L'ELABORATION DES CLAUSES DU CONTRAT DE TRAVAIL

Par P.Y. VERKINDT

Professeur à l'Université de Lille 2



Système ouvert sur son environnement, l'entreprise est appelée à jouer en permanence avec la complexité et avec le temps. Parce qu'elle est un système, interagissent en son sein des éléments économiques et financiers, techniques et technologiques, mais aussi des éléments culturels et humains ainsi que des représentations. La fluidité particulière de ces dernières les rend plus difficilement maîtrisables et leur évolution est sans doute plus difficilement prévisible.

Parce qu'elle est un système ouvert sur son environnement, elle est particulièrement sensible à l'évolution de cet environnement technique, économique, juridique, politique et culturel. Ainsi, aux incertitudes qui caractérisent le jeu interne des éléments, s'ajoute une incertitude qui résulte des transformations de cet environnement.

L'entreprise doit encore composer avec le temps dans lequel s'inscrit nécessairement son action. Son aptitude à durer dépend pour une bonne part de sa capacité à réagir en temps utile aux sollicitations extérieures et aux difficultés d'organisation.

La complexité et le temps constituent deux facteurs d'incertitude qui affectent les décisions de toutes natures. La construction de ces décisions passe par la réduction des incertitudes. Cela suppose que les organes appelés à faire des choix susceptibles d'engager l'avenir de l'entreprise sachent anticiper les évolutions et les risques qu'elles engendrent.

C'est ici qu'intervient la notion de stratégie. Venu du vocabulaire militaire, le mot est désormais largement utilisé dans le champ économique et dans celui de la gestion (du management) des entreprises. Définie comme " la conduite et la réalisation, par les meilleurs moyens, d'une politique ", elle implique donc des décisions relatives aux fins poursuivies, aux moyens à mettre en oeuvre et aux ressources à solliciter pour y parvenir. Les principaux théoriciens du management insistent sur le fait que la stratégie va au delà de la simple planification. Dans la mesure où l'évaluation permanente des résultats obtenus conduit à reformuler ou à réorienter la stratégie au fur et à mesure d'une part de l'évolution du contexte de la décision et d'autre part des résultats premiers de ces décisions.

La réduction des marges d'incertitude constitue donc une préoccupation permanente de toute stratégie d'entreprise et concerne tous les secteurs de la vie économique. Leur comblement implique des ressources d'adaptation, lesquelles dépendent pour l'essentiel des instruments de prévision dont se sont dotés les organes de décision. La rapidité, la qualité et la pertinence de la réaction de l'entreprise aux transformations qui affectent tant son environnement que sa structure dépendent, compte tenu de l'inertie consécutive à toute décision, de la qualité de l'anticipation.

De ce point de vue, s'agissant du facteur travail, le contrat offre des ressources non négligeables. Il permet en effet d'anticiper les nécessités de sa propre évolution. Ce faisant, il apparaît comme un outil de réduction d'incertitude et s'avère un moyen de concilier l'exigence de sécurité juridique et le besoin d'adaptation.

Cette conciliation des deux impératifs de base de toute activité économique ne revêt cependant pas la même intensité selon que l'on se place au stade de la conclusion du contrat ou en cours d'exécution. Lors de la conclusion du contrat, c'est essentiellement la volonté du futur employeur qui servira de point d'appui à la recherche de réduction des incertitudes liées à l'évolution de l'entreprise. En cours d'exécution de la prestation de travail, la force obligatoire du contrat constitue sans aucun doute un facteur de sécurité juridique dont il faut cependant constater qu'elle constitue une sévère limite à l'évolution des composantes de la relation de travail.

I- L'ELABORATION INITIALE DU CONTRAT

Le choix initial du contenu du contrat de travail est fortement marqué par le fait que c'est le chef d'entreprise qui, non seulement a la maîtrise du choix d'embaucher ou de ne pas embaucher, mais a encore la maîtrise de la détermination des conditions dans lesquelles le contrat sera exécuté. La libre négociation du contrat n'est de ce point de vue qu'une fiction dans la grande majorité des cas. S'il est vrai qu'un certain nombre de contraintes pèsent sur la décision de l'employeur, il n'en demeure pas moins qu'il dispose au stade de l'embauche d'une réelle marge de manoeuvre.

A. Les contraintes pesant sur la décision

La liberté de l'employeur d'embaucher ou de ne pas embaucher n'est pas fondamentalement remise en cause, pas plus que n'est remise en cause sa liberté de choisir le salarié dès lors qu'il n'adopte pas un comportement discriminatoire (1). Ce principe posé, il faut relever que l'employeur en situation d'embauche n'est pas toujours libre de choisir le type de contrat ou le type de clauses qu'il souhaiterait insérer dans la convention.

