il avait "sillonné la France pendant deux ans" ?), il a privilégié les meetings, relais de son action sur le terrain. En effet, Jacques CHIRAC a mené une campagne de proximité. Il a selon un de ses soutiens, "jour après jour, semaine après semaine, tracé son sillon et dialogué avec ses concitoyens".
Ses meetings étaient particulièrement soignés et laissaient transparaître une ambiance avant tout partisane. Il ne s'agissait pas de se donner en spectacle mais de rencontrer la population sur un fond plus militant.
Finalement, tous les candidats ont voulu monter qu'ils privilégiaient les contacts avec la population, soit en le disant clairement lors de leurs discours (cas de Dominique VOYNET qui est allée de "régions en régions"), soit par l'intermédiaire d'un diaporama sous forme de micro trottoir.
Enfin, la presse audio-visuelle a servi de relais à ces campagnes de terrain. Dans les émissions consacrées aux candidats, les micro trottoirs ont remplacé les débats. De ce fait, la communication à travers les médias a été largement dominée par la campagne de terrain. Et il n'est pas innocent que les candidats aient, pour la plupart, choisi de placer le début de leur meeting à 19 heures, afin que les premières images sur le terrain puissent être retransmises lors des informations régionales.
En conclusion, nous pensons bien que la loi a eu des effets sur la communication des candidats en les amenant à développer certains moyens de communication plus que d'autres.
Cette élection a par ailleurs montré que celui qui est attendu sur la scène politique, n'est ni le détenteur d'un mandat ou d'une fonction mais le candidat à l'élection. Certes, les électeurs n'ont pas oublié que Jacques CHIRAC était maire de Paris et à la tête du RPR. Certes, Jacques CHIRAC n'a pas négligé ces réalités dans sa stratégie de campagne mais celui qu'ils ont jugé, c'est avant tout le candidat à l'élection.
Enfin, nous pourrions voir si l'analyse des comptes de campagne publiés au Journal Officiel en juillet 1995 confirme les impressions qui se dégagent de notre observation sur le terrain. Pour l'heure, contentons-nous de noter que ces comptes laissent apparaître un certain nombre d'incohérences qui ne sont peut-être qu'apparentes.
L'ELECTION PRESIDENTIELLE ET L'EUROPE
Léonard MATALA-TALA
La France a toujours joué un rôle primordial dans le processus d'intégration européenne.
Sans remonter à SCHUMAN et MONNET, citons l'action du couple franco-allemand avec :
-De GAULLE - ADENAUER en 1963 : le traité de Paris.
-GISCARD - SCHMITT : le Système Monétaire Européen (SME) en 1979.
-MITTERRAND - KOHL : -en 1985 avec la lettre commune CIG - AUE.
-en avril 1990 avec la lettre commune CIG sur UPE.
-avec la création de l'Eurocorps.
L'élection présidentielle était l'occasion de voir la France jouer son rôle une fois de plus. Pour cette intervention, il convient d'abord de voir la place que l'Europe a occupée dans la campagne, avant de nous intéresser aux discours des candidats.
I) L'EUROPE, PREOCCUPATION SECONDAIRE PAR REALISME
1) Au niveau interne : découverte de la fracture sociale
D'un côté, il y a l'irrésistible montée du chômage et de l'exclusion qui déchire le tissu social du pays. De l'autre côté, la multiplication des affaires et le recul des idéologies privent le peuple de repères, et le rend de plus en plus sceptique face aux promesses des hommes politiques.
Ce malaise appelé "fracture sociale" par Jacques CHIRAC ou "faille" entre les deux France par Lionel JOSPIN, a été la grande préoccupation de la campagne présidentielle.
En outre, le duel BALLADUR - CHIRAC a monopolisé la scène médiatique sur fond de ralliements prévisibles et de trahisons attendues.
L'Europe est par conséquent restée dans les oubliettes, les trois "grands" candidats préférant assurer leur présence au second tour plutôt que de développer des thèmes difficiles.
Le retrait de Jacques DELORS y est sans doute pour quelque chose dans la mesure où il a contribué à atténuer le clivage entre partisans et adversaires de l'Union Européenne. C'est ainsi que les trois grands candidats ont bâti leur programme sur l'acceptation de l'acquis communautaire.
Les autres candidats, LAGUILLER, HUE, LE PEN et de VILLIERS, ont développé des thèmes qui trouvent un écho de plus en plus large dans les régions frappées par la crise économique et sociale, productrice d'exclusion.
Par ailleurs, cette élection intervient alors que la France assure la présidence du Conseil Européen.
2) Au niveau communautaire, la transition s'annonce difficile
Dès 1990, les référendums danois et français révèlent le fossé qui existe entre pro et anti européens. Cet écart prend racine à la fois dans la dérive économique de la construction européenne et dans le mystère de la méthode communautaire.
Au même moment, des voix s'élèvent pour dénoncer l'absence de participation populaire dans la construction communautaire.
Ce déficit démocratique a poussé l'opinion publique à influer sur le processus d'intégration européenne alors qu'on assistait à la mutation de la Communauté économique en Union Européenne.
Par ailleurs, la Communauté vient de s'élargir avec l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède. En même temps, elle connaît pour la seconde fois un refus d'adhésion de la part de la Norvège.
La réalisation de l'UEM connaît elle quelques problèmes car les critères de convergence sont difficiles à respecter.
Ce climat fait que tous les candidats ont voulu marquer leur proximité vis-à-vis des besoins du peuple en modifiant sans cesse leurs discours au gré des desiderata des jeunes, des retraités et des autres lobbies.
L'intrusion inhabituelle des conflits sociaux dans la campagne les a obligés à s'aventurer sur des terrains aussi délicats que le salaire et la durée du temps de travail.
A défaut d'un véritable débat sur l'Europe, les candidats ont tout de même développé quelques propositions.
II) LE DISCOURS DES CANDIDATS
A ce sujet, les candidats étaient regroupés en deux camps, celui des pro et celui des anti-européens.
1) Oui à l'Europe, mais avec prudence.
Jacques CHIRAC, Edouard BALLADUR, Lionel JOSPIN et Dominique VOYNET ont voulu une Europe forte au sein de laquelle se forgera l'avenir de la France. Pour Edouard BALLADUR, l'Europe doit devenir un modèle à travers ses valeurs et son organisation. Jacques CHIRAC estime que l'Europe est une ambition nécessaire alors que pour Lionel JOSPIN, l'Europe est le cadre naturel de l'action de la France.
Les trois grands candidats ayant appelé à voter oui pour Maastricht (Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN avec quelques réserves) n'ont pas tenté de remettre en cause le traité qui, selon le maire de Paris, "constituait un petit pas dans la bonne direction".
Le rôle du couple franco-allemand a été réaffirmé avec force en tant que moteur de l'Europe et selon Lionel JOSPIN, il est "l'axe essentiel de la construction européenne".
Quant à l'UEM (passage à la monnaie unique), Jacques CHIRAC a déclaré qu'elle sera réalisée lorsque les conditions prévues par Maastricht seront réunies ajoutant que le chômage était aussi un "critère essentiel de l'activité économique".
Edouard BALLADUR a pour sa part souhaité la monnaie unique pour "1997 si possible", estimant que la France était tout à fait capable, en deux ans, de répondre aux critères de convergence.
Lionel JOSPIN a ajouté que "les objectifs de la politique économique en Europe ne sauraient se limiter aux critères de convergence de la monnaie unique".
Au sujet de l'élargissement et de l'approfondissement, les trois grands candidats ont soutenu une idée plus compatible avec l'approche allemande.
Ils se sont ainsi déclarés pour l'élargissement aux pays de l'Europe centrale et orientale à condition d'améliorer le fonctionnement des institutions sans remettre en cause l'acquis communautaire.
Concernant la réforme institutionnelle, Edouard BALLADUR et Jacques CHIRAC sont pour une Europe des Etats-Nations au sein de laquelle les grandes orientations seront prises au stade intergouvernementale.
Le maire de Paris a même proposé la désignation d'un président du Conseil européen pour trois ans avec un rôle représentatif pour donner un peu plus de poids au Conseil face à la Commission et à son président.
Edouard BALLADUR a plaidé pour l'extension de la règle de la majorité qui introduira une dose de fédéralisme au Conseil.
Lionel JOSPIN a défendu avec beaucoup plus de conviction cette règle de majorité en se prononçant en faveur d'un partage de souveraineté : "l'Union et les Etats doivent voir leurs domaines de compétences et leurs responsabilités définies de façon claire, stable et permanente" a-t-il ainsi déclaré.
Les trois candidats se sont en outre exprimés pour un accroissement des compétences de l'Union dans les domaines tels que la protection sociale, les actions de la PESC ainsi que la défense pour laquelle ils ont tous exprimé le voeu que la France puisse jouer un rôle leader puisqu'elle dispose des atouts nécessaires.
Edouard BALLADUR et Lionel JOSPIN ont insisté sur la nécessité de compenser le volet économique et monétaire par davantage d'Europe sociale.
Pour le Premier Ministre, il faut une mise en oeuvre d'objectifs communs de santé publique alors que le candidat socialiste prône l'harmonisation vers le haut des législations sociales.
Pour ces trois candidats, si l'Europe est une nécessité et si les engagements pris ne peuvent être remis en cause, chacun semble avoir tiré de l'épisode tumultueux de la ratification de Maastricht, la conclusion que les Français étaient saturés des grands desseins européens.
Pour sa part, Dominique VOYNET a affirmé une priorité pour l'aspect social et écologique de la construction européenne. Elle a souhaité la redéfinition des modalités d'élection du Parlement Européen qui doit élire un exécutif responsable devant lui. Elle s'est déclarée en faveur de l'harmonisation des systèmes de protection sociale, du droit du travail et de l'environnement en sortant de la logique de Maastricht.
2) Non à Maastricht et à l'Europe des marchands
Ici se retrouvent les candidats des extrêmes, gauche et droite confondues : Robert HUE, Arlette LAGUILLER, Jean-Marie LE PEN et Philippe de VILLIERS.
Le candidat communiste a proposé "une transformation radicale de l'Union Européenne", dénonçant le noyau dur dominé par l'Allemagne.
Il avait réclamé l'organisation d'un référendum pour 1995 afin de contrecarrer le projet de Maastricht. Il est opposé à la constitution d'une "super-armée européenne", mais favorable à un système de sécurité commune s'étendant jusqu'à la Biélorussie, la Russie et l'Ukraine.
Le PCF s'est prononcé en faveur du rétablissement de la règle de l'unanimité dans la prise de décision, la revalorisation du rôle des parlements nationaux, le renforcement du contrôle de la Commission par le Parlement Européen.
A propos de la monnaie unique, il a souhaité le développement d'un écu, instrument monétaire de coopération fondé sur les monnaies nationales.
Arlette LAGUILLER s'est déclarée, cela va sans dire, contre l'Europe des capitalistes, mais en faveur des "Etats-Unis Socialistes d'Europe", dotés au besoin d'une monnaie unique.
A l'extrême droite, Philippe de VILLIERS a demandé la réintroduction du droit de veto pour les questions d'intérêt vital au même titre que la préférence communautaire dans le prochain traité.
Il est hostile à la monnaie unique qui, selon lui, "ouvre la voie à l'Etat fédéral".
L'Europe qu'il souhaite est celle des peuples, respectueuse des Nations et de leurs différences ; cela s'obtiendra par la renégociation de Maastricht et l'abrogation des accords de Schengen.
Pour diminuer l'influence du Parlement Européen, il veut accorder un grand rôle aux parlements nationaux en créant une chambre des parlements nationaux dotée d'un droit de veto contre les dérives de Bruxelles.
Jean-Marie LE PEN, non seulement partage avec de VILLIERS ces mêmes idées (dont il a d'ailleurs revendiqué la paternité) mais se distingue de tous les autres lorsqu'il déclare vouloir "réaffirmer la primauté du droit français sur le droit international" et "abroger les révisions constitutionnelles restreignant la souveraineté nationale".
Il a remis en question le "traité de Rome qui a organisé la désertification des campagnes".
Il est pour la suppression de la Commission de Bruxelles et le rétablissement des frontières.
Jacques CHEMINADE, demeuré le moins connu des candidats, s'est déclaré en faveur de l'action du "couple franco-allemand, point de départ d'un combat pour le rétablissement de la puissance étatique, avec des politiques communes" et d'un plan Marshall pour l'Eurasie et l'Eurafrique.
Il a souhaité la réalisation d'une défense commune, "fondée sur l'application des principes physiques nouveaux".
Il n'y a donc pas eu de grand affrontement sur le thème européen. Depuis quelques temps, on assiste à la naissance d'une nouvelle donne de la politique intérieure française : la démagogie anti-européenne est une posture d'opposant : quand la perspective d'accéder au pouvoir se rapproche, on devient presque nécessairement européen.
A propos de cette démagogie anti-européenne, qui n'est pas du reste l'apanage des seuls Français, nuançons la critique qui est souvent faite à la Commission de Bruxelles ou à la Communauté, accusée d'être la source de tous les maux nationaux. Des termes comme "Eurocrate et technocrate de Bruxelles" sont employés à cet effet.
Les hommes politiques auteurs de ces critiques sont en effet les premiers à faire remonter à Bruxelles par les canaux des administrations locales et des groupes de pressions, des informations et revendications permettant la prise en compte des spécificités nationales.
En fin de compte, c'est de leur propre action qu'ils se plaignent. Le Conseil Européen n'a-t-il pas de surcroît été renforcé avec Maastricht ? Mais, il leur faut un bouc émissaire qui puisse, d'un côté traiter tous les dossiers épineux qui ne peuvent se résoudre au niveau national sans faire baisser leur crédibilité, et de l'autre, être accusé des excès de pouvoirs réglementaires qui empêchent toute action politique nationale.
L'heure n'était et n'est donc plus aux grands projets "visionnaires". L'époque mitterrandienne est révolue. Lionel JOSPIN lui-même n'a-t-il pas, à l'image de plusieurs autres personnalités européennes, banni de son discours la sémantique fédéraliste ?
Toutefois, les conditions dans lesquelles Maastricht a été ratifié par une faible majorité des Français, ont entraîné Edouard BALLADUR, Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN, à mettre en avant la nécessité d'une coopération européenne plus compréhensible pour tous.
Aucun des trois candidats n'a tenu un discours marquant une continuité de la politique de François MITTERRAND, selon laquelle seuls seront membres de l'Union Européenne les Etats qui en accepteraient tout l'acquis, même avec des périodes de transition.
D'ailleurs, depuis quelques années, l'Europe n'a-t-elle pas toujours occupé la dernière place dans la hiérarchie des thèmes de campagne en France ?
Cela s'est à nouveau vérifié durant la campagne 1995.
Le chômage et l'exclusion ont donc été les principales préoccupations des Français chez qui les angoisses et les peurs ont remplacé le rêve et les illusions.
Si Maastricht a suscité autant de critiques et de controverses, c'est tout simplement parce qu'il a renoué avec une vision globale de la construction européenne entamée et abandonnée avec la CED et le Plan FOUCHET, remis sur le rail par l'AUE et qu'il vient confirmer.
Nous terminerons avec Jean-Louis QUERMONNE en disant que "pour réconcilier l'Europe avec la politique, et le citoyen avec l'Europe, il faut qu'une part de rêve réintègre sa construction. Et il convient de donner un sens à celle-ci, ce qui permettrait peut-être de forger une nouvelle espérance".
Il n'y a pas lieu de sombrer dans un pessimisme si l'on se souvient que c'est au moment des crises que la construction européenne a toujours été relancée.
L'ELECTION PRESIDENTIELLE ET L'AFRIQUE
Bob KIRONGOZI
Lors de la campagne présidentielle, l'Afrique n'a pas été un enjeu électoral en France. Les principaux candidats ont été muets, tout au moins discrets sur l'Afrique, cela aussi bien dans leurs professions de foi tels qu'exprimées dans les documents diffusés, que lors des meetings, conférences, interviews et débats radiotélévisés.
L'opinion publique française n'a eu droit simplement qu'à quelques propos allusifs tenus ici et là par certains candidats sur l'état politique, économique et social de l'Afrique, et surtout sur les orientations de la politique française vis-à-vis de ce continent qu'ils appliqueraient après leur élection.
Le débat sur l'Afrique était confidentiel. Il n'a eu lieu, dans les grands médias pour ainsi dire que très succinctement, notamment dans Le Monde du 14 mars résumant la conférence de Lionel JOSPIN tenue à Paris face à la presse diplomatique et un peu plus dans Le Monde du 7 avril où les trois principaux challengers ont répondu aux questions de politique étrangère que leur avaient adressées Bernard-Henry LEVY et Jacques JULLIARD.
