Les Cahiers du GERSE n° 2
UN VISAGE, UNE VOIX, OUI, MAIS POUR QUELLE POLITIQUE EXTÉRIEURE
ET DE SECURITE COMMUNE ?
Irène IVANUSIC
Le Traité d'Amsterdam, pas plus que le Traité de
Maastricht, n'a doté l'Union européenne d'une personnalité
juridque internationale, contrairement à la Communauté
européenne qui elle est un sujet de droit international.
Par conséquent, les actes pris par l'Union dans le cadre
de la politique extérieure et de sécurité
commune (ci-après PESC) sont imputables aux sujets qui
la composent, à savoir les quinze Etats membres et la Communauté
européenne. Malgré cet handicap, le Traité
fixe comme objectif de l'Union européenne l'affirmation
de son identité sur la scène internationale, et
notamment à travers la mise en oeuvre de la PESC.
Pour cette mise en oeuvre, le Traité d'Amsterdam reprend
le champ d'application déjà fixé par le Traité
de Maastricht, à savoir : un champ totalement illilmité
puisque la PESC couvre "tous les domaines de la politique
étrangère et de sécurité"
(article J1§1). L'article J1§1 reprend l'article J2§2
sans modification substantielle. Tout comme lui il énumère
les objectifs de la PESC sans les hiérarchisés,
ils correspondent aux objectifs raisonnables d'une politique étrangère
d'un Etat de droit. Afin d'atteindre ces objectifs, le nouvel
article J2 reprend et modifie totalement l'ancien article J1§3.
Il dresse une liste des moyens d'action dont l'Union peut faire
usage : la définition des principes et des orientations
générales d'une politique extérieure et de
sécurité commune, la mise en place de stratégies
commnes, l'adoption de positions et actions communes et enfin
le renforcement d'une coopération systématique entre
les Etats membres dans la conduite de cette politique.
On ne peut pas considérer qu'il y ait eu une véritable
clarification des objectifs de la PESC. Tout le monde attendait
une véritable réforme du deuxième pilier
de l'Union au sortir de la CIG. Les changements intervenus n'ont
pas été une grande surprise, en revanche, sur des
points importants, à défaut d'entente, nous restons
sur un statu quo.
I. Des innovations sans surprise
A. Monsieur/Madame PESC
"Je veux bien parler à l'Europe, mais donnez moi
un numéro de téléphone", en ces
quelques mots Kissinger mettait en évidence la nécessité
d'assurer la visibilité externe de l'Union en lui donnant
un visage et une voix.
Avec le Traité d'Amsterdam c'est maintenant chose faite.
En effet, un Monsieur PESC a été désigné.
L'article J-8, ancien article J-5, institue, dans son troisième
paragraphe, un Haut Représentant pour la politique étrangère
et de sécurité commune en la personne du Secrétaire
général du Conseil. Il est secondé par le
Secrétaire adjoint du Conseil et assisté d'une unité
de planification de la politique et d'alerte rapide.
Son rôle est d'assister le Conseil en contribuant à
la formulation, l'élaboration et la mise en oeuvre des
décisions prises. Monsieur PESC peut agir à la demande
de la présidence et au nom du Conseil pour conduire un
dialogue politique avec les tiers (article J-16).
Notons que la France et l'Allemagne ne souhaitaient pas voir
cette fonction occupée par le Secrétaire général
du Conseil à qui incombaient déjà de nombreuses
tâches. Elles envisageaient la création de la fonction
de Secrétaire général de l'Union, Secrétaire
désigné d'un commun accord par les gouvernements
des Etats membres et travaillant sous le contrôle des Ministres
des Affaires étrangères nationaux. Cette personnalité
politique n'aurait eu à connaître que de questions
relevant exclusivement de la PESC.
Au contraire, leurs partenaires communautaires préféraient
ne pas sortir du cadre institutionnel existant déjà
pour ne pas alourdir et compliquer davantage le processus décisionnel.
Afin d'éviter tout blocage dans les négociations,
et à défaut ne n'avoir pu se faire entendre sur
ce point, conscientes de la nécessité de donner
un interlocuteur, personne physique, à nos partenaires
tiers, la France et l'Allemagne ont accepté la nomination
du Secrétaire général du Conseil à
cette fonction.
B. Création d'une unité de planification de
la politique et d'alerte rapide
Jusqu'à présent, les actions et décisions
prises en fonction des priorités et des intérêts
de l'Union intervenaient très souvent avec retard et pas
à la mesure de l'attente et de l'annonce. C'était
là un des véritables points faibles de l'Union en
matière de PESC. Il était donc nécessaire
de créer un centre d'analyse et de prévision commune,
unité qui permettrait alors de synthétiser les différentes
opinions et ainsi d'éviter que les Etats membres ne défendent
leurs points de vue nationaux au détriment d'une unité
communautaire.
