Les Cahiers du GERSE n° 2






LA C.I.G. ET LA STRATEGIE DE L'ELARGISSEMENT :

LE BILAN MITIGE D'AMSTERDAM

Valérie BLANCK

L'accroissement du nombre des pays candidats à une adhésion à l'Union européenne, invite à penser le concept d'élargissement dans des termes particuliers qui, découlent de la conviction de l'insuffisance du système issu du Traité de Rome à gérer efficacement une Europe composée d'une vingtaine d'Etats. C'est pourquoi - alors même que les négociateurs du Traité de Maastricht n'avaient aucunement intégré à leurs travaux la perspective d'un élargissement de l'Union - cette question allait devenir un thème central et le véritable défi de la Conférence intergouvernementale. En effet, le Conseil européen de Turin (29 mars 1996) a tenu à reconnaître l'élargissement comme un défi pour l'Europe communautaire, tant au niveau institutionnel que procédural ou fonctionnel.

Quoique l'élargissement fût acquis en soi, ses conditions paraissaient encore bien hypothétiques. Partant, a-t-on souhaité placer la question de l'adhésion de nouveaux pays et la réforme des institutions au coeur même de la Conférence intergouvernementale.

A l'aune de l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union, le Sommet d'Amsterdam est-il vraiment parvenu à définir les contours d'une réforme institutionnelle si nécessaire pour accueillir de nouveaux Etats ou a-t-il failli dans cette entreprise au risque d'entraîner la dilution progressive de l'Union ?

I. EUROPE : LES ENJEUX DE L'ÉLARGISSEMENT GÉOGRAPHIQUE

Si l'élargissement est à la fois une nécessité politique et une chance historique pour l'Europe, le Conseil européen de Madrid (décembre 1995) devait rappeler qu'il ne saurait se faire sans de profondes réformes institutionnelles visant à accroître l'efficacité et la légitimité d'une Europe élargie. Ainsi, la Commission européenne a-t-elle précisé que la C.I.G. devait s'attacher à percevoir les implications institutionnelles d'un nombre accru d'Etats membres et, dans ce contexte, permettre une réduction du nombre de ses membres à un commissaire par Etat.

Adoptant une position analogue, le Parlement européen a proposé de limiter, de façon définitive, le nombre de ses représentants à 700, sans considération du rythme de l'élargissement futur. Ces propositions ont été entérinées par le Traité d'Amsterdam. Le Parlement européen disposera désormais d'une responsabilité plus conséquente puisque, la procédure de codécision deviendra la règle quasi générale.

De façon générale, les Quinze se sont accordés à penser qu'un élargissement, si évident et si inéluctable soit-il, ne pouvait être patent que s'il s'accompagnait d'une mutation et d'un renforcement des structures institutionnelles de l'Union. L'Autriche, en raison de sa position géographique et historique, s'est montrée favorable à la concrétisation des perspectives d'élargissement, à condition qu'une refonte du système institutionnel puisse intervenir pour consolider la capacité d'action de la Communauté. Parallèlement, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas ou la Grèce s'entendaient sur une C.I.G. concentrée sur la réforme du fonctionnement des institutions de l'Union.

Ces positions participent donc toutes d'une volonté de déterminer la manière d'organiser les futurs élargissements et non pas seulement de souligner quels seront les pays à admettre dans cette Europe communautaire.

En outre, et cela ressort notamment du Traité d'Amsterdam, les candidats à l'adhésion devront accepter intégralement l'acquis communautaire et respecter les principes généraux qui fondent l'Union (modification de l'article F du Traité sur l'Union européenne). C'est à cette seule condition que l'Europe les accueillera : "Tout Etat européen qui respecte les principes énoncés à l'article F paragraphe 1 peut demander à devenir membre de l'Union" [Ajout à la première phrase de l'article O du Traité sur l'Union européenne].

Si la nécessité d'une réforme institutionnelle semblait unanimement acquise, les travaux des Quinze à Amsterdam se sont pourtant révélés laborieux sur ce point. Ainsi, si les Chefs d'Etats et de gouvernements ont amendé le Traité sur l'Union européenne, ils se sont cependant employés à avancer sans hâte dans l'adoption d'une refonte des institutions capable de préparer l'Europe à son prochain élargissement.

II. AMSTERDAM OU L'AJOURNEMENT DE LA RÉFORME INSTITUTIONNELLE

Malgré une volonté commune exprimée antérieurement, les Quinze ont obtenu un accord politique sur un traité révisé de Maastricht, mais n'ont pas réussi à s'entendre sur la réforme du fonctionnement des institutions européennes. Au terme de quinze mois de négociations, les dirigeants européens - qui avaient pourtant peu à peu perdu de leurs ambitions - se sont révélés incapables de réformer les institutions de l'Union.