La discrétion du discours des candidats vis-à-vis de l'Afrique est bien sûr regrettable pour l'Afrique mais aussi pour l'opinion publique française qui a manqué là une bonne occasion d'être éclairée sur les relations avec un continent dont elle sait peu de choses et qui, somme toute, compte beaucoup sur la France, aussi bien économiquement que pour sa prétention de puissance mondiale.
Certains pourraient penser que l'Afrique est loin de la France, politiquement, économiquement ou culturellement. Mais, c'est inexact puisque les faits démontrent le contraire.
D'ailleurs, Lionel JOSPIN, Jacques CHIRAC et Edouard BALLADUR ont reconnu la proximité géographique, historique, culturelle, ainsi que la communauté de destin politique et de liens économiques entre la France (ou l'Europe) et l'Afrique. Ils ont même suggéré, lorsqu'ils ont eu à s'exprimer sur la question, de renforcer ces liens, de "rétablir la confiance" (CHIRAC), d'avoir avec l'Afrique une relation de "solidarité exigeante" ou "responsable" (BALLADUR), ou encore de favoriser une "dynamique (...) de coopération pour le développement social" (JOSPIN).
Même Jean-Marie LE PEN a reconnu la communauté de destin entre la France et l'Afrique dans le cadre de la francophonie, tout en campant sur sa xénophobie.
Peut-être, la discrétion de propos des candidats sur l'Afrique tient-elle de l'orientation générale "hexagonale" de la campagne et d'un redimensionnement géostratégique moins ambitieux de la France. Dans tous les cas, seuls le Rwanda et l'Algérie ont eu droit à quelque développement, mais les candidats ont plus condamné que proposé une autre politique en rupture avec celle menée jusqu'alors par les gouvernements précédents.
L'originalité est venue de Jean-Marie LE PEN. Rappelant aux électeurs que les immigrés africains en France n'étaient pas les bienvenus dans le pays, il a suggéré la création d'une "université panafricaine" qui permettrait aux diplômés africains qui vivent et travaillent en France d'y exercer leurs talents.
L'Afrique, continent immense, de diversité géographique, culturelle, historique et politique, continent tantôt convoité pour ses nombreuses potentialités et ressources, tantôt boudé pour la fragilité de ses institutions politiques et "l'exotisme" de certains de ses régimes ; enfin, continent frappé de plein fouet par les turbulences politiques majeures dans une époque où de nombreux Etats sont en transition, cherchant à quitter le monolithisme autoritaire et ses succédanés pour engager la société politique, l'ensemble de la société sur le chemin du pluralisme et de la démocratie, l'Afrique appartient du point de vue français à cette catégorie non constitutionnelle du "domaine réservé" du chef de l'Etat dans une répartition entre celui-ci et le Premier ministre.
A une certaine période, ce "domaine" a même été partagé comme on l'a vu entre le Président François MITTERRAND et le Premier ministre Edouard BALLADUR, concernant notamment la gestion de la crise rwandaise et la dévaluation du Franc CFA, monnaie utilisée par plusieurs pays africains.
Mais, l'Afrique est un dossier de politique étrangère, ou plutôt de la coopération, que la France gère d'une façon qui lui est spécifique. Elle ne le fait pas comme la Grande-Bretagne, le Portugal, la Belgique par exemple, qui sont d'autres anciennes puissances coloniales.
La manière dont la France a encouragé la tenue des "Conférences Nationales" à l'image du Tiers Etat durant la Révolution Française de 1789, et l'instauration du multipartisme, est significative de cette politique spécifique.
La politique française à l'égard de l'Afrique est aussi particulière et particulariste. Elle est faite de protection des intérêts particuliers des "réseaux affairistes" comme le disait Lionel JOSPIN qui suggère d'en finir, en adoptant une politique plus transparente avec une gestion plus démocratique restaurant notamment le rôle des Parlements.
Globalement, cette politique gérée concurremment par le ministère de la Coopération et la cellule africaine de l'Elysée - ce qui, de l'avis de certains, contribue à son "opacité", tandis que cela arrange plutôt les dirigeants africains - cette politique donc, dont l'instrument diplomatique est le sommet franco-africain devenu "Sommet de la francophonie", dont l'instrument idéologique est la francophonie et l'instrument économique est "l'aide publique au développement", est faite de tradition ou continuité républicaine, ou si l'on veut de continuité gaullienne paternaliste.
La tradition, c'est la défense de l'Afrique francophone qui assure, comme le dit Jacques CHIRAC, un "rayonnement culturel, politico-stratégique ainsi qu'un marché important (...) et un potentiel important de diversification de ses approvisionnements pétroliers". D'où la proposition d'Edouard BALLADUR d'aider militairement les pays africains, en s'appuyant sur les partenaires européens, à améliorer les capacités de maintien de la paix et de prévention des conflits en Afrique ; ce qui permettra de sauvegarder, au profit de la France, cet espace traditionnel de projection de sa puissance. Mais, on peut craindre le droit de regard que pourraient réclamer, à juste titre d'ailleurs, ses partenaires de l'Union Européenne.
C'est pour sauvegarder l'espace francophone des velléités expansionnistes anglophones que la France déploie toute son énergie diplomatique dans la région des Grands Lacs, en apportant son appui politique, matériel et militaire au maréchal MOBUTU et aux Hutu et Tutsi francophones Rwandais.
La tradition, c'est aussi cette préséance qui est accordée aux dirigeants Africains en France par rapport aux peuples. Comme on peut le lire dans cette phrase de Jacques CHIRAC en matière de relations avec l'Afrique : "l'important me paraît être de rétablir la confiance entre notre pays, les Etats africains, leurs dirigeants, leurs peuples, ainsi qu'avec nos compatriotes qui y sont établis."
Une telle disposition d'esprit (penser aux dirigeants avant les peuples) a nourri les relations paternalistes de chefs d'Etat français sous la Vème République vis-à-vis des Africains. L'on comprend dès lors qu'une fois élu, Jacques CHIRAC se soit empressé d'aller rassurer ses "enfants d'Afrique", allant jusqu'à les rencontrer par petits groupes à Dakar, Rabat, Yamoussoukro et Libreville, rappelant terriblement par ce fait la symbolique du patriarque polygame ayant une nombreuse progéniture. Mais cela n'a pas été du goût de tout le monde parce que le chef de l'Etat malien, Alfa OUMAR KONARE, a refusé de se plier à cette "hiérarchisation" chiraquienne.
"Rétablir la confiance", être au "premier rang" (...) pour assurer la "stabilité politique" de l'Afrique comme l'avait souhaité Edouard BALLADUR, c'est également lorsque la France joue son rôle de père ou mère protecteur / trice en allant au secours des Etats dont la stabilité est menacée par quelques aventuriers locaux... ou Français, ainsi qu'on a pu le voir en Guinée Equatoriale et aux Comores avec Bob DENARD, où de façon tout à fait musclée, la France a rétabli la légalité des institutions.
Ce ne sont donc pas les réformes structurelles des organes de la coopération, comme l'on suggérées les principaux candidats, à savoir supprimer la cellule africaine de l'Elysée qui avait mauvaise presse surtout après le passage dans ce service de Jean-Christophe MITTERRAND, et encore moins le fait de subordonner le ministère de la Coopération à celui des Affaires Etrangères, qui changeraient substantiellement la politique française à l'égard de l'Afrique, laquelle dépend d'autres impératifs.
La politique africaine de la France, telle qu'on peut le voir dans les orientations des candidats, est faite aussi de conditionnalité. Cela remonte pratiquement au discours de La Baule.
Tous les candidats reconnaissent aussi bien le devoir moral d'aider l'Afrique que la nécessité culturelle, économique et politique de la France de le faire. Mais cette aide économique, pour ne parler que de celle-là, doit s'inscrire de plus en plus dans le cadre multilatéral (sans négliger les relations bilatérales, par exemple sur l'assistance militaire qu' aucun candidat ne nomme explicitement), soit par l'Union Européenne grâce au Fonds Européen de Développement qui finance les ACP suite à la convention de Lomé IV, soit surtout par les institutions financières internationales, le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, à travers leurs programmes d'ajustement structurel.
Jacques CHIRAC et Edouard BALLADUR conditionnaient l'aide de la France à la poursuite des programmes avec les institutions de Bretton Woods ; ce qui permettraient de connaître de l'effort et de la rigueur de gestion des "amis africains".
Lionel JOSPIN est plus réservé sur cette conditionnalité. En revanche, il s'accorde avec Edouard BALLADUR sur la condition politique qui lie l'aide aux progrès réalisés par les régimes politiques dans leur démocratisation ; un lien que Jacques CHIRAC s'est refusé d'établir de façon tranchée, bien qu'il trouve "louable, indispensable l'objectif de la démocratisation".
Il est vrai que ces réticences ne datent pas de la campagne et que Jacques CHIRAC considère que le "débat politique en Afrique est trop souvent interminable et stérile, que le manque de maturité de certains responsables des partis politiques contribue à déstabiliser les Etats".
Aujourd'hui, la France est gouvernée par Jacques CHIRAC et ses amis politiques. L'Afrique et la France averties de ses intentions, commencent à vivre leur traduction concrète.
Pour clore notre propos, il est juste de s'interroger sur les attentes des Africains concernant les changements annoncés dans ces élections.
Compte tenu du contexte de crise générale - politique, économique et sociale - qui frappe les Etats, les attentes étaient partagées entre d'une part celles des peuples et d'autre part celles de certains dirigeants.
Concernant les peuples, ce que l'on peut dire, c'est qu'ils n'attendaient plus beaucoup des dirigeants français car depuis la décolonisation, ils ont vu la droite et la gauche alterner au pouvoir. Ils savent qui est Jacques CHIRAC, qui est Edouard BALLADUR, ce que représente Lionel JOSPIN. Les espoirs ont déjà été déçus par les uns et les autres.
En 1981, ils avaient mis beaucoup d'espoir dans le discours anti-dictature de François MITTERRAND. Quatorze ans après, rien n'avait changé positivement. Au contraire, les mêmes dirigeants ont vu conforter leurs pouvoirs, sont redevenus très amis avec les dirigeants de gauche. Le discours de La Baule n'a pas réussi à gommer les exacerbations des peuples vis-à-vis de la France.
Quant aux dirigeants, le discours de La Baule avait irrité la plupart d'entre eux. La dévaluation du Franc CFA, là où cette monnaie est utilisée, a fait naître beaucoup d'inquiétude sur leurs lendemains. Lionel JOSPIN était porteur de la continuité de La Baule. Edouard BALLADUR est perçu comme le responsable d'une politique de rigueur financière et monétaire imposée à l'Afrique par les institutions financières de Washington ; laquelle politique est forte de menace pour leurs privilèges et leurs pouvoirs.
Jacques CHIRAC, on le sait, apparaissait comme le moindre mal, la bouée de sauvetage. Avec son élection, l'hypothèque politique démocratique qui pesait comme une chape de plomb sur la tête des chefs d'Etats comme MOBUTU, BONGO, EYADEMA, etc... est levée. Ces chefs d'Etats ont trouvé une raison supplémentaire de ne plus craindre pour leur survie politique. D'où l'accueil chaleureux qu'ils ont réservé au président CHIRAC lors de son premier voyage officiel en tant que chef d'Etat. Mais l'hypothèque financière demeure du fait de la pression exercée sur les Etats et leurs économies exsangues par le FMI et la Banque Mondiale.
LES RESEAUX PARTISANS DE JACQUES CHIRAC ET DE LIONEL JOSPIN
Rolande PLACIDI
"Laissez donc le peuple choisir lui-même ! Son instinct est plus sûr que celui des partis" affirmait le général de GAULLE en 1962.
Pour le fondateur de la Cinquième République, les partis politiques ne doivent avoir aucun rôle dans le cadre de l'élection présidentielle.
Aujourd'hui pourtant, les partis politiques, parce qu'ils sont structurés, organisés, représentent un atout majeur pour les candidats. Les fédérations, les sections ont un rôle considérable au niveau local. Les militants, par leur engagement, contribuent à faire connaître les candidats et leurs programmes.
Tout candidat à l'élection présidentielle a donc besoin du soutien d'un ou de plusieurs partis politiques sous peine d'échec. En 1995, le cas CHEMINADE est révélateur de ce fait.
Dès lors, les candidats potentiels vont chercher à avoir une légitimité partisane, il leur faudra obtenir l'appui ou le soutien d'un parti. C'est pourquoi une véritable compétition va naître au sein des organisations partisanes.
Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN ont dû faire face à ce problème en 1995. Ces deux candidats bénéficieront d'une légitimité partisane mais qui sera fondée, pour le premier sur sa fonction de président et fondateur du RPR, et pour le second sur le vote des militants.
Il est donc nécessaire en premier lieu, d'analyser cette compétition au sein des partis.
Lorsque le RPR et le PS auront choisi leur candidat respectif, un certain nombre de réseaux gravitant autour de ces formations vont se mettre en marche.
Il leur faudra constater que la force de Jacques CHIRAC réside dans une mobilisation maximale de ses réseaux à l'inverse de ceux de Lionel JOSPIN.
I) UNE COMPETITION AU SEIN DES PARTIS ENTRE LES CANDIDATS POTENTIELS
Le problème s'est posé aussi bien à l'intérieur du RPR que du PS. Cependant, les solutions apportées sont différentes.
1) La démarche des candidats CHIRAC et JOSPIN
La démarche est similaire et consiste à faire connaître leur volonté d'être candidat. L'acte de candidature est donc un acte volontaire, individuel. Ces deux candidats doivent s'imposer à leur parti respectif tout en tenant compte des concurrents potentiels. De ce point de vue, le moment de l'annonce est important.
Pour des raisons différentes, les deux candidats doivent se déclarer le plus tôt possible. Seule l'annonce anticipée de la candidature leur permet d'occuper l'espace politique.
Ainsi, Jacques CHIRAC se déclare le 4 novembre 1994 afin d'apparaître comme le candidat légitime face à Edouard BALLADUR.
De même, Lionel JOSPIN, suite au renoncement de Jacques DELORS, annonce sa candidature le 4 janvier 1995 alors que les actes de candidature ne devaient être déposés devant le bureau politique du PS qu'à partir du 18 janvier, selon un calendrier établi par Henri EMMANUELLI. Cette attitude permet à l'ancien Premier secrétaire du Parti Socialiste de prendre l'ascendant sur ses éventuels adversaires. De plus, il apparaît aux yeux des militants comme le "sauveur" puisque Jacques DELORS, Pierre JOXE, Robert BADINTER et Michel ROCARD avaient refusé d'être candidats.
On constate cependant que les candidatures CHIRAC et JOSPIN ne feront pas l'unanimité au sein du RPR et du PS, surtout au niveau des états-majors. Ainsi, le RPR doit faire face à une double candidature, celle de Jacques CHIRAC et celle d'Edouard BALLADUR. Le problème de la légitimité se pose immédiatement, certains opposeront la légitimité partisane incarnée par Jacques CHIRAC à la "légitimité d'Etat" d'Edouard BALLADUR.
Au PS, la candidature JOSPIN ne suscite pas l'enthousiasme. Elle oppose ses partisans (les rénovateurs, les rocardiens) aux fabiusiens, "emmanuellistes" et "languistes". La guerre des courants reprend de plus belle et expliquera la candidature d'Henri EMMANUELLI.
Les problèmes qui se posent aux deux formations vont être résolus de façon différente.
2) Le choix des candidats
Le PS aura recours à ses statuts et à ses militants pour trancher le litige.
Le RPR accepte deux candidats et affiche une fausse neutralité.
Pour la première fois, et dans un délai très court, le PS organise la consultation des adhérents afin que ceux-ci désignent le candidat à l'élection présidentielle. Cette procédure figure dans les statuts du Parti Socialiste depuis des années. Elle n'était que formelle lorsqu'il s'agissait de "désigner" François MITTERRAND.
En 1995, ce sont les circonstances qui imposent l'application des statuts, notamment l'article 9. Par leur vote, les adhérents tranchent les conflits existants au sein du PS et permettent au candidat ainsi désigné de se prévaloir d'une légitimité partisane et démocratique. Ce mode de désignation a eu un impact important sur la campagne du candidat puisque Lionel JOSPIN a bénéficié du soutien de l'ensemble du Parti Socialiste.
En ce qui concerne le RPR, il faut insister sur la fidélité des militants à leur chef. La stratégie d'Edouard BALLADUR consistait à prendre tout d'abord appui sur le centre, ce qui explique d'abord la nécessité de séduire les composantes de l'UDF et ensuite d'attirer une partie du RPR afin d'affaiblir Jacques CHIRAC.