Les contrats organisés par le législateur dans le cadre de la politique de l'emploi ou dans le cadre de la politique de formation sont orientés vers des publics-cibles. L'employeur est libre d'y recourir ou non mais s'il désire bénéficier des avantages liés à ce type de contrat, il lui appartiendra d'en respecter les conditions de forme et de fond (2). La logique qui préside à l'utilisation du contrat à durée déterminée ou au recours au travail temporaire est différente. Les lois fixant limitativement les cas de recours à ces types de contrats, la liberté de l'employeur n'est plus limitée par les caractéristiques propres du salarié dont l'embauche est envisagée mais par les raisons qui conduisent à les utiliser. Dans les deux cas cependant, il faut considérer que le chef d'entreprise se soumet aux contraintes juridiques pesant sur ces contrats en considération d'avantages attendus liés, notamment, aux besoins de flexibilité qu'il aura évalués.

Une fois opéré le choix du contrat, c'est au choix de son contenu que l'employeur devra s'attacher. Ici encore, les facultés d'anticipation de l'employeur sont bornées par un ensemble de textes qui tantôt s'appliquent à l'ensemble des contrats, tantôt concernent certains types de contrats mais qui toujours s'attachent à la protection de la partie dont les capacités de négociation sont en pratique les plus faibles.

L'évolution récente de la réglementation des clauses du contrat manifeste un réel souci du législateur d'assurer une information correcte du salarié. Ce souci vient s'ajouter à d'autres exigences plus anciennes conduisant à interdire purement et simplement certaines clauses ou à les priver d'efficacité.

C'est ainsi que sont interdites de longue date les clauses portant atteinte aux libertés fondamentales ainsi que celles de nature à priver le salarié de son juge naturel qu'est le conseil des prud'hommes. C'est ainsi encore que sont privées d'efficacité les clauses de responsabilité qui viendraient porter atteinte au principe suivant lequel la responsabilité civile du salarié ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde.

Sur ce socle traditionnel, le législateur est venu ajouter un certain nombre de dispositions tendant à assurer une meilleure information du salarié sur le contenu de ses obligations. Ce phénomène qui touche maintenant toutes les catégories de contrats est particulièrement sensible dans le domaine des contrats précaires dont on sait qu'ils doivent comporter des mentions obligatoires (3). On n'entrera pas ici dans le détail de cette réglementation, sauf à noter d'une part que la jurisprudence se montre particulièrement attentive au respect de ce formalisme (4) et d'autre part que de telles clauses obéissent à un double objectif. La première finalité est de ne pas ajouter à la précarité naturelle de ces contrats une opacité de la relation de travail. La seconde finalité est de donner au salarié les moyens de vérifier ou de faire vérifier en cas de contentieux que les conditions du recours à ce type de contrat étaient bien réunies.

Pour autant, sous réserve de ces contraintes qui, pour réelles qu'elles soient, peuvent être analysées comme la contrepartie soit de l'absence de maîtrise par le salarié des conditions de négociation du contrat, soit de la précarité de la relation de travail, la marge de manoeuvre dont dispose l'employeur est loin d'être négligeable.

B. La marge de manoeuvre du chef d'entreprise

Le contrat de travail est un acte juridique à trois dimensions : l'espace, le temps et l'objet. Chacune de ces variables est susceptible d'être affectée par une évolution de l'environnement de l'entreprise, par des choix de réorganisation (délocalisation ...) ou par une transformation affectant la structure juridique de l'entreprise (filialisation, absorption, etc. ...). La volonté de réduire les incertitudes initiées par ces évolutions conduira le chef d'entreprise à chercher à les anticiper en construisant le contrat de telle sorte qu'il pourra absorber les à-coups de l'évolution (5).

La maîtrise de l'espace est assurée par la possibilité d'insérer dans les contrats de travail des clauses de mobilité dont la jurisprudence admet largement la validité. Elles n'ont pas à être limitées dans l'espace, ni dans le temps et elles participent de la force obligatoire du contrat. Au stade de leur application, et sous réserve qu'elles soient utilisées conformément à l'intérêt de l'entreprise (6) et sans détournement de pouvoir (7), le salarié doit s'y soumettre, compte tenu de l'article 1134 du Code civil, au risque de commettre une faute que la jurisprudence récente tend à qualifier de faute grave (8). Seul le salarié protégé échappe à ce régime dans la mesure où la clause de mobilité ne saurait prévaloir sur les dispositions protectrices prévues par la loi et où aucun changement de lieu de travail ne peut être imposée au salarié protégé sans son accord (9).