Le statut de la Commission européenne - dont le rôle est essentiel dans la structure institutionnelle de l'Union - a été maintenu en l'état. Déjà au Sommet de Noordwijk (23 mai 1997) il avait été spécifié que l'on se contenterait de geler le nombre des commissaires européens au chiffre actuel de vingt, indépendamment du nombre des Etats membres de l'Union. Partant, les Quinze se sont contentés du statu quo en maintenant ce nombre jusqu'au premier élargissement.

Ainsi la nouvelle Commission, qui prendra ses fonctions en l'an 2000, sera réorganisée. C'est un protocole annexé au Traité d'Amsterdam qui dispose que, préalablement au premier élargissement, la Commission sera composée d'un seul commissaire par Etat membre, étant alors convenu qu'à cette date, un accord sur la répartition des votes au Conseil des ministres (système de double majorité ou repondération des voix de chaque Etat en fonction de la population) aura été trouvé afin de tenir compte de la taille des pays. En réalité, à force de discussions, les "cinq Grands pays" de l'Union (France, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, Espagne) étaient prêts à renoncer à l'un de leurs commissaires s'ils obtenaient, en contrepartie, un renforcement de leur influence dans les votes au Conseil. Lassée par des négociations qui risquaient de fomenter le blocage et l'échec de la C.I.G., la Présidence néerlandaise a proposé de convoquer une nouvelle conférence intergouvernementale un an avant que le nombre d'Etats n'excède vingt, pour que l'on réfléchisse à nouveau sur la réforme institutionnelle. Comble de la singularité puisque l'objet même de la C.I.G. devait être la refonte des institutions européennes ! Le texte du Traité d'Amsterdam précise donc que "A la date d'entrée en vigueur du premier élargissement de l'Union , nonobstant l'article 157 paragraphe 1 du Traité de Rome, la Commission comprend un national de chacun des Etats membres, pourvu qu'à cette date, la pondération des voix au Conseil ait été modifiée, soit par une repondération des voix soit par une double majorité, d'une manière acceptable par tous les Etats membres, en prenant en considération tous les éléments pertinents, notamment en compensant les membres qui abandonnent la possibilité de nommer un second membre de la Commission. Une année au moins avant que les membres de l'Union européenne n'excède vingt, une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres est convoquée pour procéder à un réexamen complet des dispositions des traités relatives à la composition et au fonctionnement des institutions" (Articles 1 et 2 du Protocole) (1).

En ajournant la réforme institutionnelle jusqu'à la prochaine vague d'élargissement, l'Europe vient de prouver que, ne pouvant s'accorder à quinze sur des questions essentielles, elle risquait de ne plus fonctionner du tout à vingt membres et plus. La prochaine rencontre institutionnelle, qui coïncidera avec l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union, s'annonce donc primordiale afin d'éviter que les dysfonctionnements de la Communauté ne soient aggravés par de nouveaux élargissements. Alors, il faudra espérer qu'à ce moment là il ne soit plus possible de ne rien faire !

Cependant, même si les résultats sont insuffisants, voire inexistants sur certains points sensibles, les Quinze ont déclaré ne pas souhaiter retarder le processus d'adhésion ; comme il en a été décidé lors du Sommet de Madrid en décembre 1995, les négociations pourront débuter dans les six mois de la conclusion de la C.I.G. D'ailleurs, le 16 juillet 1997, la Commission européenne doit publier ses "avis" sur chaque dossier d'adhésion (Hongrie, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Chypre). Le Sommet de Luxembourg approuvera, au mois de décembre, le calendrier sur l'élargissement et les pourparlers pourront débuter. Pourtant, l'Union court le risque de devoir négocier la refonte des institutions avec les nouveaux adhérents ce qui, de tout évidence, pourrait mettre un bémol à cet élan et considérablement retarder la conclusion des négociations.

Devant l'impossibilité de s'entendre sur la question de la pondération, la réforme des institutions a été reportée au prochain élargissement, signe tangible de l'échec du Sommet d'Amsterdam sur ce qui était considéré comme l'objet même de la C.I.G.

En réalité, le spectre du chômage en Europe a plané sur cette conférence et le volet emploi a quelque peu occulté les autres thèmes de la négociation.

Toutefois, si les Quinze ont peiné à s'entendre sur la réforme des institutions, il leur faudra s'accorder bien vite au risque de consacrer la dilution de l'Union dans une obscure zone de libre-échange, portant alors un coup fatal à la construction européenne.



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© Alexis BAUMANN 1997