Suite à l'annonce officielle de la candidature du président du mouvement gaulliste, il a été décidé au sein du RPR de convoquer une réunion exceptionnelle en novembre 1994. Le but de cette réunion était d'assurer l'intérim de la présidence du RPR et surtout d'exprimer par un vote la reconnaissance du mouvement à l'égard de Jacques CHIRAC. C'est précisément ce vote qui pose problème.
En effet, pour Charles PASQUA et Philippe SEGUIN, ce vote s'apparente à une investiture qui ne leur paraît compatible ni avec l'esprit des institutions, ni avec le souci de maintenir le rang et le rôle du mouvement gaulliste. Les deux ténors du RPR refusent donc de participer à cette réunion.
Philippe SEGUIN justifie son refus en affirmant qu'un tel vote serait catastrophique pour le RPR puisqu'à cette époque, un autre candidat potentiel existe en son sein. Le but recherché était bien de démontrer que le RPR soutenait son président, ce qui aurait alors rendu plus difficile la candidature du Premier Ministre. On ne peut donc pas parler d'une investiture de Jacques CHIRAC par le RPR comme cela s'est fait en 1988 sur les conseils de Charles PASQUA. L'absence de certains dirigeants importants et de quelques parlementaires démontre la division du mouvement gaulliste. Il faut cependant constater la fidélité des militants. C'est donc la fonction de "président fondateur" qui donne une légitimité à Jacques CHIRAC.
La candidature d'Edouard BALLADUR oblige le RPR à avoir une attitude neutre, réservée. Force est cependant de constater que le RPR dans son ensemble s'est mis au service de Jacques CHIRAC. La règle, c'est le soutien à Jacques CHIRAC. Les deux secrétaires généraux adjoints, Jean-Louis DEBRE et Jean-François MANCEL vont d'ailleurs utiliser la Lettre de la Nation pour toucher les militants et fortement structurer les comités départementaux de soutien afin qu'ils soient le plus efficaces possible.
Les candidats CHIRAC et JOSPIN bénéficient donc d'une légitimité partisane. Il est dès lors évident que ces formations vont se mettre au service des candidats. Les fédérations, les militants vont jouer un rôle essentiel. Cependant, le soutien du seul parti ne suffit pas, il est important pour un candidat de multiplier les réseaux et donc utiliser les organisations partisanes qui gravitent autour des partis politiques.
II) LES SOUTIENS D'AUTRES FORMATIONS
1) En faveur de Jacques CHIRAC
Les réseaux qui soutiennent Jacques CHIRAC sont nombreux. Il faut en distinguer trois catégories :
-Ceux qui gravitent autour du RPR.
-Ceux qui le soutiennent dans un but stratégique.
-Ceux qui sont liés à la fonction de maire de Paris.
En ce qui concerne les organisations qui gravitent autour du RPR, il faut citer les associations gaullistes comme le Centre de Formation d'Etudes et d'Informations, Femmes Avenir, Femmes pour la France (composées de parlementaires RPR), l'Union des Anciens Députés Gaullistes, l'Association Jacques CHIRAC pour l'Afrique, les Sections d'Entreprise RPR de Citroën, Renault, Peugeot...
Les réseaux jeunes se son eux aussi mobilisés pour l'ancien président du RPR. On peut citer entre autres les Jeunes Avec CHIRAC (JAC), le Rassemblement pour une Autre Politique (RAP) proche de Philippe SEGUIN, les Etudiants Avec CHIRAC, l'Union Nationale Interuniversitaire (UNI)... Tous ces réseaux sont encadrés par l'appareil RPR et leur mobilisation est maximale.
Certaines composantes vont soutenir Jacques CHIRAC dans un but stratégique. C'est par exemple le cas du Centre National des Indépendants (CNI) ou des Clubs Perspectives et Réalités. En soutenant massivement le maire de Paris, ils s'opposent à la candidature du Premier Ministre.
La fonction de maire de Paris est également primordiale. Son adjoint Jacques DOMINATI a convaincu 30 des 44 conseillers UDF de Paris de se prononcer en faveur de Jacques CHIRAC. Un quart du Parti Radical soutient le maire de Paris. Cela s'explique par l'importance de la fédération parisienne et par le travail effectué par Yves GALLAND (adjoint au maire de Paris) et Louis MORLE (secrétaire général du mouvement et conseiller de Paris).
Il faut cependant insister sur les procédures de vote. En effet, le Parti Républicain et le Parti Radical ont opté pour un vote secret. Il y a donc une liberté totale des votants. A l'inverse, d'autres organisations comme le Centre des Démocrates Sociaux ont préféré le vote à main levée. Certains affirment même que lors du vote à l'intérieur du CDS, les partisans de Jacques CHIRAC se trouvaient dans les couloirs !
Jacques CHIRAC dispose donc de réseaux importants, bien implantés en province et fonctionnant de manière efficace sous la tutelle du RPR et des structures parisiennes. La fonction de maire de Paris ne doit donc pas être négligée.
Les réseaux de Lionel JOSPIN sont beaucoup moins importants, ce qui explique la faiblesse du candidat.
2) La faiblesse des réseaux JOSPIN
Lionel JOSPIN obtient le soutien du Parti Socialiste dans son ensemble ainsi que celui du Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS).
Force est de constater que les réseaux qui gravitent autour du PS ne se sont pas réellement mobilisés. C'est par exemple le cas des structures féminines.
Cette absence de mobilisation peut s'expliquer de différentes façons.
De l'avis de tous, Lionel JOSPIN n'est pas un "homme de réseaux", il n'a pas constitué au sein du PS de courant. Il adopte donc une attitude inverse de celle de François MITTERRAND qui était un "homme de cercles". Chaque cercle incluait des personnalités qui étaient à la tête de réseaux. En mobilisant ses cercles, François MITTERRAND mobilisait donc un ensemble de réseaux.
D'autre part, la campagne du candidat socialiste est impulsée de Paris. Toutes les initiatives prises au niveau local sont stoppées de peur de dépasser le plafond des dépenses.
Il y a donc bien une faiblesse des réseaux JOSPIN face aux réseaux CHIRAC. Cette faiblesse est renforcée par l'opposition de Radical à la candidature de Lionel JOSPIN. Les divers réseaux gravitant autour de ce parti ne se sont donc pas vraiment mobilisés lors de la campagne.
Les réseaux partisans jouent un rôle indispensable lors de la campagne présidentielle. Parce qu'ils sont structurés, organisés et répartis sur l'ensemble du territoire, ils contribuent à faire connaître le candidat, ses idées, son programme.
En 1995, la force de Jacques CHIRAC réside dans la multitude et l'efficacité des réseaux partisans qui le soutiennent. En outre, leur mobilisation est effective dès le début de la campagne. Il nous faut alors insister sur l'importance du Rassemblement Pour la République qui est une véritable machine électorale.
Lionel JOSPIN, lui, aurait pu tirer profit de son mode de désignation mais il n'a pas su mobiliser les réseaux qui gravitaient naturellement autour du Parti Socialiste. Ceux-ci ne se sont mobilisés qu'entre le premier et le second tour mais il était déjà trop tard...
LES RESEAUX D'EDOUARD BALLADUR EN MEURTHE-ET-MOSELLE
François LAVAL
Dans ses Mémoires d'Espoir, le général de GAULLE avait justifié son choix de faire élire le chef de l'Etat au suffrage universel direct en affirmant péremptoirement que pour asseoir sa légitimité et son autorité, le président de la République devait être l'homme du pays "tout entier".
Dès lors, pour espérer gagner une élection présidentielle, tout candidat se doit de disposer d'une organisation efficace avec l'existence de réseaux locaux permettant un maillage étroit du corps électoral sur l'ensemble du territoire national. Car, finalement, quels facteurs commandent un vote ? Gérard GRUNBERG, directeur de recherche au CEVIPOF, en a déterminé plusieurs dans son "analyse sur le comportement électoral des Français" : "Le vote n'est pas la traduction pure et simple des orientations politiques et idéologiques des individus et de leurs demandes à l'égard des partis et du système politique. Le vote est aussi et peut-être surtout une réponse de l'électeur aux sollicitations de ce dernier".
Ce facteur "sollicitation des électeurs", Edouard BALLADUR ne pouvait raisonnablement pas s'y soustraire, même s'il escomptait exploiter les ressources de la démocratie médiatique.
En ce domaine, dès le début de la campagne, Edouard BALLADUR a souffert de trois handicaps :
-Le premier handicap tenait au fait que bien que membre éminent du RPR, il ne contrôlait pas l'appareil et donc sa machine électorale.
-Le second handicap est résumé dans une phrase de Gérard LONGUET : "Edouard BALLADUR n'a pas naturellement la formule de campagne". En effet, même s'il a participé dans l'ombre à la campagne présidentielle de Jacques CHIRAC en 1988, son expérience est très modeste. Il n'a sollicité les suffrages de ses concitoyens que lors des législatives de 1986. De plus, que ce soit en 1986, 1988 ou 1993, il a été élu sans avoir à mener un combat, sa circonscription étant taillée à sa mesure.
-Le troisième handicap tenait à son implantation uniquement parisienne, étant également conseiller de Paris depuis 1989.
En clair, Edouard BALLADUR ne pouvait faire valoir sa connaissance de la France profonde, de départements comme la Corrèze...
Tout au moins pouvait-il espérer s'appuyer sur son expérience de Premier ministre et sur sa garde rapprochée qu'étaient les ministres qualifiés de "Balladuriens", qui devaient constituer ses "têtes de pont" dans leur département.
Ainsi, en Meurthe-et-Moselle, il a pu compter sur son ministre de la Fonction Publique, maire de la plus grande ville du département, André ROSSINOT.
Comme dans tous les autres départements français, Edouard BALLADUR s'est appuyé sur les réseaux politiques existants, négligeant de travailler en profondeur d'éventuels réseaux au sein de la société civile. En fait, Edouard BALLADUR était intimement convaincu qu'il pourrait facilement effectuer la synthèse de ses multiples soutiens en les encadrant étroitement dans son réseau des comités de soutien à sa candidature.
I) EDOUARD BALLADUR A STRATEGIQUEMENT PRIVILEGIE LES RESEAUX EXISTANTS DE LA SOCIETE POLITIQUE
Sa tactique a été simple : séduire les parlementaires, hommes politiques influents et souvent chefs de partis, afin qu'ils jouent le rôle de catalyseurs des soutiens et entraînent dans leur sillage les structures partisanes et les élus locaux.
Cette tactique de séduction des parlementaires a plutôt bien réussi en Meurthe-et-Moselle où sur neuf parlementaires de la Majorité, sept ont clairement pris position en faveur d'Edouard BALLADUR.
Les quatre sénateurs UDF ont choisi le Premier ministre de l'époque : Jacques BAUDOT, Jean BERNADAUX, Claude HURIET et Philippe NACHBAR.
Les trois députés UDF ont eux aussi apporté leur soutien à Edouard BALLADUR : Claude GAILLARD, Aloys GEOFFROY et Jean-Marie SCHLERET.
Il est à noter que le Premier ministre avait su les valoriser en les recevant à dîner ou à déjeuner (à ce titre, Jean-Paul DAVIN, chargé à Matignon des relations avec les parlementaires, a reconnu qu'en "un an et demi, Edouard BALLADUR les a tous vus, surtout les jeunes") ou en leur confiant des missions parlementaires (Jean-Paul DAVIN les a chiffrés à 47%, "du jamais vu dans les annales" selon ses dires). Ainsi, Jean-Marie SCHLERET a été nommé à la tête de la Commission nationale d'évaluation et de proposition pour la sécurité dans les établissements scolaires en décembre 1993, lui permettant d'avoir accès aux médias nationaux.
Par contre, aucun parlementaire RPR n'a pris position en faveur d'Edouard BALLADUR. Les conseillers du Premier ministre ne se faisaient aucune illusion sur le député Gérard LEONARD, délégué régional RPR et "chaud" chiraquien de longue date.
La position n'a pas été aussi claire pour le député RPR de Lunéville, François GUILLAUME. Les balladuriens pensaient que le ralliement du ministre de l'Intérieur, au Premier ministre, le 12 janvier 1995, inciterait ce proche de Charles PASQUA à suivre son exemple. Finalement, déplorant l'absence de règlement amiable au sein du RPR, François GUILLAUME a décidé de ne pas prendre de position partisane au premier tour, comme d'autres parlementaires tel Alain PEYREFITTE.
Ce soutien des parlementaires a eu son corollaire en termes de structures partisanes.
Ainsi, l'UDF "départementale" est présidée par André ROSSINOT. Il ne faisait donc aucun doute que l'UDF de Meurthe-et-Moselle choisirait Edouard BALLADUR.
Une petite incertitude pouvait toutefois concerner les diverses composantes de l'UDF, étant donné la position des Clubs Perspectives et Réalités et de quelques personnalités au niveau national.
Mais, André ROSSINOT a mis un point d'honneur à ce qu'il ne manque aucun soutien à Edouard BALLADUR au sein de l'UDF de Meurthe-et-Moselle.
Pour le Parti Radical dont il est président national, et le Parti Social Démocrate - présidé par Me MICHEL), le soutien n'a posé aucun problème. Il en fut de même pour le Parti Républicain présidé par le député Claude GAILLARD, le Centre des Démocrates Sociaux présidé par Charles CHONE et comptant deux sénateurs, Jacques BAUDOT et Jean BERNADAUX, et les Adhérents Directs dont le responsable est le sénateur Claude HURIET.
André ROSSINOT a même réussi le tour de force d'obtenir le soutien des Clubs Perspectives et Réalités dirigés par le conseiller régional Olivier RICARD.
Par contre, le ralliement de Charles PASQUA n'a pas entraîné celui de l'appareil RPR. La fameuse "machine électorale RPR" n'a pas été cassée comme espéré. Ainsi, 93 fédérations départementales ont opté en faveur de Jacques CHIRAC. En Meurthe-et-Moselle, la Fédération RPR a voté à 97,7% pour la motion de soutien au maire de Paris.
Enfin, les élus locaux constituaient le troisième volet de la stratégie de conquête des réseaux de la "société politique". Ils sont en effet des relais de proximité irremplaçables.
Les conseillers généraux de la majorité ont été séduits, dès le départ, par Edouard BALLADUR puisque lors de la primaire interne à ce groupe politique, organisé le 21 novembre 1994, les résultats ont été les suivants : sur 22 membres présents, Edouard BALLADUR a obtenu 19 voix contre 2 seulement à Jacques CHIRAC. Il est à préciser que ce groupe ne compte qu'un représentant RPR.
Pour bien appréhender la mobilisation ou non des élus locaux, il faut se reporter à la liste des parrainages envoyés au Conseil Constitutionnel. On constate que Jacques CHIRAC l'a emporté avec 54 signatures, Edouard BALLADUR n'en obtenant que 47. Sur ces 47, près de la moitié a été accordée par 19 conseillers généraux et 3 conseillers régionaux (André FERRARI, Jean-Yves KLOS et Christian PARRA).
Jacques CHIRAC a recueilli sur son nom les soutiens des maires du monde rural qui, a contrario, ne s'est pas mobilisé pour Edouard BALLADUR.
Edouard BALLADUR a donc échoué dans la mobilisation des élus locaux, surtout ruraux.
Toutefois, au total, il a gagné à sa cause la majorité des réseaux de la "société politique" de Meurthe-et-Moselle.
Condition nécessaire mais non suffisante pour espérer l'emporter. Car, si les quelques 650 élus constituent d'excellents vecteurs d'information, l'élection présidentielle a intéressé plus de 500.000 meurthe-et-mosellans qu'il fallait solliciter.
II) EDOUARD BALLADUR A NEGLIGE DE CONSTITUER ET TRAVAILLER DES RESEAUX AU SEIN DE LA SOCIETE CIVILE.
Du fait de la stratégie d'entrée tardive en campagne - il n'a annoncé sa candidature que le 18 janvier 1995 - Edouard BALLADUR n'a pu réaliser un travail de fond au sein de la société civile. De toute façon, il était persuadé qu'il n'en avait pas réellement besoin. Il était convaincu que la "majorité silencieuse" le soutenait et que "trois mois et demi de campagne, c'était bien suffisant" selon les propos de Nicolas SARKOZY.
Le comble est que non seulement il n'a pas éprouvé le besoin de constituer des réseaux, mais il a également et surtout refusé l'activation de réseaux qui lui étaient offerts.
C'est l'exemple du Comité national pour la candidature d'Edouard BALLADUR à la présidence de la République, inconnu du grand public et même des spécialistes de la vie politique, pour cause car cette initiative a été tuée dans l'oeuf par les stratèges balladuriens.
En septembre 1994, douze personnes du sud de la France, d'horizons divers (professions médicales, enseignants, avocat, assureur, horticulteur) se sont regroupés autour du notaire Albert PORCEL pour créer ce comité. Leur objectif était d'essaimer dans toute la France par une campagne de signatures.