La maîtrise du facteur temps s'exprime, s'agissant de la gestion de la relation de travail de deux façons différentes : chronologique et chronométrique (10). L'approche chronologique consiste à envisager le déroulement du contrat de travail voire le déroulement de la carrière du salarié. L'approche chronométrique conduit à se placer dans le cadre d'un contrat de travail donné, quelle que soit sa durée, et à s'interroger sur le temps de travail, c'est à dire sur le temps pendant lequel le salarié reste sous la direction et sous la subordination de son employeur.

La gestion de la " chronologie " de la relation de travail n'est évidemment pas la même suivant que cette relation s'appuie juridiquement sur un contrat à durée déterminée ou sur un contrat conclu sans détermination de durée. Le contrat à durée déterminée offre une prévisibilité intéressante et c'est sans doute aussi pour cette raison qu'on le définit habituellement comme un instrument de flexibilité externe. Dès sa conclusion, le terme du contrat, fut-il incertain comme dans le cas des contrats de remplacement, est envisagé. D'emblée, l'horizon du contrat est fixé et la marge de manoeuvre de l'employeur se situe essentiellement dans la possibilité qui lui est donnée d'insérer une clause de renouvellement ou une clause d'essai (11). L'insertion d'une clause de résiliation réciproque serait quant à elle de nature à entraîner la requalification du contrat (12).

Lorsque le contrat est conclu sans détermination de durée, il offre plus de résistance à la prévisibilité en raison du droit de résiliation unilatérale dont bénéficie le salarié. L'employeur ne dispose pas de moyen d'y remédier directement par l'utilisation des ressources contractuelles. Toute clause interdisant la démission sera nulle comme contraire à la liberté du travail et l'employeur ne saurait imposer au salarié une procédure de démission en raison des mécanismes de l'ordre public social. Tout au plus, en fait plus qu'en droit, l'insertion d'une clause de garantie d'emploi serait de nature à permettre une certaine stabilisation de la relation contractuelle. Encore faut-il noter qu'une telle clause, bien que licite, ne change pas la nature de la relation de travail et ne crée en définitive d'obligation qu'à la charge de l'employeur (13). Seule l'insertion d'une clause d'essai à la conclusion du contrat devrait permettre à l'employeur (14) de retrouver un instrument de prévisibilité dans la mesure où par le fait même de cette clause il ne peut pas ne pas envisager que le salarié décide de quitter l'entreprise. Encore convient-il de noter que l'employeur ne saurait différer le point de départ de la période d'essai même en cas de participation à une formation préalable, au commencement d'exécution du contrat (15).

Cela dit, il ne faut pas confondre prévision et adaptation à l'évolution de l'entreprise. En effet, comme on le verra plus loin, le droit de résiliation unilatérale dont dispose l'employeur, même si ce droit est encadré par les règles relatives au licenciement, lui permet d'adapter la force de travail aux exigences de compétitivité. C'est particulièrement vrai depuis que la Cour de cassation a étendu la définition du licenciement économique à ce cas de figure.

Sur le plan de la " chronométrie ", le recours au travail à temps partiel sous ces différentes formes a été facilité par les récentes réformes. Sans entrer dans le détail des réglementations relatives à cette forme d'emploi (16), ni dans les débats auxquels elles ont donné lieu, il faut remarquer ici que la Cour de cassation semble vouloir donner aux exigences formelles leur plein effet (17). En d'autres termes, si l'embauche à temps partiel permet à l'employeur de donner une assise juridique aux anticipations économiques qui le guident, il lui appartiendra d'une part, de veiller à la qualité formelle des conventions de travail et d'autre part, de se tenir aux données contractuelles qu'il aura lui-même décidé d'insérer dans le contrat initial.

La liberté contractuelle permet encore à l'employeur d'utiliser des clauses relatives à la rémunération ou au résultat ou destinées à assurer la protection des intérêts de l'entreprise. Elle vient cependant buter sur d'autres impératifs dont le droit du travail entend assurer le respect. Ainsi, les clauses relatives à la rémunération ne sauraient porter atteinte aux minimas légaux ou conventionnels (18). Ainsi surtout, la clause de non concurrence ne saurait porter atteinte par son étendue dans le temps ou dans l'espace à la liberté du travail du salarié (19) et selon une jurisprudence désormais constante n'est licite que si elle est conforme aux intérêts légitimes de l'entreprise (20). La Cour de cassation paraît décidée à faire prévaloir une conception stricte voire restrictive de la clause (21).

Si, somme toute, la marge de manoeuvre de l'employeur lors de la constitution de la relation de travail reste très appréciable, la difficile adaptation du contrat en cours d'exécution doit le conduire à une grande vigilance lors de l'élaboration du contrat de travail. Tout se passe comme si par le contrat lui même l'employeur avait épuisé les facultés d'anticipation que lui donnait la loi.