De plus, pour être efficace, la PESC nécessite une
analyse perspicace et précoce des évolutions extérieures.
Pleinement conscients de ces obstacles non insurmontables, les
Quinze ont décidé de la création d'une cellule
d'analyse et de prévision permettant d'anticiper et de
créer les conditions d'une décision rapide.
Elle est créée sein du Secrétariat général
du Conseil et placée sous la responsabilité de Monsieur
PESC. Elle est composée de spécialistes provenant
des Etats membres, du Conseil, de la Commission et de l'Union
de l'Europe Occidentale.
Elle aura à surveiller les développements de l'actualité
internationale, leurs enjeux pour l'Union européenne, tant
présents qu'à venir. Elle aura ensuite à
les analyser afin de pouvoir alerter le Conseil sur les situations
de crise naissantes, lequel pourra dès lors agir en temps
utile et plus efficacement.
Tout Etat membre ou la Commission peut lui soumettre des propositions
relatives aux travaux à entreprendre.
Cette unité de planification de la politique et d'alerte
rapide est créée par une déclaration insérée
dans l'Acte final du Traité. Ceci paraît surprenant
: les déclarations de l'Acte final n'ont eu, jusque là,
qu'une fonction interprétative ou de déclaration
d'intention, pour la première fois une déclaration
va donner naissance à un organe.
II. DES RÉFORMES ATTENDUES ET ESPÉRÉES
QUI N'ONT PAS EU LIEU
A. Le vote à la majorité qualifiée
reste l'exception en matière de PESC
D'âpres discussions ont "tourmentés" les
représentants des Etats membres à Amsterdam lors
des travaux de clôture de la CIG : les décisions
au sein du Conseil devaient-elles être prises à l'unanimité
ou à la majorité qualifiée ? Les avis tant
des Etats membres que des institutions étaient partagés.
Finalement, le consensus prévaut au sein du Conseil avec,
toutefois, possibilité d'abstention constructive pour un
Etat membre. Par dérogation à cette règle,
certaines décisions seront adoptées à la
majorité qualifiée.
1. Une unanimité ne devant pas mener à un blocage
L'unanimité est requise pour les définitions nécessaires
à la définition et à la mise en oeuvre de
la PESC sur la base des orientations générales définies
par le Conseil européen, mais aussi lorsque le Conseil
recommande des stratégies communes au Conseil européen.
Si l'unanimité a beaucoup été critiquée
car source de blocage et du mauvais fonctionnement de la PESC,
dans le Traité d'Amsterdam elle a été reprise
mais avec une nouveauté : on prévoit la possibilité
d'une abstention constructive (encore appelée abstention
positive).
Abstention positive, c'est à dire que l'abstention d'un
Etat membre présent ou représenté ne fait
pas obstacle à l'adoption des décisions soumises
au vote. Ainsi, si pour des raisons de politique internationale
interne ou pour des problèmes d'incompatibilité
avec sa constitution, un Etat membre ne souhaite pas prendre part
au vote, il ne fait pas obstacle à l'unanimité.
Et la décision lui sera applicable.
Si l'abstention constructive était prévue par le
Traité dans son article 148§3, elle reste une innovation
en matière de PESC : l'ancien article J-11, nouvel article
J-18, exclut expressément l'application de 148§3.
Si l'Etat membre s'abstenant assortit son abstention d'une déclaration
formelle, la mesure adoptée ne l'engage pas et il n'est
pas tenu de la mettre en oeuvre, mais l'Union reste engagée
par cette mesure. Ainsi, la décision portera bien le "label"
de l'UE.
Toutefois, en vertu de la solidarité, pierre angulaire
de toute la construction européenne, un Etat membre s'abstenant
ne doit pas adopter une attitude susceptible d'entrer en conflit
avec l'action de l'Union fondée sur la décision
en question. Mais parallèlement, l'idée de solidarité
n'étant pas à sens unique, les autres Etats membres
doivent respecter sa position.
En introduisant l'abstention positive en matière de PESC,
les Etats membres ont souhaité empêcher qu'une minorité
n'impose son bon vouloir à l'Union en bloquant le vote.
Mais la réciproque est vraie : du fait de l'abstention
d'un certain nombre de votants, une minorité ne devrait
pas pouvoir engager l'Union. C'est pourquoi il est prévu
que si plusieurs Etats membres font une déclaration formelle
d'abstention et qu'il représentent plus du tiers des voix
pondérées, la décision ne sera pas adoptée.