A Nancy, Albert PORCEL a contacté son ami pied noir Jean-Pierre PICO et l'a désigné comme animateur de ce réseau en Lorraine. Sa campagne de signatures dans tous les milieux de la société devait aboutir à être opérationnel à partir du 1er janvier 1995, date à laquelle l'ensemble des antennes territoriales devaient mener des actions ostentatoires.
En quelques semaines, ce réseau a constitué une soixantaine de relais locaux dans les principales villes. Mais à Nancy, Jean-Pierre PICO n'a pu mener à bien sa mission car il n'en a pas eu les moyens. Dès le départ, Edouard BALLADUR n'a pas voulu apporter son soutien financier et logistique et il leur a même demandé de ne contacter aucun homme politique. Pire, il leur a même ordonné de se mettre en sommeil et de ne commencer la campagne de signatures que le 1er janvier 1995.
Cette attitude a de quoi laisser perplexe car on ne commence pas une campagne à partir de la déclaration officielle de candidature sinon c'est déjà trop tard.
A Nancy, Jean-Pierre PICO a tout de même tenté de faire vivre ce réseau mais sans aucun moyen matériel ni soutien politique, toutes les portes lui ayant été fermées. Il en a tiré une leçon amère : "on ne peut pas apporter sa contribution à un homme politique si on ne fait pas partie d'un appareil politique".
Cette remarque n'est pas éloignée de l'état d'esprit qui a animé Edouard BALLADUR dès le début de sa campagne : priorité aux réseaux politiques existants.
Et lorsqu'il a fallu penser à mobiliser la société civile autour de sa candidature, à partir de sa chute dans les sondages, il a eu recours à une stratégie de "coups médiatiques" insuffisamment préparés.
Par exemple, pour s'attirer les suffrages des jeunes, les stratèges balladuriens ont monté l'opération "dialogue avec les jeunes" dont la première étape a eu lieu à Nancy le 8 mars 1995. Ils ont parié sur le couple médiatique DOUSTE-BLAZY - "Le Doc" qui devaient dialoguer une soirée avec 500 jeunes. Or, de manière tout à fait inexpliquée, au lieu d'ouvrir cette soirée à tous les jeunes et d'en faire la promotion, elle a été réservée aux jeunes militants politiques convaincus. Résultat de l'opération : échec à Nancy où une petite cinquantaine de jeunes étaient présents ; échec à Aix-en-Provence, entraînant l'abandon de cette opération ayant coûté très chère car toute une équipe de télévision filmait la soirée sous la direction de la célèbre productrice Dominique CANTIEN.
III) EN REALITE, EDOUARD BALLADUR ESCOMPTAIT BEAUCOUP DE SON RESEAU DES COMITES LOCAUX DE SOUTIEN
"Son réseau", car Edouard BALLADUR n'avait finalement qu'une confiance limitée en les réseaux politiques existants, et il entendait bien les encadrer étroitement par l'intermédiaire de son organisation pyramidale des comités de soutien.
Première consigne : Edouard BALLADUR avait décidé que chaque Comité départemental devait associer à sa tête un élu RPR et un élu UDF, tout au moins si les circonstances le permettaient.
En Meurthe-et-Moselle, André ROSSINOT espérait bien obtenir le ralliement du député RPR François GUILLAUME et avait proposé une présidence collégiale : lui, François GUILLAUME et le président du Conseil général Jacques BAUDOT.
Finalement, ne pouvant compter sur un parlementaire RPR, André ROSSINOT a pris seul la présidence.
Il est frappant de constater que la constitution de ce comité meurthe-et-mosellan a été en décalage par rapport aux préceptes énoncés par Edouard BALLADUR.
Ainsi, le Premier ministre s'était toujours présenté à l'opinion publique comme un "responsable au-dessus de la mêlée", un homme neuf et libre de toute attache partisane. Or ce souffle n'a pas été ressenti au niveau local car le Comité de soutien a été monopolisé par les hommes politiques traditionnels. D'où un sentiment latent au sein de l'opinion publique, du style "on prend les mêmes et on recommence".
D'ailleurs, L'Est Républicain n'a pas manqué de souligner ce point lors de la présentation de la composition du Comité meurthe-et-mosellan. le journaliste Alain DUSART a ainsi titré "le comité de soutien au Premier ministre rassemble le gratin politique de Meurthe-et-Moselle, en quête de légitimité populaire".
En outre, un thème fort de sa campagne - sous la pression de Simone VEIL - était le renforcement de la place des femmes dans la vie politique.
Or, on n'a pas retrouvé de femmes à un poste de responsabilité. Elles ont essentiellement assuré une présence effective à la permanence de la rue du Pont Mouja. Ne serait-ce que symboliquement, les hommes politiques auraient pu faire un effort pour ne pas donner l'impression de ne déjà pas respecter une promesse électorale avant même la fin de la campagne.
Le journaliste du Républicain Lorrain, Xavier BROUET, n'a pas manqué de relever, "dans l'aréopage des partisans meurthe-et-mosellans d'Edouard BALLADUR, un premier constat s'impose : les femmes ont été oubliées".
Dans les faits, la campagne de ce comité de soutien n'a pas semblé décoller. les documents de propagande sont arrivés tardivement du Comité national. Naturellement, tout était décidé par l'équipe entourant le directeur de campagne Nicolas BAZIRE. Tout était étroitement encadré, jusqu'à la forme des communiqués de presse qui devaient être conformes aux exemples-type.
Une des actions principales du comité de soutien a été de préparer les venues des ministres et de mobiliser les troupes à ces occasions : Michel BARNIER est venu dans le Toulois le 23 mars 1995, Charles PASQUA a réalisé un véritable périple en traversant la Meurthe-et-Moselle du nord au sud le 3 avril 1995, la "cerise sur le gâteau" "étant la furtive visite d'Edouard BALLADUR au Zénith de Nancy le 11 avril 1995 à l'occasion de son meeting lorrain à Metz le soir même.
En fait, les membres du Comité de soutien ont eu un désagréable sentiment d'impuissance, comprenant qu'Edouard BALLADUR avait axé sa campagne sur la qualité de ses prestations audio-visuelles.
Sans doute a-t-il été convaincu par une analyse de Pascal PERRINEAU, directeur du CEVIPOF, qui pense que "l'essentiel reste les médias écrits et audio-visuels, à partir desquels le choix se façonne".
L'honneur a été sauf pour tous les partisans meurthe-et-mosellans d'Edouard BALLADUR car le Premier ministre a réalisé 18,07% contre 17,72% pour Jacques CHIRAC, même si à Nancy, le président du RPR n'a été devancé que de 255 voix (22,8% contre 22,2%).
Quels enseignements pouvons-nous tirer de cet échec d'Edouard BALLADUR ?
-Premier enseignement : on ne s'improvise pas du jour au lendemain candidat à la Magistrature suprême, même si les sondages y incitent. On connaît bien la versatilité de l'opinion publique surtout en pleine période de crise.
Les succès de François MITTERRAND et de Jacques CHIRAC montrent bien qu'il s'agit plutôt d'un long parcours initiatique.
-Deuxième enseignement : pour accéder à la présidence de la République, il faut pouvoir s'appuyer sur un parti politique structuré, avec une force de frappe militante, avec une implantation locale très forte, un parti politique relayé et assisté par un maillage très dense de toutes sortes de réseaux. Cela permet de faire la différence le jour de l'échéance.
C'est ce qui a cruellement manqué à Edouard BALLADUR au soir du 23 avril 1995, distancé de peu par son concurrent direct, Jacques CHIRAC, réputé pour ses solides réseaux d'amitié.
LES RESEAUX DES CANDIDATS DANS LES VOSGES
Christelle DORGET
L'intérêt à traiter un tel sujet apparaît a priori tout relatif. Pourtant, et nous le verrons, les Vosges n'ont pas manqué de constituer à bien des égards une exception, pour ne pas dire une curiosité, dans les positions, les choix et les décisions des responsables politiques vosgiens.
Les réseaux peuvent être définis comme étant l'ensemble des forces politiques qui, sur le terrain, furent des acteurs de l'élection présidentielle.
Alors, vu le contexte politique local, c'est-à-dire l'absence totale ou presque de soutiens organisés pour les candidats VOYNET, LAGUILLER et CHEMINADE, il ne sera traité que des réseaux de Jacques CHIRAC, Lionel JOSPIN, Edouard BALLADUR, Robert HUE et Jean-Marie LE PEN.
Ces réseaux étaient constitués d'une part par les partis politiques, et d'autre part par les élus locaux qui ont eu ici un rôle fondamental.
I) LES PARTIS POLITIQUES : UN ELEMENT CLE DES RESEAUX DES CANDIDATS
Dans les Vosges, tous les candidats à l'élection présidentielle que nous étudions, étaient soutenus par un parti politique, à savoir :
-Jean-Marie LE PEN par le Front National.
-Robert HUE par le PCF
-Lionel JOSPIN par le Parti Socialiste.
-Edouard BALLADUR par l'ensemble de l'UDF.
-Jacques CHIRAC par le RPR alors qu'au plan national, ce dernier n'a officiellement investi aucun candidat et que l'une des composantes de l'UDF, les Clubs Perspectives et Réalités, avaient apporté leur soutien à Jacques CHIRAC.
Si les instances locales du PCF, du FN et de l'UDF avaient chacune leur candidat naturel, au RPR, le choix entre Jacques CHIRAC et Edouard BALLADUR, n'allait pas toujours de soi.
Au PS, les difficultés étaient engendrées par les courants traversant le parti.
1) Une campagne facilitée pour les partis ayant un candidat naturel.
C'est le cas à l'UDF qui, dans les Vosges, se résume presque exclusivement au Parti Républicain. Mais, en terme de capacité de mobilisation et d'action sur le terrain, le PR est loin d'égaler le PS et plus encore le RPR. Le tissu militant est inégalement réparti, d'où l'impossibilité de construire un maillage de terrain efficace. Néanmoins, et quelle que soit la puissance de l'UDF, il n'en demeure pas moins qu'elle fut le seul parti à soutenir Edouard BALLADUR : ses adhérents réunis en assemblée fédérale à la mi-février ont voté à l'unanimité des présents en faveur du soutien au Premier Ministre.
Même si Edouard BALLADUR n'appartient pas à cette famille politique, il en était son candidat "naturel" puisque l'UDF n'avait pas - ou trop - de prétendants dans ses rangs. En outre, les militants n'étaient pas disposés à faire campagne pour Jacques CHIRAC qu'ils considèrent toujours comme celui qui a fait perdre Valéry GISCARD d'ESTAING en 1981. L'hostilité de principe au maire de Paris demeure donc.
Quant à Robert HUE et à Jean-Marie LE PEN, ils sont également des candidats naturels puisque chefs de leurs partis respectifs. Leurs réseaux se ramenaient exclusivement au mouvement, les élus étant trop peu nombreux.
Notons pourtant que ces partis extrémistes ont mené une campagne de proximité, de terrain, dans la rue, et allant jusqu'à créer du matériel de campagne spécifique au département des Vosges.
2) Le dilemme au RPR
C'est bien sûr au RPR que la situation fut la plus complexe, tant au niveau national que local puisque deux candidats étaient issus de son sein : Jacques CHIRAC et Edouard BALLADUR.
Ce duel national a trouvé lieu à s'exprimer dans les Vosges à travers les deux "amis" de 20 ans : le député-maire d'Epinal Philippe SEGUIN et le sénateur-maire de Remiremont, président du conseil général Christian PONCELET, tous deux membres de la famille gaulliste.
Dans sa biographie consacrée à Philippe SEGUIN, Bruno SEZNEC a montré comment ces deux hommes, qui n'ont pourtant rien à s'envier d'un point de vue électoral, en sont venus à un véritable combat plus ou moins feutré et dont la campagne présidentielle fut un révélateur supplémentaire. Comme le dit Bruno SEZNEC, leurs relations sont aujourd'hui à la "limite du minimum syndical".
Dès lors, les responsables locaux du RPR se répartissent en deux obédiences : les "séguinistes" à Epinal et les "poncelistes" dans le reste du département. Or, pour cette élection, tous avaient fait un choix identique : leur candidat était Jacques CHIRAC. Pour les supporters du maire de Remiremont, la question était de savoir comment être chiraquien sans apparaître séguiniste. L'ambiguïté fut levée lorsque le balladurien Christian PONCELET précisa que chacun devait choisir librement.
Les responsables du mouvement gaulliste, qui jusque là hésitaient encore à rejoindre le comité le soutien au maire de Paris, se lancèrent alors dans la campagne.
Quant à la position du RPR dans les Vosges, elle n'exista pas : Christian PONCELET, patron de la fédération refusant que tout vote ait lieu en comité départemental, les balladuriens étant minoritaires.
Ainsi, le RPR, parti le mieux structuré dans le département, constitua le réseau local de Jacques CHIRAC.
3) Les courants du PS et l'inévitable déchirement des hommes.
Comme au plan national, la fédération vosgienne du PS n'échappe pas aux courants. Les fabiusiens y sont de loin majoritaires. C'est d'ailleurs ce qu'ont confirmé les "primaires" internes de février où les militants ont voté à 60% pour Henri EMMANUELLI et 40% pour Lionel JOSPIN alors que ce dernier obtenait 65% pour l'ensemble des fédérations. Les Vosges font ainsi partie des quelques exceptions plaçant le Premier Secrétaire en tête. Ceci s'explique principalement par le fait que le maire de Saint-Dié, Christian PIERRET - fabiusien - a une influence non négligeable sur les sections de sa circonscription qui compte un tiers des adhérents du département.
Néanmoins, les responsables socialistes s'étaient engagés à faire campagne pour celui qui sortirait vainqueur de cette élection interne quel qu'il soit, ce qu'ils ont fait...
Mais, les partisans de Lionel JOSPIN, essentiellement des rocardiens dopés par l'événement, ne se sont pas contentés de mener tambour battant pour leur candidat. Ils en ont profité pour "solder des comptes" du passé, et en particulier des élections régionales de 1992 où des conseillers sortants s'étaient vus placés en position inéligible, la liste ayant bien sûr été constituée par le courant majoritaire. Ainsi, Christian PIERRET qui devait présider le comité de soutien, fut remplacé par l'état major de campagne parisien par un rénovateur, le maire de la Bresse, Guy VAXELAIRE et ce, sur recommandations d'une personnalité locale du PS, l'avocat spinalien Gérard WELZER.
Alors, afin de calmer les esprits, le bureau fédéral a trouvé un compromis pour ne pas abandonner totalement Christian PIERRET. Il l'a nommé porte-parole du candidat pour les Vosges. Une fois de plus, ce département s'est démarqué puisque là seulement, Lionel JOSPIN aura eu un porte-parole ; partout ailleurs, cette fonction n'existait pas !
Malgré cet accroc, les socialistes vosgiens n'ont pas ménagé leurs efforts tout au long de la campagne. Le PS a constitué le réseau principal de Lionel JOSPIN avec à ses côtés - mais dans une bien moindre mesure - le Mouvement Des Citoyens de Jean-Pierre CHEVENEMENT.
Si les partis politiques sont un atout précieux des candidats et en particulier de par les moyens logistiques qu'ils peuvent apporter, ils ne constituent pourtant qu'un aspect de leur réseau.
A côté d'eux, il y a aussi et surtout les élus locaux qui mettent leur charisme au service des candidats.
II) LE CHOIX DES ELUS LOCAUX
Les élus locaux ont un rôle fondamental en raison de leur choix présidentiel et parce qu'ils créent les comités de soutien aux candidats.
1) Le soutien des élus locaux.
Il va de soi que les élus FN et communistes ont soutenu sans hésitation leur candidat respectif. Ce qu'il nous faut étudier ici, c'est l'engagement des 6 parlementaires vosgiens (4 RPR et 2 UDF) et des conseillers généraux et régionaux de droite.
A gauche, le terme PS étant dans certains cas inexact, il convient d'utiliser un vocabulaire plus englobant. L'unité de candidature ne laissait pas le choix et la plupart des élus locaux socialistes étant des rénovateurs, en particulier les conseillers généraux, leur soutien à Lionel JOSPIN n'en était que plus enthousiaste.
* Le choix des parlementaires
Le seul parlementaire vosgien à avoir soutenu Jacques CHIRAC fut Philippe SEGUIN. Les trois autres députés, à savoir G. CHERPION, F. VANNSON, tous deux apparentés RPR et Jean-Pierre THOMAS (UDF), ont signé pour le Premier Ministre. Les sénateurs PONCELET (RPR) et VOILQUIN (UDF), ont fait de même.
Pendant cette campagne, beaucoup de propos auraient pu être consacrés au Président de l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire à l'homme politique d'envergure nationale voire internationale mais sans doute très peu au député-maire d'Epinal, l'homme politique local.