II L'ADAPTATION DU CONTRAT EN COURS D'EXECUTION

L'adaptabilité du contrat à l'évolution de l'entreprise reste très relative même lorsqu'elle est possible. C'est qu'elle se heurte au principe selon lequel le contrat est la loi des parties.

A. L'adaptabilité du contrat

La nature juridique du contrat de travail exerce une influence décisive sur l'adaptation du contrat. A priori, la rigidité propre du contrat à durée déterminée (et par extension du contrat de travail temporaire) s'oppose à la souplesse du contrat de travail à durée indéterminée. En fait, la pérennité au moins potentielle du second rend plus nécessaire la recherche d'adaptation puisque le temps qui s'écoule modifie l'environnement auquel l'entreprise doit s'adapter. L'adaptabilité du contrat à durée indéterminée n'est cependant que relative, comme est relative l'inadaptabilité du contrat à durée déterminée.

On sait que la jurisprudence tend désormais à distinguer le changement des conditions d'exécution du contrat et la modification du contrat proprement dite (22). Le premier, expression du pouvoir de direction de l'employeur, s'impose au salarié. La seconde ne peut se faire sans l'acceptation du salarié, qu'elle procède d'une cause personnelle ou d'une cause économique. Dans ce dernier cas, l'article L. 321-1-2 du Code du travail impose désormais une notification au salarié, une acceptation de la modification étant déduite d'un silence gardé pendant un mois.

L'insertion d'une clause contractuelle au cours de l'exécution de la relation de la travail nous paraît être nécessairement une modification du contrat quelque soit l'objet auquel elle s'applique. L'accord du salarié est alors requis, son silence ne pouvant valoir acceptation en dehors du cas particulier de la modification imposée pour des motifs économiques. En présence d'un refus, l'employeur sera conduit soit à renoncer à insérer la clause litigieuse soit à licencier le salarié avec toutes les conséquences notamment pécuniaires attachées au licenciement. Tel sera le cas lorsque l'employeur souhaite imposer une clause de mobilité ou une clause de non concurrence en cours de contrat. Tel sera encore le cas lorsqu'il souhaite modifier les dispositions contractuelles relatives à la rémunération, à son montant ou à son mode de calcul.

En principe, conclu pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire qui doit être définie dans l'écrit servant de support à la relation de travail, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être modifié sans l'accord des parties. La Cour de cassation a récemment jugé que la modification qui interviendrait de façon unilatérale équivaudrait en réalité à une rupture avant terme dont on connaît le caractère coûteux pour l'entreprise (23). Cela dit, cette inadaptabilité du contrat à durée déterminée doit être nuancée compte tenu des pratiques liées au contrat dit de remplacement. En effet, si selon une jurisprudence constante, un tel contrat ne peut être conclu pour remplacer l'ensemble du personnel absent comme vient de le rappeler la Cour de cassation (24), la possibilité d'opérer les remplacements par glissement n'est nullement remise en cause (25). Cette jurisprudence conduit à relativiser la rigidité des contrats à durée déterminée au regard des exigences de la gestion du personnel.

B. Le "verrou" de l'article 1134 du Code civil

Une stratégie d'élaboration des clauses du contrat de travail ne saurait se satisfaire de la simple et trop fréquente affirmation suivant laquelle le contrat n'offrirait que souplesse là où la loi ne serait que rigidité. Les choses sont moins simples. Sans doute la technique contractuelle donne-t-elle à l'employeur lors de l'embauche un certain nombre de ressources lui permettant d'adapter le substrat juridique de la relation de travail à ses besoins. Mais une fois conclu, le contrat est la loi des parties et s'impose à elles comme au juge qui sera éventuellement saisi d'un litige.

En d'autres termes, la qualité de l'organisation contractuelle dépend pour une part essentielle de la qualité de l'anticipation du chef d'entreprise. Si le contrat fournit de la souplesse au stade de l'embauche, il est, pour des raisons qui tiennent à la nature même de l'instrument juridique, aussi contraignant que la loi au stade de son application.

C'est l'article 1134 du Code civil qui impose un accord exprès des parties en vue du renouvellement de la période d'essai (26) ou en vue d'une modification du contrat. C'est encore l'article 1134 qui oblige l'employeur à respecter la durée du contrat, l'organisation du temps de travail convenu ou la rémunération promise.

Il n'est pas nécessaire de multiplier les exemples d'une situation que les juristes connaissent trop bien. Il suffira en conclusion de rappeler que les obligations que l'on se donne à soi même sont suffisamment efficaces pour que l'on prenne un soin tout particulier à leur détermination. Cette exigence mérite d'être soulignée dans le contexte de la relation de travail où, quoiqu'on dise, c'est l'employeur qui dans la grande majorité des cas dispose de la maîtrise de l'élaboration de la base contractuelle.



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