Il est vrai que jusqu'à présent les décisions
adoptées étaient le fruit d'un compromis représentant
le plus petit dénominateur commun des positions des Etats
membres, mais en introduisant l'abstention positive en matière
de PESC ne s'achemine-t-on pas vers une politique extérieure
"à la carte" privant ainsi l'Union de toute crédibilité
sur le plan international ?
2. L'exception à la règle : l'article J-13§2
: le vote à la majorité qualifiée
Même si elle reste l'exception, la majorité qualifiée
couvre un large domaine : seront adoptés à la majorité
qualifiée les actes pris sur la base de stratégies
communes, qui sont elles adoptées à l'unanimité
au sein du Conseil européen, ainsi que toute mesure de
mise en ouvre des actions ou positions communes.
Quant aux questions de procédure, elles appellent le Conseil
à statuer à la majorité de ses membres.
Pour des questions de mise en oeuvre de la stratégie,
relevant du vote à la majorité qualifiée,
un Etat membre peut s'opposer à l'adoption d'une décision
en faisant valoir ses intérêts nationaux dans des
cas très important. De ce fait, il n'est pas procédé
au vote, le Conseil statue alors, à la majorité
qualifiée, pour voir si le Conseil européen sera
saisi de la question en vue d'une décision à l'unanimité.
Cette possibilité se limite à des cas exceptionnels
et justifiés, sur des sujets sensibles et ayant trait aux
intérêts vitaux du pays concerné.
B. Une politique de défense pour l'Union européenne
mais pas d'armée
Le Traité d'Amsterdam prévoit que la PESC touche
tous les aspects de la sécurité de l'Union, y compris
"la définition progressive d'une politique de défense
commune, dans la perspective d'une défense commune"
(article J-7§1). L'UE a donc bien une politique de défense
mais elle n'en a pas les moyens : la défense appartient
aux militaires, or les militaires ne relèvent pas de l'UE
mais de l'Union de l'Europe occidentale (ci-après UEO).
C'est notamment pourquoi il avait été question
d'une intégration, à terme, de l'UEO dans l'UE.
Durant les négociations d'Amsterdam, une longue bataille
a opposé la Grande-Bretagne à ses principaux partenaires,
menés par les six pays fondateurs, sur cette question.
Ceux-ci souhaitaient intégrer l'UEO dans l'Union, alors
que les Britanniques n'envisageaient cette intégration
que lorsqu'elle recueillerait une approbation unanime. Londres
a eu raison de ses partenaires.
Le Traité d'Amsterdam n'a donc prévu qu'une coopération
renforcée entre l'UE et l'UEO. L'Union pourra faire appel
à l'UEO pour mener à bien des opérations
de maintien, rétablissement de la paix ou encore des missions
humanitaires.
Si l'UEO avait été intégrée à
l'UE, plus ou moins rapidement, celle-ci aurait enfin pu se doter
d'un véritable bras armé. Tel n'a pas été
le cas, il va maintenant falloir négocier la place de l'UEO
dans le système communautaire.
III. LE RÔLE DES INSTITUTIONS EN MATIÈRE DE PESC
: UN DEFICIT DEMOCRATIQUE PERSISTANT.
Le rôle des institutions en matière de PESC n'a
pas fondamentalement changé : le Conseil européen
définit toujours les principes et les orientations générales
de la PESC, et dorénavant y compris en matière de
défense. Avec Amsterdam, il devra décider des stratégies
communes mises en oeuvre par l'Union dans des domaines où
les Etats membres ont des intérêts communs importants.
Ces stratégies communes lui sont soumises par le Conseil,
et c'est à lui que revient leur mise en oeuvre, en plus
de ses tâches déjà définies par le
Traité de Maastricht.
Les rôles de la Commission et du Parlement européen
restent inchangés : la Commission est pleinement associée
aux travaux en matière de PESC (article J-17) ; quant à
l'article J-11, il reprend sans aucune modification l'ancien article
J-7 du Traité de Maastricht : le Parlement européen
n'obtient donc pas de pouvoirs directs, il est simplement régulièrement
consulté et informé et peu adresser des questions
ou des recommandations à l'intention du Conseil.
Le Parlement européen souhaitait se voir confier un rôle
décisif par un contrôle parlementaire sur la PESC
et par une consultation obligatoire sur les actions et positions
communes. Il n'a pas été entendu, la réaffirmation
de sa mise à l'écart reflète la conception
démocratique de la Commission.