En effet, Philippe SEGUIN fut, avec Alain JUPPE, l'un des lieutenants de Jacques CHIRAC, pour ne pas dire le premier d'entre eux. Il a propulsé la campagne du futur président à travers quelques grands discours.
Mais, au plan local, il fut absent, totalement ou presque, puisqu'il n'est intervenu - et encore indirectement par la voie de ses collaborateurs spinaliens - qu'à deux reprises : afin de planifier le déplacement de Jacques CHIRAC à Epinal et pour mettre en place le comité de soutien départemental.
Il ne s'est pas davantage investi dans son département. C'en est presque à croire qu'entre lui et les Vosges, il n'y avait pas de lien.
Et pour cause, il a mené une campagne qui dépassait de loin le cadre de celle de son département d'élection.
Comme il le disait lui-même, il a entrepris une campagne d'explication.
Voyons à présent les motifs du choix balladurien des cinq autres parlementaires vosgiens.
S'agissant d'abord des élus UDF, leur position était logique, suivant en cela leur parti. Dès janvier, le sénateur VOILQUIN signait l'appel à la candidature d'Edouard BALLADUR.
Quant au député de la plaine, Jean-Pierre THOMAS, même s'il fut un membre fondateur du comité de soutien au Premier Ministre, son choix n'était pas exclusif. C'est-à-dire qu'il a fait des apparitions remarquées dans les manifestations chiraquiennes, ce qui n'a pas manqué de choquer du côté gaulliste Evidemment, s'il était facile de "miser" sur Edouard BALLADUR en janvier, tout laisse penser que le revirement des sondages encourageait pour le moins à un choix peu sectaire.
Jean-Pierre THOMAS fut l'initiateur de la réconciliation des balladuriens et des chiraquiens dans l'entre deux tours : concrètement, il a permis la rencontre SEGUIN / PONCELET afin de fusionner les comités de soutien.
Pour les trois autres parlementaires RPR ou apparentés, il s'agit d'abord du sénateur PONCELET qui fut l'organisateur principal de la campagne balladurienne dans le département ; et en particulier le fondateur du comité de soutien qu'il co-présidait avec Albert VOILQUIN. Alors, pourquoi avoir choisi le Premier Ministre ?
Ce choix fut précoce même s'il n'était pas officiellement annoncé et l'on peut même dire que Christian PONCELET est balladurien depuis 1993, date à laquelle le Premier Ministre lui proposait le ministère de l'agriculture, poste qu'il a refusé pour différentes raisons. Mais, c'est surtout dans la stratégie qu'il faut rechercher une explication ; celle-ci pouvant se résumer sous forme d'équation : Christian PONCELET n'est pas pour Edouard BALLADUR, il est contre Jacques CHIRAC parce que contre Philippe SEGUIN.
Finalement, le réseau d'Edouard BALLADUR dans les Vosges était essentiellement fondé sur un homme, Christian PONCELET, bien plus que sur un parti, l'UDF.
Quant aux deux autres députés proches du RPR, élus pour la première fois en 1993, ils ont choisi Edouard BALLADUR en raison du bilan positif du gouvernement, et en particulier G. CHERPION, de la grande efficacité de l'entourage balladurien pour faire aboutir les dossiers de sa circonscription. Et si leur choix est sans ambiguïté, ils précisent néanmoins qu'ils ne font pas campagne contre Jacques CHIRAC mais pour Edouard BALLADUR. Une question mérite toutefois d'être posée : était-ce un choix totalement libre ? En effet, ces nouveaux venus en politique doivent tout de leur jeune carrière à Christian PONCELET. Dire qu'ils lui sont inféodés serait certainement exagéré mais le choix qu'a fait leur "père politique" ne pouvait que renforcer leur détermination. F. VANNSON et G. CHERPION n'ont manqué aucun des rendez-vous balladuriens : ils ont en particulier participé à la création du comité de soutien.
A noter que leur situation de député ou de conseiller général ou régional renforçait par ailleurs la qualité du réseau balladurien.
Ces six parlementaires ont tous appelé à voter pour Jacques CHIRAC au second tour.
* Le choix des conseillers généraux et régionaux.
Les conseillers généraux sont des élus d'une grande importance dans les départements ruraux. Le taux de participation aux élections cantonales le montre. Or, les Vosges étant un département rural par excellence, le choix de ces élus a pu influencer l'électeur. Sur 31 conseillers généraux, 24 composent la majorité départementale RPR - UDF placée sous la présidence de Christian PONCELET.
Les conseillers généraux socialistes ont logiquement soutenu Lionel JOSPIN.
Mais à droite, en février, 3 élus seulement avaient fait savoir qu'ils soutenaient Jacques CHIRAC. Pour les autres gaullistes, encartés RPR ou non, il aura fallu attendre plusieurs semaines de campagne et quasiment la veille du premier tour pour en savoir davantage. Alors pourquoi ce mutisme ?
Tout simplement parce que si beaucoup avaient le coeur chiraquien, bien peu osaient "ramer à contre courant", c'est-à-dire faire un choix différent de celui du président du Conseil Général ; et ce d'autant que suivre CHIRAC, c'était également suivre SEGUIN. En outre, la perspective des élections sénatoriales de septembre incitait à la plus grande prudence pour qui voulait être candidat (et ce ne sont pas les candidatures qui ont manqué). Finalement, le président PONCELET ayant laissé une totale liberté de choix à "ses" conseillers, certains se sont engagés ; les gaullistes préférant plutôt Jacques CHIRAC, la quasi totalité des élus UDF choisissant Edouard BALLADUR. Mais, de nombreux conseillers généraux, en particulier non encartés, n'ont pas souhaité indiquer leur favori.
Du côté des élus régionaux, les conseillers FN, communistes et socialistes ont naturellement fait la campagne de leur candidat respectif.
Mais, peu d'élus de la droite parlementaire ont indiqué leur position.
Le bilan que l'on peut tirer est que finalement, même si les élus régionaux et départementaux font incontestablement partie des réseaux des candidats, il convient de les différencier selon leur appartenance politique : à l'extrême gauche, à l'extrême droite comme au PS, ces élus locaux apparaissent en premier puisqu'aucun parlementaire ne vient leur voler la vedette, leur faire de l'ombre ; alors qu'au RPR et à l'UDF, ils n'ont qu'un rôle secondaire.
Ceci s'est d'ailleurs confirmé lors de la mise en place des comités de soutien.
2) La mise en place des comités de soutien.
Seules les candidatures de Lionel JOSPIN, Jacques CHIRAC et Edouard BALLADUR furent promues par un comité de soutien en tant que tel dans les Vosges. Le Front National et le PCF n'ont pas jugé nécessaire d'en ériger un.
La mise en place du comité d'Edouard BALLADUR s'est faite sans difficulté particulière. Christian PONCELET en fut l'instigateur avec les quatre autres parlementaires que nous avons vus.
En revanche, la constitution de celui de Jacques CHIRAC s'est traduite par une nouvelle passe d'armes entre Christian PONCELET et Philippe SEGUIN. D'abord parce que ce fut la course aux signatures mais surtout parce que le député-maire d'Epinal a souhaité que chacune des quatre circonscriptions soit dotée d'un vice-président.
Or, tous les hommes qu'il souhaitait voir occuper cette fonction avaient tous été jusque là des soutiens inconditionnels de Christian PONCELET au Conseil Général ou à la mairie de Remiremont. En clair, Philippe SEGUIN espèrait mener la zizanie et déstabiliser la majorité départementale en promettant à ceux qui accepteraient le poste un hypothétique soutien lors d'échéances ultérieures. Finalement, le président du Conseil Général a su faire entendre raison à ses hommes. Ces derniers ont dû rejeter l'offre alléchante de Philippe SEGUIN.
Quant à la présidence du comité chiraquien, Philippe SEGUIN avait fait savoir dans un premier temps qu'elle ne l'intéressait pas. Or, sachant que Christian PONCELET présidait celui d'Edouard BALLADUR, lui ne pouvait pas ne pas présider celui de Jacques CHIRAC.
Et, à l'heure où les sondages donnaient chaque jour davantage le maire de Paris vainqueur, Philippe SEGUIN devenait alors le grand gagnant local de cette élection. Il s'agissait alors de mesurer le rapport de force entre les deux hommes.
Enfin, du côté socialiste, le grand rassemblement auquel a donné lieu la constitution du comité de soutien de Lionel JOSPIN n'était en réalité qu'un semblant d'unité retrouvée.
En effet, nous avons vu que le fabiusien Christian PIERRET fut évincé de la présidence au profit d'un rénovateur le maire et conseiller général de La Bresse, Guy VAXELAIRE. Ce dernier a pu rassembler aisément les membres du conseil fédéral et les militants du parti dans le comité mais aussi et surtout y faire entrer des élus et personnalités de gauche qui avaient quitté le PS au soir des élections régionales de 1992 parce qu'ils en avaient été victimes.
Guy VAXELAIRE a même réussi le pari audacieux de nommer vice-président dans chaque circonscription ces personnes qui avaient pris leurs distances avec la fédération. Si leur cause commune était de faire gagner Lionel JOSPIN, elle a eu pour effet de redynamiser le front anti-fabiusien, c'est à dire anti-Pierret. Mais, tous précisent qu'apparaître dans le comité de soutien n'est pas synonyme de retour au PS.
A noter que beaucoup d'observateurs ont vu en Guy VAXELAIRE le nouvel homme fort du parti après l'élection. Aujourd'hui, la question ne se pose plus puisqu'après le nouvel épisode des élections sénatoriales de septembre, il a été exclu du parti.
Si les partis politiques et leurs meneurs ont fait la campagne qu'il fallait, c'est la question de l'efficacité et du suivi des élus vosgiens qui mérite d'être posée.
Mis à part Epinal, force est de constater que la carte politique des Vosges ne reflète en rien la position de leurs représentants.
Au second tour, les résultats confirment davantage le choix des élus bien qu'au plan cantonal, les conseillers généraux sont loin d'avoir tous été entendus.
L'INFLUENCE DES SONDAGES DANS LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE DE 1995
Olivier GALLAND
C'est au sein même de la classe politique que se mesure le mieux l'impact des sondages dans la campagne présidentielle. Non pas que l'électeur lambda soit épargné par l'étau qu'exerce sur les consciences la révélation quotidienne des sondages, mais il est des modifications de comportements qui s'apprécient plus aisément que d'autres, qui semblent plus patentes aussi.
Ainsi, à l'instar de l'action de l'aimant sur la boussole, le sondage bouleverse la donne politique, modifie les stratégies, transforme le cours normal de la campagne présidentielle.
Elément perturbent, le sondage l'est sans doute en ce sens qu'il ne se contente pas de suivre ou d'accompagner les évolutions d'intentions de vote en faveur des divers candidats, mais finit par les précéder ; soit que le candidat anticipe sur le résultat du sondage, soit qu'il tente de rattraper ses conclusions, ou encore qu'il suive à la loupe les moindres variations de sa courbe, c'est en définitive le sondage lui-même qui agit sur le candidat et non l'inverse.
Cette tendance nous est apparue de façon spectaculaire, notamment dans la manière dont les candidats ont défini puis modifié leur stratégie de campagne, mais elle s'est également révélée prépondérante à certaines étapes bien précises de la campagne, étapes qui sont autant de tournants, de revirements, de rebondissements dans les courbes d'intentions de vote. Mais, avant de dégager de manière plus approfondie ces deux grandes manifestations de l'impact des sondages sur la classe politique, il nous semble nécessaire de démontrer à quel point les sondages déteignent sur les comportements et agissements des candidats eux-mêmes.
I) SONDAGES ET COMPORTEMENTS POLITIQUES
Une première manière de voir apparaître le poids des sondages dans le comportement des hommes politiques est de relever leurs propres déclarations sur le sujet. Mais, le sondage pèse également de tout son poids au moment de prendre des décisions politiques importantes telles qu'une déclaration de candidature ou au contraire le renoncement à se présenter.
Illustration concrète enfin avec les hésitations des uns et des autres pour se mettre d'accord sur le principe d'un débat télévisé avant le premier tour.
1) Les sondages vus par les candidats
Pour la première fois, les trois grands candidats à la présidence de la République se sont référés aux sondages et ont même parfois commenté l'évolution de leur courbe d'intentions de vote, à l'instar d'Edouard BALLADUR qui, le 24 février 1995, a estimé que sa chute brutale rendait "la tâche plus stimulante" situation qui lui "plaisait assez". En outre, le 14 mars, il invitait ses partisans à "tout mettre en oeuvre pour renverser la tendance actuelle atteinte par les sondages".
Quant à son adversaire de la majorité, Jacques CHIRAC, il ne restera pas en reste malgré ses dénégations : "les électeurs ne se mettent pas en courbes". En réalité, Frédéric de SAINT-SERNIN, spécialiste de l'opinion publique, va progressivement devenir son consultant privilégié, lui adressant plusieurs fois par semaine ses remarques et suggestions. Selon le journaliste Olivier BIFFAUD, c'est lui qui alerta le candidat contre les risques de "notabilisation" de sa campagne et qui l'avisera de sa "piètre prestation auprès des vieux", d'où le "recentrage" de Jacques CHIRAC vers un électorat plus jeune et socialement plus dynamique.
Pour ce qui est de Lionel JOSPIN qui se disait "fermement décidé à contrecarrer l'arithmétique des sondages", il est en réalité le premier à commenter et à analyser sa propre courbe : "au vu des sondages qui d'après moi découragent les commentaires, ma présence au second tour n'est pas garantie."
2) Sondages et candidatures
Bien souvent, c'est l'acte politique lui-même qui est affecté par la présence des sondages. C'est le cas de bon nombre d'engagements ou de renoncements à se porter candidat.
Le 11 décembre 1994, alors qu'il caracolait en tête de tous les sondages, loin devant son concurrent immédiat Edouard BALLADUR, Jacques DELORS déclarait à 7/7 qu'il n'était pas candidat. Ce contre-exemple apparent n'est pas aussi paradoxal que cela. En homme politique rompu aux campagnes marathon, le président de la commission européenne a su ne pas succomber aux sirènes, pour ne pas dire au trompe l'oeil des sondages.
D'autres comme le Premier ministre en exercice ont en revanche cédé, se portant candidat en réponse à la "confiance de nos concitoyens maintenue depuis vingt mois". Pour Edouard BALLADUR en effet, la confortable avance que lui promettaient les enquêtes du début de l'année 1995, ont véritablement pesé dans sa décision.
On retrouve cette même démarche avec une conclusion inverse chez Raymond BARRE et Valéry GISCARD d'ESTAING. Après avoir longtemps entretenu le suspens sur leurs intentions, multipliant les attaques contre le Premier ministre afin de se dégager un espace politique sur leur droite, les deux leaders de l'UDF finissaient par renoncer au vu d'une situation plus qu'inconfortable !
A titre anecdotique, citons également le renoncement de Jean-François HORY, abandon que l'on serait davantage tenté d'expliquer par son "crédit" voisin de 0,5% que par les injonctions d'Henri EMMANUELLI.
Dès lors, comme le dit Thomas FERENZI, "l'engagement dans la campagne requiert en premier lieu une dimension nationale. Or, celle-ci se mesure aujourd'hui par les sondages qui assurent ou non aux dirigeants politiques le statut de présidentiable." 2
3) Le serpent de mer du débat télévisé précédant le premier tour
La question d'un débat télévisé avant le premier tour, défendue à cor et à cri par les "challengers" des sondages, est écartée par les "leaders", chacun des rôles étant tenu tour à tour par les uns et les autres.
C'est ainsi que l'on vit Jacques CHIRAC, après avoir déclaré le 24 janvier, "il est tout à fait nécessaire que les Français comprennent qu'il ne s'agit pas d'une querelle de personnes, par conséquent un débat seul peut permettre de saisir la particularité de chacun", expliquer avec la même conviction le 2 avril : "aujourd'hui, un débat de cette nature ne profiterait qu'au candidat socialiste puisqu'il conduirait forcément à une espèce d'affrontement entre les deux candidats issus de la majorité".
Esquive très habile puisqu'elle légitime son auteur à ne pas vouloir rajouter à la cacophonie au sein de la majorité à prôner l'union plutôt que la discorde.
Ainsi, Jacques CHIRAC peut à nouveau se situer sur le terrain du rassemblement, terrain qu'avait occupé avant lui Edouard BALLADUR, alors en tête de tous les sondages et qui considérait qu'un tel débat n'était "pas dans la tradition de la cinquième République" et par ailleurs susceptible de compromettre les chances de voir la majorité l'emporter.
C'est pourtant le même Edouard BALLADUR qui supplie Jacques CHIRAC d'accepter le principe d'un débat : "les Français ont le droit d'être informés. C'est le moins que l'on doit à ceux dont on sollicite le suffrage".
Lionel JOSPIN qui de son côté n'a pas caché son souhait de débattre, considère lui aussi qu'il y va de la clarification du discours des uns et des autres.
Le 29 mars, après avoir répondu positivement aux sollicitations d'Edouard BALLADUR, il désire que "les Français puissent se prononcer en toute clarté", il faut lire en filigrane qu'il souhaiterait pouvoir enfin se faire entendre dans une campagne qui escamote totalement son discours. La règle qui veut que le débat profite surtout au challenger est encore respectée.
On retrouve partout une constante hypocrisie des candidats qui refusent d'admettre que le débat constitue avant tout un enjeu tactique. Seul Jacques CHIRAC, accidentellement, aborde le sujet en termes de profit, d'avantage et non plus seulement comme un moyen de mieux connaître les idées de tous.
Dans ce cadre, on voit bien que le sondage constitue le moyen le plus précieux pour se positionner dans la campagne, voire un instrument pour faire avancer ses positions.
II) SONDAGES ET STRATEGIES DE CAMPAGNE
A l'image de cette arlésienne que fut le débat télévisé d'avant le premier tour, les stratégies des candidats sont malléables au gré des sondages. Aucun ne peut se targuer d'avoir été fidèle à une ligne stratégique cohérente. Tous ont dû s'adapter.
1) La stratégie chiraquienne
Elle fonctionne en deux temps : en premier lieu la stratégie du pacte républicain consistant à rassembler au delà des frontières naturelles du RPR, tout en faisant l'impasse sur l'adversaire de gauche. Dans un second temps, on assiste au retour du clivage gauche-droite dans le discours du clan chiraquien, marginalisant par là même l'adversaire de droite.
En s'engageant le premier dans la bataille présidentielle, Jacques CHIRAC opte pour une stratégie de long terme. Prudent au début, le candidat et ses lieutenants vont rapidement tenter de faire descendre le Premier ministre de sa "hautaine réserve" que son score élevé dans les sondages lui autorise.
L'entrée en campagne de ce dernier le 19 janvier est l'occasion pour les chiraquiens de concentrer sur lui leurs attaques, de façon voilée jusqu'à la fin du mois de janvier puis de plus en plus ouvertement. Il s'agit de lutter contre l'idée très répandue dans les esprits - car très diffusée dans les médias - qu'Edouard BALLADUR est assuré de figurer au second tour, pour ne pas dire que sa victoire est déjà programmée.
Philippe SEGUIN est là pour tourner en sens contraire grâce à son ironie acerbe. Son discours du 30 janvier devant une salle comble de militants parisiens en est le meilleur exemple : "Arrêtez donc de croire qu'il va y avoir une élection présidentielle ! Arrêtez de croire qu'il va y avoir un débat, une campagne, des explications, toutes choses si vulgaires. (...) Le vainqueur a déjà été désigné, proclamé, fêté, encensé ; il n'y a pas à le choisir, il y a à le célébrer !"
Le second volet de cette première phase stratégique est de faire croire aux Français que l'alternative CHIRAC / BALLADUR a un sens, qu'elle renferme un véritable débat d'idées et ne se limite pas au choc de deux ambitions personnelles. Pour Philippe SEGUIN, "c'est la véritable alternative à laquelle se trouve confrontée la société française". Pour François BAROIN, porte-parole du candidat CHIRAC, la joute entre les deux hommes n'est pas une querelle de personnes, ni une querelle de différences de méthodes, mais un véritable choix de société."
C'est à partir du 1er février que la stratégie de contournement d'Edouard BALLADUR par la gauche est élaborée, lors de la réunion du comité politique, stratégie qui porte le nom de "pacte républicain" selon la formule de Philippe SEGUIN. Il s'agit d'une stratégie de second tour visant à débattre directement avec l'autre candidat de la majorité, sans pour autant se laisser enfermer dans un discours trop "gauchisant".
Pour l'expliquer, mieux vaut s'en remettre à son concepteur Philippe SEGUIN, "il s'agit de retrouver le pacte social originel, un retour aux sources du gaullisme". Un rassemblement qui déborde donc les frontières du RPR avec comme objectif de faire apparaître le débat droite - gauche comme désuet, dépassé.
Mais très vite, le concurrent socialiste se fait entendre, il devient extrêmement délicat de faire l'impasse sur Lionel JOSPIN comme on aurait éventuellement pu le faire avec Henri EMMANUELLI, d'autant plus que le candidat socialiste fait aussitôt jeu égal avec Jacques CHIRAC dans les sondages.
C'est le 22 février que s'amorce le tournant stratégique avec comme corollaire le changement de porte-drapeau : Alain JUPPE succède à Philippe SEGUIN dans le rôle de grand stratège. Très discret jusqu'alors, il se rend pour la première fois au point de presse de François BAROIN où il déclare avoir tiré quelques leçons des derniers sondages. Il conclue en effet que le code de bonne conduite avec Edouard BALLADUR, pour lequel il plaidait seul depuis plusieurs semaines, est devenu une "nécessité de la victoire" (sous-entendu maintenant que Jacques CHIRAC a dépassé son adversaire dans les sondages).
Le vent des sondages ayant donc tourné dans le bon sens, la stratégie d'union de la majorité va succéder à celle du pacte républicain conçue pour déloger le Premier ministre de sa citadelle. Il faut admettre que la fibre identitaire, l'instinct grégaire sont singulièrement facilités lorsqu'on domine le rapport de force. Les chiraquiens enterrèrent donc la hache de guerre. Jacques CHIRAC se dispensera désormais de décocher la moindre flèche à l'encontre de son rival. C'est tout juste s'il se contente de déplorer la "stupéfiante agression" dont fait preuve Edouard BALLADUR à son endroit : "Je crois que M. BALLADUR a tort de prendre les choses ainsi et de les exprimer avec beaucoup d'agressivité" assène-t-il le 18 mars.
Comme le remarque Olivier BIFFAUD, "au fil du temps, le rôle de pompiers et d'incendiaires a été tenu alternativement par les Chiraquiens et les Balladuriens. Les agressés sont devenus les agresseurs."
Ce n'est que lors des tous derniers jours de campagne, confronté à la remontée d'Edouard BALLADUR dans les sondages que Jacques CHIRAC devra se montrer à nouveau plus pugnace. Sans le nommer, il s'en prendra aux "tenants de la pensée unique" afin de contrecarrer l'effritement régulier de ses positions.
2) La stratégie balladurienne
Les développements stratégiques du clan Balladur collent au plus près des moindres frémissements de l'opinion. S'en prenant d'abord au candidat socialiste, les balladuriens doivent faire machine arrière à la suite de leur débordement dans les sondages par Jacques CHIRAC avant de revenir au tout dernier moment à la stratégie initiale afin de ravir à Lionel JOSPIN sa place au deuxième tour.
L'entrée véritable d'Edouard BALLADUR dans la campagne ne se situe pas tant le jour de sa déclaration de candidature le 19 janvier mais quelques jours plus tard, le 7 février au moment où Lionel JOSPIN est investi comme candidat socialiste.
Dès lors, le clan balladurien trouve un adversaire contre lequel il peut mobiliser toutes ses énergies, étant entendu que le nom même de Jacques CHIRAC ne devait être prononcé par aucun partisan. En prônant l'union de la majorité contre l'adversaire socialiste, on peut se permettre d'ignorer cordialement l'existence de Jacques CHIRAC.
Le 3 février, Nicolas SARKOZY ne daigne jeter un regard à son rival gaulliste que pour lui demander de retirer sa candidature. Dès lors, l'entrée en campagne de Lionel JOSPIN cadre parfaitement avec les attentes d'Edouard BALLADUR. En premier lieu parce que son charisme gênera davantage Jacques CHIRAC pour la conquête du second tour ; en deuxième lieu car cela lui permet de sortir de l'ornière que tentaient de dresser contre lui les chiraquiens avec le pacte républicain.
Fort de son confortable matelas d'intentions de votes, le Premier ministre se présente en candidat du 2ème tour, celui de toute la majorité contre la gauche.
Cette stratégie va considérablement évoluer en l'espace de quinze jours. En effet, avec le dépassement par Jacques CHIRAC dans les sondages, les balladuriens se trouvent brusquement bousculés. Ils doivent adopter à son égard un discours plus offensif, comme ne manquent pas de le faire observer les quotidiens nationaux.
Lorsque le "basculement" des sondages s'opère, la nouvelle option stratégique prend forme elle aussi. Ce sont d'abord les ministres les plus populaires qui sont mis à contribution. Simone VEIL et Charles PASQUA devront permettre d'assurer le rebond, chacun ratissant aux limites de la "Balladurie". Dans le même temps, le nombre de meetings prévus est doublé passant de 7 à 14.
Le 7 mars, Charles PASQUA envoie une lettre ouverte à Jacques CHIRAC dans Le Monde afin que celui-ci s'explique sur sa vision de la France. Cela fait partie de la nouvelle stratégie de déstabilisation consistant avant tout à contester les qualités d'hommes d'Etat de Jacques CHIRAC. Dans cette optique, Edouard BALLADUR signifiera que pour son compte, il n'est pas un faiseur de miracles, lançant le 23 mars, "si parmi les candidats il y en a un, je lui dis levez-vous et faites en un (miracle) tout de suite". On voit à qui est destinée cette apostrophe...
A partir du 8 avril, un léger frémissement de l'opinion permet aux balladuriens d'espérer être présents au second tour, d'autant plus que la campagne de Lionel JOSPIN ne lui garantit aucune certitude de parvenir au second tour. C'est donc contre lui que vont tout naturellement se porter les attaques des balladuriens
Bien qu'affaibli, le maire de Paris paraît hors de portée, si bien que l'agressivité de ses "frères gaullistes" se reporte sur Lionel JOSPIN.
3) La stratégie du candidat JOSPIN.
La désignation de Lionel JOSPIN comme candidat à la présidence a été perçue par la majorité des militants et sympathisants socialistes comme une providence suite au retrait de Jacques DELORS.
Pourtant, l'événement ne retiendra que très faiblement l'attention des médias, plus absorbés par le duel que se livrent les deux candidats de la majorité.
C'est dans ce contexte de recherche existentielle qu'il faut comprendre le flottement du début de la campagne socialiste, avant que ne soit ébauchée une stratégie cohérente visant à confondre ses deux adversaires dans le même lot.
Enfin, les derniers instants de campagne précipitent les partisans de Lionel JOSPIN dans une course au vote utile afin d'assurer sa présence au second tour.
Si du 7 février à la mi-mars, Lionel JOSPIN a donné l'impression de gesticuler de manière intempestive sans que son message paraisse intelligible, c'est que s'est posée à lui une équation délicate à résoudre : comment exister dans une campagne dominée par une guérilla interne au RPR ?
Aussi, Lionel JOSPIN doit avant tout reconquérir le terrain abandonné à Jacques CHIRAC dans le contrat social et la lutte contre les inégalités. Ceci passe par un discours nettement ancré à gauche afin de faire entendre sa différence, pour qu'on ne puisse pas confondre l'original et la copie.
Pendant près d'un mois, le candidat PS se trouve dans une situation précaire dans les sondages. Son discours brouillé, son image floue, ne font pas de lui une alternative crédible face à ses deux concurrents gaullistes. Sa stratégie n'en est pas une puisqu'elle oscille perpétuellement entre deux voies : celle qui consisterait à faire passer le Premier ministre comme un obstacle au changement et celle qui viserait à démontrer que Jacques CHIRAC n'a cessé de se contredire, de reculer ou de changer d'idées ces vingt dernières années.
En menant de front ces deux angles d'attaques, Lionel JOSPIN donne l'impression de se disperser et de ne jamais atteindre sa cible.
A partir du moment où, comme le note Daniel CARTON, Lionel JOSPIN prend conscience que "Monsieur BALLADUR n'a plus de chance de redevenir le roi du jeu" 3, il va commencer à élaborer une stratégie cohérente.
En effet, au lieu de renouveler l'erreur faite quelques jours auparavant qui consistait à se placer dans une hypothèse d'un duel BALLADUR / CHIRAC au second tour, hypothèse d'échec pour lui, Lionel JOSPIN va désormais épingler ses deux rivaux dans une seule et même perspective : celle du bonnet blanc et du blanc bonnet.
Ce discours de dénigrement, d'ironie, va progressivement prendre de la rondeur, devenir audible. Cette dérision va alors rencontrer un certain écho dans l'opinion, lasse des querelles intestines.
Par ailleurs, le candidat socialiste qui réserve désormais ses meilleurs critiques à Jacques CHIRAC, veillera à ne pas le laisser empiéter sur ses terres, n'hésitant pas à débusquer la "contrefaçon" partout où elle se cache.
En outre le nouveau slogan de Lionel JOSPIN, "Une France plus juste" qui succède à celui plus orienté contre Edouard BALLADUR, "Avec Lionel JOSPIN, c'est clair", est révélateur de ce réajustement.
Plus à l'aise en fin de campagne, le candidat socialiste comprend la nécessité de rameuter les troupes et de se garder de tout triomphalisme. La stratégie d'appel au vote utile est donc arrêtée. Conscient du fait que les Français sont en règle générale hostiles à un second tour BALLADUR / CHIRAC, le candidat du PS n'aura de cesse d'agiter ce chiffon rouge.
En définitive, c'est lui qui le mieux, résumera ses hésitations et pérégrinations stratégiques : "Le débat du premier tour a été trop polarisé sur la confrontation BALLADUR - CHIRAC. Dans la mesure où il est difficile de trouver entre les deux des différences profondes, nous avons comme une espèce d'asphyxie, une tentative d'étouffement du débat démocratique."
III) LA CAMPAGNE AU RYTHME DES SONDAGES : TROIS MOMENTS CLEFS
Il n'est pas possible de recenser tous les faits qui ont émaillé la campagne et qui ont peu ou prou un lien avec la publication ininterrompue des sondages. D'ailleurs, les répertorier fidèlement et exhaustivement ne pourrait nous donner une meilleure idée de l'ampleur du phénomène.
En revanche, nous pouvons isoler quelques moments clefs de la campagne, moments soigneusement choisis et décortiqués, illustrant plus que tout autre la mainmise des sondages sur les événements politiques pré-électoraux.
Ces événements, circonscrits dans le temps sont au nombre de trois :
-Le croisement BALLADUR - CHIRAC dans les sondages (deuxième quinzaine de février).
-La lente érosion de Jacques CHIRAC au mois d'avril.
-La dynamique JOSPIN observée entre les deux tours.
1) Le croisement des courbes d'Edouard BALLADUR et de Jacques CHIRAC.
Le "basculement" s'est opéré de manière extrêmement rapide, 15 jours tout au plus, entre le 17 et le 21 février selon BVA et IPSOS, le 27 février chez Louis Harris et l'IFOP, début mars pour la SOFRES.
Ce léger décalage dans le temps témoigne de la tendance des instituts de sondages à se copier, à s'aligner les uns sur les autres, à l'image de la SOFRES ou de Louis Harris qui n'avaient pas immédiatement enregistré le gonflement significatif des intentions de vote en faveur de Jacques CHIRAC.
Au delà de la pratique courante qui consiste à ne pas divulguer les données brutes, mais à pondérer en fonction des aléas de la campagne et des autres considérations circonstancielles, on ne peut pas se résoudre à cela pour expliquer des marges d'erreurs sensiblement supérieures à la "normale". Comment expliquer en effet qu'entre le 17 et le 22 février, deux instituts créditent les deux candidats de la majorité du même score tandis que les deux autres trouvent un écart de 4,5 voire de 6,5 points en faveur d'Edouard BALLADUR ?
Sur le fond, le "basculement" n'est pas une invention des instituts de sondages même si certains comme IPSOS l'ont fortement accentué. Cependant, si l'on tente d'isoler les objectifs à l'origine de l'effondrement d'Edouard BALLADUR (affaire SCHULLER-MARECHAL, écoutes téléphoniques...), on peut déjà émettre quelques réserves quant à leurs effets. Ces faits justifient-ils ou expliquent-ils une chute de 15 points en 10 jours ? Tout cela suggère l'implication d'autres éléments d'explications.
Sans tomber dans la spéculation, on peut considérer que la situation d'Edouard BALLADUR au plus haut des sondages était en quelque sorte virtuellement amené à évoluer, d'abord par l'effet mécanique d'essoufflement qui fait que toute apogée catalyse autour de lui les attaques et implique un rééquilibrage. Dès lors les éléments objectifs qui ont contribué à déstabiliser le Premier ministre ont été relayés et amplifiés par une presse lassée de cette "outrageante domination".
Enfin, phénomène classique de la cinquième République : lorsqu'un candidat fait figure de favori pendant une période relativement longue, il n'est pas rare de voir son niveau d'intentions de vote diminuer (comme celui du général de GAULLE en 1965) voire s'effondrer (Jacques CHABAN-DELMAS en 1974, Raymond BARRE en 1988).
Par ailleurs, on peut penser qu'un effet "boule de neige" se soit produit : effet dopant pour l'un, spirale à la baisse pour l'autre. En effet, au regard du miroir des sondages, l'opinion publique pressent le changement, le vit, l'entérine et finit par accentuer son propre verdict. En outre c'est à ce moment précis que l'on entend ici et là que Jacques CHIRAC a changé - dans le bon sens - tandis que les critiques à l'endroit d'Edouard BALLADUR prennent des allures de curée.
Dernière explication, la baisse fulgurante d'Edouard BALLADUR est indissociable de l'acquisition de son statut de candidat, tandis que se détache progressivement l'étiquette de Premier ministre. Ce glissement en entraîne un autre : jusqu'ici, les sondages avaient plutôt valeur de côte de popularité alors que désormais, il s'agit bien de savoir si on souhaite le voir représenter la France pendant sept ans.
Tous ces phénomènes conjugués font penser que les sondages n'ont pas fait qu'accompagner le changement mais l'ont aiguillé, voire accéléré.
2) La lente érosion de Jacques CHIRAC avant le premier tour.
Entre les sondages de la mi-mars qui créditaient Jacques CHIRAC de 26 à 29% et son score réel de 20,6%, y a-t-il une baisse continue ou une surévaluation ?
On peut certes expliquer ce tassement par un effet mécanique comparable à celui observé aux dépens d'Edouard BALLADUR mais il semble qu'un autre facteur ait joué contre le maire de Paris : le facteur temps !
Le rééquilibrage qui affecte la courbe de Jacques CHIRAC durant le mois d'avril est inhérent à la qualité de leader dans les sondages. C'est ce qu'Olivier BIFFAUD appelle le "retour de l'élastique". En outre, la fièvre de la courbe chiraquienne n'est retombée que lentement, ce qui a permis de croire pendant un laps de temps important que son score n'était pas artificiellement gonflé.
Pourtant, le décalage très net au regard des résultats de l'élection fait apparaître une très forte démobilisation de l'électorat chiraquien. Entre la photographie de l'opinion que constitue le sondage d'intentions de vote et sa divulgation, il s'écoule un laps de temps durant lequel l'opinion aura eu le loisir d'évoluer. De même ce décalage entre le sondage et la réaction qu'il suscite dans la classe politique et dans la cacophonie médiatique peut à son tour produire une certaine confusion des esprits.
Concrètement, si on reprend les divers effets imputés par la doctrine aux sondages, il convient d'affecter à chacun d'entre eux un coefficient de durée qui modifie complètement leur signification. Il apparaît ainsi clairement que l'effet majoritaire joue d'une manière très importante mais sur un segment de temps très court. Cela suffit cependant à garantir au leader une confortable avance sur ses poursuivants. A l'inverse, son effet contraire joue dans des proportions infiniment moindres mais de manière nettement plus prolongée. Cela suffit à rétablir quelque peu l'équilibre au profit du challenger.
Jacques CHIRAC aura donc bénéficié à plein des deux effets, même s'il ne faut pas réduire à néant sa capacité de réaction. Tout n'est pas déterminé, loin s'en faut. L'important est de savoir accompagner le flux et reflux statistiques. En l'occurrence, face à une presse qui n'a cessé de mettre en exergue l'affaissement régulier des positions de Jacques CHIRAC, ce dernier aura su tant bien que mal contrôler la saturation, et maintenir jusqu'au bout son avantage. De leur côté, les balladuriens à qui la remontée des sondages redonne un certain espoir, ne sauront mettre à profit le courant ascendant et ce malgré les exhortations du Premier ministre qui n'a cessé de se déclarer "persuadé de pouvoir renverser la tendance".
Bref, entre les sondages eux-mêmes, leur prise en compte dans le milieu politico-médiatique et la répercution que cette réaction peut susciter, il existe deux inconnues :
-Le délai de réaction.
-L'ampleur de la réaction.
C'est là que se joue l'issue du scrutin !
3) La dynamique Jospin de l'entre-deux-tours.
Il y a une cause et une logique à ce que l'on pourrait appeler la spirale du bon sondage en faveur de Lionel JOSPIN, cause que l'on retrouve essentiellement dans la surprise du premier tour ainsi que dans la manière dont Lionel JOSPIN a su gérer cet avantage psychologique.
Avant le premier tour, sa campagne ne décolle pas, elle patine même pendant longtemps. En effet, Lionel JOSPIN produit cette impression de naviguer au jugé. C'est non seulement parce qu'il est pris en tenaille par ses deux adversaires de la majorité, mais également parce que sa courbe d'intentions de vote - flottant autour de 19% - l'installe dans une situation de précarité entravant toutes ses initiatives.
C'est dans ce contexte morose qu'intervient la "divine surprise" du premier tour. Son score de 23,4% dépasse de très loin toutes ses espérances. La victoire inespéré du premier tour est donc à la base de la dynamique Jospin.
Elle se caractérise par deux éléments :
-L'effet de surprise : aucun sondage, même officieux, n'avait anticipé la première place du candidat socialiste.
-Le différentiel de points par rapport aux derniers sondages, de l'ordre de 3 à 5 points (élément plus significatif que le score réel du candidat socialiste qui ne tranche pas avec les scores traditionnels du PS aux élections générales).
Le moteur étant enclenché, il s'agissait ensuite de le faire tourner. C'est ce à quoi se sont employés les dirigeants socialistes, parvenant presque à faire oublier l'équation quasi-insoluble de départ : les forces de gauche cumulées rassemblant seulement 40,5% des voix. L'espoir de l'emporter est pour le moins ténu.
Qu'est-ce qui explique alors qu'un véritable suspens se soit créé, à tel point que les sondages officieux publiés dans La Tribune de Genève donnaient Lionel JOSPIN vainqueur avec 51% des suffrages ?
Une élection, quelle qu'elle soit, est affaire de perception. L'élection présidentielle plus que toute autre, renvoie à des données affectives, personnelles, et transcende très largement les rapports de forces traditionnelles. Pourtant, on ne peut pas s'affranchir totalement de l'arithmétique : la France de 1995 est très largement à droite. Le génie de Lionel JOSPIN est d'avoir su faire oublier cette donnée fondamentale et ce, alors même qu'il n'est pas ressorti vainqueur du débat télévisé qui aurait pu lui permettre de grignoter quelques voix sur son adversaire.
Pour regagner plus de 7 points, Lionel JOSPIN a dû utiliser les sondages, se servir d'eux comme un élément clef de sa victoire potentielle. Il s'agissait non seulement de démontrer sa certitude de pouvoir l'emporter mais encore de la rendre crédible aux yeux de l'opinion. L'élan qu'il a su créer à partir du 23 avril s'appuie sur les points d'intentions de vote gagnés chaque jour et sur un enthousiasme contagieux pour ses partisans, menaçant pour ses adversaires.
Aidé par le nuage opaque de la dernière semaine privée de sondages, devant laquelle se croisent les rumeurs les plus contradictoires, encouragé par une presse avide de suspens, la dynamique Jospin s'est nourrie de ressorts très divers, essentiellement d'ordre psychologique. car, en réalité, rien ne permettait de penser en dehors de quelques chiffres, que la victoire était à portée de mains.
L'élan de l'entre-deux-tours ne tient en définitive qu'à la fantasmagorie des hommes qui ont fini par voir dans l'élection présidentielle un combat entre deux courbes statistiques dont l'une est ascendante et l'autre descendante.
Les quelques jours précédant l'issue finale ont été marquées par ce que l'on pourrait appeler la "persuasion clandestine", persuasion qui consistera pour le candidat socialiste à transformer le "ce que l'on voit" (en l'espèce les courbes d'intentions de vote) en "ce que l'on veut". En d'autres termes, Lionel JOSPIN doit faire croire aux Français que ce qui se profile dans les sondages n'est autre que la volonté irréductible du peuple français de conduire Lionel JOSPIN à l'Elysée.
Cette offensive psychologique s'est avérée payante puisqu'elle a gagné le camp d'en face qui, pris de panique est allé jusqu'à organiser de faux sondages donnant Lionel JOSPIN gagnant afin que la rumeur joue en faveur de Jacques CHIRAC comme un électrochoc.
Nous avons mis en évidence les cas les plus symptomatiques d'une pathologie "sondomaniaque", ce qui ne doit en rien autoriser une trop simpliste généralisation. Le virus des sondages atteint son paroxysme à des instants bien précis de la campagne, il n'agit pas de manière continue et uniforme.
De fait, on serait tenté de dire que les dirigeants politiques se sont davantage comportés en apprentis sorciers qu'en praticiens raisonnables, rompus à la technique "sondagière". Le candidat est entretenu dans un rapport hypnotique et obsessionnel avec sa courbe de popularité. Dès lors l'influence des sondages exhale un parfum de dépendance.
LE "VOTE PROTESTATAIRE"
ETUDE COMPAREE DES CANDIDATURES
D'ARLETTE LAGUILLER ET DE JEAN-MARIE LE PEN.
Thierry CHOFFAT
Olivier PRUGNEAU
En additionnant les abstentionnistes (21,37%), les votes blancs ou nuls (02,84%) et les électeurs s'étant prononcés pour un candidat n'ayant a priori aucune chance d'être élu, ni même d'accéder au second tour, on chiffre à plus de vingt millions le nombre de citoyens ayant effectué un geste que l'on pourrait qualifier de "protestataire".
Pour la première fois depuis l'instauration de la Cinquième République, plus de la moitié (52,20% exactement) du corps électoral refusait de s'associer directement aux partis de gouvernement.
Ce phénomène est accentué par les performances sans précédent réalisées par deux personnalités habituées aux joutes électorales, à savoir Jean-Marie LE PEN et Arlette LAGUILLER.
Les résultats relativement impressionnants obtenus par ces deux candidats extrémistes ont en effet constitué l'une des surprises du premier tour de l'élection présidentielle.
Pour la première fois depuis sa création en 1972, le Front National dépassait la barre des 15%. Lutte Ouvrière battait également son propre record. En effet, avec plus de 5%, l'extrême gauche faisait elle aussi sa véritable entrée sur la scène politique française.
Pour autant, peut-on procéder à une analyse comparée de ces deux candidatures situées en marge du système traditionnel ?
Le parallèle peut paraître audacieux mais tous deux, en rejetant l'ensemble de la classe politique, ont focalisé un vote protestataire.
Malgré des différences fondamentales sur l'idéologie et la stratégie appliquée, plusieurs points communs peuvent être décelés.
Les ressemblances affectent notamment la personnalité des candidats, leurs campagnes respectives, assez peu la sociologie de leur électorat, mais beaucoup plus la position des sympathisants lors du second tour ainsi que les diverses opérations effectuées en vue de canaliser le vote protestataire et d'exploiter au mieux les résultats obtenus.
I) DEUX CANDIDATS ATYPIQUES
Pour Lutte Ouvrière comme pour le Front National, l'élection présidentielle est traditionnellement la meilleure consultation électorale, celle où l'absence ou la faiblesse de relais locaux - tout en étant un handicap sérieux - sont largement compensées par la personnalité même des deux candidats en présence.
L'extrémisme, spécificité politique française peut en partie s'expliquer par ce phénomène.
Plus qu'un vote d'adhésion en faveur des idées trotskystes ou nationalistes - en admettant d'ailleurs que l'électeur les connaisse vraiment - il semble que la personnalité même des candidats soit le principal facteur de choix.
Dans des registres différents, Jean-Marie LE PEN et Arlette LAGUILLER apparaissent désormais comme de véritables leaders charismatiques. L'un et l'autre sont devenus les représentants incontestables de leur camp politique même si pour Arlette LAGUILLER, cette reconnaissance ne s'est jamais exercée au sein de sa propre organisation dont elle n'est que la candidate perpétuelle à défaut d'en être la théoricienne ou l'inspiratrice.
Quoi qu'il en soit, ni l'un ni l'autre n'ont eu le moindre problème pour se faire désigner par leurs mouvements respectifs.
Jean-Marie LE PEN, utilisant un langage concret, radical, souvent grossier, est un orateur exceptionnel. Il agit en vrai tribun, sachant tirer avantage de toute situation. Son slogan "Il dit tout haut ce que les autres pensent tout bas" est constamment réutilisé par ses fidèles. Le Front National, c'est LE PEN, chacun en est bien conscient.
C'est également un des rares candidats à réellement aborder les problèmes quotidiens des Français tels que l'immigration, l'insécurité ou le chômage.
Arlette LAGUILLER elle, en était à sa quatrième candidature à l'Elysée. En vingt ans, elle n'a quasiment rien changé, ni ses discours, ni son vocabulaire. En 1974, son répétitif "Travailleuses, Travailleurs" étonnait ou choquait. En 1995, il amuse peut-être encore mais en même temps, il symbolise la fidélité, l'authenticité de la démarche trotskyste.
Pour la première fois, elle a bénéficié en 1995 d'une plus forte présence médiatique (radios, presse écrite et télévisions). Ainsi, elle passe à "l'Heure de Vérité", est imitée par les humoristes, a sa marionnette dans les "Guignols de l'Info" sur Canal + ...
Elle est à "la mode" probablement à cause de sa persévérance et de la multiplication des grèves durant la campagne. Elle fait désormais partie - du moins tous les sept ans - du paysage politique français.
Comme toujours, elle utilise un discours simple, accessible à tous, sans excès de langage, abordant les problèmes quotidiens au détriment d'une théorie révolutionnaire éloignée des préoccupations populaires.
En cela, elle se rapproche étroitement de Jean-Marie LE PEN. L'aura dont ils disposent leur permet d'élargir leurs bases électorales, de capter au-delà de leurs bases idéologiques traditionnelles.
Par conséquent, leurs campagnes ont largement été axées sur la personnalité même des animateurs du FN et de LO.
Ainsi, une large partie de la propagande électorale du Front National était consacrée à la biographie de Jean-Marie LE PEN, en insistant notamment sur ses multiples expériences professionnelles. Le document énumérait les "cinq qualités qui font un bon président de la République", prévoir, vouloir, comprendre, aimer et servir, ces qualités étant "évidemment" celles de Jean-Marie LE PEN.
Néanmoins, la campagne n'a pas été uniquement construite autour des candidats. Plusieurs thèmes ont été soulevés, notamment la dénonciation de la situation économique et sociale et le rejet de la classe politique suspectée de corruption.
II) UNE CAMPAGNE PROTESTATAIRE
La campagne présidentielle du Front National démarrait dès septembre 1994. Il s'agit alors d'une campagne de terrain axée en priorité sur les problèmes de chômage, d'immigration et d'insécurité. Elle est très efficacement relayée par les fédérations départementales mises en mouvement par le secrétariat général.
Pour sa part, Lutte Ouvrière a conduit une campagne classique, essentiellement animée par les militants locaux qui organisent les réunions, se mobilisent dans les entreprises et les administrations, font du porte-à-porte et distribuent les tracts.
Premier point de concordance entre Arlette LAGUILLER et Jean-Marie LE PEN, la dénonciation des scandales politico-financiers.
La corruption leur permet de rejeter aisément l'ensemble de la classe politique. La stratégie est claire : démontrer que tous les politiciens se ressemblent, que les politiques libérales, gaullistes et socialistes sont similaires dans leurs démarches et leurs résultats.
Lorsque Jean-Marie LE PEN affirme par exemple qu'entre "l'énarque CHIRAC, l'énarchiste BALLADUR et l'énarchiste JOSPIN, quelle est la différence ? Ce sont trois socio-démocrates. Ils sont d'accord à peu près sur tout", Arlette LAGUILLER poursuit en avançant que "seul le maquillage diffère entre le PS et le RPR (...). Les travailleurs n'ont rien à attendre de différent de Jacques CHIRAC, d'Edouard BALLADUR et de Lionel JOSPIN."
Dans ce cas précis, même leur vocabulaire se rapproche étrangement...
Arlette LAGUILLER critique les candidats de gauche Lionel JOSPIN et Robert HUE tout autant que Jean-Marie LE PEN dénonce Jacques CHIRAC, Edouard BALLADUR et Philippe de VILLIERS.
Les deux candidats protestataires insistent également sur l'exaspération, l'inquiétude, la colère face au chômage.
Ils entretiennent la peur de l'avenir, en particulier face à la crise économique, au chômage, à la drogue, à l'insécurité, à l'avenir des enfants...
Le "programme" d'Arlette LAGUILLER se résume en fait à un "plan d'urgence pour les travailleurs et les chômeurs".
Elle y propose par exemple d'arrêter toutes les subventions au patronat, d'augmenter de 1500 francs l'ensemble des salaires, de créer des emplois dans les services publics, de relancer la construction de logements populaires, de rendre publics les comptabilités des grandes entreprises et les revenus du "grand patronat", de rétablir les tranches supérieurs d'imposition des hauts revenus ou encore d'augmenter le taux de l'impôt sur les sociétés.
Celui de Jean-Marie LE PEN est plus dense, proposant l'instauration d'une VIème République. Ainsi, lors de l'émission "L'Heure de Vérité" du 13 novembre 1994, le président du Front National présentait neuf tableaux (chômage, prélèvements obligatoires, dette de l'Etat, crimes et délits, trafic de drogue, naissances, nombre d'agriculteurs, croissance de l'économie et enfin valeur du franc) portant sur la situation du pays et son évolution depuis 1958.
La date de référence n'est bien sûr pas choisie au hasard. C'est à la fois le début de la Vème République et la fin de la guerre d'Algérie. Une manière de lier étroitement les deux phénomènes. La conclusion apparaît en filigrane : la décadence économique, sociale et morale - si décadence il y a - est directement causée par la Cinquième République. La solution est donc évidente : la remplacer par une VIème République "nationale, populaire et sociale" dont la préférence nationale serait le pivot.
La dénonciation systématique et globale de la Vème République permet au Front National de rejeter l'ensemble des partis qui, à un moment ou à un autre, ont participé depuis 1958, au gouvernement. Lui seul disposant par conséquent d'une véritable virginité politique en la matière.
Seule alternative crédible à la "bande des quatre", le Front National demande le rétablissement de la peine de mort, la création du salaire parental, la suppression de l'impôt sur le revenu, et l'instauration de la préférence nationale pour l'emploi et l'habitat.
Mais ni Lutte Ouvrière ni le Front National n'apportent réellement avec eux une thérapie viable. Le vote en leur faveur ressemble plus à un cri de révolte, de protestation, de colère ou de détresse qu'à un véritable blanc-seing politique.
D'ailleurs, l'ambition des candidats protestataires n'est pas réellement de parvenir au Palais de l'Elysée même si Jean-Marie LE PEN pensait sincèrement accéder au second tour. L'objectif est de rassembler le maximum de partisans afin - du moins l'affirment-ils - de peser sur la future politique gouvernementale.
Le candidat d'extrême droite ne pouvant être élu, il se trouve par définition hors du système traditionnel. En votant pour lui, ses sympathisants entendent néanmoins participer - sous une autre forme, plutôt protestataire, il est vrai - à la vie politique du pays.
Pour sa part, Arlette LAGUILLER explique qu'un million de plus sur sa candidature pèserait plus lourd au soir du premier tour que deux millions de voix sur celle de Robert HUE ou sur celle de JOSPIN. Durant la campagne, elle déclarait que son ambition était de recueillir 2 à 3 millions de voix "parce que cela exprimerait la colère de la classe ouvrière".
Mais, en définitive, ne croyant guère aux bienfaits de la démocratie, elle marquait sa nette préférence pour le troisième tour social et la multiplication des grèves.
Actuellement, ni Lutte Ouvrière ni le Front National ne sont des partis de gouvernement.
Dans la majorité des cas, l'électeur ne souhaite donc pas voir l'élection du candidat pour lequel il vote. En se prononçant dans l'isoloir en faveur d'Arlette LAGUILLER ou de Jean-Marie LE PEN, il ne veut pas les voir s'installer à l'Elysée mais plutôt marquer sa profonde désapprobation, sa protestation.
Ceci dit, cet argument, traditionnel valant pour les deux extrêmes a sans doute été contredit le mois suivant lors des élections municipales. En juin, en effet, les électeurs ont été relativement nombreux à s'être directement et implicitement prononcés en vue d'élire un maire Front National.
Ainsi donc, le vote en faveur du Front National serait de moins en moins protestataire. Au fur et à mesure que l'extrême droite se structure, s'installe dans les conseils municipaux, les quartiers, les entreprises, les associations, elle s'institutionnalise et par conséquent, semble peu à peu perdre son caractère purement protestataire.
III) 20% DE CONTESTATAIRES...
En réalité, la force électorale de l'extrême droite ne date pas de 1995.
Certes, le leader du Front National a encore progressé cette année mais la progression reste faible par rapport à 1988. Ce qui est plus flagrant, c'est la persistance du phénomène depuis dix ans et son implantation durable sur la scène politique.
Le processus de généralisation du vote en faveur de l'extrême droite, accompagné d'un gonflement important des scores réalisés, est avant tout la traduction d'une banalisation du vote Le Pen.
Cette année, il conserve ses zones d'influence du bassin méditerranéen, du Nord, de l'Est, de la région parisienne et de la vallée rhodanienne. Il arrive en tête dans sept départements, tous situés dans l'Est : le Bas-Rhin (25,99%), le Haut-Rhin (25,80%), la Moselle (23,82%), le Vaucluse (23,12%), le Var (22,35%), les Bouches-du-Rhône (21,43%) et la Loire (21,08%) ainsi que dans plusieurs villes importantes telles Mulhouse, Metz, Toulon, Marseille, Dreux, Avignon ou Perpignan.
Par rapport à 1988, l'extrême droite progresse essentiellement dans le Nord et l'Est du pays, l'Alsace, la Lorraine, le Nord et la Champagne, dans les zones anciennement industrielles en crise ou du moins en difficulté économique (par exemple dans le bassin minier de Lens ou la région de Creil dans l'Oise...).
A Paris, le Front National obtient désormais ses meilleurs résultats dans les quartiers populaires, les 18, 19 et 20ème arrondissements et non dans les beaux quartiers de l'ouest.
Sans doute à cause d'une certaine peur des conséquences de l'ouverture des frontières (Accords de Schengen), l'extrême droite recueille de très bons résultats aux proximités des frontières, en Alsace, en Lorraine et dans le Nord...
En Lorraine, le FN progresse surtout dans les banlieues, les villes moyennes (Toul, Lunéville, Pont-à-Mousson) ainsi que dans les zones rurales. Comme on avait déjà pu le remarquer autrefois, ces régions ne sont pas celles où l'immigration est la plus massive mais plutôt celles qui jouxtent les quartiers en difficulté. Plus qu'un rejet de la réalité présente, le vote FN cristallise les peurs face à l'avenir, les peurs d'une immigration ou d'une délinquance que l'électeur perçoit comme étant géographiquement proche.
Arlette LAGUILLER elle, réalise ses meilleurs résultats en Normandie, en Lorraine, en Bretagne et en Picardie. Elle recueille plus de 6% des suffrages dans 13 départements : le Puy-de-Dôme (6,92%), le Calvados (6,69%), l'Ille-et-Vilaine (6,51%), la Meurthe-et-Moselle et la Seine-Maritime (6,47%), la Moselle (6,43%), la Loire-Atlantique (6,19%), le Pas-de-Calais (6,16%), le Territoire-de-Belfort (6,09%), le Finistère (6,07%), l'Ariège (6,05%), l'Essonne et l'Oise (6%).
En général, il s'agit de vieilles terres de gauche, industrielles mais connaissant elles aussi des difficultés économiques.
Les zones de force se situent essentiellement dans les quartiers populaires des villes socialistes ou communistes.
Concurrencé par Philippe de VILLIERS, Jean-Marie LE PEN recule sensiblement chez les agriculteurs, les milieux bourgeois et les cadres supérieurs.
En revanche, il obtient ses meilleurs scores chez les ouvriers (27%), les artisans et commerçants (21%), les employés (19%) et les chômeurs (18%) 4, catégories sociales où il connait une hausse spectaculaire.
Le Front National - et c'était déjà le cas en 1988 - est devenu le premier parti français chez les ouvriers et les chômeurs.
De toute évidence, l'extrême droite française semble s'implanter durablement dans les milieux populaires.
Arlette LAGUILLER, elle, trouve principalement ses électeurs chez les employés (8%), les ouvriers (7%) et les chômeurs (6%).
Les deux électorats présentent ainsi un net caractère populaire ayant plutôt le sentiment d'appartenir à une catégorie sociale défavorisée et exprimant clairement leur inquiétude face à l'avenir.
En offrant une solution illusoire - ou simpliste - à des catégories se sentant menacées économiquement, socialement ou culturellement, les deux candidats extrémistes y trouvent une audience particulièrement forte. Pour autant, ce vote n'est sans doute pas constitutif d'un électorat nationaliste ou révolutionnaire. Il s'agit avant tout d'une conjonction plus ou moins irrationnelle de tous les mécontents.
Pour Lutte Ouvrière comme pour le Front National, l'objectif est donc d'encadrer, de "fidéliser" et de discipliner un électorat volage par nature.
IV) LE REPORT DES VOIX : UN ELECTORAT INDISCIPLINE
Le 7 mai, lors de la soirée électorale sur TF1, Bruno MEGRET, délégué général du Front National, soulignait que les électeurs d'extrême droite avaient contribué au succès de Jacques CHIRAC.
Toutefois, il est évident qu'ils ne l'ont fait qu'en désobéissant à Jean-Marie LE PEN. En effet, le 1er mai précédent, à l'occasion de la Fête de Jeanne d'Arc, le président du Front National avait clairement incité ses partisans à préférer Lionel JOSPIN à Jacques CHIRAC, celui-ci étant qualifié de "Jospin en pire" :
"Je ne peux vous recommander de voter pour l'un de ces candidats résiduels. Je laisse à chacun sa liberté et sa responsabilité de se déterminer en fonction de ses origines, de ses sympathies et de ses antipathies. CHIRAC c'est JOSPIN en pire."
Jean-Marie LE PEN annonçait alors qu'il déposerait un bulletin blanc dans l'urne. National Hebdo, organe plus ou moins officiel du Front, titrait ensuite "Votez Jeanne d'Arc" incitant par conséquent ses lecteurs à voter blanc ou nul.
Arlette LAGUILLER quant à elle, sans réellement appeler à l'abstention, révélait que les militants de Lutte Ouvrière s'abstiendraient et n'appelleraient pas à voter pour Lionel JOSPIN.
Dans le même temps, elle annonçait que son mouvement ne "fera rien pour empêcher les travailleurs et l'électorat de gauche de voter pour Lionel JOSPIN".
Toutefois, s'agissant plus d'un vote protestataire que d'un vote d'adhésion, on pouvait légitimement s'interroger sur le respect de ces consignes par des électorats par définition plutôt indisciplinés.
D'après un sondage post-électoral, 65% des électeurs d'Arlette LAGUILLER se seraient portés au second tour sur Lionel JOSPIN. 22% se seraient abstenus ou auraient voté blanc, 13% préférant choisir le candidat gaulliste.
La moitié des partisans de Jean-Marie LE PEN auraient voté pour Jacques CHIRAC ; 21% ayant préféré son concurrent direct et 29% s'étant conformé aux voeux du président du FN en se réfugiant dans l'abstention ou le vote blanc. 5
En règle générale, l'élément populaire du Front National s'est relativement bien reporté sur Lionel JOSPIN alors que dans les quartiers bourgeois, la gauche progresse peu entre les deux tours, l'électorat lepéniste s'étant plutôt rallié à la candidature de Jacques CHIRAC.
A cet égard, les électeurs de Jean-Marie LE PEN et ceux d'Arlette LAGUILLER présentent deux caractéristiques communes :
-Proportionnellement, ce sont eux qui se réfugient le plus dans l'abstention au 2ème tour.
-Malgré tout, ce sont également les moins disciplinés, ceux qui suivent le moins les consignes données par leurs candidats.
Ces chiffres bruts traduisent la certaine incapacité du Front National a réellement peser sur la vie politique. L'extrême droite ne peut pas empêcher la victoire de Jacques CHIRAC bien que le candidat RPR n'ait ni négocié ni transigé.
On peut en dire de même de Lutte Ouvrière qui n'a pas encore su influencer ses nouveaux électeurs.
Néanmoins, on soulignera l'importance de l'abstention et du vote blanc ou nul dans les départements où le candidat d'extrême droite avait réalisé ses meilleurs scores. Cette constatation est particulièrement flagrante en Alsace, plus de 8% des votants ayant déposé un bulletin nul alors que la moyenne nationale n'était que de 6%. On le remarque également dans le Vaucluse (08,12%), le Gard (07,72%), les Bouches-du-Rhône (07,37%) et le Var (07,12%).
V) L'EXPLOITATION POLITIQUE DES RESULTATS
Enfin, dernier point commun entre Jean-Marie LE PEN et Arlette LAGUILLER, tous deux ont profité de l'élection présidentielle pour marquer des points et capitaliser sur leurs résultats électoraux.
Pour l'extrême droite, l'objectif était - et demeure toujours - de peser de manière déterminante sur la vie politique française, d'arriver à diffuser ses thèses en banalisant son programme.
Les 15% recueillis devaient également servir de tremplin pour les élections municipales du mois de juin, avec les résultats que l'on connaît.
Pour Arlette LAGUILLER, un tel score devait préparer le "troisième tour social" et constituer un efficace moyen de pression. C'était aussi l'occasion de s'affirmer comme le principal mouvement d'extrême gauche, d'éliminer ses principaux concurrents (notamment le Parti des Travailleurs et la Ligue Communiste Révolutionnaire) et de créer un "grand parti ouvrier pour la défense des exploités". Sur ce point, il semble que l'échec soit flagrant.
Voulant démontrer que son audience n'était ni passagère ni uniquement liée à la personnalité d'Arlette LAGUILLER, Lutte Ouvrière se lançait dans la campagne municipale en présentant 53 listes homogènes plus trois listes d'alliance avec le PCF à Villers-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle), Sochaux (Doubs) et Oye-Plage dans Pas-de-Calais.
Là encore, on assistait à un relatif échec (seulement sept élus - contre deux en 1989 il est vrai) sauf pour Arlette LAGUILLER qui, après la popularité consécutive à l'élection présidentielle, se faisait élire conseillère municipale des Lilas (Seine-Saint-Denis) à la tête d'une liste recueillant plus de 15% des voix.
Lutte Ouvrière a donc très vite constaté que son électorat n'était peut-être pas très "fixe" et qu'il ne s'agissait sans doute pas d'une radicalisation manifeste et sensible des Français. Certes, le déplacement de voix vers l'extrême gauche était réel (un million de plus qu'habituellement) mais ne correspondait probablement pas à une modification majeure de l'opinion ou du rapport de forces.
En définitive, Lutte Ouvrière et le Front National, ont bénéficié d'un "vote protestataire". Les résultats ont été concluants. Cependant, ne s'agissant pas d'un vote d'adhésion mais plutôt de rejet, il leur reste désormais à encadrer, à "fidéliser" l'électorat.
En seront-ils capables ?
Les Français continueront-ils à protester, à contester, ou reviendront-ils dans le giron des partis gouvernementaux ?
SOMMAIRE
Les élections présidentielles en Lorraine de 1965 à 1995
Dominique PERRIN.
Thèmes et acteurs
Stratégie et programme des candidats
François BORELLA.
La présidentialisation des partis
Philippe RIVET.
La communication politique lors de l'élection présidentielle de 1995
Laura NAKIC.
L'élection présidentielle et l'Europe
Léonard MATALA-TALA.
L'élection présidentielle et l'Afrique
Bob KIRONGOZI.
Les candidats et leurs réseaux
Les réseaux partisans de Jacques Chirac et de Lionel Jospin
Rolande PLACIDI.
Les réseaux d'Edouard Balladur en Meurthe-et-Moselle
François LAVAL.
Les réseaux des candidats dans les Vosges
Christelle DORGET.
L'analyse des résultats électoraux
L'influence des sondages dans la campagne présidentielle de 1995
Olivier GALLAND.
Le vote protestataire. Etude comparée des candidatures
d'Arlette Laguiller et de Jean-Marie Le Pen
Thierry CHOFFAT et Olivier PRUGNEAU.
Le vote Jospin
Etienne CRIQUI.
1 Il est toutefois difficile d'être affirmatif sur ce point et de savoir lequel des deux principaux candidats de droite a été avantagé ou pénalisé par la présence de Philippe de VILLIERS.
2 Libération 9 mars 1995.
3 Le Monde 20 mars 1995.
4 Enquête sortie des urnes BVA pour France 2, Europe 1, Paris Match et Le Monde, réalisée le dimanche 23 avril auprès de 6343 électeurs venant de voter dans 200 bureaux répartis sur le territoire de la France métropolitaine.
5 Sondage post-électoral portant sur 2740 interviews réalisés par la SOFRES du 9 au 20 mai 1995 et reproduit dans Le Monde du 24 mai 1995.